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Introduction

La plupart des définitions données au vocable de coopération renvoient à cinq situations significatives allant de l’association, la complexité, la contribution, la collaboration à la participation. Cela explique des tendances constatées chez plusieurs locuteurs pour qui les situations énumérées couvrent, presque toutes, la même réalité. C’est de là que viennent aussi les confusions constatées par Montandon (1996), Gayet (1999a, 1999b), Miron (2004), Bouchard (2002), Deslandes (2004) et Beckman (2003) dans leurs études sur les relations entre parents et enseignants. Dans les énoncés ci-dessus, il y a au moins trois actions – celles de contribuer, de coopérer et de participer – qui, d’emblée, dessinent une exigence de finalité sans laquelle la coopération entre parents et enseignants s’avérerait impossible. Dès lors, il est nécessaire d’attirer rapidement l’attention sur la clarification des contextes, les cadres d’action interpellés, la vision dominante et les principes directeurs de la collaboration.

Comme le rappellent différentes sources (Royer, Saint-Laurent, Moisan et Bitaudeau, 1995 ; Comeau et Salomon, 1994 ; Goupil, 1996 ; Kalubi et Bouchard, 2006), c’est au tournant des années 1960 que la collaboration, voire la participation des parents s’est imposée dans le discours des enseignants comme une voie d’innovation incontournable. Car tous les travaux de réforme qui se sont succédé, depuis lors, ont fait du parent un acteur important dans le fonctionnement scolaire. Ils lui ont accordé une part du pouvoir décisionnel et lui ont donné progressivement des instruments pour l’exercice effectif de ce pouvoir. À cet égard, il convient de penser aux organismes de participation des parents dont la création et l’expansion a été facilitée par la dernière réforme de l’école québécoise.

Or un tel bouleversement ne peut s’installer sans heurts, sans compter avec les résistances du monde scolaire en général et des enseignants en particulier. Ces derniers accusent les parents de divers types de manquements. Ils les jugent tantôt coupables de fuir leurs responsabilités de collaboration ou de coopération (Coleman, 1998), tantôt coupables d’intrusion dans les prérogatives de l’école (Commission scolaire de Montréal, 2004) en faisant notamment certains gestes sans aucune qualification (Bouchard, 1999). Le discours des uns et des autres sur la coopération témoigne ainsi de l’émergence d’enjeux contradictoires.

Problématique

Des travaux de recherche ont été menés sur ces thèses. Ils se concentrent sur divers aspects : les types de besoins généraux qui conditionnent les pratiques parentales, les motivations profondes amenant les parents à exercer un rôle de participant actif en faveur de la réussite scolaire de leur enfant (Hoover-Dempsey et Sandler, 1997 ; Deslandes, 2004), l’effet de croyances qui donnent une dynamique originale à chaque cas de collaboration entre enseignants et parents, ou encore les voies ouvertes permettant aux parents d’enfants en difficulté de faire de leur mieux pour une meilleure qualité de vie de leur enfant en milieu scolaire (Goupil, 1997 ; Beckman, 2003 ; Bouchard et Kalubi, 2003 ; Chatelanat, Painchaud Mingrone et Niggl Domenjoz, 2003 ; Terrisse, 2005).

Au regard des constats et des résultats de recherche actuels, la coopération entre parents et enseignants apparaît davantage comme un long processus (Epstein, 1992 ; Guerdan, 2004). Il s’avère nécessaire d’en rendre compte à partir de trois types d’expérience : les expériences de communication dont les bénéfices peuvent être âprement disputés, les expériences de réalisation des tâches conjointes, et les expériences du bilan des acquis ou évaluation des apprentissages.

Expériences de communication entre parents et enseignants

Parmi les principales questions qui ont alimenté les réflexions et travaux sur la communication entre parents et enseignants, Claes et Comeau (1996) relèvent celle de l’identification des caractéristiques et attitudes des familles contribuant à l’amélioration des conditions de travail de l’enfant à l’école et celle des représentations et des attitudes de méfiance que les parents développent au sujet de l’école. Il apparaît que les parents et les enseignants offrent souvent deux façades ou, plus exactement, deux univers en rupture dont les rôles et les fonctions se révèlent comme des pans de réalités contradictoires. D’un côté, les enseignants souhaitent voir les parents motiver leur enfant et le soutenir dans ses démarches d’apprentissage ; de l’autre, ils veulent voir les parents deviner leurs attentes. Plusieurs études (Kalubi, 2003 ; Bouchard, 2002 ; Pourtois et Desmet, 2004 ; Cadieux et Boudreault, 2005) montrent que parents et enseignants craignent respectivement d’être perçus comme incompétents. Dans leurs démarches de communication, les enseignants jouent pour leur part des rôles paradoxaux, mettant tantôt en évidence une volonté de déléguer des pouvoirs aux représentants des familles, tantôt une volonté de contrôle qui s’accompagnent de non-dits, de jeux de coulisse, de nombre d’implicites et de différentes manoeuvres d’imposition. Les lois du « laisser croire » ou du « comme si » déjà dénoncées en d’autres circonstances (Desjardins, 2002) n’aident pas toujours les parents à se prémunir contre les stratégies contextuelles d’imposition et de refus (Beckman, 1996). Par ailleurs, les attitudes des parents dépendent essentiellement des représentations développées au sujet de l’école et du rôle des enseignants. La plupart des parents d’élèves en difficultés décrivent l’enseignant comme un être « privilégié » (De Landsheere, Poncelet et Voz, 2003) dont les activités et décisions échappent cruellement au contrôle des familles (Bouchard, Kalubi, Chatelanat, Niggl et Beckman, 1998 ; MELS, 2001). Il apparaît également que, lorsqu’on considère les besoins des élèves en difficulté, même les dispositions légales prises afin de forcer les rencontres parent-enseignant peuvent se révéler peu fructueuses, car elles induisent quelquefois un « dialogue de sourds » à la place d’une collaboration en faveur des besoins et capacités de l’enfant. Dans ce cas, les dissensions s’articulent autour de considérations de l’ordre des rôles de chacun et de la reconnaissance des compétences mutuelles. Ainsi, certaines analyses montrent que, dans la plupart des cas, les expériences infructueuses de communication entre parents et enseignants reposent sur une série de malentendus dont parents et enseignants se renvoient la responsabilité.

Réalisation des tâches conjointes

Au-delà des questions relatives à la communication entre parents et enseignants se retrouvent des considérations en lien avec l’organisation et la réalisation des tâches. Parmi les principales questions soulevées en ce sens, celle de la place active des parents au sein de l’école (Bouchard, 1998) mérite d’être traitée. Ainsi, la dernière réforme de l’école au Québec a confirmé une orientation dynamique visant à donner cette place active aux parents. Car avec les Conseils d’établissement et les organismes de la participation des parents (MELS, 2003), la collaboration entre parents et enseignants a été replacée au coeur même des dispositifs du fonctionnement des enseignements scolaires. À ce sujet, dans une étude sur les trajectoires d’interactions entre familles et professionnels, Poncelet (2003) montre que la collaboration active entre parents et enseignants se décline proportionnellement aux types d’investissement dans des tâches visant à améliorer les performances de l’enfant (par exemple : supervision des devoirs), de même que lors de la tenue des activités scolaires telles que les réunions de parents, les fêtes de l’école, les discus-sions programmées pour les bilans. Plus les enseignants se montrent ouverts à ces interactions et aux interventions éducatives faites à l’initiative des parents, plus ces derniers s’investissent dans une relation de collaboration bénéfique (Lescarret, 1999 ; Francis, 2002 ; Hoover-Dempsey et Walker, 2002 ; Poncelet, 2003). La collaboration apparaît ainsi comme un processus d’apprentissage et d’appropriation des stratégies qui contribue à l’actualisation des habitudes de complémentarité entre parents et enseignants en vue d’un meilleur développement et d’une meilleure réussite de l’élève. Pourtois et Desmet (2004) précisent que la connaissance du fonctionnement de l’école par la participation aux activités ou aux tâches communes contribue, pour les parents comme pour les enseignants, à réduire le nombre d’obstacles de collaboration en général. Or, comme le soulignent Montandon et Perrenoud (1994), le contexte de collaboration est difficile à concrétiser dans la mesure où il n’y a pas de règle universelle applicable dans tous les cas et où les expériences dépendent des initiatives singulières des enseignants ou des parents.

Bilan des acquis et évaluation des apprentissages

Selon Pelletier (1971), l’acte d’évaluer relève d’une habileté complexe du domaine cognitif, qui inclut un jugement à astreindre à des critères préalables, susceptibles de demeurer longtemps conformes à des critiques objectives (internes et externes). Toutefois, de nombreux travaux (Tardif, 1992 ; Fishbein et Ajzen, 1975 ; Burelle, Gadbois, Parent et Séguin, 1991) montrent que dans son rôle d’évaluateur, le comportement de l’enseignant ne peut être mieux compris que si l’on explore adéquatement les composantes de ses croyances et des attitudes qu’il développe à ce sujet. Pour sa part, Perrenoud (1998) rappelle que les conséquences suivant les bilans des apprentissages dépendent en partie de l’exercice de l’autorité que l’on retrouve chez l’enseignant et de la manière dont ce dernier gère ses pouvoirs à l’égard de ses élèves. La question qui se pose dès lors est de savoir quels liens peuvent être établis entre le rôle d’évaluateur de l’enseignant et sa collaboration avec les parents. Cette question fait émerger un champ d’action plus ou moins bien défini où l’enseignant est appelé à énoncer un jugement objectif, guidé par des préoccupations relatives à l’équité et où il doit demeurer ouvert au dialogue, à la critique interne et externe, et apte à recevoir l’aval des parents.

Cependant, l’enseignant n’a été préparé ni à accepter un tel partage avec les parents, ni à leur céder une partie du pouvoir critique, ni à nuancer ses productions énonciatives pour inclure leurs suggestions. Pour leur part, les parents développent un schème de pensée uniforme en matière d’évaluation : ils ont tendance à ne pas s’immiscer dans ce qu’ils considèrent comme le champ de pouvoir du maître, par peur de ne pas en maîtriser le vocabulaire approprié, de ne pas utiliser les concepts adéquats, et de ne pas comprendre toutes les nuances des problématiques actuelles dans les apprentissages.

À ce sujet, une recherche expérimentale menée à l’école primaire avec la collaboration de quatre commissions scolaires permet de souligner des facteurs susceptibles d’influencer cette dynamique. En effet, dans le cadre de cette recherche, deux groupes de quatre parents d’enfants de premier cycle ont été appariés à deux groupes de quatre enseignants afin d’être initiés simultanément à un exercice d’élaboration d’un bilan des acquis, grâce au recours à l’Inventaire de Brigance [1] (Bouchard et al., 1997 ; Bouchard, Sorel et Kalubi, 2004 ; Kalubi, Boudreault, Bouchard et Beaupré, 2000). Le premier groupe comprenait des parents ayant au plus terminé leur cinquième année d’études secondaires ; le deuxième, des parents dont le niveau scolaire dépassait la cinquième année d’études secondaires. Dans les deux cas, les parents travaillaient en collaboration avec les enseignants des classes accueillant leur enfant considéré comme étant en difficulté. Les résultats obtenus ont permis de constater que les parents étaient enthousiastes de faire cette tâche d’évaluation et de pouvoir mettre les mots sur la réalité quotidienne ou scolaire de leur enfant. Néanmoins, le groupe de parents dont le niveau scolaire était le moins élevé reconnaissait vivre des moments de stress intense, des moments de peur par rapport au pouvoir supposé de l’enseignant et par rapport à la capacité de ce dernier de dénoncer les erreurs d’évaluation, de questionner le respect ou non des consignes d’évaluation ou d’interprétation. Ce niveau de stress et ces moments d’inconfort rejoignaient les perceptions nourries par les enseignants à ce sujet[2] puisque ceux-ci estimaient en général que tous les parents allaient subir beaucoup de difficultés d’autocontrôle, étant donné les exigences supposées de l’évaluation.

Dans le deuxième groupe de parents et d’enseignants, les choses se passaient autrement. L’ensemble des acteurs soulignait le sentiment de courage caractérisant l’expérience des parents[3]. À l’issue de l’initiative d’évaluation conjointe où les uns et les autres se complétaient pour mieux identifier les habiletés de l’élève, les parents exprimaient leur sentiment de satisfaction étant donné qu’ils se sentaient capables de contribuer davantage au développement de leur enfant. Pour leur part, les enseignants, attirés par les limites a priori dans les capacités des parents, y voyaient davantage d’inconvénients que de motifs de satisfaction. Certains parlaient des risques d’influencer l’interprétation des diagnostics déjà émis sur l’enfant en général. Dans tous les cas, cette recherche a permis de mettre en lumière les niveaux de collaboration attendus chez des enseignants et parents. La variation des attentes en fonction des niveaux de scolarité faisait ressortir quelques besoins incontournables sur lesquels les observateurs devraient désormais se pencher : faire converger l’importance des habiletés de « savoir communiquer » et de « savoir actualiser les compétences » générales, malgré les variations des priorités individuelles, collectives et interactives (Vienneau, 2005 ; Dionne et Rousseau, 2006).

Conditions pour collaborer et enjeux liés au diagnostic

Au regard des différents points développés jusqu’ici sur la collaboration entre l’enseignant et la famille, nous nous attarderons maintenant sur la question du diagnostic afin de voir de quelle façon celui-ci peut influencer ou induire cette collaboration.

Le cadre légal fixé par le ministère de l’Éducation (1999) et qui régit les services en adaptation scolaire donne une certaine importance aux pratiques d’évaluation-diagnostic, en tant que résultat d’un engagement d’expert (Barkley, DuPaul et McMurray, 1990 ; Dandurand et Olivier, 1991) reconnu dans les domaines des difficultés d’apprentissage et d’adaptation (Goupil, 1997). Parallèlement à cette voie fonctionnelle, une autre réalité s’impose, qui relève du savoir commun des enseignants et des parents. Ainsi, si au cours des dernières années, un nombre grandissant d’élèves du primaire ont été identifiés comme présentant des difficultés d’attention, il apparaît que le diagnostic formulé à leur sujet provient souvent des enseignants et comporte plusieurs facettes (Cantwell, 1996 ; Boudreault, Kalubi et Bouchard, 2001). À ce phénomène s’ajoute le fait que les difficultés d’attention constituent une notion imprécise (Merrell et Boelter, 2001) ; le tableau diagnostic en est incertain, inconstant et sujet à la réécriture (Dubé, 1992 ; Collège des médecins du Québec, 2001).

Le flou conceptuel entourant ce diagnostic ainsi que les pratiques qui y sont rattachées créent une dynamique de conflits, rendant invisible une partie des lois du jeu qui régissent les interactions entre parents et enseignants. Dès lors, le diagnostic des difficultés d’attention se retrouve au centre d’un triple enjeu de pouvoir, de savoirs, de confusion de rôles. Tout le monde affiche ses prétentions et semble parler au nom des besoins spéciaux de l’élève ou de l’enfant concerné. L’enseignant y cherche le moyen d’ajuster ses pratiques d’intervention, au risque que toute confusion puisse devenir une source de difficulté et menacer les sentiments d’efficacité professionnelle, la confiance en soi et la capacité d’observation au quotidien (Bordeleau, 1997). De leur côté, les parents recherchent des précisions en matière de diagnostic de manière à pouvoir répondre aux impératifs de gestion de comportement, par exemple l’adaptation de l’enfant aux exigences de sa classe ou même dans le cadre de la vie familiale. Cette recherche d’informations se concrétise le plus souvent par un effort de compréhension des aspects du diagnostic afin de rechercher un équilibre dans la perspective d’amélioration de la qualité de vie des familles (Bouchard, 1996 ; Boudreault et Kalubi, 2006).

À l’heure actuelle, la trajectoire des élèves reconnus comme présentant des difficultés d’attention s’avère complexe. Elle s’appuie tantôt sur des traits caractéristiques de l’élève, tantôt sur le style éducatif des familles, tantôt sur des observations des membres des communautés entourant l’enfant (Stormont, 2001). L’adaptation mutuelle de l’élève et de son entourage aux ambiguïtés du processus de diagnostic (Larose, Ratté, Terrisse et Séguin, 2003) fait ressortir plusieurs constats, dont la nécessité d’élaborer un plan d’action, voire un plan d’intervention, l’obligation de questionner les plans d’action existants en vue de faciliter l’intégration effective et l’importance de la concertation entre l’école et les familles des élèves. L’action ainsi articulée appelle des outils adéquats orientés vers le développement intégral de l’élève concerné.

Ainsi, « l’obtention d’un diagnostic doit mener à des services d’intervention près du milieu de vie de l’enfant » (Mercier, 2003, p. 24). C’est pour cela que de nombreuses initiatives locales au sein de l’école ou de la communauté environnante ont été encouragées afin de répondre aux besoins et défis évolutifs relatifs à la réussite scolaire des élèves présentant des difficultés d’attention. Tous les acteurs concernés par l’évolution de la vie scolaire (les parents, le personnel enseignant, les élèves et les organismes des collectivités avoisinantes) sont donc conviés à une mobilisation générale, en vue d’une « démarche collective » (FCPQ, 2003, p. 2). Il s’agit de multiplier des expériences visant à développer une vision commune de l’intervention, à consolider des savoir-faire partagés.

Dans ce contexte, l’intérêt des enseignants et des parents pour le diagnostic (et pour ce qui en est dit) est d’ordre utilitaire (Mahoney, Boyce, Fewell, Spiker et Wheeden, 1998). Ils veulent s’en servir soit pour formaliser ce qu’ils savent au sujet du comportement fonctionnel de l’élève, soit pour convaincre leurs interlocuteurs respectifs et envisager, ensemble ou seul, des stratégies d’intervention adaptées (Denis, Bernat, Tétreault, Gagné, Dubouloz et Robert, 2000 ; Bouchard et Kalubi, 2001 ; Boudreault et Moreau, 2004). Pour comprendre davantage ce qui se passe dans une telle atmosphère d’échange, il faudrait dès lors décoder le concept de base et en délimiter le champ de réflexion et d’analyse. Il faudrait par la suite choisir le cadre de méthodologie approprié qui offre en son sein des instruments d’analyse et oriente l’interprétation des conflits sous-jacents, inhérents à la confrontation des schèmes représentationnels.

Éléments de représentations

Les alliances entre parents et enseignants sont limitées dans le temps, dans l’espace et dans l’exercice des fonctions. L’analyse de trois fonctions dominantes (actif, de rôle, de pouvoir) qui ressortent des perceptions du diagnostic impose un détour par les théories des représentations. La théorie des représentations (Moscovici et Buschini, 2003 ; Garnier, 1994) permet d’analyser les expériences personnelles ou collectives de parents et enseignants, et de montrer comment leurs dynamiques interactionnelles et la manière dont les uns et les autres assument leurs fonctions puis affrontent les enjeux sociaux. Ces derniers sont liés pour les enseignants à la manière dont ils souhaitent offrir les services et pour les parents à la manière dont ils entendent soutenir le développement de leur enfant au sein d’une institution scolaire ; ils perdent prise, même si celle-ci prétend les associer à la recherche de solutions. L’étude des représentations favorise également l’analyse des images construites par les parents et les enseignants au sujet de leurs interlocuteurs respectifs, et au sujet de leur rapport à la réussite scolaire de l’enfant et au sujet des rapports au diagnostic ou mieux, aux conséquences du diagnostic. Celui-ci tend à figer, comme une étiquette, l’ensemble des caractéristiques de l’enfant, les systèmes d’action (de pouvoirs, de valeurs et de rôles) à partir desquels les parents et les enseignants énoncent leurs discours, apportent un nouvel éclairage sur la distance qui existe entre leurs rôles, leurs pouvoirs et leurs gestes spécifiques.

Il faudrait dès lors admettre avec Moscovici et Markova (2000) que fouiller dans les représentations des enseignants et des parents en matière de diagnostic de difficultés d’attention, c’est aussi accepter des jeux d’interprétation, aller au-delà des niveaux de surface, explorer le champ des implicites qui inclurait des aspects de croyances, des attitudes (Marcelo, 1987 ; Pourtois et Desmet, 2004), voire des suppositions (Capodi et Durand, 1996 ; DeFrates-Densch, Smith, Schrader et Rique, 2004) ou des connaissances en reconstruction (Robardet et Vérin, 1998 ; Pourtois et Desmet, 2004). Le discours personnel ainsi interrogé serait une résultante à la fois de l’éducation reçue (éducation familiale, scolaire), des expériences sociales et professionnelles relatives à l’intervention (DeFrates-Densch et al., 2004) ainsi que des combats menés ou envisagés pour l’intégration. Les normes sociales (Runco et Johnson, 2002) admises prépareraient d’un côté les enseignants à transmettre aisément leur vision des choses et, de l’autre, les parents à accepter, par tradition, à soumettre leurs constats au jugement des professionnels. Dans leur schème de réflexion (Capodi et Durant, 1996), s’interpénétreraient les processus cognitifs, motivationnels, émotionnels (p. 104). À ce titre, les représentations véhiculent des connaissances, croyances et intentions de pratiques en fonction des besoins (Pourtois et Desmet, 2004) et processus de développement de l’enfant (p. 12). Elles apporteraient des explications sur les situations relevant des pratiques du diagnostic. Elles commandent une approche décloisonnée des sphères systémiques (Bronfenbrenner, 1979 ; Beckman, 1996) et fonctionnelles particulières : celle couvrant les relations entre l’adulte et l’enfant (l’élève), celle reliant la participation de l’élève à l’univers social, aux contextes d’activités physiques et culturelles. Les systèmes représentationnels se consolident autour des perceptions du diagnostic.

Exigences méthodologiques

L’approche méthodologique du projet de recherche[4] comportait trois volets : le premier volet de documentation visait à décrire les processus d’évaluation et de diagnostic dans le système scolaire québécois ; en particulier les règles d’identification des élèves ayant des besoins d’adaptation (Saint-Laurent, Giasson, Simard, Dionne et Royer, 1995 ; Goupil, 1997 ; Deslandes, 1998). Le deuxième volet concernait l’inventaire des situations favorisant la collaboration lors de l’évaluation des capacités de l’élève, lorsqu’il y a un plan d’intervention dont la réunion formelle prévoit des échanges directs entre les parents d’élèves et les membres de différentes équipes-écoles. Le troisième volet visait l’analyse des représentations des acteurs au sujet de la collaboration centrée sur l’énonciation des diagnostics ; il a permis de recueillir des données à partir d’un protocole de recherche qualitative (Selltiz, Wrightsman et Cook, 1977 ; Miles et Huberman, 1991) en ciblant cinq parents d’enfants en difficulté d’attention et cinq enseignants du primaire. Ces derniers, deux hommes et trois femmes, possédaient une expérience professionnelle de trois ans à cinq ans dans le travail avec cette clientèle particulière, voire plusieurs années de travail d’intervention dans le champ de l’adaptation scolaire. Pour participer à l’étude, ces acteurs ont volontairement pris part aux rencontres de discussion de groupe de réflexion après avoir répondu favorablement à une invitation écrite et rempli un questionnaire d’informations personnelles. Les deux rencontres se sont déroulées en milieu scolaire pour les enseignants et en milieu familial pour les parents. Elles ont été animées par les chercheurs, avec l’assistance technique du personnel formé aux démarches d’analyse des processus de partenariat.

Parmi les préoccupations retenues au cours des discussions, comme unité de sens à approfondir, il y a les difficultés d’attention manifestées par les élèves et les relations de collaboration entre enseignants et parents d’élèves. Les objectifs avoués correspondaient dès lors à l’idée d’étudier comment parents et enseignants percevaient le message échangé pour décrire les difficultés d’attention. Pour chacun des deux groupes ci-dessus décrits, il y a eu une seule entrevue collective sous forme d’un groupe de réflexion (Boudreault et Kalubi, 2006), d’une durée moyenne de 45 minutes. Ce dispositif interactif facilitait les échanges entre parents et enseignants. Cela a permis à ces derniers de dévoiler leurs idées profondes et leurs représentations relatives à la question du diagnostic, en réagissant aux interrogations simples et ouvertes de la part des animateurs. Les données recueillies selon un tel protocole de recherche qualitative (Miles et Huberman, 1991) ont été soumises à une lecture de premier niveau[5], puis à une seconde lecture suivant les consignes d’une sémiotique du discours interactif (Rastier, 2001). Le « déchiffrement » du sens (Beckman, 1996 ; Gardin, 2000 ; Bardin, 2003) passait par la réorganisation de différents éléments implicites et explicites, mais toujours « fragmentaires », afin de repérer les principaux thèmes et regrouper des catégories signifiantes autour des perceptions des rôles, des gestes actifs et d’une certaine manifestation de pouvoir.

Apports de la sémiotique

Paraphrasant Stables (2002), il y a lieu de souligner que la collaboration entre enseignants et parents d’élèves en difficulté est essentiellement dominée par une activité de communication[6]. Sa réussite et son efficacité sont déterminées en grande partie par des contextes d’apparition, de fonctionnement. Ce sont ces derniers qui aident finalement à différencier les signes de communication pour déterminer lesquels renverraient au « jeu de dupes » ou plutôt à des « rencontres constructives » (Bru, 2000). Dès lors, l’entreprise sémiotique (Bronckart et Schurmans, 2004 ; Gardin, 2000 ; Fraenkel et Legris-Desportes, 1999 ; Orvig, 2003) permet de relever des rapports de force dans les échanges entre enseignants et parents d’élèves, à la faveur des réformes scolaires et en vertu de l’évolution des pratiques sociales au Québec. La sémiotique comme choix d’analyse de contenu (Bardin, 2003) aide à scruter les systèmes de représentation et à appréhender adéquatement les positionnements stratégiques des acteurs. La compréhension des représentations donne accès aux solutions construites, pour partager la compréhension et les ambiguïtés liées au diagnostic des difficultés de l’attention. Une telle démarche d’analyse renforce les aspects structuralistes (Greimas, 1966 ; Landowski, 1997 ; Song, 2006) aussi bien qu’une approche écosystémique (Bronfenbrenner, 1979, 1986 ; Beckman, 1996 ; Terrisse, 2005 ; Bouchard, 2002) pour mieux situer les pouvoirs symboliques qui s’exercent à travers les interactions entre enseignants et parents, les rôles assumés dans les échanges, les valeurs, les habitudes de vie et les conditions de travail des uns et des autres, ainsi que les gestes actifs.

Les besoins d’intercompréhension imposent leur influence à toute activité de collaboration entre parents et enseignants surtout compte tenu des difficultés relatives au diagnostic. Ils exigent aussi la reconstitution des sens pour tenir compte des types d’invariants identifiés. Le modèle sémiotique d’Umberto Eco aspire à un renouvellement des perspectives représentationnelles en mettant l’accent sur l’encadrement des analyses par des apports inspirés aussi bien des théories des compétences encyclopédiques suggérées par Eco lui-même, des préjugés soulignés par Gadamer, d’horizons d’attentes issus de Jauss, de préfigurations de Ricoeur. Compte tenu des limites d’espace, le présent article est conçu plutôt comme jalons d’un travail d’analyse qui se poursuit sur les tensions intersubjectives dans les jeux de coopération et de partenariat entre professionnels ou entre parents et enseignants. Comme le rappelle Baroni (2004), il est utile de voir comment l’interlocuteur construit des inférences (en cours d’action) à partir du discours manifeste et des énoncés explicites pour créer un effet de sens ou de suspens, provoquer des solutions malgré l’incertitude conversationnelle provisoire (Song, 2006). Dès lors, chaque cas d’élève donne ainsi l’accès à des discussions, réflexion, interactions symboliques, suspicions, méfiance, etc. Dans chaque cas, les enseignants cherchent à valoriser les bénéfices professionnels ultérieurs générés par la connaissance du diagnostic ; tandis que les parents interrogent de leur côté la promesse symbolique d’un avenir scolaire meilleur pour leur enfant. Toutefois, les parents ne peuvent pas se prononcer de manière uniforme sur une question aussi essentielle, compte tenu de l’hétérogénéité de leurs expériences. L’interprétation des données doit aider à se démarquer d’un regard simplificateur qui tend à traiter le discours des enseignants comme des slogans indistincts. Toute énonciation du diagnostic en matière de difficulté d’attention (il en est de même de l’absence d’énonciation, d’ailleurs...) est un phénomène qui génère des souffrances et des conflits, nuit à la reconnaissance mutuelle des parents et des enseignants (Beckman, 1996) et conduit somme toute à ce que d’aucuns appellent « la perception imparfaite » (Fontanile, 1995 ; Courtès, 1995).

Résultats et discussion

Expression du diagnostic comme défi

Lorsqu’ils s’expriment sur le diagnostic des difficultés d’attention, des enseignants font référence à des expressions diverses. Ainsi, ils font appel à la notion de difficulté, à celle de trouble et tentent même une hiérarchisation en faisant appel à celle d’hyperactivité qui leur apparaît plus sévère et intègre une notion de force ou d’intensité. La réflexion qui s’opère chez ces enseignants confère à la notion de diagnostic un pouvoir transformateur. Ainsi, à partir du moment où un enfant est « diagnostiqué » comme présentant des difficultés d’attention, où on lui attribue une étiquette particulière, il cesse d’être un élève ordinaire ; de fait, il doit faire l’objet d’interventions différenciées. Les enseignants semblent donc donner un ordre et fixer des priorités selon la nature des difficultés identifiées. Ces priorités fixées dépendent alors du niveau de sévérité attribué, de l’existence d’un déficit considéré comme sérieux ou nuisible : « […] ce que je considère comme difficulté d’attention, c’est tout petit. […] ça peut être une distraction. Tandis qu’un déficit est plus sérieux ; voilà, ce serait un enfant qui aurait de la difficulté à nous donner parfois cinq minutes d’attention réelle […] ». La sévérité des difficultés identifiées chez l’élève serait plus grande si elle reposait à la fois sur un plus grand manque d’attention et une impulsivité importante, pratiquement hors de contrôle : « il va avoir beaucoup plus d’impulsivité [...] mais moins que l’hyperactif ». Ainsi, plusieurs types de relations de cause à effet se définissent ou se précisent ; de telle sorte que les difficultés d’attention sont présentées comme émanant des défauts d’autocontrôle : « […] elle avait aussi beaucoup de misère à rester assise, donc c’est sûr que si tu ne peux pas rester assis, ton attention est très limitée […] ».

Cette référence au vécu quotidien de l’élève ouvre grande la porte de la subjectivité du point de vue de l’enseignant. C’est pour cela qu’enseignants comme parents souhaitent accéder à quelques référentiels explicites, standardisés ou validés, afin de mieux analyser la sévérité des expériences auxquelles ils sont confrontés dans l’identification des difficultés de l’enfant. En attendant un tel instrument qui leur semble inaccessible, les enseignants tentent d’exercer leurs rôles et défendre autant que possible leur expertise, se considérant comme intervenants de première ligne. Ils ne se posent des questions que lorsque interpellés par certains parents ou par des observateurs externes. Toutefois, quelques-uns se montrent conscients des conséquences de ce rôle embarrassant ; car le diagnostic énoncé peut avoir de lourdes conséquences sur l’avenir de leur élève, dans la mesure où il peut entraîner des bouleversements importants dans les types d’interventions qui seront mises en place, mais également dans l’évolution des perceptions des parents et d’autres acteurs (l’élève lui-même, les intervenants, le personnel scolaire) au sujet des possibilités de correction ou d’amélioration de la situation de l’élève.

Orientations du regard des parents

Si les enseignants se montrent soucieux de catégoriser et de délimiter le champ notionnel des difficultés d’attention, il en est autrement des parents. Ceux-ci emploient de manière indistincte plusieurs notions : difficultés d’attention, inattention, hyperactivité, troubles d’attention, déficit d’attention, troubles de comportement. Leur discours ne tente pas de différencier les catégories de difficultés ou de diagnostic. Leur discours présente plutôt un amalgame de termes sans nuance. L’indice principal qui semble les préoccuper demeure le comportement de leur enfant et la réception réservée à ce comportement du côté de l’enseignant et des acteurs du milieu scolaire : « Des fois, ce n’est pas toujours des déficits d’attention. C’est des enfants qui ont des problèmes parce que les parents ne s’en occupent pas. Ça peut-être des troubles de comportements aussi. »

Parfois, certains parents se contentent de répéter un terme tel qu’ils l’ont entendu, sans nécessairement en approfondir la signification : « Avec ça, vu que tu as des déficits d’attention, comme Benoît […]. C’est ça que le travailleur social me disait. »

La tendance dominante dans les propos des parents traduit tout de même une soumission et peu d’indépendance vis-à-vis de leurs interlocuteurs, les enseignants. Cela entraîne une confusion de genres, dans la mesure où, tout en voulant rester collés à la défense des intérêts de leur enfant, les parents ne peuvent pas résister à la tentation forte de nommer les difficultés observées et, par le fait même, de marginaliser leur enfant. Ainsi, un décalage entre les gestes accomplis et le discours adopté surgit, dans la mesure où les parents tentent d’assumer un rôle dans lequel ils ne sont pas à l’aise : celui de détenteur de savoirs. En effet, dans une société du savoir (Grise, 1996), cette tentation de nommer implique obligatoirement l’usage d’un vocabulaire adéquat et professionnellement valide. Ici, même si les parents en viennent à nommer les difficultés de leur enfant, cette dénomination reste large et imprécise, voire inexacte ; il semble que les parents se préoccupent davantage de « l’agir ». Ils observent le dysfonctionnement comportemental de l’enfant à la maison comme à l’école. C’est en cela que leur rapport au diagnostic demeure utilitaire, car leurs réflexions sont orientées vers la recherche des voies de secours, pourvu que l’enfant demeure intégré dans les activités scolaires. Tout en se soumettant à la force des besoins et aux lois de ces contextes, les parents semblent peu enclins à se lancer dans une recherche des précisions par rapport à ces questionnements. Leur rapport à la question du diagnostic demeure plus informel, contrairement aux enseignants qui tentent dès que possible une structuration et une formalisation des observations relatives aux difficultés de l’attention.

Agitation et comportements explicites

Tant pour les parents que pour les enseignants, la formulation d’un diagnostic provisoire ou définitif passe d’abord par une phase d’observation du comportement de l’enfant. Pour les enseignants, cette observation concerne essentielle- ment le comportement en classe ; celui-ci inclut la capacité de concentration, surtout quand il y a des limites supposées ou réelles : « une ou deux minutes de concentration […] une capacité de se concentrer parfois très limitée et parfois très grande ».

Les propos des enseignants renvoient à un aveu d’impuissance par rapport au processus de désinvestissement de l’élève. Ils y font souvent référence sous forme d’images ou de métaphores : « ils décrochent » ;« mais ensuite, on sait qu’on les perd […] ». Selon leurs observations, l’agitation amène l’enfant à se démobiliser durant ses tâches : « ce sont des enfants qui, d’une façon ou d’une autre, bougent énormément ; ça va juste être des petits gestes, tout le temps. Par exemple, un enfant qui joue beaucoup avec son crayon, un genre de nervosité chez l’enfant, une impulsivité aussi ». C’est de cette complexité des comportements manifestés par les élèves que naît le besoin d’un diagnostic formel.

D’autres signes particuliers peuvent compléter la description des difficultés de l’élève ; il en est ainsi des allusions au contact visuel : « Elle avait beaucoup de difficulté à nous regarder dans les yeux. »

Les observations des enseignants incluent aussi, mais dans une moindre mesure, des indices de fonctionnement cognitif : « ils comprennent par segments ; donc ils ne comprennent pas l’ensemble de la tâche à effectuer ».

Les parents remarquent les mêmes difficultés de concentration. Toutefois, leurs énoncés font constamment référence aux rôles de l’enseignant, comme si le lien parental était désormais secondaire ; c’est comme si ce lien ne prenait de l’importance que dans le pouvoir délégué par l’enseignant, tel qu’en témoigne la séquence ci-après : « Il n’est pas capable de se concentrer. Le professeur va leur demander de sortir leur cahier bleu à côté du cahier vert. Ils ont compris vert et là, ils ne le sortent pas. »

Du point de vue cognitif, leur interprétation des gestes de l’enfant demeure semblable à celle véhiculée par les propos des enseignants, en particulier quand les uns et les autres ont recours aux images de décrochage et de perte : « Et ils sont dans la lune. Moi, ils regardaient un point et ils pouvaient regarder ça longtemps, des heures parce que […] Ils sont dans leur monde. […] mais dans les cours plus académiques, mathématiques, français, c’est des enfants qui perdent beaucoup d’informations parce qu’ils ne sont pas très attentifs. »

Certes, les comportements signalés dégénèrent et se traduisent dans des cas complexes de difficultés d’apprentissage. Mais, parents et enseignants semblent s’entendre pour sonner l’alarme contre l’escalade des perceptions négatives et leurs effets sur l’estime de soi de l’enfant et, par là même, son sentiment de compétence : « Ça part tout de suite du fait qu’il n’y a aucune estime de lui » ; « Quand elle lui donne des travaux, ça devient tellement difficile pour lui qu’il est en état dépressif. Il est déjà découragé. »

Une différence devient évidente ; l’enseignant parle avant tout comme expert et praticien à la recherche des solutions viables dans le contexte de sa classe. Néanmoins, une telle coloration du devenir de l’enfant devient une importante source d’inquiétude pour les parents, dans la mesure où ceux-ci voient poindre à l’horizon le spectre de l’exclusion en milieux scolaire, familial et communautaire : « Il se battait avec les autres enfants. » « Il y a eu du rejet de la part de ma famille. Et à l’école aussi. Après, ils traînent ça, ces enfants-là. »

Dès lors, les parents expriment leur engagement dans la quête des voies de résistance pour éviter cette descente aux enfers quasiment programmée. Ils revendiquent leur droit de croire aux valeurs humanistes de la société dans laquelle ils évoluent. Ils évoquent leur rôle de défenseurs ultimes et tentent d’identifier tout signe de valorisation positive : « Elle doit être une enfant très intelligente, parce qu’elle progresse très bien au niveau académique. […] même s’ils ont un déficit d’attention ou s’ils ont une incapacité d’attention, ils ont des forces. […] Moi, j’en ai un comme ça. Il était en classe de comportements. Il est sorti. Il s’en est allé au régulier. Il avait plein de retard. Il a récupéré ça et en 5e année, ils l’ont pris et ils l’ont envoyé en 6e année. Il a sauté de classe au mois de janvier, mais il avait le potentiel pour. »

Interprétation des aspects dysfonctionnels

La compréhension des dysfonctionnements observés exige de chacun un recours aux ressources dont il dispose. Nous distinguons deux types de ressources : des ressources intrapersonnelles et des ressources interpersonnelles qui impliquent l’ouverture sur les ressources offertes par l’environnement. Les enseignants et les parents ont pour point commun de valoriser leur ressource intrapersonnelle, c’est-à-dire leur expérience avec l’enfant. Ainsi, les enseignants expliquent que le fait d’évoluer avec ces enfants leur permet d’apprendre à les connaître : « Il faut creuser, il faut savoir pourquoi cet enfant-là agit comme ça. Parfois, on pense parce que c’est juste sur le plan relationnel, non, parfois c’est autre chose. Donc, il faut creuser, il faut aller valider. »

Le discours laisse alors apparaître un ensemble d’actions montrant un engagement réflexif dans l’exploration des difficultés de l’enfant. La démarche réflexive mise en place par exemple par une enseignante montre comment il lui faut prendre du recul, sortir de la situation d’urgence pour mieux mesurer le poids des décisions prises.

Par ailleurs, l’expérience des parents permet aussi d’entrer en relation avec l’enfant, par des voies alternatives. Le discours construit pour en rendre compte s’appuie sur une démarche relationnelle simple, nourrie par la passion et l’empathie.

En revanche, une distinction nette s’impose entre parents et enseignants en matière de ressources interpersonnelles. Ces ressources demeurent pauvres chez les parents. À quelques occasions seulement, les parents mentionnent leurs échanges avec d’autres parents partageant une situation similaire. Ces parents n’évoquent pas d’autres ressources, même pas celles que pourraient leur fournir les enseignants qui collaborent le mieux au développement de leur enfant.

De leur côté, les enseignants ne se limitent pas à des ressources intrapersonnelles. Ils multiplient également les évocations de soutien interpersonnel. Ils consultent différents types de personnes, évoluent à travers plusieurs systèmes (Bronfenbrenner, 1979) ; cela les oblige à établir des priorités dans leurs modalités d’approche des difficultés de l’enfant. L’élève lui-même est consulté dans le cadre d’une interaction menant à l’explication de la tâche cognitive : « et d’écouter l’enfant aussi, lui demander : “Comment, toi, tu apprendrais mieux ?” Les plus vieux peuvent le faire facilement. Les plus jeunes, c’est plus difficile. » Ainsi, l’enseignant accorde un certain crédit à l’évaluation que l’enfant est en mesure de faire sur ses stratégies d’apprentissage. Puis, il ouvre sa classe à l’apport d’autres ressources, en invitant un enseignant externe à faire des observations constructives : « Parfois, ne serait-ce qu’un collègue qui soit présent en classe, qui soit en mesure d’observer et à la fin, de me retirer avec lui et de discuter de ce qu’on a fait. » L’enseignant peut sortir du microsystème scolaire (Bronfenbrenner, 1979, 1986) pour trouver des ressources dans le microsystème familial, ce que d’aucuns appellent « rapports mésosystémiques » (Terrisse, 2005 ; Beckman, 1996 ; Bronfenbrenner, 1979, 1986) : « et aller voir des parents qui interagissent avec ces enfants-là pour prendre leurs observations aussi ».

Plan d’action pour agir autrement

Une autre phase importante dans le discours des enseignants concerne l’empowerment (Rappaport, 1984, 1987), ciblé à travers une démarche d’élaboration des plans d’action. Le discours des enseignants montre que l’intervention s’exécute de manière directe – au sein de la classe – mais aussi de manière indirecte, c’est-à-dire par le partenariat avec la famille.

Les ajustements de l’enseignant touchent les différents éléments du microsystème dégagés par Bronfenbrenner (1979, 1986), soit les rôles, les activités et les relations. En effet, l’enseignant redéfinit tout d’abord son rôle auprès de l’enfant. Il s’ajuste aux besoins de l’enfant en difficulté dans sa manière d’animer la classe : « Surtout si tu parles et tu n’es pas animé. » Les activités s’ajustent également aux besoins de l’enfant, que ceux-ci soient formalisés par un diagnostic ou non. Cet ajustement touche les objectifs personnalisés d’enseignement, le rythme et le centre d’intérêt ainsi que les aménagements des périodes de travail : « Je suis capable de savoir ce qu’il est capable de me donner et vice-versa. […] Mais je vais le pousser à la zone proximale, où il est capable. »

Enfin, l’ajustement s’effectue au niveau relationnel puisque l’enseignant tente de valoriser l’enfant pour le faire progresser, il privilégie une relation bienveillante ou bientraitante (Pourtois et Desmet, 2004) avec l’enfant : « Il faut les aider plutôt que les chicaner ou les punir parce qu’ils ont de la difficulté à écouter ou à rester assis […]. » La collaboration avec les pairs peut également intervenir dans cette dimension relationnelle en soutenant et accompagnant l’attention de l’enfant : « C’est leurs pairs qui vont les ramener à la tâche et ils vont être beaucoup plus motivés quand ils sont en équipe de participer, d’être là que d’être dans la lune et d’oublier le travail qu’ils ont à faire. »

Selon le discours des enseignants, les parents sont invités à adopter ces ajustements. Ceux-ci devraient s’exercer sous plusieurs angles en fonction des différents aspects de la participation parentale (Hamel, Blanchet et Martin, 2001). Pour les enseignants, ces rencontres avec la famille sont essentielles pour établir une continuité des actions entre l’école et la maison et ainsi permettre à l’élève d’évoluer au sein de milieux cohérents, caractérisés par des interventions et des modes de soutien conséquents et bien articulés. Or cette participation du parent n’est pas toujours évidente. Elle dépendrait essentiellement de l’attitude des parents (Montandon et Perrenoud, 1994) et, dans une moindre mesure, de celle des enseignants : « Il ne faut pas que le parent soit menaçant pour nous. Le parent est un être, est un collaborateur. Alors, si on le voit tout de suite comme une menace, tu n’es pas à ta place nécessairement ici. »

Si les enseignants peuvent évoquer de différentes manières la façon dont le parent se joint aux ajustements demandés pour l’intervention, il n’en est pas de même pour les parents qui s’expriment essentiellement sur les lacunes dans la collaboration école-famille. Dans ce cas, les parents situent plutôt le problème du côté des enseignants, à partir des quatre constats ci-après : les enseignants n’ont pas de formation adéquate, assument mal leurs rôles, font des gestes inappropriés et entretiennent des ambiguïtés autour du diagnostic comme signe de pouvoir sans tenir compte des souffrances de l’enfant. Ces constats renvoient directement aux fonctions de rôles, de pouvoirs et de gestes identifiées comme angle de lecture tout au long de ce texte.

Conclusion

La collaboration entre les milieux familial et scolaire (Atkin, Bastiani et Goode, 1988 ; Bouchard, 1996 ; Bouchard et Kalubi, 2001 ; Deslandes, 2004) présente divers avantages. Elle favorise la continuité entre la maison et l’école, le partage de savoirs entre les parents et les enseignants et la mise en place des habitudes de solidarité au profit de l’élève vivant avec des difficultés d’attention (Bilodeau, Lapierre et Marchand, 2003 ; Kalubi et Bouchard, 2003 ; Azdouz, 2004 ; Favez, 2004 ; Loubat, 2004). En agissant de façon concertée et en plaçant l’élève au centre des préoccupations, il devient possible pour les parents et les enseignants de mieux gérer les situations épineuses causées par les difficultés d’attention, d’intervenir de façon aidante et appropriée aux besoins, aux attentes et aux valeurs de l’enfant, de favoriser la réussite de l’enfant et de susciter sa motivation (Dunst et Paget, 1991 ; Deslandes, Bastien et Lemieux, 2004).

Bien que la collaboration apparaisse comme une valeur positive et aidante, l’analyse des données montre que les parents et les enseignants se positionnent à partir d’univers à intérêts contradictoires. Une analyse du discours de ces deux catégories d’acteurs a permis d’identifier les sources de difficultés de communication (parents-enseignants), les perceptions contradictoires dans la formulation du diagnostic relatif aux difficultés d’attention (élève). Certes, les propos des parents et des enseignants témoignent d’une volonté évidente, celle d’établir une collaboration fructueuse et constructive en faveur de l’élève, mais le passage du désir à la pratique ne semble pas toujours évident. En effet, les enseignants se disent ouverts à la participation active des parents et proposent différents moyens de collaboration. Leurs propositions ne semblent pas trouver un écho favorable dans l’univers des parents. Ces derniers semblent vivre des situations d’exclusion, d’incompréhension et de discrimination qui ne peuvent être résolues que par la multiplication de démarches conjointes, de préparation, de formation au partenariat et d’initiation à la collaboration.