Article body

Introduction

La mise en oeuvre de traitements psychothérapeutiques au bénéfice des adolescents auteurs de violences sexuels nécessite une évaluation précise du fonctionnement psychique, à partir duquel les perspectives de soin peuvent être élaborées. Les épreuves projectives sont des outils précieux pour permettre une analyse approfondie du fonctionnement psychique (Chabert, 1998; Emmanuelli et Azoulay, 2008) et, plus particulièrement, pour mettre en évidence les catastrophes de symbolisation dans les productions au Rorschach.

Ce travail[2] porte sur l’évaluation de la dynamique du fonctionnement psychique des adolescents auteurs de violences sexuelles en appui sur les épreuves projectives (ici le Rorschach). Cette question a été peu considérée dans la littérature, dans la mesure où les travaux ont jusque-là mis l’accent sur des aspects cliniques et descriptifs (Tardif, 2015), ou sur la dynamique familiale (Lafortune, 2001; de Becker, 2016) ou encore sur le registre de fonctionnement psychique considéré de manière plus large (de Becker, 2009; Lemitre et Coutanceau, 2006; Pelladeau et al., 2015; Roman, 2016).

Considéré du point de vue des théories psychanalytiques de la symbolisation (Ciavaldini, 2005; Roussillon, 1991, 1999), l’agir violent sexuel peut être compris dans sa double valence d’échec, total ou partiel de la symbolisation dans le contexte des remaniements propres au processus adolescent et, dans le même temps, de relance de la potentialité symbolisante (Roman, 2012). Le choix d’approfondir cette perspective théorique ouvre sur des aspects particulièrement décisifs dans le choix de soutenir et de développer des perspectives de soin psychothérapeutique auprès des adolescents auteurs de violences sexuelles, et de promouvoir une approche d’accompagnement de ceux-ci dans le contexte judiciaire.

L’analyse comparée et approfondie de deux protocoles de Rorschach recueillis auprès d’adolescents rencontrés respectivement en Suisse et au Brésil, permettra de situer les problématiques saillantes du point de vue du fonctionnement psychique ainsi que les variations de celles-ci. À visée exploratoire, cette recherche ne saurait à ce point être considérée comme apportant une réponse définitive au double enjeu qui sous-tend une telle comparaison : les ressemblances ou les écarts doivent-elles être imputés aux différences inter-individuelles (que l’on peut trouver au sein d’un groupe d’une même origine) ou aux différences culturelles qui, nécessairement, prennent place dans une telle démarche interculturelle.

L’objectif est donc avant tout de mettre à l’épreuve la clinique projective d’adolescents auteurs de violences sexuelle, en Suisse et au Brésil, au regard du modèle des « catastrophes de symbolisation », afin d’identifier écarts et invariants au plan des processus qui sous-tendent le fonctionnement psychique.

État de la question

Différents auteurs (Chagnon et al., 2018; Lafortune, 2001; Lemitre et Coutanceau, 2006; Roman, 2018; Wolff et al., 2016) ont mis l’accent sur les aléas de la symbolisation chez les adolescents auteurs de violences sexuelles. Ces carences s’expriment par une double difficulté : du point de vue du maniement et de la reconnaissance des affects (les siens, ceux de la victime) et du point de vue de la capacité de représentation (autoreprésentation) de l’acte transgressif. La proposition de Ciavaldini (2005) selon laquelle l’agir violent sexuel peut être considéré comme un « affect inachevé » témoigne de manière heuristique de la place centrale des enjeux du travail de symbolisation, dans les actes d’atteinte sexuelle portés à l’égard de l’autre. À la suite des travaux de Roussillon (1999), nous considérons comme processus de symbolisation, l’ensemble des opérations psychiques mobilisées dans le traitement pulsionnel, au service du travail de représentance.

La traduction de ces aléas du travail de symbolisation peut être approchée de manière privilégiée au travers des épreuves projectives, et en particulier de l’épreuve de Rorschach (Roman, 1997a). Les travaux précédemment publiés mettent en évidence que les épreuves projectives offrent un accès privilégié à l’expression des « catastrophes de symbolisation » qui affectent la vie psychique de l’adolescent (Roman, 1997b, 2017). En effet, Roman propose de considérer la double inscription du terme de « catastrophe » pour en appréhender la portée au regard du travail de symbolisation et de ses points d’achoppement :

  • l’étymologie grecque, qui renvoie à l’idée d’un bouleversement et d’un dénouement d’une part,

  • la référence à la « théorie des catastrophes » en mathématique[3], selon laquelle une « catastrophe » est la disparition d’une forme stable et l’établissement d’une nouvelle forme d’autre part.

Ainsi, la catastrophe de symbolisation témoigne d’une mise en tension des processus qui concourent au travail de symbolisation, dans la double valence désorganisation / réorganisation : 

les catastrophes de symbolisation rendent compte d’un coup de théâtre au sein de la vie psychique, dont la scénarisation sur la scène projective, que l’on peut penser comme une nouvelle scène du traumatisme, informe de ses effets sur la dynamique de la vie psychique.

Roman, 2017, p. 267

Comme le précise encore Roman (2017) :

ce qui sous-tend la perspective des catastrophes de symbolisation, c’est bien la mise en évidence, dans la rencontre projective, de ce qui fait trace du traumatisme, en tant que le traumatisme (c’est-à-dire le vécu traumatique, du point de vue de la subjectivité et de son atteinte) renvoie à une mise en échec des processus de symbolisation

p. 266-267

Trois axes sont définis pour soutenir cette approche (cf. infra) :

  • l’axe de l’investissement sensoriel du matériel projectif dans la production de la réponse,

  • l’axe de la continuité du processus représentatif dans l’élaboration du discours,

  • l’axe de l’engagement transférentiel.

L’objectif de l’étude est donc de mettre en évidence certains des invariants qui traversent, de manière transculturelle, la problématique des violences sexuelles à l’adolescence, même si les formes expressives de celles-ci peuvent varier en fonction des bases et des références culturelles. La modélisation des catastrophes de symbolisation, dans leur déclinaison dans ses trois axes, servira de support pour aborder, dans une étude comparée et approfondie, les protocoles de deux adolescents, respectivement en Suisse et au Brésil, qui ont tous les deux fait l’objet d’une condamnation pour des agirs violents sexuels commis sur un enfant prépubère.

Méthode

Participants

Il s’agira donc de travailler à l’analyse des protocoles d’épreuves projectives de Rorschach de deux adolescents de 16 ans, Hervé et Paulo,[4] rencontrés respectivement en Suisse et au Brésil. Ce sont deux adolescents célibataires, sans vie de couple stable. Ils ont tous les deux commis des actes d’ordre sexuel sur des petites filles prépubères et ont été condamnés pour ces faits. Ils ont été inclus, dans leur pays respectif, dans le protocole d’une recherche[5] visant à mieux comprendre la dynamique psychique des adolescents engagés dans des agirs violents sexuels. Les adolescents ont participé de manière volontaire à l’étude, dans le cadre contraint du traitement psychothérapeutique dans lequel ils se trouvaient engagés.

Dans le cas de Hervé, l’adolescent suisse, les actes transgressifs (viols) se sont déroulés à plusieurs reprises dans le contexte familial, alors qu’il restait seul avec l’un de ses parents à domicile. Il a participé à la recherche dans le cadre de sa participation à un groupe thérapeutique. Du fait d’une difficulté à s’engager dans le travail de groupe, il a par la suite bénéficié d’une psychothérapie individuelle pendant plusieurs années.

Pour Paulo, l’adolescent brésilien, sa participation à la recherche coïncide avec son accompagnement thérapeutique avec une psychologue à la clinique-école de l’Université de Brasilia[6]. Il venait de quitter une période d’enfermement dans une unité judiciaire et commençait une autre période, de liberté assistée, où il était tenu de suivre une psychothérapie. Il avait commis un acte d’ordre sexuel avec pénétration sur une petite fille qu’il côtoyait de temps en temps, puisqu’elle habitait dans son voisinage proche.

Outil d’évaluation et indicateurs cliniques

La passation de l’épreuve de Rorschach a été réalisée pour chacun des adolescents par des psychologues cliniciennes d’origine brésilienne, respectivement en français et en portugais. Les protocoles ont été transcrits, cotés et analysés selon les orientations de l’École de Paris (Chabert, 1983; Emmanuelli et Azoulay, 2008; Rausch de Traubenberg, 1970), avec élaboration d’un accord interjuge au sein de chacune des équipes de recherche : ils ont ensuite été référés respectivement aux données normatives du Brésil (Jardim-Maran et al., 2015) et de la France (Azoulay et Emmanuelli, 2012; Azoulay et al., 2007).

Le repérage des traces du travail de symbolisation est réalisé selon la démarche proposée par Roman (2017)[7], démarche qui valorise une appréhension dynamique des « catastrophes de symbolisation », selon trois axes, que l’on peut décliner, au plan clinique et méthodologique, de la manière suivante (voir Tableau 1) :

  • l’axe de l’investissement sensoriel du matériel projectif dans la production de la réponse (symétrie, couleur et estompage…), ou axe de l’élaboration de l’affect; l’enjeu sous-jacent est celui de l’advenu de l’affect,

  • l’axe de la continuité du processus représentatif dans l’élaboration du discours, regroupant effets de blanc et îlots de déni (qui renvoient de fait à la même logique processuelle), ou axe de la construction du fond de continuité narcissique; l’enjeu sous-jacent est celui de la construction de la scène, en tant que fonction-support,

  • l’axe de l’engagement transférentiel, témoin de la qualité des pare-excitations, ou axe du traitement de l’excitation dans le lien; l’enjeu sous-jacent est celui de la plasticité versus la porosité des limites, avec le repérage des agirs de transfert qui en constituent des indicateurs particulièrement pertinents (Freud, 1915).

Résultats

La présentation des données projectives sera réalisée, pour chacun des adolescents, à partir des trois axes des « catastrophes de symbolisation » (Roman, 2017) rappelés ci-dessus : axe de l’élaboration de l’affect, axe de la construction du fond de continuité narcissique et axe du traitement de l’excitation dans le lien. Il s’agira de repérer les tentatives de symbolisation et leurs empêchements figurés au travers des scènes projectives, et de mettre en perspective les protocoles des deux adolescents en appui sur ces repérages. L’analyse portera tout particulièrement sur les productions à partir desquelles émergent ces mouvements caractéristiques du travail de symbolisation à l’oeuvre (tentatives versus empêchements) en fonction des trois axes d’analyse retenus, et ne portera donc pas de manière exhaustive sur l’ensemble des données des protocoles de Rorschach.

Tableau 1

Analyse du Rorschach selon les axes de la symbolisation (source : Roman, P., 2017)

Analyse du Rorschach selon les axes de la symbolisation (source : Roman, P., 2017)

-> See the list of tables

On peut relever que les protocoles de Hervé et Paulo sont de facture assez similaire (Tableau 2) :

  • un nombre de réponses limitées c’est-à-dire 15 réponses pour Paulo et 14 pour Hervé, avec le plus souvent une seule réponse par planche

  • un nombre de réponses Dbl supérieures à la norme 

  • un H% au-dessus de la norme

  • un F+% diminué et un nombre réduit de réponses banales

  • des réponses de reflet et de double

  • un faible nombre de réponses chromatiques (C) et une plus grande réactivité sur les planches colorées, avec un type de résonance intime introversif.

  • une verbalisation plutôt restrictive, qui peut se déployer a minima à l’enquête grâce au soutien de la clinicienne.

La principale différence entre les deux protocoles, au plan formel, concerne la présence d’un plus grand nombre de réponses humaines chez Hervé et une place plus importante des représentations d’atteintes corporelles chez Paulo.

Axe de l’élaboration de l’affect

Cet axe concerne tout particulièrement l’investissement sensoriel du matériel projectif dans la production de la réponse et concerne la capacité, versus l’empêchement, dans la construction de l’affect.

Tableau 2

Analyse quantitative comparée des protocoles de Rorschach de Paulo et Hervé

Analyse quantitative comparée des protocoles de Rorschach de Paulo et Hervé
Sources : * Les normes pour la cotation des protocoles brésiliens sont tirées de Jardin-Marin (2011) et Jardin, Marin, Pasian, Okino (2015). Les normes francophones pour la cotation des protocoles sont tirées de Azoulay, Emmanuelli, Rausch de Traubenberg, Corroyer, Rozencwajg Savina (2007). ** Réactivité affective *** Formule d'angoisse

-> See the list of tables

Protocole de Rorschach de Paulo

Chez Paulo, on peut observer une tension entre deux mouvements au fil de la passation. Face aux planches I et II, les émergences sensorielles tendent à mettre en difficulté la construction de la représentation (via l’affect), alors que la rencontre avec planche VII, autorise une reprise du processus en appui sur la sensorialité.

  • Planche I : L’investissement perceptif-sensoriel et la sensation hallucinatoire évoquent une sensibilité dépressive dysphorique. Après la production d’une première réponse banale (« Mon Dieu! Un… (Il rit). Un papillon? Mince! Un fantôme? Je crois que c’est ça », Paulo présente une difficulté à maintenir une représentation stable, comme en témoigne en particulier l’enquête : « Un fantôme? Je crois que c’est ça », puis : « … Je crois que c’est quelque chose de mal peint. Je pense que c’est parce qu’il est barbouillé d’encre à certains endroits… ». Il y a dans le mouvement associatif, une perte de consistance de la représentation et une tentative de soutien par la sensation. Il n’arrive toutefois pas à élaborer ce « quelque chose » qui est de l’ordre de la sensation. Plus loin, toujours à l’enquête, il ajoute : « Je trouve un très mauvais visage, ici les yeux, le nez, ici les crocs. Je crois que c’est quelque chose de mal peint. Je pense que c’est parce qu’il est barbouillé d’encre à certains endroits (…) il a une forme qui n’est pas très amicale ». À partir de la réponse « fantôme », Paulo glisse en direction d’une réponse « tache », qui perd sa qualité pseudohumaine, déjà fragile, de fantôme. La réponse « tache » (« barbouillé d’encre ») se trouve au plus près de la réalité physique de la planche : quelque chose se perd dans le processus d’élaboration du sensoriel en affect (de la référence au « mauvais » à celle de « barbouillé d’encre »). Tout se passe comme si Paulo n’était pas en mesure de soutenir ici le processus de symbolisation sollicité au Rorschach.

  • Planche II : Une véritable catastrophe de symbolisation se présente dans cette planche. En effet, l’impact excitant de la couleur rouge désorganise la représentation avec des résonances sensorielles centrées sur le corps et une multiplication des références spatiales : « Une côte, les poumons. Le coeur n’est pas à un endroit très approprié, mais… ». Une seconde réponse semble permettre de trouver une issue à cette impasse : « le visage d’un chien », réponse figurant un être hybride, au travers de laquelle on peut repérer la confusion entre le règne animal et le règne humain. À l’enquête, on assiste à une longue tentative d’inscription spatiale de la première réponse, en appui sur la symétrie qui peine à assurer une fonction structurante du fait de l’impact désorganisateur du blanc : « Les côtes ici, les poumons et le coeur en dessous. Je pense que c’est vraiment le milieu qu’on a ici sur la côte, ce n’est pas ça? Oui, je pense, parce que la côte originale, il y a un endroit vide. Je pense (…) Celle-ci, le vide entre les côtes (?). Je pense que c’est à cause de cet espace blanc (…) ». La reprise de la seconde réponse (« le visage d’un chien ») se perd ainsi dans une tentative de localisation sensorielle de la réponse, toujours en appui sur la symétrie (« Ici les yeux, ici les joues, le museau et la bouche (?) Je pense que c’est parce que je me souviens. C’est ce que je pense (?) Je pense que ces deux pareils en haut. Je pense que l’endroit correct aide à les visualiser. Il y a aussi la bouche, le museau, les joues et les yeux, l’un aide à apercevoir l’autre (?) Je crois qu'entre les joues, au-dessus de la bouche (…) Cette partie plus large, plus sombre ».

  • Planche VII : Après une réponse à la planche VI (« Quelqu’un sur quelque chose. Je crois que c’est tout ». Enquête : « Celui-ci je ne voyais rien, mais alors, j’ai vu une forme ici, les bras et encore une chose ici en bas. C’est la seule chose que j’ai pu identifier (...) »). Cette réponse s’ouvre sur une référence (« Quelqu’un sur quelque chose ») proche du signifiant formel (Anzieu, 1997) à partir de laquelle Paulo peut construire une première représentation humaine, stable[8], portant la trace d’un investissement kinesthésique, après un premier moment de choc : « Ici, je ne peux rien identifier (Il regarde la planche et secoue la tête). Mince! Une femme se regarde dans un miroir? Je crois que c’est ça ».

En mettant en perspective le processus de symbolisation dans les réponses aux planches I et VII, on observe qu’à la planche I, la représentation se déconstruit à partir de l’énoncé de la banalité (« chauve-souris ») en direction d’une réponse « tache », alors qu’à la planche VII, le mouvement est inversé. Tout d’abord, pour Paulo, il n’y a rien... Il se voit confronté à une impossibilité à représenter, puis il donne une réponse correcte en identifiant clairement une représentation humaine féminine... Ainsi, à la planche VII, la prise en compte du blanc, au travers d’une réponse reflet, favorise la construction de la représentation : l’appui sur le reflet, qui ouvre sur une représentation en miroir, confère une dimension structurante à celle-ci. Dans le contexte de ce protocole dans lequel les réponses sont souvent incertaines, la capacité d’investir le blanc comme un fond structurant pour le déploiement du narcissisme peut être relevé au titre des ressources symboligènes de l’adolescent.

Protocole de Rorschach de Hervé

Chez Hervé, la référence au reflet semble en revanche porter atteinte à la qualité de la symbolisation (planche I et V). Ce mouvement se trouve dépassé à la planche VII, dont on peut repérer l’effet structurant de la rencontre, au même titre que pour Paulo.

  • Planche I : La rencontre initiale du matériel projectif prend appui sur un sensoriel cénesthésique qui autorise la production d’une réponse de mouvement : « Il y a deux dames qui dansent ». Toutefois, la kinesthésie ne comporte pas d’interaction : ce sont en effet la sensation corporelle et la référence à la symétrie qui organisent et qui soutiennent la réponse. Cette réponse, à l’enquête, se trouve rabattue sur une réponse reflet, elle-même affectée par l’ombre, ainsi que l’indique l’enquête : « Il y a les mains qui sont levées, la robe et pis il y a l’ombre, le reflet ».

  • Planche V : « On dirait une dame qui plonge dans l’eau. Puis il y a le reflet (la mère d’Hervé l’appelle au téléphone). C’est bizarre quand elle m’appelle! » (Il éteint son téléphone sans répondre à l’appel). En anticipant sur l’analyse des réponses d’Hervé dans les autres planches du Rorschach, on peut relever que celles-ci sont marquées par la présence d’un fond inquiétant. Ce fond, identifié à la référence au féminin, convoque un vécu d’étrangeté dans la rencontre de plusieurs planches, y compris la planche V qui mobilise la problématique de l’identité. On peut observer que les réponses kinesthésiques des Planches I et V concernent la projection de figures féminines, avec un accent sur la sensorialité, marquée par le reflet : planche I : « … il y a l’ombre, le reflet » et planche V : « après il y a le reflet ». La position narcissique détermine la négation du double dans l’image, tout se passant comme si une disjonction s’opérait entre la représentation (humaine) et son reflet. En poursuivant cette analyse, on peut noter que dans la planche VII, la figure humaine féminine est marquée par la position passive et par le contrôle du regard. La réponse donnée à la planche V : « On dirait une dame qui plonge dans l’eau, puis il y a le reflet » fait écho à celle donnée à la planche I : « Il y a deux dames qui dansent au milieu et c’est tout », avec une petite différence à mentionner. Dans la planche I, ce sont « deux dames » et dans la planche V, il s’agit seulement de « une dame ». Dans les deux planches, il y a le mouvement, le reflet et l’eau. Cependant, à la planche V, la forme en mouvement (K-) n’est pas bien vue, au sens où elle présente une mauvaise qualité formelle. À ce titre, elle interroge : comment peut-il y avoir un mouvement sans forme? Dans cette planche, on peut relever l’émergence d’une expression sensorielle, liée au mouvement considéré comme une qualité en soi. Cela conduit à penser que seule l’appréhension de la qualité structurale du stimulus serait considérée, selon une qualité esthétique (Langer, 1980).

  • Planche VII : « On dirait qu’il y a deux dames qui se regardent et pis il y a la coiffure qui fait (montre) “pfouit“! Ouais, il y a que ça ». Enquête : « La tête, le bras, la coiffure et elles se regardent. Les robes… genre les robes chinoises qui sont un peu grandes… les kimonos ». La réponse proposée se réfère à la symétrie et au reflet, et met en scène deux figures féminines, surinvesties narcissiquement en appui sur l’enveloppe, comme une peau de femme. Comme pour Paulo, le fond blanc de la planche (fond muet, dans sa fonction-support) assure la continuité de la représentation et soutient sa mise en scène kinesthésique. Le surinvestissement de l’enveloppe peut être compris tout à la fois comme une tentative de confortation narcissique et une façon de se protéger des retrouvailles avec un féminin maternel (trop) excitant.

Axe de la construction du fond de continuité narcissique

Cet axe concerne tout particulièrement les aspects de la continuité du processus représentatif dans l’élaboration du discours, avec les manifestations de ses empêchements, sous la forme des effets de blanc et des îlots de déni.

Protocole de Rorschach de Paulo

Chez Paulo, différentes ruptures du processus représentatif peuvent être observées. Elles se traduisent dans un premier temps par une restriction de la verbalisation, qui porte en elle une forme de doute (« je crois que c’est tout », planches IV et VI; « c’est tout », planche VIII et X; « je crois que c’est ça », planche VII), puis par une insistance sur les coordonnées spatiales du stimulus, y compris l’investissement de la symétrie (cf. planche II citée ci-dessus). Quelques autres exemples peuvent être présentés (planches III, VI et X).

  • Planche III : « Deux femmes agitant quelque chose ou deux hommes. Non. Deux femmes ». Enquête : « Ici, il y a deux femmes. J’ai vu ça plus à cause de la forme des seins, et j’ai dit deux hommes, car elles sont chauves, mais à cause de la forme, cela me donne l’impression d’être deux femmes qui remuent une cuvette ». Sous l’impact de la problématique identitaire d’une part, et sur fond d’instabilité dans la représentation de la continuité narcissique d’autre part, apparaît une ambiguïté de la définition de l’identité, présente à la passation et confirmée à l’enquête. La construction du fond de continuité narcissique prend appui sur la symétrie : face aux difficultés rencontrées par Paulo avec la figure humaine et l’incertitude quant au sexe du personnage, il s’appuie sur l’axe de la symétrie et propose des réponses redoublées : « deux hommes » ou « deux femmes ».

  • Planche VI : « Quelqu’un sur quelque chose. Je crois que c’est tout ». Enquête : « Celui-ci je ne voyais rien, mais alors, j’ai vu une forme ici, les bras et encore une chose ici en bas. C’est la seule chose que j’ai pu identifier (?) Je crois qu’elle serait au sommet d’une colline (…) Je crois que c’est une personne, peut-être une personne (?) Je pense que ces petites antennes n’ont pas bien fonctionné, mais il peut s’agir d’une personne. (?) Je crois que les bras ouverts, le reste du corps et la tête. À cause des formes ». À nouveau, on peut observer chez Paulo un blocage associatif qu’il tente de surmonter par le recours à la topographie, afin d’organiser et de préciser la réponse. On peut par ailleurs se demander de quoi Paulo parle lorsqu’il se réfère aux « antennes »? En même temps qu’il parle de la planche, on peut faire l’hypothèse qu’il est en train de parler de lui-même et de ses processus psychiques, dans une tentative autoreprésentative : le fonctionnement des « antennes » pourrait être alors envisagé comme la figuration du processus de symbolisation engagé dans l’épreuve.

  • Planche X : « Ici en haut je vois la côte d’une personne. Un animal qui porte une feuille. Quelque chose qui aspire (Il rit), qui boit quelque chose ». Enquête : « Ici par la forme (?) Je pense que c’est tout, mais à cause de la forme du dessin (?) Cette partie ici, grise. En vrai, ce sont ces deux bleus ici qui portent cette petite feuille verte (?) Je crois que la forme. Ici plus ou moins, cette partie-ci. Ici la tête, ici je crois quelque chose, un liquide, une petite paille qui arrive à la bouche. Ici la tête, ici le tronc (?). Je crois que deux personnes, peut-être (?) Je crois que c’est à cause du nez, de la bouche et de la paille qui arrive à la bouche (?) Je crois que c’est parce qu’elle arrive à la bouche. Je crois que c’est ça ». Dans cette planche, l’attaque de la continuité représentative se lit au travers de la parcellisation du corps humain. Paulo peut voir une figure humaine, mais sans la vision d’un corps entier. On peut signaler à nouveau la présence d’une réponse de type signifiant formel : « Quelque chose qui aspire ».

Protocole de Rorschach de Hervé

Pour Hervé, l’appui sur la dimension topographique du stimulus contribue à assurer (ou tenter d’assurer) une continuité de la représentation, sur le fond de la menace d’une rupture du processus de symbolisation, qui affleure voire s’actualise au fil du protocole.

  • Planche III : « On dirait qu’il y a un oiseau qui vole au fond. Ou bien deux falaises avec une rivière qui passent dedans ». Enquête : « L’oiseau ici au milieu. La falaise et la rivière en bas ». On peut noter que le primat de la structure du stimulus précède l’émergence de la représentation, voire supplante cette dernière. Cette quête de continuité narcissique par la recherche d’un support spatial, déjà présent aux réponses des planches I (« au milieu ») et II (« un chemin qui est long »), se poursuit à la planche III. C’est sur cette base de continuité narcissique qu’Hervé se trouve en mesure de construire sa deuxième réponse, organisée sur le mode de la fusion figure-fond (D/Dbl). Il répond à la sollicitation du Rorschach avec un appui sur la tridimensionnalité, avec la production d’une réponse de mauvaise forme. S’il tente de se soutenir sur la référence à la tridimensionnalité, sa construction de l’espace n’est pour autant pas très adéquate.

  • Planche IV : « > Un totem ouais, je sais pas. Mmmm… je sais pas, ouais, un totem. Avec un truc en haut? (cache la partie inférieure de la planche avec sa main) ». Enquête : « La tête, le corps… l’ont planté dedans… ». La réponse de Hervé est prise dans l’inhibition : il appréhende la planche selon un mode particulier en la renversant (>), ce mouvement permettant sans doute d’annuler pour une part la sollicitation phallique du stimulus (il n’interprète d’ailleurs que la partie supérieure). Il hésite par ailleurs dans la construction de la représentation. Cette réponse de mauvaise forme tend à nier l’appel au sexuel (masculin – phallique) de la planche. À partir d’une appréhension aux niveaux perceptif et formel, la représentation du totem semble représenter un ancrage qui permet d’éviter de manière trop frontale, la représentation phallique à partir d’une évocation symbolique : témoin d’un effet de blanc, cette réponse « totem », en position inadéquate, indique que tout à la fois, il reconnaît et nie la représentation, en opérant une projection en miroir sur l’autre côté de la planche (sur l’axe haut / bas). À l’enquête, sa réponse renvoie plus explicitement au registre du phallique et du sexuel. Toutefois, il annule cette partie phallique et se défend de l’interpréter, cachant une partie de la planche avec sa main.

  • Planche VIII : (sa mère l’appelle une deuxième fois. Il s’excuse et répond à son appel) « On dirait une montagne. Et puis un animal qui monte. Je sais pas, avec les deux ça fait reflet. Deux sortes de chiens ». Enquête : « Ici c’est la montagne avec le sommet. Les animaux… chiens, castors… la forme je connais pas, mais on dirait un chien ». La deuxième réponse est déconcertante : Hervé parle d’un animal, mais il ne sait pas de quel animal il s’agit. La forme n’est pas stable, alors même que la réponse porte quelque chose du mouvement. Hervé présente une difficulté pour construire la représentation dans la continuité et oscille entre un animal ou deux (« Je sais pas, avec les deux ça fait reflet »), pris dans le doute quant à l’appartenance de l’espèce animale (enquête : « … la forme je connais pas, mais on dirait un chien »). Nous pouvons entendre cette formulation, ambigüe, de deux manières : ou bien l’interrogation porte sur le chien (doute sur l’espèce d’appartenance des chiens, ou sur le fait qu’il s’agisse de la même espèce), ou bien elle porte sur l’adéquation du stimulus et de la représentation, ouvrant alors sur un trouble. De fait, Hervé organise une forme qui n’en est pas une ainsi qu’un reflet qui n’en est pas un non plus; il requiert un support spatial afin d’organiser la réponse, mais une forme de clivage apparaît dans sa réponse.

Axe du traitement de l’excitation dans le lien

Cet axe concerne la dimension de l’engagement transférentiel, considéré comme témoin de la qualité des pare-excitations de l’adolescent.

Protocole de Rorschach de Paulo

Avec Paulo, ce troisième axe parcourt l’ensemble de la passation sur le mode de la recherche répétitive de l’approbation de la psychologue (une jeune femme) qui assure la passation, dans un lien qui, par moment, n’est pas exempt de séduction. On peut s’interroger sur le sens de cette quête qui se joue sur plusieurs registres :

  • Une disqualification du matériel et de la situation (planche II : « le coeur n’est pas à un endroit très approprié, mais… »),

  • Un mouvement dans le registre anaclitique, en redoublement de l’appui massif sur la symétrie, face au trouble vécu face à la planche (planche IV : « (…) Non, je crois que c’est vraiment quelque chose d’imaginaire », verbalisation qui témoigne de la difficulté de l’adolescent à se laisser engager dans le processus projectif), une recherche d’assentiment (quête du regard de l’autre), qui peut aussi être perçue comme recherche d’une complicité (planche I : « Mon Dieu! Un… (Il rit). Un papillon? Mince! Un fantôme? Je crois que c’est ça »; planche VII : « une femme qui se regarde dans un miroir? » planche VIII : « deux lézards tentent de monter sur quelque chose? »)…

  • Voire une recherche de séduction (planche X : « (…) Quelque chose qui aspire (Il rit), qui boit quelque chose », réponse qui prend appui sur le détail phallique médian et dont la connotation sexuelle ne peut échapper).

D’une manière générale, les engagements transférentiels se présentent comme au service du processus de symbolisation et sont inscrits dans une tentative de lier l’excitation, sans débordement majeur. Ils témoignent cependant d’une fragilité dans le processus de subjectivation et d’une forte dépendance dans le lien.

Protocole de Rorschach de Hervé

Pour Hervé, les engagements transférentiels se développent selon deux voies distinctes :

  • D’une part celle de l’implication sensori-motrice qui met en acte une représentation en appui sur le mouvement corporel (planche II, enquête : « Deux nains de jardin. Ils font comme ça avec les mains (montre en frappant les mains) ». Au regard de précédentes recherches (Amparo, 2002), on peut comprendre cette manifestation comme renvoyant à une difficulté à soutenir subjectivement l’émergence de la représentation : l’appui sur le corps et sur la gestuelle apparaît comme un palliatif au regard de la fragilité des objets internes.

  • D’autre part, face à l’inhibition perceptive (planche IV : « (…) Mmmm… je sais pas, ouais, un totem… avec un truc en haut? »), l’interrogation adressée à la psychologue soutient un doute vis-à-vis du regard de l’autre, davantage qu’un doute concernant la perception elle-même. Hervé interpelle la clinicienne (une jeune femme) afin qu’elle confirme sa représentation. La tentative de se soutenir, sur un mode anaclitique, face à la sollicitation phallique peu assumable de la planche, rend compte de la difficulté d’Hervé dans le traitement de ses émergences libidinales. Par ailleurs, un peu plus tard dans le déroulement de l’épreuve (planche VII), la proposition d’une réponse humaine, féminine (la seconde du protocole), en posture scopique ouvrant sur le double, ouvre sur le déploiement d’une excitation peu contenue qui semble déborder les capacités de traitement d’Hervé : avant l’énoncé de cette réponse, Hervé semble se protéger de son irruption : « on dirait… je recule ». Face à cette représentation, surinvestie narcissiquement tout particulièrement à l’enquête, Hervé « recule », donnant forme à un vécu a minima persécutoire, sans doute lié au risque du rapproché avec le féminin maternel incestueux mobilisé dans la rencontre avec la psychologue; cette réponse, et ses déploiements à l’enquête, interviennent dans le contexte de l’empiètement que représentent, dans la réalité, les appels téléphoniques de sa mère…

  • Enfin, on peut relever les agirs de transfert dont témoignent, indirectement et à distance, les appels de sa mère et leur scénarisation dans la situation projective.

Discussion

La discussion est structurée autour des similitudes et des différences repérables dans le déploiement du travail de symbolisation et de ses achoppements dans les protocoles de Rorschach des deux adolescents (voir Tableau 3).

Dans les deux cas de Paulo et Hervé, la question de la continuité de la représentation et du fond représentatif se trouve mise en question, témoignant d’une difficulté d’élaboration des affects et d’une fragilité de l’organisation narcissique. Tous les deux donnent peu de réponses associées à des déterminants sensoriels, malgré la présence de la sensibilité dysphorique à la planche I chez Paulo et à la planche IX chez Hervé. Le protocole de Paulo est organisé sur fond de problématique identitaire et de doute face à la différenciation sexuelle, comme cela apparaît dans les planches III, IV et V. Le protocole d’Hervé est organisé sur un fond où l’élément narcissique est prépondérant (réponse reflet), ainsi que l’identification au féminin, dans sa valence plus excitante que consolatrice, ce qui apparaît aux planches I, V et VII.

Tableau 3

Analyse qualitative comparée des protocoles de Rorschach de Paulo et Hervé

Analyse qualitative comparée des protocoles de Rorschach de Paulo et Hervé

-> See the list of tables

Dans les deux cas, il y a une possibilité de se soutenir face à la planche VII, au travers de représentations plus ou moins stables, plus ou moins excitantes. En effet, apparaissent à cette planche, pour les deux adolescents, des représentations féminines. Chez Paulo : « Une femme se regarde dans un miroir? ». Et, à l’enquête : « Je crois que c’est à cause du visage, les cheveux en haut, le tronc, les bras, l’un devant l’autre. Ici, j’ai l'impression que c’est le visage ». Chez Hervé : « On dirait qu’il y a deux dames qui se regardent et pis il y a la coiffure qui fait (montre) « pfouit »! Ouais, il y a que ça ». À l’enquête : « La tête, le bras, la coiffure et elles se regardent. Les robes… genre les robes chinoises qui sont un peu grandes… les kimonos ». Nous formulons l’hypothèse que cette planche, à caractère féminin-maternel, contient une potentialité d’accueil des mouvements psychiques des adolescents. Paulo et Hervé rencontrent dans la configuration creuse (ou en creux) du stimulus de la planche, une possibilité de se soutenir dans l’élaboration de leur narcissisme. Le double et le reflet viennent au service d’une réparation des failles précoces et/ou permettent de retrouver une trace de l’excitation dans le lien. On peut alors faire l’hypothèse que cette « catastrophe de symbolisation », dans son versant symboligène, tente de mobiliser face à la planche une référence à une capacité maternelle à même de reconnaître les états internes du bébé et de lui offrir un holding (Winnicott, 1992) qui aide celui-ci à construire une traduction des affects. En effet, lorsque la mère traduit les sensations du bébé, elle rend possible leur transformation en matériaux symboliques ainsi que leur mise en langage affectif.

Par ailleurs, on peut relever que le protocole de Paulo contient davantage d’éléments de désorganisation et une difficulté plus importante à construire une représentation unitaire, alors que chez Hervé cette représentation apparaît plus consistante. De même, la capacité de structuration des différentes parties du stimulus présentes sur les planches s’avère plus fragile pour Paulo : cette difficulté se concentre autour de la construction de la représentation (cf. la trace des signifiants formels, repérable aux planches VI « Quelqu’un sur quelque chose. Je crois que c’est tout » et X « Quelque chose qui aspire (Il rit), qui boit quelque chose »). Pour Hervé, la difficulté se concentre davantage autour de l’organisation de la perception. Toutefois, dans les deux cas, il existe une difficulté à faire émerger la représentation du lien, que nous pouvons considérer comme la marque d’un clivage au Moi (Roussillon, 1999), qui affecte la continuité de la symbolisation chez ces adolescents.

Cette analyse comparée des protocoles permet de faire état d’un certain nombre de similitudes qui traduisent les aspects partagés d’un fonctionnement psychique marqué par des fragilités, voire des failles dans la constitution des fondements narcissiques et de la représentation du lien; en arrière-plan, la question de la reconnaissance de la victime dans son altérité se trouve engagée (et, au-delà, celle de son consentement), question dont on connaît la dimension centrale dans les agirs violents sexuels des adolescents (Roman, 2012, 2020). La possibilité de prendre appui sur un féminin-maternel suffisamment accueillant (et pas trop excitant) constitue l’une des ressources principales pour ces adolescents; en filigrane, émerge la figure du soin sous contrainte (les deux adolescents sont dans l’actuel de la recherche engagés dans un dispositif de ce type), dans sa dimension de soutien tout à la fois limitant et bienveillant.

Les différences qui s’expriment entre les protocoles des deux adolescents témoignent des différentes configurations cliniques et psychopathologiques identifiées chez les adolescents auteurs de violences sexuelles (Pelladeau et al., 2015; Roman, 2016), ici respectivement avec un aménagement qui se présente dans le registre de la mésorganisation (Paulo) et dans le registre dépressif (Hervé).

Conclusion

Le repérage des « catastrophes de symbolisation » dans les protocoles de Rorschach d’adolescents auteurs de violences sexuelles (adolescents dont on connaît le marquage traumatique des histoires individuelles et familiales) apparaît comme un outil précieux à même de rendre compte des fragilités dans la structuration des processus de symbolisation d’une part, et des ressources et leviers ouverts par ces émergences catastrophiques d’autre part. Le repérage des catastrophes de symbolisation contribue à l’évaluation du fonctionnement psychique des adolescents auteurs de violences sexuelles, et à l’orientation et l’ajustement des perspectives psychothérapeutiques dont ils doivent pouvoir bénéficier.

L’analyse comparée des protocoles de deux adolescents rencontrés au Brésil et en Suisse confirme, au-delà des différences interindividuelles, que l’on peut voir émerger au travers de l’analyse des productions projectives, la continuité des problématiques qui sous-tendent le fonctionnement psychique des adolescents engagés dans des agirs violents sexuels, au-delà des spécificités socio-économico-culturelles dans lesquelles ils s’inscrivent. En effet, la clinique de ces adolescents se révèle paradigmatique des « catastrophes de symbolisation », en tant que celles-ci traduisent la précarité d’une élaboration d’expériences traumatiques précoces, inscrites, sur le mode de liaison non symbolique, dans le temps d’avant le langage. Ces expériences traumatiques, qui font irruption sous la forme de l’agir violent sexuel, et qui masquent le plus souvent des souffrances indicibles, sont ainsi accueillies sur la scène projective, et, au-delà, doivent pouvoir faire l’objet d’une attention toute particulière sur la scène du soin.

Il convient néanmoins de relever la limite d’une telle étude, qui repose sur deux études de cas, et qui mériterait d’être reprise et élargie, à partir d’une population plus importante d’adolescents auteurs de violences sexuelles. La congruence entre les résultats sur l’analyse approfondie de ces deux cas et les travaux antérieurs consacrés au fonctionnement psychique de ces adolescents, contribue cependant à conforter la validité de la démarche.