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En liminaire, l’auteur souligne que son propos est de faire l’histoire du système éducatif en France dans sa double dimension publique et privée, à partir d’une double investigation : la première portant sur un contenu d’enseignement – celui de la philosophie ; la seconde sur l’organisation de l’enseignement privé, cela, dans « la rencontre des archives ».

En ce qui a trait à l’enseignement de la philosophie, Poucet veut montrer « comment se met en place et se transforme une discipline d’enseignement » : l’élaboration des contenus, les enjeux sous-jacents à leur transformation et leur hiérarchisation. Pour ce faire, l’auteur « invente » les sources que sont les manuels et revues pédagogiques, les procès-verbaux d’instances politiques, les dossiers individuels des professeurs, dans la mesure où il en fait surgir du sens. De même en est-il pour les politiques scolaires et les pratiques pédagogiques, entre autres par l’analyse de l’oeuvre de grands didacticiens. Prenant appui sur la dissertation, comme symbole de l’évolution de la discipline, Poucet souligne à juste titre que la « création et l’évolution d’une discipline scolaire sont le résultat d’un complexe d’influences qui ne se réduit pas à une décision politique, ni d’ailleurs à un acte philosophique », qu’il existe un espace d’autonomie entre savoirs savants et savoirs scolaires, de sorte que le savoir scolaire est « le résultat d’une subtile alchimie entre le savoir universitaire, ce qu’exige la société, l’État et la pratique pédagogique elle-même ».

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Bruno Poucet montre que la question de l’enseignement privé catholique, dont il s’agit essentiellement, « est directement intégrée à l’histoire générale de l’éducation en France », et que l’organisation même des systèmes scolaires français est marquée par l’église catholique. En abordant successivement la question pédagogique et institutionnelle, la question syndicale et la question politique, Poucet trace son itinéraire de recherche. Sur la première question, illustrée par l’analyse des manuels scolaires, on comprend que les collèges catholiques n’ont pu imposer l’existence d’une discipline scolaire d’enseignement de la philosophie à connotation chrétienne, puisque la norme devint vite, en vertu de la politique scolaire menée par les différents titulaires de l’instruction publique, l’existence du baccalauréat et de son examen.

La deuxième question est bien résumée par l’auteur de la façon suivante : « une culture syndicale exogène d’essence politique a transformé une culture endogène d’essence religieuse ».

Enfin, à travers l’action de ces protagonistes importants qu’ont été Michel Debré et André Boulloche, et l’élaboration de politiques éducatives qui ont cherché d’une part à légitimer l’action de la République en éducation et d’autre part une forme de négociation avec le Vatican, la loi Debré vient consacrer, même en vertu de ces ambiguïtés, la conciliation de l’éducation et de l’instruction, contraignant « ceux qui s’ignoraient à travailler ensemble ».

Les qualités de cet ouvrage sont, d’une part de faire parler des sources éparses et rarement interprétées de façon systémique, d’autre part de montrer que l’évolution des politiques éducatives n’est ni complètement imposée par l’autorité gouvernementale ni exclusivement émergente de la pratique professionnelle.

Par ailleurs, il s’agit d’une lecture de l’évolution singulière d’un système éducatif, qui n’a pas eu nécessairement son équivalent dans d’autres systèmes, notamment en ce qui a trait à deux éléments : l’enseignement de la philosophie comme discipline et l’association des secteurs privé et public d’enseignement.