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1. Introduction et problématique

Tout comme celui de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, le système d’éducation camerounais est durement éprouvé par la carence en outils et méthodes diversifiés d’enseignement : manque chronique de matériel didactique, méthodologies inadaptées au grand nombre d’élèves à former, manque d’autonomie des élèves pour la résolution des problèmes, inadéquation de la formation par rapport aux exigences du marché de l’emploi et insuffisance de la formation des enseignants. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication, notamment les ordinateurs et Internet, constitue l’une des solutions pour améliorer la qualité de l’éducation. Cependant, plusieurs établissements scolaires du Cameroun ne sont pas encore suffisamment préparés pour intégrer les technologies de l’information et de la communication dans les pratiques pédagogiques. Nombreux sont les facteurs qui expliqueraient cette situation : nombre insuffisant d’ordinateurs, faiblesse de la vitesse de connexion au réseau local Internet, manque d’enseignants et de personnes-ressources qualifiés, absence de financement et subvention limitée de l’État, effectif sans cesse croissant d’élèves, éloignement et enclavement de plusieurs écoles, faible capacité d’intervention du secteur privé. L’intégration des technologies à l’école nécessite des dépenses élevées et, dans un contexte de ressources limitées comme au Cameroun, ce processus s’avère particulièrement difficile, car l’entrée de ces technologies dans de nombreux établissements se pose d’abord en termes d’acquisition et d’installation d’équipement. Dans ce contexte en proie à la pauvreté et au sous-développement, comment les écoles s’organisent-elles pour introduire et s’approprier les TIC de façon efficace et durable ? Quels moyens permettent de remplacer le matériel technologique au fur et à mesure qu’il devient obsolète ? Y a-t-il une réflexion profonde, de la part des pouvoirs publics et décideurs du système éducatif camerounais, visant à assurer la protection et la perpétuation des actions liées à l’intégration pédagogique de ces technologies ?

En effet, les aspects technologiques, administratifs, pédagogiques et humains sont des dimensions importantes dans le processus d’intégration pédagogique des technologies de l’information et de la communication. Ces dimensions ne semblent pas bien maîtrisées dans plusieurs écoles, parce que les études sur l’intégration de ces technologies en éducation sont rares au Cameroun. Celles qui se rapportent spécifiquement aux stratégies administratives et pédagogiques de cette intégration dans les écoles sont presque inexistantes. C’est en cela que la présente recherche revêt un intérêt certain dans la lecture des actions visant à améliorer le système éducatif du Cameroun, la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme des temps modernes. Cet article se veut aussi une contribution à la recherche pour l’avancement des connaissances dans le domaine des technologies de l’information et de la communication et de l’éducation.

2. Contexte théorique

L’évolution vers l’Éducation pour tous (ÉPT) en 2015 et l’expansion du secondaire en Afrique (Association pour le développement de l’éducation en Afrique, 2004) se poursuivent dans un contexte de déficit de ressources financières, technologiques et de manque d’enseignants de qualité (Karsenti et Tchameni Ngamo, 2007 ; Shafika, Broekman et Mogale, 2005). Selon George (2004), la problématique des inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud revient sur le devant de la scène au début des années 2000 sous la forme de « fracture numérique ». Cette expression repose non seulement sur des indicateurs socioéconomiques (statut économique des pays, revenu des individus, niveau d’instruction, etc.), qui conditionnent l’accès à l’équipement technologique et qui permettent de mesurer la disparité quantifiable (fossé entre les branchés aux technologies de l’information et de la communication et les non-branchés), mais aussi sur des indicateurs d’ordre qualitatif (système de formation par exemple), permettant de mesurer les inégalités liées à l’appropriation de ces technologies. En ce qui concerne le Cameroun, la fracture numérique est encore grande en raison, entre autres, des problèmes d’électricité, du sous-équipement des écoles dont plusieurs sont encore construites en matériaux provisoires. Dans ce contexte, comment offrir à tous les élèves un minimum de notions permettant d’utiliser ces technologies et, du coup, éviter l’illectronisme, ce nouveau type d’analphabétisme des temps modernes qui désigne l’état de celui qui ne sait pas utiliser l’outil informatique ?

Selon les écrits de recherche scientifique, l’intégration de ces technologies en éducation est aussi, le plus souvent, confrontée à des problèmes organisationnels (Bibeau, 1996 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2000 ; Fullan, 2001 ; IsaBelle, Lapointe et Chiasson, 2002 ; Leclerc, 2003 ; Rogers, 2000).

L’intégration des technologies de l’information et de la communication, perçue comme un processus qui aboutit à l’introduction ou à l’implantation (Fullan, 2001 ; Legendre, 1993) des technologies dans l’institution scolaire, devrait être suivie d’une intégration pédagogique durable, qui se traduirait par un usage approprié et suffisamment régulier de ces technologies dans les pratiques scolaires, en vue d’une amélioration des apprentissages des élèves (Depover et Strebelle, 1996 ; IsaBelle, 2002 ; Raby, 2004).

Sur les plans administratif et pédagogique, il semblerait que l’absence de vision et de planification stratégique dans ce processus constitue une barrière qui limite l’intégration des TIC à l’école (Shafika, Broekman et Mogale, 2005). L’improvisation, le spontanéisme et la précipitation conduiraient à l’achat de matériel inapproprié et de mauvaise qualité, et également à des lieux de décision et à des modes d’organisation inadéquats. Outre la mise en valeur des ressources humaines, l’intégration de ces technologies à l’école nécessiterait le développement de capacités suffisantes pour concevoir, installer, maintenir et utiliser les nouvelles infrastructures et applications de ces technologies. L’un des défis majeurs de l’intégration de ces technologies dans les sociétés africaines consisterait à envisager la diffusion de ces technologies aussi bien dans les établissements scolaires urbains que dans les établissements scolaires ruraux, afin que les premiers ne soient pas les seules oasis de la modernité au milieu d’un océan de pénuries (Chéneau-Loquay et N’diaye Diouf, 1998).

La recherche de Cronje et Cossa (2003) sur le processus d’intégration des technologies de l’information et de la communication dans les écoles secondaires du Mozambique a identifié les aspects technologiques, pédagogiques et humains comme des facteurs importants à considérer dans le plan d’intégration de ces technologies dans les pays en voie de développement. À cela s’ajoute la nécessité de sensibiliser les enseignants à l’utilisation pédagogique de ces technologies (Tchameni Ngamo et Karsenti, 2008). Les recherches de Leclerc (2003) et de Raby (2004) sont deux exemples d’études sur le processus d’intégration des technologies de l’information et de la communication dans un environnement naturel. Ces travaux renseignent sur les stratégies adoptées pour cette intégration à l’intérieur de l’école.

Les stratégies d’intégration de ces technologies pourraient s’entendre comme un plan général bien établi, composé d’un ensemble d’opérations, de modalités et de faits habilement agencés qui s’insèrent dans une démarche globale, une perspective d’ensemble pour favoriser ou soutenir l’arrivée et la consolidation de ces technologies à l’école. L’approche systémique et le changement planifié sont notamment ciblés comme des démarches pouvant aider à comprendre les stratégies administratives et pédagogiques d’intégration des technologies dans le système-école. Le modèle systémique oblige à ne pas voir les situations comme des pièces isolées et facilement maniables, mais bien comme une mosaïque complexe d’éléments en interdépendance les uns avec les autres (Collerette et Delisle, 1997). L’approche systémique se définit comme une vision d’ensemble coordonnée et une stratégie technologique concertée (Basque, 1996 ; Bibeau, 1996) qui implique un projet de transformation de la pratique pédagogique des éducateurs à l’aide des technologies de l’information et de la communication (Bibeau, 1996). Le changement planifié […] englobe, à la fois, les processus de diffusion et d’adoption, mais aussi celui de l’implantation avec sa dynamique particulière, ainsi que les facteurs contribuant à en faciliter l’atteinte (Savoie-Zajc, 1993, p. 72). Il s’entend aussi comme un […] effort délibéré de changer une situation dite insatisfaisante, au moyen d’une série d’actions dont le choix et l’orchestration résultent d’une analyse systématique de la situation en cause (Collerette et Delisle, 1982, p. 49).

Il existe une multitude de modèles de changement en éducation (Depover et Strebelle, 1996 ; Ehman, Bonk et Yamagata-Lynch, 2005 ; Eshet, Klemes, Henderson et Jalali, 2000 ; Fonkoua, 2006). Cela laisse penser que le processus d’intégration de ces technologies à l’école ne peut se faire de façon uniforme, mais qu’il s’agit d’une démarche de type expérimental (Organisation pour la coopération et le développement économiques, 2001), itérative et non linéaire (Berman et McLaughlin, 1976 ; Fullan, 2001 ; Raby, 2005).

Quatre modèles systémiques de changement planifié ont servi de cadre théorique à cette étude : Berman et McLaughlin (1976) ; Collerette et Delisle (1982, 1997) ; Fullan (2001) ; Savoie-Zajc (1993). Ces modèles soulignent la complexité de l’implantation d’une innovation à l’école.

Le modèle de Berman et McLaughlin (1976) porte sur le processus d’implantation de l’innovation en éducation. Il s’énonce sous forme de trois sous-processus, mobilisation - implantation - institutionnalisation qui tentent de fournir au praticien un cadre général de planification. Le cycle des trois sous-processus démarre lorsqu’une décision de changement est prise. Le modèle considère les clients (personnels administratifs, enseignants, élèves, parents, etc.) du changement comme les principaux acteurs de l’intégration, car ils ont le pouvoir, par leur action ou leur inaction, de faire échouer le changement proposé. Ce modèle prend en compte le caractère local et contextuel du changement, lequel ne peut être planifié de façon uniforme, à l’aide des modèles qui s’appliquent dans tous les milieux et pour toutes les situations. C’est la connaissance des caractéristiques spécifiquement locales qui permet de développer des stratégies pertinentes de changement. L’expérience d’une école en matière d’intégration des technologies de l’information et de la communication étant considérée comme unique, il n’y aurait pas d’après ce modèle, de transfert univoque de stratégies d’intégration de ces technologies d’une école A à une école B. Tout au plus pourrait-il y avoir des emprunts, des ajustements et des adaptations d’un lieu à un autre.

S’inscrivant dans la foulée du modèle de Berman et McLaughlin (1976), le modèle de Fullan (2001) initiation - implantation - institutionnalisation n’implique pas un processus linéaire à étapes successives entre les trois phases. Le modèle de Fullan (2001) décrit un processus itératif, circulaire qui cherche à mettre en évidence la nature des interactions à qualifier, et à ancrer le processus de planification dans la nature même du milieu où le changement doit être effectué. Sa richesse tient particulièrement au fait qu’il s’applique au contexte scolaire et qu’il passe en revue les différents acteurs du changement ainsi que les facteurs (présence au niveau de l’école d’un leadership, système de contrôle de la performance, implication et support des parents, etc.) qui affectent chaque phase.

De son côté, le modèle de Collerette et Delisle (1997, 1982) souligne la dynamique des situations sociales qui s’inscrivent dans un tableau où les forces interagissent. Le modèle présente un jeu de forces dans un champ de forces, une force pouvant être tout élément de la réalité (objet matériel ou immatériel, aménagement physique, idée) qui agit sur une situation donnée. Dans l’optique du changement, les forces qui agissent sur la situation existante seraient qualifiées de forces motrices ou restrictives, de leviers ou d’obstacles. Ce modèle permet de saisir les éléments ou forces en présence dans l’environnement scolaire et qui interviennent pour favoriser (forces motrices, facteurs favorables) ou non (forces restrictives, obstacles, écueils) l’intégration des technologies à l’école.

Quant à Savoie-Zajc (1993), elle précise dans son modèle que le système d’éducation est un des plus résistants au changement et que les causes de ces résistances se classent sous trois catégories : 1) système scolaire complexe, bureaucratique et hiérarchisé ; 2) manque de sensibilisation des intervenants et 3) qualité des réseaux de communication.

En effet, selon Savoie-Zajc (1993, les administrateurs et les enseignants ne possèdent aucune formation sur la gestion du changement, si ce n’est les leçons qu’ils ont pu tirer de leurs expériences personnelles. À son avis, on ne se préoccupe pas de l’intégration de l’innovation dans un ensemble humain et l’on ne porte pas attention aux perceptions des premiers utilisateurs que sont les enseignants. Cette chercheuse (1993) souligne aussi l’importance, dans le domaine de l’éducation, de procéder selon un modèle de changement planifié adapté au milieu scolaire, si l’on veut introduire une innovation technologique.

Loin d’être antagonistes, les quatre modèles systémiques ainsi présentés sont complémentaires et ont en commun un ensemble de valeurs face aux stratégies d’intégration des TIC à l’école considérées comme un processus complexe, une succession d’activités organisées selon un schéma non rigide qui comporte un début ou une fin immuables (Fullan, 2001). Notons que ces modèles ne sont pas figés dans une démarche logique et rationnelle. Ils constituent des balises permettant une meilleure compréhension des stratégies d’intégration de ces technologies, d’autant plus que certaines caractéristiques de l’école permettraient de prédire la rapidité et la facilité avec laquelle ces technologies seraient intégrées dans celle-ci (Rogers, 2000). Les avantages à utiliser ces modèles proviennent de leur grande capacité d’adaptation du processus de changement aux différents sites de l’étude. Ces modèles prônent l’émergence des stratégies contingentes aux besoins et à la nature du milieu, et invitent à effectuer un travail d’analyse à partir de l’environnement propre à chaque école, afin de comprendre adéquatement les stratégies administratives et pédagogiques qui favorisent l’intégration durable des technologies de l’information et de la communication à l’école.

3. Méthodologie

La présente étude s’inscrit dans le cadre de la vaste étude transnationale menée conjointement, de 2004 à 2007, par l’Université de Montréal et le Réseau ouest et centre africain de recherche en éducation (ROCARÉ), et subventionnée par le Centre de recherches en développement international (CRDI), sur l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation de cinq pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (Bénin, Cameroun, Ghana, Mali, Sénégal).

3.1 Type de recherche

Cette étude est de nature essentiellement descriptive. Il s’agit d’une recherche interprétative (Gohier, 2004 ; Klein et Myers, 2006 ; Merriam, 1988 ; Orlikowski et Baroudi, 2006 ; Savoie-Zajc, 2004). Le courant interprétatif adopte une perspective systémique et interactionniste. Les chercheurs accordent une grande importance au contexte et se montrent éclectiques dans leurs choix d’outils de travail. Dans la mesure où elle questionne le sens que les acteurs donnent à leur situation et à leurs actions, les chercheurs jugent la perspective interactionniste essentielle pour comprendre des entrevues en profondeur.

3.2 Sélection des écoles

Nous avons collecté des informations auprès des organismes non gouvernementaux (ONG) et auprès des différentes structures chargées de l’enseignement primaire, normal, secondaire général et technique des ministères de l’éducation de base et des enseignements secondaires du Cameroun ; ces informations nous ont permis d’identifier un bon nombre d’écoles où les TIC semblent intégrées. Pour la sélection des cas, nous avons tenu compte de la situation du Cameroun, qui est un pays bilingue (français-anglais), mais aussi d’autres composantes du contexte de l’étude (secondaire général-technique, écoles publiques-privées, etc.). D’autres critères (province, situation géographique) ont aussi prévalu dans le choix des écoles, afin de pouvoir prendre en compte toutes les situations d’utilisation des technologies dans l’éducation au Cameroun. Plusieurs filtres ont été utilisés : des contacts écrits, des fiches complétées, une visite de validation, pour enfin retenir huit écoles. Cette méthode de sélection pragmatique, par étapes successives, et basée sur un ensemble de critères variés, nous a conduit à la sélection de huit écoles qui constituent l’échantillon théorique de l’étude (Tableau 1).

Tableau 1

Écoles secondaires sélectionnées pour l’étude

Écoles secondaires sélectionnées pour l’étude

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Les huit écoles secondaires sélectionnées sont des établissements scolaires francophones ou anglophones situés dans les chefs-lieux de cinq régions sur les 10 que compte le Cameroun. La figure 1 ci-dessous illustre bien le contexte particulier du Cameroun qui est un pays bilingue (français-anglais), mais aussi un pays où certaines régions sont plus scolarisées que d’autres. Sur le site géographique des écoles sélectionnées pour l’étude, on voit bien que celles-ci ne sont pas regroupées dans une seule région.

Figure 1

Localisation géographique des écoles de l’étude

Localisation géographique des écoles de l’étude

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3.3 Instrumentation et déroulement de l’enquête

D’une durée maximale de 30 minutes, 45 entrevues individuelles, semi-dirigées et de groupe (Tableau 2), ont été réalisées avec les directeurs d’écoles, les enseignants, les élèves et les parents d’élèves dans les écoles. Hormis l’Institut des Sciences et Techniques des Enseignements (ISTE) qui a été sélectionné en raison de son caractère pionnier dans l’élaboration du matériel didactique, un minimum de trois entrevues par école a été effectué avec les différents sujets. Les entrevues de groupe, menées à la suite et en complément des entretiens individuels, ont permis la confrontation des résultats obtenus pour assurer la validité interne de la recherche.

Tableau 2

Entrevues réalisées par école et par catégorie de sujets

Entrevues réalisées par école et par catégorie de sujets
1

Entrevues individuelles

2

Focus Group

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Le directeur d’école ou son représentant était retenu d’office pour l’entrevue, alors que les élèves et les enseignants, d’âges variés, étaient choisis aléatoirement ; pour les entrevues de groupe, le nombre de participants variait d’une école à l’autre, entre trois et six personnes. Les parents interrogés étaient présents dans les écoles au moment de l’enquête et ont volontairement accepté de répondre aux questions.

Le schéma d’entrevue des directeurs d’écoles comportait 22 questions, réparties en quatre sections distinctes. Il visait à recueillir les éléments d’information sur le processus d’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école. Le protocole d’entrevues des enseignants comportait 31 questions, et avait pour but d’obtenir leur point de vue à propos de leur compétence à utiliser ces technologies, et de connaître les éléments de pratique pédagogique ainsi que les conditions d’accès, d’utilisation et de formation à ces technologies à l’école. Le protocole d’entrevues des parents, constitué de 12 questions, visait à savoir si ces derniers étaient engagés ou avaient un rôle à jouer dans le processus d’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école.

Les entrevues ont été complétées par l’exploitation d’une cinquantaine de documents administratifs et historiques : politique nationale de l’éducation et des technologies de l’information et de la communication, textes et instructions ministériels sur l’introduction de l’informatique dans les programmes scolaires et la programmation de la formation des élèves dans les centres multimédia, correspondances et démarches administratives auprès du ministre de l’Éducation en vue de l’introduction de ces technologies dans les établissements scolaires, etc. Le recoupement de documents avec des informations de sources variables a contribué à accroître la validité interne des résultats.

3.4 Méthode d’analyse des données

Pour cibler les stratégies administratives et pédagogiques d’intégration de ces technologies dans le contexte de l’enseignement secondaire au Cameroun, nous avons adopté la technique d’analyse de contenu (L’Écuyer, 1990) qui nous a permis de repérer, lors de la lecture des entrevues, des thèmes pertinents en lien avec les objectifs de la recherche (Miles et Huberman, 2003 ; Paillé et Mucchielli, 2003).

Aussi, une lecture attentive de tout le verbatim et des documents collectés dans les huit écoles a été faite, des codes ont été convenablement attribués aux divers segments significatifs des entrevues transcrites. Afin que nous puissions procéder à de simples analyses statistiques, les codifications ont été quantifiées. Après avoir effectué les regroupements importants, nous avons essayé de trouver un sens, de voir ce que les données nous apprennent au sujet des stratégies d’intégration de ces technologies. La même démarche a été empruntée pour l’analyse des entrevues de groupe. Toutefois, les catégories qui ont émergé empiriquement à la suite du codage évolutif étaient différentes, mais se sont précisées au fur et à mesure des allers-retours entre le matériau empirique et la théorie, pour enfin se consolider.

3.5 Considérations éthiques

Les mesures éthiques suivantes ont été prises au cours de la réalisation de notre recherche : Confidentialité, Obtention du consentement éclairé et Transmission aux participants des résultats de la recherche.  

3.5.1 Confidentialité

Les participants ont été avisés qu’aucun nom ou information personnelle ne serait divulgué et que les données de l’étude seraient conservées pendant une période de cinq ans avant d’être détruites, comme le stipulent les règles du Comité d’éthique de l’Université de Montréal. Ce protocole a été respecté lors de la retranscription de toutes les entrevues dans un document Word. Les codes attribués apparaissaient autant sur l’entrevue que dans le nom du fichier électronique de chaque participant. Toutes les réponses aux questions étaient traitées sous forme de données et codes numériques au moment de l’analyse et l’interprétation. Seules les données ne mettant pas en cause le caractère confidentiel des sujets de l’étude sont disponibles dans les résultats.

3.5.2 Obtention du consentement éclairé

Un formulaire de consentement libre et éclairé a été formellement envoyé à tous les directeurs, enseignants et représentants des parents d’élèves pour solliciter leur collaboration à répondre de la façon la plus précise possible aux questions permettant de mieux comprendre les stratégies d’intégration durable des technologies de l’information et de la communication à l’école sur les plans administratif et pédagogique. Le consentement libre des élèves était donné par les directeurs d’écoles et les représentants des parents dont l’obtention de la signature attestait qu’ils avaient bien compris la nature de la recherche et les renseignements concernant la participation des élèves aux entrevues. Les participants ont aussi été informés qu’ils ne devaient pas hésiter à demander des éclaircissements au cours de la recherche et qu’ils restaient libres, en tout temps, de décider de ne plus participer aux entrevues, étant donné que leur participation à l’étude était volontaire.

3.5.3 Transmission aux participants des résultats de la recherche

Certains participants ont été informés des résultats de la recherche lors du Colloque ROCARÉ-Cameroun, qui s’est déroulé les 2 et 3 juin 2008, à l’École Normale supérieure de Yaoundé, sur les avancées en intégration des technologies de l’information et de la communication appliquées à l’éducation.

4. Résultats

Les résultats consistent en une synthèse des réponses aux questions portant sur le rôle de ces différents acteurs sur l’utilisation et leur contribution à la durabilité de l’intégration de ces technologies à l’école. Les stratégies d’intégration de celles-ci dans les écoles sont mises en évidence dans deux grands blocs, qui comprennent chacun un volet administratif et un volet pédagogique.

4.1 Stratégies administratives d’intégration des TIC

Sur le plan administratif, des différences sont perceptibles selon qu’il s’agit d’une école privée ou d’une école publique. L’intégration des technologies de l’information et de la communication dans les écoles publiques est la manifestation d’une initiative présidentielle lancée en 2000. C’est à partir de 2001 que l’action gouvernementale s’est traduite dans les faits, principalement, par la création de 16 Centres de ressources multimédia (CRM), des laboratoires et des salles informatiques dans les lycées des principales villes. Un chef de Centre de ressources multimédia d’un lycée explique : Le projet des centres de ressources est un projet spécifique qui a été introduit par le Président de la République, et qui a été ensuite transmis au ministère de l’Éducation nationale (document Ens1E2, paragraphe 2). D’après un directeur d’école, c’est le ministère de l’Éducation nationale qui a introduit les TIC, le projet a commencé à la fin de l’année 2004 et est effectif depuis 2005 seulement (document DirE3, paragraphe 7). Son collègue souligne que la genèse de l’introduction des TIC dans son école remonte à 1989, lorsque le programme d’informatique est entré dans les lycées techniques comme discipline, et non comme spécialité (document DirE7, paragraphe 22).

Dans les établissements privés, les initiatives proviennent des directeurs et des fondateurs d’établissements. À l’Institut des Sciences et Techniques des Enseignements (ISTE) de Yaoundé, le projet d’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école date de 1991. Au Longla Comprehensive College de Bamenda, ce projet a démarré en 1998, tandis qu’au Collège des Lauréats de Douala, il a commencé en 1999. Le développement d’un partenariat, le maintien des contacts permanents et surtout les bonnes relations avec les organismes non gouvernementaux ont favorisé le déploiement de ces technologies au sein de ces établissements. Les échanges de points de vue lors des rencontres informelles, les ententes basées sur la confiance mutuelle et les complicités entre représentants des institutions et directeurs d’écoles privées sont des stratégies bénéfiques dont les retombées ont été substantielles.

Certaines stratégies adoptées ont amené les responsables des organismes non gouvernementaux à profiter de leurs voyages successifs au Cameroun pour doter, du même coup, quelques écoles d’ordinateurs et d’autres types de matériel informatique, sans payer les frais de douane. Une partie de l’équipement offert était installée par ces organismes, comme le commente un directeur d’école : Les donateurs viennent parfois avec cinq ou six étudiants de l’école où ils travaillent pour assembler les ordinateurs ici, et lorsqu’ils ont fini de les installer, ils repartent (document DirE5, paragraphe 40). En se servant de leurs relations personnelles, plusieurs responsables d’écoles privées ont acheté, à un prix dérisoire, des ordinateurs de seconde main auprès des ambassades et des représentations diplomatiques des pays étrangers.

4.2 Stratégies pédagogiques d’intégration des TIC

Les stratégies pédagogiques mises en oeuvre dans les écoles sont nombreuses et diversifiées. Elles s’organisent autour de deux principaux points : 1) l’initiation et l’accompagnement à l’utilisation des technologies et 2) les dispositifs et méthodes de formation des élèves par les enseignants.

4.2.1 Initiation et accompagnement à l’utilisation des TIC

La stratégie d’initiation et d’accompagnement à l’utilisation des ressources technologiques implique le déplacement des élèves vers le laboratoire informatique. Cela requiert, en général, un travail collaboratif entre les moniteurs des salles multimédias et les enseignants. Les Centres de ressources multimédias et les salles d’informatique servent de salles de cours ou d’enseignement. Dotées d’ordinateurs dont le nombre varie d’un établissement à l’autre, ces structures sont des lieux de formation où sont constituées des banques de ressources éducatives des différentes disciplines. Les élèves s’y rendent à une fréquence programmée selon les écoles : deux heures par semaine ou deux heures tous les quinze jours. Toutefois, en dehors de ces horaires, les enseignants y ont accès et peuvent, au besoin, y recommander leurs élèves pour certains travaux. Un moniteur formé en TIC commente : Compte tenu de notre capacité, nous avons réservé une tranche horaire qui va de 16h30 à 18h30 pour les enseignants. Ils ne peuvent venir qu’à ce moment-là pour faire leurs travaux (document Ens2E2, paragraphe 17).

Des élèves n’hésitent pas à faire appel à leurs encadreurs ou à solliciter le concours de leurs camarades lorsqu’ils ont besoin d’aide. En effet, dans chaque école, et même dans chaque classe, certains élèves sont reconnus par leurs camarades comme des experts en informatique. Il s’agit d’élèves qui bénéficient souvent du soutien d’autres personnes (parents, tuteurs, frères, soeurs, etc.) et qui maîtrisent mieux ces outils, comparativement à leurs camarades qui n’ont pas facilement accès à un ordinateur en dehors de l’école. Pour pallier certaines difficultés qui ne sont pas essentiellement d’ordre technique (connexion défectueuse ou panne d’électricité), les enseignants associent ces élèves experts au processus d’apprentissage, et leur aide constitue une stratégie efficace d’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école.

La création des cédéroms et l’organisation des dossiers par classe au niveau du serveur sont des stratégies perceptibles dans les lieux d’initiation et d’apprentissage. Chaque classe possède un dossier sur le serveur où sont rangés tous les travaux des élèves. Un enseignant commente : Dans le dossier de classe, chaque élève a un sous-dossier partagé auquel il a accès pour travailler (document Ens1E3, paragraphe 42). Une enseignante monitrice formée en TIC souligne : Ce que nous faisons, c’est que nous mettons un cours en réseau parce que nous sommes en réseau ici et chaque élève, avec son identifiant, ouvre le cours et peut regarder le cours en diaporama (document Ens2E1, paragraphe 17). Au Centre de ressources multimédia, des cours téléchargés et compilés sur des cédéroms par les enseignants sont mis à la disposition des élèves qui pourront les visionner en dehors de l’école.

Dispositifs et méthodes de formation des élèves. L’introduction du cours d’informatique, l’élaboration des fiches de suivi et d’évaluation, la prolongation du cours au-delà de l’horaire prévu, la sensibilisation et l’élaboration des contenus de formation sont les principaux dispositifs et méthodes de formation mis en place par les écoles sur le plan pédagogique.

Introduction du cours d’informatique dans le programme. L’enseignement de l’informatique comme discipline scolaire est une nécessité, car, pour de nombreux élèves, l’école est le seul lieu d’acquisition des notions élémentaires pour utiliser un micro-ordinateur : démarrer, arrêter, manipuler le clavier et faire des recherches sur Internet. Cette stratégie d’initiation à l’informatique repose sur l’apprentissage des logiciels comme Word, Excel, et sur la recherche dans Internet.

Élaboration des fiches de suivi pédagogique et d’évaluation des apprentissages. Pour le suivi pédagogique, certains enseignants fixent les objectifs de leurs cours en classe, puis remettent des fiches de liaison aux moniteurs multimédias, qui les annotent à la fin de la séance dans les salles d’ordinateurs selon les consignes données. D’autres enseignants donnent des orientations aux élèves en classe, puis veillent personnellement à leur exécution dans les salles multimédias. Un enseignant explique : Je vous ai donné ma méthode, j’oriente en classe, j’informe ici et je suis présent lorsqu’ils s’exercent (document GrpeE1, paragraphe 72). Un effort pour l’élaboration des didacticiels est perceptible, mais reste limité aux seuls moniteurs. Pour évaluer les connaissances des élèves en TIC, plusieurs techniques sont utilisées par des enseignants en fonction de leur spécialité. Des devoirs et exercices permettent de vérifier les acquis d’apprentissage et d’évaluer la capacité des élèves à réagir facilement aux problèmes de classe. Posées à la fin d’un cours, des questions, de différents types, permettent de s’assurer de leur participation réelle aux activités. Un enseignant explique : Je m’assure, à la fin de ma leçon, qu’au moins trois sur quatre faits prévus ont été réalisés par tous les élèves (document Ens2E2, paragraphe 18).

Certains enseignants surveillent le travail des élèves en se déplaçant d’un ordinateur à l’autre pour s’assurer que leurs consignes sont bien comprises et exécutées convenablement.

Prolongation de la séance au-delà des horaires officiels pour des cours de soutien. Le prolongement de la leçon est une autre stratégie utilisée par quelques enseignants pour soutenir les élèves dans leur apprentissage. À la fin du cours ou pendant les heures de pause, de tels enseignants sont disponibles pour aider les retardataires à surmonter leurs difficultés et s’assurer qu’au niveau de l’apprentissage, ceux-ci progressent, même quand cela se fait lentement.

Sensibilisation et démystification des TIC. La sensibilisation est une stratégie utilisée par les moniteurs formés au niveau pédagogique à ces technologies pour démystifier celles-ci et susciter un changement de mentalité chez les élèves et les enseignants. Cette stratégie consiste notamment à expliquer aux enseignants de ne pas faire de l’intégration des TIC une matière à part entière, à enseigner ou à apprendre, mais de leur faire comprendre qu’il s’agit, avant tout, d’outils pour la recherche et l’échange d’informations sur le cours. Une enseignante explique : L’ordinateur, c’est comme la télévision que vous avez à la maison. Il y a beaucoup à découvrir dans cet outil. Si vous voulez en bénéficier, vous y trouverez de très bonnes choses. Et si vous voulez vous perdre, il pourra aussi vous aider à vous égarer (document Ens4E1, paragraphe 15).

Élaboration des contenus de cours pour la formation. Dans l’une des écoles, un document d’apprentissage des nouvelles technologies, destiné aux écoles camerounaises, adopté et validé par le ministère de l’Éducation, a été produit sous le titre Apprendre autrement : informatique en classe de sixième sous la collection PowerScol. Deux pays d’Afrique l’utilisent comme livre de référence au programme, notamment le Cameroun et le Bénin.

Au total, sur le plan administratif, le gouvernement a joué un rôle majeur pour le déploiement des technologies de l’information et de la communication dans les écoles publiques, alors que, dans les établissements privés, c’est le développement d’un partenariat avec les organismes non gouvernementaux qui a été déterminant. Plusieurs écoles ont reçu des dons de l’étranger pour accroître leur parc informatique. Les stratégies pédagogiques varient aussi d’une école à l’autre. Elles vont de l’introduction des cours d’informatique aux stratégies plus complexes de production des contenus, en passant par des dispositifs de suivi, d’évaluation et de sensibilisation. La section suivante présente les stratégies mises en place pour assurer la durabilité de l’intégration des TIC.

4.3 Stratégies pour assurer la durabilité de l’intégration des TIC à l’école

Le fonctionnement permanent des ordinateurs dans les écoles nécessite des supports techniques adéquats, des moyens pour assurer leur maintenance, leur remplacement et leur renouvellement. Plusieurs mesures sont envisagées sur les plans administratif et pédagogique pour relever les défis liés à l’utilisation durable des technologies de l’information et de la communication dans les écoles.

4.3.1 Stratégies administratives

Les stratégies administratives pour assurer la durabilité de l’intégration des technologies de l’information et de la communication couvrent six dimensions : 1) entraide et solidarité du corps enseignant, 2) volonté de pérennisation et de soutien des pouvoirs publics, 3) évaluation des coûts et institution d’un fonds informatique, 4) contribution de l’association des parents d’élèves, 5) renforcement du partenariat et de l’aide extérieure, et 6) stratégies diverses.

Entraide et solidarité du corps enseignant. L’entraide et la solidarité du corps enseignant sont des stratégies qui, en l’absence de programmes de formation clairs et systématiques, permettent souvent aux enseignants de se compléter mutuellement. Les enseignants profitent des journées pédagogiques pour se perfectionner grâce au travail collaboratif avec les personnes-ressources. L’appropriation se fait de plusieurs manières : lorsqu’un moniteur est occupé, l’enseignant disponible et compétent le remplace ; le moniteur, par exemple, assiste les enseignants dans les recherches d’informations sur des thèmes précis. Ce travail d’équipe se réalise parfois pour trouver des solutions au problème d’entretien des ordinateurs.

Volonté de pérennisation et de soutien des pouvoirs publics. Pour assurer la durabilité de l’intégration pédagogique de ces technologies, certains responsables d’écoles publiques misent sur la volonté et le soutien des pouvoirs publics. Les directeurs de ces établissements estiment que l’État, comme initiateur des technologies de l’information et de la communication dans les écoles, donnera des subventions ou revalorisera le budget de l’école, afin que les charges utiles au fonctionnement de ces technologies (paiement des frais de connexion à Internet, entretien des ordinateurs, etc.) soient toujours assurées. Un directeur commente : L’État, comme un bon chrétien qui s’acquitte toujours de son aumône, ne manquera pas de soutenir durablement son école dans le processus d’intégration des TIC (document DirE2, paragraphe 18).

Évaluation coûts-durabilité et institution d’un fonds informatique. Certains directeurs d’école ont créé, à même le budget de leur établissement, un fonds destiné au fonctionnement, à la maintenance des appareils informatiques et à l’apurement des diverses factures.

Contribution de l’association des parents d’élèves (APE). Des parents d’élèves sont d’avis qu’il leur faut mettre la main à la pâte pour donner la chance à leurs enfants d’utiliser, le plus longtemps possible, l’ordinateur à l’école. En payant la somme de 2000 Fcfa (environ 5 $ CAN) par année pour chaque enfant, nombreux sont les parents qui participent au développement des technologies de l’information et de la communication à l’école. Très motivés, d’autres parents préfèrent se limiter à donner des conseils, car ils trouvent qu’ils contribuent déjà assez financièrement auprès de l’association des parents d’élèves, qui supporte le paiement des vacations des enseignants. Une cotisation pour le fonctionnement de ces technologies est perçue par eux comme une charge supplémentaire, mais qui reste indispensable. Un parent souligne : Nous sommes très intéressés par ces outils désormais inséparables pour quiconque voudrait continuer à vivre dans le village planétaire. S’il y a des contributions particulières à faire, les parents ne sauront se retenir, ils n’hésiteront pas à réagir dans la limite de leurs moyens (document GrpeParE6, paragraphe 57).

Renforcement du partenariat et de l’aide extérieure. Grâce au partenariat et à l’aide internationale, certaines écoles ont acquis un espace Web gratuit (indispensable pour la mise à disposition des contenus pédagogiques, les productions des élèves et le montage des projets collaboratifs), et la possibilité d’échanger avec d’autres établissements scolaires du Nord.

Stratégies diverses. Diverses autres stratégies sont en cours dans les écoles : création ou aménagement des salles spécialement réservées aux enseignants ; diminution des frais de connexion à Internet et adoption de tarifs préférentiels pour les écoles ; établissement d’une volonté politique et exonération de taxes sur les produits informatiques destinés aux écoles ; élaboration d’un plan de construction de salles multimédias connectées par satellite ; mobilisation des moyens pour la maintenance et la protection des appareils informatiques, etc. D’autres mesures pédagogiques sont aussi envisagées pour une utilisation durable des technologies de l’information et de la communication.

4.3.2 Stratégies pédagogiques

Sur le plan pédagogique, plusieurs actions sont menées dans les écoles pour amener les enseignants et les élèves à intégrer de façon continue ces technologies dans les activités d’enseignement ou d’apprentissage.

Élaboration des contenus, production de didacticiels et cédéroms. Pour surmonter les difficultés liées au manque de livres et de documentation dans certaines disciplines, certains enseignants regroupent, dans leur espace de travail, des cours de leurs collègues éparpillés dans le monde. Des ressources regroupées sous forme de didacticiels et de cédéroms interactifs sont aussi mises à la disposition des enseignants et élèves d’autres écoles équipées en ordinateurs. Un enseignant moniteur en technologies de l’information et de la communication affirme : Nous utilisons PowerPoint pour la création des ressources, des didacticiels (document GrpeE2, paragraphe 109). Son collègue ajoute : À long terme, nous allons fabriquer des cédéroms contenant la plupart des ressources de base, de manière à envoyer un cédérom à un enseignant se trouvant là où il n’y a peut-être pas Internet (document GpeEnsE2, paragraphe 81).

Formation et recyclage des enseignants à l’utilisation des TIC par groupes consécutifs. Un programme de formation des enseignants en technologies de l’information et de la communication existe dans certaines écoles publiques (2 heures par semaine). Un directeur d’école explique : Il y a beaucoup de séminaires organisés par CFA Stephenson qui a installé notre multimédia. Cette organisation non gouvernementale, basée à Paris, organise de temps en temps des séminaires d’imprégnation en TIC (document DirE1, paragraphe 39). Dans les écoles privées, des volontaires formés en un jour, par l’organisation non gouvernementale Corps de paix, sont aussi sollicités à temps partiel (trois fois par semaine) pour travailler avec des groupes d’enseignants. Dans leur plan stratégique, les écoles privées espèrent avoir, pour les prochaines années, des formateurs volontaires à temps plein, tandis que les écoles publiques envisagent la possibilité de former les enseignants pendant les vacances, période durant laquelle ceux-ci ont plus de temps pour suivre la formation de façon continue.

Création et animation des clubs scientifiques liés aux TIC. Dans certains établissements, l’intégration de ces technologies se fait à partir de l’animation d’un club de recherche scientifique comme le « club Internet ». Le tableau 3 donne une synthèse des stratégies organisationnelles mises en place dans les écoles pour l’intégration et l’utilisation durables de ces technologies à l’école.

Tableau 3

Récapitulatif des stratégies organisationnelles d’intégration des TIC par rapport à l’incursion et à la durabilité

Récapitulatif des stratégies organisationnelles d’intégration des TIC par rapport à l’incursion et à la durabilité

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5. Discussion des résultats

Les résultats montrent que les interactions et dynamiques qui ont cours dans les écoles par rapport à l’intégration des TIC ne s’énoncent pas en termes de processus linéaires ou d’étapes précises à réaliser, comme le soulignent plusieurs auteurs (Berman et McLaughlin, 1976 ; Fullan, 2001).

Qu’elles soient publiques ou privées, les stratégies organisationnelles reliées à ces technologies dans les écoles sont diverses et prennent plusieurs années. Les stratégies utilisées, quelquefois complexes et atypiques, réclament, de la part des dirigeants des établissements, un leadership fort et une vision globale, systémique, comme le montrent les recherches de certains spécialistes (Raby, 2005 ; Fullan, 2001 ; Bibeau, 1996 ; Savoie Zajc ; 1993 ; Berman et McLaughlin, 1976). Autant pour l’acquisition des équipements que pour les méthodes pédagogiques d’intégration de ces technologies, les démarches sont de type expérimental dans plusieurs écoles, et visent à réduire la fracture numérique d’ordre quantitatif et qualitatif, avec le branchement des écoles aux technologies de l’information et de la communication, et la mise en place d’un système de formation à ces technologies. Toutefois, les stratégies administratives semblent préliminaires au processus d’accès et d’appropriation de ces technologies par les enseignants et les élèves, notamment en ce qui concerne la constitution du parc informatique.

Si la formation continue des enseignants est une stratégie convenable, compte tenu du contexte général de pénurie dans les écoles, la consolidation du partenariat pour l’acquisition des ordinateurs et le renforcement des capacités infrastructurelles de l’école devrait être une stratégie provisoire, afin d’éviter aux écoles camerounaises d’être des dépotoirs de matériel informatique dont les pays dits riches souhaiteraient se débarrasser avec une générosité qui leur donne bonne conscience. La constitution d’un fonds informatique à partir des revenus de vente de tickets d’accès à Internet aux élèves et de cotisations retenues sur les frais de scolarité est une stratégie qui, malgré ses limites (frais rassemblés difficilement, faible bourse des élèves et mauvaises conditions salariales des enseignants) montre bien que des écoles peuvent assurer la durabilité de l’intégration de ces technologies en comptant sur leurs propres ressources, comparativement à la recherche de Diallo (2005) qui souligne que certains processus d’intégration de ces technologies échoueraient à la suite du départ des bailleurs de fonds.

Comme le soulignent Karsenti et Larose (2005), faute d’une bonne stratégie de maîtrise des coûts ou d’adoption des politiques et budgets à la fois stables et récurrents, susceptibles de garantir la durabilité de l’intégration des technologies de l’information et de la communication, la contribution des parents d’élèves s’avère une stratégie essentielle pour appuyer le développement continu et durable de ces technologies à l’école. Leur engagement, bien que controversé (plusieurs parents pensent que le fait de cotiser leur confère un droit de contrôle sur la gestion financière de l’établissement et sont quelque peu exigeants), mettrait plusieurs écoles à l’abri de la dépendance stricte vis-à-vis de l’État ou d’autres organismes partenaires pour le fonctionnement de ces technologies.

Sur le plan pédagogique, donner un cours d’informatique comme stratégie d’accompagnement des enseignants et des élèves au processus d’intégration des TIC peut comporter des aspects négatifs, notamment lorsque, dans une école, on enseigne pendant plusieurs années les mêmes notions (parties d’un ordinateur, comment démarrer et fermer un ordinateur, comment enregistrer un fichier, etc.). Lors de ces enseignements, les répétitions peuvent démotiver les élèves qui aimeraient aller au-delà des connaissances de base. Pour éviter les dérapages éventuels, il faut que les enseignants adaptent les contenus ainsi développés, les réajustent à leurs cours en les enrichissant avec leurs propres contenus ou en les actualisant. L’enseignant qui désire utiliser un didacticiel gagnerait aussi à prévoir le travail pratique qu’il propose aux élèves.

Par ailleurs, le développement des contenus de formation et la production des cédéroms à partir des informations venant d’ailleurs sont des stratégies encore timides et pas encore vulgarisées, tandis que la stratégie de sensibilisation des élèves et enseignants aux usages pédagogiques des technologies à l’occasion de la fête annuelle de l’Internet reste sporadique. La sensibilisation à l’usage pédagogique de ces technologies corrobore les études (Shafika, Broekman et Mogale, 2005 ; Tchameni Ngamo et Karsenti, 2008) selon lesquelles cette stratégie dissipe l’inertie et la crainte à les utiliser. C’est un travail de promotion et de longue haleine, car lorsqu’un enseignant, par exemple, n’est pas convaincu de l’utilité de ces technologies pour l’enrichissement de son cours, il ne s’y intéresse pas. Dans la réalité, le manque de temps et d’espace, les conflits horaires dans les salles d’ordinateurs ne favoriseraient pas toujours les effets attendus de cette sensibilisation.

La circulation de l’enseignant dans la salle est une stratégie pédagogique dissuasive qui semble efficace pour s’assurer que les élèves restent concentrés sur les tâches assignées. Toutefois, en raison du petit nombre d’ordinateurs et du nombre important d’élèves à superviser à la fois, certains élèves peuvent évoluer à contre-courant parce qu’ils se trouvent placés à trois ou quatre par ordinateur, dans un unique Centre de ressources multimédia conçu pour un maximum de 56 et non 90 élèves. Dans ces conditions, plusieurs élèves n’ont pas toujours la chance de manipuler le clavier et la souris. Néanmoins, les stratégies administratives et pédagogiques associées au processus d’intégration des technologies de l’in- formation et de la communication dans les écoles urbaines du Cameroun sont plurielles et contribuent, bien que lentement, à la réduction de la fracture numérique.

6. Conclusion

Cet article avait pour objectif de cerner des stratégies administratives et pédagogiques d’intégration des technologies de l’information et de la communication dans huit écoles secondaires urbaines du Cameroun. Une analyse thématique de données (documents collectés dans les écoles et entrevues réalisées auprès de directeurs, enseignants et parents d’élèves) a permis de mettre en évidence des stratégies qui ne sont pas homogènes dans toutes les écoles.

En ce qui concerne les stratégies d’intégration, les résultats montrent, sur le plan administratif, des actions du gouvernement dans les écoles publiques et des initiatives personnelles des directeurs et fondateurs dans les écoles privées. Le partenariat multiforme avec les organismes internationaux a beaucoup facilité l’introduction de ces technologies dans la plupart des écoles. Sur le plan pédagogique, l’étude a permis de saisir diverses stratégies d’initiation et d’accompagnement à l’utilisation de ces technologies pour la formation des enseignants et pour l’évaluation des apprentissages des élèves.

Quant aux stratégies visant à assurer la durabilité de l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans les écoles, on relève, entre autres, sur le plan administratif, l’institution d’un fonds informatique, le soutien financier de l’État, la contribution des parents d’élèves, le renforcement du partenariat et diverses négociations. Sur le plan pédagogique, les stratégies portent principalement sur l’élaboration des contenus et la production des didacticiels et cédéroms, sur la formation des enseignants à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, et sur la sensibilisation à l’usage de ces technologies dans des clubs scientifiques de recherche.

Étant donné que certaines stratégies comme la sensibilisation, le recours aux dons, l’élaboration des contenus et même la formation des enseignants sont sporadiques, il serait souhaitable de mettre en place une formation systématique par groupes, et en lien avec les potentialités de chaque établissement scolaire. Dans le même ordre d’idée, l’apprentissage par les technologies contribuerait davantage à faciliter le cheminement vers une utilisation transversale des compétences en ce domaine dans différentes disciplines.

Par ailleurs, pour atténuer les problèmes écologiques causés par l’utilisation des ordinateurs usagés et éviter que les écoles camerounaises ne soient amenées à devenir des lieux de réception de matériel informatique usagé dont les pays développés souhaiteraient généreusement se débarrasser, des spécifications minimales d’importation des ordinateurs de seconde main ainsi que des normes environnementales devraient être mises en place par l’État camerounais. À défaut de subventionner les écoles pour le fonctionnement des TIC, l’État pourrait rendre le processus plus facile et moins coûteux pour les écoles en supprimant ou en abaissant les taxes d’importation sur l’équipement neuf.

L’étude multi-cas demande habituellement la mobilisation de ressources matérielles et financières importantes. Le nombre restreint de huit écoles, circonscrites dans les principales régions de l’ensemble du territoire géographique national pour mieux cerner les stratégies administratives et pédagogiques d’intégration durable des technologies de l’information et des communications, peut apparaître comme une limite de l’étude et faire percevoir celle-ci comme manquant de validité externe et d’objectivité.

De cette étude qui a capitalisé sur certaines expériences, ont pu émerger quelques stratégies administratives et pédagogiques disparates et non exhaustives. Plusieurs initiatives étant encore en cours d’expérimentation, de nouvelles recherches sont nécessaires dans ce domaine. Des études portant sur les stratégies de mobilisation des ressources, sur l’impact de la mobilité enseignante sur l’apprentissage des élèves avec les technologies de l’information et de la communication ou sur les facteurs inhibiteurs du processus de formation des enseignants à l’utilisation des TIC en contexte camerounais ou africain sont dignes d’intérêt. Ces recherches permettront de mieux stabiliser les stratégies développées, afin qu’elles profitent et servent de guides ou de références à l’éventail d’acteurs de l’éducation qui aspirent à l’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’école. C’est en cela que la présente étude revêt un intérêt certain dans la lecture des actions visant à améliorer le système éducatif du Cameroun, la lutte contre la pauvreté et l’analphabétisme des temps modernes.