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Ce numéro thématique sur les Risques, ressources et fonctionnement psychique des jeunes adultes et des étudiants se penche sur une période particulière de la vie des individus qu’est celle du passage à l’âge adulte et notamment la vie étudiante. Nous allons vous présenter une série de travaux qui s’intéressent à cette période dans laquelle l’intégration sociale et les soutiens relationnels et amicaux représentent un facteur important dans l’évolution de la vie personnelle, professionnelle, familiale et sociale.

Cette thématique est centrale, mettant en avant la question de l’accessibilité aux soins, notamment psychiques, et montre comment la méconnaissance de dispositifs d’accès aux soins par ces jeunes peut avoir des conséquences néfastes et une aggravation et chronicisation de problèmes (certains troubles psychopathologiques comme la dépression, l’anxiété, etc.). Les différents textes s’étayent sur un certain nombre d’enquêtes et d’études menées au Québec et en France (comme celles de l’Observatoire de la Vie Étudiante), mais aussi à l’international, montrant l’émergence de ces recherches spécifiques aux jeunes adultes et plus particulièrement sur les étudiants. L’arrivée à l’université ou, d’une façon plus générale, l’entrée dans les études supérieures représente un passage important vers l’insertion professionnelle et vers la vie d’adulte. Cette transition peut s’avérer complexe pour les jeunes en général. Nous nous sommes penchés sur plusieurs situations qui peuvent s’avérer « à risques » ainsi que sur plusieurs dispositifs, dans des buts préventifs et thérapeutiques, plus en adéquation avec la spécificité des prises en charge de jeunes adultes et notamment des étudiants.

Pour commencer, Yannick Morvan, Ariel Frajerman, Laurence Kern et Boris Chaumette proposent un article de réflexion sur les enjeux majeurs que représentent la santé psychique des étudiants, puisque c’est précisément dans cette tranche d’âge des 18 à 25 ans qu’émergent les trois quarts des troubles mentaux diagnostiqués dans les différents âges de la vie. Bien au-delà du coût économique, il s’agit là du coût humain et des enjeux que cela représente en termes de santé mentale. Néanmoins, il existe une forte hétérogénéité des résultats obtenus, soulignent les auteurs qui ont croisé différentes études. Plusieurs facteurs sont probablement à mettre en avant : les populations étudiées, la méthodologie employée, les définitions de référence, les instruments utilisés ainsi que le choix de la période dans la vie étudiante où le recueil des données est effectué. Cette dernière variable, la temporalité de l’évaluation, est centrale tout comme les filières choisies et leur degré de sélectivité. En arrière-plan de cette présentation d’ensemble à cette thématique, Yannick Morvan, Ariel Frajerman, Laurence Kern et Boris Chaumette s’engagent dans une véritable réflexion sur les méthodes employées ainsi qu’aux résultats statistiques eux-mêmes et ils montrent les enjeux en termes de recherche qui en découlent.

À la suite de cette présentation transversale, Guillemine Chaudoye, Hélène Riazulo, Mélanie Mandl, Alessia Perifano, Lucia Romo et Régine Scelles font un point sur la revue de la littérature consacrée à la spécificité des étudiants qui présentent un handicap invisible et/ou visible. Il est en effet assez rare que la littérature s’intéresse aux jeunes et aux étudiants en situation de handicap notamment physique ou atteint d’une maladie somatique. Les auteurs relatent la crainte de la stigmatisation qui est, par exemple, régulièrement citée et peut jouer un rôle dans le bon développement et la réussite académique. Des étudiants expliquent dans des récits de vie, par exemple, qu’ils ne souhaitent pas se déclarer comme « étudiants handicapés » au service adéquat pour ne pas se démarquer dans un groupe d’amis ou par crainte d’influencer le regard des enseignants sur leur travail. Cet article pointe aussi la richesse et la pertinence des méthodologies qualitatives.

À un autre niveau, il est aussi intéressant de se pencher sur la dimension transculturelle des jeunes adultes. Cette question est d’une grande actualité et montre les dimensions, telles que les difficultés, mais aussi les ressources de ces jeunes. Nous pouvons en effet relever celles de jeunes filles et femmes nées en France et issues de parents migrants. Le travail de Sara Skandrani, Marie-Rose Moro et Mayssa El Husseini aborde cette question au travers d’entretiens qualitatifs réalisés auprès de 20 jeunes. Ces chercheuses proposent une analyse approfondie de cette situation transculturelle et en montrent les enjeux identitaires.

Nous avons essayé, dans ce numéro, de relater différentes situations qui traversent nos sociétés contemporaines. Une situation spécifique inquiète de plus en plus, c’est la pratique parfois régulière chez des jeunes à l’université et chez les jeunes en général du binge-drinking ou Alcoolisation Ponctuelle Importante (API). L’étude d’Abel Dalleau qui s’appuie sur plus d’une centaine d’étudiants à l’université a permis d’analyser des verbatims de jeunes qui pratiquent le binge-drinking. Il dégage différents types : les ivresses festives (pour s’amuser, faire la fête), les ivresses aux comportements auto ou hétéroagressifs, les ivresses amoureuses (pour les relations sexuelles et les passages à l’acte sexuel) et les ivresses anti-alcooliques (pour dépasser les limites). La méthodologie utilisée est à la fois quantitative et qualitative. Il s’agit d’une méthodologie dite mixte qui fait preuve de tout son intérêt.

Il s’avère aussi que nos sociétés évoluent et changent, et ceci, de plus en plus rapidement à la suite du développement des nouvelles technologies. Les étudiants utilisent les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) de façon de plus en plus massive. Cette utilisation est nécessaire à leurs études et vient favoriser certaines recherches et ouvertures sur un grand nombre d’informations. Cela permet également des mises en réseau qui peuvent favoriser les réseaux sociaux. Parfois, cependant, cela peut provoquer des utilisations problématiques d’Internet (UPI). Lisa Haddouk, Rafika Zebdi, Carl Maria Mörch, Baptiste Lignier et Damien Fouques montrent comment ces utilisations problématiques peuvent s’accompagner de cyber-violence ou de cyber-harcèlement. L’évolution des classifications internationales en psychiatrie a vu apparaître des catégories diagnostiques comme l’Internet Gaming Disorder (IGD) en 2019. Des recherches se développent au niveau international, montrant un intérêt de plus en plus marqué pour cette thématique, reflet là encore de l’évolution de notre rapport à Internet. Elles pointent les risques de « sur-pathologisation » de ces comportements. Associés à ce constat, des programmes de prévention peuvent être proposés notamment grâce à des techniques d’information, de communication (applications téléphoniques, interventions sur Internet, etc.), mais aussi des méthodes de consultations psychologiques hybrides en face à face et sur Internet (exemple du serious games) …

Dans la suite de ces situations spécifiques, nous nous sommes également penchés sur les différents dispositifs proposés, notamment ceux qui s’adressent tout particulièrement aux jeunes adultes, dont aux étudiants au sein des universités.

Pour revenir aux consommations excessives voire addictive d’Internet, Gabrielle Saint-Arnaud, Magali Dufour, Andrée-Anne Légaré, Joël Tremblay, Karine Bertrand, Yasser Khazaal, Natacha Brunelle et Mathieu Goyette se sont intéressés à la construction d’un programme de prévention qui associe les usagers et en essayant d’éviter tout effet iatrogène. Ces auteurs ont développé une recherche à partir d’une méthodologie mixte (quantitative et qualitative) co-construite avec des adolescents et des jeunes adultes. Ils ont évalué l’utilisation d’Internet, des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Concernant les programmes de prévention, ils ont pu dégager trois thématiques : la population à cibler dont les parents, les contenus de programmes de prévention (l’existence de la dépendance à l’Internet et des conséquences, etc.) ainsi que les formats à privilégier (comme, par exemple, au travers de la publicité en ligne et hors ligne ou encore par le biais de conférences). Cette co-construction permettra de développer des programmes qui seront en accord avec les besoins et les attentes des jeunes.

Puis, au travers de la présentation d’un dispositif de traitement psychodynamique multifocal et bref de la crise, éclairé de vignettes cliniques, le travail de Christophe Ferveur s’intéresse également à une façon de nouer une bonne alliance avec des jeunes dans une dynamique de travail en réseau, ce qui permet régulièrement d’éviter des problèmes de décrochage.

Un autre dispositif de prévention est présenté par Jean-Christophe Maccotta, Christelle Hourantier, Marie-Aude Piot et Maurice Corcos. Cet article décrit un vaste dispositif de prévention secondaire au sein des universités françaises qui permet d’augmenter le recours aux soins psychiques lorsque cela est nécessaire. Ces lieux permettent également d’écouter les jeunes adultes encore aux prises avec la conflictualité adolescente. Il s’agit de lieux qui vont pouvoir être investis comme des espaces-tiers. Ces lieux sont essentiellement pour ne pas risquer des ruptures dans leur trajectoire de vie.

Enfin, Lucia Romo, Stéphanie Nann, Elisabetta Scanferla, José Esteban, Hélène Riazuelo et Laurence Kern proposent de faire un point sur différents dispositifs, différents programmes de prévention et d’intervention auprès d’étudiants dans différents pays souffrant de différents troubles (trouble du comportement alimentaire, les addictions, l’anxiété, etc.). Ils donnent l’exemple de la mise en place d’un Espace Santé au sein d’une université en Région Parisienne ainsi que l’accueil proposé.

Ce numéro apporte ainsi un regard croisé de chercheurs émanant d’approches différentes et tout à la fois complémentaires, qui arrivent à collaborer ensemble et à avancer à propos de ce vaste et passionnant domaine de la prévention et le soin des problématiques et des souffrances psychiques, notamment chez les jeunes adultes dont les étudiants.