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Introduction

Au tournant des années 1995 à 2000, l’enseignement des soins infirmiers au collégial est jugé insuffisant pour répondre aux nouveaux besoins en matière de santé. La réduction des durées de séjour en centre hospitalier, l’alourdissement des soins aux clientèles hospitalisées, le vieillissement de la population malade, la rapidité des innovations techniques pour soigner plus efficacement les clients, la multiplication des lieux où s’effectuent les soins sont toutes des données qui, mises les unes avec les autres, changent la manière de former les futures infirmières. Le programme par compétence, prescrit par le ministère de l’Éducation du Québec et implanté à l’automne 2001, ajoute des compétences à la fonction de travail de l’infirmière. Parallèlement, l’implantation d’un programme intégré entre les collèges et les universités incite à un enrichissement de l’ensemble des compétences afin que les étudiantes puissent obtenir, dans la continuité de leurs études, un baccalauréat après deux ans d’université. C’est sur cette toile de fond que le département de soins infirmiers du Cégep du Vieux-Montréal (CVM) a opté pour un programme d’immersion en apprentissage par problèmes (APP).

Cette méthode, largement utilisée dans les disciplines biomédicales, a suscité une interrogation majeure chez les enseignantes. Comment amener les étudiantes[1] à utiliser au maximum les ressources mises à leur disposition pour qu’elles puissent effectuer le plus d’apprentissages possibles dans un temps limité ? Si les manières efficaces d’apprendre à partir de lectures sont davantage connues, celles associées à l’apprentissage en groupe sont moins familières aux enseignantes. De plus, l’établissement de relations de collaboration avec les intervenants et les intervenantes est dorénavant une compétence que les infirmières doivent acquérir. L’apprentissage en groupe est une occasion de développer des habiletés de coopération et d’entraide qui seront réinvesties en clinique dans une équipe interdisciplinaire.

Cet article décrit les stratégies utilisées par les étudiants durant le travail de groupe d’un tutorat en soins infirmiers. Dans un premier temps, il sera question de la problématique soulevée par l’utilisation d’une approche d’enseignement dite novatrice, au Québec, en soins infirmiers, puis du cadre conceptuel sur lequel s’appuie la recherche et de la recension des écrits. Par la suite, la méthodologie utilisée sera abordée. Enfin, les principaux résultats seront présentés, discutés et de nouvelles pistes de recherche seront suggérées.

Problématique, cadre conceptuel et recension des écrits

Dans cette section, nous précisons les vertus attribuées à la méthode d’apprentissage par problèmes (APP), définissons ses modalités dans un contexte collégial, décrivons le tutorat et les stratégies d’apprentissage qui lui sont liées. Enfin, nous précisons le cadre conceptuel utilisé pour définir les stratégies d’apprentissage favorisant un traitement en profondeur de l’information et proposons une recension des recherches qui apportent un éclairage sur les stratégies utilisées en APP.

Les vertus attribuées à la méthode d’apprentissage par problèmes

En choisissant de transformer le curriculum d’enseignement en apprentissage par problèmes (APP), les enseignantes de soins infirmiers se sont référées à des études qui attribuent à la méthode de nombreux avantages. Ainsi, l’APP devrait inciter les étudiants à développer des habiletés d’autoapprentissage (Dolmans et collab., 1997 ; Biley et Smith, 1998 ; Savin-Baden, 2000), à améliorer l’utilisation des connaissance adaptées à la situation (Glenn et Wilkie, 2000 ; Myers et Distlehorst, 2000), à développer des habiletés telles que la souplesse, l’adaptabilité, la résolution de problème et la pensée critique (Glasgow, 1997) ainsi qu’à opter pour des stratégies d’apprentissage qui favorisent la rétention et l’intégration des connaissances (Dumais, Desmarchais, 1996 ; Soukini et Fortier, 1999).

L’apprentissage par problèmes au CVM : variations sur un même thème

Dans un document du département de soins infirmiers du CVM : L’apprentissage par problèmes (2001), l’APP est définie comme […] une approche pédagogique qui utilise le contexte de problèmes de santé relevant des soins infirmiers pour développer des habiletés de résolution de problèmes et asseoir solidement les connaissances scientifiques théoriques et cliniques nécessaires à l’exercice de la profession infirmière (p. 3).

Cette approche se traduit différemment selon les contextes. En examinant la façon dont les tutorats sont conçus, plusieurs chercheurs (Charlin, Mann et Hansen, 1998 ; Harden et Davis, 1998 ; Savin-Baden, 2000 ; Myers et Distlehorst, 2000) ont identifié des modèles d’APP qui se distinguent par le format des problèmes présentés, la présence ou non d’un tuteur, la directivité ou non du processus, le nombre d’étudiants par groupe et les finalités poursuivies selon la discipline enseignée. De plus, une méthode d’apprentissage se réalise dans un contexte et avec des enseignants qui ont un bagage pédagogique antérieur et qui ajustent leur méthode en fonction des résultats concernant l’apprentissage de leurs étudiants. Par souci de rigueur, le tutorat en APP, tel qu’il a été appliqué au CVM, est maintenant décrit.

La description du tutorat

Un tutorat en apprentissage par problèmes consiste en l’étude des concepts nécessaires pour comprendre les fondements de l’intervention dans une situation de soins infirmiers. Dans les tutorats du CVM, c’est la professeure-tutrice qui assume le rôle d’animation des groupes d’étudiantes.

En phase un ou phase de découverte du problème, le groupe de 8 à 11 étudiantes reçoit, sur format papier, un problème ou une situation infirmière. Imaginons par exemple l’histoire d’une dame âgée, située dans un contexte, nécessitant des soins après une intervention chirurgicale à la hanche. Trois rôles spécifiques sont assignés aux étudiantes du groupe : le rôle de scribe, de secrétaire et d’intendante. L’intendante est responsable du climat du groupe et des relations entre le groupe et la professeure. Lors de la phase de découverte du problème, la secrétaire écrit au tableau les concepts identifiés par le groupe et le scribe retranscrit sur une feuille les données du tableau. Par exemple, la secrétaire écrit : dame de 65 ans, non soulagée par les analgésiques, anxieuse, etc. Les étudiantes réfléchissent à voix haute sur les liens entre les données et sur l’élaboration d’hypothèses en regard d’un problème de soins infirmiers. Ici, les étudiantes pourraient se demander s’il existe un lien entre l’anxiété et le soulagement de la douleur. Cette phase fait appel principalement aux connaissances antérieures de l’élève. À la fin de la phase de découverte du problème, le scribe procure une copie des notes manuscrites aux autres membres du groupe.

Lors de la phase deux ou phase d’élaboration ou d’organisation des connaissances, les étudiantes travaillent seules, effectuent les lectures demandées à l’aide des objectifs d’études et réalisent un schéma de concepts. Lors de la phase trois ou phase de validation des connaissances, les membres du groupe se rencontrent à nouveau, confirment, complètent ou infirment les hypothèses développées avant l’étude en se servant des connaissances acquises durant l’étude.

Le rôle de la tutrice-professeure est central dans le processus d’apprentissage lors des séances de groupe du tutorat (phase un et phase trois). De fait, les questions qui seront posées par la tutrice pour amener une clarification, émettre des doutes ou proposer un argument, détermineront, en partie, les stratégies mobilisées par les étudiantes pour réaliser un apprentissage en profondeur.

Cadre conceptuel

Les stratégies d’apprentissage selon les phases du tutorat

Plusieurs auteurs (Barbeau, Montini et Roy, 1997 ; Boulet, Savoie-Zajc et Chevrier, 1996 ; Saint-Pierre, 1991), à la suite des travaux de certains précurseurs comme O’Neil (1978), Schmeck (1988) ou Weinstein et Mayer (1986), reconnaissent quatre catégories de stratégies d’apprentissage : les stratégies cognitives, métacognitives, affectives et les stratégies de gestion des ressources. Les stratégies cognitives concernent les actions posées en vue de réaliser la tâche. Selon les choix qu’elle opère, l’étudiante utilisera davantage des stratégies cognitives qui font appel à la mémorisation ou à la répétition ou bien elle mettra plus souvent de l’avant des stratégies d’élaboration, d’organisation, de généralisation ou de discrimination. Les stratégies métacognitives font référence aux jugements et aux actes indiquant que l’élève évalue ses manières d’apprendre ainsi que les apprentissages réalisés et planifie les actions à faire pour accomplir une tâche ou modifier des stratégies inefficaces. Les stratégies affectives ont trait aux actions déployées pour créer un climat affectif propice à l’apprentissage. Enfin, les stratégies de gestion des ressources regroupent les actions visant à maximiser l’utilisation des ressources temporelles, matérielles, humaines et environnementales de façon à créer des conditions favorables à l’apprentissage.

En APP, chacune des phases du tutorat fait appel à des stratégies d’apprentissage spécifiques. Le Tableau 1, inspiré de Soukini et Fortier (1999), établit une correspondance entre les tâches réalisées par les étudiants et les stratégies d’apprentissage que ces tâches pourraient solliciter. Dans ce tableau, la phase un du tutorat implique des stratégies cognitives de mémorisation lorsque l’étudiant repère, dans le texte, les mots de vocabulaire ou les indices lui permettant de se souvenir de la situation clinique ; des stratégies d’élaboration lorsque l’étudiant énonce des éléments de connaissances antérieures qui ajoutent quelque chose à la compréhension commune, et des stratégies d’organisation, lorsqu’il identifie des regroupements de données autour de concepts. La phase deux sollicite davantage des stratégies d’élaboration et d’organisation, puisque l’étudiant doit produire dans ses mots des connaissances organisées sous la forme d’un schéma de concepts. Le fait de devoir organiser seul son étude, de maintenir sa motivation et de réfléchir sur la meilleure manière de produire un schéma de concepts, implique les catégories de stratégies affectives et de gestion. Enfin, la phase trois fait surtout appel aux stratégies de généralisation et de discrimination puisque le tuteur doit amener les étudiants à revenir au problème à l’étude à partir des connaissances générales qu’ils ont acquises, puis à les utiliser judicieusement dans d’autres situations. Pour toutes les phases du tutorat, Soukini et Fortier (1999) estiment que la catégorie des stratégies métacognitives est sollicitée, puisque le regard réflexif de l’étudiant sur ses manières d’apprendre est nécessaire pour juger des objectifs d’étude, pour organiser la production du schéma de concepts, et enfin pour évaluer les apprentissages réalisés.

Tableau 1

Tâches d’apprentissage selon les phases et les étapes du tutorat ainsi que les stratégies d’apprentissage possiblement impliquées (inspiré de Soukini et Fortier, 1999)

Tâches d’apprentissage selon les phases et les étapes du tutorat ainsi que les stratégies d’apprentissage possiblement impliquées (inspiré de Soukini et Fortier, 1999)

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Comme les tutrices-enseignantes ont à mobiliser des stratégies d’apprentissage chez les étudiantes, notre étude vise à décrire finement les stratégies utilisées par les étudiantes lors du travail de groupe et à évaluer si ces stratégies conduisent à un traitement plus en profondeur de l’apprentissage.

Stratégies d’apprentissage et approche en profondeur de l’apprentissage

Les quatre catégories de stratégies d’apprentissage : métacognitives, affectives, cognitives et de gestion ne font pas appel aux mêmes pensées ni aux mêmes comportements, actions ou procédures, si l’approche d’apprentissage de l’étudiant est en surface ou en profondeur (Marton et Säljo, 1976 ; Entwistle, 1988 ; Romano, 1991), et si le contexte d’apprentissage (Weinsten et Hume, 1998) ou les exigences d’évaluation (Watkins, 1984) motivent le choix de l’une ou l’autre approche. Pour que l’apprentissage soit fait en profondeur, il doit résulter de la mise en relation des connaissances déjà existantes avec les nouvelles. Dans une approche en surface, les étudiants reproduisent les faits et répondent aux exigences extérieures sans s’investir dans l’apprentissage. Sur le plan cognitif, les stratégies de mémorisation, de rappel ou de répétition ne sollicitent pas les connaissances antérieures et les connaissances nouvelles ne sont pas reliées entre elles.

Recension des écrits

Les effets de l’apprentissage par problèmes sur le développement de stratégies conduisant à un apprentissage en profondeur : des recherches nuancées

Plusieurs recherches militent en faveur d’une approche plus en profondeur de l’apprentissage dans une méthode d’APP. À la suite d’une revue critique d’études, Blumberg (2000) fait ressortir que les étudiants en APP utilisent plus efficacement les ressources et font davantage de lectures complémentaires que les étudiants qui suivent un curriculum traditionnel, suggérant ainsi un apprentissage plus en profondeur des étudiants en APP. De leur côté, Barrow, Lyte et Butterworth (2002) ont procédé à une étude qualitative auprès de 31 étudiantes inscrites en sciences infirmières. Cette étude révèle que les étudiantes recourent davantage à des stratégies métacognitives et de raisonnement clinique à la fin de la 2e année du programme que les étudiantes en début de 2e année. Au Québec, l’étude quantitative de Cossette, McClisch et Ostiguy (2004) démontre que l’intérêt et la participation, le recours aux stratégies de traitement en profondeur de l’information, le nombre de stratégies de gestion et de stratégies métacognitives sont, dans le groupe expérimental en APP, supérieur au groupe témoin. Trois méta-analyses, celles d’Albanese et Mitchell (1993), de Vernon et Blake (1993), de Docchy et ses collègues (2003) soutiennent que les étudiants en APP étudient davantage pour une compréhension à long terme que pour une compréhension à court terme et retiennent mieux les connaissances acquises que les étudiants qui suivent des cursus traditionnels.

Toutefois, d’autres recherches mènent à des résultats divergents. Une étude comparative menée par Eck (2002) conclut qu’il n’y a pas de différence significative entre les groupes traditionnels et les groupes en APP en ce qui a trait au développement de stratégies cognitives d’élaboration. Au Québec, Soukini et Fortier (1995) ont étudié les effets de l’APP sur le développement de la pensée formelle et la réussite aux examens nationaux sans trouver de différences significatives entre le groupe formé en APP et le groupe formé traditionnellement. De son côté, Cartier (1997) a étudié les stratégies de lecture de six étudiants en médecine dans un curriculum d’APP, et l’analyse montre que ceux-ci utilisent peu de stratégies favorisant un traitement en profondeur de l’information. Dans le même sens, la méta- analyse de Leclercq et Dan der Cleuton (1998) portant sur l’APP en médecine présente des résultats mitigés et souligne la difficulté de réaliser une synthèse d’études à partir de variables et d’instruments de mesure peu comparables.

Quelques recherches qualitatives sondent la satisfaction des étudiants au programme d’APP et révèlent une forte appréciation de ces programmes par les étudiants (Cantin, Lacasse et Roy, 1996 ; Aspergen, Bomqvist et Borgstrom, 1998 ; Savin-Baden, 2000 ; Eck, 2002 ; Mauffette et Poliquin, 2002). À notre connaissance, deux études seulement se sont attardées au travail de groupe. En observant le groupe de travail en APP, Duek (2000) montre que la participation des étudiants varie selon leur origine ethnique. Par ailleurs, les observations de Schmidt et Moust (2000) indiquent que l’apprentissage autour d’un problème favorise l’élaboration des connaissances et que les discussions du groupe sont plus déterminantes sur la modification des conceptions que les lectures qui vont suivre.

C’est dans ce contexte que la question suivante est posée : Quelles sont les stratégies utilisées par les étudiantes en soins infirmiers du collégial formées en apprentissage par problèmes durant le tutorat ? La réponse à cette question donnera accès au matériel permettant de répondre à la question secondaire suivante : Quelle est la part respective des stratégies favorisant un apprentissage en surface ou en profondeur dans les stratégies utilisées par les étudiantes ?

Une telle recherche permet de mesurer, au plan des individus, les retombées de la méthode sur les habitudes de travail des étudiantes lorsqu’elles sont en groupe, d’identifier éventuellement les failles dans l’implantation de la méthode et de corriger les erreurs de parcours. Aussi, la recherche adopte une position originale au regard du concept d’approche en surface et en profondeur en considérant non seulement les actions cognitives de traitement en profondeur de l’information posées par les étudiantes, mais aussi les actions qui soutiennent indirectement le recours à de telles stratégies cognitives, soit les actions qui dérivent des stratégies métacognitives, affectives et de gestion des ressources.

Méthodologie

Cette étude qualitative introduit un élément d’exploration puisqu’il s’agit d’examiner, à partir des déclarations des étudiantes, comment les stratégies d’apprentissage se traduisent par une action.

La population est celle des 101 étudiantes inscrites en soins infirmiers au Cégep du Vieux-Montréal à l’automne 2003. De ce nombre, 31 étudiantes, dont les noms ont été pigés au hasard, ont été sélectionnées. L’étude des stratégies utilisées par les étudiantes durant le travail de groupe s’est inscrite dans une recherche plus large incluant les stratégies utilisées lors de l’étude personnelle. Dans ce cadre, la voie de l’observation n’a pas été retenue en raison, notamment, de la difficulté d’observer les élèves chez elles, au moment du travail personnel. Durant l’entretien, la chercheuse avait en main le questionnaire d’entrevue, le problème, les livres nécessaires à l’étude et le schéma de concepts produit par l’étudiante dans ce tutorat. Les étudiantes avaient avec elles leurs notes de lecture et leur autoévaluation au tutorat.

Le tutorat retenu aborde le concept d’incontinence urinaire. Ce thème stimule la formulation de plusieurs hypothèses infirmières en phase 1 et présente un défi pour la schématisation, puisque l’élève doit identifier les données essentielles pour distinguer chacun des types d’incontinence et classer les interventions selon qu’elles sont générales ou spécifiques.

Un questionnaire semi-structuré a été conçu et comporte quatre éléments : l’introduction, les stratégies cognitives, affectives, métacognitives durant la phase 1 et la phase 3 du tutorat. Les questions posées sont précises, destinées à faire émerger des actions dans chaque catégorie de stratégies recensées, mais suffisamment souples pour faire ressortir les stratégies originales mises en oeuvre par les étudiantes. Par exemple : Indique-moi ce que tu as fait dans la phase 3 du tutorat ? Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais améliorer dans ta participation à la phase un du tutorat parce que ça t’aiderait à apprendre ? Une première version du questionnaire a été validée auprès de quatre étudiantes de la population des étudiantes inscrites en soins infirmiers au CVM à l’automne 2003. Les questions destinées à explorer les stratégies de gestion des ressources et les stratégies affectives ont donné lieu à des réponses vagues. Devant ce constat, les questions portant sur les stratégies de gestion des ressources et les stratégies affectives ont été précisées. Par exemple, une question générale qui demandait à l’étudiante de décrire les sentiments éprouvés lors du travail de groupe a été remplacée par une série de questions plus fermées : Le climat de travail dans le groupe était-il bon ? Toi, étais-tu intéressée par ce tutorat ? Une deuxième version du questionnaire a été administrée à deux étudiantes et a permis d’obtenir une description satisfaisante de leurs stratégies d’apprentissage.

La grille de codage incluant les catégories de stratégies ainsi que les stratégies associées retenues à la suite de la recherche documentaire a été élaborée. Par la suite, les données transcrites des entrevues ont été classées selon les stratégies retenues ; par exemple, les stratégies de mémorisation, d’élaboration, d’organisation et de généralisation pour la catégorie des stratégies cognitives. Comme nous étions à la recherche des actions mises en oeuvre par les étudiantes pour réaliser les apprentissages, nous avons, de façon inductive, enrichi cette grille des actions stratégiques répertoriées à travers les entrevues. Les démarches proposées par Miles et Huberman (2003) sur le contenu écrit ont été suivies : sélection des données pertinentes pour chaque entrevue, identification des unités de sens, classement des unités de sens dans chaque catégorie de stratégies sous la stratégie qu’elle mobilise, regroupement des unités de sens selon des thèmes communs, en l’occurrence les actions stratégiques. Selon des méthodologues reconnus (Bardin, 1993 ; Huberman et Miles, 2003 ; Van der Maren, 1995), l’analyse qualitative de contenu admet tout à fait la quantification de regroupements d’unités de sens lorsque celle-ci permet de décrire les tendances dans le comportement des élèves. Après le codage qualitatif des unités de sens, une version quantifiée de la grille a été produite pour faciliter le calcul de la fréquence des actions. Un exemple de la grille de codage qualitative des entrevues de la 1re session pour les stratégies cognitives en phase 1 et de sa version quantifiée est présenté à l’annexe 1. Un accord autant interjuges qu’intrajuges supérieur à 80 % a été obtenu, ce qui témoigne de la validité de l’analyse, et de catégories relativement homogènes, exhaustives, exclusives, objectives et pertinentes (Van der Maren, 1995). La confidentialité et l’anonymat des sujets ont été garantis.

Résultats

Durant le travail de groupe, les étudiantes font appel à des stratégies cognitives, métacognitives et affectives. Étant donné que les activités réalisées par les étudiantes pour chacune des catégories de stratégies s’apparentent durant les deux phases, elles seront traitées conjointement.

Des stratégies cognitives surtout en surface

Le Tableau 2 illustre les actions cognitives déclarées par les étudiantes durant le travail de groupe. Notons que les stratégies d’organisation des connaissances n’ont pas été sollicitées lors du travail de groupe, alors qu’elles sont davantage au coeur du travail personnel. Bien que le recours aux stratégies de généralisation et de discrimination ait été prévu à la phase 3 du tutorat, les étudiantes ne mentionnent pas avoir identifié des exemples ou des contre-exemples au problème présenté au départ, malgré la consigne donnée aux tutrices de procéder à des allers-retours entre des mises en contexte variées et la généralisation des connaissances. En examinant le nombre d’étudiantes qui déclarent des stratégies de mémorisation ou d’élaboration, on constate que celles-ci sont plus nombreuses à déclarer des stratégies de mémorisation que des stratégies d’élaboration, autant à la phase 1 qu’à la phase 3 du travail de groupe.

La quasi-totalité des étudiantes sélectionnent les mots clés du problème (30/31) en surlignant les indices, énoncent des indices en phase 1 (27/31) ou des connaissances en phase 3 (23/31) et écoutent les autres en phase 1 (21/31) et en phase 3 (24/31). On remarque que certaines étudiantes, en phase 3, sélectionnent les mots clés des objectifs d’apprentissage. Elles sont peu nombreuses (4/31), étant donné que la période d’exploration du problème est terminée. Environ la moitié d’entre elles prennent des notes en phase 1 (16/31) alors que la presque totalité des étudiantes prennent des notes en phase 3 (28/31). Il est intéressant de noter que les étudiantes sont invitées à ne pas prendre de notes en phase 1 pour s’engager pleinement dans le tutorat. La tâche de la prise de notes est dévolue au scribe. Comme on pouvait s’y attendre, les étudiantes n’écoutent pas à l’aveuglette les directives données par les enseignantes, mais jugent de leur pertinence. Mention-nons, à titre d’exemple, cet extrait d’entretien :

Si il y a quelque chose où je me dis que c’est vraiment important, je vais prendre un papier et je vais l’écrire pour être sûre de ne pas l’oublier. Le scribe est là mais c’est quand même mieux quand on se l’écrit nous-même. S1

Tableau 2

Nombre d’étudiantes déclarant les actions stratégiques cognitives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

Nombre d’étudiantes déclarant les actions stratégiques cognitives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

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En contrepartie, les étudiantes sont moins nombreuses à déclarer des stratégies d’élaboration que des stratégies de mémorisation. Environ la moitié d’entre elles formulent des questions sur les données du problème (16/31) et énoncent une connaissance ou une expérience antérieure en phase 1 (12/31). Par contre, le nombre d’étudiantes qui énoncent une connaissance reliée à une expérience de vie ou de travail chute en phase 3 (3/31). En étudiant les transcriptions des entretiens, on constate que les étudiantes éprouvent des difficultés à s’exprimer sur les liens réalisés entre ce qu’elles ont appris et des situations de vie ou de travail de peur d’être jugées négativement durant la phase 3. En phase 1, le droit à l’erreur est reconnu, étant donné que les connaissances ne sont pas encore acquises. Par conséquent, il est admis de prendre le risque de se tromper.

Enfin, peu d’entre elles discutent des hypothèses ou des connaissances acquises en phase 3 (7/31), malgré les consignes données par les enseignantes et la formation préalable reçue en APP. La discussion est une action cognitive peu développée chez les étudiantes. Ici encore, la peur que d’autres étudiantes discutent de la valeur des hypothèses soumises est peut-être suffisante pour éliminer toute tentative d’énonciation qui déborde du cadre du problème soumis. Les propos de cette étudiante au sujet de la phase 3 sont éloquents :

Je n’ai pas confiance en mes réponses alors c’est pas moi qui va aller se mettre la corde au cou. Si le professeur me demande qu’est-ce que tu veux dire par là, c’est fini, elle va me perdre. Je peux perdre toute ma concentration pour le reste du cours puis me demander qu’est-ce que j’aurais dû dire donc je suis mieux de ne pas m’embarquer. S17

En somme, les stratégies de mémorisation sont davantage utilisées que les stratégies d’élaboration durant le travail de groupe.

Des stratégies métacognitives diversifiées

En ce qui a trait aux stratégies métacognitives, les objectifs étaient de déterminer si les étudiantes posaient un regard critique sur leur manière d’apprendre et modifiaient ou conservaient leurs stratégies en conséquence. Ces résultats devront être interprétés avec prudence, car il est probable que l’activité métacognitive ait été stimulée par l’entrevue, ce qui introduit un biais. Le Tableau 3 met en lumière les actions métacognitives de chacune des stratégies déclarées par les étudiantes durant le travail de groupe.

Tableau 3

Nombre d’étudiantes déclarant les actions stratégiques métacognitives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

Nombre d’étudiantes déclarant les actions stratégiques métacognitives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

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Bien que les questions ouvertes posées lors de l’entretien aient incité les étudiantes à exercer des activités de métacognition, six étudiantes n’ont exprimé aucune autoévaluation de soi, aucun jugement sur leur manière d’apprendre ni sur la tâche d’apprentissage en phase 1. Elles étaient treize étudiantes à ne déclarer aucune stratégie d’autoévaluation en phase 3. Enfin, des étudiantes se répartissent également selon qu’elles veulent modifier ou non leur manière d’apprendre.

Lors des entretiens, les étudiantes ont formulé des suggestions sur les améliorations qu’elles souhaitaient apporter à leur participation durant le travail de groupe. Les réponses obtenues à cette question ont été réparties en trois sous- catégories : l’autoévaluation de soi, l’autoévaluation sur son habileté à réaliser la tâche à accomplir ou encore l’autoévaluation plus générale sur les manières d’apprendre.

Tableau 4

Nombre d'étudiantes déclarant les actions stratégiques affectives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

Nombre d'étudiantes déclarant les actions stratégiques affectives répertoriées en phase 1 (P1) et 3 (P3) du tutorat (N = 31)

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L’autoévaluation de soi

Au total, 12 étudiantes ont énoncé une évaluation de leurs compétences en phase 1 du tutorat alors qu’elles étaient 10 en phase 3 à livrer leurs commentaires. Cette autoévaluation est fréquemment négative durant le travail de groupe. Les expressions négatives de soi qui sont récurrentes, à l’analyse de contenu, sont la gêne et l’insécurité :

J’ai peur de dire des niaiseries. Des fois, le professeur va poser une question au groupe, je sais la réponse mais je le dirai pas par timidité. S29, phase 1
Je suis un peu gênée. J’ai toujours l’impression que si je réponds de quoi que ce ne sera peut-être pas bon donc je le dis pas. S15, phase 1
Je discute à côté avec des collègues, une à trois, mais je suis bien trop gênée pour parler devant le groupe. S23, phase 3
Je sais souvent la bonne réponse mais j’ose pas le dire. Je suis gênée. Si j’avais pas la bonne réponse, j’aimerais pas ça. S25, phase 3

En somme, il s’agit d’une disposition affective qui peut être un des facteurs inhibant les actions cognitives attendues durant le travail de groupe, telle la formulation de questions ou la discussion.

Par ailleurs, près de la moitié des étudiantes énoncent des jugements géné- raux sur leur manière d’apprendre en phase 1 (15/31) et le quart des étudiantes en phase 3 (8/31). Les étudiantes relient le fait de parler, interagir, discuter, participer, jouer un des rôles du tutorat, à la rétention de la matière, à la compréhension et l’augmentation de leurs connaissances. Voici des extraits d’entretiens pour appuyer cette affirmation :

Je parle parce que je suis préposée aux bénéficiaires et ça m’aide beaucoup. Il y a des choses que je sais, alors j’essaie de les dire. S11

Apporter ses expériences personnelles, écouter celles des autres, ça apporte d’autres petits indices. Ça apporte beaucoup de voir ce que les autres pensent par rapport au problème. S19

Enfin, quelques étudiantes soulignent que l’utilisation de l’expérience personnelle de chacun des membres du tutorat aide à apprendre. En définitive, le jugement général que les étudiantes posent sur leur manière d’apprendre met l’accent sur les activités impliquant une interaction, malgré leur faible utilisation de stratégies cognitives d’élaboration en phase 1 du tutorat. Ces extraits illustrent bien l’importance de l’interaction du point de vue des étudiantes :

Apporter ses expériences personnelles, écouter celles des autres, ça apporte d’autres petits indices… S19, phase 1

Il y en a qui pensent à quelque chose puis là on s’obstine… c’est comme ça qu’on apprend. S11, phase 1

Enfin, l’analyse détaillée des réponses fournies par les étudiantes montre que la plupart d’entre elles rapportent des difficultés à cibler ou à énoncer des indices lors de la lecture du problème, à poser des questions afin de construire leurs connaissances, puis à suivre le déroulement du tutorat. En phase 3, les étudiantes mentionnent surtout leur difficulté à comprendre et à retenir tout ce qui est dit.

La description des actions souhaitées par les étudiantes pour améliorer leur compétence durant le travail ne permet pas d’affirmer que les changements ont été réellement effectués[2]. Le tiers des étudiantes souhaitent modifier leurs stratégies d’apprentissage durant le travail de groupe (11/31), alors que les deux autres tiers veulent maintenir leurs stratégies actuelles (17/31). En regardant de plus près les améliorations souhaitées, il ressort que les étudiantes veulent principalement augmenter leur implication et s’exprimer davantage en diminuant leur timidité durant le travail de groupe.

Les propos des étudiantes suivent un parcours logique. Elles présument que les stratégies d’élaboration sont importantes pour comprendre et retenir l’information, mais les utilisent peu parce qu’elles ont peur d’être ridicules. Par conséquent, le tiers des étudiantes veulent améliorer leur implication et diminuer leur timidité. Un des sujets s’exprime dans les termes suivants :

Ce serait mieux si je participais plus. Je suis un peu gênée. J’ai toujours l’impression que si je réponds de quoi, ce ne sera pas bon, fait que je ne le dis pas. Je voudrais plus m’exprimer. S15

Des stratégies affectives pour maintenir l’intérêt et l’attention

La catégorie des stratégies affectives inclut les stratégies visant à maintenir l’intérêt, soutenir l’attention et gérer les émotions durant le travail de groupe. Tout d’abord, les étudiantes ont été amenées à qualifier le climat du tutorat ainsi que leur intérêt pour le thème abordé. Les résultats du Tableau 4 font voir que la plupart des étudiantes déclarent que le climat de travail en groupe est satisfaisant (26/31) alors qu’une minorité juge qu’il est insatisfaisant. Pour ce qui est de l’intérêt porté au thème abordé durant le tutorat, la majorité des étudiantes se sont dit très intéressées ou intéressées par le sujet du tutorat (20/31), alors que le tiers n’a pas trouvé d’intérêt au sujet abordé durant le tutorat. Au total, 16 étudiantes déclarent soit un climat de travail insatisfaisant, soit l’absence d’intérêt pour le contenu du tutorat. Ces étudiantes insatisfaites tentent de se trouver des moyens afin de maintenir leur intérêt et leur attention durant le travail de groupe. Le moyen le plus fréquemment utilisé est le contrôle du langage interne (11/16). Les étudiantes se parlent et font un effort conscient pour demeurer impliquées durant le tutorat.

Finalement, la catégorie des stratégies de gestion n’est pas abordée durant le travail de groupe, puisque la marge d’autonomie de l’étudiante est faible : elle n’a pas à organiser son temps ni à choisir le matériel à apporter.

Discussion

Avant de s’engager dans une discussion sur le peu d’utilisation des stratégies de traitement en profondeur de l’information, il est opportun de situer à nouveau le contexte de cette étude. Dans la recension des écrits, il a été mentionné que certaines recherches qui comparent les stratégies déclarées par les étudiants dans un curriculum d’APP et celles d’un curriculum conventionnel, à l’aide des mêmes indicateurs, attestent que les étudiants en APP utilisent davantage une approche en profondeur (Blumberg, 2000 ; Cossette, McClish et Ostiguy, 2004 ; Docchy et collab., 2003 ; Hmelo, 1998). L’objet de cette étude est de décrire finement les stratégies d’une cohorte d’étudiantes en APP sans que celle-ci soit comparée à la cohorte d’autres étudiants. Le premier constat de l’examen des données informe que les étudiantes en APP sont plus enclines à utiliser des stratégies de mémorisation durant le travail de groupe que des stratégies d’élaboration, de généralisation ou de discrimination.

Comment peut-on expliquer cette situation ? Selon Weinstein et Hume (1998), l’utilisation d’une approche en surface ou en profondeur dépend du contexte d’apprentissage. Ici, en principe, le contexte est favorable puisque la méthode d’APP est réputée induire à chacune de ses phases des stratégies d’élaboration, d’organisation ainsi qu’un plus grand engagement dans les études (Soukini et Fortier, 1999). Toutefois, le contexte d’APP, comme le souligne Maudsley (1999), peut masquer des pratiques pédagogiques où l’enseignant donne un enseignement conventionnel ou encore escamote des étapes du tutorat. À cet égard, le compte rendu d’une réunion du comité interdisciplinaire, tenue à l’automne 2002 au Cégep du Vieux- Montréal permettait de constater certaines limites reliées au contexte du tutorat : le peu de temps consacré à la phase 1 ne permettait pas toujours de stimuler les étudiantes à énoncer leurs connaissances antérieures et, à la phase 3, d’appliquer les connaissances acquises à d’autres situations. Enfin, une étude de Laurillard (1984) rapportée par Ramsden (1988), mentionne que l’utilisation d’une approche plutôt qu’une autre dépend de la perception et de l’interprétation que les étudiants lui attribuent. Durant les entrevues, certaines étudiantes ne saisissent pas la pertinence des rencontres de groupe. Celles-ci ne comprennent pas les raisons de lire et réfléchir en groupe sur le problème et considèrent le retour de la phase 3 comme une vérification de leurs connaissances auprès du professeur. Par conséquent, ces étudiantes s’engagent peu dans les tâches d’apprentissage du groupe.

Le deuxième constat est qu’une minorité d’étudiantes déclarent des jugements sur ce qu’elles font durant le travail de groupe. Les étudiantes sont possiblement moins familiarisées, non pas à produire des travaux de groupe, mais à considérer le groupe comme un lieu d’apprentissage pour élaborer, organiser, discriminer et généraliser ses connaissances.

Ainsi, lorsque l’étudiante pose un jugement sur sa capacité à réaliser la tâche, elle a une perception plutôt négative de sa performance. L’étudiante a peu de repères lui permettant de s’autoévaluer et n’a pas le sentiment d’avoir, au fil des ans et des scolarisations antérieures, développé des habiletés, voire maîtrisé certaines actions d’apprentissage. En conséquence, elle éprouve des difficultés à jauger ses capacités dans des situations de groupe où les repères familiers sont absents. De plus, on se rappellera que les étudiantes donnent de la valeur à l’interaction comme source d’apprentissage en même temps qu’elles éprouvent des difficultés à interagir, contribuant ainsi à une évaluation négative de leur compétence. Ces réflexions requièrent l’examen des pratiques entourant l’APP afin de stimuler l’utilisation d’une approche en profondeur de l’apprentissage et de rehausser l’estime de soi.

Recommandations sur la pratique de l’enseignement

D’abord, l’utilisation plus courante de stratégies en surface plutôt qu’en profon- deur pose des questions sur le rôle des tutrices. La tutrice utilise-t-elle suffisam-ment les connaissances antérieures des étudiantes lors de la phase 1 du tutorat ? Permet-elle aux étudiantes d’appliquer les connaissances acquises en présentant de nouvelles situations en phase 3 ? Pose-t-elle les questions appropriées ? Demande-t-elle aux étudiantes d’expliciter leurs stratégies ? Mise-t-elle sur l’identité professionnelle et l’engagement des étudiantes dans la profession d’infirmière pour que les connaissances acquises en tutorat soient réinvesties en milieu clinique ?

Ensuite, l’évaluation négative que les étudiantes font de leurs habiletés durant le travail de groupe invite à de nombreux questionnements. Comment seraient-elles plus à l’aise durant le travail de groupe ? Comment pourraient-elles, en plus grand nombre, expliciter ce qu’elles font ? On peut penser, à l’instar de Morales-Mann et Kaitell (2001), qu’en augmentant les habiletés de communication durant le travail de groupe, les étudiantes feront une évaluation plus positive d’elles-mêmes.

Si les enseignants de l’Université de Sherbrooke en médecine classent au premier rang de leurs fonctions la tâche de faciliter le fonctionnement du petit groupe (Chaput et Des Marchais, 1996), les enseignantes du programme de soins infir-miers ont un défi qui consiste à soutenir les étudiantes qui se sentent malhabiles durant les activités de groupe. À ce sujet, Jones (2002) identifie cinq critères de fonctionne-ment d’un groupe en APP afin d’assurer sa réussite : le développement de l’interdépendance entre les membres du groupe, de la responsabilité individuelle, de l’interaction centrée sur la tâche, des habiletés sociales favorisant la collaboration et enfin de la capacité d’analyse critique du processus de groupe. À l’instar de Savin-Baden (2003), les habiletés pédagogiques et les attitudes de la tutrice sont cruciales. Ses capacités à centrer les interventions des étudiantes sur le problème, à entendre chacune des étudiantes, à encourager la confrontation respectueuse des idées, à reproduire le travail d’équipe exigé dans la profession d’infirmière, à démontrer que le travail de groupe est un maillon essentiel au traitement en profondeur des informations, sont autant de manières d’amener les étudiantes à considérer le groupe comme un outil pour développer leurs connaissances et leur estime d’elles-mêmes.

D’ailleurs, dans l’immédiat, un programme structuré d’aide aux enseignantes sur des manières de susciter l’utilisation de stratégies en profondeur de l’apprentissage et sur le fonctionnement de groupe est en cours d’élaboration.

Les limites de la recherche

La première limite est liée à la méthode de collecte des données. L’entretien permet d’accéder aux processus d’apprentissage rapportés par les étudiantes, de les approfondir et de les clarifier mais, en revanche, ce choix présente des risques dans la mesure où la chercheuse risque de donner des indices d’encouragement lorsque les propos de l’élève confirment ses attentes. La deuxième limite tient au fait que les données recueillies lors des entrevues sont rétrospectives. Les étudiantes ne rapportent que ce dont elles se souviennent et dont elles ont pris conscience au moment de l’entrevue. Des précautions ont été déployées pour limiter ces biais : prise de conscience du langage non verbal et recours à plusieurs instruments de rappel pour améliorer la restitution des activités réalisées lors du travail de groupe.

Les suites de la recherche

Les recherches sur les stratégies d’apprentissage impliquées durant le travail de groupe demeurent à réaliser. Nous envisageons trois champs de recherche autour du concept de stratégies d’apprentissage. Le premier consiste en l’observation du travail de groupe afin de préciser les actions effectuées par les étudiantes dans chacune des catégories de stratégies, le deuxième en l’observation des tutrices et de leurs manières de susciter l’apprentissage des étudiantes, et enfin, le troisième, en l’interrogation des étudiantes sur leurs manières de travailler afin de développer un corpus de connaissances sur les stratégies utilisées durant le travail de groupe. Éventuellement, cette connaissance fine permettra de traduire les activités des étudiants en APP sur des échelles de mesures permettant de comparer l’intensité de l’utilisation de stratégies avec la réussite scolaire.