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1. Introduction

La contamination des eaux souterraines par les nitrates (NO3) est l’une des préoccupations majeures des gestionnaires de la qualité de l’eau. Cette préoccupation est particulièrement importante dans les régions semi-arides où la culture intensive est rendue possible grâce à l’irrigation. Une augmentation de la contamination de l’eau souterraine par les nitrates est cependant reliée à l’intensification des fertilisations. L’irrigation peut aussi jouer un rôle important dans cette évolution, selon que l’eau utilisée est de l’eau de surface non contaminée ou de l’eau souterraine recyclée et chargée en nitrates (BÖHLKE, 2002). Les milieux humides situés en aval d’un bassin versant agricole peuvent également recevoir l’eau contaminée par les pratiques agricoles en amont. Dans ce cas, la contamination de l’eau souterraine peut mener à l’eutrophisation des eaux de surface (POWLSON, 1993), détruisant ainsi des milieux écologiquement riches et qui jouent un rôle majeur dans la régulation et la filtration des réserves d’eau souterraine et de surface.

Dans le sud de l’Espagne, une importante contamination des eaux souterraines par les nitrates est observée dans le delta du rio Adra, site d’une agriculture maraîchère sous serre depuis une vingtaine d’années (EL AMRANI-PAAZA et al., 2000). Depuis le début des années 1990, les teneurs des eaux en éléments azotés y ont augmenté significativement (EL AMRANI-PAAZA et al., 1992). Environ la moitié de la zone est irriguée à partir de l’eau souterraine (secteur oriental) tandis que l’autre moitié est irriguée grâce à des dérivations du rio Adra (secteur occidental). Les concentrations en nitrates des eaux souterraines ont augmenté plus rapidement dans le secteur irrigué par l’eau souterraine. Deux lagunes (ou albuferas) situées dans ce secteur montrent également depuis quelques années des concentrations élevées en nitrates (EL AMRANI-PAAZA, 1997), mettant ces milieux fragiles en danger d’eutrophisation.

Les modèles de simulation de la contamination par les NO3 sont des outils très pertinents pour mieux comprendre les causes de contamination reliées aux pratiques agricoles. AgriFlux (BANTON et al., 1993) est l’un des modèles permettant de simuler les pertes environnementales de fertilisants agricoles. Cet outil est particulièrement pertinent du fait qu’il est un modèle mécaniste et stochastique, alliant la représentation conceptuelle des mécanismes avec la variabilité spatiale des processus et des paramètres. Plusieurs applications d’AgriFlux ont été réalisées dans des conditions de cultures et de fertilisations variées, sous climat nordique (LAROCQUE et BANTON, 1995) et continental (DUPUY et al., 1997; LASSERRE et al., 1999). Jusqu’à présent, le modèle n’avait cependant jamais été utilisé en conditions semi-arides et sur des cultures irriguées.

L’objectif de ce travail est d’étudier l’effet du recyclage de l’eau d’irrigation sur la contamination de l’eau souterraine dans le delta du rio Adra et de mettre en évidence l’effet de cette contamination sur les lagunes. Le modèle AgriFlux est utilisé pour simuler le lessivage des NO3 vers l’aquifère du delta du rio Adra sous culture maraîchère et irrigation. L’impact d’une irrigation par de l’eau souterraine chargée en NO3 est estimé. L’évolution possible de cette contamination par un arrêt du recyclage de l’eau d’irrigation est par ailleurs simulée. Finalement, l’effet de la contamination de l’eau souterraine sur la qualité des eaux des lagunes est également estimé.

2. Matériel et méthodes

2.1 Le delta du rio Adra (Almérie, Espagne)

La portion alluviale du delta du rio Adra couvre une superficie de 13,4 km2. Elle correspond à la partie basse du grand bassin de l’Adra dont la superficie totale est de 746 km2. Ce dernier est le seul bassin d’Almérie dont les ressources hydriques sont considérées excédentaires (IGME, 1977; ITGE, 1998). Actuellement, le delta fait l’objet d’une régulation par le barrage de Beninar, situé sur le cours moyen du rio Adra (Figure 1). À l’extrémité aval du delta, la dynamique fluvio-littorale récente a conditionné l’apparition de deux lagunes ou albuferas. Au niveau du bassin bas (delta de l’Adra), le climat est de type méditerranéen, avec des précipitations de forte intensité et de faible durée, principalement distribuées entre l’automne et le printemps; les précipitations moyennes sont de l’ordre de 200 mm/an. Les températures moyennes de l’air varient de 13,5 oC en janvier à 21,5 oC en août et la demande évaporative potentielle peut atteindre 900 mm/an pour des cultures irriguées (MORALES, 1986).

Figure 1

Localisation et contexte géologique du delta du rio Adra.

Location and geological context on the Adra River delta.

Localisation et contexte géologique du delta du rio Adra.

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L’aquifère du delta du rio Adra est formé par les matériaux sédimentaires post-orogéniques (Tortonien à Holocène) formant un système multicouche dont les bordures et le substratum sont constitués par des matériaux alpujarrides imperméables. La limite méridionale du système est constituée par la mer Méditerranée (Figure 1). Au nord, l’aquifère est alimenté par le rio Adra qui tire une partie de son débit de la source de Marbella dont le débit annuel est estimé à 14,6 millions m3/an (Tableau 1). Le rio alimente la nappe sur le delta, avec un débit de 4 millions m3/an. Le débit du rio à son embouchure est de 2,5 millions m3/an. Le flux d’eau souterraine s’écoulant vers la mer de l’ensemble du delta est estimé à 5 millions m3/an. L’épaisseur de l’aquifère est de 20 à 30 m dans le secteur nord-est et de 70 à 80 m à l’extrémité occidentale du delta. Dans le secteur oriental l’épaisseur dépasse 100 m. Les transmissivités mesurées sont de 4 103 à 15 103 m2/j (PULIDO et al., 1988) témoignant du très bon potentiel aquifère du delta. La nappe est libre sur l’ensemble du delta. Les sols du delta appartiennent à la même unité pédologique (fluvisols calciques, xerofluvents), dont un profil de sol typique à quatre horizons pédologiques est présenté au tableau 2. Ce sol relativement perméable favorise une infiltration importante et peu de ruissellement de surface. Les principales caractéristiques physiques de ces couches ont été mesurées dans le cadre du projet LUCDEME (1986).

Tableau 1

Éléments du bilan hydrologique dans le delta du rio Adra.

Hydrological data for the Adra delta.

 

Volume d’eau

(millions m3/an)

Débit du Fuente de Marbella

14,6

Débit du rio Adra à l’embouchure

2,5

Pertes du rio Adra vers l’aquifère

4,0

Eau dérivée du rio Adra pour l’irrigation

8,1

Eau pompée de l’aquifère pour l’irrigation

10,0

Retour d’irrigation – estimé

2,0

Retour d’irrigation – simulé

1,8

Flux d’eau souterraine alimentant les lagunes

0,3

Flux d’eau souterraine s’écoulant vers la mer

5,0

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Tableau 2

Caractéristiques du sol sur le delta du rio Adra (LUCDEME 1986).

Soil characteristics in the Adra delta (LUCDEME 1986).

Paramètres

Ap

C1

C2

C3

Épaisseur (m)

0,30

0,20

0,50

0,80

Capacité au champ (m‑3m‑3)

0,17

0,26

0,37

0,32

Point de flétrissement (m‑3m‑3)

0,05

0,07

0,09

0,16

% en sable

63,4

44,8

14,9

24,6

% en limon

28,1

42,4

66,4

55,8

% en argile

8,4

12,9

18,7

12,7

Matière organique (%)

1,3

1,3

0,9

0,8

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Jusqu’au milieu des années 1980, le delta était le site d’une culture conventionnelle de canne à sucre. Depuis, la disponibilité de l’eau et la nature des sols ont encouragé l’implantation de cultures intensives sous serres couvrant toute la portion alluviale du delta. Les cultures d’hiver prédominantes sont maintenant le poivron, le piment et le concombre, tandis que celles d’été sont la pastèque et le melon. Leurs besoins en eau sont estimés à 16,1 millions m3/an. Dans le secteur occidental du delta, 8,1 millions m3 d’eau sont prélevés directement dans le rio Adra chaque année pour l’irrigation. Dans le secteur oriental, 10 millions m3 d’eau sont prélevés annuellement dans la nappe pour l’irrigation. On évalue à 2 millions m3/an le retour d’irrigation (MOPTMA, 1994, ITGE, 1998).

Les lagunes ou albuferas de Adra, nommées Honda et Nueva, se situent à l’extrême oriental du delta (Figure 1) et ont pour origine la dynamique fluvio-littorale récente. Avec une altitude variant de 0 à 2 m, elles sont peu profondes (3 et 4 m respectivement) et couvrent une superficie de 7 et 24 ha. Une zone de protection, presque totalement couverte de serres, d’une superficie de 150 ha entoure les lagunes. Depuis 1989, et en vertu de leur intérêt ornithologique, les lagunes sont des réserves naturelles protégées par la législation de la Communauté Autonome d’Andalousie. En 1994, elles ont été incluses dans la liste mondiale des zones humides protégées par la Convention de Ramsar.

En 1987, les concentrations en nitrates dans l’eau souterraine étaient similaires sur l’ensemble de l’aquifère et en moyenne de 40 mg NO3/L. Quatre échantillonnages d’eau souterraine ont été réalisés entre janvier 1991 et mai 1992, dans sept à onze puits du delta. Deux échantillonnages additionnels ont été réalisés en juillet et novembre 1996 sur trois à cinq puits, afin de vérifier l’évolution des concentrations (EL AMRANI-PAAZA et al., 1998). De 1991 à 1996, les teneurs en NO3 enregistrées au niveau des eaux souterraines (Figure 2) ont subi une hausse significative dans le secteur oriental, passant en moyenne de 70 à 255 mg NO3/L, soit largement au-dessus du seuil de potabilité (la norme européenne étant de 50 mg NO3/L). Dans le secteur occidental, les concentrations oscillent autour de la norme en 1991 et 1992 et semblent augmenter en 1996. Les concentrations obtenues en 1996 ne sont toutefois peut-être pas représentatives d’une tendance puisque seuls les deux puits ayant précédemment montré les concentrations les plus élevées ont été échantillonnés en juillet et novembre dans le secteur occidental. En novembre 1996, un seul puits a été échantillonné dans le secteur oriental. Les barres d’erreur représentant les concentrations maximale et minimale, illustrent l’importance de la variabilité spatiale des concentrations mesurées. Le nombre limité de puits échantillonnés en 1996 explique la plus faible variabilité observée pour cette année. L’augmentation plus marquée des concentrations dans le secteur oriental pourrait s’expliquer par le recyclage dans l’irrigation d’une eau souterraine chargée en nitrates. Un échantillonnage réalisé en mai 1992 a montré que l’eau du rio Adra contenait moins de 5 mg NO3/L (EL AMRANI-PAAZA, 1997).

Figure 2

Concentrations en nitrates mesurées et simulées sur le delta du rio Adra, a) secteur occidental et b) secteur oriental.

Measured and simulated nitrate concentrations in the Adra delta, a) western sector and b) eastern sector.

a

b

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Une étude des caractéristiques physico-chimiques des eaux de l’aquifère du delta du rio Adra, basée sur l’échantillonnage réalisé en 1991-1992, a montré l’existence d’une zonation hydrochimique au sein de l’aquifère. Des eaux moins salines et à faible teneur en NO3 ont été trouvées dans le secteur occidental tandis que des eaux plus salines et à fortes teneurs en NO3 ont été identifiées dans le secteur oriental (EL AMRANI-PAAZA et al., 1994). EL AMRANI-PAAZA et al. (1996) ont aussi mis en évidence par modélisation géochimique la présence d’une réduction des nitrates par la matière organique au niveau de certains puits du secteur oriental. Le pourcentage de réduction estimé varie entre 35 % et 80 % selon les puits considérés. La réduction des nitrates par la matière organique peut être considérée comme un processus d’épuration naturelle des eaux souterraines. L’irrégularité spatiale de ce phénomène pourrait expliquer en partie la plus grande variabilité des concentrations en nitrates observée dans le secteur oriental.

2.2 Application du modèle AgriFlux

Le modèle AgriFlux (BANTON et al., 1993) a été utilisé pour simuler le lessivage des NO3 vers l’aquifère du delta du rio Adra, sous culture maraîchère et irrigation. AgriFlux simule les flux d’eau et les processus reliés au bilan hydrique dans le sol (zone non saturée : précipitations, infiltration, ruissellement, prélèvement d’eau par la culture, évaporation, percolation et drainage artificiel). Les couches de sol sont discrétisées en compartiments dans lesquels les processus hydriques sont calculés chaque jour. L’eau excédant un seuil de teneur en eau percole en cascade d’un compartiment à l’autre en fonction du taux de saturation de la couche sous-jacente et de sa conductivité hydraulique non saturée. À moins qu’elle n’ait été interceptée par les racines des plantes ou par le drainage artificiel, cette eau migre hors de la zone racinaire (où elle peut être considérée comme étant égale à la recharge de la nappe). Le ruissellement se produit lorsque la saturation est atteinte dans le compartiment superficiel. Les processus du cycle d’azote représentés dans le modèle sont les apports de fertilisants, la minéralisation nette, la nitrification, la dénitrification et le prélèvement par les plantes suivant une formulation similaire à celle de JOHNSSON et al. (1987). La minéralisation nette et la nitrification sont formulées comme des réactions d’ordre un tandis que la dénitrification suit une cinétique de Michaelis-Menten. Les constantes de réaction de ces cinétiques sont ajustées chaque jour selon la température et la teneur en eau de chaque compartiment de sol. Les NO3 produits au cours du cycle de l’azote et non prélevés par les plantes sont considérés en solution et migrent avec l’eau de percolation, de ruissellement ou de drainage. Une description détaillée des processus utilisés dans AgriFlux peut être consultée dans LAROCQUE et BANTON (1995).

Les paramètres nécessaires au fonctionnement du modèle portent sur les caractéristiques du sol, les cultures, les fertilisations, le cycle de l’azote et les conditions climatiques. Aucun calage des paramètres n’a été réalisé. Les sols, les cultures et les conditions climatiques étant similaires sur tout le delta, seules les fertilisations diffèrent entre les secteurs oriental et occidental en raison de l’utilisation d’une eau d’irrigation chargée en nitrates sur le secteur oriental. La saison de culture hivernale se déroule du début janvier à la fin mai et la saison de culture estivale se déroule du début août à la fin novembre. Les besoins en azote de chacune des cultures d’hiver et d’été sont globalement similaires et évalués en moyenne à 144 kg N/ha (MUÑOZ MARTINEZ, 1991). Les fertilisants utilisés sont de type inorganique et les quantités appliquées sont supposées correspondre aux besoins des cultures. Les fertilisants sont apportés au moment des semis, en janvier et en août de chaque année. Sur le secteur occidental, les apports de fertilisants inorganiques sont supposés constants depuis 1987. Dans le secteur oriental, l’apport supplémentaire d’azote par l’eau d’irrigation est fonction des concentrations en NO3 de l’eau de la nappe, et varie de 57 kg N/ha en 1987 à 177 kg N/ha en 1996. L’eau d’irrigation amène ainsi un apport excédentaire en azote de 40 et 123 % par rapport aux besoins des cultures (Tableau 3) qui n’est pas pris en compte par les agriculteurs. Cette surfertilisation n’a apparemment pas d’effet négatif sur les cultures, sans doute car la forte perméabilité des sols permet aux apports excédentaires de se déplacer rapidement vers l’eau souterraine. En l’absence d’une information spécifique pour le type de contexte agro-pédo-climatique étudié, les paramètres du cycle de l’azote utilisés dans ce travail sont ceux proposés par Larocque et Banton (1995). AgriFlux ajustant cependant en temps réel les paramètres du cycle de l’azote en fonction de la température et de l’humidité du sol, on peut considérer valable l’utilisation de cette information par défaut. Les cultures étant réalisées sous serres, les seuls apports d’eau aux cultures sont ceux de l’irrigation ajustés en fonction des besoins en eau des plantes, soit 600 mm/saison (IBAÑEZ ARIAS, 1999).

Tableau 3

Apports de fertilisants sur le delta du rio Adra.

Fertilizer use in the Adra delta.

Période

Apport de fertilisant (kg N/ha)

 

Secteur oriental

Secteur occidental

 

Fertilisation minérale

Azote provenant de l’eau souterraine

Fertilisation minérale

Hiver 1987 à été 1991

144

57 (40 %)*

144

Hiver 1991 à hiver 1992

144

99 (69 %)

144

Été 1992 à été 1996

144

177 (123 %)

144

*La valeur entre parenthèses représente l’excédent par rapport aux besoins des cultures (évalué à 144kgN/ha).

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L’approche stochastique utilisée par AgriFlux permet de définir les paramètres à l’aide d’une distribution statistique reflétant leur variabilité spatiale ou l’incertitude sur leur connaissance. Dans ce travail, tous les paramètres sont déclarés par des lois de distribution normale, à l’exception de la conductivité hydraulique à saturation déclarée selon une distribution lognormale. Les simulations couvrent la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1996, c’est‑à‑dire depuis le début de l’agriculture intensive et sur une période suffisamment longue pour représenter un système tendant vers un état d’équilibre.

3. Résultats et discussion

3.1 Concentrations en nitrates simulées dans l’eau lessivée

Le volume d’eau de percolation simulé est de 1,8 millions m3/an, soit une valeur similaire au retour d’irrigation de 2 millions m3/an estimé sur le terrain (Tableau 1). La figure 2 illustre les concentrations moyennes simulées de 1987 à 1996, à la sortie de la zone racinaire (à la profondeur de 1,8 m). L’approche stochastique d’AgriFlux fournit les résultats journaliers sous forme de moyennes et d’écarts‑types. Toutefois, afin de simplifier la figure, seules les concentrations simulées moyennes sont illustrées. Dans le secteur occidental (Figure 2a), ces concentrations sont stables dans le temps et environ le double des concentrations mesurées dans la nappe, à l’exception de l’année 1996 où les concentrations mesurées et simulées sont similaires. Les nitrates apportés par la recharge subissent une dilution importante lorsqu’ils atteignent la nappe, où les teneurs en NO3 de l’eau sont plus faibles. Une dilution d’un facteur trois, c’est‑à‑dire dans un volume d’eau double de celui percolé, permet de reproduire les concentrations mesurées dans la nappe de 1987 à 1992. Les données hydrogéologiques disponibles montrent que le volume de la nappe qui se renouvelle chaque année est formé par la recharge verticale, pour un volume de 2 millions m3/an, et des pertes du rio Adra pour un volume deux fois plus grand, soit 4 millions m3/an. La dilution d’un facteur trois semble donc pertinente pour expliquer les concentrations. Tel que mentionné précédemment, les concentrations mesurées en 1996 ne sont pas représentatives de l’état moyen de la nappe puisque seules ont été suivies les deux stations ayant montré les concentrations les plus élevées en 1991-1992. Il est cependant possible que les concentrations moyennes aient subi une légère hausse de 1992 à 1996 dans le secteur occidental, en raison par exemple d’une augmentation de la fertilisation chimique pour palier à un appauvrissement des sols (non prise en compte dans la simulation). Dans le secteur occidental, les concentrations dans la nappe sont relativement élevées et très proches de la norme de potabilité.

Dans le secteur oriental, les concentrations simulées sont supérieures aux concentrations mesurées, mais augmentent de manière similaire entre 1991 et 1996 (Figure 2b). En appliquant le même taux de dilution que dans le secteur occidental, les concentrations simulées demeurent supérieures aux valeurs moyennes mesurées. La présence de conditions locales de dénitrification mises en évidence par EL AMRANI-PAAZA et al. (1996) pourrait être à l’origine de cette différence. En appliquant un taux de dénitrification de 45 % aux concentrations issues de la zone racinaire, les concentrations mesurées et simulées sont similaires de 1987 à 1992. Ce taux de dénitrification se situe dans l’intervalle de 35 à 80 % de celui estimé par EL AMRANI-PAAZA et al. (1996) pour le secteur oriental. Les concentrations mesurées les plus élevées (Figure 2), correspondraient à des secteurs où la dénitrification est absente ou peu active tandis que les concentrations mesurées les plus faibles correspondraient à ceux où la dénitrification est importante. Quoiqu’elle ne puisse être confirmée avec certitude à l’aide des données disponibles, l’hypothèse d’une dilution combinée à une dénitrification semble plausible à la lumière des travaux de WIDORY et al. (2004).

D’autres simulations ont été réalisées en éliminant l’excédent de fertilisant apporté par l’irrigation à partir de 1997. Les résultats obtenus montrent que les concentrations en NO3 dans l’eau lessivée atteindraient dans ce cas un niveau maximal une année après l’arrêt du recyclage de l’irrigation contaminée (Figure 3). Le seuil de 40 mg NO3/L mesuré en 1987, avant l’avènement des cultures sous serres, serait retrouvé dix ans après l’arrêt du recyclage. Ce délai relativement long résulte de l’importante accumulation de NO3 dans la zone racinaire entre 1987 et 1996. Ces NO3 emmagasinés dans le sol sont d’abord lessivés vers la nappe, avant que les concentrations ne diminuent pour s’approcher des teneurs en nitrates observées en 1987.

Figure 3

Scénario d’évolution des concentrations en nitrates sur le delta du rio Adra suite à un arrêt hypothétique du recyclage de l’eau souterraine.

Simulated changes in nitrate concentrations in the Adra delta following a hypothetical stop of the use of recycled groundwater in irrigation.

Scénario d’évolution des concentrations en nitrates sur le delta du rio Adra suite à un arrêt hypothétique du recyclage de l’eau souterraine.

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3.2 Effet de l’eau souterraine contaminée sur les albuferas de Adra

La lagune Nueva n’est connectée à aucun cours d’eau de surface tandis que trois cours d’eau temporaires alimentent la lagune Honda. En période pluvieuse, la lagune Honda alimente l’aquifère et la lagune Nueva. Cette dernière est aussi alimentée par l’aquifère avec un gradient hydraulique faible estimé à 2 pour mille (BENAVENTE et al., 2003). La figure 4 et le tableau 4 montrent que les niveaux d’eau dans les deux lagunes ont une tendance évolutive similaire et de même amplitude que les niveaux dans les puits 537 et 509. Plus le puits est rapproché de la lagune, plus le coefficient de corrélation est élevé (Tableau 4). Les précipitations sont peu corrélées aux niveaux d’eau dans les deux lagunes. Celles-ci seraient donc alimentées principalement par l’écoulement souterrain et vulnérables à une contamination de la nappe. BENAVENTE (2002) estime l’apport d’eau souterraine aux lagunes à 0,3 millions m3/an. Le tableau 4 montre aussi que  le niveau de la nappe aux puits 509 et 537 est peu influencé par les précipitations, sans doute en raison de la localisation de ces forages très en aval sur l’aquifère et non loin de la mer.

Figure 4

Précipitations et niveaux de l’eau dans les albuferas et dans deux puits du secteur oriental.

Precipitation and water levels in the albuferas and in two wells of the eastern sector.

Précipitations et niveaux de l’eau dans les albuferas et dans deux puits du secteur oriental.

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Tableau 4

Coefficients de corrélation (r2) entre le niveau des lagunes, le niveau de la nappe et les précipitations.

Correlation coefficients (r2) between lagoon water levels, groundwater levels and precipitation.

 

Lagune Nueva

Lagune Honda

Puits 509

Puits 537

Lagune Nueva

--

--

--

--

Lagune Honda

0,06

--

--

--

Puits 509*

0,35

0,55

--

--

Puits 537*

0,53

0,34

0,76

--

Précipitations

0,07

0,09

0,00

0,01

* Les puits 509 et 537 sont situés à proximité des lagunes.

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EL AMRANI-PAAZA (1997) a montré qu’entre 1991 et 1992, les lagunes Honda et Nueva présentaient des teneurs moyennes en nitrates de 4,7 et 6,8 mg NO3/L respectivement (Tableau 5). Des mesures plus récentes réalisées de février 1997 à octobre 1998 (CRUZ-PIZARRO, 2001) semblent montrer une tendance à la hausse des concentrations moyennes, avec des valeurs de 16,8 et 18,0 mg NO3/L dans les lagunes Honda et Nueva (Tableau 5). Les concentrations mesurées sont toutefois très variables dans le temps et les périodes de suivi sont séparées par cinq années, ce qui rend impossible la confirmation d’une tendance à long terme. Les concentrations mesurées dans les lagunes sont faibles en regard des critères de potabilité, mais sont élevées vis‑à‑vis de la faune et la flore aquatique. Selon les résultats d’une analyse en composantes principales (DE VICENTE, 2004), la contamination des lagunes par les nitrates proviendrait en partie de la fertilisation ou d’une entrée ponctuelle de nutriments ou de matière organique en lien avec les activités agricoles du secteur. Les concentrations en nitrates élevées mesurées dans les lagunes seraient donc directement reliées à la contamination d’origine agricole de l’eau souterraine. La variabilité temporelle de ces concentrations pourrait être liée à une variation saisonnière des charges en nitrates apportées par l’eau souterraine.

Tableau 5

Concentrations en nitrates mesurées dans les lagunes de 1991 à 1998.

Measured nitrate concentrations in lagoons from 1991 to 1998.

 

Concentration en nitrates (mg NO3/L)

 

Lagune Nueva

Lagune Honda

Janvier 1991

15,3

7,7

Octobre 1991

1,8

2,2

Novembre 1991

7,0

5,0

Mai 1992

3,2

4,1

Moyenne 1991-1992

6,8

4,7

Février 1997

13,8

n.d.

Juin 1997

20,6

22,0

Septembre 1997

10,4

10,5

Novembre 1997

43,6

n.d.

Décembre 1997

21,6

34,4

Avril 1998

16,2

13,4

Juin 1998

18,3

18,3

Septembre 1998

15,7

15,9

Octobre 1998

1,6

3,0

Moyenne 1997-1998

18,0

16,8

n.d. : donnée non disponible.

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En 1991-1992 et en 1997-1998, les concentrations en nitrates dans les lagunes étaient beaucoup plus faibles que celles mesurées dans l’aquifère. La réduction des nitrates par dénitrification dans les lagunes pourrait jouer un rôle important dans cette diminution des concentrations. La variabilité temporelle de la dénitrification pourrait aussi expliquer en partie les variations de concentrations en nitrates mesurées dans l’eau des lagunes. Le rôle épurateur des lagunes dans l’élimination des nitrates est généralement reconnu dans la littérature (GOLTERMAN, 1991; SÁNCHEZ-PÉREZ et al., 2003).

En admettant que les concentrations en nitrates mesurées dans les puits du secteur oriental sont représentatives de la charge en nitrates de l’eau souterraine alimentant les lagunes (91,4 mg NO3/L en 1991-1992 et 217,8 mg NO3/L en 1996), et en considérant les concentrations en nitrates moyennes dans l’eau des lagunes, un taux moyen d’élimination des nitrates par les lagunes a été calculé. Ce taux était de 94 % en 1991-1992 et de 92 % pour la période 1997-1998, en utilisant les concentrations moyennes mesurées dans la nappe en 1996. Des taux de dénitrification similaires ont été observés en période estivale, dans des bandes riveraines forestières en Suisse (MAÎTRE et al., 2003), tandis qu’un taux de 80 % de dénitrification a été rencontré au niveau d’un lac eutrophe d’Estonie (NÕGES et al., 1998). La stabilité du taux d’élimination des nitrates montre que les lagunes continuent de jouer leur rôle épurateur, malgré l’augmentation de la contamination de l’aquifère. En présence de concentrations en nitrates très élevées dans l’eau souterraine, les concentrations résiduelles dans les lagunes sont toutefois de plus en plus élevées, créant ainsi des conditions néfastes pour l’écosystème des albuferas. Par ailleurs, CRUZ-PIZARRO (2001) a montré que la lagune Honda reçoit une charge en phosphore non négligeable par les cours d’eau qui l’alimentent, ajoutant ainsi une composante supplémentaire à son eutrophisation. En 1997, la lagune Honda était déjà considérée hyper-eutrophique alors que la lagune Nueva était à la limite de l’eutrophisme (CRUZ-PIZARRO, 2001). En l’absence de mesures pour réduire la contamination en nitrates de l’eau souterraine, il est possible qu’à moyen terme les écosystèmes fragiles des lagunes disparaissent, victimes de l’eutrophisation.

4. Conclusion

Les résultats de simulation ont mis en évidence l’existence probable d’une dilution dans la nappe des concentrations en NO3 de la recharge. La présence de conditions locales de dénitrification dans le secteur oriental a de nouveau été avancée pour expliquer les concentrations observées dans la nappe de ce secteur. Cette étude a permis de quantifier l’impact de l’utilisation de l’irrigation à partir d’eau souterraine chargée en NO3. Ces résultats confirment que l’augmentation des concentrations dans le secteur oriental est reliée à l’utilisation d’une eau contaminée en nitrates pour l’irrigation des cultures sous serre. Une solution à ce problème consisterait à mesurer régulièrement les concentrations en NO3 dans la nappe afin d’inciter les agriculteurs à tenir compte de cet apport dans leur fertilisation. Une prise en compte du potentiel de minéralisation de la matière organique du sol permettrait aussi de réduire les apports dans tout le secteur. Ces mesures auraient aussi pour effet de réduire les coûts associés à la fertilisation des cultures sous serre. La réduction des apports de fertilisant est une démarche nécessaire pour la mise en place d’une meilleure gestion de l’écosystème des albuferas de Adra. Sachant qu’une baisse des apports de fertilisants ne se traduirait que plusieurs années plus tard au niveau des concentrations en nitrates dans la nappe, un changement rapide dans les pratiques agricoles serait souhaitable pour la survie même des albuferas dont l’écosystème est grandement menacé par l’eutrophisation.

Le modèle AgriFlux s’est avéré pertinent et applicable aux conditions semi-arides rencontrées sur le site d’étude. Il pourrait donc être utilisé dans de telles conditions climatiques pour simuler des tendances moyennes à long terme. Une simulation des flux de nitrates lessivés de la zone racinaire à des échelles spatiale et temporelle plus fines devrait cependant être validée avec des données de terrain plus précises. Par ailleurs, une simulation couplée des écoulements superficiels et souterrains, combinée avec la simulation du transport des nitrates et incluant la dénitrification, permettraient de confirmer les hypothèses de dilution et de réduction par dénitrification mises en avant dans ce travail.