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1. Introduction et problématique

1.1 L’émoussement de l’intérêt pour les sciences et pour les mathématiques au secondaire

Les recherches révèlent que l’intérêt pour l’apprentissage des sciences est avéré en jeune âge, mais qu’il tend à décliner au fil du parcours scolaire, surtout au secondaire (DeWitt, Osborn, Archer, Dillon, Willis et Wong, 2013  ; George, 2006  ; Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2008  ; Osborne, Simon et Collins, 2003  ; Potvin et Hasni, 2014a et 2014b). Le phénomène est observé dans la plupart des pays développés et le Québec ne fait nullement exception (Hasni et Potvin, 2015  ; Potvin et Hasni, 2014a). Les écrits scientifiques indiquent aussi que l’école elle-même émousse ces bonnes dispositions initiales à l’égard des sciences (Osborne et Collins, 2001  ; Potvin et Hasni, 2014a, p. 792  ; Potvin et Hasni, 2014b, p. 98-99 ; Turner et Peck, 2010  ; Venturini, 2004). Certains traits propres à l’enseignement des sciences sont pointés du doigt : une approche que les élèves perçoivent autoritaire (en porte-à-faux avec l’esprit de la démarche scientifique), le peu d’espace offert au dialogue critique ou à la réflexion personnelle, une insistance sur l’acquisition d’un contenu au détriment d’habiletés génériques, le recours trop rare aux applications de la science ou aux contextes plus familiers aux élèves, etc. Il se dégagerait de ce portrait général un univers de significations (une culture ou un habitus selon les auteurs) très différent de celui auquel serait habituée la majorité des élèves. Pour eux, cet univers manquerait de pertinence (relevance chez Osborne et coll., 2003, p. 1061), comme s’ils se retrouvaient dans un pays étranger aux coutumes et à la langue inconnues (Aikenhead, 1996  ; Claussen et Osborn, 2013  ; Venturini, 2009).

Puisque les mathématiques interviennent tôt dans les programmes de formation et forment le socle de toute une série d’apprentissages, les écrits scientifiques n’assimilent pas nécessairement mathématiques et sciences et la place des premières ne fait pas toujours l’objet d’une attention particulière. Cette place des mathématiques est plutôt implicite dans les études concernées par la relève en sciences, technologies, génie et mathématiques (regroupés généralement sous l’acronyme anglais STEM). Or, le même effritement de l’intérêt en contexte scolaire est à l’oeuvre. La proportion d’élèves qui déclarent aimer apprendre les mathématiques décline de façon marquée entre la 4e et la 8e année, et ce, quel que soit le pays considéré ou le niveau de performance du répondant (Mullis, Martin, Foy et Hooper, 2016). L’étude de Goettfried, Fleming et Gottfried (2001), qui a l’avantage d’être longitudinale, révèle que la baisse de la motivation intrinsèque associée aux mathématiques est plus marquée que pour toute autre matière. Les raisons de cette perte d’intérêt pour les mathématiques pourraient être analogues à celles qui affectent les sciences puisque les élèves qui éprouvent le plus de difficultés à attribuer du sens à leur expérience scolaire en général voient aussi dans les mathématiques le type de savoir scolaire le plus distant de leur vie personnelle (Charlot et Bautier, 1993). En ce qui a trait aux élèves québécois, le gout des mathématiques et des sciences à l’école est moins prononcé que la moyenne internationale alors que la performance dans les deux domaines est supérieure (Mullis et coll., 2016). À l’échelle canadienne, le Québec se distingue surtout par un certain fatalisme à l’égard de l’apprentissage des sciences : on possède ou non le talent (O’Grady et Houme, 2015).

Potvin et Hasni (2014b) ont produit une excellente synthèse des études traitant des dispositions des élèves à l’égard des sciences à partir des concepts d’intérêt, d’attitude et de motivation. Parmi les principales dimensions mesurées on retrouve le plaisir ressenti lors des activités scolaires à teneur scientifique, les aspirations pour des études ou une carrière en science, la perception de l’utilité sociale des sciences, le sentiment de compétence en science ou, au contraire, la peur de l’échec dans ces matières, la perception de soi en science, l’image entretenue des scientifiques, etc. Ces dispositions positives ou négatives à l’égard des sciences sont ensuite corrélées avec différentes variables comme le genre du répondant, son origine socioéconomique, sa perception de l’intérêt que nourrissent ses pairs ou son entourage familial à l’égard des sciences, certaines caractéristiques de son environnement scolaire ou de la pédagogie à l’oeuvre dans ses classes de sciences, etc. Outre le déclin de l’intérêt des jeunes pour les mathématiques et les sciences au fil du parcours scolaire, quelques lignes de force se dégagent des écrits scientifiques. Parmi elles, citons des gouts divergents pour les garçons et les filles à l’égard des matières scolaires ou de leurs contenus, des corrélations (complexes, mais généralement attestées) entre les bonnes dispositions de l’élève à l’égard de ces matières et sa performance scolaire, ainsi que l’effet positif de certains environnements d’apprentissage, par exemple : un enseignant enthousiaste, des exercices qui rapprochent les sciences du quotidien de l’élève, une approche par résolution de problème, des activités ludiques, etc. (Osborn et coll., 2003, p. 1066-1071  ; Potvin et Hasni, 2014b, p. 101-108  ; voir aussi Chambers, 1983  ; Christidou, 2011  ; Gauthier, Garnier et Marinacci, 2005  ; Turner et Peck, 2010  ; Venturini, 2009).

Les constats ne sont pas unanimes quant à l’influence de certaines variables sociologiques comme le revenu familial ou le niveau de scolarité des parents (Potvin et Hasni, 2014b, p. 100). Par exemple, le sentiment de confiance et l’intérêt pour les mathématiques chez des jeunes du secondaire ne semblent pas reliés au statut socioéconomique (Vezeau, Chouinard, Bergeron et Janosz, 2010). Par contre, un lien serait à l’oeuvre entre les aspirations scientifiques des jeunes, le capital culturel familial et l’opinion qu’ont leurs parents des sciences, quoique des variations culturelles sont observées à cet égard (Dewitt et coll., 2013). C’est aussi le milieu familial que la recherche en sociologie associe plus particulièrement à la distance cognitive et affective ressentie à l’égard de l’école ou de certaines matières scolaires, notamment par les élèves issus de groupes désavantagés sur le plan du capital culturel (Aikenhead, 1996  ; Bourdieu et Passeron, 1970  ; Charlot, 1999  ; Claussen et Osborn, 2013 ; O’Grady et Houme, 2015  ; Venturini, 2009). À l’inverse, on observe que les jeunes issus de milieux familiaux scolarisés et économiquement avantagés auraient plus de chance de poursuivre une carrière scientifique, et ce, même lorsque la performance des élèves est contrôlée (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2016, p. 141).

1.2 Questions de recherche

La recherche à la base de cet article porte sur les rapports aux savoirs d’élèves ayant cheminé dans le système scolaire québécois et qu’on retrouve l’année où le choix de poursuivre ou non dans une filière scientifique doit être effectué. Elle repose sur deux principales questions. Premièrement, on cherchera à saisir quelle place occupent pour les élèves de 3e secondaire les mathématiques et les sciences parmi l’ensemble des matières scolaires apprises jusqu’à maintenant. Cette place occupée par chaque discipline recouvre trois dimensions : son importance perçue, l’intérêt qui lui est porté et le gout déclaré d’en poursuivre l’apprentissage. Deuxièmement, on cherchera à vérifier si l’examen des rapports aux savoirs permet de dégager une typologie des élèves en fonction des logiques d’apprentissage qui sont les leurs et, sur la base de ces dernières, de leur propension à poursuivre des études de sciences.

2. Contexte théorique

Dans cette recherche, nous avons opté pour une perspective sociologique. Cette dernière était déjà présente dans certaines études sur le déclin de l’intérêt pour les sciences et les mathématiques (Aikenhead, 1996  ; Claussen et Osborn, 2013). De plus, nous avons opté pour une approche qualitative (Osborne et Collins, 2001), car cette approche est mieux adaptée à notre volonté de laisser les principaux intéressés exprimer les raisons sur lesquelles ils fondent leur appréciation d’un savoir ou d’un autre. Dans cette perspective, la science est envisagée comme une sous-culture dont les prémisses (y compris sa prétention à l’universel), les normes et les valeurs sont en grande partie apprises à l’école, et dont l’acquisition représente un défi plus important pour certains élèves que pour d’autres.

Notre premier objectif est de rendre compte du sens que confère l’élève au fait d’aller à l’école, d’y apprendre des contenus, de comprendre la matière enseignée, d’y faire ou non des efforts et d’espérer s’y former en vue d’une profession à venir. De cet univers de significations peuvent être dégagées des logiques d’apprentissage, lesquelles reposent à leur tour sur des rapports aux savoirs (Bautier et Rochex, 1997  ; Charlot, 1997 et 1999  ; Lahire, 2000  ; Venturini, 2009). Le rapport au savoir peut être compris comme « l’ensemble (organisé) de relations qu’un sujet humain (donc singulier et social) entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir : objet, ‟ contenu de pensée”, activité, relation interpersonnelle, lieu, personne, situation, occasion, obligation, etc., liés en quelque façon à l’apprendre et au savoir » (Charlot, 1999, p. 3). Ces rapports ont une dimension épistémique évidente qui intéresse la didactique des sciences, mais aussi des dimensions identitaire et sociale dont la prise en compte affine la compréhension du sens que l’élève donne au fait d’apprendre les mathématiques, le français, les sciences, etc. (Cappiello et Venturini, 2011). Même si ces rapports entretenus par chaque élève à l’égard de l’école et des matières scolaires sont tous singuliers, ils présentent des récurrences lorsqu’on tient compte de l’origine sociale des élèves. En milieu populaire, par exemple, l’école est moins une source de savoirs susceptibles d’être appréciés en eux-mêmes qu’un passage obligé dont il convient de ne pas trop bafouer les normes ou les consignes (Charlot, 1999). Il arrive ainsi que le besoin de passer le cours de mathématiques résume bien mieux les intentions d’un élève que celui de comprendre la matière. Par ailleurs, chez ces élèves, l’opposition entre l’apprentissage à l’école et l’apprentissage de la vie y est plus critique et confine parfois à la contradiction. Ils peinent davantage à objectiver les savoirs scolaires, en particulier ceux dont ils ne font pas un usage spontané au quotidien, notamment la grammaire (Lahire 2000) et les mathématiques (Charlot et Bautier, 1993). C’est pourquoi les mathématiques se résument souvent pour eux à une épreuve arbitraire qu’il convient de réussir pour passer à l’étape suivante.

Dans ce qui suit, nous tenterons de mieux saisir le rapport que les élèves de 3e secondaire entretiennent à l’égard des différentes matières scolaires et de comprendre en quoi certains groupes de jeunes se distinguent ou se ressemblent quant au sens qu’ils confèrent à ces matières. Puisque l’étude n’a pas un caractère longitudinal, il ne sera pas possible de mesurer un quelconque effritement de l’intérêt pour l’une ou l’autre des matières enseignées. Toutefois, l’approche privilégiée comprend un retour sur les savoirs déjà acquis et une certaine projection dans l’avenir, ce qui permet à tout le moins de situer les mathématiques et les sciences dans l’univers de significations de l’élève à un moment névralgique de son parcours scolaire.

3. Méthodologie

La majorité des études sur l’intérêt des jeunes pour les sciences reposent sur des questionnaires et peu font appel à l’entretien, à l’observation en classe ou à d’autres approches qualitatives (Osborne et coll., 2003, p. 1059  ; Potvin et Hasni, 2014b, p. 95-96). Notre perspective nous conduit plutôt vers ce second groupe d’options et, à cet égard, nous avons retenu l’approche des bilans de savoirs. Le bilan de savoir est un texte rédigé par l’élève lui-même qui répond à quelques questions ouvertes : « Depuis que je suis né, j’ai appris plein de choses, chez moi, dans la cité, à l’école et ailleurs… Quoi  ? Avec qui  ? Qu’est-ce qui est important dans tout ça  ? Et maintenant, qu’est-ce que j’attends  ? » (Charlot, 1999, p. 7). Puisque l’effort de compréhension vise ici l’expérience scolaire et plus spécifiquement les mathématiques et les sciences en contexte scolaire, nous avons modifié les questions en conséquence et fait fi des apprentissages extrascolaires. Néanmoins, aucune matière n’était indiquée dans les consignes ou suggérée aux répondants, ce qui permettait de comparer la place spontanément occupée dans l’esprit des élèves par chacune des disciplines scolaires.

Signalons au passage que le choix des bilans de savoirs n’est pas exempt de biais. Même s’il ne s’agit pas d’un exercice proprement scolaire, il implique tout de même un rapport à l’écriture qui est loin d’être uniforme chez les groupes répondants. En ce sens, on peut se demander s’il accentue les différences que l’on souhaite mettre en lumière ou s’il en génère lui-même une partie. Or, l’analyse tient compte justement des pratiques discursives qui structurent les bilans.

3.1 Les sujets

Au cours de l’année scolaire 2014-2015, un questionnaire de bilan de savoirs a été rempli en classe par des élèves de 3e secondaire. Au total, 498 bilans ont été recueillis. De ce nombre, 471 ont été conservés pour l’analyse qui suit, les autres étant ceux d’élèves qui n’ont pas respecté les consignes. Les répondants proviennent de quatre écoles : une école privée située sur l’ile de Montréal, représentée par deux classes (une régulière et une proposant le programme du baccalauréat international)  ; une école privée située en banlieue immédiate de Montréal, représentée par cinq classes, sans distinctions importantes entre elles  ; une école publique défavorisée située sur l’ile de Montréal, représentée par trois classes, chacune incluant des élèves avec des troubles d’apprentissage, dont l’une en concentration sport et, enfin, une école publique de Montréal, représentée par six classes, dont une enrichie, une axée sur les technologies et les sciences et trois autres comportant un certain nombre d’élèves doubleurs.

3.2 Instrumentation

Le questionnaire comprenait les quatre questions suivantes sur autant de pages laissées vierges pour les répondants : Depuis que je suis à l’école, j’ai appris beaucoup de choses. 1. Qu’est-ce que je sais  ? 2. Parmi les choses que je sais, lesquelles sont les plus importantes pour mon avenir  ? Pourquoi sont-elles importantes  ? 3. Parmi les choses que je connais, lesquelles m’intéressent le plus ? Pourquoi elles m’intéressent autant  ? 4. Et maintenant, qu’est-ce que j’ai envie d’apprendre à l’école  ?

3.3 Déroulement

Le questionnaire a été passé à l’intérieur d’un cours de mathématiques avec l’accord et la collaboration de l’enseignant. Toutes les classes ont reçu les mêmes consignes. L’assistant de recherche pouvait répondre aux questions des élèves, mais sans orienter l’exercice. Aucune des classes n’a pris plus d’une heure pour terminer l’exercice. Les variations sont néanmoins importantes quant à la loquacité des répondants, ce qui était à prévoir. Nous y reviendrons plus en détail dans les prochaines sections.

3.4 Considérations éthiques

Tous les répondants et tous les établissements ont été assurés de leur anonymat. Une fois la rédaction terminée, les copies étaient placées à l’intérieur d’une enveloppe par les assistants. Les enseignants n’avaient pas accès aux réponses. Les résultats plus détaillés que ceux qui figurent dans ces pages et propres à chaque établissement doivent faire l’objet de présentations aux enseignants et aux directions d’école concernés. Un souci d’extraire de ces résultats des implications pour l’enseignement orientera ces présentations. Dans tous les cas, l’anonymat des élèves est maintenu.

3.5 Méthode d’analyse des résultats

La construction des idéaux types proposés dans ces pages repose sur deux opérations principales. Nous avons d’abord utilisé le logiciel N’Vivo afin de créer un répertoire de thèmes (par exemple : socialisation, conflit, transgression, etc.) et de codifier l’ensemble du matériel colligé. Trois assistants ont été mis à contribution après qu’un travail de validation interjuge ait été déployé en amont. Dans un deuxième temps, tout en ayant à l’esprit le concept de configuration focus (soit la partition la plus significative d’un réseau global de relations de ressemblance à l’intérieur d’un réseau sémantique) à la base du logiciel qualitatif Semato (Bélanger et Roy, 2013), nous avons créé, à la suite d’opérations de séparation/partition, des profils, puis des familles de répondants (agglomération de profils) fondées sur la forte prégnance de certains thèmes agglomérés auprès des types précédemment formés. Ce travail de catégorisation du matériau permet à la fois de dégager les principales formes discursives utilisées (ce qui a été dit) et de les répartir selon les différentes familles de répondants (ce qui a été dit selon la perspective des types de répondants), s’agissant de catégories émergentes à cette étape de la recherche.

4. Résultats

Dans cette toute première catégorisation du corpus de bilans de savoirs recueillis, nous identifierons les principales formes discursives associées aux réponses des élèves à propos des savoirs acquis à l’école, puis nous dégagerons les idéaux types de répondants. Nous chercherons ensuite à en tirer quelques enseignements.

4.1 Les savoirs inculqués par l’école

En réponse à la question Qu’est-ce que je sais, depuis que je suis à l’école et que j’y apprends beaucoup de choses  ? les élèves évoquent surtout des savoirs scolaires à l’intérieur de listes et d’énumérations. Celles-ci sont en général articulées autour de repères temporels tirés de l’expérience scolaire (à la maternelle, au primaire, au secondaire) ou disciplinaires (en sciences, en mathématiques, en français, etc.), parfois par la combinaison des deux.

Le type de savoir le plus souvent nommé se rapporte aux apprentissages de base. Les deux tiers des répondants (66,2 %) mentionnent au moins une fois une thématique associée à la littératie. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture, davantage que celui de l’écoute ou de l’expression orale, occupe le haut du pavé. Des thèmes associés à la numératie sont presque aussi souvent évoqués. Près des deux tiers des élèves (63,5 %) soulignent qu’ils ont appris à compter à l’école. Ces références à la littératie et à la numératie figurent souvent au sein d’une même liste ou d’une même énumération. On les associe surtout à l’école primaire, plus particulièrement à son premier cycle.

Le deuxième type de savoir le plus souvent mentionné a trait aux différents contenus appris en sciences et en mathématiques. Plus de la moitié (54,4 %) des répondants évoquent au moins un contenu lié à l’une ou l’autre de ces matières. Plusieurs courts extraits de contenus scientifiques touchant à la biologie, à la physique, à la chimie et à l’environnement ont été répertoriés. Il en va de même pour des contenus appris en mathématiques, de l’addition à l’extraction de racines cubiques. Quant à la simple évocation de la discipline, par son nom seulement, signalons que plus du tiers des répondants ont cité les mathématiques et plus de 30 % les sciences.

Le troisième type de savoir en ordre d’importance correspond aux différents contenus abordés en histoire et en français. Près de la moitié des élèves (46,0 %) rapporte au moins un contenu appris à l’intérieur d’une de ces matières. Le quatrième type le plus fréquent concerne les arts : la musique, le dessin, etc. Plus du tiers des élèves (35,1 %) y font mention au moins une fois. Le cinquième type a trait à la socialisation. Trois élèves sur dix (30,3 %) ont rédigé au moins un passage qui se rapporte à la socialisation en milieu scolaire et au développement de leur savoir-être : respect, droits, valeurs, etc.

En somme, le corpus de bilans de savoirs ne présente que très peu de ruptures de perspectives : plusieurs élèves disent la même chose et mentionnent les mêmes savoirs, liés pour l’essentiel à la mission d’instruction de l’école et, dans une moindre mesure, à sa mission de socialisation. Il est surtout question de fréquence et de dosage et moins de variété de points de vue, même si, comme on le verra dans la section suivante, des distinctions peuvent être établies entre certaines familles de répondants. À vrai dire, l’ensemble des répondants se met en scène comme un groupe d’élèves soumis à une même offre de service. Néanmoins, les termes utilisés pour en rendre compte, de même que leur quantité, peuvent varier considérablement.

4.2 Idéaux types : les familles de répondants

Parmi les répondants, quelques idéaux types se dégagent nettement à la première analyse. Quatre grandes familles, certaines comprenant des profils distincts, peuvent être dégagées. Puisque le genre des répondants est apparu comme une variable incontournable dans cette catégorisation, nous avons aussi indiqué le pourcentage de filles dans chacun des regroupements.

Tableau 1

Répartition des élèves, selon les familles (et profils) de classement et le pourcentage de filles

Répartition des élèves, selon les familles (et profils) de classement et le pourcentage de filles

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La première de ces familles est composée d’un seul profil : les insatiables. Elle est, pour l’essentiel, formée d’élèves provenant d’écoles de milieu favorisé et représente 12,9 % de l’échantillon conservé (n = 471). Elle se distingue clairement des trois familles suivantes en ceci que ces jeunes filles sont éminemment prolixes à l’écrit et multiplient le nombre de mentions se rapportant à des contenus de sciences et de mathématiques, mais aussi à l’histoire, au français, à la socialisation, aux arts ainsi qu’aux savoirs fonctionnels liés à la littératie et à la numératie.

Les membres de la deuxième grande famille peuvent être qualifiés de miroitants. Ils se distinguent surtout par leur intention de réfléchir à la formation en termes d’orientation et de durée. L’objectif du répondant est de performer à l’école pour occuper une profession prestigieuse ou qui le passionne personnellement. Comparés aux insatiables pour qui les savoirs objectivés sont sources d’intérêt intrinsèque, les miroitants nourrissent un rapport au savoir scolaire davantage instrumentalisé. Au global, cette famille compte pour 35,7 % de l’échantillon. Elle pourrait à son tour être divisée en cinq profils : les compétents, les orientés, les adeptes des professions libérales, les rêveurs et les socialisés, en fonction des motifs plus spécifiques qui alimentent leurs objectifs. Mais nous développerons cette partie dans un prochain article.

La troisième famille regroupe les élèves du quotidien. Elle représente 33,8 % de l’échantillon. Elle rassemble des élèves qui se projettent moins dans le temps que les précédents et dont les savoirs sont surtout à apprendre pour demain, pour la continuation des études, pour l’accès à la profession… Par rapport aux apprentissages scolaires, ces élèves se situent davantage dans le moment. Ils se considèrent tout au plus sur une erre d’aller, engagés dans un parcours scolaire à l’intérieur duquel le souci de terminer l’étape en cours représente un objectif bien suffisant.

Les deuxième et troisième familles se distinguent peu au regard de ce qui est su. On verra plus loin qu’elles jettent cependant un oeil différent sur les savoirs qui demeurent à apprendre. Pour le moment néanmoins, disons que la littératie, la numératie ainsi que les contenus en sciences et mathématiques ressortent comme étant les principaux savoirs appris depuis que ces deux groupes d’élèves sont à l’école.

La quatrième famille représente 17,6 % de l’échantillon. Elle se distingue considérablement des trois précédentes en ceci qu’elle est plus concise, voire laconique, à l’écrit. Les élèves de cette famille, que nous nommons provisoirement les réservés, sont principalement de sexe masculin (à 77 %) et fréquentent des classes faibles à l’intérieur d’une école du secteur public. Ils paraissent éprouver des difficultés à apprendre les matières comme les sciences, les mathématiques et le français (dites matière de sélection dans ce qui suit, c’est-à-dire dont le niveau de maitrise en arrive à répartir les élèves en des filières d’enseignement aux finalités bien distinctes). Les réservés évoquent très peu, au regard de ce qui est su, des contenus se rapportant à la science, aux mathématiques, à l’histoire ou au français. Les arts ne sont pas beaucoup abordés non plus. Les savoirs fonctionnels (littératie, numératie) sont ici au coeur de ce qui est narré. Cette famille peut, elle aussi, être subdivisée entre trois profils : les taiseuses, les succincts et les DEP.

En résumé, plus les répondants sont brefs dans leurs réponses, plus l’importance de la littératie et de la numératie ressort et moins les contenus disciplinaires sont mentionnés. À l’inverse, plus les répondants sont volubiles, plus les énoncés de contenu reliés aux matières en général — et aux sciences et aux mathématiques en particulier — sont fréquents. Les élèves des classes fortes et, dans une moindre mesure, des classes moyennes se distinguent ici des élèves de classes faibles.

4.3 Les savoirs les plus importants et pourquoi ils le sont

Deux manières de décliner l’importance des savoirs prédominent dans le corpus : 1) soit que les élèves évoquent les matières de sélection  ; 2) soit qu’ils identifient les savoirs fonctionnels de base. Ces matières, à commencer par les mathématiques, puis le français et l’anglais, enfin les sciences, se méritent ici une attention considérable. En effet, 42,4 % des répondants ont mentionné les mathématiques  ; 29,9 %, le français  ; 27,5 %, l’anglais et 23,3 %, les sciences comme correspondant au savoir le plus important pour leur avenir. Signalons au passage que pour de nombreux répondants, les mathématiques ne sont pas assimilées aux sciences, mais plutôt présentées comme une matière aux ramifications multiples qui touche autant à la vie quotidienne qu’à l’orientation dans d’autres types de carrières professionnelles. Quant aux savoirs de base, c’est-à-dire la littératie (principalement lire et écrire), puis la numératie (compter ou calculer), ils sont aussi considérés comme importants. Ainsi, près de trois répondants sur dix (29,1 %) ont mentionné au moins une fois des éléments du domaine de la littératie et près du quart (22,9 %), au moins une fois des éléments de numératie.

Les principales raisons pour justifier l’importance de ces savoirs gravitent autour de trois motifs : 1) celui de l’inscription dans un parcours de formation menant à une profession ou à un métier  ; 2) celui de l’accès et du maintien à l’intérieur de cette profession  ; 3) celui de la vie quotidienne (usage, facilitation, etc.). D’autres raisons, comme l’intérêt à apprendre, à se développer, à communiquer, à entrer dans la vie adulte et citoyenne, etc., sont parfois mentionnées, mais plus rarement à l’échelle de l’échantillon global.

Les savoirs reconnus comme importants, de même que les raisons de leur importance, sont déclinés différemment selon les familles de répondants. La première, la famille des insatiables, fait allusion aux savoirs fonctionnels, mais aussi aux matières de sélection ainsi qu’aux contenus précis s’y rattachant, en sciences, tout particulièrement. Certains savoirs de socialisation, le respect par exemple, sont aussi présentés comme importants. Les raisons de cette importance sont également multiples et bien détaillées à l’écrit. On retiendra d’abord la projection dans le futur et l’inscription dans un parcours de formation longue menant à une profession qualifiée, mais aussi des raisons reliées à l’intérêt à apprendre : culture générale, développement des capacités personnelles, estime de soi, etc., et à l’apport à la vie quotidienne.

Quant aux miroitants, ils accordent surtout de l’importance aux matières de sélection, soit les mathématiques, les sciences et le français. La maitrise de ces matières est présentée comme pavant la voie à la poursuite de la formation, puis à l’accès à l’emploi et à l’exercice de la profession. Les visées de formation sont ici plus spécifiques, le rapport aux savoirs plus étroit.

Les élèves du quotidien identifient surtout les filières français-littératie, mathématiques-numératie, puis anglais. Si les sciences apparaissent importantes pour les miroitants, chez les élèves du quotidien, l’anglais ressort davantage. Dans l’ordre, l’accès au métier et son maintien en poste, l’utilité au quotidien des savoirs fonctionnels, la poursuite de formation, l’intégration sociale et l’anglais comme véhicule d’échange et de communication, notamment en voyage, justifient l’importance accordée à ces matières.

Les réservés, quant à eux, font surtout ressortir l’importance de la littératie, des mathématiques, de la numératie, puis de l’anglais. Les sciences sont à peine nommées. L’accès à l’emploi, le maintien de celui-ci, de même que l’utilité de la lecture et de l’écriture, voire de l’anglais, dans la vie quotidienne, ressortent comme les principales raisons pour lesquelles ils jugent ces matières importantes.

4.4 Les savoirs les plus intéressants et pourquoi ils le sont

Étonnamment, les sciences et les mathématiques ressortent, davantage que les arts ou le sport, comme étant les savoirs dits maitrisés qui intéressent le plus les élèves. Pour l’essentiel, cet intérêt réside dans les défis d’exigences incarnés dans ces matières et dans le fait qu’elles ouvrent les portes d’une installation réussie (poursuite de scolarisation, accès à une profession). Cette intériorisation, apparemment forte, d’un des messages encore portés par l’école : valorisation de savoirs jugés nobles, processus de sélection des élèves, constitution d’une élite, etc., se décline toutefois différemment selon les familles.

À leur habitude, les insatiables additionnent davantage qu’elles ne soustraient. Les savoirs qui les intéressent ne se limitent ni aux savoirs liés à la sélection scolaire ni aux savoirs utiles, et ce, même si ceux-ci sont souvent mentionnés. À la même enseigne, un intérêt pour l’art ou encore pour la socialisation ressort des bilans. Par ailleurs, cette profusion des intérêts n’exclut nullement la référence aux savoirs mathématiques et aux pratiques scientifiques, par exemple, les laboratoires en sciences ou les dissections. À cette pluralité des choses connues et jugées intéressantes correspond aussi une pluralité de motifs. On remarque d’abord que les insatiables sont facilement intéressées et qu’elles savent que l’intérêt porté à toutes ces choses joue en leur faveur : apprentissage, développement personnel, ouverture, etc. Fascinées, curieuses, en urgence de connaitre, elles déclarent apprécier leurs propres dispositions à l’égard des apprentissages. Elles se montrent fières d’aimer, voire d’adorer, les arts, l’étude des comportements, etc. Le transfert de ces apprentissages dans la vie quotidienne leur apparait aisé et est présenté comme une raison pour justifier leur appétit d’apprendre. Le fait que leurs intérêts permettent aussi la poursuite des études et l’accès à des professions valorisées sert également d’explication, mais cette explication est ici moins saillante qu’au sein de la famille des miroitants.

Les miroitants sont plus concis et plus schématiques sur ces questions. Pour la majorité d’entre eux, les sciences, puis les mathématiques, ressortent clairement comme étant les matières dignes d’intérêt. Pour une minorité par contre, le français, l’histoire et les arts constituent les savoirs privilégiés. Chez plusieurs, l’intérêt porté aux sciences et aux mathématiques repose sur le fait que les élèves y vivent des réussites et que ces matières sont comprises comme exigeantes ou demandant de l’intelligence, qu’elles favorisent aussi la prolongation des études et qu’elles sont la clé des professions visées. Quant à l’intérêt porté au français, à l’histoire et aux arts, il est expliqué en des termes différents. La notion d’utilité est moins immédiate, alors que celle de passion revient souvent. Le fait que le français (la lecture, l’écriture) et que les arts soient associés à la liberté et à la créativité plaide en leur faveur. De la même façon, le fait que l’histoire ouvre sur une perspective, une culture, plus large que le seul ici et maintenant est aussi apprécié.

Les élèves du quotidien se montrent, sur la question des savoirs, aussi prolixes que les miroitants. Ils s’en dissocient cependant en partie selon l’ordre d’intérêt porté aux choses qu’ils connaissent. Il est question de savoirs moins académiques et moins priorisés par l’école : sport, arts, anglais. Cette saillie, par ailleurs d’assez faible envergure, ne doit pas laisser croire que les sciences et les mathématiques sont délaissées pour autant. On constate que le fait d’apprendre, qu’il s’agisse des sciences ou des maths, est valorisé. On ne peut faire l’économie de cette liaison trop souvent échappée : apprendre les sciences, les mathématiques, les autres matières de sélection, etc. intéresse. L’intérêt porté aux matières moins académiques comme les sports ou les arts participe pour beaucoup d’un dosage qui veut que le savoir à l’école, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout non plus. L’école sans sports, sans jeux vidéo ou multimédia, sans arts et sans relation avec les autres élèves, serait perçue comme ennuyante et incomplète. La notion d’utilité ressort aussi. Le savoir intéressant parait utile, moins en ce qu’il permet la prolongation de la formation que parce qu’il trouve des applications concrètes dans la vie active ou encore qu’il favorise une certaine ascension sociale, une quête de normalité. Par exemple, l’intérêt porté à l’anglais s’exprime davantage comme un moyen ou un facilitateur, de la communication par exemple, plutôt que comme une fin en soi, une matière fondamentale ou encore une mesure de sélection scolaire.

Les réservés sont, ici encore, les plus laconiques. Ils sont aussi ceux qui font le moins souvent ressortir les sciences comme des savoirs intéressants. Les garçons de cette famille évoquent surtout des savoirs ludiques, sportifs et manuels, en lien avec des sphères d’activités où 1) ils connaissent certains succès et où 2) ils échappent à la contrainte performative de l’école, à ses normes aussi. Dans le cas des filles, les savoirs jugés les plus intéressants sont ceux qui sont les plus immédiatement transférables à la vie de tous les jours, comme les mathématiques, la littératie ou l’anglais. Elles expliquent leur intérêt sous l’angle de l’utilité, de l’accès au métier, et de la fonctionnalité dans le quotidien.

4.5 Ce que les élèves ont maintenant envie d’apprendre

Ce que les élèves ont maintenant envie d’apprendre à l’école s’inscrit en continuité directe de l’intérêt qu’ils portent à certains types de savoirs. Les savoirs les plus cités sont ceux que les élèves considèrent comme porteurs d’exigences (les sciences et les mathématiques le plus souvent), puis viennent ceux qu’ils associent plus volontiers à une passion quelconque (les arts, l’histoire, le français pour la plupart). Les savoirs plus concrets ou encore plus immédiatement transférables dans la vie ordinaire et quotidienne retiennent aussi l’attention. Ici encore, l’envie d’apprendre va se décliner différemment selon les profils ressortis.

Les insatiables sont enclines à proposer un bouquet de savoirs différents, reliés tantôt à la prolongation de savoirs anciens, dont l’approfondissement des matières de sélection, tantôt à l’apprentissage de nouveaux savoirs disciplinaires, tantôt à des savoirs plus philosophiques ou ludiques, tantôt à des savoirs plus directement connectés à la vie quotidienne. À cet égard, l’appétit d’apprendre sur tout, de tout connaitre, d’apprendre longtemps et de poursuivre des études, d’avoir accès à une profession prestigieuse et aussi de valoir en tant qu’apprenante (curiosité, intérêt, aptitudes et attitudes) sont autant de traits spécifiques à ce profil.

Les miroitants s’affichent aussi comme curieux et prêts à apprendre, à s’appliquer davantage, à être défiés, mais avec des horizons plus limités que les insatiables. Pour certains, il s’agit surtout d’apprendre et de performer en sciences, en technologies et en mathématiques. Pour d’autres, l’envie d’apprendre prend surtout la forme d’un rapport utile aux connaissances qui mènent à la profession scientifique souhaitée, en sciences de la santé ou en sciences pures. Dans d’autres cas enfin, chez ceux qui privilégient les professions libérales par exemple, ce rapport d’utilité est un peu moins avéré. En effet, au-delà des différents savoirs (français, histoire, arts) qui vont leur permettre d’accéder aux professions auxquelles ils aspirent, se profilent des connaissances nouvelles (de nouveaux contenus en histoire, de nouvelles langues, la psychologie), des apprentissages liés aux matières (maths, sciences) qui leur causent parfois des difficultés ainsi que des savoirs ayant des incidences plus immédiates sur la vie ordinaire.

Les élèves du quotidien, on l’a dit, se projettent moins dans le temps que les miroitants. Aussi, ce qu’ils souhaitent apprendre plus avant à l’école prend-il plusieurs formes et comprend-il plusieurs contenus, mais révèle souvent une intention de continuité, de transferts directs et immédiats. À cet égard, que l’école demeure l’école et que les savoirs à enseigner prolongent ceux qui ont déjà été enseignés semble tomber sous le sens. Plusieurs répondants sont curieux et veulent continuer d’apprendre. À cet égard aussi, des savoirs différents, moins directement promus par l’école, mais plus facilement intégrables et utiles à la vie quotidienne, sont souvent cités : les savoirs fonctionnels, l’anglais, l’informatique, le sport, les savoirs manuels, les arts. Faire son budget, faire ses impôts, rédiger son curriculum vitae, s’orienter, apprendre à faire la cuisine, bref, l’ordinaire de demain, récolte sa part de mentions.

Ici encore, les réservés se différencient nettement des autres élèves. Pour ceux-ci, il s’agit moins d’ajouter des savoirs — il y aurait déjà trop de savoirs inutiles à l’école — que d’en faire une meilleure sélection. Il s’agit aussi de passer du côté des savoirs utiles, fonctionnels et transférables, ceux qui servent dans la vie quotidienne, ceux qui préparent au métier ou ceux encore qui permettent de vivre au moins certaines réussites, les sports par exemple. Apprendre à payer ses comptes, à conduire l’auto, à travailler de ses mains, à bien se préparer pour le métier se présentent comme autant de savoirs dont on a appétit.

4.6 Quelques constats

Bien que l’enquête, portant uniquement sur les élèves de 3e secondaire, ne permette pas d’évoquer un quelconque émoussement des dispositions positives à l’égard des mathématiques ou des sciences, les résultats nous invitent à nuancer certains constats fréquents dans les écrits scientifiques. Par exemple, la position relative occupée par ces deux disciplines eût égard à l’intérêt que leur portent des élèves de cet âge parmi l’ensemble des matières scolaires est nettement plus élevé que celle à laquelle on s’attendrait (Goettfried et coll., 2001  ; Osborn et coll., 2003). Si émoussement il y a, il apparait dissimulé au sein d’un rapport à l’école où prédomine l’intériorisation de nombreuses normes scolaires, moins escomptée à cet âge (Dubet et Martuccelli, 1996, p. 145 et suiv.), et des défis d’exigence ou de pluralité qu’enseignants comme parents y sèment (Merle, 2005). Des logiques sociales ne s’en laissent pas moins deviner : la mise à distance des savoirs scientifiques apparaissant beaucoup plus nettement chez les élèves en difficulté, les réservés notamment, qu’on retrouve à l’intérieur de classes moyennes et faibles des écoles sises en milieux défavorisés. Les neuf prochains constats permettent d’étayer ce qui précède.

1- Les élèves sont bien en selle. La plupart d’entre eux se considèrent en cours de formation. Ils ont appris et ils veulent continuer à apprendre. Cette conformité au rôle d’élève traverse l’ensemble du corpus : les élèves entendent prolonger leurs études, apprendre de nouveaux contenus, accéder à des formations qualifiantes et exercer des professions qui leur permettront de s’intégrer socialement. On retrouve, en lien avec cette forte intériorisation de normes scolaires, une valorisation des savoirs disciplinaires, à commencer souvent par celle des sciences et des mathématiques, matières souvent comprises puis relayées par les adultes comme étant au coeur des mécanismes de tri et de sélection scolaire. À cet effet, peu d’élèves hormis les réservés se désintéressent des savoirs et des apprentissages scolaires, alors que plusieurs, à l’inverse, aiment apprendre et être soumis à des défis d’exigence.

2- Les sciences et les mathématiques occupent une place appréciable dans le discours des jeunes. De nombreux exemples de contenus appris à l’école et reliés à ces deux matières sont relatés. Les mathématiques sont notamment comprises comme matière importante pour l’avenir, pour la prolongation des études, pour l’exercice de l’emploi ou pour un usage au quotidien. Sciences et mathématiques ressortent aussi comme étant les choses connues qui intéressent le plus les élèves, entre autres parce qu’elles présentent des défis d’exigences. Corolairement, elles sont aussi celles que les élèves ont maintenant envie d’apprendre à l’école. La prégnance de ce discours va varier selon les jeunes concernés. Les élèves qui se perçoivent comme étant forts dans ces matières, ainsi que ceux qui entendent s’inscrire dans les filières permettant d’accéder à des professions sélectives, s’y retrouvent davantage. Cependant, à l’exception des réservés, même chez les élèves avec un projet scolaire plus modeste ou encore davantage passionnés par d’autres matières, mathématiques et sciences trouvent écho.

3- La littératie et la numératie comptent parmi les savoirs les plus souvent cités. Les verbes lire, écrire, compter et calculer sont, à cet effet, plus souvent conjugués que les verbes écouter, regarder et parler, ce qui pourrait laisser croire qu’écouter bien, regarder bien et parler bien occupent une place accessoire, à moins bien sûr que la méthode des bilans de savoirs fasse en sorte que la mission de socialisation de l’école soit moins spontanément évoquée. Par ailleurs, la littératie et la numératie sont souvent présentées comme savoirs importants pour l’avenir. L’importance de la lecture, de l’écriture et de l’apprentissage du calcul s’explique surtout par la place que ces habiletés occupent dans la vie pratique et quotidienne  ; peu de mentions sont faites ici de la complexité des tâches qui seront exigées lors des prochains paliers éducatifs. Les réservés font plus souvent échos à ces savoirs urgents  ; ils ne sont cependant pas absents du discours des autres familles d’élèves et sont en lien souvent avec la réalisation de tâches jamais réalisées, comme payer ses impôts ou faire son budget. Il semble ici que si certains voient la littératie ou la numératie comme des pratiques en phase avec le monde concret qui les attend, d’autres les voient davantage comme un monde de savoirs valables, mais insuffisamment touché par l’offre scolaire.

4- Le français et l’histoire méritent aussi considération, et ce, autant à titre de savoirs appris, de savoirs importants pour l’avenir, de savoirs intéressants que de savoirs que l’on a maintenant envie d’apprendre à l’école. Présents chez les insatiables, mais relativement absents chez les réservés, ces savoirs se trouvent surtout à être repris et discutés par des élèves qui éprouvent de la passion pour au moins une de ces matières. Élément intéressant à relever, les élèves porteurs de cette passion cherchent souvent à s’en justifier, ce qui n’arrive que très rarement chez les élèves qui disent surtout apprécier les sciences et les mathématiques.

5- Les savoirs de socialisation : respect, entraide, autonomie, etc., comptent également parmi les savoirs évoqués. On les repère surtout dans le discours des insatiables, mais aussi dans celui des réservés. Une nuance importante est à l’oeuvre toutefois : les insatiables font surtout mention d’éléments qui touchent à la psychologie ou encore à l’expérience humaine, alors que les réservés renvoient principalement aux efforts et à la détermination démontrés afin de demeurer accrochés à l’école et à son groupe de référence.

6- L’anglais est jugé important pour l’avenir, mais davantage pour des raisons pratiques (pour voyager, pour travailler, pour se débrouiller), voire culturelles et économiques (nord américanité oblige), que pour des raisons formatives. Même les élèves forts de l’échantillon ne font guère mention de l’anglais comme langue à maitriser pour prolonger leurs études ou encore pour accéder à de la littérature spécialisée : un article ou un documentaire scientifique, par exemple.

7- Les savoirs artistiques, la musique principalement, sont surtout évoqués, puis valorisés, par les élèves insatiables (programme spécial, activités culturelles). Signalons au passage que le savoir dessiner (dessin artistique, dessin technique) est peu souvent mentionné.

8- Les sports et les travaux manuels sont peu mentionnés par les élèves qui se projettent dans une profession libérale ou scientifique. En revanche, les réservés ou les élèves du quotidien s’y réfèrent davantage. Les loisirs en général et le jeu vidéo en particulier touchent à plein certains élèves, des garçons pour la plupart.

9- L’indétermination sociologique n’existe pas. Les insatiables de même que les élèves qui se considèrent forts ou encore qui s’orientent vers l’exercice de métiers de prestige se retrouvent surtout dans des écoles privées ou encore au sein de classes fortes des écoles publiques favorisées  ; les réservés se retrouvent surtout à l’intérieur de l’école publique de milieu défavorisé. La distance sociale et sémantique qui sépare ces deux mondes est considérable.

5. Discussion

Rappelons cette réalité de nos disciplines qui veut que les résultats découlent souvent des populations visées ou des méthodes retenues. À cet égard, le contexte contrôlé de l’enquête n’invitait guère les répondants à déborder du cadre scolaire ou de ses références habituelles, surtout que l’option du bilan de savoirs a pu, du point de vue de l’élève, être perçue comme encourageant l’expression de ce que les enseignants et leurs alliés objectifs aimeraient y lire. À cet égard aussi, trouver que les élèves se distinguent à l’écrit selon qu’ils fréquentent des écoles sises en milieux défavorisés ou favorisés n’étonne guère.

Ces limites, réelles, étant établies, il n’est reste pas moins que certaines idées reçues sont mises en concurrence, du moins à l’échelle de cette première analyse. La place privilégiée occupée par les mathématiques et les sciences dans l’ensemble des matières qui intéressent les élèves de 3e secondaire, dans l’immédiat et pour l’avenir, surprend quelque peu. Il semble que plusieurs élèves trouvent appui, sinon sur leurs compétences, du moins sur leur bonne appréciation des mathématiques-sciences, pour assoir la suite de leur parcours scolaire (Lyons, 2006). Au Québec, la différenciation relativement tardive des cheminements scolaires pourrait expliquer ce maintien de conformité. En effet, plus la première sélection des filières d’enseignement intervient tôt, moins les élèves de 15 ans semblent susceptibles d’envisager une profession scientifique (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2016 p. 121). Autrement dit, si on avait sondé des jeunes de 16 ans (soit après la sélection opérée par l’enseignement des mathématiques, de la chimie et de la physique) plutôt que de 14 ans, des constats différents auraient pu être énoncés. Mais, en 3e secondaire, le rapport aux savoirs mathématiques ou scientifiques a beau varier selon les familles et les profils de répondants (volonté de comprendre ces matières, d’en faire usage dans le quotidien, de surmonter les défis intellectuels qu’elles représentent, d’en faire un signe de distinction, d’y assoir sa progression scolaire et professionnelle, etc.), l’intérêt pour ces matières est encore très présent. On pourrait même penser que l’initiative du tri scolaire opéré avant la 4e secondaire est probablement étrangère à une partie non négligeable de ces élèves et qu’une certaine patience institutionnelle à l’égard de l’apprentissage de ces matières serait plutôt de mise.

Un autre résultat étonne aussi : l’absence apparente de la distance culturelle habituellement présumée entre les élèves issus de milieux moins pourvus en capital culturel et les classes de mathématiques ou de sciences. Le corpus constitué dans le cadre de cette recherche révèle plutôt la présence d’une sorte d’accord tacite où l’élève se trouve à relayer ou à reproduire les appels à la motivation, à la détermination et à la confiance en soi que les enseignants, souvent à l’instar des parents et des institutions québécoises, leur ont fait entendre. On ne peut ici, faute d’un matériau conçu à cette fin, savoir quels sont les dispositifs et gestes que les enseignants posent et qui contribuent à établir cette relation de protection, d’autant plus que les élèves lèvent rarement le voile sur les pratiques et les savoirs de leurs maitres. Mais le fait que nombre d’enseignants québécois sont surtout conviés à se centrer sur les apprentissages plutôt que sur les enseignements (Nazair, 2016), le fait aussi que les enseignants sont de plus en plus instruits du cheminement des élèves (utilisation de TIC et des logiciels experts, courbes de progression, etc.) peut ici, et en toute hypothèse, servir à expliquer la réduction de la distance d’abord anticipée.

6. Conclusion

Au tout début de cette étude, nous présumions que le rapport au savoir, tel qu’on peut le documenter chez des élèves du système d’éducation québécois, devait témoigner, à tout le moins en 3e secondaire, d’une sorte d’effritement de l’intérêt des jeunes à l’égard des mathématiques et des sciences. On présumait aussi que des types de rapport aux savoirs bien particuliers correspondaient à certaines classes d’élèves et qu’ils contribuaient, selon les cas, à éloigner ou à rapprocher ceux-ci de filières scolaires scientifiques.

Sans invalider les deux principaux constats des écrits scientifiques au regard de l’apprentissage scolaire des mathématiques et des sciences, l’examen du corpus suggère plusieurs nuances. D’une part, il laisse entrevoir un intérêt large et persistant pour l’apprentissage de ces matières. D’autre part, même s’il confirme que des logiques sociales sont à l’oeuvre dans le rapport qu’entretiennent les élèves aux objets de savoirs proposés par l’école, on ne retrouve pas de discontinuités importantes entre les idéaux types émergeant de notre analyse. L’intériorisation de la norme scolaire et la place centrale occupée par les matières de sélection dans les représentations des jeunes sont avérées presque partout. Différents types de rapport aux savoirs y sont attestés. Ceux-ci peuvent être situés sur un axe qui va d’une aisance à objectiver les savoirs et à en saisir les propriétés à l’incapacité de détacher ceux-ci du quotidien ou des besoins personnels de l’élève. Leur apprentissage traduit aussi un éventail de motifs qui va de la motivation intrinsèque à un rapport purement instrumental à la connaissance. Pourtant, ces traits ne se répartissent pas dans le corpus sous le mode la rupture. Les différences entre les familles de répondants sont le plus souvent affaire de degrés. Concédons néanmoins qu’un groupe de répondants plus vulnérables, les réservés, nourrissent un rapport fortement instrumental aux savoirs scolaires et, de la sorte, paraissent vouloir rétrécir à sa plus simple expression le rôle que l’école et ses matières de sélection auront à jouer dans leur vie future.

On relève, comme constat particulier à cette étude, que ce sont des filles, plutôt que des garçons, qui se sont montré les plus loquaces, les plus motivées, et ce, tant au regard des sciences et des mathématiques que des connaissances générales. Cette élévation épistémique surprend et parait contredire ce résultat précédent qui voulait que les garçons soient généralement plus motivés que les filles en mathématiques, alors que les filles affichent un degré de motivation accru en français (Bouffard, Vezeau et Simard, 2006  ; Chouinard et Fournier, 2002  ; Plante, Théorêt et Eizner Favreau, 2010). Notons par ailleurs que l’école, ses enseignants ou leurs enseignements ont rarement été pris à partie. On repère plutôt une proximité entre une certaine parole enseignante (motivation, engagement, effort, orientation scolaire, estime de soi, etc.) et le discours des élèves. Cette proximité n’est pas sans rappeler ce constat, peu repris, que les réponses des élèves aux questionnaires du Programme for International Student Assessment (PISA) traduisent une amélioration généralisée des relations avec leurs enseignants (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2014, p. 199-203).

Ces résultats, plus positifs qu’anticipés, ne peuvent cependant être séparés des lieux de l’enquête (présence d’écoles fortes ou de classes fortes dans l’échantillon), de l’âge des élèves (3e secondaire, soit avant la différenciation des cheminements scolaires au Québec) et de la méthodologie déployée (puisqu’écrire en contexte de classe surveillée favorise une certaine bienséance de convention).

Rappelons enfin que, malgré des doutes occasionnels et légitimes sur les modes d’échantillonnage, le Québec obtient des résultats intéressants dans le cadre des enquêtes internationales (Brochu, Deussing, Houme et Chuy, 2012  ; O’Grady, Deussing, Scerbina, Fung et Muhe, 2016  ; Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2013) en mathématiques et en sciences et que les élèves s’inscrivent nombreux au sein des filières considérées nobles du palier préuniversitaire. Cette situation pourrait être la trace possible d’une réussite au moins relative que les sociologues tendent peu à relever, et ce, quelle que soit la nature des matériaux qu’ils colligent. On peut, dans ce contexte, soulever l’hypothèse d’un rapprochement au moins relatif entre le rapport aux savoirs des élèves et ce que l’école (ses enseignants) tend à encourager.

À cet effet et à titre de piste de recherche, un examen plus attentif des relations maitre-élève, telles qu’elles se déroulent concrètement dans le contexte de classes de mathématiques/sciences, ou encore de la didactique ou des stratégies d’intéressement et d’apprentissages déployées par les enseignants auprès des élèves nous apparait pertinent à conduire. À même enseigne, une observation plus fine des stratégies cognitives déployées par les élèves afin de repérer puis de s’approprier les défis d’exigences soulevés par leurs enseignants mériterait également d’être menée. À cet effet, une méthodologie qualitative avec observations directes serait alors à privilégier.