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1. Introduction

Le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté, enseigné de la première à la quatrième année du secondaire, avait pour but de former les jeunes Québécois⋅es à la vie en société et à la démocratie. Celui-ci a récemment été remplacé, en troisième et quatrième secondaire, par le nouveau cours d’Histoire du Québec et du Canada qui ne comporte plus formellement de compétences liées à l’éducation à la citoyenneté.

Quelques études se sont penchées sur ces programmes, mais aucune n’a considéré l’approche d’enseignement ainsi que ce que les élèves peuvent en retirer en matière d’intérêt et de connaissances politiques. Les réactions des enseignant⋅es à l’arrivée de ce nouveau cours n’ont pas, non plus, été étudiées en profondeur. Or, de nombreuses études, surtout aux États-Unis, font état des effets substantiels des cours d’éducation citoyenne sur différents indicateurs de politisation incluant, au moins indirectement, le vote. Le cas du Québec est intéressant pour deux raisons principales : 1) le cours Histoire et éducation à la citoyenneté, obligatoire de la première à la quatrième année du secondaire, abordait à la fois l’histoire et l’éducation à la citoyenneté ; 2) avec la diminution à long terme de la participation électorale des jeunes Québécois⋅es, il importe de connaitre l’avis des enseignant⋅e⋅s concernant les effets des deux cours sur l’intérêt politique, les connaissances politiques et la participation électorale future des élèves.

Des entrevues semi-dirigées ont donc été réalisées auprès de 14 enseignant⋅e⋅s et ex-enseignant⋅e⋅s du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté en quatrième secondaire dans la région de Québec ; la moitié ayant également donné le cours d’Histoire du Québec et du Canada. Cet article présente successivement quelques données sur le taux de participation électorale au Québec et ailleurs, une définition des concepts mobilisés dans cette étude, une recension des écrits sur les cours d’éducation citoyenne, la méthodologie employée, les résultats des entrevues avec les enseignant⋅e⋅s, une discussion et une brève conclusion. L’objectif est de répondre à la question suivante de manière satisfaisante : les cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Histoire du Québec et du Canada permettent-il aux jeunes Québécois⋅es d’atteindre une plus grande éducation citoyenne, soit de meilleures connaissances et un plus grand engagement politique ?

2. Contexte théorique

2.1 Le déclin tranquille de la participation électorale

La figure 1 montre le taux de participation moyen aux élections législatives nationales par continent. Entre 1945 et 1985, le taux de participation agrégé était assez stable, entre 76 et 78 %. Toutefois, le déclin s’est amorcé à partir de 1985. Entre 2011 et 2015, la participation était tombée à 66 %. De plus, les jeunes électeur⋅rice⋅s sont moins porté⋅e⋅s à aller voter que leurs ainé⋅e⋅s : selon les données 2010-2014 du World Values Survey, 63 % des 26 ans et plus disent toujours voter, contre 43 % pour les 18-25 ans. À l’inverse, 33 % des 18-25 ans disent ne jamais voter, contre 14 % pour les 26 ans et plus (Solijonov, 2016).

Figure 1

Taux de participation par continent de 1945 à 2015 (Solijonov, 2016)

Taux de participation par continent de 1945 à 2015 (Solijonov, 2016)

Note : les données concernent les élections législatives pour la chambre basse qui ont eu lieu depuis 1945, soit 1833 élections en tout. La figure est traduite librement de l’anglais.

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Au Québec, le taux de participation aux élections provinciales a connu des hauts et des bas. Le plus bas taux enregistré jusqu’ici était lors des élections de 1904 (54 %). Jusqu’en 1931, des taux de participation de 60 à 65 % étaient la norme. Toutefois, à compter de 1931, on a observé une tendance à la hausse, culminant à 85 % de participation électorale en 1976. Par la suite, une tendance à la baisse s’est établie, comme ailleurs dans le monde. En 2008, le taux de participation est descendu jusqu’à 57 %, bien qu’il soit remonté depuis. Ainsi, à long terme, le taux de participation au Québec a augmenté, mais à moyen terme, il a nettement diminué (Assemblée nationale du Québec, 2019). Comme le montre la figure 2, la participation électorale des jeunes du Québec est également inférieure à celle de leurs ainé⋅e⋅s. En effet, depuis le début des années 2000, le taux de participation des 18-34 ans lors des élections provinciales est en deçà de la moyenne québécoise de 10 à 17 points de pourcentage. Dans les années 1980, la différence était plutôt de 6 à 8 points (Savoie, Montigny et Gélineau, 2016).

Figure 2

Différence entre le taux de participation des 18-34 ans et le taux de participation général aux élections provinciales québécoises de 1970 à 2014 (Savoie, Montigny et Gélineau, 2016)

Différence entre le taux de participation des 18-34 ans et le taux de participation général aux élections provinciales québécoises de 1970 à 2014 (Savoie, Montigny et Gélineau, 2016)

Note : ligne pleine = taux de participation électorale aux élections provinciales québécoises ; ligne pointillée = taux de participation électorale des 18-34 ans. Le taux de participation général en 2018 était de 66 %.

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En fait, l’âge et la génération font partie des principaux déterminants de la participation électorale : les jeunes votent moins que les personnes âgées et les plus récentes cohortes de jeunes votent moins que les précédentes lorsqu’elles avaient le même âge (Blais, Galais et Gélineau, 2000 ; Gélineau et Morin-Chassé, 2009 ; Howe, 2010 ; Phelps, 2004). On ne pourrait affirmer que les plus récentes cohortes de jeunes se désintéressent de la politique puisqu’en général elles y participent de différentes manières (Dalton, 2015 ; Hudon, 2012). Toutefois, elles ont moins tendance à voter pour plusieurs raisons. Premièrement, les jeunes se sentent moins interpelé⋅e⋅s par les enjeux politiques majeurs (Bastedo, 2015 ; Henn, Weinstein et Wring, 2002). Deuxièmement, elles⋅ils considèrent moins le vote comme un devoir civique que leurs ainé⋅e⋅s (Blais, 2000 ; Blais, Gidengil et Nevitte, 2004 ; Dalton, 2015 ; Wattenberg, 2015). Troisièmement, au Canada, les jeunes peu instruit⋅e⋅s délaissent les urnes massivement. Dans la catégorie d’âge 18 à 24 ans, les personnes qui n’ont pas de diplôme universitaire votent dans une proportion de 34 % contre 66 % pour celles qui en ont un (Statistique Canada, 2015) ; le décrochage scolaire serait corrélé à l’abstention, en particulier chez les jeunes hommes (Gélineau, 2012).

2.2 Définition des concepts

L’éducation civique est définie par Themistokleous et Avraamidou (2016) comme « le processus pour fournir aux personnes intéressées les compétences et les caractéristiques pour créer de l’information collaborative et collective, des pratiques et des modes de changement dans le domaine public » (p. 55, traduction libre). Deux éléments importants ressortent de cette définition : la transmission d’informations sur la politique ainsi que l’accent mis sur l’engagement dans la communauté, ce qui inclut le vote. Ces deux éléments sont repris par Althof et Berkowitz (2006) dans leur typologie des cours d’éducation à la citoyenneté. Les notions d’enseignement de valeurs et de moralité sont moins unanimes, bien que fréquemment évoquées dans les écrits scientifiques sur l’éducation à la citoyenneté (Kerr, 2003). Certains auteurs (Éthier et Lefrançois, 2019 ; Karwera, 2012) proposent d’établir une distinction conceptuelle entre l’éducation civique et l’éducation à la citoyenneté. Si la première avait pour but de faire adhérer les élèves aux institutions politiques en place, la seconde met l’accent sur la participation, la délibération et l’autonomie en laissant une plus grande place à une critique du système. C’est cette dernière conception qui est principalement discutée ici. Les questions de la critique du système et de l’autonomie de l’élève sont cependant reléguées au second plan, puisque l’engagement citoyen et le développement des connaissances politiques constituent le socle de la majorité des définitions de l’éducation à la citoyenneté. « Éducation citoyenne » est ici considérée comme un synonyme d’« éducation à la citoyenneté ».

2.3 Recension des écrits

Les effets des cours d’éducation citoyenne sur l’engagement citoyen, sur les connaissances politiques et sur la politisation plus généralement font l’objet de nombreuses études scientifiques, principalement aux États-Unis. Toutefois, des études canadiennes, européennes et comparatives sur le sujet existent aussi.

2.3.1 Les cours d’éducation citoyenne au Canada

Au Canada, l’éducation est une compétence provinciale. Au Québec, le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté est obligatoire au secondaire depuis 2004. S’adressant initialement aux élèves de première année du secondaire (12-13 ans), le cours a ensuite été donné jusqu’à la quatrième année du secondaire (15-16 ans) et ce, depuis 2007 (Dostie-Goulet, 2014). La géographie et l’histoire du monde occidental sont enseignées en première et deuxième secondaire. Puis, en troisième et quatrième secondaire, c’est l’histoire du Québec et du Canada qui est mise de l’avant. Des notions d’éducation à la citoyenneté sont présentées tout au long du parcours secondaire (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2016a, 2016b). Le programme vise à promouvoir un vivre-ensemble harmonieux, à favoriser la cohésion et la justice sociales, à développer un esprit critique, à sensibiliser à la coexistence des diverses idées et croyances et à encourager la réflexion et la discussion sur ces dernières (Bouvier, Chamberland et Belleville, 2013 ; Déry, 2016 ; Lefrançois, Éthier et Demers, 2009). Ces objectifs se rapprochent davantage de l’éducation à la citoyenneté que de la conception de l’éducation civique proposée par Karwera (2012) ainsi que par Éthier et Lefrançois (2019).

Selon Moisan (2010), les enseignant⋅e⋅s du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté du secondaire considèrent qu’éduquer à la citoyenneté « consiste à faire connaitre le cadre de vie sociale dans lequel les élèves évoluent, c’est-à-dire les droits et devoirs qui délimitent la vie citoyenne [et à] former des citoyens [partageant des] valeurs communes assurant un vivre ensemble harmonieux » (p. 212). Cette conception met peu l’accent sur la démocratie.

Cependant, certaines réussites de ce cours sont notées par le personnel enseignant. Dostie-Goulet (2014) montre ainsi que 90 % du corps enseignant croit que l’école joue un rôle important dans la socialisation politique des jeunes et que 64 % juge qu’il est facile de combiner histoire et éducation à la citoyenneté dans un même cours. Cette proportion est similaire à celle (67 %) constatée par Moisan (2010) qui montre également que les enseignant⋅e⋅s voient plusieurs liens entre les deux matières regroupées, notamment la possibilité de comprendre le présent à partir du passé et l’acquisition de connaissances historiques sur la politique.

Cependant, les écrits scientifiques soulèvent de nombreuses critiques quant à ce programme. Bouvier et Chiasson-Desjardins (2013) rapportent que les liens entre l’histoire et l’éducation à la citoyenneté sont peu assimilés par les élèves de première année du secondaire. De plus, le programme aborderait peu les rapports entre le Québec et le Canada, mettrait peu l’accent sur la transmission d’une citoyenneté démocratique et contribuerait à perpétuer des inégalités (Lefrançois et coll., 2009 ; LeVasseur, Moisan et Cardin, 2013). Dostie-Goulet (2014) révèle que 80 % des enseignant⋅e⋅s pensent que les écoles devraient en faire plus pour informer leurs élèves sur les élections et 60 % croient qu’elles⋅ils ne traitent pas suffisamment le volet d’éducation à la citoyenneté faute de temps. La majorité des enseignant⋅e⋅s consacre entre 10 et 25 % de leur temps d’enseignement à l’éducation à la citoyenneté, une faible proportion également confirmée par Moisan (2010). La collaboration avec les autres enseignant⋅e⋅s relativement à l’éducation à la citoyenneté semble également minime (Karwera, 2012 ; Moisan, 2010).

Finalement, le curriculum du programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté, tel que prévu par le ministère, diffère considérablement de la réalité observée dans les salles de classe en raison de son manque de légitimité perçu par le corps enseignant, qui préfère miser sur la transmission de savoirs plutôt que sur le développement de compétences. De plus, les enseignant⋅e⋅s ne mettent pas toujours l’accent en classe sur les éléments auxquels elles⋅ils disent accorder la priorité (Demers, 2011 ; Karwera, 2012).

À l’automne 2015, ce cours a été remplacé par celui d’Histoire du Québec et du Canada en troisième et quatrième secondaire dans plusieurs écoles. Ce nouveau cours n’inclut plus l’éducation à la citoyenneté en tant que compétence à développer, bien que l’éducation citoyenne demeure une compétence transversale devant être abordée par le personnel enseignant (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017). Cette compétence, appelée « Vivre-ensemble et citoyenneté », montre une fois de plus que le vivre-ensemble fait partie intégrante du mandat du cours. Ce nouveau cours est donné dans toutes les écoles du Québec en troisième et en quatrième secondaire, depuis l’automne 2018. Éthier et Lefrançois (2018) notent que le milieu éducatif semble bien accueillir le passage de l’approche thématique à l’approche chronologique proposée par ce cours.

En Ontario, un cours obligatoire d’éducation politique d’une demi-année a été mis en place en dixième année (15-16 ans) en 2000. Selon Print et Milner (2009), le cours ne dure pas suffisamment longtemps ; plusieurs enseignant⋅e⋅s n’ont ni la formation ni la motivation pour enseigner cette matière. Enfin, le contenu varie beaucoup d’un⋅e enseignant⋅e à l’autre, les institutions politiques et l’actualité n’étant pas couvertes également. Les auteurs concluent que le cours n’a pas eu d’effet positif sur le vote, considérant la faible participation électorale des jeunes lors des élections fédérales de 2004 et de 2006 (Élections Canada, 2012). L’effet sur l’engagement citoyen demeure incertain.

Toutefois, deux études (Claes et Hooghe, 2008 ; Claes, Hooghe et Stolle, 2009), comparant les cours ontarien et québécois, rapportent des effets positifs, bien qu’elles ne précisent pas si leurs analyses sont fondées sur les effets du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté ou d’autres programmes. Selon ces études, l’éducation citoyenne améliore l’intention de devenir membre d’un parti, de boycotter certains produits, de manifester, d’être candidat⋅e à une élection et de faire du bénévolat pour un parti, et ce, chez les élèves des deux provinces, en raison d’une augmentation de leur intérêt politique. L’éducation citoyenne augmente aussi leurs connaissances politiques et leur intention de voter, mais dans une moindre mesure que les programmes de service communautaire.

2.3.2 Les cours d’éducation citoyenne aux États-Unis

Les thèmes de l’autorité, du pouvoir et du gouvernement doivent obligatoirement être abordés dans l’enseignement secondaire aux États-Unis. Quarante des cinquante États ont d’ailleurs au moins un cours d’éducation citoyenne obligatoire au secondaire (Godsay, Henderson, Levine et Littenberg-Tobias, 2012).

Les premières études sur les cours d’éducation citoyenne aux États-Unis remontent aux années 1950 et 1960. À l’époque, Somit, Tanenhaus, Wilke et Cooley (1958) ainsi que Litt (1963) ne rapportent pas d’effet significatif des cours d’introduction à la politique sur les attitudes des élèves à l’égard de la participation électorale. Toutefois, Almond et Verba (1963) montrent que les personnes ayant suivi des cours d’éducation citoyenne éprouvent un plus grand sentiment de compétence politique. Langton et Jennings (1968) concluent pour leur part que ces cours n’ont pas d’effet notable sur l’intérêt politique, les connaissances politiques, l’attention politique, la discussion politique, la tolérance, l’efficacité interne et le cynisme. Leur étude a découragé la recherche ultérieure sur l’éducation citoyenne. Elle a par la suite été remise en question, notamment en raison de l’attention égale accordée aux élèves de différentes années (Niemi et Junn, 1998).

Plus récemment, plusieurs études étatsuniennes sur les cours d’éducation citoyenne ont montré des effets positifs sur l’intérêt politique, les connaissances politiques et l’attachement aux valeurs démocratiques, mais un effet mitigé sur la confiance envers le gouvernement (Leming, 1996 ; Niemi et Junn, 1998). Bachner (2011) montre que les élèves ayant suivi ces cours votent davantage (3 à 6 points de plus), comparativement aux élèves ne les ayant pas suivis. Westheimer et Kahne (2004) apportent une nuance : les programmes visant à former de bonnes personnes citoyennes n’améliorent pas nécessairement la participation politique des jeunes.

D’autres études récentes s’intéressent à l’effet des cours d’éducation citoyenne enseignés dans un climat de classe ouvert. Selon les résultats étatsuniens d’une étude de 1999 de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (Schulz et Sibberns, 2004), l’approche la plus utilisée par les enseignant⋅e⋅s d’éducation citoyenne est l’enseignement traditionnel magistral avec un manuel et des exercices, mais 10 % du corps enseignant recourt à un climat de classe ouvert (Martens et Gainous, 2013). Cette dernière approche encourage les élèves à donner leur opinion sur des enjeux politiques en débattant avec leurs pairs. Martens et Gainous soulignent que le climat de classe ouvert est de loin la méthode la plus efficace pour améliorer les connaissances politiques des jeunes, leur intention d’aller voter plus tard, leur efficacité interne et leur efficacité externe. Rappelons que l’efficacité interne désigne le sentiment d’avoir la compétence nécessaire pour comprendre la politique et pour y participer, alors que l’efficacité externe correspond à la confiance personnelle en la volonté du gouvernement de répondre positivement aux demandes et aux besoins des citoyen⋅ne⋅s. Cette méthode est encore plus efficace pour atteindre ces objectifs lorsqu’elle est combinée à d’autres méthodes pédagogiques, en particulier celles plus traditionnelles. Se basant sur les résultats de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement, Campbell (2007) constate que les cours d’éducation citoyenne dans un climat ouvert augmentent la discussion politique uniquement dans les milieux ethniquement homogènes. L’hypothèse avancée pour expliquer ce résultat est qu’un tel environnement favoriserait l’aisance des élèves à s’exprimer devant leurs pairs. Kahne et Sporte (2008) confirment que l’implication dans la communauté, dans un horizon de trois ans, est plus grande chez les élèves qui ont évolué dans un milieu scolaire où les discussions et les débats sur des enjeux politiques étaient encouragés.

2.3.3 Les cours d’éducation citoyenne en Europe et ailleurs

Au Royaume-Uni, l’éducation est une compétence dévolue à l’Écosse, au Pays de Galles et à l’Irlande du Nord. Denver et Hands (1990) se sont penchés sur le cours de politique de fin de secondaire en Angleterre et au pays de Galles. Les auteurs concluent que les élèves ayant suivi le cours démontraient des niveaux d’attention politique, de connaissances politiques et d’efficacité interne plus élevés, comparativement aux élèves ne l’ayant pas suivi. Toutefois, le niveau de cynisme variait peu entre les deux catégories d’élèves. Le fait que la décision de suivre le cours dépendait des élèves a pu créer un biais de sélection.

En Angleterre, depuis 2001, des cours de citoyenneté sont donnés obligatoirement aux jeunes de 11 à 16 ans (Kerr, 2003). Dans la région londonienne, John et Morris (2004) montrent que ce cours a un effet positif sur la confiance interpersonnelle et sur le bénévolat. Tonge, Mycock et Jeffery (2012) concluent pour leur part que le cours de citoyenneté a eu des effets positifs sur l’activisme politique, le niveau de connaissances politiques et le taux de participation politique des jeunes qui l’ont suivi. Kisby et Sloam (2012) font eux aussi état de la plus grande participation politique des jeunes qui ont suivi des cours d’éducation citoyenne, comparativement aux jeunes ne les ayant pas suivis, bien que leur sentiment d’efficacité interne ne s’améliore pas et que leur confiance envers la classe politique diminue avec l’âge.

En Belgique, Dassonneville, Quintelier, Hooghe et Claes (2012) montrent que les cours d’éducation citoyenne traditionnels en classe sont associés à un plus grand intérêt pour la politique et à un plus grand sentiment d’efficacité interne pour les élèves de 16 à 18 ans étudié⋅e⋅s. Le climat de classe ouvert s’accompagne d’un plus grand niveau de confiance envers les autres, mais n’améliore pas le sentiment d’efficacité interne.

Aucune analyse comparative systématique n’a été réalisée jusqu’ici sur les répercussions de cours et d’approches concernant plus précisément l’éducation citoyenne (Élections Canada, 2012). Toutefois, l’étude comparative longitudinale de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (1999) porte sur 23 pays occidentaux (Schulz et Sibberns, 2004). Les données de cette étude montrent que les cours d’éducation citoyenne dans un climat de classe ouvert sont associés à de meilleures connaissances politiques, à une plus grande participation électorale, à la tolérance et à l’engagement civique ; enfin, le nombre d’heures accordées aux cours d’éducation citoyenne influence peu la participation politique future (Campbell, 2006 ; Hoskins, Janmaat et Villalba, 2012).

2.3.4 Synthèse

Somme toute, tous pays confondus, les cours d’éducation citoyenne semblent avoir un effet positif important sur la politisation puisqu’ils permettent d’augmenter les connaissances politiques, l’intérêt politique, l’engagement civique, l’engagement politique, l’attention politique, l’efficacité interne et la confiance interpersonnelle. Lorsque les élèves sont encouragé⋅es à discuter et à débattre de politique en classe dans le cadre d’un climat de classe ouvert, ces effets sont encore plus marqués. De plus, alors que les effets des cours classiques d’éducation citoyenne sur le vote sont mitigés et variables d’une étude à l’autre, l’effet sur le vote des cours faisant appel au climat de classe ouvert est presque systématiquement positif. Toutefois, les cours d’éducation citoyenne n’altèrent pas la confiance envers les institutions politiques. Outre l’approche par climat de classe ouvert, les programmes de service communautaire faisant un retour en classe sur l’expérience se traduisent par des résultats positifs sur les connaissances politiques et l’intention de voter.

D’autre part, des programmes extracurriculaires d’éducation citoyenne, comme Vote étudiant et Kids Voting USA, ont des effets positifs encore plus importants sur les différents indicateurs de politisation, notamment lorsqu’ils combinent l’apprentissage par service communautaire et le climat de classe ouvert (Élections Canada, 2011 ; Kahne, Chi et Middaugh, 2006 ; McDevitt et Kiousis, 2006 ; Morduchowicz, Catterberg, Niemi et Bell, 1996 ; Pasek, Feldman, Romer et Jamieson, 2008).

3. Objectif

L’objectif de cette recherche est de vérifier si ces effets sur les connaissances politiques et l’engagement citoyen peuvent aussi être constatés dans le cas d’un cours hybride et obligatoire comme celui d’Histoire et éducation à la citoyenneté et, si oui, à quel degré. Ce cours propose d’acquérir des connaissances historiques par le biais d’apprentissages politiques ; ainsi, l’étude de l’histoire politique devient un moyen de comprendre le présent. Le nouveau cours d’Histoire du Québec et du Canada est également étudié quant à ses effets potentiels sur les connaissances politiques et l’engagement citoyen. À la suite des résultats obtenus dans le cadre de la présente recherche, des recommandations particulières sont formulées en conclusion afin d’améliorer les effets du cours en termes de politisation. Ces recommandations concernent le mandat et la mise en oeuvre de programmes abordant l’éducation à la citoyenneté. L’utilisation ou non de l’approche de climat de classe ouvert fait l’objet d’une attention particulière à cet égard.

4. Méthodologie

4.1 Sujets

Cette étude porte sur les écoles secondaires de la région métropolitaine de recensement de Québec. Parmi les 25 écoles secondaires sélectionnées aléatoirement et contactées par courriel, puis par téléphone, pour participer à cette étude, 12 (48 %) ont accepté d’y participer. Le taux de refus élevé s’explique notamment par le fait que la session était déjà commencée lorsque les écoles ont été contactées à la fin octobre 2017. Deux des cinq commissions scolaires de la région ont accepté de participer, de même que plusieurs écoles privées. La partie nord de ce territoire ainsi que la rive sud sont légèrement sous-représentées. Quelques écoles anglophones ont été contactées, mais elles ont toutes refusé de participer à l’étude. Les écoles ayant accepté de participer ont fourni l’adresse courriel de chaque enseignant⋅e d’histoire de quatrième secondaire. Des entrevues ont été réalisées avec 14 enseignant⋅e⋅s venant de 12 écoles différentes.

Le fait de limiter la collecte de données à ce secteur de Québec comportait plusieurs avantages : le chercheur a pu visiter lui-même chaque école pour interroger les enseignant⋅e⋅s en veillant à reproduire le même processus d’entrevue. Le programme provincial est censé s’y appliquer de la même manière que dans les autres régions du Québec.

Les 14 enseignant⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s ont enseigné l’histoire en quatrième secondaire pendant au moins une année et demie. De ce nombre, la moitié l’a enseignée pendant 10 ans ou plus. Trois d’entre elles⋅eux n’enseignaient plus l’histoire de quatrième secondaire au moment de l’entrevue, mais avaient enseigné ce cours dans les deux années précédentes. Dix des répondant⋅e⋅s sont des hommes et quatre, des femmes. Leur âge varie de 30 ans à un peu plus de 65 ans.

4.2 Instrumentation

Les enseignant⋅e⋅s du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté sont les personnes les mieux placées pour donner une appréciation du cours. Un devis purement quantitatif ne leur aurait pas permis d’exprimer en leurs propres mots leurs expériences et opinions, pas plus qu’une entrevue à questions ouvertes n’aurait permis de répondre aux interrogations précises de l’étude. L’entrevue semi-dirigée s’est donc imposée comme compromis de choix. Les entrevues ont été analysées qualitativement.

4.3 Déroulement

Les entrevues d’environ 45 minutes ont été réalisées dans des locaux scolaires entre octobre 2017 et mars 2018. Les réponses des enseignant⋅e⋅s aux 17 questions peuvent être réparties en six catégories pour des fins d’analyse systématique.

4.4 Méthode d’analyse des données

Le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté aborde l’histoire, contrairement aux autres cours dont les effets en matière de politisation ont été étudiés jusqu’ici. Le chercheur a d’abord demandé aux enseignant⋅e⋅s leur définition de l’éducation à la citoyenneté afin d’analyser leur perception quant à leur rôle pour ce cours hybride, comme l’a fait Moisan (2010).

Deuxièmement, le chercheur a analysé l’importance que les enseignant⋅e⋅s disent accorder au volet d’éducation à la citoyenneté pour contrevérifier les résultats de Dostie-Goulet (2014).

Troisièmement, le chercheur a encouragé les enseignant⋅e⋅s à discuter des effets du cours sur l’intérêt politique, sur l’acquisition de connaissances politiques et sur la participation électorale future. L’objectif était de mesurer le succès du cours en lien avec les éléments essentiels définissant l’éducation citoyenne : les connaissances politiques acquises et l’engagement qui en découle. Plusieurs cours d’éducation citoyenne semblent avoir un effet positif direct ou indirect sur la participation électorale ; leurs effets sur les connaissances politiques et l’intérêt politique sont encore plus évidents dans la littérature. L’avis des enseignant⋅e⋅s sur les effets du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté chez leurs élèves est la donnée la plus importante puisqu’un devis expérimental est impossible pour un cours obligatoire : il est impossible de comparer les élèves l’ayant suivi et celles⋅ceux⋅ne l’ayant pas suivi, puisque tou⋅te⋅s l’ont suivi.

Quatrièmement, puisque les cours d’éducation citoyenne en climat de classe ouvert influencent notablement différents indicateurs de politisation et d’engagement, le chercheur a documenté la présence ou l’absence d’un climat de classe ouvert ainsi que l’utilisation d’une approche magistrale ou interactive par l’enseignant⋅e.

Cinquièmement, puisqu’aucun cours québécois ne porte uniquement sur l’éducation à la citoyenneté, l’évaluation des effets de ce cours ne reflète peut-être pas l’ensemble des apprentissages politiques des élèves au secondaire. La présence de l’éducation citoyenne dans d’autres cours est donc également discutée.

Enfin, le cours d’Histoire du Québec et du Canada est abordé pour rendre compte de la transition entre ces deux programmes, de l’opinion des enseignant⋅e⋅s sur les changements qui y sont apportés et de la manière par laquelle l’éducation citoyenne est traitée dans ce nouveau cours.

4.5 Considérations éthiques

Le comité d’éthique de l’Université Laval a approuvé le projet de collecte de données. Un formulaire de consentement a été lu et signé par chaque enseignant⋅e avant l’entrevue. Les enseignant⋅e⋅s sont identifié⋅e⋅s par un numéro dans cet article pour préserver leur anonymat.

5. Résultats

5.1 La définition de l’éducation à la citoyenneté

Plusieurs éléments sont mentionnés par la majorité des enseignante⋅s lorsqu’on leur demande de définir l’éducation à la citoyenneté. Premièrement, 11 personnes mentionnent l’importance de former des citoyen⋅ne⋅s ou de sensibiliser l’élève à son futur « rôle de citoyen ». Par exemple, l’enseignante 4 le formule ainsi : « mon but ultime, c’était [de faire de mes élèves] des citoyens responsables et impliqués dans leur société, dans leur communauté ».

La sensibilisation des jeunes au droit de vote est mentionnée comme élément de l’éducation à la citoyenneté par 10 enseignant⋅e⋅s. L’enseignant 12 affirme « faire prendre conscience [aux élèves] qu’ils sont à deux ans d’être en âge d’aller voter ». Quatre enseignant⋅e⋅s intègrent le droit de vote dans une optique plus large de sensibilisation des jeunes à la participation citoyenne.

D’autre part, l’ensemble des enseignant⋅e⋅s mentionne durant l’entrevue la pertinence de faire des liens entre le passé et le présent ; la moitié le font en donnant leur définition de l’éducation à la citoyenneté.

Les expressions « éveil sur le monde », « ouverture au monde », « vivre-ensemble » et « vivre en société » reviennent souvent dans les réponses : six personnes utilisent l’une d’elles pour définir l’éducation à la citoyenneté.

Les enseignant⋅es associent l’éducation à la citoyenneté principalement avec la compétence 3 à développer dans le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté consolider l’exercice de sa citoyenneté à l’aide de l’histoire. Quatre enseignants font ce lien explicitement. L’enseignante 14 voit plutôt un lien entre la compétence 1 − interroger les réalités sociales dans une perspective historique − et l’éducation à la citoyenneté (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2016b). Enfin, l’enseignant 9 considère que ces compétences sont toutes deux liées à l’éducation à la citoyenneté.

5.2 Le temps en classe accordé à l’éducation citoyenne

D’emblée, les enseignant⋅e⋅s considèrent le cours comme un cours hybride et disent tou⋅te⋅s faire de l’éducation à la citoyenneté. Selon leurs estimations personnelles, c’est en moyenne 77 % de leur temps d’enseignement qui est consacré à l’histoire et 23 % à l’éducation à la citoyenneté. La variance d’une classe à l’autre semble limitée : 9 des 14 personnes répondantes estiment accorder à ce second volet entre 20 et 25 % de leur temps.

L’enseignant 9 dit accorder 10 % de son temps à cette matière, alors que l’enseignant 10 y accorderait plutôt 50 % du temps en classe. Ce dernier enseignant tient toutefois à apporter une précision : « c’est parce que moi, je vois encore ça comme un tout quand même ». Il n’est d’ailleurs pas le seul : six enseignant⋅e⋅s disent aborder simultanément l’histoire et l’éducation à la citoyenneté, hésitant quelque peu avant d’exprimer un pourcentage de temps.

Après l’entrevue, deux enseignantes confient qu’elles aimeraient accorder plus de temps à l’éducation à la citoyenneté dans leur cours. Cette volonté est aussi exprimée par cinq enseignant⋅e⋅s durant l’entrevue. Personne parmi les enseignant⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s ne juge que l’éducation à la citoyenneté prend trop de place. L’enseignante 3 aimerait faire davantage d’éducation citoyenne en classe, mais juge « que le format qui est comme en ce moment fait en sorte qu’on n’a pas le choix de préparer nos élèves à un examen ». Treize enseignant⋅e⋅s disent aborder l’ensemble des éléments de matière prévus pour l’examen ministériel. Cet examen a lieu à la fin de la quatrième année du secondaire en juin. Or, pour le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté, cet examen évaluait uniquement la compétence 2 qui n’est pas associée à l’éducation à la citoyenneté. L’examen associé au cours d’Histoire du Québec et du Canada évalue les compétences 1 et 2, mais non formellement l’éducation citoyenne.

5.3 L’effet du cours sur l’intérêt politique

D’entrée de jeu, 12 enseignant⋅e⋅s sur 14 croient que le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté peut augmenter l’intérêt politique des jeunes. Par exemple, l’enseignante 4 juge que « le cours les a amenés à être plus sensibilisés et à se dire : “On a un rôle à jouer dans la société” ». Certain⋅e⋅s élèves lui ont même avoué ceci : lorsque « vous avez dit au début de l’année que vous nous parleriez de politique, d’économie, nous, on était là “Ark, ça va être dégueulasse cette année, ça n’a aucun sens” ». À la fin de l’année, toutefois, elles⋅ils étaient rassuré⋅e⋅s et se sentaient capables de comprendre ces sujets.

Plusieurs enseignant⋅e⋅s émettent cependant un bémol ; cinq personnes jugent que c’est une minorité d’élèves qui s’intéresse davantage à la politique à cause du cours. L’enseignant 13 croit que ce sont surtout les jeunes qui se sentent concernée⋅s par la politique qui vont s’y intéresser en classe. Cet enseignant ajoute néanmoins que « lors d’élections, lorsque je faisais des capsules informatives sur l’heure du midi, j’avais parfois des classes pleines de gens qui allaient voter et de gens qui ont 16-17 ans qui voulaient connaitre les partis politiques ». Deux enseignant⋅e⋅s croient que l’augmentation de l’intérêt politique au moyen de ce cours est peine perdue. C’est le cas de l’enseignant 11 qui juge qu’« un adolescent, quand quelque chose le rejoint pas directement, c’est sûr que l’intérêt retombe » et qu’« ils se sentent pas concernés, [donc] c’est plus difficile d’avoir leur intérêt. C’est sûr qu’il y en a toujours dans tous les groupes qui sont vraiment intéressés, qui vont intervenir, mais pour la majorité, […] ça reste abstrait et plus ou moins intéressant ».

5.4 L’effet du cours sur l’acquisition de connaissances politiques

Même si les enseignant⋅e⋅s ne mentionnent pas l’acquisition de connaissances politiques dans leur définition de l’éducation à la citoyenneté, 13 d’entre elles⋅eux croient que ce cours augmente les connaissances politiques des jeunes. L’enseignante 4 décrit ainsi l’amélioration qu’elle voit :

En quatrième secondaire, je leur demandais les noms des maires, [des] premiers ministres, qui sont les ministres ici […]. Quand je l’ai commencé en quatrième secondaire, [leurs connaissances n’étaient] pas très très hautes, mais si tu reposais la même question en cinquième secondaire, ben ils étaient capables de pouvoir te les nommer, même s’il y avait eu des changements.

Cinq enseignant⋅e⋅s jugent cependant que seulement certain⋅e⋅s élèves retiennent les connaissances apprises en quatrième secondaire, alors que d’autres ne retiennent rien. L’enseignant 13 donne l’exemple suivant :

J’ai toujours un questionnaire de connaissances générales que je donne aux jeunes [en début d’année], je pense que j’ai 25 questions, je dois en avoir au moins une quinzaine qui sont d’ordre politique, […] pis des fois, j’ai des gens qui ont coulé, puis ça fait la deuxième fois qu’ils ont le même questionnaire [mais qui n’]ont pas plus une meilleure note.

5.5 L’effet du cours sur la participation électorale future

La totalité des enseignant⋅e⋅s aborde la question du droit de vote pour sensibiliser les jeunes, même si deux d’entre elles⋅eux spécifient ne pas vouloir nécessairement que l’ensemble de leurs élèves aillent voter plus tard.

Cinq enseignant⋅e⋅s jugent que l’influence du cours sur la probabilité de voter plus tard est positive. À ce propos, l’enseignante 4 ajoute : « [o]ui, mais pas aussi directement que ça, de dire que quelqu’un qui a très bien réussi son cours d’histoire de quatrième secondaire va être quelqu’un qui va aller voter. […] Le cours d’histoire est une variable parmi d’autres là-dedans. » Sept enseignant⋅e⋅s montrent une hésitation en disant « je l’espère » tout en admettant ne pas savoir si le cours a une influence sur l’intention de voter. Enfin, l’enseignant 9 affirme que le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté n’a « pas d’impact quantifiable » puisque le taux de participation des jeunes n’a pas augmenté depuis la mise en place du cours, faisant écho aux conclusions de Print et Milner (2009) en Ontario.

5.6 Le style d’enseignement

En réponse à la question relative au style d’enseignement, quatre enseignant⋅e⋅s rapportent avoir un style davantage magistral, deux un style plutôt interactif et cinq un mélange des deux, sans différence particulière de leur approche entre les cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Histoire du Québec et du Canada. L’enseignante 14 affirme que son approche est davantage magistrale : « [i]l y a un peu de magistral, il y a beaucoup d’[exercices], de modélisation… ; peu de discussions [parce que le cours d’Histoire du Québec et du Canada] est hyper chargé ». À l’inverse, l’enseignant 11 dit qu’il aime « beaucoup l’échange avec les élèves ; c’est beaucoup une question d’échange, d’interaction avec eux autres ». Les enseignante⋅s interrogé⋅e⋅s disent discuter beaucoup avec leurs élèves et semblent être disposé⋅e⋅s à amener des discussions politiques en classe. Entre les deux, l’enseignant 12 juge que son enseignement est « magistral fondamentalement et beaucoup interactif dans les discussions. J’ai un peu de difficulté à […] dire : “Je laisse aller l’élève dans son apprentissage”, en raison de la sanction ministérielle. »

Cinq enseignant⋅e⋅s tentent de faire réagir leurs élèves en donnant leur opinion sur des enjeux politiques ou en faisant l’avocate du diable, mais personne ne mentionne de débat entre élèves qui s’apparente à l’approche de climat de classe ouvert.

5.7 L’éducation à la citoyenneté dans d’autres cours

L’ensemble des participant⋅es à l’étude s’entend pour dire que l’histoire et l’éducation à la citoyenneté sont deux matières qui s’enseignent bien ensemble. Certain⋅e⋅s parlent d’« alliance naturelle » ou disent que « c’est essentiel » d’aborder les deux volets simultanément. L’enseignant 2 l’exprime ainsi :

Si tu fais pas d’éducation à la citoyenneté en histoire, t’es dans le champ et t’as manqué quelque chose, t’es passé à côté de quelque chose. […] Tu peux pas te fier à l’ensemble de tes collègues pour passer ce message-là, […] c’est dans ton cours qu’il faut que ça se fasse.

Cependant, la plupart des enseignant⋅e⋅s rejettent l’idée que le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté a le monopole du développement des compétences et des savoirs citoyens chez les élèves. Cinq d’entre elles⋅eux soulignent que le volet éthique du cours d’Éthique et culture religieuse se prête également bien à l’éducation à la citoyenneté ; trois autres croient que l’éducation citoyenne doit se faire dans d’autres cours et que tous les cours s’y prêtent bien.

Interrogé⋅es au sujet du cours de Monde contemporain, obligatoire pour les élèves de cinquième secondaire, 12 enseignant⋅e⋅s jugent que ce cours aborde des notions d’éducation à la citoyenneté. De ce nombre, huit personnes estiment que l’éducation à la citoyenneté est même plus présente que dans le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté, notamment en raison de l’accent particulier mis sur l’actualité, comme le souligne l’enseignant 9 :

Le cours Monde contemporain […] me semble être un bon cours d’éducation à la citoyenneté, parce que là on parle d’enjeux actuels qui sont mondiaux, mais, comme j’explique à mes jeunes, ça a des répercussions ici. Les changements climatiques, peut-être qu’en ce moment on est beaucoup moins éprouvés, mais les effets directs ou indirects, on les voit ici aussi.

Six répondant⋅e⋅s soulignent aussi que la personne qui donne le cours de Monde contemporain a plus de liberté que celle qui donne le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté ou d’Histoire du Québec et du Canada en quatrième secondaire, notamment en raison de l’absence d’épreuve ministérielle à la fin de la cinquième année du secondaire.

Quatre enseignant⋅e⋅s jugent cependant que le cours de Monde contemporain est axé sur une citoyenneté mondiale, moins directement associée aux préoccupations actuelles des jeunes. De plus, six enseignant⋅e⋅s se plaignent du fait que le cours de Monde contemporain est passé récemment de quatre à deux périodes par cycle, les thèmes Pouvoir et Environnement ayant par conséquent été retranchés.

5.8 Le nouveau cours d’Histoire du Québec et du Canada

Un projet pilote du cours d’Histoire du Québec et du Canada a été mis en place dans quelques classes de certaines écoles, à partir de 2015 en troisième secondaire et de 2016 en quatrième secondaire. Le programme officiel du cours est enseigné dans toutes les classes dans la plupart des écoles, depuis 2016, en troisième secondaire et, depuis 2017, en quatrième secondaire, mais certaines écoles ont obtenu un délai supplémentaire d’un an. Le tableau 1 résume l’évolution de la mise sur pied du cours.

Tableau 1

Évolution de la mise sur pied du cours d’Histoire du Québec et du Canada dans les écoles sélectionnées (tirée des entrevues avec les enseignant⋅e⋅s)

Évolution de la mise sur pied du cours d’Histoire du Québec et du Canada dans les écoles sélectionnées (tirée des entrevues avec les enseignant⋅e⋅s)

* HEC : Histoire et éducation à la citoyenneté

* HQC : Histoire du Québec et du Canada

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La mise sur pied du cours d’Histoire du Québec et du Canada varie beaucoup d’une école à l’autre. Au total, la moitié des enseignant⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s donnaient ce cours en quatrième année du secondaire en 2017-2018, tandis que les sept autres ne l’avaient jamais donné. Une seule enseignante avait donné le cours pendant une année complète.

Signalons que deux écoles se démarquent : l’une d’entre elles a introduit ce cours en troisième secondaire en 2016 et en quatrième secondaire en 2018 ; une autre école a commencé à donner le cours en 2017 pour les élèves de troisième et de quatrième secondaire. Puisque la matière est répartie différemment sur les deux années dans les deux cours, les écoles ont dû passer rapidement sur certains contenus, tandis que d’autres ont pu être répétés plus souvent sur deux ans.

Les enseignant⋅e⋅s sont assez satisfait⋅e⋅s du changement de programme : neuf d’entre elles⋅eux voient positivement l’arrivée du cours, trois se montrent critiques à son égard et deux donnent des avis mitigés. Dans le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté, les élèves étudiaient chronologiquement l’histoire du Québec et du Canada en troisième secondaire et revoyaient cette histoire en quatre temps en quatrième secondaire, selon quatre grandes thématiques. Le principal changement avec le nouveau cours est l’abandon de l’approche thématique : l’histoire du Québec et du Canada jusqu’en 1840 est abordée en troisième secondaire et la portion de 1840 à aujourd’hui est vue en quatrième secondaire. Ce changement est approuvé par 13 des 14 enseignant⋅e⋅s. De ce nombre, huit personnes évoquent l’aspect redondant du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté qui repasse quatre fois en un an l’histoire du Québec et du Canada. Plusieurs enseignant⋅e⋅s notent aussi la confusion fréquente des élèves liée aux allers-retours rapides entre différentes époques ; à leur avis, la période contemporaine de l’histoire du Québec peut être abordée plus en profondeur dans le cours d’Histoire du Québec et du Canada et son contenu est plus facile à comprendre, en particulier pour les élèves qui éprouvent des difficultés d’ordre scolaire.

Seule l’enseignante 3 préfère l’approche thématique en quatrième secondaire qui, à son avis, fonctionne bien avec la population plus forte de son école. Elle juge que les élèves qui éprouvent plus de difficultés trouvent le cours difficile de toute façon et qu’une approche chronologique sur deux ans crée des longueurs dans l’enseignement. Le principal avantage du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté aux yeux des enseignant⋅e⋅s était que la compétence 1 les obligeait, à partir d’un constat actuel, à interroger le passé. Cette compétence a été éliminée avec l’arrivée du nouveau cours.

Les avis sont partagés au sujet de la place accordée à l’éducation à la citoyenneté dans le cours d’Histoire du Québec et du Canada. Parmi les sept enseignant⋅e⋅s donnant ce cours en 2017-2018, deux considèrent qu’elles⋅ils accordent moins de temps à l’éducation à la citoyenneté, comparativement au temps qu’elles⋅ils y accordaient avec l’autre cours, et deux autres considèrent au contraire que le nouveau cours leur permet d’aborder davantage l’éducation à la citoyenneté, car elles⋅ils ont plus de temps pour le faire. L’enseignant 8 défend ce point de vue :

Ils ont comme [donné au cours le nom] d’« éducation à la citoyenneté », mais il n’y avait jamais rien de concret par rapport à ça. [Histoire du Québec et du Canada] est une approche plus intéressante, puis justement, pour l’éducation à la citoyenneté, [on passe plus de temps sur le 20e siècle], qui est probablement la portion [la] plus près de nous, qui est la plus utile en termes de citoyenneté.

Toutefois, quatre enseignant⋅e⋅s considèrent que le retrait de l’éducation à la citoyenneté des compétences prescrites fait en sorte qu’il incombe au bon vouloir de l’enseignant⋅e d’aborder cette matière en classe.

6. Discussion des résultats

Somme toute, les définitions de l’éducation citoyenne données par les enseignant⋅e⋅s tournent beaucoup plus autour de la sensibilisation et de l’engagement – notamment par l’entremise du vote – que de l’acquisition de connaissances, contrairement aux définitions habituelles de l’éducation citoyenne, qui mettent l’accent à la fois sur les connaissances et sur l’engagement politique (Althof et Berkowitz, 2006). Un seul enseignant mentionne l’acquisition de connaissances politiques comme un élément de l’éducation citoyenne  ; c’est plutôt l’acquisition de compétences – développer son sens citoyen, être engagé⋅e, prendre position – qui est mise de l’avant. La notion d’ouverture sur le monde, souvent mentionnée, semble cohérente avec les objectifs du programme tels que définis par Lefrançois et coll. (2009), Bouvier, Chamberland et Belleville (2013) et Déry (2016). L’adhésion aux institutions politiques en place, plus typique de l’éducation civique telle que définie par Karwera (2012) et Éthier et Lefrançois (2019), ne ressort pas des définitions des enseignant⋅e⋅s.

Les enseignant⋅e⋅s disent généralement accorder d’un cinquième à un quart de leur temps en classe à l’éducation à la citoyenneté. Cette proportion est légèrement supérieure à celle trouvée par Dostie-Goulet (2014). Cependant, cette convergence apparente est mise en doute par le fait que l’évaluation de l’éducation citoyenne est laissée à la discrétion du personnel enseignant, puisqu’elle n’est pas abordée lors de l’examen ministériel.

Les écrits scientifiques sur les effets des cours d’éducation citoyenne semblent être corroborés par les propos des enseignant⋅e⋅s du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté ; à leur avis, l’intérêt politique, tout comme les connaissances politiques, des jeunes est influencé positivement par le cours. Ces opinions demeurent incertaines et pourraient ne s’appliquer qu’à une minorité d’élèves, mais constituent la source d’information la plus importante pour un cours obligatoire, puisqu’il n’existe aucune école ou classe de troisième ou quatrième secondaire au Québec où le cours n’est pas donné. Un devis expérimental avec un groupe traitement et un groupe contrôle est donc impossible à réaliser. L’incertitude exprimée par le personnel enseignant quant aux effets de ce cours sur la participation électorale n’est pas surprenante ; mis à part les cours d’éducation citoyenne faisant appel à un climat de classe ouvert ou ceux inclus dans des programmes extracurriculaires plus larges, la littérature ne montre pas d’effet significatif sur le vote.

Une approche principalement interactive semble être utilisée par environ la moitié des enseignant⋅es, mais généralement en combinaison avec l’enseignement magistral. Plusieurs débattent à l’occasion d’enjeux politiques avec les élèves, mais une approche de climat de classe ouvert, centrée sur la discussion entre élèves, ne semble guère utilisée.

Exception faite du Québec, l’association entre l’histoire et l’éducation à la citoyenneté dans un même cours n’est pas la norme dans le milieu de l’éducation. Aussi, l’unanimité des participant⋅e⋅s à l’étude à souligner la complémentarité des deux matières peut paraitre surprenante. Moisan (2010) et Dostie-Goulet (2014) montraient des résultats similaires, bien que non unanimes. L’habitude d’enseigner les deux matières conjointement et de faire des liens entre celles-ci et entre le passé et le présent explique sans doute cette perception de complémentarité.

Le fait que les enseignant⋅e⋅s jugent que l’éducation citoyenne doit aussi être faite dans d’autres matières laisse penser que l’association entre l’histoire et l’éducation à la citoyenneté dans le cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté n’est pas suffisante pour développer l’éducation citoyenne des jeunes. La moitié des enseignant⋅e⋅s juge d’ailleurs, sans même que la question ne leur soit posée, accorder moins de temps au deuxième volet du cours. Les enseignant⋅e⋅s semblent voir les exigences strictes du Ministère comme un obstacle à un enseignement complet de l’éducation à la citoyenneté ; à leurs yeux, le cours de Monde contemporain en cinquième secondaire atteint mieux les objectifs d’éducation citoyenne. Ce cours est cependant donné à un âge (16 ou 17 ans) où plusieurs élèves ont déjà quitté les bancs d’école puisqu’au Québec, l’obligation de fréquentation scolaire prend fin à 16 ans et que le taux de diplomation en cinq ans y est de 64 % (Homsy et Savard, 2018).

Enfin, la transition entre les deux cours semble s’être déroulée différemment d’une école à l’autre, causant parfois des chevauchements entre l’ancien et le nouveau programme. La majorité des enseignant⋅e⋅s considère le nouveau cours comme un changement positif, car peu importe la place accordée à l’éducation à la citoyenneté, le passage à une approche chronologique sur deux ans rend l’enseignement moins répétitif et plus efficace pour les élèves. Le cours d’Histoire du Québec et du Canada demeure donc un cours hybride d’histoire et d’éducation à la citoyenneté, même si le volet « histoire » prédomine.

7. Conclusion

Cette étude visait à vérifier à quel point les effets des cours d’éducation citoyenne sur les connaissances politiques et l’engagement citoyen, constatés dans d’autres pays, pouvaient aussi être constatés pour les cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté et d’Histoire du Québec et du Canada. Finalement, il semble que les deux cours permettent aux élèves d’atteindre un plus grand degré de politisation, mais pas de manière aussi prononcée que les cours d’éducation civique ailleurs dans le monde – notamment aux États-Unis – qui utilisent le climat de classe ouvert. L’aspect hybride des cours d’histoire québécois est considéré comme utile. La grande majorité des enseignant⋅e⋅s juge que l’intérêt politique et les connaissances politiques de certain⋅e⋅s élèves s’améliorent en raison de leur exposition à ces programmes. Toutefois, ces résultats pourraient ne concerner qu’une minorité d’élèves et les deux cours pourraient ne pas avoir d’effet sur la participation électorale future. Les objectifs de l’éducation citoyenne semblent donc partiellement atteints et mériteraient d’être renforcés quant à deux aspects principaux.

Premièrement, il faudrait accorder une plus grande place à l’éducation citoyenne dans le curriculum, puisque les enseignant⋅e⋅s du cours d’Histoire et éducation à la citoyenneté estiment généralement ne pas traiter suffisamment de cet aspect de la matière, y compris dans le nouveau cours. Trois options, qui ne sont pas mutuellement exclusives, peuvent être envisagées pour remettre de l’avant l’éducation à la citoyenneté dans le programme : 1) revoir le mandat du cours pour y accorder plus de temps et évaluer cette matière formellement, y compris au moyen d’un examen ministériel ; 2) intégrer l’éducation citoyenne dans les compétences évaluées dans d’autres cours, notamment celui d’Éthique et culture religieuse, pour s’assurer de l’application de la compétence transversale « Vivre-ensemble et citoyenneté » ; 3) enfin, revoir l’approche du cours pour y intégrer formellement le climat de classe ouvert, puisque cette approche est la plus apte à augmenter la participation électorale des jeunes.

Deuxièmement, le mandat d’éducation à la citoyenneté devrait être élargi ou mieux défini par le Ministère. Un seul enseignant interrogé mentionne l’acquisition de connaissances politiques comme un élément important de sa définition de l’éducation à la citoyenneté, alors que cet élément est central dans la littérature à ce sujet. L’importance d’encourager l’engagement citoyen semble être mieux acquise par les enseignant⋅e⋅s.

Cet article comporte certaines zones d’ombre qui devront être approfondies par d’autres études. D’une part, la majorité des enseignant⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s juge que le cours de Monde contemporain, obligatoire pour tou⋅te⋅s les élèves de cinquième secondaire, est davantage un cours d’éducation à la citoyenneté que celui d’Histoire et éducation à la citoyenneté. Monde contemporain, peu étudié jusqu’à présent, devra faire l’objet de futures études sur la politisation et la participation. D’autre part, une étude de suivi sera pertinente, à présent que le cours d’Histoire du Québec et du Canada est donné partout, pour déterminer si sa mise en place correspond aux attentes ministérielles et donne aux enseignant⋅e⋅s la latitude nécessaire pour intégrer des notions de politique dans leur enseignement.