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Introduction

Le régime de pandémie a mis à mal des modalités de formation, y compris dans l’enseignement supérieur. Les enseignants ont dû rivaliser d’ingéniosité pour adapter leurs modalités pédagogiques aux contraintes induites par le confinement. Ils ont été obligés de mobiliser de nouveaux outils numériques et d’imaginer de nouvelles manières de poursuivre leur mission d’enseignement.

Le contexte au sein duquel cette problématique a trouvé son ancrage est ici le réseau Polytech, devenu en quinze ans un acteur incontournable dans le domaine de la formation des ingénieurs et ingénieures en France. Il est actuellement constitué de 15 écoles membres et de 2 écoles associées réparties sur l’ensemble du territoire. La Fondation partenariale Polytech, personnalité morale du réseau Polytech depuis 2017, accompagne et met en oeuvre les projets ou actions en commun des écoles du réseau Polytech, en cohérence avec leurs universités d’appartenance. L’une des forces du réseau est de s’appuyer sur une concertation collective régulière et active, incarnée par cinq commissions nationales et des groupes de travail assurant ainsi une représentativité constante des écoles et un échange permanent sur de nombreux champs thématiques (pédagogie, international, DDRS, etc.). La mobilisation de la Fondation Polytech, le retour rapide d’expériences des écoles pendant la crise sanitaire et le partage constant des pratiques dans ce contexte ont conforté la position du réseau Polytech sur l’importance de la transformation pédagogique, amorcée dès 2012 dans le cadre du projet Idefi Avostti.

Deux spécialistes en pédagogie ont été naturellement interpellés par les enseignants pour mutualiser les enjeux communs et les astuces dans un esprit de partage et de collaboration. La chargée de recherche et l’ingénieur technicopédagogique ont ainsi proposé diverses actions d’accompagnement en concertation avec les enseignants chargés de l’innovation pédagogique dans leur école. Des webinaires ont été proposés ainsi que des ateliers de travail à distance. Enfin, pour tirer profit des pratiques et les partager plus largement, un consultant ingénieur technico pédagogique ainsi qu’un chercheur du Centre de recherche en éducation de Nantes (CREN) ont aidé à comprendre les enjeux et à concevoir des actions à plus long terme. Des fiches méthodologiques de deux pages chacune ont été écrites avec deux objectifs : aider à agir de façon concrète et éclairer les effets possibles des choix d’enseignement hybride ou à distance sur les apprentissages.

Une action-recherche visera à percevoir les atouts et les limites de cette approche collaborative dans la création de ressources pédagogiques où sont intégrés les utilisateurs, mais aussi des professionnels de la pédagogie ayant des approches parfois très différentes. Comment procèdent-ils, avec qui, à partir de quoi, avec quelles ressources, quelles demandes, et face à quelles contraintes? Il s’agit de proposer une didactique professionnelle de la conception qui serait basée sur l’analyse de l’activité en prenant en compte des recherches liées aux activités de conception continuée dans l’usage (Béguin, 2013; Rabardel et Pastré, 2005), et plus précisément aux activités de conception de formation (Parage et Petit, 2015).

Nous présenterons donc l’expérience des webinaires, puis la transcription des thèmes retenus en fiches synthétiques visant à accompagner l’action. Nous examinerons alors les processus de conception mis à l’oeuvre pour comprendre, auprès des enseignants, en quoi les dispositifs proposés constituent en effet une réponse adéquate à leur besoin.

1. Un partage d’expérience lors d’une série de webinaires

À la suite des échanges entre des enseignants-chercheurs des écoles du réseau Polytech et les personnes de la Fondation expertes en innovation pédagogique, deux webinaires ont été conçus dans un esprit de partage sur les préoccupations urgentes des enseignants : l’évaluation à distance et les enjeux liés à une pédagogie distancielle et hybride. Puis, en juin, trois ateliers ont été conçus, cette fois afin de permettre des échanges plus spontanés entre les participants, alors moins nombreux, pour favoriser les échanges à distance. Un ingénieur pédagogique indépendant a été sollicité dans le cadre de cette action afin d’animer les ateliers et de prendre en note la majeure partie des expériences partagées. L’objectif des ateliers était double : favoriser l’apprentissage entre pairs et collecter les astuces et bonnes pratiques pour les intégrer dans des fiches méthodologiques destinées à être diffusées auprès de l’ensemble des enseignants, notamment de ceux qui auraient aimé participer aux ateliers. Le détail de la conception des fiches sera abordé un peu plus loin.

1.1 L’évaluation à distance et les enjeux de l’enseignement hybride

Deux webinaires ont permis à certains enseignants du réseau Polytech de partager leur expérience de transformation pédagogique induite par le confinement afin d’échanger autour de cette expérience et de recueillir l’avis de collègues enseignants, d’étudiants et d’experts en pédagogie, mais aussi de pouvoir avancer des idées pour leurs collègues. Le format choisi est celui d’une série de webinaires « classiques » comportant quelques retours d’expérience (courts), un apport d’expert (assez court également), de l’interactivité avec les intervenants (Q et R par clavardage, sondage en direct, etc.). Nous présentons synthétiquement le contenu des deux webinaires mis en oeuvre, lesquels ont été suivis en direct par une centaine de personnes chacun et consultés ensuite en différé.

1.2 Des questions pédagogiques

Le premier webinaire s’est tenu à distance le jeudi 7 mai de 14h à 15h30. Le programme était annoncé de la façon suivante : « Des retours d’expériences d’enseignants des écoles Polytech, le témoignage d’étudiants, puis, un temps de prise de recul avec un enseignant-chercheur du CREN, qui proposera une première synthèse des enjeux soulevés par les témoignages. L’occasion peut-être de coconstruire des repères transférables pour chacun des enseignants! » Les objectifs étaient de proposer une entrée plus pédagogique plutôt qu’axée uniquement sur l’outillage ou la technique et de recueillir les attentes et les besoins sur les questions d’évaluations à distance. Une brève introduction a permis d’accueillir les participants et de présenter le déroulement et les modalités d’échange du clavardage et de l’espace de questions pour interagir en simultané. Trois témoignages ont été présentés par des enseignants des écoles du réseau qui, du fait du confinement, ont fait évoluer leur enseignement et/ou leur évaluation, voire l’organisation de l’évaluation pour éviter la rupture numérique. Ceci a permis l’évocation de questions telles que : Quelles sont les modalités choisies, grâce à quel processus, à quelle réflexion? Quels apprentissages ont pu être dégagés des choix réalisés et quels sont les éléments à retenir (en positif et en points de vigilance)?

Les contributeurs ont pu présenter les points suivants: les caractéristiques de l’enseignement (discipline, nombre d’heures prévues et réalisées, niveau d’études des étudiants, nombres d’étudiants concernés, etc.), le type d’animation prévu en présence (TP, TD, CM, projets...) et celui mis en place à distance, l’évaluation envisagée au départ et celle mise en place aujourd’hui (format, philosophie de l’évaluation, mode de notation), les points forts et les axes d’amélioration ainsi que le courriel au cas où des collègues auraient souhaité les contacter pour échanger davantage.

Les contributions présentées avaient pour contexte la transformation de l’enseignement et de l’évaluation des étudiants lors d’un TP sur la « bière » en ingénierie agroalimentaire; la création de sondages pour connaître les modalités de connexion possibles des étudiants afin d’anticiper la fracture numérique; un questionnement plus large sur l’adaptation d’un enseignement et son évaluation ainsi que les difficultés rencontrées; la mise en place d’une démarche d’évaluation par la réalisation et l’animation d’un jeu sérieux par les étudiants eux-mêmes lors d’un module de communication et conception industrielle. Puis, un partage avec quelques étudiants a permis d’évoquer leur vécu lors des enseignements et de savoir s’ils éprouvaient ou non de l’appréhension face aux évaluations à venir. Enfin, un « expert » en psychologie des apprentissages a proposé une synthèse des éléments clefs présentés lors des témoignages pour dégager quelques repères et points de vigilance sur la question de l’évaluation, en lien avec les recherches en psychologie de l’éducation et la didactique.

1.3 « La pédagogie du Jour d’après » : qu’est-ce qui a changé?

Le second webinaire s’est tenu le 9 juin 2020. À partir de l’expérience vécue lors du webinaire du 7 mai 2020, plusieurs points forts ont été relevés :

  • La richesse des interventions des contributeurs

  • Les formats courts qui donnent un rythme et aident à maintenir l’attention

  • L’animation sous forme « radiophonique »

  • Un vrai « plus » par l’intervention des étudiants

Pour ce second webinaire, le thème de « La pédagogie du Jour d’après » a été validé, toutes les thématiques proposées lors de la première version ne pouvant néanmoins être déclinées sur un seul moment. La possibilité d’avoir des salles de discussion en parallèle semblait compliquée techniquement (avec environ 100 personnes) et peut-être frustrante par le choix que cela impose aux participants. L’enjeu était néanmoins de conserver une clarté dans la présentation des expériences, mais aussi de favoriser les échanges et de tirer profit des partages afin de construire des repères communs.

Trois présentations de 30 minutes chacune ont rythmé le deuxième webinaire avec une animation un peu différente visant à apporter des regards multiples: il s’agissait d’une intervention en binôme par la présentation de l’enseignant porteur de l’initiative sur 15 minutes, suivie du témoignage d’un collègue pour exprimer en quoi l’initiative l’a interpellé et pourrait être une source d’inspiration pour lui ou elle (5 minutes), puis par l’expression du ressenti des étudiants (5 minutes). Soit les enseignants avaient réalisé une enquête auprès des étudiants, parfois à l’aide d’une trame de questions proposée, soit des étudiants étaient présents lors des webinaires pour partager en direct leur vécu. Ensuite, 10 minutes étaient consacrées à une période de questions réponses par clavardage avec les auditeurs. Ces regards croisés entre enseignants et étudiants sur des situations pédagogiques en période de confinement visaient à évoquer au final les formes d’apprentissage à envisager pour la rentrée. Voici les titres des contributions : Un parcours individualisé pour favoriser l’apprentissage de la communication; Des quiz à capitaliser?; Concevoir un TP à distance : des choix techniques à la conception avec les utilisateurs?

2. Émergence d’une formation-action : fondements et principes

Les deux webinaires ont fait émerger des besoins en vue d’imaginer l’accompagnement des enseignants à « la pédagogie du Jour d’après », c’est-à-dire en vue de les aider à reconcevoir leurs cours selon un niveau d’hybridation plus poussé. Les participants et contributeurs des webinaires ont pu présenter leur fort intérêt pour les apports et les échanges de contenus, mais en marquant toutefois une certaine frustration. Cette dernière était liée au fait de ne pas pouvoir approfondir chacun des points abordés en raison d’un format radiophonique faiblement interactif. En effet, si ce format de webinaire en mode conférence, suivi de questions et réponses, s’avère pertinent pour un grand nombre de participants, il ne permet pas les échanges spontanés. Partant de ce constat, les animateurs concepteurs des webinaires ont voulu proposer une série de trois ateliers.

2.1 Une nouvelle modalité : des ateliers à distance

Les ateliers étaient animés par un consultant. Il était demandé aux participants d’échanger autour de leurs pratiques, selon un format de remue-méninges par écrit et par oral permettant de garder des traces. Les trois ateliers ont aussi bénéficié de prises de notes et le dernier a pu être enregistré afin de mettre à profit les éléments discutés. Toutes ces données ont été recueillies dans l’optique de les partager plus largement avec l’ensemble des enseignants des écoles Polytech et de constituer une base commune de connaissances à l’image d’un apprentissage entre pairs.

Voici les thématiques des ateliers en question:

  1. Jeudi 18 juin – Quels outils pour innover? Quelle réponse à la fracture numérique, peut-on élaborer des plans B? Comment planifier et séquencer les activités?

  2. Jeudi 25 juin – Quels degrés d’hybridation pour quelle motivation et participation des étudiants? Comment ne pas perdre les étudiants à distance? Quid de la classe renversée? (Mieux que la classe inversée?)

  3. Jeudi 2 juillet – Formation à distance: pays des interactions perdues? Comment créer la présence et la confiance à distance? Enseignement, évaluation des apprentissages. Organisation des examens et question de la fraude

Un exemple d’animation lors du dernier atelier nous est fourni par la proposition faite aux enseignants de réfléchir aux éléments de soutien à l’apprentissage. Ceci a permis d’évoquer les supports de différentes natures : 1. cognitif (contenu et méthodologie), pour aborder la dimension d’enseignement et d’organisation; 2. socioaffectif, pour lutter contre le sentiment d’isolement; identification à un collectif comme source d’engagement; 3. motivationnel, pour lutter contre l’abandon, à partir de mises en situation ou de dialogue avec l’étudiant, selon sa motivation propre; 4. métacognitif: pour prendre des distances, soutenir une autonomie et une réflexion, une autoévaluation et une connaissance de ses stratégies d’apprentissage.

Ce temps a été l’occasion pour les enseignants de repérer des actions concrètes telles que mettre en situation des activités à distance; trouver des façons d’amener les étudiants à s’exprimer sur leur motivation; faciliter la planification des apprentissages en proposant un calendrier; proposer des didacticiels : « On apporte des contenus, donc on est dans le cognitif... »; faire prendre conscience de ses préférences... « C’est du métacognitif! »; afficher clairement les critères d’évaluation : « Par exemple, pour imaginer une grille d’évaluation par les pairs, on croise le plan de l’évaluation avec le plan motivationnel... »

Ces ateliers ont permis un partage entre enseignants, mais aussi la construction de repères dans une logique d’apprentissage par les pairs.

2.2 Un nouveau média : des fiches méthodologiques

L’ensemble de ces activités a permis de constituer un premier matériau pour comprendre comment mieux accompagner les enseignants pour enseigner à distance et/ou selon un format hybride. Afin de mettre à profit ces éléments et de les partager plus largement, l’idée de réaliser des fiches méthodologiques, en reprenant l’entrée didactique des enseignants, paraissait cohérente. Cette écriture a été amorcée dès le mois de juin et elle est aujourd’hui toujours en cours. Elle s’est heurtée notamment aux attentes diverses qu’elle pouvait contenir, l’ambition étant de réaliser des supports brefs (2 pages), concis et précis, invitant à l’action par la présence de conseils pratiques mais aussi de points de vigilance quant aux impacts des techniques pédagogiques et numériques choisies sur les apprentissages. Les fiches produites sont destinées à être diffusées auprès des enseignants du réseau Polytech et accessibles sous licence Creative Commons (voir l’annexe pour un exemple de fiche constituée).

L’itération entre les auteurs (le consultant dans un premier temps et l’équipe de la Fondation) et les enseignants fait partie intégrante de la démarche. Il s’agit toujours de rester au plus près des préoccupations des enseignants sans pour autant tomber dans un jargon pédagogique. Trouver un équilibre entre les termes éclairants connus des pédagogues et ceux qui participent à la compréhension des acteurs de terrain est un véritable exercice, voire un défi. On y retrouve aussi des préoccupations plus proches des repères en infocommunication pour valoriser une écriture agréable, très ciblée. L’ambition n’est en effet pas de plagier les propos des enseignants comme des chercheurs, mais de donner une cohérence à chaque fiche en lien avec un questionnement pratique que pourrait avoir un enseignant. Il s’agit donc d’un format rapide d’apprentissage qui doit permettre à chacun, quelle que soit son expertise, de trouver des repères. Ces éléments une fois constitués seront proposés en format numérique sur une plateforme, l’ambition étant par la suite de développer un concept de mallette numérique permettant l’autoformation comme le partage de pratiques et la coconstruction de nouvelles ressources.

3. Une perspective : l’idée d’une didactique de la conception pédagogique

Au-delà de ces premiers éléments de réponse possibles apportés dans l’urgence, nous avons estimé important de pouvoir déployer une approche orientée par la recherche, y compris sur le plus long terme, en prenant en considération les apports de l’analyse de l’activité (Samurçay et Vergnaud, 2000) dans le cadre de nos enjeux.

3.1 Questionnements et constats en vue d’une recherche-action

C’est au coeur même de son activité, au sein des situations, et en même temps grâce à une distanciation permise par l’analyse que l’acteur (enseignant, étudiant) peut développer une forme de réflexivité dans et pour l’action, par le recours à l’analyse de l’activité. Les fondements d’une telle approche ont pu être discutés avec les membres de l’équipe, les membres de la Fondation en concertation avec des enseignants, référents de l’innovation pédagogique dans leur école Polytech, et l’expert en pédagogie, intervenant en didactique professionnelle. Ces discussions ont fait émerger l’idée d’analyses complémentaires en référence au cadre de la didactique professionnelle (Pastré, 2011; Pastré et al., 2006; Samurçay et Pastré, 2004; Vinatier, 2009, 2013), générant la proposition d’une formation‑action.

Un des premiers constats a été de considérer que les réponses existantes (service de soutien à la pédagogie du supérieur, centre de développement pédagogique, référent pédagogique, conseillers en pédagogie) ne pouvaient pas toujours constituer des apports personnalisés auprès de tous les enseignants demandeurs en temps contraint lors de la demande très forte en période de confinement. Un second constat est venu du fait que les enseignants tentent de s’orienter seuls en autodidactes avisés, mais ne se retrouvent pas dans l’abondance des propositions émanant de multiples établissements.

3.2 Fondements et principes d’une proposition de recherche-action : conception collaborative dans l’usage

Partant de ces deux constats, il est apparu pertinent de choisir une entrée que nous souhaitions à la fois plus neutre et à la fois plus en lien avec les « réalités de terrain », c’est-à-dire qui traduisait les préoccupations des acteurs. Ces derniers se trouvent confrontés à ces situations et s’y engagent à la mesure de leur compréhension, mais aussi de leurs intentions, de leurs valeurs et de leurs moyens. Ils sont considérés selon le trio enseignant-apprenant-conseiller pédagogique (au sens large). L’idée fondamentale est de proposer une didactique professionnelle de la conception basée sur l’analyse de l’activité des acteurs de ce trio. Comment procèdent-ils, avec qui, à partir de quoi, avec quelles ressources, quelles demandes, et face à quelles contraintes? Forts de la prise en compte des recherches liées, d’une part, aux activités de conception (Béguin, 2013; Béguin et Rabardel, 2000; Rabardel, 1995, 2005; Rabardel et Pastré, 2005) – notamment de la conception continuée dans l’usage – et, d’autre part, aux activités de conception de formation (Olry et Vidal-Gomel, 2011; Parage et Petit, 2015), nous proposons de mettre en place un dispositif de recherche-action. L’objectif serait d’accompagner la conception d’un dispositif visant à aider la reconception réalisée par les enseignants pour leurs cours à distance, dans un cadre de recherche collaborative (Vinatier et al., 2012). Ce dispositif de recherche-action pourrait s’appuyer sur deux grands principes : 1. la conception continuée dans l’usage qui propose « une démarche dialogique d’apprentissages mutuels entre opérateurs et concepteurs, destinée à relever le défi d’une approche développementale de la conception » (Béguin, 2013, p. 147); 2. une didactique de la conception (Bonnardel et Didier, 2020) fondée sur les apports de la didactique professionnelle (Pastré, 2011) et qui insiste sur la prise en compte du point de vue de l’utilisateur dès le début de la conception.

3.3 Esquisse méthodologique : projet d’une double analyse

Sur le plan méthodologique, notre projet de recherche-action pourrait comporter deux volets complémentaires déployés selon une double analyse de l’activité (Samurçay et Vergnaud, 2000) portant, d’une part, sur l’apprentissage impliquant les étudiants et, d’autre part, sur la reconception impliquant enseignants et conseillers pédagogiques. Cette analyse permettrait donc d’engager l’ensemble des acteurs concernés par le projet, du côté tant du duo enseignant-étudiant que du duo enseignant-conseiller pédagogique.

Ainsi, l’analyse proposée pourrait se décliner selon quatre objectifs:

  1. Le premier pourrait concerner l’analyse de l’activité d’apprentissage d’étudiants volontaires. Dans les cours dont la reconception est en cours en vue d’une hybridation, choisis en concertation avec l’ensemble des acteurs, nous pourrions nous intéresser au point de vue des utilisateurs, à savoir les étudiants. Il pourrait s’agir de commencer par des entretiens collectifs permettant d’accéder à une partie de leur vécu à l’égard de cet enseignement, en prenant en compte, par exemple, le point de vue d’étudiants suivant le cours en présence et celui d’étudiants suivant le même cours à distance. Nous pourrions également proposer à quelques-uns des participants à ces entretiens de se prêter à une analyse de leur activité d’apprentissage à un moment du cours convenu avec les différents acteurs (étudiants et enseignants), afin de pouvoir disposer de quelques études de cas plus détaillées. L’idée serait de recueillir, avec l’aval de l’étudiant volontaire, des traces (si possible vidéographiques) de son suivi de cet enseignement (soit en présence, soit à distance, en synchrone ou en asynchrone). Certaines traces pourront être analysées et proposées pour réaliser une autoconfrontation avec l’acteur lui-même afin qu’il puisse par exemple détailler ses raisonnements en cours d’action et donner à comprendre une partie de son activité d’apprentissage à propos d’un concept ou d’une compétence à construire lors de l’enseignement étudié, mobilisant des fonctions cognitives supérieures (problématisation, raisonnement, analyse/synthèse, etc.) à choisir avec les acteurs volontaires, selon les terrains à explorer. Si les acteurs sont également volontaires, des formes d’autoconfrontations croisées peuvent être envisagées, par exemple entre étudiants (dont les vécus sont différents : le cours vécu en présence ou à distance…), en vue de confronter leurs points de vue à propos d’un aspect précis de l’enseignement analysé.

  2. Le second objectif aurait pour finalité de réaliser des analyses de l’activité de reconception de formation de la part d’enseignants-chercheurs volontaires, souhaitant donner à voir une partie de leur activité de reconception, pouvant porter par exemple sur un des enseignements étudiés dans le cadre de l’objectif 1. Cette analyse pourrait également se réaliser dans une série d’entretiens individuels ou collectifs portant sur leur vécu de cette reconception en général et, si possible, en recourant aussi à des autoconfrontations. Celles-ci peuvent être « simples » – l’acteur et le chercheur analysent ensemble une partie de l’activité de l’acteur à partir de traces de son activité de reconception – ou « croisées » – deux acteurs volontaires échangent à propos de leur activité propre. Le but serait de comprendre un aspect plus situé de l’activité de reconception de la part des enseignants, notamment de voir comment ils mobilisent les ressources fournies par les conseillers pédagogiques. Cela pourrait donner à ces derniers, en tant que concepteurs de systèmes de ressources, des pistes fondées justement sur un usage réel.

  3. Le troisième objectif porterait sur l’analyse de l’activité de conception des conseillers pédagogiques ou technicopédagogiques en tant que concepteurs de systèmes d’aide à la reconception pédagogique des enseignants. Un protocole identique, mêlant entretien de vécu général et autoconfrontations situées, pourrait être déployé.

  4. Enfin, le quatrième objectif concernerait l’analyse de l’activité d’apprentissage d’étudiants participant au cours reconçu, transformé en apprentissage en ligne, qui serait menée selon le même protocole de recherche que celui proposé dans le cadre de l’objectif 1. Cette analyse dans ce temps différé pourrait aider les acteurs concepteurs (enseignants et conseillers) à comprendre si ce cours reconçu permet des apports complémentaires en matière de processus d’apprentissage du côté étudiant.

4. Une recherche-action en devenir

La démarche d’analyse de l’activité demande la mise en place d’un projet de recherche participative, souvent difficile et onéreux, tant en moyens qu’en temps. En attendant sa mise en oeuvre dans le cadre d’une réponse à un projet ANR COVID‑19, il a été proposé de mettre en place une formation-action fondée toutefois sur cet état d’esprit, mais pouvant répondre à l’urgence d’une préparation en vue de la rentrée universitaire 2020. Il s’agissait dès lors d’impulser la recherche-action dans le cadre d’une formation‑action.

L’étude proposée relève d’une démarche de recherche-action où acteurs et chercheurs collaborent entre eux, à la fois pour répondre aux éléments de la demande sociale énoncée dans le cadre du présent projet et pour permettre le développement de pistes de recherche pour les chercheurs impliqués. Mais la dimension de la recherche sur la conception ne doit pas obérer la dimension de la recherche portant sur l’aspect didactique. C’est pourquoi il s’agira aussi de s’intéresser à l’activité d’apprentissage du côté des étudiants, en prenant appui sur le point de vue des formateurs.

Conclusion

Confrontés à un régime de pandémie, les enseignants du supérieur se sont avérés inventifs afin de trouver de nouvelles manières d’enseigner à distance. Néanmoins, face à de nouvelles pratiques, le partage et l’accompagnement mutuel sont nécessaires. C’est ce que propose la Fondation du réseau des écoles Polytech à l’adresse des enseignants-chercheurs du Réseau. Cependant, cette aide doit pouvoir relever d’un accompagnement basé sur les besoins de terrain des acteurs et non sur des recettes génériques toutes faites, estimées prêtes à être mises en oeuvre, mais qui nécessitent en réalité à la fois une contextualisation aux terrains auxquels elles sont censées s’adresser et une appropriation de la part des acteurs. S’y ajoute également la démarche d’organisation apprenante initiée par le Réseau : le partage est à l’origine du savoir commun, autant par l’expérience des enseignants que par l’expertise des accompagnants, concernant des situations connues d’hybridation. Pourtant, il s’agit de souligner le fait qu’ici, tous les repères étaient différents, à commencer par nos propres façons de fonctionner en télétravail. Chacun a pu apporter aux autres dans un esprit de reconception des repères à la fois pédagogiques et organisationnels, voire émotionnels. Les étudiants avaient souligné notamment combien l’accompagnement des enseignants et des temps d’échanges réguliers pour exprimer leurs ressentis leur ont permis de ne pas décrocher.

Dans ce but de capitalisation et de mise à disposition de ressources adaptées aux membres du réseau à partir de leurs besoins, un dispositif de formation-action a pu être mis en oeuvre en urgence afin de pouvoir constituer, avec l’aide d’enseignants volontaires, des séances de webinaires d’échanges d’expériences auxquels se sont ajoutés des ateliers de recueil de données relatifs aux envies et aux besoins potentiels des acteurs, en vue de constituer une série de fiches méthodologiques de reconception pédagogique. L’idée, pour aller plus loin, serait que les enseignants volontaires participant à la recherche-action puissent devenir à leur tour une force de proposition au sein de leur établissement, et que cette expérience de participation puisse leur servir de situation potentielle de développement au sens de Mayen (1999), leur permettant de mieux prendre en compte leurs conceptualisations dans l’action (Vergnaud, 1996, 2004, 2007) ainsi que leurs systèmes d’instruments (Body et al., 2017; Bourmaud, 2006; Gomes et Munoz, 2020; Rabardel et Bourmaud, 2005), notamment en matière de reconception pédagogique. La recherche-action pourrait contribuer à une meilleure analyse.