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1. Introduction

À l’aube du XXIe siècle, il est devenu essentiel que les jeunes acquièrent une formation scientifique de base, que ce soit en vue de s’intégrer à une société de plus en plus dominée par les sciences et les technologies ou de poursuivre des études dans un domaine scientifique, technique ou autre.

En premier lieu, une formation scientifique de base est indispensable à la compréhension de multiples phénomènes naturels et construits avec lesquels les jeunes sont quotidiennement en interaction. En effet, il est important que ces jeunes, confrontés à certaines situations de la vie quotidienne, puissent poser des gestes destinés à assurer leur sécurité et à protéger leur santé, et, dans certains cas, leur vie. C’est grâce à une formation scientifique que nos futurs citoyens pourront effectuer des choix éclairés de consommation, utiliser en toute sécurité les nombreux appareils de la vie courante basés sur des principes scientifiques ou techniques, comprendre l’information à caractère scientifique ou technique véhiculée dans les médias, et participer aux débats de société (Fourez, 1988 ; Milner, 2004).

En second lieu, une formation scientifique de base incitera sans doute un plus grand nombre de jeunes à choisir des études spécialisées dans les domaines scientifiques ou techniques qui exercent de moins en moins d’attraits sur eux (Bell, 2003). En outre, une bonne formation scientifique faciliterait la poursuite des études dans les programmes scientifiques ou techniques aux cycles supérieurs, en assurant une base conceptuelle susceptibles de permettre aux étudiants de comprendre les concepts scientifiques complexes abordés dans ces cycles (Feltovitch, Spiro et Coulson, 1993 ; Trudel, Parent et Auger, 2008).

Or, en tant que principale responsable de l’acquisition d’une formation scientifique de base, l’école secondaire n’atteint que partiellement ces buts, puisque plusieurs jeunes quittent l’école sans obtenir leur diplôme d’études secondaires, et que d’autres choisissent de ne pas poursuivre d’étude dans des domaines scientifiques ou techniques (Godin, 1994 ; Kovacs, 1998). À ce propos, les difficultés qu’éprouvent les élèves dans l’apprentissage des sciences semblent reliées à des carences dans leur compréhension des concepts de base, carences qui perdurent même après avoir suivi plusieurs cours dans ces domaines (Kjaernsli, Angell et Lie, 2002 ; Kovacs, 1998). En référence à ce constat, une question se pose : Existe-t-il un schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences qui permettrait de rendre compte des difficultés variées observées chez les élèves ?

Afin de répondre à cette question, notre recherche de nature théorique vise à effectuer l’analyse et la synthèse des recherches sur la compréhension en sciences. Prenant appui sur les résultats de ces recherches, nous proposons un schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences, constitué des principales dimensions de la compréhension et de leurs relations réciproques.

En ce qui concerne son impact dans les cours de sciences, l’utilisation du schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences permettrait à l’enseignant d’anticiper les divers cheminements que ses élèves utiliseront dans leur progression dans la compréhension des concepts dans des domaines scientifiques, d’anticiper les zones de difficulté, et de concevoir des stratégies d’enseignement adaptées à leur niveau de compréhension. Nous terminons en précisant les limites de notre recherche et nous dégageons de nouvelles perspectives de recherches.

2. Problématique

Afin de découvrir les raisons des carences des élèves dans la compréhension des concepts en sciences, nous avons étudié de façon plus précise ce que révèlent différentes recherches sur les difficultés qu’éprouvent les élèves lorsqu’ils abordent diverses activités scientifiques : acquisition des concepts, résolution de problèmes, travaux pratiques de laboratoire et réflexions sur la nature de la science (Perkins et Simons, 1988).

Des résultats de ces recherches, il apparaît que si certaines incompréhensions sont spécifiques à l’activité entreprise, d’autres incompréhensions semblent reliées, qui révèlent des cadres explicatifs plus généraux, des façons de comprendre qui diffèrent des explications scientifiques (Oliva, 1999 ; Zimmerman, 2000). Si, selon certains chercheurs, les façons de comprendre des élèves dépendent des domaines de matière ou même du contenu étudié (Giordan, 2002), d’autres au demeurant considèrent que la compréhension possède un caractère général qui va au-delà de ces différences (Biggs, 2003). Or, dans le premier cas, les chercheurs se sont orientés surtout vers l’identification des façons de comprendre des apprenants à partir des conceptions initiales que ceux-ci entretiennent à propos des phénomènes naturels et construits de leur quotidien. Dans le second cas, les chercheurs ont davantage étudié le développement cognitif des apprenants et les facteurs qui l’influencent. Néanmoins, d’autres orientations de recherche restent possibles. Ainsi, un courant de recherche s’est centré sur l’identification des différences entre les apprenants dans l’apprentissage, alors que d’autres chercheurs se sont préoccupés des différences entre les stratégies qu’utilisent les novices et les experts lorsqu’ils doivent résoudre des problèmes (Eylon et Linn, 1988 ; Zimmerman, 2000).

Même si ces divers courants de recherche ont apporté des éclairages variés sur les façons dont les élèves abordent l’apprentissage des sciences, la diversité de ces points de vue a favorisé la multiplication des directives et des résultats, souvent contradictoires, pouvant être appliqués à l’enseignement et à l’apprentissage des sciences (Eylon et Linn, 1988 ; Oliva, 1999 ; von Aufschnaiter, 2006).

Pour résoudre les paradoxes associés à ces contradictions, il nous faut dépasser l’opposition qui se manifeste entre les approches et stratégies d’enseignement des sciences suggérées dans les différentes recherches, afin de faire apparaître la possibilité de leur coexistence, voire de leur complémentarité. À cet égard, la recherche sur la compréhension en sciences ne peut que bénéficier d’une intégration des méthodes et des résultats en provenance de ces multiples perspectives (Appleton, 1997 ; Zimmerman, 2000). Voilà pourquoi l’objectif de cette recherche théorique est d’élaborer un schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences qui réalise une telle intégration.

3. Méthodologie

La perspective nomothétique de cette recherche vise à dégager ce qui est général dans les diverses manifestations de la compréhension des concepts en sciences, de mettre en évidence les variables associées à cette compréhension, et leurs relations réciproques, et de les formuler sous forme de lois ou de principes, en tentant de s’abstraire des caractéristiques individuelles des apprenants et des contextes (Van der Maren, 1996). Par ailleurs, pour mieux rendre compte du caractère complexe du phénomène de la compréhension en sciences, nous avons adopté une méthode systémique où les variables considérés sont interreliées sous forme d’un tout organisé, représenté sous forme d’un schéma (Luffiego, Batista, Ramos et Soto, 1994 ; Salomon, 1991).

Afin d’élaborer le schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences, notre démarche de recherche a consisté à effectuer, de façon itérative, l’analyse et la synthèse des écrits publiés dans ce domaine (Legendre, 2005). Nous présentons brièvement les principales étapes de cette démarche de recherche : 1) l’identification du corpus de textes à analyser concernant la compréhension des concepts en sciences ; 2) le découpage des textes en unités d’analyse ; 3) le repérage et le codage des unités d’analyse ; 4) la structuration des résultats obtenus en un schéma de la démarche de compréhension en sciences et 5) la validation du schéma de la démarche de compréhension.

  1. L’identification du corpus de textes à analyser concernant la compréhension des concepts en sciences

    Le thème fondamental concerne la compréhension des concepts en sciences et les textes ont été choisis en fonction de ce thème. Nous avons donc interrogé deux bases de données en éducation : la première, dont les textes sont rédigés en français et en anglais (FRANCIS) ; la deuxième, dont les textes sont rédigés en anglais seulement (ERIC). Cette première sélection des textes s’est effectuée en utilisant le descripteur compréhension ou ses équivalents anglais understanding et comprehension, et en limitant les articles et les monographies choisis au domaine de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences. Après avoir pris connaissance des textes ainsi localisés, nous avons retenu ceux qui traitaient explicitement de la compréhension dans l’enseignement ou l’apprentissage des sciences, soit pour définir celle-ci, soit pour la relier à d’autres variables éducationnelles, soit pour la mesurer ou en démontrer l’importance dans l’enseignement et l’apprentissage des sciences (Legendre, 2001 ; Trudel, 2005). Ces textes forment le corpus de la présente recherche ; autrement dit, il s’agit d’un Ensemble de documents (volumes, articles, thèses, mémoires, conférences, enregistrements sonores ou magnétoscopiques, etc.) sur lesquels va porter l’analyse de contenu (Legendre, 2005, p. 298).

  2. Le découpage des textes en unités d’analyse

    Le corpus des textes ainsi constitué a par la suite été découpé en unités d’analyse. L’unité d’analyse se définit de la façon suivante : Dans une analyse de documents, segment d’information qui se rapporte à une catégorie (Legendre, 2005, p. 1425). La longueur des unités d’analyse ne coïncide pas avec le découpage linguistique du texte (phrase ou paragraphe), mais plutôt cherche à capter une idée principale concernant la compréhension des concepts en sciences (Mucchielli, 2006).

  3. Le repérage et le codage des unités d’analyse

    Chaque unité d’analyse est décrite à l’aide d’un ou de plusieurs descripteurs qui caractérisent l’information contenue dans l’unité. L’emploi des descripteurs permet de condenser les contenus facilitant le repérage et la comparaison des résultats de recherche des différents auteurs concernant un thème ou un sous-thème de la compréhension des concepts en sciences. À cette fin, les descripteurs doivent être énoncés de façon suffisamment générale pour permettre la comparaison (et la synthèse) et suffisamment spécifique pour faciliter le repérage et le traitement de l’information lors de l’analyse (Legendre, 2005).

    Le repérage et le codage des unités d’analyses s’est fait en deux étapes. La première étape, consistant en une lecture flottante, permet de dégager l’idée générale du texte et de délimiter l’étendue de l’unité d’analyse. La deuxième étape consistant en une lecture approfondie permet de préciser le ou les descripteurs qui y sont associés. En étudiant une nouvelle unité d’analyse, il nous faut déterminer si celle-ci peut être classée dans un des descripteurs existants ou nécessite la génération d’un nouveau descripteur. Constamment mise à jour lors de l’étude des unités d’analyse, la liste des descripteurs a servi à élaborer le thésaurus de la recherche (Mucchielli, 2006). Mentionnons que, dans notre recherche, le thésaurus se définit de la façon suivante : Liste contrôlée de descripteurs à employer pour consulter une base de données (Legendre, 2005, p. 1396). Des notes de lecture viennent compléter le processus de codage qui permet d’interpréter les contenus et de formuler des éléments théoriques au fur et à mesure qu’ils se dégagent de l’analyse (Sauvé, 1992).

  4. La structuration des résultats obtenus en un schéma de la démarche de compréhension en sciences

    Après avoir constitué le thésaurus du domaine de la compréhension des concepts en sciences, nous avons procédé à un calcul des fréquences d’apparition des descripteurs et des associations entre descripteurs dans les unités d’analyse (Mucchielli, 2006). L’analyse de ces fréquences nous a permis d’identifier les descripteurs importants et de les relier sous la forme d’un schéma (Dunn-Rankin, Knezek, Wallace et Zhang, 2004). Ce schéma s’est enrichi des interprétations et des éléments théoriques (sous forme, par exemple, de relations sémantiques entre descripteurs) formulés lors de l’analyse des textes de l’étape précédente, en mettant l’accent sur certains descripteurs ou certaines associations entre descripteurs qui peuvent avoir une importance plus grande que ne le révèle leur fréquence d’apparition ou d’association.

  5. La validation du schéma de la démarche de compréhension

    Par la suite, le schéma obtenu est soumis à un procédé de validation basé sur la clarification des paradoxes identifiés dans les textes étudiés. En effet, la mise en évidence d’un paradoxe permet de secouer la structure conceptuelle d’un schéma théorique, tandis que la clarification de ce paradoxe permet l’affinement de ce schéma en précisant les limites des concepts étudiés (Slaatte, 1982). Le processus de clarification des paradoxes utilisé dans la présente recherche est basé sur les principes suivants (Simons, 1999) : a) rechercher les dimensions ou des progressions dans les variables plutôt que les dichotomies ; b) considérer les oppositions sous une nouvelle perspective permettant de les voir comme des aspects complémentaires ; c) dans le cas d’un dilemme (c’est-à-dire un choix entre des positions opposées), considérer comment un choix peut renforcer l’autre ; d) construire un échafaudage permettant de remplacer l’un des termes d’une opposition par l’autre ; e) déterminer les conditions sous lesquelles une variable a été étudiée.

Enfin, malgré le caractère linéaire des étapes de la démarche de recherche décrite ci-dessus, la démarche d’analyse et de synthèse des contenus des unités répertoriées contient des boucles de rétroaction à chaque étape, qui permettent au processus de converger vers un prototype du schéma de la démarche de compréhension des concepts en sciences (Legendre, 2005). Étant donné le caractère théorique de notre recherche, nous n’avons pas procédé à une validation empirique de ce schéma, de sorte que cette validation devra faire l’objet de recherches ultérieures.

4. Résultats

4.1 Modèles de la compréhension

Une étude des différents modèles de la compréhension nous renseigne sur les principales dimensions de celle-ci. À cet égard, ces modèles peuvent être classés selon qu’ils accordent la priorité à l’une ou l’autre de ces dimensions : soit la compréhension en tant que représentation, soit la compréhension en tant qu’activité du sujet (Bereiter, 2002).

En tant que représentation, la compréhension renvoie au degré d’organisation des connaissances du sujet, qui permet à ce dernier d’assumer les différentes fonctions associées à la connaissance scientifique. La première dimension est donc associée au caractère structural de la compréhension, parce que la représentation décrit les éléments et les relations entre les éléments.

En tant qu’activité du sujet, la compréhension renvoie aux différentes fonctions que les connaissances scientifiques permettent de remplir : la description, l’explication, la prédiction et le contrôle d’une situation ou d’un phénomène (Zimmerman, 2000). La seconde dimension concerne le caractère fonctionnel de la compréhension, parce qu’elle est associée aux fonctions que cette organisation des connaissances permet d’accomplir (Byrnes, 2001).

Qu’il soit centré sur l’aspect fonctionnel ou sur l’aspect structural, un modèle de la compréhension possédant un caractère exclusif peut présenter des carences. En effet, lorsque la priorité est accordée dans un modèle à l’expérience, à l’activité ou au comportement, comme dans l’approche béhavioriste, les stratégies d’enseignement proposées présentent souvent un caractère ponctuel, provenant en partie d’un manque de vision d’ensemble du développement conceptuel (Reynolds, Sinatra et Jetton, 1996). À l’opposé, si l’on met l’accent sur le rôle des représentations, cela amène un modèle qui permet de décrire très bien l’organisation des connaissances de l’apprenant avant et après une restructuration, comme c’est le cas dans les modèles de changement conceptuel, sans que des directives claires puissent aider les élèves à effectuer ces transformations (Appleton, 1997). La solution réside peut-être dans la prise en compte de l’interaction entre les deux dimensions principales de la compréhension (Bereiter, 2002). Pour ce faire, il nous faut un modèle qui permette de préciser les différentes étapes et de proposer des lignes directrices en vue de guider les élèves dans leur démarche de compréhension.

4.2 Schématisation de la démarche de compréhension en sciences

Le schéma de la démarche de compréhension que nous proposons dans cette recherche théorique prend en compte les deux dimensions de la compréhension : les représentations du sujet et les activités destinées à favoriser celles-ci ; il propose également un mécanisme explicite d’interaction entre ces dimensions pour expliquer la production de connaissances mieux structurées en vue d’atteindre une variété d’objectifs d’apprentissage. À cet égard, pour que la compréhension puisse se développer, il faut que ces deux dimensions puissent s’influencer réciproquement. En effet, les différentes opérations que le sujet effectue pour comprendre, par exemple, un phénomène scientifique ou un énoncé de problème, ne peuvent être accomplies que grâce à l’utilisation d’un ensemble de connaissances structurées. Réciproquement, la structure des connaissances acquises lors de la démarche de compréhension des concepts scientifiques est étroitement liée aux opérations cognitives du sujet lorsqu’il tente d’organiser ces connaissances (Bereiter, 2002 ; Lawson, 2003 ; Richard, 2004).

4.2.1 Dualité entre la compréhension en tant que représentation et la compréhension en tant qu’activité du sujet

Par ailleurs, divers auteurs ont souligné la dualité dans les rôles attribués par la recherche en didactique aux structures mentales du sujet qui constituent, à la fois, une structure d’accueil et un obstacle à l’acquisition de nouveaux modes de pensée (Arcà et Caravita, 1993 ; Astolfi, 2006). Cette dualité peut s’expliquer par l’interdépendance entre le caractère structural et le caractère fonctionnel de la compréhension du sujet. En effet, nous ne pouvons comprendre que si nous disposons de structures conceptuelles adéquates et, de façon réciproque, l’organisation de ces structures dépend de la démarche, c’est-à-dire des opérations cognitives que le sujet emprunte pour comprendre. Or, il n’est pas possible à l’élève de comprendre sans disposer de la structure conceptuelle qu’il cherche précisément à acquérir. Par contre, il ne dispose que de la structure déjà en place pour amorcer sa démarche (Bereiter, 1985 ; Simons, 1999).

4.2.2 Caractère dynamique et évolutif de la compréhension

D’après l’analyse précédente, la résolution de ce paradoxe réside en partie dans la prise en compte du caractère dynamique et évolutif de la compréhension. Ainsi, lors d’une démarche de compréhension, la structure conceptuelle de l’apprenant guide ses actions tout en étant transformée par ces dernières. Ce réinvestissement produit des changements, de nature non linéaire, qui pourraient expliquer les modifications profondes dans la structure des schémas cognitifs de l’apprenant associés à la restructuration de ses connaissances (Luffiego et collab., 1994). À la suite de cette démarche, l’élève acquiert une structure conceptuelle adéquate lui permettant de comprendre l’objet étudié.

4.3 Présentation du schéma de la démarche de compréhension

4.3.1 Étapes de la démarche

Il nous reste maintenant à préciser les différentes étapes de cette démarche de compréhension et à en dégager la structure. Cette démarche peut être conçue comme un système de nature cognitive qui interagit avec l’environnement en recevant de l’information et en produisant des réponses. Ainsi, lors de la démarche de compréhension, la structure conceptuelle de l’apprenant, de nature sémantique et constituée de schémas, agit comme un outil qui, non seulement sélectionne et emmagasine l’information en provenance de son environnement, mais aussi transforme celle-ci pour produire des schémas mieux adaptés. Par conséquent, les schémas mobilisés par l’apprenant lorsqu’il interagit avec l’objet sont modifiés lors du processus de traitement, afin d’obtenir une compréhension plus adéquate de l’objet (Luffiego et collab., 1994). En tant que démarche d’apprentissage, la compréhension se divise donc en trois parties : les conditions de la compréhension, le processus de la compréhension et le produit de la compréhension (Figure 1).

Les conditions décrivent les préalables à l’entrée du système, soit l’état initial de compréhension du sujet et les objets à comprendre. Le processus décrit la façon dont se déroule l’interaction entre le sujet et l’objet. Le produit spécifie les caractéristiques de l’état final de compréhension (Biggs, 1993).

Figure 1

Schéma de la démarche de compréhension des concepts scientifiques

Schéma de la démarche de compréhension des concepts scientifiques

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4.3.2 Sens principal du transfert des informations

Le sens du transfert d’informations est dirigé, à partir des conditions jusqu’au produit, en passant par le processus (Biggs, 1993). Le transfert d’informations peut être influencé par les choix ou les décisions du sujet (Figure 1). En effet, des conditions au processus, les schémas appropriés à l’étude de l’objet sont choisis, par le sujet, parmi l’ensemble des schémas disponibles en fonction des caractéristiques de l’objet. Du processus au produit, l’élève choisit de poursuivre ou de clore l’activité de compréhension s’il juge que son état de compréhension est satisfaisant (Appleton, 1997). Le transfert des informations, des conditions au processus et du processus au produit, peut aussi être influencé par des facteurs affectifs ou sociaux. Par exemple, il semble que les novices préfèrent des schémas possédant un degré de correspondance élevé avec la structure de l’objet étudié. Cette préférence limite le niveau auquel les novices peuvent traiter l’information par la suite (Forbus et Gentner, 1986). Par ailleurs, la décision de poursuivre ou de clore l’activité de compréhension est également influencée par des facteurs affectifs ou sociaux. Selon Hatano et Inagaki (1991), l’activité de compréhension débute lorsque la personne se rend compte que sa compréhension est inadéquate et se termine lorsqu’elle se satisfait de l’explication proposée. Une clôture prématurée de la démarche de la compréhension peut se produire parce que les critères utilisés par les élèves, pour juger de leur savoir, sont souvent éloignés de ceux de l’orthodoxie scientifique (Reif et Larkin, 1991). Ainsi, les représentations des élèves manquent souvent de cohérence et de pertinence (Oliva, 1999). En effet, il existe, chez les élèves, plusieurs types de conceptions (conceptions naïves, conceptions après enseignement, conceptions correctes) qui sont spécifiques au contexte dans lequel elles se sont constituées. Par conséquent, il est possible qu’une tâche ou une activité scientifique particulière proposée par l’enseignant mobilise un ou l’autre de ces types, ou même une combinaison de ceux-ci (Dekkers, 1997). Par ailleurs, les élèves ne sont pas toujours conscients des contradictions qui existent entre leurs conceptions et les conceptions scientifiques, de sorte qu’ils ne voient pas la nécessité de coordonner leurs idées pour prendre en compte de plus vastes catégories de phénomènes (Reif et Larkin, 1991 ; Von Aufschnaiter, 2006). Au laboratoire, même lorsque les élèves recueillent des données en contradiction avec leurs schémas antérieurs, seule une minorité d’élèves tente de résoudre le conflit (Toplis, 2007). Ce dernier auteur souligne qu’il est possible que ce résultat, s’il peut aussi être expliqué par des contraintes d’accès à l’équipement et par des contraintes de temps, provienne de leur conception de la science et de l’apprentissage au laboratoire, où l’important est d’obtenir le résultat escompté. Par ailleurs, le degré avec lequel les représentations des élèves permettent de rendre compte du concept ou de la situation est évalué selon des critères de validité qui peuvent varier d’un individu à l’autre (Cavazza, 1993).

4.3.3 Boucles de rétroaction

Nous avons décrit jusqu’à maintenant la progression de la démarche principale allant des conditions au processus et, finalement, au produit. Toutefois, le transfert des informations peut également se dérouler dans le sens inverse du sens principal. Ce transfert inverse d’informations est appelé rétroaction et permet de réinvestir les résultats de chaque étape à une étape précédente, constituant des boucles de rétroaction (Hattie et Timperley, 2007 ; Skyttner, 2005).

La première boucle de rétroaction, allant des conditions au processus et, inversement, du processus aux conditions, signifie que l’élève porte attention à l’objet d’étude, que certains de ses schémas cognitifs sont activés afin de traiter l’information provenant de l’objet, et qu’au fur et à mesure du traitement de cette information, certaines difficultés apparaissent (Figure 1). Ainsi, que ce soit à la suite des questions de son enseignant, des questions qu’il se pose, ou en réaction à un commentaire exprimé par un pair, l’élève peut se rendre compte du caractère inadéquat de ses schémas (ou de ses procédés de résolution) pour expliquer un phénomène scientifique (ou résoudre un problème scientifique). Par conséquent, l’écart entre les schémas cognitifs des élèves et l’objet de la démarche de compréhension devient manifeste (Chin, 2006 ; Hattie et Timperley, 2007).

La deuxième boucle de rétroaction, allant du processus au produit et réciproquement du produit au processus, signifie que la nouvelle organisation des connaissances modifie le processus de la compréhension (Figure 1). Par exemple, de nouveaux liens établis entre certains éléments de la représentation de l’élève peuvent amener ce dernier à rechercher des informations supplémentaires, à tenter d’incorporer certaines contributions de ses pairs à l’élaboration d’un schéma plus général, etc. À l’opposé, les difficultés rencontrées peuvent l’amener à modifier les stratégies utilisées ou à en choisir d’autres (Appleton, 1997 ; Hattie et Timperley, 2007). Par exemple, les difficultés d’une hypothèse à rendre compte des données recueillies au laboratoire peuvent amener l’élève à adopter différents types de réponse : ignorer les données controversées, les rejeter, remettre en question l’hypothèse, etc. (Chinn et Brewer, 1998). À cet égard, Lin (2007) a mis en évidence, chez certains élèves, l’existence d’une étape intermédiaire entre l’obtention de la donnée contradictoire et la formulation de leur réponse. Une telle étape leur permettrait de réfléchir et d’obtenir des rétroactions, de confirmer ou de rejeter leurs schémas cognitifs, ce qui favoriserait une meilleure compréhension des concepts visés.

La troisième boucle de rétroaction consiste en l’utilisation des produits de cette démarche en tant que nouvelle entrée dans le système, ce qui lance un nouveau cycle de compréhension (Figure 1). Cette boucle permet d’ouvrir la voie à de nouveaux apprentissages : généralisation des concepts développés, maîtrise des concepts relativement à la résolution de problèmes, application à la vie quotidienne (Hattie et Timperley, 2007 ; Simons, 1999). L’utilisation répétée de la démarche de compréhension permet à l’apprenant d’occuper provisoirement une série d’états de compréhension de complexité croissante (Biggs, 2003). Ces états se distinguent par leur degré d’organisation des connaissances et par les nouvelles opérations que cette organisation permet. La série des états de compréhension définit un ensemble de niveaux de compréhension de complexité croissante (Luffiego et collab., 1994).

4.3.4 Influences extérieures sur la démarche de compréhension

Par ailleurs, la démarche de compréhension est ouverte aux influences extérieures, de nature affective ou sociale. Les connaissances que l’élève utilise proviennent souvent des interactions avec des objets quotidiens (Warren, Ballenger, Ogonowski, Rosebery et Hudicourt-Barnes, 2001). Ses conceptions de la science, la valeur qu’il accorde aux activités scientifiques et la compétence qu’il se reconnaît dans l’accomplissement de ces activités ont été influencées par un contact prolongé avec le milieu scolaire (Schraw, Crippen et Hartley, 2006 ; Toplis, 2007).

4.3.5 Visionnement de l’ensemble de la démarche de compréhension

En visionnant l’ensemble de la démarche de compréhension en sciences, nous observons tout d’abord que celle-ci est initiée lorsque les schémas cognitifs de l’apprenant sont mobilisés pour représenter l’objet et ses propriétés (Trudel, 2005). Cette représentation comporte deux processus distincts, mais complémentaires : l’identification des divers aspects de l’objet (différenciation) et la synthèse de ces aspects en une structure conceptuelle cohérente permettant d’accomplir les différentes fonctions scientifiques (intégration) (Legendre, 2005). La plus ou moins grande habileté de l’apprenant à différencier et à intégrer les divers aspects de cet objet, que ce soit un phénomène, un concept ou une loi scientifique, se traduit par l’acquisition de schémas cognitifs plus ou moins efficaces qui lui permettent de prédire et d’expliquer ce phénomène, ce concept ou cette loi (Biggs, 2003). Ces schémas cognitifs constituent de nouvelles entrées lors de l’amorce d’un nouveau cycle dans la démarche de compréhension. Ainsi, les nouveaux schémas peuvent être mis à contribution pour étudier diverses situations similaires ou différentes de la situation de départ, favorisant la généralisation et le transfert des connaissances. La compréhension est donc itérative : elle se poursuit jusqu’à ce que l’apprenant soit satisfait de celle-ci (Appleton, 1997).

4.3.6 Effets de la régulation de la démarche de compréhension

Enfin, la présence de mécanismes explicites de régulation dans le schéma de la démarche de compréhension entraîne plusieurs conséquences importantes pour l’apprentissage : 1) ils expliquent en partie l’écart important entre des structures conceptuelles qualitativement différentes ; 2) ils induisent la hiérarchisation des connaissances acquises. En effet, le réinvestissement des produits de la démarche de compréhension en tant que nouvelles entrées ne fait pas qu’accroître les connaissances de l’apprenant, il transforme aussi sa façon de traiter l’information, puisque les schémas sont les outils conceptuels avec lesquels l’apprenant interprète et organise son environnement (Luffiego et collab., 1994 ; Simons, 1999). Par ailleurs, ce réinvestissement est facilité en situation d’autorégulation, lorsque l’apprenant en vient à diriger lui-même sa démarche de compréhension. Plus précisément, les élèves dotés de bonnes habiletés d’autorégulation génèrent eux-mêmes les rétroactions qui les renseignent sur les apprentissages réalisés et sur ce qu’il convient de faire par la suite, alors que, à l’opposé, les élèves ne disposant pas de telles habiletés se reposent sur des rétroactions externes, fournies par l’enseignant ou le manuel scolaire (Schraw et collab., 2006).

4.4 Description de l’évolution de la compréhension chez l’élève

Si le schéma de la démarche vise à décrire les facteurs qui influencent la compréhension et leur organisation, à tout le moins dans ses grandes lignes, le choix de stratégies d’enseignement en vue de favoriser la compréhension dépend des caractéristiques particulières de la situation pédagogique (Legendre, 2005). Par conséquent, pour passer de la description de la façon dont la compréhension évolue au choix des activités susceptibles de favoriser cette compréhension, il nous faut, d’une part, préciser l’évolution de la compréhension de l’apprenant lorsqu’il s’engage dans une démarche de compréhension et, d’autre part, spécifier les exigences relatives à chacune des étapes de la démarche de compréhension en tenant compte des caractéristiques des situations pédagogiques que l’on retrouve en sciences. Nous visons, dans cette section, à satisfaire la première partie de ces exigences et, dans la section suivante, à satisfaire la seconde.

À cet égard, pour décrire l’évolution de la compréhension de l’apprenant, notre approche consiste à simuler ce que serait une démarche de compréhension idéale lorsqu’elle est exécutée selon les étapes et en respectant les relations entre ses éléments (Klir, 2001). De cette façon, en appliquant de façon répétée cette démarche, il est possible d’expliciter les divers cheminements de la démarche de compréhension de l’apprenant. En effet, si les conditions et les produits de la compréhension définissent les points de départ et d’arrivée de la démarche, le processus de la compréhension permet de relier ces deux états. Or, le processus de compréhension en sciences est constitué de deux opérations : l’identification des facteurs pertinents d’un concept et la formulation d’une règle qui permet de relier les facteurs pour produire un nouveau concept (Trudel, 2005).

Ces opérations agissent sur deux types de variables : d’une part, l’ensemble des concepts du domaine et, d’autre part, l’ensemble des représentations des apprenants. De plus, cette démarche s’applique quel que soit le niveau de compréhension atteint et est donc indépendante du cycle d’apprentissage considéré. Par conséquent, la démarche se ramifie, par itération, en divers cheminements selon l’état de compréhension (partiel ou complet) des différents concepts du domaine visé. L’ensemble de ces cheminements constitue ce que nous appelons un réseau de la compréhension (Davis, 2005). Un exemple d’un tel réseau est fourni à la figure 2 en ce qui concerne la vitesse (Trudel, 2005).

Figure 2

Réseau de compréhension de la vitesse

Réseau de compréhension de la vitesse

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Par ailleurs, l’organisation du réseau de compréhension peut varier selon qu’il porte sur l’une ou l’autre des activités scientifiques mentionnées précédemment : l’acquisition des concepts scientifiques, la nature du savoir scientifique, la résolution de problèmes et les travaux pratiques de laboratoire. En effet, ces réseaux sont construits à partir d’une relation génératrice différente (Zook, 2001). L’utilisation d’un tel réseau permet : 1) de planifier les activités destinées à soutenir la démarche de compréhension en fonction des caractéristiques et des besoins de ses élèves ; 2) de superviser leur progression relativement à un cadre de référence et d’ajuster son enseignement en conséquence ; 3) d’identifier les zones de difficulté des élèves et de prévoir des activités pour remédier à ces difficultés, le cas échéant. Toutefois, si la connaissance des différents cheminements possibles permet à l’enseignant de planifier les activités en fonction de la progression des élèves, elle ne fournit pas de directives qui permettraient de choisir les stratégies d’enseignement appropriées à chaque étape de la démarche de compréhension.

4.5 Choix des stratégies d’enseignement destinées à favoriser la compréhension en sciences

Pour formuler ces directives, il nous faut préciser d’abord le cadre dans lequel celles-ci vont s’insérer. Notre approche, centrée sur l’apprentissage signifiant, vise à étudier le développement de la compréhension de l’élève dans les contextes éducatifs qui l’influencent (Trudel, 2005). En ce qui concerne la démarche de compréhension, nous avons pour visée de montrer la complémentarité des stratégies d’enseignement destinées à guider l’élève dans sa démarche de compréhension en respectant le caractère systémique de cette démarche (Roy, 2005 ; St-Germain, 2001). C’est dans cette optique que nous suggérons, pour chacune des étapes de la démarche de compréhension, les stratégies d’enseignement suivantes : établir les conditions de la compréhension ; favoriser le processus de la compréhension ; favoriser l’évaluation de la compréhension par l’élève ; et favoriser l’autorégulation de la démarche de compréhension.

4.5.1 Établir les conditions de la compréhension

En premier lieu, il faut mettre en place les conditions permettant l’interaction entre les schémas cognitifs de l’élève et les concepts scientifiques visés. Cette interaction requiert, d’une part, que les tâches proposées (qu’il s’agisse d’expliquer un phénomène scientifique ou de résoudre un problème) permettent de mobiliser les schémas cognitifs actuels de l’élève et, d’autre part, que ces schémas, une fois activés, puissent être rendus explicites afin d’être étudiés, soit par l’élève (métacognition), soit par l’enseignant (diagnostic des connaissances antérieures). Les phénomènes choisis doivent être suffisamment familiers à l’élève pour activer ses schémas tout en étant suffisamment différents pour rendre manifeste l’écart entre ces schémas et les concepts scientifiques (Hattie et Timperley, 2007 ; Tsai et Chang, 2005 ; Warren et collab., 2001). En outre, la démonstration de ces phénomènes par l’enseignant doit faciliter, chez l’élève, la découverte de leurs propriétés, de sorte qu’il est suggéré de les regrouper sous forme de modèles (Greca et Moreira, 2002). Enfin, l’enseignant peut, par des questions, sonder la pensée de l’élève et l’engager dans la démarche de compréhension (Llewellyn, 2002). Cette première étape sert également à renseigner l’élève sur ce qu’on attend de lui, et à lui fournir des lignes directrices qui le guident dans sa démarche, que ce soit sous forme de questions, d’exposés ou de modèles conceptuels. À cette fin, l’utilisation d’ordonnateurs supérieurs et de cartes conceptuelles ou sémantiques peut fournir une structure d’accueil aux nouvelles informations et guider l’élève dans la poursuite des activités (Safayeni, Derbentseva et Canas, 2005). Trop précises toutefois, ces attentes peuvent entraver la prise en charge de la démarche de compréhension par l’élève (Andre, 1997).

4.5.2 Favoriser le processus de la compréhension

Pour combler l’écart entre les concepts visés et les connaissances antérieures de l’élève, deux approches ont été proposées (Legendre, 2002 ; Posner, Strike, Hewson et Gertzog, 1982 ; Simons, 1999) :

  • partant du principe que les schémas de l’élève et les concepts scientifiques sont inconciliables, la première approche envisage de remplacer les premiers par les seconds, en remplissant certaines conditions ;

  • partant du principe que les schémas de l’élève et les concepts scientifiques partagent des points communs, la deuxième approche vise la modification graduelle des premiers en seconds, en fournissant à l’élève le support et le guidage appropriés.

Ces deux approches ont mené à l’élaboration de stratégies d’enseignement distinctes. Dans la première approche, le remplacement des schémas cognitifs de l’élève par les concepts scientifiques se fait en insistant sur le conflit existant entre les deux et en persuadant l’élève de la nécessité de remplacer les premiers par les seconds. À cette fin, il est nécessaire d’amener l’élève à exprimer ses schémas relativement au concept visé (représenté par un phénomène scientifique), puis de l’amener à prendre conscience de ce qui l’empêche de rendre compte des propriétés observées. Il s’agit alors de présenter les concepts scientifiques comme une alternative plausible, intelligible et fructueuse (Appleton, 1997 ; Posner et collab., 1982). Toutefois, plusieurs difficultés apparaissent lorsque cette approche est implantée sous forme de stratégie d’enseignement des concepts scientifiques. Il peut arriver en effet que l’écart entre les idées de l’élève et les concepts scientifiques ne soit pas manifeste parce que les schémas de ce dernier ne sont pas en contradiction avec les concepts scientifiques ou qu’ils soient insuffisamment formés pour être considérés sur le même pied que ceux-ci. En outre, cet écart peut ne pas être comblé parce que certains élèves choisissent d’éviter le conflit entre leurs idées et leurs observations, ou de modifier leurs observations pour qu’elles s’accordent à leurs idées (Chinn et Brewer, 1993 ; Dekkers, 1997 ; Toplis, 2007).

Divers auteurs ont proposé des solutions à ces difficultés. Ainsi, Hatano et Inagaki (1991) suggèrent d’utiliser la discussion pour aider les élèves à se faire une idée sur le phénomène étudié. Les élèves doivent alors choisir parmi les différentes hypothèses exprimées lors de la discussion et, par la suite, vérifiées par des expériences. Une méthode similaire reprend de façon simplifiée les principales étapes de la méthode scientifique. Lors d’une discussion animée par l’enseignant, les élèves doivent prédire le résultat d’une expérience, observer celle-ci et expliquer tout écart qui se manifeste entre leurs prédictions et leurs explications (Gunstone et Mitchell, 1998). Dans les deux cas, la discussion permet aux élèves de bénéficier de sources d’informations supplémentaires et de rétroactions sur les idées exprimées. En particulier, la deuxième méthode aide les élèves à identifier les aspects importants du phénomène étudié et rend manifeste l’écart entre leurs schémas et les propriétés des phénomènes observés.

La seconde approche consiste à favoriser la progression de l’élève vers une meilleure compréhension des concepts scientifiques à partir de ce qu’il sait déjà, en lui proposant des activités structurées qui guident sa démarche (Legendre, 2002). À cet égard, nous avons répertorié deux types d’intervention. Le premier type vise à amener l’élève à modéliser progressivement un ensemble de phénomènes qui relèvent du même concept ou principe, lui permettant d’identifier les facteurs importants et de formuler les règles qui rendent compte des propriétés observées (Acher, Arcà et Sanmarti, 2007 ; Schwarz et White, 2005). Le deuxième type incite l’élève à comparer directement ses schémas aux schémas scientifiques, par exemple, en lui proposant des analogies ou des modèles conceptuels qui lui permettent de sélectionner l’information pertinente, de l’organiser et de la relier à ses connaissances antérieures (Bryce et MacMillan, 2005 ; Mayer, 1997). Dans ces deux types d’intervention, plusieurs auteurs suggèrent de subdiviser le trajet menant des schémas de l’élève aux concepts scientifiques en plusieurs étapes. Ainsi dans les activités de modélisation, on propose à l’élève une série de modèles transitoires qui, tout en étant conformes au modèle scientifique, sont adaptés à son état actuel de compréhension (Lemeignan et Weil-Barais, 1994). De même, plutôt que d’utiliser une seule analogie, avec ses limites, il est recommandé d’utiliser une série d’analogies, dont chacune corrige les lacunes de la précédente (Bryce et MacMillan, 2005).

4.5.3 Favoriser l’évaluation de la compréhension par l’élève

Pour faire en sorte que le produit de la compréhension, qu’il s’agisse d’un concept ou d’un modèle, réponde aux critères scientifiques, l’élève peut procéder de façon rétrospective, en examinant de façon critique la démarche entreprise pour acquérir ce concept ou ce modèle, ou de façon prospective, en vérifiant que le concept ou le modèle permet d’accomplir les diverses fonctions scientifiques (prédiction, explication, etc.) (Gott et Duggan, 2003 ; McKendree, Small, Stenning et Conlon, 2002). Dans le premier cas, l’évaluation permet de reconsidérer les caractéristiques de la démarche de résolution du problème scientifique pour en faire apparaître les variations possibles et ainsi entrevoir des directions d’investigation permettant de généraliser le schéma ou le modèle obtenu. À cet égard, il est important, non seulement d’enseigner à l’élève comment élaborer des modèles d’un domaine donné, mais aussi de lui apprendre la façon de les réviser, tout en l’amenant à réfléchir sur leur nature et sur leur rôle (Schwarz et White, 2005).

Dans le second cas, il s’agit avant tout de déterminer si les schémas construits peuvent être appliqués à des situations similaires ou favoriser l’acquisition de nouvelles connaissances, ainsi que de préciser les limites des solutions trouvées et leur champ d’application (Bailin, 2002). Par exemple, lors d’investigations scientifiques, l’inclusion d’activités d’évaluation permet à l’élève de réfléchir aux causes des données anormales et l’incite à planifier des expériences supplémentaires pour explorer ou corriger certaines étapes de la démarche d’investigation scientifique (Llewellyn, 2002 ; Toplis, 2007). Dans le même ordre d’idées, Acher et ses collaborateurs (2007) ont souligné l’importance, pour l’enseignant, d’aider les élèves à sélectionner, parmi les idées qu’ils ont exprimées, celles qui, tout en étant conformes au modèle scientifique, sont le plus susceptibles de servir à l’élaboration de leurs modèles. Par ailleurs, les erreurs que commet l’élève peuvent jouer un rôle positif sur sa compréhension si on lui offre la possibilité de réfléchir sur les causes et les conséquences de celles-ci (Astolfi, 2006 ; Mathan et Koedinger, 2005).

4.5.4 Favoriser l’autorégulation de la démarche de compréhension

Lorsque la démarche d’enseignement est constituée d’activités très structurées, ce qui limite, pour les élèves, les occasions de choisir, le déroulement de celle-ci est alors régulé par l’enseignant, qui doit veiller à ce que ses diverses interventions se trouvent en accord avec l’état actuel de compréhension des élèves. Or, compte tenu de la diversité des expériences et des connaissances des élèves, il est improbable qu’une telle démarche d’enseignement convienne à tous et qu’elle permette, par conséquent, une régulation optimale de leur démarche de compréhension (Rasmussen, 2005).

C’est pourquoi, en vue de favoriser l’autorégulation de la démarche de compréhension, les stratégies d’enseignement choisies devraient inciter l’élève à prendre en charge sa propre démarche. À cette fin, ces stratégies devraient intégrer diverses dispositions qui inciteraient ce dernier à mobiliser et à combiner un ensemble de stratégies cognitives, métacognitives et motivationnelles pour être en mesure d’identifier ses connaissances et habiletés, de planifier sa démarche et d’en évaluer le déroulement et les résultats, afin de modifier éventuellement celle-ci pour la rendre plus efficace (Schraw et collab., 2006). À cet égard, les stratégies suivantes se sont montrées efficaces pour développer la métacognition et l’autorégulation chez les élèves :

  1. les stratégies combinant la modélisation des phénomènes, l’évaluation des modèles produits par les élèves selon certains critères et la discussion entre élèves sur le rôle et sur l’utilité des modèles (Schwarz et White, 2005) ;

  2. les environnements qui, tout en fournissant des défis adaptés au niveau des élèves, les guident dans leur démarche en leur fournissant différents supports comme des sources d’information variées, des rétroactions et des simulations (Linn, Bell et Hsi, 1998).

7. Conclusion

Les difficultés que les élèves éprouvent dans l’apprentissage en sciences trouvent en partie leur origine dans des incompréhensions qui se manifestent, de façon diversifiée, dans différents domaines de cet apprentissage, tout en présentant certaines similitudes. Pour expliquer ces difficultés et planifier des interventions efficaces destinées à favoriser la compréhension des élèves, il est important de pouvoir expliciter la façon dont se déroule la démarche de compréhension en sciences.

Or, les modèles de compréhension étudiés dans cette recherche présentent un caractère incomplet, suscité, comme nous l’avons vu, par le manque d’intégration des dimensions structurales et fonctionnelles de la compréhension. Le schéma de la démarche de compréhension proposé dans cette recherche réalise une telle intégration à l’aide de deux outils conceptuels :

  • un réseau de la compréhension, de nature structurale, qui permet de visualiser les différents cheminements de l’apprenant lorsqu’il progresse dans sa compréhension ;

  • un schéma de la démarche de compréhension, de nature fonctionnelle, qui décrit l’organisation des différentes étapes de la compréhension, de sorte qu’il est possible de choisir les stratégies d’enseignement les plus adéquates à chacune des étapes de la démarche.

En ce qui concerne les limites de notre recherche, l’utilisation d’un nombre restreint de descripteurs pour représenter l’information contenue dans une unité d’analyse contribue à la réduction de l’information contenue dans celle-ci. Par conséquent, notre méthode d’analyse peut ne pas rendre compte des nuances apportées par les auteurs des textes étudiés. En outre, l’utilisation d’un seul descripteur (par exemple, le terme conception) pour représenter des termes apparentés ou synonymes (par exemple, les termes représentations, modèles naïfs, conceptions initiales, etc.) peut ne pas tenir compte des acceptions différentes de ces termes ni de leur évolution dans le temps (He, 1999). Par ailleurs, la perspective nomothétique de notre recherche vise à décrire les propriétés de la compréhension à l’aide d’un ensemble de variables, de sorte que nos résultats ne tiennent pas compte des particularités des sujets impliqués (Van der Maren, 1996).

Malgré ces limites, l’intégration des résultats des recherches sur la compréhension en un schéma fonctionnel (explicitant la démarche) et structural (en ramifiant les différents cheminements sous forme d’un réseau) peut permettre d’enrichir les pratiques pédagogiques associées à la compréhension et d’indiquer de nouvelles avenues de recherche. En premier lieu, l’approche en trois phases que nous proposons pour favoriser la compréhension permet à l’enseignant de choisir, en fonction de l’état de compréhension de l’apprenant par rapport au réseau de compréhension, les stratégies d’enseignement les plus appropriées pour guider sa progression selon les indications du schéma de la démarche de compréhension ; par exemple, un élève qui distingue bien entre les facteurs déplacement et intervalle de temps, mais ne peut intégrer ces deux facteurs afin de formuler la vitesse en tant que nouvelle entité résultant du quotient de ceux-ci (Figure 2). Pour faciliter cette intégration (Figure 1), l’enseignant pourrait lui proposer une analogie avec d’autres phénomènes, tel que le débit d’eau dans un réservoir, ou l’inciter à changer de mode de représentation en lui suggérant de reproduire divers types de mouvement avec les mains ou encore en courant dans un gymnase (Arons, 1990).

En second lieu, une telle approche peut aider les chercheurs à générer des hypothèses à vérifier sur la démarche de compréhension des concepts en sciences. Ainsi, selon le schéma de la figure 1, il est important que l’élève puisse s’approprier les critères d’évaluation qui lui permettront d’ajuster sa démarche de compréhension pour atteindre l’objectif visé ; par exemple dans le cas d’élèves qui apprennent à élaborer des modèles scientifiques de phénomènes, certaines chercheurs ont constaté que l’appropriation, par ces élèves, des critères d’évaluation des modèles peut se révéler utile pour la révision et l’amélioration de leurs modèles (Acher et collab., 2007 ; Schwarz et White, 2005). Cette prise en charge, par l’élève, de l’évaluation de sa démarche de compréhension à des fins de supervision et de guidage autonome aidera peut-être à clarifier un paradoxe de l’approche constructiviste qui incite l’élève à élaborer par lui-même ses connaissances, ce qui est difficilement compatible avec l’objectif de viser l’acquisition de modèles scientifiques (Dekkers, 1997).

Par ailleurs, même si le transfert des connaissances et la généralisation de celles-ci sont associés à la compréhension, il reste à expliquer la façon dont cette relation s’établit. Une extension du présent schéma permet d’envisager la possibilité que ce transfert ou cette généralisation puissent résulter du caractère itératif de la compréhension. En effet, selon le schéma de la figure 1, le réinvestissement des schémas transformés à de nouvelles situations permet une nouvelle mobilisation de ces derniers pour expliquer ou prédire des phénomènes aux caractéristiques similaires ou différentes des situations traitées au cycle de compréhension précédent. Selon l’écart observé entre ces schémas et les propriétés des phénomènes, des stratégies diverses, comme le conflit conceptuel, la modélisation ou l’analogie, peuvent mener à la généralisation ou au transfert des connaissances acquises.

Enfin, il est essentiel d’inclure les aspects affectifs et sociaux dans le schéma proposé qui viserait le développement intégral de l’élève. Plus précisément, l’influence des facteurs affectifs et sociaux dans le développement de la compréhension devrait être davantage explicitée. Par exemple, nous pouvons supposer que des dispositions suscitant l’intérêt permettraient d’engager les élèves dans une démarche de compréhension. À l’opposé, des facteurs de nature affective comme une faible tolérance à l’ambiguïté (par exemple lorsqu’un élève en transition entre deux niveaux de compréhension est confronté à des contradictions entre ses schémas et les nouvelles connaissances) peuvent perturber la démarche de compréhension de ce dernier (Merenluoto et Lehtinen, 2004). De même, afin de retirer tout le bénéfice de nos interventions (Pintrich, Marx et Boyle, 1993), il s’avère important d’identifier les facteurs qui permettent de maintenir la motivation tout au long de la démarche de compréhension.