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Problématique et présentation de la recherche

Depuis l'adoption, en 1977, de la Loi 101 qui a dirigé les nouveaux arrivants vers l'école de langue française, le milieu scolaire francophone montréalais a connu une transformation radicale. Alors qu'en 1969, dans l'ensemble du Québec 89% des élèves d'origine immigrée choisissaient l'école anglaise (Conseil scolaire de l'Île de Montréal, 1990), en 1997, 75% des allophones et près de 95% des nouveaux arrivants fréquentent le secteur français (Ministère de l'Éducation, 1997). De plus, sur l'île de Montréal qui regroupe près de 80% des nouveaux arrivants, en 1998-1999, 46,4% de la clientèle des écoles de langue française est d'origine immigrée, alors que 35,2% de ces écoles comptent plus de 50% de cette clientèle (Mc Andrew et Jodoin, 1999).

Une institution traditionnellement largement homogène sur le plan linguistique et culturel s'est donc vue investie de la responsabilité d'assurer l'intégration linguistique, sociale et scolaire des nouveaux arrivants, tout en préparant l'ensemble des élèves à vivre dans une société pluraliste. Les défis à cet égard, qui ont été amplement documentés par les pouvoirs publics et les chercheurs québécois depuis vingt ans (Berthelot, 1991; Ministère de l'Éducation, 1992; Conseil supérieur de l'éducation, 1993; Mc Andrew, 1993) sont multiples et diversifiés. En général, on peut retenir que les acquis qui font l'objet du plus large consensus, entre autres parce qu'on peut les appuyer sur les données les plus fiables, concernent les compétences linguistiques et la performance scolaire d'une très large majorité de la clientèle d'origine immigrée (St-Germain, 1988; Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, 1990; Ministère de l'Éducation, 1996). À l'inverse, les conclusions relatives à l'état des usages et des attitudes linguistiques en milieu scolaire montréalais demeurent plus ambiguës et soulèvent parfois des débats passionnés (Berthelot, 1991; Conseil supérieur de l'éducation, 1993; Mc Andrew, 1993; Ministère de l'Éducation, 1995). Dans un contexte où la scolarisation des jeunes immigrants en français et leur apprentissage de cette langue sont désormais mandatés par la loi, celui-ci est souvent perçu comme le révélateur ultime de l'impact réel du volet scolaire de la Loi 101 sur la dynamique sociolinguistique qui prévaudra au Québec et surtout à Montréal, à moyen et à long termes.

Malgré l'importance des débats que soulève cette question, il est étonnant de constater la paucité des données d'enquêtes empiriques à cet égard. Lorsqu'elles existent, celles-ci sont marquées par trois limites importantes.

Tout d'abord, elles traitent rarement de la situation scolaire comme telle, mais consistent souvent en des études des comportements linguistiques des jeunes Québécois dans divers domaines de la vie sociale réalisées, pour des raisons de commodité, auprès d'échantillons d'élèves du secondaire ou du collégial (Bédard et Monnier, 1981; Georgeault, 1981; Locher et Locher, 1983a et b; Locher 1993, 1994; Giroux, 1992). De plus, les rares études où l'on ait interrogé les élèves sur leurs pratiques au primaire et au secondaire (Hensler et Beauchesne, 1987; Sénéchal, 1987) ont plus de dix ans, ce qui, dans un contexte de transformation sociolinguistique aussi rapide que celui du Québec, est problématique. Il faut signaler, enfin, le peu de recherches sur les usages réels. En effet, hormis l'étude de Hensler et Beauchesne (1987), où on a observé des élèves du primaire lors des situations scolaires informelles de communication en dehors de la classe, les autres études menées auprès des jeunes (Bédard et Monnier, 1981; Georgeault, 1981, Sénéchal, 1987; Locher et Locher, 1983a, 1983b; Locher, 1993, 1994; Mc Andrew, Pagé, Jodoin et Rossell, 1999) ont été réalisées au moyen de questionnaires ou d'entrevues consistant en une autoévaluation des sujets quant à leurs comportements linguistiques.

On peut cependant dégager de la documentation scientifique certaines tendances permettant d'ordonner, sur un continuum, les acquis les plus importants et les situations les plus problématiques quant aux usages et aux attitudes linguistiques chez les jeunes d'origine immigrée en milieu scolaire. D'une façon générale, les études font ressortir:

  • un usage important ou du moins en nette progression du français en milieu scolaire avec les amis et même avec la fratrie (Hensler et Beauchesne, 1987; Veltman et Paré, 1995; Mc Andrew, Pagé, Jodoin et Rossell, 1999). Toutefois, l'usage de l'anglais, bien qu'il soit en décroissance, demeure important et les langues d'origine continuent à jouer un certain rôle avec la famille (Hensler et Beauchesne, 1987; Sénéchal, 1987; Giroux, 1992);

  • une progression appréciable du pourcentage d'élèves allophones choisissant librement de fréquenter un cégep de langue française. Celle-ci est passée de 15,6% en 1981 à 42,7% en 1997 (Ministère de l'Éducation, 1998), même si des reculs périodiques à cette progression ont été observés;

  • une situation plus ambiguë en ce qui concerne les attitudes à l'égard de la langue[1]. Dans l'ensemble, il semblerait toutefois que les jeunes allophones adoptent, dans une certaine mesure, les comportements du groupe majoritaire du secteur scolaire qu'ils fréquentent (Sénéchal, 1987; Locher, 1993, 1994; Mc Andrew, Pagé, Jodoin et Rossell, 1999).

L'identification des déterminants des comportements observés témoigne de limites importantes, notamment la rareté d'études corrélatives tentant de vérifier l'impact des facteurs de sens commun évoqués par les intervenants ou les groupes de pression. L'essentiel des études empiriques menées en milieu scolaire sur cet enjeu consiste plutôt en une juxtaposition des résultats d'observation, qui montrent, par exemple, que l'ancienneté d'implantation des élèves semble jouer un rôle majeur mais, à l'inverse de ce que la théorie dans des situations sociolinguistiques normales permettrait d'avancer. Le clivage le plus souvent relevé à cet égard oppose en effet les communautés d'avant la Loi 101 aux communautés post-Loi 101 (Sénéchal, 1987; Locher, 1993; Mc Andrew, Pagé, Jodoin et Rossell, 1999). La connaissance préalable du français ainsi que le fait d'avoir vécu dans une société où le français jouissait d'un certain statut sont aussi signalés (Veltman et Paré, 1995).

Un autre facteur, la densité ethnique, a fait l'objet d'une étude exploratoire (Hensler et Beauchesne, 1987) qui ne portait que sur les écoles franco-catholiques. Celle-ci concluait à un usage dominant du français entre le personnel et les élèves, quelle que soit la composition ethnique des écoles, et à un usage dominant du français comme langue commune entre élèves francophones et allophones, dans la majorité des écoles à haute densité ethnique. Les chercheurs identifiaient aussi d'autres facteurs susceptibles d'inverser la dynamique globalement positive de francisation vécue par le milieu scolaire. Parmi ceux-ci, il faut signaler l'impact de la composition de la population allophone, notamment de la présence d'anglophones ou d'allophones appartenant à une communauté traditionnellement anglicisée (qui a également été identifiée par Veltman et Paré, 1995, et celle de Mc Andrew, Pagé, Jodoin et Rossell, 1999), ainsi que celui de son degré de diversité.

Plus de vingt ans après l'adoption de la Loi 101, il semblait donc pertinent d'établir un bilan plus exhaustif de l'état des usages linguistiques en milieu scolaire pluriethnique et de tenter une identification plus rigoureuse de leurs déterminants institutionnels. Le projet Concentration ethnique et usages linguistiques, soutenu conjointement par le Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, le ministère de l'Éducation, Immigration et métropoles et le Conseil de la langue française, visait quatre objectifs:

  • dresser un portrait d'ensemble de l'usage du français, de l'anglais ou d'autres langues dans des milieux scolaires de la grande région métropolitaine présentant des taux de présence variés d'élèves non francophones, en fonction des situations de contacts, des antécédents linguistiques des élèves en présence ainsi que de tout autre facteur institutionnel qui pourrait s'avérer pertinent;

  • contraster les perceptions des acteurs scolaires avec l'observation structurée des usages linguistiques tels qu'ils adviennent dans divers lieux de vie;

  • effectuer une comparaison des dynamiques spécifiques à chacun des milieux en fonction du taux de présence des non-francophones et de la composition ethnolinguistique de cette clientèle;

  • proposer des hypothèses quant à l'impact respectif de ces facteurs sur l'usage du français comme langue commune en milieu scolaire, susceptibles d'orienter l'action des décideurs dans ce domaine.

Méthodologie

Choix des écoles étudiées

L'étude, qui s'est étendue sur une période de deux ans, soit entre 1997 et 1999, s'est déroulée dans vingt écoles réparties également entre le primaire et le secondaire et appartenant à cinq commissions scolaires de l'île de Montréal. Afin d'assurer à la fois la variété des situations étudiées et une représentativité large de l'étude, le choix de ces écoles a été généré en fonction d'une matrice à deux dimensions, soit la densité non francophone et le degré de francisation attendu en fonction de la composition linguistique de la clientèle.

Les quatre catégories relatives à la présence des non-francophones (faible = < 25%; moyenne = 25 à 50%; forte = 50 à 75%; très forte = +75%) reflètent la classification dominante en milieu scolaire et très largement employée dans les diverses recherches québécoises. L'opérationnalisation des catégories relatives à la composition de la clientèle a nécessité plus d'innovation. En effet, cette modalité de classement des écoles devait permettre de rendre compte de la manière la moins arbitraire possible de la complexité plus ou moins grande de leur tâche de promotion du français, en fonction des attitudes et comportements linguistiques qui diffèrent au sein des communautés allophones. À cette fin, nous avons développé un nouvel indicateur, l'indice trad[2], qui mesure, dans chaque école, la force de la tendance spontanée (soit avant toute intervention pédagogique) vers le français ou l'anglais, si l'on assume que les élèves suivent les comportements du groupe d'âge de leurs parents concernant la mobilité linguistique. L'indice attribué à chaque école représente donc le rapport entre le nombre d'élèves francophones et le nombre d'élèves anglophones, auxquels ont été intégrés les élèves de langue maternelle autre, dans l'exacte proportion où les 25-44 ans de leur communauté ont effectué un transfert vers le français ou l'anglais au recensement de 1991. Les écoles ont ensuite été regroupées en quatre catégories, en fonction du caractère plus ou moins élevé de leur indice trad, soit celles où le niveau de francisation attendu est très élevé, élevé, moyen ou faible.

Le plan d'échantillonnage fut établi pour chaque ordre scolaire, primaire et secondaire, en tenant compte du fait que les partenaires de l'étude désiraient un suréchantillonnage des écoles à haute densité, sujet principal de la recherche, et que certaines catégories théoriques générées par la matrice n'existaient pas sur le terrain (par exemple, une école à faible densité de non-francophones dont le trad serait faible). À partir de données fournies par le Conseil scolaire de l'île de Montréal pour l'année scolaire 1994-1995, nous avons ensuite classé chacune des écoles de l'île en fonction des deux critères d'échantillonnage et fait, pour chaque sous-catégorie, deux ou trois propositions qui tenaient également compte de l'équilibre à respecter entre commissions scolaires et entre les milieux favorisés et défavorisés. Le choix final des écoles retenues a été laissé aux commissions scolaires, en consultation avec les écoles concernées.

Les tableaux 1 et 2 présentent l'échantillon définitif des écoles établi au printemps 1997.

Tableau 1

Échantillon d'écoles primaires retenues pour l'étude

Échantillon d'écoles primaires retenues pour l'étude

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Tableau 2

Échantillon d'écoles secondaires retenues pour l'étude

Échantillon d'écoles secondaires retenues pour l'étude

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Le but était d'établir un échantillon raisonné qui permette de distinguer les effets de la densité non francophone des effets de la prédisposition du milieu à adopter le français ou l'anglais comme langue commune. Le choix final surévalue donc les milieux problématiques (écoles à haute densité non francophone/indice trad faible) par rapport à la situation prévalant dans l'ensemble des écoles de l'île.

Démarche de recherche

La recherche comportait trois volets: une enquête auprès de divers intervenants scolaires (direction, enseignants, personnel de surveillance) sur le climat général de leur école et sur leurs perceptions de la dynamique linguistique prévalant dans leur milieu; une observation structurée et systématique des usages linguistiques entre élèves lors des diverses situations de contacts informels ainsi que des entrevues auprès de groupes d'élèves du secondaire sur leurs choix linguistiques à l'école et à l'extérieur de l'école et sur les facteurs qui influencent leurs comportements à cet égard. Nous nous limitons ici, étant donné l'espace imparti, au deuxième volet qui constituait le coeur de la recherche[3].

Nous avons réalisé en moyenne cinq jours d'observation dans les écoles secondaires et de deux à trois jours dans les mêmes écoles primaires, pour un nombre total moyen d'observations variant de 200 à 1445 au primaire et de 1576 à 3758 au secondaire, selon la taille des écoles et la complexité de leur situation linguistique. Afin d'assurer l'équilibre des observations et de minimiser les risques de biais associés à certains événements, ces activités d'observation se sont étendues sur près d'un mois dans chaque école et avaient lieu différents jours de la semaine. Les principaux lieux d'observation étaient la cour d'école et la cantine (au primaire), ainsi que les corridors adjacents aux casiers et à la cafétéria (au secondaire). À partir des informations reçues des intervenants scolaires, nous avons identifié d'autres lieux de contact signifiants pour l'ensemble des élèves ainsi que les moments les plus favorables à l'observation dans chacune des écoles. Par la suite, nous établissions un plan de localisation des lieux choisis pour l'observation et nous divisions ces lieux en plusieurs secteurs que se partageaient en alternance les diverses observatrices.

La durée des observations était ajustée en fonction des caractéristiques des lieux mais, en général, assez courte, puisqu'il s'agissait de prendre un portrait instantané de la langue parlée au moment de l'observation et non d'étudier la dynamique linguistique de chacun des groupes observés.

En plus de renseignements généraux relatifs à l'observation, la grille d'observation visait à codifier les données concernant directement l'objet de l'étude, soit les langues parlées, en y distinguant le français, l'anglais et les langues d'origine (et en identifiant, si possible, ces dernières) ainsi que la langue prédominante dans le cas où plus d'une langue était utilisée. Des observations sur diverses variables situationnelles susceptibles d'influencer la dynamique linguistique, entre autres, le sexe des élèves, la taille des groupes observés ainsi que leur composition (homogène ou hétérogène) ont également été recueillis[4]. Dans un premier temps, les données relatives aux langues parlées ou prédominantes ont été saisies de manière informatique à partir des rapports d'observation, ce qui nous permet de dresser un portrait de la part respective du français, de l'anglais et des langues d'origine dans chacune des écoles. Diverses analyses statistiques, décrites plus loin, ont ensuite été effectuées, d'une part, pour cerner la force relative du français par rapport à l'anglais dans chacun des milieux et, d'autre part, pour tester la validité de diverses hypothèses quant aux facteurs institutionnels déterminant les usages linguistiques.

Description des résultats

La part respective des langues

Au primaire, selon le graphique 1, le taux de présence va de 67,5% à 99,7%, le français ressort comme la langue d'usage des élèves. Le taux de présence du français, qui dépasse 90% dans six des dix écoles, est de plus de 95% dans quatre écoles: P-4 (97,3%), P-7 (98,6%), P-8 (99,5%) et P-10 (99,7%). Les deux autres écoles où nous avons observé un taux supérieur à 90% sont P-2 (92,0%) et P-5 (94,5%). Les quatre écoles où le taux de présence du français est inférieur à 90%, sont P-1 (67,5%), où le pourcentage d'élèves non francophones est de 92,3%; l'école P-6 (86,3%), où une partie de la clientèle est composée d'élèves qualifiés de bilingues par les intervenants scolaires; l'école P-3 (86,8%), dont la majeure partie de la clientèle est allophone (79,1% des élèves ont une langue maternelle autre que le français) et où nous avons noté près de 4% de cas d'alternance codique impliquant l'usage du français et de la langue d'origine; et finalement, l'école P-9 (89,9%), où 12,2% de la clientèle déclare l'anglais comme langue maternelle. (Entre parenthèses figure le nombre d'observations réalisées dans chaque école.)

Graphique 1

Répartition en pourcentage de la pratique linguistique des élèves par école au primaire (1996-1998)

Répartition en pourcentage de la pratique linguistique des élèves par école au primaire (1996-1998)

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Par ailleurs, l'anglais n'est présent que dans quatre écoles: P-2 (4,7%), P-9 (8,3%), P-6 (13,3%) et P-1 (27,7%). Cette présence de l'anglais est surtout liée au type de clientèle qui comprend un pourcentage important d'élèves ayant l'anglais comme langue maternelle (entre 11,5% et 22,2%) ou langue seconde (par exemple, 30% d'élèves philippins ou du sous-continent indien à l'école P-6).

Quant aux langues d'origine, elles sont présentes dans la plupart des écoles, mais le taux décelé est souvent très faible. Les écoles P-1 (4,3%), P-5 (4,9%) et P-3 (8,0%) présentent les taux les plus élevés; ces écoles comptent parmi leur clientèle des élèves d'accueil (P-1 et P-3) ou de postaccueil (P-5). Dans toutes les autres écoles, les pourcentages concernant l'usage des langues d'origine varient entre 0% et 2,7%, le pourcentage attribuable à l'usage d'une seule langue n'excédant pas 1,5%, sauf à l'école P-2 où l'usage des langues asiatiques atteint 2,1%.

Selon le graphique 2, le français occupe aussi la première place comme langue d'usage des élèves du secondaire lors de leurs activités non structurées. Sa part relative est cependant plus faible et l'écart entre les écoles est plus élevé qu'au primaire, son taux de présence variant entre 53,1% et 98,4%. (Entre parenthèses figurent le nombre d'observations réalisées dans chaque école.)

Graphique 2

Répartition en pourcentage de la pratique linguistique des élèves par école au secondaire (1996-1998)

Répartition en pourcentage de la pratique linguistique des élèves par école au secondaire (1996-1998)

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Avec un taux de 98,4%, l'école S-10 est celle où la part relative du français est la plus élevée. Ce taux élevé d'usage du français est sans doute lié aux caractéristiques de la clientèle dont la majeure partie (75,4%) déclare le français comme langue maternelle et qui comprend peu d'élèves immigrants (environ 17%). Deux autres écoles, S-7 (80,4%) et S-8 (80,5%) ont un taux de présence du français supérieur à 80%. À l'école S-7, même si la densité non francophone est forte, la diversité ethnolinguistique et la présence d'une importante clientèle d'origine haïtienne (23,8%) pourrait favoriser l'usage du français. À l'école S-8, le taux important d'élèves francophones (58,9%), jumelé à la diversité ethnolinguistique de la clientèle de l'école, pourrait contribuer à l'usage du français.

À l'inverse, les écoles S-1 et S-2 sont celles où les taux observés d'utilisation du français sont les plus faibles (53,2% et 54,6%). Ces écoles présentent des taux très élevés de densité non francophone (85,9% et 85,2% respectivement). De plus, l'école S-2 a une clientèle immigrante importante (plus de 80% des élèves sont nés à l'étranger) et près de 25% des élèves de l'école sont inscrits en classe d'accueil.

Les cinq autres écoles se situent entre ces deux extrêmes. Deux d'entre elles, les écoles S-3 et S-4, dont environ 85% de la clientèle déclare une langue maternelle autre que le français et où les concentrations de certains groupes ethnolinguistiques sont importantes, présentent un taux respectif de présence du français de 64,2% et de 65,6%. À l'école S-5, où 76,3% de la clientèle est allophone, la part du français est de 69,8%. À l'école S-6, où près de 60% des élèves sont nés à l'étranger et dont la clientèle d'accueil représente environ 10% de la clientèle totale, la part du français est de 73,5%. À l'école S-9, où la clientèle de langue maternelle française est assez importante (environ 66,4%), le taux de présence du français est de 73,1%. Cependant, la clientèle anglophone de cette école représente 9,7% de la clientèle totale et que, selon les intervenants scolaires, une large part des élèves francophones qui la fréquentent seraient familiers avec la langue anglaise.

Par ailleurs, l'anglais est présent dans toutes les écoles secondaires, où son taux varie entre 0,7% et 35,6%. Les trois écoles où l'anglais est plus présent, sont les écoles S-1, S-9 et S-5 où cette langue est deuxième en importance. L'école S-1, où le taux de présence de l'anglais est le plus élevé, accueille un pourcentage relativement important d'élèves anglophones (11,5%) et d'élèves ayant une connaissance préalable de l'anglais. L'école S-9 occupe la deuxième place quant à l'usage de l'anglais (24,6%). Cette école se caractérise par une clientèle francophone familière avec la langue anglaise (langue du quartier) à laquelle s'ajoutent des élèves anglophones (9,7%) dont certains auraient choisi de fréquenter l'école française. L'école S-5, où le taux de présence de l'anglais est de 21,1% accueille une importante clientèle non francophone (76,3%) parmi laquelle on retrouve des élèves anglophones (6,7%) et des élèves allophones dont l'anglais est la langue seconde.

À l'inverse de l'anglais, les langues d'origine occupent la seconde place dans sept écoles. C'est à l'école S-2 que les langues d'origine ont le plus d'importance (30,5%), devançant l'anglais par plus de 16 points. Viennent ensuite, par ordre décroissant, les écoles S-6 (23,2%), S-3 (21,1%), S-7 (18,4%), S-4 (17,1%), S-8 (10,9%) et S-10 (0,9%). À l'exception des écoles S-8 et S-10 où le taux de présence des langues d'origine est inférieur à 1%, ces écoles ont des classes d'accueil. Dans les trois autres écoles, S-1 où les élèves de l'accueil représentent 7,6% de la clientèle, S-9 et S-5, la part relative des langues d'origine varie entre 1,7% et 10,9%. Dans l'ensemble, les langues d'origine pratiquées dans les écoles reflètent le poids des groupes allophones, leur relative concentration ainsi que la présence plus ou moins importante du secteur de l'accueil, bien que les pourcentages d'usages observés soient toujours bien inférieurs aux données démographiques de l'école.

On peut donc conclure que le français prédomine dans chacune des 20 écoles étudiées comme langue d'usage des élèves lors des activités non structurées, son taux de présence étant toujours supérieur à la somme des autres langues (anglais et langues d'origine). On remarque également que le taux de présence du français est globalement plus élevé dans les écoles primaires que dans les écoles secondaires. En général, la seconde place est plutôt occupée par les langues d'origine que par l'anglais (13 écoles sur 20). Dans les deux cas, il s'agit d'une présence assez faible au primaire et variée mais plus significative au secondaire.

Par ailleurs, dans toutes les écoles, le taux d'alternance codique observé – soit l'utilisation de plus d'une langue au cours d'une même conversation – est très faible[5].

La force relative du français

Dans le contexte sociolinguistique spécifique de Montréal, la compétition pour le statut de langue commune se fait essentiellement entre le français et l'anglais. En effet, quelle que soit l'importance actuelle de la pratique des langues d'origine en milieu scolaire, notre analyse montre que leurs locuteurs les utilisent presque exclusivement comme des langues d'échange intragroupes. De plus, si l'on se fie à l'expérience historique québécoise et canadienne à cet égard, il est probable que l'utilisation des langues d'origine soit davantage un phénomène transitoire que permanent. L'avenir démolinguistique de la société québécoise sera donc plutôt déterminé par le rapport d'utilisation du français et de l'anglais observée chez les jeunes.

Pour mieux cerner cette dynamique, nous avons construit un indice de force relative du français (FRF), par rapport à l'anglais qui fait abstraction de la pratique des langues d'origine[6] et qui est défini comme suit:

  • Échanges en langue française en tout ou en partie

  • FRF__________________________________x 100

  • L'ensemble des échanges en langue française ou en langue anglaise en tout ou en partie

Une valeur de 100 indique donc qu'aucun échange impliquant l'anglais n'a été observé lors de la cueillette des informations, le rôle de langue commune lors des échanges informels des élèves de l'école étant assumé exclusivement par le français; une valeur de 50 représente un milieu informel partagé également entre le français et l'anglais.

L'analyse de cet indice confirme que le français occupe une position importante dans l'ensemble des écoles étudiées, sa force étant supérieure à 80,0 dans 15 écoles et à 90,0 dans 12 de ces écoles. Comme on peut le voir au graphique 3, c'est au primaire, où sa force relative atteint 100,0 dans quatre écoles, que la présence du français est la plus forte. Au secondaire, la force relative du français varie entre 59,9 et 99,3, révélant un bilan plus partagé, mais globalement favorable au français.

Graphique 3

Force relative du français: au primaire et au secondaire (1996-1998)

Force relative du français: au primaire et au secondaire (1996-1998)

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Analyse de l'impact de divers facteurs institutionnels sur la force relative du français dans les écoles

Dans la partie qui suit, nous examinons les liens entre les variables reflétant diverses caractéristiques institutionnelles des 20 écoles étudiées et leur contribution respective concernant la force relative du français (FRF) dans chacun des milieux[7].

Description des variables explicatives

Comme un des objectifs principaux de la recherche consistait à examiner le rôle de la densité non francophone et de la composition ethnolinguistique de la clientèle de l'école sur les usages linguistiques, l'indice trad et la densité non francophone s'imposent comme variables explicatives de la valeur de l'indice FRF. Dans les deux cas, il s'agit de variables numériques ayant une valeur se situant sur une échelle de 0 à 100.

L'autre variable structurante de l'analyse est la scolarité. C'est une variable binaire où on distingue écoles primaires (valeur = 0) et secondaires (valeur = 1).

En sus de ces trois variables structurantes, nous avions tenté de prévoir lors de l'échantillonnage une certaine présence d'écoles défavorisées, d'écoles regroupant des classes d'accueil et d'écoles de diverses commissions scolaires, notamment celles du réseau protestant. En ce qui concerne les deux premières variables, il est légitime de penser qu'elles puissent avoir un impact sur les pratiques linguistiques, bien qu'il soit difficile de prédire dans quel sens, en ce qui concerne la défavorisation. Quant à la variable «appartenance à une commission scolaire du réseau protestant», elle se justifie par l'importante médiatisation des enjeux linguistiques dans certaines écoles de ce réseau et la perception répandue voulant que, du fait de leur appartenance à un ensemble anglophone plus large, celles-ci aient été moins francisantes que leurs contreparties catholiques.

Sur le plan opérationnel, ces variables sont définies comme suit:

  • l'indice de défavorisation du Conseil scolaire de l'île de Montréal qui représente une variable numérique ayant une valeur de 0 à 100[8];

  • la proportion des élèves inscrits en classes d'accueil dans l'établissement;

  • l'appartenance ou non de l'école à une commission scolaire du réseau protestant; l'appartenance est codifiée 1, la non-appartenance, 0.

Trois autres variables ont été retenues pour leur intérêt heuristique: la taille de l'école, la diversité linguistique du groupe allophone et la politique linguistique de l'école. Par rapport à la taille de l'établissement, on suppose qu'un milieu scolaire de plus petite taille est en général plus intime; ce type de milieu pourrait donner lieu à un niveau de francisation supérieur. On peut également croire que le français s'imposera plus facilement comme lingua franca au sein de l'école lorsque le groupe allophone est très hétérogène et permet moins l'établissement de regroupements par langue lors des échanges informels. Enfin, étant donné les débats sociaux importants sur la pertinence et l'efficacité de politiques plus ou moins coercitives quant à la promotion du français dans les écoles, il paraissait intéressant d'aborder cet aspect.

Ces trois variables sont définies comme suit:

  • la taille de l'établissement est évaluée en fonction du nombre d'élèves au 30 septembre de l'année pendant laquelle l'étude a été réalisée;

  • pour l'indice de la diversité linguistique (IDL), après l'étude de divers indicateurs potentiels, nous avons retenu l'indicateur suivant:

    • Élèves des trois groupes non francophones les plus importants x 100

    • IDL = 100 - ___________________________________________

    • Ensemble des élèves non francophones

  • quant à l'appréciation de la politique linguistique locale, elle a été évaluée à partir des données d'entrevues réalisées auprès des intervenants scolaires sur une échelle de quatre points (liberté totale; incitation; valorisation active; mesures coercitives).

Résultats de l'analyse de régression simple

Dans un premier temps, nous avons examiné l'effet de chaque variable étudiée sur la valeur de l'indicateur de force relative du français (FRF).

Tableau 3

Coefficient de détermination pour chaque facteur pouvant influencer la force relative du français

Coefficient de détermination pour chaque facteur pouvant influencer la force relative du français

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Le tableau 3 montre clairement l'importance de l'indice trad comme facteur associé à la présence d'un milieu favorable au français. En fait, tel que l'indique le coefficient de détermination, cet indicateur permet d'éliminer près de 50% de l'incertitude entourant le niveau relatif de l'indice FRF. Pour son pouvoir explicatif, nous retrouvons en deuxième position l'indice de la diversité linguistique, suivi de l'appartenance de l'école en 1997-1998 au réseau protestant, puis de plus loin par la scolarité et l'incidence de la densité non francophone. Plus loin encore, la présence des élèves en classe d'accueil n'explique que 3,4% de la variance alors que les trois autres indicateurs retenus dans l'étude ne semblent pas affecter de manière appréciable la force relative du français.

Fait intéressant à noter pour les variables de type numérique, mis à part l'indice trad, tous les facteurs étudiés montrent un rapport négatif avec l'indice FRF. C'est dire qu'une densité non francophone plus élevée, une diversité linguistique accrue chez les non-francophones, une proportion plus importante des élèves en classes d'accueil, une école de taille plus grande, un niveau de défavorisation plus important et une politique linguistique plutôt coercitive, tous ces facteurs sont associés à un indice FRF plus faible. Quant aux variables binaires, l'incidence du français serait moins élevée au secondaire et dans les écoles de l'ancien réseau protestant.

Résultats de l'analyse de régression multiple

La technique de régression multiple sert à déterminer la contribution relative de divers facteurs à l'explication de l'indice FRF. À cette étape de l'analyse, la corrélation des facteurs explicatifs est éliminée; chaque coefficient de régression représente l'apport autonome de chaque facteur à l'explication de la variance observée, faisant abstraction de l'apport de toutes les autres variables toujours présentes. Pour simplifier la présentation des résultats, nous ne présentons que l'équation optimale, c'est-à-dire celle dont le «r2» est le plus élevé.

Présentation de l'équation optimale

Lors des analyses de l'impact de l'ensemble des variables, l'équation optimale élimine les facteurs qui ne ressortent pas aux tests statistiques de signifiance (P < 0,05). Cinq variables, soit l'indice trad, la densité non francophone, la taille de l'établissement, la scolarité (primaire et secondaire), la diversité linguistique du groupe non francophone et l'appartenance à l'ancien réseau protestant rencontrent cette exigence. L'équation optimale, dont le terme constant est zéro (0), s'écrit comme suit:

FRF = (0,886 * indice trad) + (0,375 * densité non francophone) – (18,550 ordre secondaire) + (0,010 * taille de l'établissement) – (7,170 réseau protestant) + (0,196 * indice de diversité linguistique)

Le coefficient de détermination (r2) pour cette équation est de 0,897, c'est-à-dire que la connaissance des valeurs de ces variables explicatives nous permet de prédire avec un degré de certitude exceptionnellement élevé la valeur de l'indice FRF pour l'ensemble des écoles étudiées.

Valeur et signe des coefficients

Dans l'analyse de régression multiple, le coefficient de régression représente la contribution autonome de chaque variable, ceci en tenant compte de l'effet de toutes les autres variables présentes. Ainsi, l'augmentation de 1% de l'indice trad attribuable à la présence d'élèves francophones ou issus des communautés francisantes ferait croître l'indice FRF de presque autant, soit 0,891%, et cela, quels que soient les effets des autres variables.

Cette même équation révèle également que l'indicateur FRF est de 18,55% inférieur dans les écoles secondaires, toutes choses étant égales par ailleurs. On peut supposer que la volonté de se faire accepter par les autres élèves et par le personnel de l'école est plus forte chez les enfants les plus jeunes ou encore, que la masse critique des étudiants d'origine ou d'orientation anglophone est insuffisante pour permettre le développement des réseaux d'amitié d'expression anglaise.

Pour sa part, l'augmentation de la densité non francophone est associée à la croissance de la force relative du français. Pour chaque augmentation de 1% de la densité non francophone, l'indice FRF croît de 0,375%. Bien que cela soit difficile à interpréter sur le terrain, ce résultat montre qu'une densité plus élevée d'élèves non francophones ne diminue pas nécessairement la force du français.

Quant à l'effet de l'appartenance à une commission scolaire du réseau protestant en 1997-1998, l'indice FRF accuse un retard de 7,170 points par rapport aux écoles d'autres commissions scolaires. Il s'agit toujours d'un effet indépendant des autres facteurs, qu'on peut interpréter comme l'effet d'un ethos institutionnel anglicisant ou d'une sélection privilégiée de ces commissions scolaires par les parents les plus anglophiles à l'intérieur de chacune des communautés allophones.

Toujours selon l'équation optimale, la taille de l'établissement est également reliée de façon significative à l'indice FRF. Indépendamment de tous les autres facteurs examinés, l'ajout de 100 élèves dans un établissement est associé à la croissance d'environ 1 point (100 * 0,010) de l'indice FRF. Si l'impact est plutôt mitigé, force est de constater que les petites écoles n'accomplissent pas nécessairement mieux leur mission de francisation que les plus grandes!

Finalement, une plus grande diversité linguistique chez les non-francophones semble légèrement favorable à la francisation. Pour chaque point de pourcentage que fait croître l'indice de la diversité linguistique, l'indice FRF augmente de 0,196 points. La mixité linguistique chez les non-francophones semble donc créer le besoin d'utiliser le français comme lingua franca.

Quant aux autres facteurs testés dans le cadre de notre analyse, aucun ne s'avère significatif. Que ce soit l'appartenance au milieu favorisé ou défavorisé, le caractère plus ou moins coercitif de la politique linguistique locale de l'école ou l'importance du secteur d'accueil[9], aucun de ces facteurs n'apporte une contribution autonome et indépendante à l'explication liée à l'indice FRF.

Conclusion

L'ensemble des données colligées dans le cadre de la recherche Concentration ethnique et usages linguistiques en milieu scolaire montre clairement qu'évaluée à l'aune des usages linguistiques prévalant entre les élèves lors de leurs contacts informels hors de la classe, la francisation en milieu scolaire montréalais va bon train. En effet, au sein des 20 écoles étudiées, les données d'observation révèlent que, la plupart du temps, le français domine nettement, que ce soit face à l'ensemble des autres langues parlées à l'école ou dans sa compétition, plus spécifiquement québécoise, avec l'anglais comme langue commune. De plus, à une exception près, l'indice de force relative du français est toujours supérieur au taux de francisation attendu en fonction de la composition ethnolinguistique de la clientèle. C'est dire que, du fait d'un encadrement pédagogique globalement adéquat et surtout de l'engagement du personnel scolaire, ces écoles représentent des milieux de vie où la place du français est nettement supérieure à ce qu'elle occupe au sein des communautés dont sont issus les élèves, telle que l'a révélée le recensement de 1991. Ces résultats sont d'autant plus positifs que les écoles choisies présentent, par rapport à l'échantillon total des écoles montréalaises, des situations moins favorables, puisque les milieux à haute densité de non-francophones et à indice trad faible y sont suréchantillonnés.

Cependant, il est évident que la francisation s'impose davantage au primaire qu'au secondaire. Conjuguée à la réalité d'usages linguistiques beaucoup plus diversifiés hors de l'école et à la grande popularité du plurilinguisme sur le plan normatif, révélés par les entrevues avec les élèves, cette tendance pourrait indiquer une francisation plus passagère que permanente chez un certain nombre d'élèves. On peut, à l'inverse, penser qu'on fait face à un phénomène généralisé au sein des sociétés occidentales où la multiplicité des appartenances s'impose de plus en plus comme la norme plutôt que l'exception, sans que le besoin et le statut d'une langue commune de partage et d'échange soient compromis.

En ce qui concerne l'identification des divers facteurs institutionnels qui conditionnent la dynamique des usages linguistiques en milieu scolaire, l'étude a d'abord montré le caractère prédictif extrêmement fort de l'indice trad sur la force relative du français. Cette conclusion, jointe à l'impact bien moins important mais surtout légèrement positif, lorsque la contribution spécifique de chacun des facteurs est isolée, de la densité non francophone, vient clairement remettre en question les discours alarmistes qui prévalent dans certains milieux et qui voudraient faire de la concentration ethnique en elle-même un obstacle à l'intégration. En effet, c'est davantage la composition ethnolinguistique des écoles qui est en jeu et, notamment, la part relative des groupes anglophones, anglicisés ou anglophiles, une question qu'il faudra explorer avec délicatesse. Dans certains cas, l'importance relative de l'anglais comme langue commune dans certaines écoles est liée, non à la présence de la clientèle immigrante, mais à celle d'une clientèle anglophone d'implantation ancienne qui choisit librement l'école française.

Quant à l'indice trad, son importance confirme le bien-fondé des politiques d'intégration, notamment celles qui visent la francisation des nouveaux arrivants, instaurée par les divers gouvernements québécois depuis une trentaine d'années. Toutefois, sur l'éclairage relatif aux politiques de sélection que certains voudraient y déceler, une nette mise en garde s'impose. D'ailleurs, puisqu'il repose autant et sinon plus sur les caractéristiques postmigratoires des communautés, dont le contexte qui a prévalu à leur établissement, cet indice ne saurait en aucune façon être confondu avec ce que prétendrait mesurer le concept, idéologiquement dangereux et contestable sur le plan scientifique, d'immigrants francophonisables.

En ce qui concerne les politiques scolaires liées à l'intégration des immigrants, la faiblesse de l'indice trad, associée à la présence d'autres facteurs identifiés dans l'analyse de régression comme rendant la francisation plus difficile, pourrait servir de base à une classification des écoles susceptibles de recevoir un soutien supplémentaire à la valorisation du français. À cet égard, il est évident que, si les autorités décidaient d'agir, il faudrait cibler les écoles secondaires et, parmi celles-ci, celles où la diversité de la clientèle allophone est moins importante (ce qui favorise, nous l'avons vu, l'établissement de groupes d'échanges et d'amitié plus homogènes sur le plan linguistique) et accessoirement aussi, les écoles qui appartenaient jusqu'en juillet 1998 au réseau protestant, où la spécificité de la clientèle ou de l'ethos institutionnel semble moins favorable au français. Un examen plus qualitatif des formules de regroupement des élèves pratiquées par les écoles, notamment de l'impact de l'inscription aux cours avancés d'anglais sur la structuration générale de leur horaire, pourrait également être pertinent.

Finalement, tant l'absence d'un impact significatif du caractère plus ou moins coercitif des politiques linguistiques adoptées par l'école que l'attachement réitéré des jeunes allophones à leur langue maternelle et au pluralisme linguistique, révélé par nos entrevues avec les élèves, plaident résolument en faveur d'une intervention de valorisation du français qui s'inscrirait dans une perspective d'enrichissement et de complémentarité avec les compétences que possèdent déjà les élèves.