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Ce dernier ouvrage de Sant sera d’intérêt pour les praticien⋅ne⋅s et les chercheur⋅se⋅s du domaine de l’éducation à la citoyenneté à l’heure de la mise en place par l’État québécois d’un nouveau curriculum que certain⋅e⋅s souhaitent déjà teinté d’une « petite saveur chauvine ». Une grille de lecture utile pour cet éventuel cursus pourrait en émerger et guider les enseignant⋅e⋅s dans son interprétation.

Ce livre tente en effet d’offrir des assises solides à une éducation à la citoyenneté qui dépasserait des visées utilitaristes de développement économique, de cohésion sociale ou d’adhésion à une communauté nationale. À ce propos, Sant soutient que, dans un monde où les populismes prennent de plus en plus d’importance, l’enseignement des valeurs démocratiques ou la simple transmission de connaissances dites « vraies » n’auront jamais que des effets marginaux. Pour l’auteure, les critiques selon lesquelles les savoirs ne peuvent être neutres et servent souvent les intérêts d’une élite (nationale, financière, internationaliste, intellectuelle, etc.) n’ont pas tout à fait tort. Les savoirs scolaires ne sont sans doute pas neutres et peuvent en effet devenir suspects. Ils ne sauront donc convaincre sans être soumis à débat. Pour Sant, les « fantaisies » populistes, fussent-elles de droite ou de gauche, ne peuvent être remises en cause que par des débats réellement ouverts et faisant une large part au vécu des apprenant⋅e⋅s. Pour l’auteure, cela implique aussi d’accepter de ne pas avoir de contrôle sur les conclusions de ces débats.

Dans cette optique, la chercheuse soutient qu’il conviendrait non plus de proposer une éducation à la vie politique rigide, mais ouverte, sans finalité précise et plutôt centrée sur la diversité des points de vue. Elle propose trois approches dont elle donne des exemples, soit les pédagogies de la différence qui chercheraient à faciliter la remise en question de nos pratiques sociales actuelles et la recherche d’alternatives en embrassant une gamme plus complète de connaissances ; les pédagogies de l’articulation qui chercheraient à réconcilier les élèves avec les débats et les conflits afin d’éviter les conséquences les plus funestes d’une polarisation ; et les pédagogies de l’équivalence qui viseraient à créer des opportunités pour que les jeunes puissent être des membres actif⋅ve⋅s d’une tâche de reconstruction.

Le texte balaie hélas trop vite les enseignements des pédagogies critiques et émancipatrices en s’appuyant parfois sur une caricature de celles-ci pour en dénoncer les limites. À ce sujet, Sant souligne le fait que les pratiques enseignantes sont souvent incohérentes avec les visées de formation. Contrairement à Freire, qu’elle cite pourtant, l’auteure en conclue qu’il convient de revoir les visées émancipatrices et non qu’il demeure possible et nécessaire de radicalement revisiter les pratiques qui cherchent à les incarner. Sur ce plan, rappelons que Freire soutenait que les pratiques enseignantes doivent s’éloigner de pratiques aliénantes où l’élève n’a d’autre fonction que de recevoir la connaissance, de l’archiver et de la restituer à l’identique. Cet ouvrage réaffirme néanmoins l’importance de la délibération et des débats ouverts dans le contexte de l’éducation à la citoyenneté. La⋅le lecteur⋅rice pourra trouver des appuis plus solides que ceux proposés par Sant, mais tirera profit des approches qu’elle avance pour poser un regard critique sur les pratiques existantes et sur leurs effets réels, et non seulement sur leurs effets théorisés.