Article body

1. Introduction et problématique

Dans un contexte social imprégné de l’influence de la majorité anglophone, l’école de langue française doit pouvoir offrir aux élèves un lieu de socialisation langagière et culturelle en français, de construction identitaire francophone et de conscientisation afin d’assurer la survie et la reproduction sociale des communautés francophones minoritaires (Landry, Allard et Deveau, 2007). Le personnel enseignant doit donc assumer des rôles et des responsabilités particulières non seulement en offrant des expériences d’apprentissage nécessaires au développement social, affectif et intellectuel de l’élève, mais en contribuant également au développement des compétences en français, de la culture et du patrimoine de ces groupes (Patrimoine canadien, 2000). Pour réaliser la double mission de la réussite scolaire et du développement de la langue et de la culture françaises de l’école, Gilbert, LeTouzé, Thériault et Landry (2004) mentionnent que le personnel éducatif doit établir une pédagogie propre à ce milieu et compenser les lacunes sur le plan des compétences linguistiques et de l’expérience culturelle des élèves. Toutefois, ces chercheurs précisent que le personnel enseignant reçoit encore trop peu de formation initiale ou continue relative à l’enseignement en milieu minoritaire, et ce, même si les défis à surmonter sont grands.

Pour sa part, Gérin-Lajoie (2002, 2006) décrit le rôle du personnel enseignant en milieu francophone minoritaire comme celui d’un agent de reproduction linguistique et culturelle. L’auteure mentionne qu’il s’agit d’une question complexe et que les intervenants ne s’entendent pas toujours sur la manière de répondre efficacement au mandat de l’école. Elle ajoute que la notion de culture au centre du discours scolaire est souvent peu définie, ce qui suscite tout un questionnement sur la nature de la culture à transmettre et sur la façon d’identifier les référents culturels de la communauté francophone. À cet effet, Gilbert, LeTouzé et Thériault (2007) mentionnent qu’il y a deux visions de la communauté francophone minoritaire qui s’opposent. Ils précisent que la première conçoit la communauté comme construite sur une histoire, des manières d’être, une langue et une culture communes, ce qui lui permet de se maintenir. La seconde fait plutôt place au pluralisme et à la diversité sur le plan de la langue, de la culture et des croyances. D’où l’importance, selon Magnan et Pilote (2007), de s’interroger sur l’idéologie du multiculturalisme, qui remet en question le projet de société de la communauté francophone dans ses écoles. Enfin, selon le rapport LeBlanc (2009) sur l’école francophone du Nouveau-Brunswick, il est essentiel que les enseignants aient une meilleure compréhension du sens et de la portée de la mission identitaire de l’école acadienne et francophone afin de pouvoir acquérir les outils qui leur permettront de jouer leur rôle de passeurs culturels et d’accompagnateurs dans la construction identitaire francophone de leurs élèves.

Compte tenu du rôle important que le personnel enseignant est appelé à jouer, nous voulons comprendre comment le développement identitaire, linguistique et culturel singulier d’enseignantes d’écoles primaires de langue française en milieu anglodominant du Nouveau-Brunswick influence le sens qu’elles accordent à leur rôle de passeuse culturelle. Nous cherchons aussi à comprendre le type de rapport à la culture des enseignantes sur le plan personnel et la façon dont celui-ci influence leurs pratiques culturelles, la place qu’elles accordent à la culture francophone et acadienne, de même que les difficultés qu’elles doivent surmonter quotidiennement afin de contribuer à la réalisation de la mission de l’école de langue française.

Zakhartchouk (1999) définit le passeur culturel comme celui qui guide les élèves vers des horizons nouveaux en jetant des ponts entre leur culture première et une seconde culture, qui s’ouvre à de nouveaux horizons et transforme l’individu. Selon Dumont (1987), l’individu doit se distancier de sa culture première, qui lui a fourni les repères pour donner au monde une signification, afin d’en arriver à se faire une représentation de lui-même, ce qui constitue la fonction de la culture seconde. Étant donné qu’en milieu francophone minoritaire, plusieurs jeunes ont été peu exposés à la langue et à la culture française, le passeur culturel est celui qui accompagne les élèves dans un processus de construction identitaire francophone. Il doit donc offrir aux jeunes des occasions de découverte et d’expression de la culture francophone qui s’ouvrent sur les autres cultures (ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, 2009), tout en les amenant à intérioriser un choix identitaire conscient et autodéterminé (Landry, Allard et Deveau, 2010).

Dans cet article, nous verrons que le rôle de passeur culturel est complexe. Nous nous demandons si l’identité de chaque enseignante et son rapport à la culture influencent ou non les pratiques culturelles qu’elles disent mettre en oeuvre afin de contribuer à la réalisation de la mission de l’école de langue française. Nous féminisons le texte lorsqu’il est question des participantes de notre étude, puisque notre échantillon était constitué de 14 femmes et d’un homme et que nous voulons protéger l’anonymat de ce dernier. Les questions de recherche qui suivent ont guidé notre étude.

  • Quel type de rapport à la culture les enseignantes entretiennent-elles et comment celui-ci influence-t-il leurs pratiques culturelles ?

  • Quel sens les enseignantes accordent-elles à leur rôle de passeuse culturelle en ce qui concerne la mission particulière de l’école de langue française en milieu minoritaire ?

  • Quel sens les enseignantes accordent-elles à leurs pratiques intégrant une dimension culturelle francophone et acadienne ? Quels en sont les enjeux et les défis ?

Pour en arriver à dégager une description riche et une compréhension du phénomène du rôle de passeur culturel tel que vécu par les enseignantes, notre recherche emprunte le courant qualitatif/interprétatif (Savoie-Zajc, 2011), tout en privilégiant une approche d’influence phénoménologique herméneutique (van Manen, 1997, 2007). Cette approche favorise une réflexion ancrée sur une expérience de la quotidienneté des enseignantes, par un questionnement sur le phénomène éducatif étudié afin de mettre en lumière des éléments de réflexion susceptibles d'améliorer des pratiques courantes (Lamarre, 2003 et van Manen, 1997).

2. Contexte théorique

2.1 Construction identitaire francophone

Un bon nombre d’élèves et d’enseignants de régions anglodominantes se disent, entre autres, francophones, bilingues, biculturels, anglophones, canadiens- français ou acadiens (Gilbert et al., 2004). L’identité bilingue gagne plus de place dans le discours de la francophonie, étant donné qu’une forte proportion de jeunes maîtrisent l’anglais, la langue dominante, et se définissent comme bilingues (Dalley, 2006 ; Landry, Deveau et Allard, 2006). Or, étant donné que l’identité d’un individu demeure en constante négociation (Pilote et Magnan, 2012), la construction identitaire francophone est au coeur de la mission de l’école de langue française, qui a la responsabilité de développer des individus compétents dans leur langue et fiers de leur culture (Landry et al., 2006). La construction identitaire se caractérise par un processus dynamique où la personne se définit et se reconnaît dans sa manière de réfléchir, d’agir et de vouloir dans les divers contextes sociaux où cette personne évolue (Association canadienne d’éducation de langue française, 2006). Le personnel enseignant a donc la responsabilité de créer en classe des conditions qui favorisent le développement d’une conscience ethnolangagière critique où l’élève est engagé et tend davantage à valoriser la langue et la culture de son groupe et à en revendiquer les droits linguistiques (Landry et al., 2010). De plus, l’intégration d’une dimension culturelle francophone aux apprentissages, par une démarche réflexive qui permet aux élèves de se situer dans la dynamique de la francophonie, aura un effet sur leur désir de s’intégrer à la communauté francophone (Landry et al., 2007).

2.2 Type de rapport à la culture

Selon Simard (2002), l’intégration d’une dimension culturelle doit se faire en permettant aux élèves de s’approprier et d’intégrer les connaissances culturelles de façon originale et personnelle. Toutefois, Falardeau et Simard (2007) affirment qu’avant de prendre forme dans des activités d’enseignement et d’apprentissage, une approche culturelle de l’enseignement s’incarne dans le rapport qui s’établit entre la personne et la culture, sur le plan individuel, de même que dans le rapport entre l’enseignant et la culture de l’élève, sur le plan pédagogique. Ces chercheurs ont développé une typologie du rapport à la culture de quatre types : désimpliqué, scolaire, instrumentaliste et intégratif-évolutif. Ils précisent que, pour que l’enseignante ou l’enseignant puisse jouer son rôle de passeur culturel et devenir, comme l’entend Zakhartchouk (1999), un passionné de culture, il est important de considérer le rapport à la culture du type intégratif-évolutif comme un préalable à la mise en oeuvre d’une approche culturelle de l’enseignement. Selon ce type de rapport, la culture occupe une place centrale dans la vie de l’individu qui s’investit dans des pratiques culturelles régulières et diversifiées où le savoir est conçu comme un objet dynamique qui s’incarne dans des pratiques scolaires et extrascolaires. Cependant, certains individus peuvent avoir un type de rapport à la culture désimpliqué, dans la mesure où ils ne s’intéressent pas aux savoirs culturels qui n’ont pas de valeur à leurs yeux ou de type scolaire, c’est à dire qu’ils considèrent que la culture fait partie de savoirs universels et culturels qu’ils doivent apprendre selon les programmes d’études. Enfin, certains individus entretiennent avec la culture un rapport de type instrumentaliste, c’est-à-dire qu’ils s’approprient la culture pour en retirer un bénéfice symbolique ou matériel et non pour enrichir leur compréhension du monde. Falardeau et Simard (2007) proposent donc d’amener les enseignants à développer un rapport à la culture de type intégratif-évolutif afin qu’ils arrivent à articuler une pensée pédagogique en matière de développement culturel en classe et soient capables d’accompagner les élèves dans leur développement culturel et identitaire francophone.

2.3 Culture

Gohier (2002) mentionne que la notion de culture en milieu scolaire est difficile à cerner, puisque son contenu, les conditions de son appropriation et les moyens la favorisant sont aussi débattus selon le contexte culturel et les enjeux du débat. Selon cette chercheuse, la culture qui englobe toutes les facettes de la personne est le matériau qui lie la personne à son groupe d’appartenance et qui donne un sens à son identité. Puisque, dans une communauté francophone minoritaire, il faut assurer la reproduction linguistique et culturelle francophone, la culture doit refléter la manière d’être de cette communauté qui se donne une vision et un projet d’avenir (ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2004). Pour montrer le caractère dynamique et évolutif de la culture en milieu francophone minoritaire, nous ajouterons qu’elle constitue le lien entre la transmission (héritage, tradition, moeurs de sa société) et la construction (participation, engagement, transformation des individus) qui favorise une coproduction entre le récit (la mémoire) et l’agir (la volonté) (Cazabon, 2007, p. 39).

2.4 Défis et enjeux de l’enseignement en milieu minoritaire

Des recherches effectuées en milieu francophone minoritaire révèlent que certains enseignants ne sont pas outillés pour faire face aux réalités du milieu linguistique minoritaire (Gilbert et al., 2004). Parmi ces études, celles de Gérin-Lajoie (2002, 2008) révèlent que certains enseignants trouvent leur rôle complexe face aux défis à relever en milieu francophone minoritaire, alors que d’autres ne sont même pas conscients du rôle politique particulier de l’école de langue française dans ce contexte. Cette chercheuse ajoute que même si certains sont conscients de l’influence qu’exerce la présence d’une majorité anglophone sur les pratiques sociales des élèves, ils perçoivent souvent leur rôle comme celui d’agents de transmission de savoir et ne s’interrogent pas sur la manière de développer chez les élèves un rapport à la langue et à la culture qui favoriserait un sens d’appartenance à la francophonie. Par conséquent, d’après Gérin-Lajoie (2010), ils ne se considèrent pas comme des agents de transformation comme le stipule le mandat de l’école de langue française en milieu francophone minoritaire. Cette chercheuse nous invite donc à repenser le travail enseignant en milieu francophone minoritaire au sein d’une francophonie de plus en plus fragmentée et à développer la conscience critique chez les membres du personnel enseignant afin de redéfinir la place de l’école et celle de leurs interventions.

3. Méthodologie de recherche

Afin d’obtenir une compréhension du rôle de passeuse culturelle chez des enseignantes qui travaillent dans des écoles francophones situées dans des régions anglodominantes au Nouveau-Brunswick, nous avons fait appel à une approche d’inspiration phénoménologique herméneutique. Selon Anadón (2006) et Paillé et Mucchielli (2008), cette approche comporte une logique descriptive et compréhensive qui étudie les significations que les sujets donnent aux phénomènes. Dans un souci de compréhension d’une expérience vécue, nous avons donc l’objectif de comprendre, de retracer et de faire des liens (Paillé, 2007) à partir des témoignages des enseignantes relativement à ce vécu. C’est aussi grâce au dialogue avec les participantes ainsi qu’aux données dont nous nous sommes imprégnées que l’herméneutique nous a permis de traduire, dans nos écrits, le sens que des enseignantes accordent à leur rôle de passeuses culturelles. Notre posture nous a guidées dans le choix d’une méthodologie de recherche orientée vers la pédagogie, celle développée par van Manen (1997) afin de rendre la réflexion phénoménologique accessible aux praticiens de l’éducation pour qu’ils comprennent mieux comment ils vivent leurs expériences en tant qu’éducateurs. Cette phénoménologie de la pratique, comme la nomme van Manen (2007), nous permet alors de mieux appréhender les relations qui existent entre l’identité de ces praticiens et leur manière d’agir, tout en trouvant un langage qui peut exprimer et communiquer cette compréhension. Toujours selon la méthodologie de van Manen (1997), à travers les étapes d’analyse qui seront décrites plus loin, nous avons dégagé les thèmes qui caractérisent le rôle de passeur culturel, pour en arriver à une description profonde qui permet de comprendre le sens de l’expérience de ce rôle.

3.1 Sujets

Nous nous sommes inspirées du processus de sélection selon des critères établis (LeCompte et Preissle, 1993). Nous avons identifié des enseignantes de la quatrième à la huitième année qui travaillent dans cinq écoles primaires du district scolaire 01 situées en milieu urbain anglodominant du sud du Nouveau-Brunswick et qui enseignent plusieurs matières scolaires au même groupe d’élèves. Ces enseignantes devaient aussi avoir enseigné au moins quatre ans dans des écoles de ce district et avoir acquis une expérience de passeuses culturelles. À la suite de notre rencontre avec les membres du personnel éducatif de ces écoles ciblées, un enseignant et 14 enseignantes se sont engagés à participer à notre étude.

3.2 Cueillette des données et déroulement

Afin d’accéder à l’expérience vécue par chacune des enseignantes et d’obtenir des données (van Manen, 1997), nous avons eu recours à l’entretien semi-dirigé individuel, à l’entretien de groupe, au témoignage personnel (Bachelor, 1989) et au journal de bord de la chercheuse principale et des participantes (Savoie-Zajc, 2011). Nous avons d’abord rencontré chaque enseignante, à l’hiver 2009, dans l’école où elle travaille, pour un entretien individuel d’une durée d’un peu plus de soixante minutes et qui tenait compte à la fois de son attitude et du contexte relationnel dans lequel elle se situait (Paillé et Mucchielli, 2008). Comme nous cherchions aussi à obtenir la description d’expériences telles que vécues par des enseignantes qui parlent de leur rôle, le vivent, le ressentent et en rendent compte, nous avons encouragé les participantes à noter dans leur journal de bord, dans les semaines suivant l’entretien, tout aspect relié à leur rôle de passeuses culturelles. Quelques mois plus tard, nous avons mené des entretiens de groupe avec ces mêmes enseignantes là où elles travaillaient afin d’accorder une plus grande place aux interactions sociales entre elles et de leur offrir l’occasion de communiquer de nouveaux éléments au sujet de leur expérience. Avant d’échanger, nous avons invité chaque enseignante à écrire spontanément, pendant une vingtaine de minutes, ce qui lui venait à l’esprit concernant sa manière de vivre et de ressentir son rôle de passeuse culturelle. Ce témoignage personnel a aussi été analysé.

3.3 Méthode d’analyse des résultats

Pour procéder à l’examen phénoménologique herméneutique permettant de reconstituer la perspective des participantes (Paillé et Mucchielli, 2008), Lamarre (2003) propose, dans un premier mouvement d’analyse, d’identifier les thèmes phénoménologiques par l’extraction des énoncés thématiques. Pour y arriver, nous nous sommes imprégnées des données de l’expérience de chacune de nos participantes par des lectures répétées des transcriptions afin de percevoir le sens général qui émerge de chaque description, le contexte du phénomène étudié, les thèmes récurrents et l’organisation globale du vécu. La dimension descriptive nous permet alors d’être attentives à la manière dont les choses apparaissent, alors que la dimension interprétative (herméneutique) favorise la découverte des faits de l’expérience vécue qui ont été captés en langage et interprétés, ce qui, selon van Manen (1997), occasionne un processus interprétatif inévitable. L’examen attentif des entretiens réalisés nous a permis de repérer les phrases qui semblaient révéler un point de vue significatif de l’expérience vécue et ainsi d’en dégager les unités de signification (Paillé et Mucchielli, 2008), pour en arriver ultimement à produire des énoncés phénoménologiques en marge du texte. L’étape suivante a permis d’effectuer une première réorganisation du verbatim de chaque sujet sous la forme d’un récit phénoménologique qui tenait compte des éléments significatifs par rapport à la problématique de la recherche (Paillé et Mucchielli, 2008). Nous avons finalement obtenu une structure spécifique pour chacune des participantes et à la fin de cette étape, nous avons soumis notre description à chacune d’elles pour qu’elle corrige les erreurs ou les éventuels biais et pour qu’elle l’enrichisse des aspects qui auraient été négligés (Paillé et Mucchielli, 2008). Cela assure une triangulation indéfinie (Savoie-Zajc, 2011), puisqu’il y a un retour avec chaque sujet de la recherche afin de vérifier que le récit rédigé par la chercheuse de terrain reflète bien son expérience.

Avec plusieurs sujets, diverses structures spécifiques se dégagent. Lamarre (2003) suggère donc, dans un deuxième mouvement d’analyse, de circonscrire les structures de l’expérience par la rédaction d’un texte qui considère l’ensemble des thèmes principaux. Un travail d’analyse-interprétation a donc été accompli afin d’extraire les thématiques récursives qui étaient comprises dans les 15 structures spécifiques des participantes et qui semblaient avoir une incidence sur leur manière de vivre leur rôle. Nous avons aussi approfondi notre analyse en nous référant aux quatre dimensions existentielles proposées par van Manen (1997) afin de mieux comprendre la réalité expérientielle des enseignantes. Ce chercheur propose de tenir compte de l’expérience du corps qui ressent (corporéité), du temps subjectif plutôt qu’objectif (temporalité), de l’espace ressenti plutôt que physique (spatialité) et des relations établies dans l’espace partagé avec les autres (relationalité). Il affirme que ces quatre existentiaux sont universels et forment des caractères ontologiques et constitutifs de l’homme qui permettent d’appréhender ses manières d’être dans le monde. Ainsi, comme le propose van Manen (1997), nous avons tissé des liens entre les thématiques essentielles du rôle de passeur culturel et ces existentiaux afin d’en arriver à la structure essentielle de ce rôle.

3.4 Considérations éthiques

Nous avons suivi les principes éthiques qui concernent les sujets de la recherche en respectant leur intégrité et leur vie privée (Angers, 2005). Nous avons aussi obtenu l’approbation du comité d’éthique de notre université après avoir répondu à leurs exigences. Enfin, les participants ont aussi signé un formulaire de consentement à la recherche précisant les règles de confidentialité et les modalités concernant le droit de se retirer de l’étude.

4. Résultats

L’analyse et l’interprétation des données à la lumière des existentiaux ont contribué à une meilleure compréhension du rôle de passeur culturel en milieu francophone minoritaire. Cela a été possible en tenant compte 1) du contexte physique dans lequel les enseignantes vivent et ressentent ce rôle, 2) des relations qu’elles y établissent et 3) de la manière dont l’expérience du temps y est vécue. Deux grands thèmes découlent de notre analyse : le cheminement identitaire, culturel et professionnel des enseignantes ainsi que le sens qu’elles accordent à leur rôle de passeuses culturelles.

4.1 Cheminement identitaire, culturel et professionnel des enseignantes

La perspective phénoménologique herméneutique nous a permis de saisir comment les vécus socialisants en français, (qu’ils soient acculturants, autonomisants ou conscientisants) et le degré de vitalité ethnolinguistique des communautés d’où sont issues les enseignantes ont façonné leur rapport à la langue française et à la culture acadienne, de même que leur degré de conscientisation et d’engagement envers la communauté francophone. Les enseignantes possèdent entre 4 et 23 années de carrière en enseignement et certaines ont travaillé dans différentes écoles de langue française de divers milieux francophones majoritaires ou minoritaires du pays, dans des écoles d’immersion et même à l’étranger. L’étude du parcours personnel et professionnel différencié des enseignantes montre que, pour huit d’entre elles qui ont grandi dans un environnement à forte vitalité ethnolinguistique francophone, il est normal de fonctionner et d’interagir avec les gens en français. Ces dernières considèrent en effet qu’elles ont développé un goût et un intérêt pour les référents culturels francophones et, par conséquent, affichent toujours fièrement leur appartenance à la langue et à la culture françaises. Toutefois, leur arrivée en milieu anglodominant les a conscientisées, d’une part, aux menaces qui guettent au quotidien la pérennité de la langue française et, d’autre part, au fait qu’elles ont à affirmer leurs droits linguistiques afin de pouvoir vivre en français. Georgette, par exemple, précise que vivre dans un tel environnement a éveillé en elle un plus fort sentiment d’appartenance à sa langue et un besoin de s’affirmer comme francophone.

Quant aux sept autres enseignantes, qui ont grandi en milieu anglodominant et donc déjà habituées aux référents culturels anglophones et à la nécessité d’avoir à parler la langue anglaise, l’analyse de leur propos nous permet de remarquer qu’elles paraissent bien acclimatées au milieu anglodominant, au point de ne pas sembler trop s’alarmer du degré de vitalité ethnolinguistique de leur communauté francophone. Deux d’entre elles considèrent même qu’elles ont une identité bilingue. Toutefois, des expériences comme celle de fréquenter une université francophone et de côtoyer de nouveaux amis qui s’affirment par rapport au fait français les ont éveillées à la valeur de leur langue et de leur culture françaises. La dimension de la temporalité nous éclaire sur le cheminement culturel des enseignantes qui, peu importe le contexte socioculturel dans lequel elles ont grandi, ont choisi en toute conscience de vivre en français, même si elles y arrivent parfois avec des résultats mitigés.

La plupart d’entre elles disent qu’elles veulent contribuer à une dynamique de socialisation langagière en français, non seulement dans leur milieu familial et au sein de la communauté francophone, mais aussi à l’école de langue française. Toutefois, il semble que ce soit surtout celles qui ont grandi dans un contexte à forte vitalité ethnolinguistique francophone qui ont développé un attachement profond à la langue française, qu’elles relient à leur identité. Elles paraissent aussi plus engagées à vouloir vivre en français, à agir et à contribuer à l’épanouissement de la communauté francophone, sous peine de perdre leur identité. Marianne l’affirme ainsi : La culture, ça m’habite […] ça fait partie de mes gènes, donc c’est sûr que j’y attache une grande valeur puis je le véhicule. Quant à Louiselle, elle dit : La langue française, c’est la fibre même de qui je suis. Par ailleurs, certaines enseignantes expriment leur peur de perdre cette langue française qui leur tient à coeur, ce qui les incite à vouloir s’engager. C’est le cas de Georgette, qui souligne : Je réalise que la francophonie est fragile et que je dois être proactive, engagée, missionnaire. […] c’est important de supporter et d’encourager […].

4.2. Sens accordé au rôle de passeur culturel en milieu francophone minoritaire

4.2.1 Création d’un espace francophone à l’école

À la lumière de l’existentiel de la spatialité (Van Manen, 1997) qui décrit l’espace ressenti et les relations qui s’y établissent, nous découvrons que plusieurs enseignantes veulent contribuer à la création d’un espace francophone à l’école — plus particulièrement dans leur classe — où les élèves pourront vivre et s’exprimer en français. Elles partagent aussi leurs principes et convictions selon leur interprétation de la mission particulière de l’école de langue française en milieu minoritaire. Certaines enseignantes mentionnent alors l’importance d’habiter cet espace francophone en étant des modèles linguistiques qui s’expriment dans un français standard. Elles partagent même leur propre vécu culturel ou divers référents culturels francophones afin de montrer aux élèves qu’il est possible et plaisant de vivre en français. D’autres participantes insistent plutôt sur le fait que l’école joue un rôle essentiel pour ce qui est de conserver la langue française et la culture francophone et acadienne, surtout qu’elles sont préoccupées des dangers qui menacent cette langue et cette culture. Elles estiment que si elles contribuent au développement de la langue française et sensibilisent les élèves à la richesse de leur culture francophone, ces derniers pourront faire un choix plus éclairé quant à leur langue et à leur identité. À ce sujet, nous constatons les divers degrés de conscience des enseignantes face aux responsabilités et aux rôles particuliers qu’elles relient à la mission linguistique et culturelle de l’école.

4.2.2 Disposition affective à l’égard de son rôle

L’existentiel de la corporéité nous a permis d’entrer dans l’univers plus intime des enseignantes et de mieux saisir leur disposition affective et leurs émotions à l’égard de leur rôle de passeuses culturelles. À ce sujet, plusieurs enseignantes expriment le plaisir qu’elles éprouvent à jouer en classe ce rôle qu’elles trouvent passionnant et amusant. Elles le valorisent parce qu’elles réalisent l’importance de faire rayonner la langue et la culture françaises et de partager leur fierté avec les jeunes. Elles parlent aussi de leur enthousiasme de leur plaisir et de leur satisfaction à faire vivre des activités de langue et de culture qui stimulent et motivent les élèves. Christiane déclare : L’intégration de la culture aux apprentissages, c’est le plaisir. Chaque fois que je découvre quelque chose de différent et que je puisse le partager avec les élèves, c’est toujours passionnant. Pour sa part, Marielle mentionne : Je trouve cela plus amusant et je ressens un sentiment de fierté lorsque mes élèves partagent qu’ils ont aimé telle activité. Marianne exprime aussi son grand attachement à la langue française, qu’elle veut communiquer aux élèves : J’aime trop ma langue, j’aime trop ma culture […]. Alors moi, c’est fierté. Nous remarquons donc qu’il existe un attachement à l’identité francophone chez certaines enseignantes, ce qui les incite à vouloir conscientiser les élèves et à les amener à sentir, comme elles, que la langue et la culture se ressentent à l’intérieur de soi et qu’il faudrait en être fiers.

Toutefois, certaines enseignantes éprouvent des sentiments mitigés et divergents en ce qui concerne le fait d’assumer leur rôle de passeuses culturelles, car selon elles, tout en prenant plaisir à intégrer une dimension culturelle à leur enseignement, elles constatent que leur mandat est lourd par rapport à la mission particulière de l’école de langue française. À ce propos, Georgette affirme : Il faut que j’en fasse plus que quelqu’un qui est dans une école anglophone. […] je dois être une vendeuse de produits : [montrer] que la langue française, c’est la plus belle chose. Noémie aussi considère que le rôle qu’elle joue dans la survie de la langue est parfois ardu dans ce milieu : C’est plus que des modèles. Je me sens presque comme une bouée de temps en temps. Noémie sent donc qu’elle doit en faire plus dans une école où la langue est menacée : C’est exigeant, car il faut être aux aguets de tout ce sur quoi l’anglais peut venir empiéter et justifier pourquoi c’est important de faire ça en français ! Ainsi, malgré leur enthousiasme et leurs convictions, ces deux enseignantes expriment aussi la lourdeur qu’elles vivent par rapport à la mission de l’école de langue française.

Dans la dimension de la corporéité, nous constatons aussi que des enseignantes vivent de l’incertitude, un déséquilibre et même un malaise en ce qui concerne leur rôle de passeuses culturelles. Certaines nous disent qu’elles ne sont pas sûres de ce que l’on entend par les expressions reproduction culturelle et culture et qu’elles s’interrogent sur la façon de s’y prendre pour jouer leur rôle. Louiselle explique : Il faut que je m’assure de passer la culture… ma culture ? Leur culture ? Tout ne semble pas s’y prêter. […] ce n’est pas inné, ce n’est pas naturel que la culture ressorte toujours dans tout ce que je fais. Ce manque de précision par rapport au sens du mot culture amène Louise à avouer : Je me sens coincée contre un mur, car je ne suis qu’un peu outillée et je ne sais pas trop quoi faire. […] Je me sens parfois insécure [sic] et parfois perdue. De son côté, Réjeanne parait plutôt détachée devant cette ambigüité et déclare : J’aimerais plus de précision, mais ça ne m’affecte pas beaucoup. D’autres enseignantes semblent se culpabiliser et s’en vouloir de ne pas en faire plus en tant que passeuses culturelles, mais elles sentent qu’elles manquent de temps et d’énergie pour mieux jouer ce rôle.

4.2.3 Type de rapport à la culture

L’analyse et l’interprétation des données à la lumière de l’existentiel de la relationalité révèlent que même si des enseignantes disent qu’elles croient à l’importance de la langue et de la culture françaises, celles qui n’ont pas un rapport à la culture de type intégratif-évolutif sur le plan personnel ne semblent pas intégrer une dimension culturelle francophone régulièrement et volontairement dans leur classe. Ainsi, pour plusieurs d’entre elles, l’intégration de la culture semble se faire de façon sporadique, lorsque l’occasion se présente. Certaines ont même peu de choses à dire à ce sujet et ne donnent que quelques exemples de l’exploitation de matériel culturel qu’elles effectuent en classe. Ces enseignantes paraissent percevoir l’intégration culturelle comme une action qu’elles devraient accomplir par rapport à la mission et aux attentes du système scolaire, plutôt que comme une manière d’être et d’agir en tant que passeuses culturelles afin d’enrichir le bagage identitaire et culturel des jeunes. Par contre, les enseignantes qui ont un rapport à la culture de type intégratif-évolutif disent qu’elles cherchent à développer chez l’élève un rapport à la langue française et à la culture francophone qui soit dynamique et stimulant, et cela, par des activités signifiantes qui exploitent une variété de référents culturels francophones et qui permettent aux jeunes de découvrir et de vivre la richesse de leur langue et de leur culture. Enfin, pour créer une relation positive à la langue, quelques enseignantes précisent qu’elles veulent rejoindre les élèves dans leurs champs d’intérêt afin de les amener à choisir consciemment la langue française. Elles semblent reconnaître qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à valoriser la langue française. Christine l’exprime ainsi : Mes élèves savent que la langue française est importante et que je la vis pleinement. […] Tout ce que je peux faire, c’est de rendre mon cours de français tellement intéressant qu’ils vont dire que c’était plaisant de faire du français.

4.4 Pistes pour mieux jouer son rôle

Certaines enseignantes font des suggestions constructives afin de pouvoir mieux assumer leurs responsabilités en tant que passeuses culturelles. Quelques-unes affirment avoir besoin d’être mieux guidées et d’avoir accès à des documents ainsi qu’au soutien de ressources humaines et matérielles. D’autres expriment des préoccupations quant au développement de la langue et de la culture françaises, surtout que plusieurs jeunes vivent pratiquement toujours en anglais, sauf à l’école, ce qui contribue à faire en sorte qu’ils ont des difficultés scolaires sur les plans linguistique et culturel francophones. Certaines enseignantes mentionnent aussi qu’elles aimeraient sentir plus de dynamisme, d’engagement et de solidarité entre les membres du personnel enseignant afin qu’ensemble ils puissent créer cet espace francophone à l’école. Elles jugent important de conscientiser et de mobiliser le personnel éducatif quant à sa responsabilité par rapport à la mission linguistique et culturelle de l’école. Enfin, la dimension de la temporalité met en lumière le fait qu’il manque de temps pour se rencontrer et planifier, pour trouver du matériel et même pour faire place à des activités relatives à la culture en classe, ce qui contribue à produire, chez quelques enseignantes, l’impression d’être en course continuelle avec le temps alors que tout va si vite.

5. Discussion

L’analyse du cheminement identitaire, culturel et professionnel des enseignantes fait ressortir que des expériences socialisantes diversifiées, vécues dans des contextes socioculturels également diversifiés, ont façonné leur rapport à l’identité et à la culture francophone et leur degré de conscientisation et d’engagement envers cette communauté. Ce constat nous incite à établir que le parcours identitaire de ces enseignantes peut influencer leurs pratiques pédagogiques et leur rôle de passeuses culturelles dans les écoles francophones en milieu linguistique minoritaire. Alors qu’une étude de Landry et al. (2007) montre que les enseignants sont, pour les élèves, des modèles de valorisation de la langue et de la culture les plus conscientisants, nous nous interrogeons : l’école en milieu minoritaire peut-elle se permettre d’embaucher du personnel enseignant qui ne soit pas informé, ni outillé pour pouvoir répondre au mandat de construction identitaire francophone de l’école ? D’où l’importance, selon Landry et ses collaborateurs (2007) ainsi que selon Gérin-Lajoie (2008, 2010), 1) de conscientiser et de responsabiliser le personnel enseignant aux réalités linguistiques et identitaires des milieux minoritaires, et 2) d’implanter un processus de construction identitaire francophone pour soutenir leurs élèves dans leur cheminement identitaire.

Un deuxième grand thème qui émerge de notre étude est le sens que les enseignantes accordent à leur rôle de passeuses culturelles. L’analyse et l’interprétation des témoignages recueillis à la lumière des dimensions existentielles proposées par van Manen (1997) a révélé une facette plus intime de l’univers des enseignantes. Nous apprenons alors que ce rôle interpelle chacune des participantes à des degrés différents et selon des principes et des convictions qui leur sont propres et qu’elles relient à la mission de l’école de langue française et acadienne. Certaines, surtout celles qui ont un rapport de type plus intégratif-évolutif à la culture, rapportent qu’elles jouent leur rôle de passeuses culturelles avec aisance et plaisir et éprouvent une grande joie à accompagner les élèves dans leur cheminement identitaire et culturel. Nous remarquons que le plaisir et la satisfaction ressentis en jouant ce rôle ont rarement été soulignés dans d’autres études en milieu minoritaire. Il est plus souvent question des défis et des obstacles que le personnel enseignant doit surmonter. Nous constatons aussi que le rôle de passeuse culturelle de chaque enseignante est intimement lié à ses convictions et à son identité en tant que francophone. Pourtant, Gérin-Lajoie (2006, 2010) mentionne que les enseignantes qui ont développé un sens profond d’attachement à la francophonie ne le traduisent pas nécessairement dans leur façon de concevoir leur rôle. Notre étude suggère plutôt que les enseignantes qui manifestent leur attachement à la communauté francophone en incarnant cette fierté de la langue et de la culture ont tendance à soutenir l’appartenance des élèves à la culture francophone.

Toutefois, selon nos résultats, celles qui ont un rapport à la culture de type instrumentaliste et qui ne voient pas la culture comme un moyen d’enrichir leur compréhension du monde n’arrivent pas à intégrer la culture de manière planifiée et régulière en classe et ne se sentent pas très outillées pour le faire. Cela nous incite donc à apporter une nuance aux résultats de l’étude de Lafontaine, Dezutter et Thomas (2010), réalisée auprès d’enseignantes de français au Nouveau-Brunswick, selon laquelle des enseignantes qui perçoivent le niveau de vitalité de leur communauté francophone comme faible ont un rapport à la culture de type intégratif-évolutif. Notre recherche révèle plutôt que, même si les enseignantes sont conscientes des défis reliés au développement et à la sauvegarde de la langue française dans les milieux anglodominants où elles travaillent, elles semblent manifester différents types de rapport à la culture sur le plan personnel, ce qui influence le type de rapport à la culture qu’elles mettent en place afin de répondre à la mission de l’école de langue française.

Par ailleurs, tout comme l’ont déjà révélé d’autres études, nos résultats montrent que plusieurs enseignantes vivent de l’incertitude par rapport au développement culturel et qu’elles manquent de connaissances pour intégrer la dimension culturelle à leurs pratiques. Nos résultats indiquent également que les pratiques culturelles en classe ne se font pas à la même fréquence ni avec le même degré de facilité et de confort. Or, nous nous interrogeons sur les différents types de rapport à la culture du personnel enseignant dans les écoles francophones du Nouveau-Brunswick situées en contexte anglodominant. Comment s’attendre à ce que les enseignants puissent s’acquitter de leurs responsabilités face à la mission particulière de l’école ? Sont-ils capables d’accompagner leurs élèves dans leur cheminement culturel et identitaire si eux-mêmes n’ont pas le réflexe de valoriser consciemment des activités et des référents culturels francophones ? De plus, il nous apparaît important de définir ce qu’on entend par culture si on veut favoriser l’articulation d’une culture francophone dynamique et contemporaine qui tient compte du contexte dans lequel évolue l’école de langue française et acadienne (LeBlanc, 2009) tout en étant sensible au contexte multiculturel (Magnan et Pilote, 2007). À cet effet, Falardeau et Simard (2007) mentionnent qu’en se faisant eux-mêmes les sujets d’un projet culturel, les enseignants pourront mieux accompagner les élèves dans leur développement identitaire et culturel. D’où l’importance, à notre avis, de créer des espaces de réflexion pour que les membres du personnel enseignant questionnent leur rapport à la culture francophone et acadienne et, par conséquent, développent et intègrent une approche culturelle de l’enseignement.

Selon nous, bien que le système scolaire continue à véhiculer l’importance de la mission de l’école de langue française, il doit mieux répondre à ses responsabilités et offrir au personnel enseignant une formation ciblée qui aborde les enjeux particuliers du milieu minoritaire, le rapport à la culture française et acadienne et les concepts reliés à l’enseignement dans ce contexte. Comme l’ont déjà suggéré, parmi les chercheurs, Gérin-Lajoie (2010) ainsi que Landry et al. (2010), le personnel enseignant doit non seulement être conscientisé par rapport aux enjeux, mais il doit également participer à l’élaboration des solutions envisagées. Pour bien soutenir les enseignantes de notre étude, il nous apparaît donc important de ne pas nous contenter de dicter des recettes qui comportent l’application d’aspects techniques en ce qui concerne leur rôle de passeuses culturelles, mais de tenir compte de toute la dimension humaine et personnelle. À cet effet, Buors et Lentz (2004) mentionnent que plus les intervenants pédagogiques en milieu minoritaire suivront des formations qui privilégient des expériences passant par le vécu, le partage et la réflexion professionnels où ils peuvent jouer un rôle actif et engagé dans un processus qui développe une attitude de praticien réflexif, plus ils seront outillés pour faire vivre à leurs élèves des situations d’apprentissage du même ordre. Ces stratégies nous paraissent donc indispensables pour que le personnel éducatif puisse assumer ses responsabilités et contribuer à la forte vitalité ethnolinguistique de la communauté francophone minoritaire en conscientisant les élèves qui, à leur tour, pourront valoriser la langue et la culture françaises et revendiquer leurs droits linguistiques.

6. Conclusion

Cette étude phénoménologique herméneutique visait à comprendre, d’une part, le sens que des enseignantes d’écoles de langue française accordent à la culture et à leur rôle de passeuses culturelles et, d’autre part, comment leur identité et leur rapport à la culture influencent leurs pratiques d’intégration culturelle en classe.

Dans notre recherche, nous avons été en mesure de constater que le rôle de passeuse culturelle interpelle chacune de nos participantes à des degrés différents et que leurs pratiques culturelles en classe ne se font ni à la même fréquence, ni avec le même degré de facilité et de confort. Nous remarquons alors que les enseignantes qui manifestent leur attachement à la communauté francophone en incarnant cette fierté de la langue et de la culture ont tendance à soutenir l’appartenance des élèves à la culture francophone. Certaines d’entre elles éprouvent aussi une aisance et une satisfaction à accompagner les élèves dans leur cheminement identitaire et culturel, aspects positifs du rôle de passeur culturel qui ont rarement été soulignés dans d’autres études en milieu minoritaire. Cependant, comme certaines enseignantes avouent être plus engagées que d’autres par rapport à leur rôle de passeuses culturelles, nous croyons que tout le personnel enseignant doit être formé de manière à adopter des comportements ethnolangagiers engagés et à accompagner les élèves dans la construction de leur identité acadienne et francophone au Nouveau-Brunswick. À la lumière des préoccupations exprimées par les enseignantes qui affirment avoir besoin de soutien et de plus de ressources humaines et matérielles pour mieux intégrer une approche culturelle de l’enseignement, nous croyons que les décideurs scolaires ont un rôle crucial à jouer afin de mettre en place un plan de développement culturel et identitaire et de créer des conditions permettant au personnel éducatif de remplir efficacement le mandat de l’école de langue française. De plus, il nous semble que le rôle de passeur culturel dépasse le fait de mettre une pédagogie en oeuvre, alors qu’il doit aussi inculquer une attitude de praticien réflexif.

Après avoir effectué cette recherche d’inspiration phénoménologique herméneutique sur le rôle de passeuses culturelles que jouent les enseignantes, de nouvelles idées nous incitent à vouloir nous impliquer de plus près avec une équipe d’enseignantes, à travers une recherche-action qui favoriserait plus fréquemment l’analyse réflexive et l’échange par rapport à leurs expériences en tant que passeuses culturelles. D’ailleurs, une des limites de notre étude a été d’avoir un nombre assez élevé de participantes pour une recherche phénoménologique. Une telle recherche nécessite normalement un travail et une réflexion plus en profondeur avec un plus petit nombre des sujets. Une autre limite a été d’avoir choisi des enseignantes qui travaillent dans des écoles de langue française en milieu anglodominant du Nouveau-Brunswick, ce qui ne nous permet pas de comprendre ce qui se passe relativement au rôle de passeur culturel dans les milieux franco dominants de cette province ni dans d’autres contextes francophones minoritaires à l’extérieur de la province.

Une recherche-action future permettrait de recourir à un processus d’analyse réflexive qui guiderait les participantes de notre étude dans leurs pratiques culturelles et dans leur manière de jouer leur rôle de passeuses culturelles, en les incitant à décrire leurs expériences et à les interpréter pour qu’elles puissent envisager des pratiques éducatives innovantes. Autrement dit, il serait indiqué de former des professionnels capables de cheminer pour mettre en place une pédagogie propre au milieu francophone minoritaire, et donc pertinente pour accompagner le développement culturel et identitaire des élèves.