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L’ouvrage de Witkowski et Zatonski (2015), Psychology Gone Wrong. The Dark Sides of Science and Therapy, ajoute une autre brique à l’édifice de la critique d’une certaine psychologie contemporaine. Malheureusement pour le lecteur francophone, cette critique est nettement plus abondante en langue anglaise. La France, le principal pays producteur de la littérature sur la psychologie en français, traite encore abondamment de la théorie psychanalytique, que les auteurs ne manquent d’ailleurs pas de réprouver. D’où la nécessité de porter à son attention des ouvrages moins présents en français donnant une toute autre perspective sur la discipline que celle d’une « science » mature.

D’abord, un mot sur les auteurs. Tomasz Witkowski et Maciej Zatonski ont fondé le Club des sceptiques de Pologne; on saisit alors aisément leur contribution au combat contre les mythes et les pseudosciences, surtout dans le domaine de la psychologie. Ainsi, Witkowski, psychologue et écrivain, se consacre à réfuter et à détruire les mythes persistants dans les domaines de la psychologie, de la psychothérapie et des diagnostics psychologiques.

Par exemple, en octobre 2007, il élabora un canular à la Alan Sokal – dont Larivée (1999) a fait une synthèse – qui connut un grand retentissement dans son pays natal. Sous le pseudonyme de Renata Aulagnier, il parvint à faire publier dans la revue Charaktery, un mensuel sérieux consacré à populariser la psychologie, un article présentant une nouvelle méthode de psychothérapie qui reposait pourtant sur des faits inventés de toute pièce. Loin de questionner l’auteur sur ses travaux ou même de vérifier ses données, les membres de la rédaction, une douzaine de professeurs possédant tous un doctorat, participèrent plutôt à la rédaction de l’article en suggérant à la fausse Renata de recopier des extraits d’un vieux texte de Rupert Sheldrake, parapsychologue anglais dont les travaux portent sur la « résonance morphique », un concept associé au domaine de la perception extrasensorielle. La probité du comité de révision se voyait écorchée dans cette rocambolesque mystification et le canular exemplifie une fois de plus la difficulté des « sciences » humaines à travailler comme de véritables sciences. Witkowski (2011) a publié en 2011 un compte rendu de son canular dans la revue The Scientific Review of Mental Health Practice.

Pour sa part, Zatonski, chirurgien et chercheur, s’efforce de combattre les thérapies et les croyances pseudoscientifiques qui circulent en médecine clinique, tout en enseignant les principes et les fondements de la démarche scientifique. Tous deux ont, conjointement ou seul, publié de nombreux articles scientifiques et de vulgarisation scientifique, autant en Pologne que dans des journaux de langue anglaise, tel que le Skeptical Inquirer. En 2010, Witkowski recevait le prix d’Intellectuel de l’année en Pologne.

Ce curriculum sommaire campe le décor d’un livre qui n’est pas tendre à l’égard de la profession de psychologue. L’ouvrage comprend dix-neuf chapitres regroupés en trois parties. Les auteurs dénoncent les fraudes scientifiques en psychologie, les pratiques condamnables de la psychothérapie et le business qu’est devenue la psychologie clinique. Il constitue la version anglaise d’une trilogie entamée par Witkowski et d’abord publiée en polonais en 2009 pour le volume un (Forbidden psychology. Between sorcery and science) et en 2013 pour le volume deux (Forbidden psychology. Cargo cult science and its fruits). Le troisième volume serait toujours en cours de rédaction. Chez BrownWalker Press, les deux volumes ont pris respectivement les titres de Psychology Gone Wrong. The Dark Sides of Science and Therapy (2015) et de Psychology Led Astray. Cargo Cult in Science and Therapy (2016).

LES FRAUDES

Dans les chapitres un à sept, qui composent la première partie de l’ouvrage, les auteurs exposent les ratés de la psychologie académique, en présentant des cas célèbres de fraude qui se sont produits au cours du vingtième siècle. Certes, ce type de scandale n’est pas unique au domaine de la psychologie, mais les auteurs montrent que son occurrence régulière dans ce milieu laisse planer un malaise sur l’ensemble de la profession. Ils présentent tour à tour Cyril Burt, Stephen Breuning, Karen Ruggiero, Christopher Gillberg, Milena Penkowa, Dirk Smeesters et Diderik Stapel. En 1993, l’un de nous avait déjà recensé 381 fraudes scientifiques, tous domaines confondus (Larivée, 1993).

Cyril Burt

Nous consacrons plus d’espace au cas de Burt, car cet épisode controversé de l’histoire de la psychologie a nui considérablement aux recherches sur l’intelligence. Comme les fautes reprochées à Burt s’inscrivent dans le débat nature-nurture (génétique-environnement), ce démêlé a longtemps affaibli, voire discrédité, la crédibilité des travaux des généticiens du comportement et conforté la position des environnementalistes. Quoi qu’il en soit, les travaux scientifiques actuels montrent que l’intelligence est à la fois déterminée par des facteurs génétiques et environnementaux (Gottfredson, 1997; Neisser et al., 1996).

Sir Cyril Burt était un psychologue britannique réputé jusqu’à ce que ses travaux sur l’intelligence, qu’il affirmait être particulièrement influencé par la génétique, soient discrédités. La révélation que les données de Burt avaient été entièrement fabriquées précipitera, dix ans après sa mort, ce monument de la psychologie britannique de la première moitié du vingtième siècle, vers une déchéance académique anéantissant sa renommée scientifique. Des fidèles de Burt, dont Arthur Jensen et Hans Eysenck, ont excusé les « erreurs » de Burt en les attribuant à un manque d’attention de la part d’un homme âgé, mais cette défense résiste mal devant les faits entourant son travail. L’exemple le plus souvent cité est sans conteste l’étonnante stabilité des corrélations obtenues jusqu’à la troisième décimale (0,771) pour ses trois échantillons de jumeaux homozygotes élevés séparément et composés respectivement de 21, de plus de 30 et de 53 jumeaux. Que Burt ait miraculeusement obtenu des coefficients de corrélations identiques à trois décimales près à partir de collectes de données indépendantes est une impossibilité statistique. Un tel « exploit » laisse croire à la manipulation de données.

En outre, lorsque Jensen se rendit en Angleterre pour recueillir les données de recherche de Burt en prévision d’une réhabilitation posthume, il découvrit vingt ensembles de données parfaitement identiques, prétendument recueillies auprès de vingt populations différentes. Dans un article de 1943, Burt déclara qu’une collection exhaustive de documents sources et de calculs, incluant des tableaux et des graphiques détaillés, se trouvait dans les travaux de J. Maver, conservés au University College de Londres (UCL). Lorsque le psychologue de Princeton, Leon Kamin, s’y rendit, il découvrit que les travaux de Maver n’avaient jamais été envoyés, présentés ou même archivés à UCL. Lorsque le journaliste du London Sunday Times, Oliver Gillie (1976), enquêta sur les deux assistantes de recherche de Burt, qui avaient soi-disant mené plusieurs recherches en son nom, il découvrit que mesdames M. Howard et J. Conway n’ont probablement jamais existé; Gieryn et Figert publiaient en 1986 un article résumant toutes les étapes de la destitution académique de Burt, donnant le coup de grâce à cette figure déchue.

Contrairement à Witkowski et Zatonski, Hearnshaw (1979) a eu accès à la correspondance privée de Burt et à son journal intime, et il apporte des éléments qui, sans excuser le comportement de Burt, le mettent en contexte. Dès les années 1930, sa vie est bouleversée par ses difficultés conjugales (sa femme le quittera en 1952). En 1941, presque tous les documents de ses recherches conservés à l’université de Londres disparaissent sous les bombardements allemands. Sa santé toujours fragile se détériora davantage pendant la guerre quand il fut atteint du syndrome de Ménière – troubles de l’oreille interne provoquant surdité passagère, bourdonnements d’oreilles, vertiges et nausées. Ayant perdu son foyer, sa documentation, sa situation, son influence et sa santé, l’équilibre psychologique de Burt, selon Hearnshaw, s’effondre et il donne des signes de paranoïa.

Alors que l’affaire semble classée – Burt n’avait pas commis de simples erreurs, il aurait délibérément falsifié ou inventé de toutes pièces des données pour étayer son point de vue personnel –, deux livres paraissent sur l’affaire : The Burt affair (Joynson, 1989) et Science, ideology and the media (Fletcher, 1991). Leurs auteurs ne connaissent pas Burt personnellement et n’ont jamais contribué à ses recherches. Travaillant chacun de façon indépendante, ils ont analysé l’oeuvre de Burt et les preuves le condamnant. Ils arrivent à la même conclusion : la fraude n’est pas prouvée. Par ailleurs, volte-face à la British Psychological Society (BPS) lors d’une réunion en mars 1994 pour réexaminer le cas de Burt : ses collaboratrices ont été retrouvées et on affirme que Burt n’a pas falsifié ses données, des faits auxquels Witkowski et Zatonski n’ont pas eu accès. Il apparaît que Burt a été sacrifié, de façon préméditée et systématique, par un courant idéologique qui n’a rien à voir avec la science. La réhabilitation de Burt a été votée à l’unanimité, ce qui ne manque pas de surprendre, vu l’ampleur des « erreurs » qu’on lui reproche (pour en savoir plus sur l’affaire Burt, voir Larivée, 2008).

Stephen Breuning

Stephen Breuning, psychologue américain qui a obtenu un doctorat de l’Institut de technologie de l’Illinois, sera, en 1988, la première personne aux États-Unis à être condamnée pour une fraude liée à des travaux de recherche. Directeur de la clinique du Centre Polk, en Pennsylvanie, il publie des travaux vers la fin des années 1970, et le début des années 1980, démontrant apparemment l’efficacité supérieure des médicaments stimulants, à l’exemple du méthylphénidate (Ritalin), de même que leurs effets secondaires moins importants que ceux des tranquillisants, pour modifier les comportements d’automutilation chez des enfants atteints d’une déficience intellectuelle et diagnostiqués hyperactifs. L’enquête du National Institute of Mental Health (NIMH) conclut qu’aucune de ses recherches n’avait été menée et son travail frauduleux eut un impact majeur sur ces enfants, une clientèle particulièrement vulnérable et sans défense. L’état du Connecticut a, par exemple, modifié ses politiques de soins destinés à ces enfants, à la suite du travail de Breuning (Garfield et Welljams-Dorof, 1990). Breuning fut condamné pour fraude et pour escroquerie de fonds de recherche, à 60 jours de participation à un programme de remise en liberté sous condition, à 250 heures de travaux communautaires, à 5 ans de probation, de même qu’à reverser une partie de son salaire.

C’est un collègue et ami, Robert Sprague qui, le premier, développa des soupçons sur le travail de Breuning. En dévoilant ses doutes, en 1983, dans une lettre de plusieurs pages adressée aux autorités du NIMH, Sprague allait payer le coût très élevé de dénoncer un collègue, pourtant malhonnête (Greenberg, 1989). Même si sa dénonciation mena, en bout de ligne, à la condamnation de Breuning, elle ne fut pas sans conséquence : enquête du NIMH sur ses propres activités, perte soudaine de ses fonds de recherche alloués par le NIMH malgré dix-sept années consécutives de financement par cette institution, poursuite judiciaire intentée contre lui par l’université de Pittsburgh, mise en cause durant le procès de Breuning, ne sont que quelques-uns des contrecoups résultant de sa défense de la rigueur scientifique. Cette triste reprise de la comédie de l’arroseur arrosé, transformée ici en cauchemar de l’accusateur accusé, rend sans doute moins étonnant que les cas de fraude puissent se répéter inlassablement en psychologie dite « scientifique ». Et l’amertume de Sprague ne peut mieux s’illustrer qu’avec son commentaire tiré de l’article qu’il publia en 1993, résumant la saga et démontrant tout le caractère mythique d’une science supposément autocorrectrice : « La machine de la science soit refuse de juger, soit est très, très léthargique. J’ai été au service de l’université de l’Illinois pendant 25 ans, je suis professeur titulaire, chercheur d’une grande université et je ne suis pratiquement pas parvenu à faire faire le boulot » (Sprague 1993, cité dans Witkowski et Zatonski, 2015, p. 38).

Karen Ruggiero

Les sirènes de la renommée, de l’argent et du prestige en science n’envoûtent pas que les hommes. Karen Ruggiero, professeure de psychologie recrutée en 2000 par l’Université d’Austin, au Texas, démissionna de son poste en 2001 après qu’elle eut admis avoir inventé cinq expériences de recherche, publiées dans deux articles, puis fabriqué une recherche doctorale publiée dans un troisième, lorsqu’elle était au service de son employeur précédent, la prestigieuse université Harvard. Uniquement condamnée à ne pas solliciter de fonds de recherche d’une agence gouvernementale américaine pendant cinq ans et à ne participer à aucune recherche financée par un service public de santé pour la même durée, elle devait donc être hors circuit jusqu’au 26 novembre 2006. Mais dès février 2005, on la retrouve au programme d’une série de conférences des Agences d’état en recherche sur la santé mentale, sous l’égide des Services de santé du département d’État du Texas. Au début 2006, donc toujours sous le coup de sa suspension, elle travaille comme éditrice en chef du journal Behavioral Health, publié par le même département d’État. Visiblement, au nord du Rio Grande, le crime académique ne semble pas avoir une incidence dramatique sur la carrière.

Gillberg, Penkowa et Smeesters

L’Europe compte aussi son lot d’hommes et de femmes dont le sens de l’honnêteté n’aura pas résisté à leur besoin de gloire. Par exemple, Christopher Gillberg, psychiatre suédois de réputation internationale et spécialiste de l’autisme et du syndrome d’Asperger, a détruit l’ensemble de ses résultats de recherche, accumulé depuis une douzaine d’années, parce qu’il refusait l’accès à ses données brutes à d’autres chercheurs qui les réclamaient. Il prétexta l’importance de la confidentialité, qui ne pouvait selon lui souffrir d’aucune exception, même pas pour des confrères, pourtant eux aussi rompus aux exigences du secret professionnel. Convenons qu’un tel geste laisse planer un doute permanent sur la rigueur scientifique de son travail.

Par ailleurs, la fraude de la neuroscientifique danoise Milena Penkowa tient du scénario hollywoodien : le comité révisionnel de la Faculté des sciences de la santé de l’université de Copenhague rejette sa thèse de doctorat en 2001, intrigué par le nombre très élevé d’expériences réalisées sur des rats. En 2003, le doyen de la faculté, de qui Penkowa est très proche, demande à deux experts, un Norvégien et un Suédois, de réexaminer sa thèse. Leur conclusion, maintenant positive, lui permet de la soumettre de nouveau en 2004, mais elle y retire l’article controversé sur ses expériences avec les rats. Elle soumet sa thèse passé la date d’échéance et invoque les décès de sa mère et de sa soeur dans un accident d’automobile pour expliquer son retard. En 2005, elle soutient avec succès sa thèse, tandis que sa mère et sa soeur, bien vivantes, assistent au dîner de promotion! De 2005 jusqu’à 2010, elle reçoit des millions de dollars en subvention de recherche, jusqu’à ce que deux étudiants soulèvent de nouveau des doutes sur son travail, se voyant incapables de reproduire ses résultats. En décembre 2010, l’université de Copenhague la congédie pour de bon, après que son enquête démontra qu’elle utilisa des millions de dollars de ses fonds de recherche à des fins personnelles, notamment pour s’acheter des vêtements signés par des designers de haute couture et pour se payer des dîners dans des restaurants haut de gamme; elle avait également fabriqué des éloges internationaux sur son travail et forgé des documents afin de « prouver » ses recherches initiales avec les rats. En 2011, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science lui retirait un prix attribué en 2008, l’université de Copenhague lui enlevait son doctorat en septembre 2017 et 15 de ses articles ont été supprimés de la littérature scientifique[2]. En 2013, elle participe comme oratrice à un événement organisé par la Commission des citoyens pour les droits de l’homme, une branche de l’église de Scientologie, où elle est présentée comme un professeur de neurologie, bien qu’elle n’était plus professeur à ce moment…

Enfin, le psychologue social belge Dirk Smeesters, spécialisé dans l’étude du comportement des consommateurs, démissionna de son poste de professeur à la Faculté de gestion de l’université de Rotterdam (2012), après que de sérieuses questions furent soulevées à propos de son travail. Smeesters soutient ne jamais avoir fabriqué de données dans son travail de recherche, ce que conteste le rapport de la Commission de recherche sur l’intégrité scientifique des Pays-Bas, qui conclut qu’au moins une partie des données de Smeesters a été fabriquée. Son collègue outre-Atlantique, Lawrence Sanna, de l’université Ann Harbor au Michigan, démissionna lui aussi mystérieusement, quelque temps après.

Diederik Stapel

Le psychologue social néerlandais Diederik Stapel mérite également qu’on s’y attarde un peu plus longuement, en raison du gigantisme de la fraude. Doyen de la faculté des sciences sociales et du comportement de l’Université de Tilbourg, il connut une carrière fulgurante, accumulant très tôt honneurs et récompenses et jouissant d’une renommée à travers son pays, grâce à ses apparitions régulières à la télévision. En septembre 2011, sa carrière connut une fin abrupte, lorsque l’Université de Tilbourg annonça sa suspension au motif de fraude dans ses publications. L’enquête qui suivit révéla que toute sa carrière n’avait été qu’une fourberie, donnant à cette affaire une dimension inégalée.

Dès 2012, profitant de sa « notoriété » au palmarès des plus grands fraudeurs en science, Stapel publia ses mémoires où il révélait la facilité avec laquelle il trompa tout le monde de la psychologie : « Je préférais le faire à la maison, tard le soir, quand tout le monde était couché. Je me faisais du thé, je déposais mon ordinateur sur la table, je prenais mes notes dans mon sac et j’utilisais ma plume pour écrire une liste soignée de projets de recherche et d’effets que je devais produire… Par la suite, je commençais à entrer mes propres données, rangée par rangée, colonne par colonne […] Quand j’avais fini, je procédais aux premières analyses. Souvent, elles ne produisaient pas les bons résultats immédiatement. Je retournais à la matrice et changeais les données, jusqu’à ce que toutes les analyses fonctionnent telles que prévu. Personne n’a jamais vérifié mon travail. On me faisait confiance… J’ai tout fait seul et juste à côté de moi, il y avait cette grande jarre de biscuits. Pas de maman, pas de cadenas, même pas de couvercle… Tous les jours, j’allais travailler et il y avait cette immense jarre de biscuits, remplie de douceurs, à portée de main, juste à côté de moi – et personne pour surveiller. Tout ce que j’avais à faire, c’était de me servir » (Borsboom et Wagenmakers, 2013).

Le seul reproche que l’on peut adresser à Witkowski et Zatonski, si l’en est un, compte tenu de l’incontournable contrainte d’espace d’un livre, c’est celui d’effleurer le problème du comportement frauduleux et de se confiner au milieu de la recherche universitaire. À titre de premier exemple, on peut constater que la première version polonaise du livre ayant été publiée en 2009, cette version anglaise ne traite que superficiellement de la crise de la reproduction en psychologie, depuis l’article de Brian Nosek (Nosek et al., 2015). Puis constater qu’il ne donne pas d’exemples comme celui de la psychiatre Susan Turner, accusée par le frère d’Amy Blumenthal d’avoir enfreint le code de déontologie de sa profession, bien que les auteurs abordent la question plus large des inconduites sexuelles dans la seconde partie du livre. La patiente, alors sous l’effet d’un cocktail psychotrope, est entrée en relation intime avec la Dre Turner et les deux ont entretenu une relation pendant trois ans et demi, avant que Blumenthal ne meure subitement à l’âge de 47 ans, léguant sa fortune et son appartement de 5 millions de dollars avec vue sur Madison Square, à New York, à son amante, la Dre Turner. Selon l’accusation, la Dre Turner a admis qu’elle et Blumenthal formaient un couple, mais nie tout manquement à l’éthique, sous prétexte, dit-elle, que Blumenthal n’était plus sa patiente au moment de leur union. Pourtant, le code de déontologie de l’association américaine de psychiatrie (APA) stipule qu’il n’est pas plus éthique d’avoir des contacts physique ou sexuel avec un ex-patient. Au final, il n’est pas certain que la Dre Turner ait encouru quelques sanctions de la part de l’APA (Fanelli 2015).

LES PRATIQUES CONDAMNABLES DE LA PSYCHOTHÉRAPIE

Dans la deuxième partie de leur ouvrage, Witkowski et Zatonski soulignent d’entrée de jeu que les recherches, dont les résultats sont peu favorables à la psychothérapie, sont souvent méthodologiquement plus robustes que celles présentant des conclusions extrêmement favorables, mais que ces dernières sont bien plus abondantes dans la littérature que les premières, signalant ainsi la faiblesse méthodologique de la littérature psychothérapique. Les auteurs ne citent toutefois pas de références. Leurs propos s’inscrivent dans le cadre d’une discussion plus générale sur la solidité de la « preuve » démontrant l’efficacité de telle ou telle psychothérapie.

Ils examinent ensuite la méthode psychanalytique (l’objet du chapitre 8), reprenant les principales critiques contre cette pseudoscience : la fabrication des données cliniques, les échecs thérapeutiques transformés sciemment en succès par Freud (Ernst Fleischl von Marxow, Bertha Pappenheim, Sergius Pankejeff, l’homme aux rats, etc.; voir notamment Borch Jacobsen, 2011 et Van Rillaer, 2019), la déformation des cas réels dans les articles publiés, l’influence de Wilhelm Fliess sur les « théories » de Freud, la manipulation des patients en thérapie pour le profit personnel de Freud et l’effet désastreux sur eux-mêmes ou leur entourage (Angelika Bijur et Horace Frink, par exemple), ses prétendues découvertes (l’inconscient psychique, par exemple). Witkowski et Zatonski imputent le succès de la méthode, ce qui est étonnant devant ces faits, à deux principaux facteurs, même s’ils sont loin d’être les seuls. Le premier est l’ignorance des pays anglo-saxons à l’égard de l’origine de plusieurs des théories freudiennes, issues de la philosophie allemande; le second, à la destruction par le feu, sur la place de l’Opéra de Berlin le 10 mai 1933, de milliers de livres d’auteurs proscrits par le régime nazi, dont Freud. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, cet acte de censure eut un grand retentissement et propulsa les écrivains incendiés sur la liste des auteurs à succès dans ces pays, accordant ainsi à Freud une notoriété inespérée auprès du grand public.

Le chapitre 9 s’attarde au mythe du traumatisme infantile ayant des répercussions durant toute la vie adulte et du fondement qu’elle offre aux thérapies explorant le passé. Les auteurs présentent des « analyses » psychologiques de grands bourreaux de l’histoire, Hitler et Staline, qui attribuent à des évènements traumatisants de leur enfance leur caractère sanguinaire adulte, pour constater en toute contradiction que des milliers, si ce n’est des millions d’enfants à travers le monde, vivent des expériences similaires, sans pour autant devenir des meurtriers de masse. À l’inverse, il est aussi vrai que des enfants ayant connu une enfance relativement heureuse, dans des familles aimantes et fonctionnelles, ont commis des actes abominables, tels les tueurs en série Ted Bundy, Jeffrey Dahmer et Dennis Rader.

Witkowski et Zatonski soulignent le travail de Joël Paris (2013), professeur de psychiatrie à l’université McGill et auteur du livre Myths of Childhood (autre ouvrage majeur et important, mais disponible en anglais uniquement), qui déconstruit trois mythes fondamentaux de la psychologie clinique :

  1. Les premières expériences de l’enfance façonnent la personnalité;

  2. Les premières expériences de l’enfance causent les troubles mentaux;

  3. L’efficacité de la psychothérapie dépend de la reconstitution des expériences infantiles.

Paris (2013) démontre clairement qu’aucune de ces affirmations n’est vraie. Elles sont toutes pourtant profondément enracinées dans la culture psy et dans l’esprit de nombreux psychothérapeutes bien formés, ainsi que les auteurs purent le vérifier en 2011 et 2012, à l’aide d’un questionnaire acheminé à 185 répondants âgés de 20 à 68 ans. Le groupe se composait de 34 psychologues professionnels et de 151 participants venant de plusieurs horizons professionnels. Ils devaient donner en pourcentage leur degré d’accord à propos des trois affirmations précédentes.

Les résultats ont démontré que près de la moitié des psychologues professionnels croyait vraies les deux premières affirmations et que le quart estimait correcte la troisième, tandis que plus de la moitié des autres participants estimait vrai l’ensemble des trois énoncés. La prévalence de ces mythes persistants se maintient en dépit de la recherche empirique qui n’en soutient aucun. Le lecteur découvrira dans le livre de Witkowski et Zatonski les arguments qu’il serait trop long de résumer ici.

Le chapitre 10 aborde le problème des souvenirs exhumés en thérapie, autre sujet brûlant et controversé du domaine de la psychothérapie. On y retrouve des statistiques sur les sévices sexuels infantiles tellement impressionnantes que les auteurs s’étonnent qu’on puisse les accepter sans condition. Cette sombre image refléterait la « réalité » des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de l’Europe de l’Est, des Pays-Bas, de la Suède, de la Finlande et du Danemark. Mais, se demandent les auteurs, est-il seulement possible, sur la base de ces statistiques officielles, de conclure qu’un voisin sur trois a molesté sexuellement des enfants? Est-il raisonnable de penser que nous vivions parmi des créatures dont la seule ambition serait de satisfaire leurs désirs sexuels dégénérés?

Même s’il ne fait aucun doute que le crime de sévices sexuels infantiles fut longtemps occulté, les auteurs affirment que l’échelle de grandeur avec lequel on le présente aujourd’hui ne peut découler que de l’imagination créatrice des thérapeutes, de leurs concepts erronés et contaminés d’idéologie, en plus d’être un commerce profitable encore aujourd’hui pour eux dans plusieurs pays. Ainsi qu’ils l’écrivent : « Sans doute la plus grande fraude des souvenirs refoulés, exhumés en thérapie, n’est pas l’idéologie qui les soutient, ni la grandeur de la déformation du problème, ni même son aspect marketing, ce qui fait de ce modèle une escroquerie, ce sont ses hypothèses théoriques erronées. […] Premièrement, le mécanisme allégué du refoulement, bien qu’il fasse l’objet d’expériences et d’analyses prospectives et rétrospectives depuis plus de cent ans, n’a jamais été démontré. Deuxièmement, la procédure thérapeutique décrite précédemment conduit tout droit à l’induction de souvenirs, non à leur exhumation. L’induction de souvenirs est, elle, un phénomène démontré […] » (Witkowski et Zatonski, 2015, p. 146; voir à cet égard, les travaux de Loftus, 1993, 1995). Les auteurs citent également David Holmes, psychologue de l’Université du Kansas, qui écrit qu’en « dépit de soixante ans de recherche, à laquelle ont participé des chercheurs sérieux et astucieux, recourant à diverses approches, il n’existe aucune preuve contrôlée en laboratoire soutenant le concept du refoulement » (Holmes 1995, p. 96).

Le chapitre 11 ajoute au portrait peu glorieux de la psychothérapie une discussion sur d’autres aspects de la procédure, comme le fait qu’elle se décline aujourd´hui sous plus de 500 types différents, une aberration en soi, et les difficultés entourant l’étude de son efficacité :

  1. La faible quantité de données probantes sur l’efficacité de la pléthore des procédures psychothérapiques résulte souvent de l’attitude rébarbative de leur créateur à soumettre leur approche nouvelle à la vérification empirique, à l’exemple de Freud qui, le premier, s’est très souvent opposé à astreindre la psychanalyse ou d’autres concepts de sa méthode, telle que le refoulement, à la recherche empirique, sous prétexte que ces phénomènes « délicats » ne pouvaient s’observer que durant la consultation clinique. Ainsi, dès sa création, la procédure psychothérapique a découragé la vérification empirique. L’embargo était d’autant plus accepté que le biais de confirmation aidant, les cliniciens se fiaient uniquement à leur intuition (Larivée et al., 2018).

  2. La faible quantité de données probantes sur l’efficacité des diverses approches résulte aussi de la tendance naturelle des êtres humains à retrouver un état d’équilibre sur une certaine période de temps. Ainsi, la variable temps est-elle en mesure d’influencer seule l’amélioration du sujet en thérapie, de sorte que la thérapie récolte les lauriers pour une action qu’elle n’a pas exercée. Persaud (1998) illustre le phénomène en affirmant que « la tendance d’un grand nombre de personnes à se rétablir sans aide, par le seul écoulement du temps, est un phénomène si bien connu, que certains psychiatres voient leur liste d’attente comme une forme de traitement en soi ».

Ce phénomène, appelé rémission spontanée, est connu depuis longtemps en sciences humaines et en médecine (Lambert, 1976; Subotinik, 1972). Définie par la disparition complète ou incomplète des signes cliniques d’une maladie ou d’un symptôme en l’absence d’un traitement médical ou de tout autre traitement alternatif, la rémission spontanée concerne un large éventail de maladies. Considérer le phénomène des rémissions spontanées importe d’autant plus qu’on ne parvient pas à en expliquer le mécanisme. Cependant, même s’ils sont conscients du phénomène, les médecins et les chercheurs ne semblent guère intéressés à l’élucider, se contentant de l’observer.

Le chapitre 12 aborde l’étude de l’efficacité de la psychothérapie contemporaine et semble plus optimiste. Révélant au passage les graves défaillances du DSM-5, les auteurs tentent d’identifier ici les thérapies dont l’efficacité peut se défendre sur la base de la rigueur scientifique. Sans surprise, la méthode cognitive-comportementale (CBT) et ses différentes variations reçoivent l’imprimatur de la science comme méthode de traitement de choix de l’intervention psychothérapique. Mais l’optimisme du chapitre est considérablement tempéré vers la fin et par le chapitre suivant, lorsque l’on révèle que la moitié des thérapeutes disant utiliser la CBT se servent en réalité d’une approche qui, au mieux, ne fait que s’approcher de la CBT (Waller et al., 2012). Le chapitre 13 refroidit encore plus le lecteur, puisque les auteurs l’invitent à se tenir loin des psychothérapeutes : « Nous avons connaissance de douzaines de cas similaires et c’est pourquoi, en dépit de la note d’optimisme du chapitre précédent, traitant des plus récents résultats de la recherche, nous continuerons, en compagnie de Masson et d’autres chercheurs et praticiens, à vous recommander de garder vos distances avec les cabinets des psychothérapeutes » (p.187). Tout le chapitre consiste à expliquer au lecteur les raisons de cette recommandation.

Ayant fait la démonstration de l’inutilité de la psychothérapie, les auteurs répondent, au chapitre 14, à la question qui découle logiquement de cet implacable constat : par quoi, alors, devrions-nous la remplacer? La réponse, toute criante de simplicité, ne manquera pas de choquer les psychothérapeutes : par RIEN! Si une chose est mauvaise, défaillante, dangereuse, il suffit de dire tout simplement ce qu’elle est. Si néanmoins la question du remplacement de la psychothérapie surgit presque aussitôt, c’est en raison du marketing qui l’entoure, où elle est toujours qualifiée de procédure bénéfique, quelle que soit la forme sous laquelle on nous la vend. Mais sa disparition ne devrait inquiéter personne : Timothy Baker et ses collègues ont mis en évidence la très faible influence des psychologues cliniciens sur la santé mentale de la population (Baker et al., 2009).

Le chapitre 15 se présente comme une sorte d’épilogue, alors que les auteurs se demandent comment nos sociétés en sont arrivées à considérer des procédures inefficaces comme un moyen acceptable de traiter la détresse humaine. Des procédures qui ne peuvent prouver leur valeur, en raison de plusieurs attitudes déplorables des psychothérapeutes :

  1. Résister à soumettre le processus thérapeutique à la recherche du mécanisme de son efficacité;

  2. Se dérober à la nécessité de spécifier les objectifs de la thérapie;

  3. Profiter des manifestations de l’effet placebo, de l’écoulement du temps, de la régression vers la moyenne et d’autres facteurs naturels pour prétendre à l’efficacité de la psychothérapie;

  4. Considérer la psychothérapie comme un art;

  5. Ne pas effectuer d’études ayant une grande validité externe;

  6. Accepter de façon routinière des critères subjectifs comme moyen d’évaluer les résultats de la thérapie;

  7. Percevoir le processus thérapeutique comme une occasion de satisfaire leurs besoins tordus[3];

  8. Ne pas clairement distinguer l’objectif de satisfaire ou de plaire aux patients de celui de soulager leur douleur ou leur mal-être;

  9. Superviser le travail en cabinet selon des méthodes disparates, dépendantes des systèmes différents de lois en vigueur dans d’autres pays.

Ces facteurs, affirment Witkowski et Zatonski, désintègrent la psychothérapie de l’intérieur. Pourtant, rien ne semble indiquer que sa popularité faiblit à travers le monde. Ils proposent quelques explications, dont celle de la crainte des patients à dénoncer les thérapeutes, un argument qui pourrait cependant dépendre d’un facteur culturel, selon nous, soit le contexte politique de la Pologne, soumise à un régime communiste pendant plusieurs décennies. Alors que l’un des deux auteurs participait à la production d’une nouvelle émission de télévision dans ce pays dont le titre était Je ne peux vivre sans thérapie, les producteurs eurent toutes les difficultés du monde à trouver des participants prêts à témoigner de leur expérience négative. Bien que Witkowski et Zatonski aient été contactés par des douzaines de victimes de thérapeutes incompétents, une seule accepta de parler devant la caméra. Le motif de refus le plus souvent invoqué fut la peur de représailles de la part du thérapeute! (Witkowski et Zatonski, 2015, p. 220)

LE BUSINESS DE LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE

Les quatre derniers chapitres (de 16 à 19) traitent de l’aspect commercial de la psychologie clinique, en présentant des exemples de fautes professionnelles ou de soi-disant cliniques ressemblant davantage à des locaux de sectes religieuses qu’à de vrais centres de soin. Ils évoquent également le fulgurant accroissement de la maladie mentale sur la planète et posent la question appropriée dans les circonstances : observons-nous l’espèce humaine en train de devenir complètement folle ou assistons-nous aux effets d’un marketing incroyablement efficace? En analysant les mécanismes du psychobusiness, leur conclusion à titre de scientifiques favorise la seconde option, constatant que ce marché d’affaires prospère en dehors du cercle de la science tout en imitant ses façons de faire, une supercherie qui a jusqu’ici assuré la pérennité de ce marché. Et l’inertie généralisée des vrais scientifiques à le combattre crée un climat plutôt favorable pour cette entreprise mystificatrice.

Notons à cet égard l’ouvrage de Lilienfeld et al., (2009) qui dénonce cinquante mythes et fausses croyances en psychologie, que les gourous de toute nature ne manquent pas d’exploiter. Deux d’entre nous ont pu également constater que les librairies occupent une place de choix dans ce marché. À dix ans d’intervalle (2001 et 2011), muni d’un ruban à mesurer, nous avons sillonné le Québec pour vérifier l’espace consacré aux sciences et aux pseudosciences dans les librairies. Non seulement les ouvrages de pseudosciences sortent gagnants en 2001 (89,1 %) et en 2011 (86,5 %), mais nous avons constaté que les ouvrages de psychologie populaire et de croissance personnelle à saveur ésotérique côtoient sans distinction les ouvrages de psychologie scientifique. Un tel amalgame renseigne sur la représentation de la psychologie chez le tout-venant (Larivée et al., 2013).

CONCLUSION

Le livre de Witkowski et Zatonski a reçu des commentaires positifs des grands noms de la critique américaine de la psychologie clinique, notamment Elizabeth Loftus et Scott Lilienfeld. Certains, dont les auteurs de cet article, pourraient cependant lui reprocher de présenter des exemples d’incurie professionnelle issus surtout des États-Unis. Il faut tout de même reconnaître que ce pays exerce la plus grande influence sur les théories et les pratiques de la psychologie et de la psychiatrie cliniques à travers le monde, ou du moins en Occident, et que d’une certaine façon ce choix peut se justifier.

Dans son évaluation du livre, que l’on peut lire sur le blog de Psychology gone wrong[4], Scott Lilienfeld constate que « la psychologie, l’étude de l’esprit humain, continue de se battre pour se libérer de son caractère non scientifique ». L’élément qui manque à ce commentaire, c’est la durée du combat : depuis maintenant plus d’un siècle, la psychologie n’a pas arrêté de batailler contre les volets pseudoscientifiques de la discipline. Il suffit de lire des textes du psychologue germano-américain Hugo Münsterberg (1909), des psychologues américains Knight Dunlap (1920), Morton Prince (1927) et Carl Murchison (1927) pour aisément constater que ce combat n’a jamais diminué en intensité et que la psychologie clinique n’est jamais parvenue à se corriger de ce grave défaut. Espérer que la psychologie clinique puisse devenir un jour véritablement scientifique est un voeu pieux qui ne s’est malheureusement jamais concrétisé en plus d’un siècle.