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1. Introduction

L’impact des activités humaines sur les écosystèmes aquatiques d’eau douce a été démontré à maintes reprises, entre autres par des études paléolimnologiques comme celles de PIENITZ et al. (2006) et TREMBLAY et al. (2001). Ces études illustrent que l’occupation humaine d’un bassin versant se traduit souvent par une accélération du phénomène naturel d’eutrophisation des lacs. Dans les zones tempérées, la principale cause de cette eutrophisation accélérée ou eutrophisation culturelle est une augmentation des apports en phosphore (P) (PIENITZ et VINCENT, 2003; SCHINDLER, 1974). De lourdes conséquences découlent de l’eutrophisation, notamment des éclosions massives de cyanobactéries, des déficits d’oxygène dans les couches d’eau profondes et la prolifération des plantes aquatiques (SMOL, 2008). Ces perturbations peuvent entraîner des pertes d’usages (pêche, baignade, nautisme, alimentation en eau, etc.) qui s’avèrent néfastes pour la vitalité de certaines municipalités dont les activités économiques sont axées autour des lacs et des activités de villégiature.

Dans le cas de plusieurs lacs, des stratégies de réduction des apports externes en P ont déjà été entreprises. Cependant, les réductions de la charge externe peuvent tarder à produire des résultats perceptibles en matière d’amélioration de la qualité de l’eau et de récupération des usages. Après des réductions importantes de leur charge externe, la majorité des 35 lacs d’Europe et d’Amérique du Nord analysés par JEPPESEN et al. (2005) ont connu des délais de 10 à 15 ans avant qu’une réduction de la concentration moyenne annuelle de P ne soit observée. D’autre part, les activités humaines génératrices de P dans le bassin versant ne semblent pas toujours suffisantes pour expliquer en totalité les concentrations élevées de P dans certains lacs (PERRONE et al., 2008, SMOLDERS et al., 2006). La charge interne de P peut alors fournir une partie des explications. En effet, la quantité de P libérée par les sédiments figure parfois parmi les principaux apports en P d’un lac et contribue grandement à la détérioration de la qualité de l’eau (NÜRNBERG, 2009). Ainsi, une charge interne de P élevée peut diminuer ou retarder les effets positifs des efforts de réduction des apports externes de P (GOLTERMAN, 2004).

Le rôle des sédiments dans le cycle des nutriments est crucial et leur impact sur le processus d’eutrophisation des lacs peut être considérable (GOLTERMAN, 2004). En effet, comparativement au P en provenance du bassin versant qui est sous forme dissoute et particulaire, le P libéré par les sédiments est sous forme dissoute (phosphates) (NÜRNBERG, 2009). Il est donc totalement assimilable par les organismes vivants comme le phytoplancton. Cet apport de phosphates peut stimuler de façon importante la productivité primaire d’un lac. Le P présent dans les sédiments provient du bassin versant et de l’activité biologique qui se déroule dans le lac. Il s’accumule au fil des ans et est libéré lorsque les conditions le permettent. Ce phénomène de libération de P par les sédiments est aussi appelé relargage. L’anoxie de l’interface eau – sédiments joue un rôle majeur dans le relargage du P dans les lacs stratifiés. Lorsque l’eau qui recouvre les sédiments contient de l’oxygène, les échanges de P sont généralement unidirectionnels de l’eau vers les sédiments (WETZEL, 2001). Cependant, les conditions anoxiques modifient la nature des échanges chimiques et de l’activité biologique à l’interface eau – sédiments. La diminution du potentiel d’oxydoréduction (MORTIMER, 1971) et la décomposition anaérobie de la matière organique (BOSTRÖM et al., 1988) qui découlent de cette anoxie favorisent la remise en circulation du P contenu dans les sédiments. D’autres variables chimiques et biologiques contribuent à la libération du P, notamment les variations de pH et de température, les concentrations de nitrates et de sulfure d’hydrogène, l’activité bactériologique et la bioturbation (DE MONTIGNY et PRAIRIE, 1993; GOLTERMAN, 2004; HUPFER et LEWANDOWSKI, 2008; WETZEL, 2001). Cette combinaison de facteurs fait en sorte que les sédiments ne sont pas uniquement considérés comme un lieu d’accumulation du P, mais comme une partie intégrante d’un système complexe, aux multiples interactions et dans lequel le P peut être recyclé à maintes reprises. Il est donc impératif de tenir compte des sources internes de P dans la gestion des lacs afin d’adapter les programmes de restauration à cette réalité.

Le lac Nairne, situé dans la région de Charlevoix au Québec, est affecté par des épisodes de floraison de cyanobactéries annuellement depuis 2001. En 2009 et 2010, des floraisons ont été observées sur toute la superficie du lac. Certains épisodes surviennent en été, mais ils ont fréquemment lieu à partir de la mi-septembre jusqu’à la mi-novembre. Ces floraisons massives sont un symptôme de l’eutrophisation du lac et elles inquiètent les riverains et les autorités municipales. Le lac Nairne est au coeur de la municipalité de Saint-Aimé-des-Lacs et, en plus de générer des revenus fonciers importants, il permet à la municipalité de tenir un triathlon annuel et d’accueillir plus d’un millier de villégiateurs par année. Dans le but de maintenir ces activités et de préserver un important écosystème lacustre, il est primordial de conserver une bonne qualité d’eau dans le lac.

En 2002, suite à une deuxième observation de floraison de cyanobactéries et à une mortalité massive de poissons, un plan d’action a été mis sur pied par l’Association pour la protection de l’environnement du lac Nairne (APELN) et la municipalité de Saint-Aimé-des-Lacs. Dans les années suivantes, plusieurs actions ont été entreprises comme la caractérisation et la mise à niveau des installations septiques du bassin versant, l’adoption de règlements relatifs à l’abattage des arbres, à l’épandage d’engrais et à la renaturalisation obligatoire des rives ainsi que l’instauration d’une taxe de lutte à l’eutrophisation.

Une étude a démontré qu’une partie importante des apports en P au lac Nairne proviendrait du relargage du P sédimentaire (TREMBLAY, 2005). Quelques indices viennent d’ailleurs appuyer l’hypothèse du relargage de P : des floraisons de cyanobactéries surviennent lors du brassage automnal, l’hypolimnion est anoxique pour une grande partie de l’été et la concentration de P total (PT) dans l’hypolimnion à la fin de la période de stratification est très élevée (NÜRNBERG, 2009).

L’objectif principal de cette étude est de quantifier les apports de P provenant des sédiments du lac Nairne afin de permettre aux autorités municipales de tenir compte des apports internes de P lors de l’élaboration des stratégies de protection et de restauration du lac. De plus, l’étude fournit des données physico-chimiques qui permettront de mieux comprendre la dynamique limnologique de cet écosystème. En connaissant l’ampleur de la charge interne et en comprenant la dynamique interne du lac Nairne, les décideurs seront mieux outillés pour cibler des objectifs réalistes en matière de réduction des apports en P et d’amélioration de la qualité de l’eau.

2. Site d’étude

Le lac Nairne (47°41' N, 70°21' O) est situé au coeur de la municipalité de Saint-Aimé-des-Lacs dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Charlevoix-Est, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent à environ 125 km à l’est de la ville de Québec (Figure 1). La superficie du lac est de 2,43 km2 et celle de son bassin versant est de 28,95 km2. Environ 200 résidences sont situées dans un rayon de 100 m autour du lac dont 70 % sont des résidences saisonnières (MRC DE CHARLEVOIX-EST, 2010). La zone résidentielle occupe environ 5 % du bassin versant. La zone agricole occupe 15 % et la zone forestière, 80 %. Les terres en culture sont surtout consacrées au fourrage. La température moyenne annuelle de la région est de 2,5 °C et les précipitations moyennes annuelles atteignent 1 000 mm (MDDEP, 2010).

Figure 1

Localisation du lac Nairne, de son bassin versant et des stations d’échantillonnage de l’été 2010.

Location of Lake Nairne, its catchment and the three summer 2010 sampling sites.

Localisation du lac Nairne, de son bassin versant et des stations d’échantillonnage de l’été 2010.

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Le bassin versant est principalement composé de roches métamorphiques précambriennes de la province géologique de Grenville, plus spécifiquement, des gneiss charnockitiques (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 1980). Le lac occupe une dépression composée de dépôts fluvio-glaciaires de plaine d’épandage qui forment une bande large de 100 à 700 m autour du lac (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 1990). Les sols du bassin versant sont majoritairement des podzols sableux ou limoneux (CARRIER, 1981). L’altitude du lac Nairne est de 218 m tandis que l’altitude maximale de son bassin versant est de 570 m.

Le lac Nairne compte 16 petits affluents et un effluent (GRENIER et TREMBLAY, 2011). Il est dimictique et mésotrophe. Quelques caractéristiques physico-chimiques sont résumées au tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques limnologiques du lac Nairne (moyenne ± écart type).

Limnological characteristics of Lake Nairne (mean ± standard deviation).

Caractéristiques limnologiques du lac Nairne (moyenne ± écart type).

1TREMBLAY, données non-publiées.

2Une concentration de chlorophylle a de 24 μg·L-1a été mesurée le 22 septembre 2010 lors d’une floraison de cyanobactéries. Cette valeur a été exclue de la moyenne estivale.

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Une donnée ponctuelle de concentration en oxygène dissous du 24 août 1977 figure dans une diagnose écologique (ARVISAIS et al., 2005). La concentration était de 6,9 mg•L-1 à 10 m de profondeur. Cette donnée pourrait indiquer que l’anoxie de l’hypolimnion ne survenait pas encore à cette époque ou bien qu’elle se manifestait plus tardivement car, en 2010, l’hypolimnion était complètement anoxique à cette date.

3. Matériel et méthodes

3.1 Analyses physico-chimiques

Des profils physico-chimiques ont été réalisés toutes les deux semaines à trois stations sur le lac (Figure 1) entre le 2 juin et le 6 octobre 2010. Une sonde multiparamétrique Hydrolab Quanta® a été utilisée pour mesurer la température (précision ± 0,2 °C), la concentration en oxygène dissous (± 0,2 mg•L-1), le pH (± 0,2) et la conductivité (mS•cm-1 ± 1 %) à chaque mètre de la colonne d’eau. La transparence de l’eau a aussi été mesurée à chaque visite à l’aide d’un disque de Secchi de 20 cm de diamètre. Pour obtenir un profil des concentrations de PT à la fosse principale, quatre échantillons d’eau par visite ont été prélevés à différentes profondeurs. Une bouteille de Kemmerer de 2,2 litres a été utilisée pour échantillonner l’eau à 6 m, 8,5 m et 11 m de profondeur. Un échantillon intégré d’eau de surface (0,5 – 3 m) a aussi été prélevé à chaque visite. Les échantillons d’eau ont été transférés dans des bouteilles en plastique de 140 mL. Ces bouteilles contenaient 0,5 mL de H2SO4 8 N pour permettre la conservation de l’échantillon avant l’analyse. La concentration en PT de tous les échantillons d’eau a été mesurée par le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ) à l’aide de la méthode d’analyse 303-P 5.0. La limite de détection de cette méthode est de 2 µg•L-1 (CEAEQ, 2008).

La période d’échantillonnage a été limitée à l’été car, en hiver, la basse température de l’hypolimnion entraîne la réduction de la consommation d’oxygène et de la libération de P par les sédiments (NÜRNBERG, 2009). Même si l’hypolimnion devient anoxique en hiver au lac Nairne, les faibles concentrations de PT (<5 µg•L-1) mesurées dans l’hypolimnion lors de la stratification hivernale et du brassage printanier de 2004 (TREMBLAY, 2005) indiquent que le relargage a surtout lieu en été.

3.2 Bathymétrie

Dans le but d’élaborer une carte permettant de calculer le volume de diverses couches d’eau du lac, un relevé bathymétrique a été effectué à l’aide d’un échosondeur LMS-525C DF de Lowrance Electronics® muni d’un système de localisation GPS. La carte bathymétrique a été réalisée à l’aide du module 3D Analyst du logiciel ArcGIS® qui permet l’extrapolation des profondeurs entre les points de profondeur connue.

3.3 Échantillonnage et analyse des sédiments

Les carottes de sédiments ont été prélevées aux mêmes stations que les profils physico-chimiques (Figure 1). Un carottier à gravité d’Aquatic Research Instruments® a été utilisé pour prélever trois carottes par site le 2 juin 2010 et quatre carottes supplémentaires à la fosse principale le 10 août 2010. Chaque carotte a été sous-échantillonnée sur le terrain, quelques heures après le prélèvement. Les niveaux 0 – 5 cm et 5 – 10 cm ont été extraits et conservés au frais dans des sacs Whirl-Pak®. Pour chaque site, les niveaux de même profondeur ont été mélangés pour obtenir un échantillon composite. Les échantillons ont été conservés au noir et au frais (4 °C) jusqu’à leur expédition au laboratoire Spectrum Analytical au Massachussetts (États-Unis) où les concentrations de PT, de P soluble (s-P) et de P lié au fer (Fe-P) des sédiments ont été mesurées. Les délais maximums de conservation des échantillons ont été respectés : six mois pour le PT (ENVIRONNEMENT CANADA, 2002) et environ 40 jours pour le Fe-P (LUKKARI et al., 2007b). La concentration de PT a été déterminée à l’aide de la méthode standard SW 846-6010B de la United States Environmental Protection Agency. Les concentrations de s-P et de Fe-P ont été mesurées par extraction séquentielle selon une méthode décrite dans LUKKARI et al. (2007a). Tous les résultats ont été reportés en poids sec (mg•g-1). Ces fractions de P ont été sélectionnées pour l’analyse, car elles sont les plus susceptibles de contribuer à la charge interne (NÜRNBERG, 1988). Le s-P est la fraction qui est soluble dans l’eau et qui peut être libérée en présence ou en absence d’oxygène. Le s-P constitue généralement une faible proportion (<1 %) du P des sédiments, car il est très labile (POURRIOT et MEYBECK, 1995). Pour obtenir une mesure précise de cette fraction, il est préférable de maintenir l’anoxie des sédiments jusqu’au moment de l’analyse (LUKKARI et al., 2007b). Ces conditions idéales n’ont pu être rencontrées dans le contexte de cette étude. Le Fe-P est la fraction sensible à la diminution du potentiel redox, donc susceptible d’être libérée suite à l’anoxie de l’eau sus-jacente (CHRISTOPHORIDIS et FYTIANOS, 2006).

Une portion des sédiments a été utilisée pour déterminer la teneur en eau par lyophilisation et la teneur en matière organique par perte-au-feu selon la méthode décrite par HEIRI et al. (2001). Ces deux dernières analyses ont été réalisées au Laboratoire de Paléoécologie Aquatique de l’Université Laval, Québec, Canada.

3.4 Méthodes sélectionnées pour calculer la charge interne

Certaines difficultés et incertitudes subsistent encore dans l’estimation de la charge interne d’un lac (NÜRNBERG, 2009). C’est pourquoi il a été jugé pertinent d’utiliser deux méthodes de quantification différentes pour cette étude. De cette manière, une certaine forme de validation est possible et les résultats comparables conféreront plus de certitude aux estimations.

3.4.1 Méthode 1 (TL • FA)

La première méthode consiste à calculer un taux de libération (TL) de P spécifique aux sédiments du lac Nairne, puis de le multiplier par un facteur anoxique (FA).

Le TL (mg•m-2•jour-1) est calculé à partir d’équations de régression (Tableau 2) (NÜRNBERG, 1988). Celles-ci ont été construites à partir des concentrations de PT ou de Fe-P dans les sédiments de la partie la plus profonde de sept lacs de l’Ontario et du Connecticut.

Tableau 2

Équations de régression utilisées pour calculer le taux de libération de P des sédiments du lac Nairne (Nürnberg, 1988). TL en mg•m-2•jour-1, PT et Fe-P en mg•g poids sec-1, LOI en pourcentage de poids sec de matière organique.

Regression equations used to obtain Lake Nairne’s sediment P release rates (Nürnberg, 1988). TL in mg•m-2•day-1, PT and Fe-P in mg•g dry weight-1, LOI in percentage of organic matter (dry weight).

Équations de régression utilisées pour calculer le taux de libération de P des sédiments du lac Nairne (Nürnberg, 1988). TL en mg•m-2•jour-1, PT et Fe-P en mg•g poids sec-1, LOI en pourcentage de poids sec de matière organique.

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Dans les équations présentées au tableau 2, [PT] et [Fe-P] représentent les concentrations en mg•g poids sec-1 de PT et de Fe-P dans les sédiments de la fosse principale. LOI correspond au pourcentage du poids sec de matière organique dans les sédiments mesuré par perte-au-feu (loss-on-ignition).

Le FA est une mesure de l’anoxie hypolimnétique. Il est défini comme le nombre de jours, par année ou par saison, pour lesquels une surface de sédiments équivalente à la superficie du lac est recouverte par de l’eau anoxique (NÜRNBERG, 1995). Dans cette étude, l’eau est considérée anoxique lorsque sa concentration en oxygène dissous est inférieure à 1 mg•L-1. Le FA permet d’exprimer, sur une base commune pour tous les lacs, l’étendue temporelle et surfacique de l’anoxie hypolimnétique.

Pour des fins de comparaison et de validation, deux méthodes ont été utilisées pour obtenir un FA pour le lac Nairne. La première méthode consiste à calculer le FA à partir des profils d’oxygène de l’été 2010. Pour ce faire, la profondeur de l’oxycline a été déterminée pour chacun des dix profils d’oxygène. L’oxycline est ici définie comme la plus faible profondeur à laquelle la concentration en oxygène dissous de l’eau devient inférieure à 1 mg•L-1. La superficie de sédiments située sous l’oxycline a été calculée à l’aide de la carte bathymétrique. Chaque superficie est multipliée par la durée de son anoxie. Le tout est ensuite divisé par la surface du lac pour obtenir le FA exprimé en jours•été-1 (Équation 4) (NÜRNBERG, 1995),

où ti représente la durée de la période d’anoxie i (jours), ai, la surface de sédiments sous l’oxycline (m2) pendant la période d’anoxie i et Ao, la surface du lac (m2).

L’équation 5 permet d’estimer un FA à l’aide de la concentration estivale moyenne de PT épilimnétique et des caractéristiques morphométriques du lac (NÜRNBERG, 1996).

[PTepi] représente la concentration estivale moyenne de PT dans l’épilimnion (μg•L-1) et equation: 5008609n.jpg correspond à la profondeur moyenne (m) du lac.

Le FA obtenu de l’une ou de l’autre façon est ensuite multiplié par le TL pour obtenir une estimation de la charge interne (Lint) exprimée en mg•m-2•saison-1 selon l’équation suivante (NÜRNBERG, 1987).

3.4.2 Méthode 2 (in situ)

La seconde méthode consiste à mesurer l’augmentation de la masse de P dans le lac au cours de la période d’anoxie hypolimnétique. La différence entre la masse maximale de P répertoriée dans le lac au cours de la période anoxique de l’été 2010 (Masse PT t2) et la masse de P qui prévalait à la date de la première manifestation de l’anoxie (Masse PT t1) a été obtenue à l’aide de l’équation 7 (NÜRNBERG, 2009) :

Dans cette formule, Ao peut être ajusté si des variations de niveau d’eau importantes surviennent entre la date initiale et la date finale. Les masses de PT (mg) sont obtenues en multipliant les concentrations de P par le volume de la strate d’eau correspondante.

Au lac Nairne, l’oxycline et la thermocline sont approximativement à la même profondeur, ce qui fait que la masse maximale de P dans le lac survient avant la descente marquée de la thermocline à la fin de la période anoxique estivale. Cette descente, ou érosion, de la thermocline favorise le transfert du P relargué par les sédiments vers l’épilimnion. Des événements ponctuels, comme des tempêtes, peuvent entraîner la migration de la thermocline pendant la période de stratification estivale. Dans cette situation, il peut survenir un transfert de P de l’hypolimnion vers l’épilimnion. Dans certains cas, ces transferts peuvent être la principale source de P épilimnétique pendant l’été (SORANNO et al., 1997). Afin de tenir compte de ces transferts de P, la masse totale de P est utilisée plutôt que la masse de P hypolimnétique dans le calcul de la charge interne.

En utilisant les variations de concentration sur toute la colonne d’eau, il faut supposer que la charge externe en P demeure stable tout au long de la période anoxique. Ainsi, on présume que toute augmentation de la concentration de P au-dessus de la valeur de départ provient du relargage par les sédiments (NÜRNBERG, 1987). Si elle s’avère fausse, une telle présomption peut entraîner une estimation de charge interne erronée. C’est pourquoi il est préférable de comparer et de valider les résultats en utilisant au moins deux méthodes pour quantifier la charge interne.

4. Résultats et discussion

4.1 Physico-chimie

La figure 2 résume les conditions physico-chimiques à la fosse principale du lac Nairne pour la période de stratification estivale de 2010.

Figure 2

Profils physico-chimiques à la fosse principale du lac Nairne pour l’été 2010. (a) Température (°C); (b) Oxygène dissous (mg•L-1); (c) pH; (d) Conductivité (mS•cm-1).

Physico-chemical profiles for the deepest part of Lake Nairne in summer 2010. (a) Temperature (°C); (b) Dissolved oxygen (mg•L-1); (c) pH; (d) Conductivity (mS•cm-1).

Profils physico-chimiques à la fosse principale du lac Nairne pour l’été 2010. (a) Température (°C); (b) Oxygène dissous (mg•L-1); (c) pH; (d) Conductivité (mS•cm-1).

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Une stratification thermique s’est établie au lac Nairne au cours de l’été 2010 (Figure 2a). Elle était déjà en place lors de la première visite le 2 juin. La zone ombragée représente l’hypolimnion délimité par la thermocline. À partir du mois d’août, la thermocline amorce sa descente qui s’achèvera lors du brassage automnal survenu entre le 22 septembre et le 6 octobre.

Les concentrations d’oxygène dissous sont présentées à la figure 2b. L’eau anoxique est représentée par la zone ombragée. L’anoxie a été observée du 13 juillet jusqu’au brassage automnal. À partir du 10 août, toute l’eau sous la thermocline (située à 7 m de profondeur) était anoxique. La stratification thermique qui a empêché l’hypolimnion de se recharger en oxygène et la longue période d’anoxie qui en a découlé sont des conditions très favorables au relargage de P.

Pour la majeure partie de la période de stratification estivale, le pH se situait autour de 8 dans l’épilimnion et autour de 7 dans l’hypolimnion (Figure 2c). Les variations de pH dans la colonne d’eau indiquent, entre autres, le type d’activité biologique en cours (POURRIOT et MEYBECK, 1995). Lorsqu’il y a respiration (production de CO2) le pH tend à diminuer, car le CO2 rend le milieu plus acide. C’est le cas dans l’hypolimnion du lac Nairne. Au contraire, lorsqu’il y a abondance d’organismes photosynthétiques (consommation de CO2), le pH est plus élevé tel qu’observé dans l’épilimnion du lac Nairne au cours de l’été.

La figure 2d permet d’observer que la conductivité était uniforme sur toute la colonne d’eau jusqu’à la fin du mois d’août. À partir du 24 août, une zone de conductivité légèrement plus élevée a commencé à apparaître en profondeur. Cette augmentation pourrait s’expliquer par la libération, dans l’eau sus-jacente, de certaines substances qui étaient contenues dans les sédiments comme du fer ou du P.

Les concentrations de PT observées dans l’hypolimnion (Figure 3) viennent confirmer que les sédiments du lac Nairne libèrent du P lorsqu’ils sont recouverts d’eau anoxique. En effet, les concentrations de PT mesurées dans les couches les plus profondes montraient une certaine stabilité autour de 30 µg•L-1 entre juin et août. Puis, à partir du 10 août, soit quatre semaines après la manifestation de l’anoxie dans l’hypolimnion, les concentrations de PT ont augmenté significativement à 8,5 m et à 11 m de profondeur pour atteindre 200 µg•L-1 (Figures 3a et 3b). Cette concentration très élevée est environ dix fois supérieure à la concentration de surface au même moment. Avec la descente de la thermocline, la concentration a grandement diminué à 8,5 m de profondeur le 22 septembre puisque cette zone avait été réoxygénée (Figure 3a). Le 6 octobre, après le brassage automnal, les concentrations de PT sont revenues à des valeurs comparables à celles observées au début de l’été. LARSEN et al. (1981) ont fait des observations similaires au lac Shagawa, Minnesota (États-Unis). Suite à l’anoxie de l’hypolimnion, les concentrations de PT ont augmenté drastiquement. Pour les quatre années de mesure, les concentrations de PT ont augmenté par un facteur de cinq entre le début et la fin de la période d’anoxie de l’hypolimnion.

Figure 3

Évolution des concentrations de phosphore total (PT) et d’oxygène dissous à 8,5 m (a) et à 11 m (b) de profondeur à la fosse principale du lac Nairne de juin à octobre 2010.

Total phosphorus (PT) and dissolved oxygen concentrations at the two sampling depths 8.5 m (a) and 11 m (b) in the deepest part of Lake Nairne between June and October 2010.

Évolution des concentrations de phosphore total (PT) et d’oxygène dissous à 8,5 m (a) et à 11 m (b) de profondeur à la fosse principale du lac Nairne de juin à octobre 2010.

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En comparaison, la figure 4 montre que les concentrations de PT à la surface et à 6 m de profondeur étaient beaucoup moins élevées que dans l’hypolimnion. La concentration moyenne de PT dans la zone 0,5 – 3 m pour la période stratifiée (2 juin au 22 septembre) était de 15,1 ± 3,6 µg•L-1. Les concentrations étaient plus élevées au début et à la fin de l’été. Pour cette même période, la concentration moyenne à 6 m de profondeur était de 18,0 ± 3,0 µg•L-1. À partir du début du mois d’août, la concentration de PT à la surface a augmenté constamment pour atteindre un sommet au début septembre (Figure 4). Le début du mois d’août correspond au commencement de la descente de la thermocline (Figure 2a) et à une période pendant laquelle les précipitations étaient assez faibles (ENVIRONNEMENT CANADA, 2011). Lorsqu’il y a peu de précipitations, les apports de P provenant du bassin versant diminuent. Ainsi, l’augmentation de la concentration de PT à la surface entre août et septembre pourrait être reliée à la descente de la thermocline qui aurait entraîné le transfert, vers la surface, du P libéré par les sédiments.

Figure 4

Évolution des concentrations de phosphore total (PT) pour les profondeurs 0,5 - 3 m et 6 m à la fosse principale du lac Nairne de juin à octobre 2010.

Total phosphorus (PT) concentrations at the two sampling depths 0.5 - 3 m and 6 m in the deepest part of Lake Nairne between June and October 2010.

Évolution des concentrations de phosphore total (PT) pour les profondeurs 0,5 - 3 m et 6 m à la fosse principale du lac Nairne de juin à octobre 2010.

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L’évolution de la transparence de l’eau et des concentrations de chlorophylle a, mesurées à trois reprises pendant l’été (TREMBLAY, données non publiées), est présentée à la figure 5. La transparence de l’eau a diminué progressivement en juin et elle a atteint un plateau autour de 3 m entre le 30 juin et le 24 août. Le 8 septembre, soit quelques semaines avant le brassage automnal, la transparence a diminué pour atteindre 1,75 m. Elle est demeurée sous les 2 m jusqu’à la fin de la période d’échantillonnage le 6 octobre. La transparence est inversement corrélée à la concentration en chlorophylle a qui est un indicateur de la biomasse phytoplanctonique (CARLSON, 1977; DILLON et RIGLER, 1975; NÜRNBERG, 1996). Ainsi, la diminution de la transparence à la fin de l’été indique une augmentation importante de la biomasse phytoplanctonique qui est aussi confirmée par la concentration élevée de chlorophylle a. Le 22 septembre et le 6 octobre, le lac en entier était affecté d’importantes floraisons de cyanobactéries. La diminution de la transparence, la concentration élevée en chlorophylle a ainsi que les floraisons de cyanobactéries qui coïncident avec l’érosion de la thermocline et le brassage automnal résultent probablement d’un apport accru en nutriments en provenance des sédiments. Un tel phénomène de fertilisation de l’épilimnion a été observé, entre autres, dans le lac Magog, Québec (NÜRNBERG,1985).

Figure 5

Mesures de la transparence de l’eau et de la concentration de chlorophylle a à la surface pour l’été 2010.

Water transparency and surface chlorophyll a concentration in summer 2010.

Mesures de la transparence de l’eau et de la concentration de chlorophylle a à la surface pour l’été 2010.

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4.2 Composition des sédiments

Toutes les carottes de sédiments récoltées étaient composées de boue (gyttja) noire et avaient une apparence uniforme. Le tableau 3 présente les concentrations des différentes fractions de P dans les sédiments ainsi que leur teneur en eau et en matière organique. Les sédiments de la fosse principale sont plus riches en P que ceux de la fosse secondaire, étant donné que c’est le lieu principal d’accumulation. Toutefois, les sédiments du site nommé haut-fond présentaient des concentrations de P plus élevées qu’à la fosse principale. Comme l’anoxie ne s’est pas manifestée à cet endroit, ces sédiments ne libèrent probablement pas de quantités importantes de P. Cependant, il est pertinent de s’interroger sur ces fortes concentrations qui pourraient être dues, entre autres, à des apports en P par les tributaires de ce secteur.

Tableau 3

Composition des sédiments aux trois stations d'échantillonnage du lac Nairne à l’été 2010.

Sediment composition for the three sampling sites in Lake Nairne, summer 2010.

Composition des sédiments aux trois stations d'échantillonnage du lac Nairne à l’été 2010.

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Les concentrations étaient généralement plus grandes en surface (0 – 5 cm) que dans la strate plus profonde (5 – 10 cm). Les concentrations de PT des cinq premiers centimètres de sédiments de la fosse principale et du haut-fond étaient assez élevées (2,17 mg•g-1 et 3,00 mg•g-1 de poids sec, respectivement). Au-dessus de 2 mg•g-1, le gouvernement ontarien considère que les sédiments sont pollués et qu’ils peuvent avoir des effets néfastes sévères sur certains organismes benthiques (MINISTRY OF THE ENVIRONMENT, 1993). Le Québec n’a pas de normes à l’égard des concentrations de P dans les sédiments.

La concentration de PT des sédiments de surface de la fosse principale (2,17 mg•g-1) est similaire à la concentration moyenne des sept lacs étudiés par NÜRNBERG (1988) pour élaborer les équations de régression destinées à estimer la charge interne. Ces lacs avaient une concentration moyenne de PT sédimentaire de 1,97 mg•g-1. La concentration des sédiments de la fosse du lac Nairne se rapproche aussi de la moyenne des concentrations de PT dans les sédiments de 66 lacs du nord-est de l’Amérique du Nord qui était de 2,58 mg•g-1 (minimum 1,33 mg•g-1, maximum 5,78 mg•g-1) (OSTROFSKY, 1987).

La concentration de Fe-P la plus élevée (0,63 mg•g-1) se retrouve dans la couche superficielle (0 – 5 cm) des sédiments de la fosse principale (Tableau 3). Cette fraction représente 29 % du PT. En comparaison, NÜRNBERG (1988) avait obtenu une moyenne de 0,30 mg•g-1 et des proportions qui ne dépassaient pas 20 %. Ce Fe-P est sensible aux changements de potentiel d’oxydoréduction. Il est donc le plus susceptible d’intervenir dans la libération de P par les sédiments lors des périodes anoxiques et représente sans doute la majeure partie de la charge interne.

Le s-P est demeuré sous la limite de détection pour toutes les analyses (Tableau 3). Aucune mesure n’a été prise pour éviter le contact avec l’oxygène lors du prélèvement et du sous-échantillonnage. Le s-P, s’il était présent, a probablement été transféré à la fraction Fe-P suite au contact avec l’oxygène (LUKKARI et al., 2007b).

4.3 Calcul de la charge interne

4.3.1 Méthode 1 (TL•FA)

Seuls les sédiments de la fosse principale du lac Nairne ont été utilisés dans cette étude pour estimer la charge interne puisque le modèle a été développé en ce sens. De plus, ceux-ci sont les plus représentatifs des conditions générales prévalant dans le lac.

Les TL (Tableau 4) ont été obtenus à l’aide des équations présentées au tableau 2. Ils ont été multipliés par le FA pour obtenir les charges internes. Le FA calculé à l’aide de l’équation 4 est de 21,3 jours•été-1, alors que celui estimé avec l’équation 5 est de 25,1 jours•été-1. Le FA de 21,3 sera utilisé puisqu’il représente les conditions mesurées sur le terrain. Il signifie qu’une surface de sédiments équivalente à la superficie du lac a été anoxique pendant 21,3 jours de l’été. La teneur des sédiments en matière organique a été soustraite dans l’estimation calculée avec l’équation 3.

Tableau 4

Taux de libération du P, charge interne et masse de P libérée par les sédiments du lac Nairne selon les deux méthodes employées dans cette étude.

Phosphorus release rates, internal load estimates and P mass released from Lake Nairne’s sediments according to the two methods used in this study.

Taux de libération du P, charge interne et masse de P libérée par les sédiments du lac Nairne selon les deux méthodes employées dans cette étude.

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Les résultats obtenus avec la méthode 1 indiquent que le TL des sédiments de la fosse du lac Nairne varie entre 4 et 8 mg•m-2•jour-1. Des TL compris entre 2 et 7 mg•m-2•jour-1 correspondent à des lacs mésotrophes comme le lac Nairne (NÜRNBERG et LAZERTE, 2004). La charge interne de P estimée par cette méthode se situe entre 85 et 170 mg•m-2•été-1. Plus concrètement, la masse de P ajoutée au lac Nairne pendant la période de stratification estivale se situe entre 207 et 414 kg (Tableau 4).

4.3.2 Méthode 2 (in situ)

L’estimation obtenue avec la méthode 2 (basée sur les concentrations de P mesurées dans la colonne d’eau) est inférieure à celle obtenue avec la méthode 1 (basée sur les taux de libération de P spécifiques aux sédiments). Avec la méthode 2, la charge interne de P est évaluée à 83 mg•m-2•été-1, ce qui équivaut à un TL d’environ 4 mg•m-2•jour-1 et à une masse de P ajoutée au lac d’environ 201 kg•été-1 (Tableau 4).

4.3.3 Comparaison des résultats

La méthode 1 permet de calculer une charge brute de P, c’est-à-dire le flux unidirectionnel du P des sédiments vers la colonne d’eau. Par ailleurs, en utilisant la méthode 2, on mesure la charge partielle, car une partie du P libéré par les sédiments est inévitablement redéposée ou évacuée par l’émissaire avant d’être détectée et, par le fait même, est exclue du bilan. Par exemple, lorsque du P libéré par les sédiments est transféré vers l’épilimnion suite aux fluctuations de la thermocline, une petite partie sera évacuée par l’émissaire et une autre resédimentera. Les portions évacuées ou sédimentées ne peuvent pas être détectées entièrement par la méthode 2 puisque le P n’est plus dans la colonne d’eau. Elles auront cependant été prises en compte dans la méthode 1, puisque c’est la totalité du flux de P des sédiments vers l’eau qui est calculé. Pour ces raisons, il est attendu que les estimations obtenues avec la méthode 2 soient inférieures à celles obtenues avec la méthode 1.

Des quatre estimations de charge interne obtenues, trois sont dans le même ordre de grandeur (entre 83 et 91 mg•m-2•été-1) (Tableau 4). L’estimation de 170 mg•m-2•été-1, qui correspond à 414 kg de P, obtenue à partir de la concentration de Fe-P dans les sédiments, est largement supérieure aux trois autres. Cette valeur est probablement surestimée, car elle ne concorde pas avec les variations de la masse totale de P mesurée dans le lac à l’été 2010. En effet, au début de la période d’anoxie (13 juillet), la masse totale de P calculée dans le lac était de 190 kg. La masse maximale de 390 kg a été atteinte le 8 septembre. Il y a donc eu une augmentation globale de 200 kg entre ces deux dates. Partant de ce constat, il aurait fallu que 214 kg de P aient été évacués par l’émissaire ou sédimentés pour appuyer une masse de P relarguée de 414 kg. Il est peu probable qu’une quantité de P aussi élevée ait été évacuée, puisqu’en raison des faibles précipitations, le débit de l’émissaire est demeuré nul entre le 10 août et le 22 septembre pendant que s’effectuait la majorité du relargage. Une certaine portion de ce P a assurément été sédimentée, mais l’ampleur de cette sédimentation est difficile à évaluer. Toutefois, la sédimentation de plus de 50 % de la masse relarguée pendant la période de stratification semble improbable.

Selon les données disponibles jusqu’à présent et les conditions observées dans le lac, il semble peu probable que la charge interne du lac Nairne soit aussi élevée que 170 mg•m-2•été-1. Cependant, comme il est difficile de savoir quelle proportion de cette charge a été sédimentée ou évacuée, il ne faut pas exclure la possibilité que la charge interne soit aussi élevée. Les travaux réalisés au cours de l’été ont donc démontré que le lac Nairne était définitivement enrichi par une charge interne de P d’au moins 83 mg•m-2•été-1, mais qui pourrait s’élever jusqu’à 170 mg•m-2•été-1. Des études subséquentes pourront permettre de préciser ces estimations et d’évaluer la variabilité annuelle de la charge interne.

Pour des fins d’illustration, une charge interne située entre 83 et 91 mg•m-2•été-1 sera considérée pour la suite des analyses.

4.4 Impact de la charge interne

La biodisponibilité de la charge interne est déterminante et fait en sorte que les impacts sur la qualité de l’eau peuvent être sévères. Le P libéré par les sédiments sous forme de phosphates constitue un apport de nutriments disponibles instantanément pour le phytoplancton lorsqu’il se retrouve dans l’épilimnion. Ainsi, la fertilisation de l’épilimnion par la charge interne de P a joué un rôle majeur dans la diminution de la transparence de l’eau, dans l’augmentation de la chlorophylle a en septembre et octobre (Figure 5) et dans les floraisons de cyanobactéries automnales de 2010 au lac Nairne. Pendant l’été, une descente temporaire de la thermocline suite à une tempête peut entraîner le transfert assez rapide d’une quantité importante de la charge interne de P dans l’épilimnion (SORANNO et al., 1997), ce qui favorise les floraisons estivales de cyanobactéries. Toutefois, de juin à la fin août, les mois au cours desquels la majorité des villégiateurs fréquentent le lac Nairne, les impacts de la charge interne se font moins ressentir puisque, généralement, les floraisons de cyanobactéries ne surviennent que sporadiquement et elles sont d’une envergure moindre que les floraisons automnales. Les perturbations météorologiques qui causent la migration de la thermocline peuvent varier grandement d’une année à l’autre, ce qui influence la quantité de P entraînée de l’hypolimnion vers l’épilimnion pendant l’été. Les conditions météorologiques peuvent donc expliquer en partie la variabilité interannuelle de la dynamique du P dans l’épilimnion des lacs stratifiés (SORANNO et al., 1997).

L’impact de la charge interne sur la concentration maximale annuelle de P peut être calculé avec l’équation suivante dans laquelle [PT] représente l’augmentation de la concentration de PT (µg•L-1) et qs, la charge en eau par unité de surface (m•année-1) (NÜRNBERG, 2009) :

En appliquant cette formule, une charge interne de 83 à 91 mg•m-2•été-1 peut causer une augmentation de la concentration de PT d’environ 15 µg•L-1 à la surface à la fin de la période de stratification estivale et lors du brassage automnal. Par exemple, pour l’été 2010, la concentration moyenne de PT à la surface était de 15 µg•L-1. La charge interne de P peut donc doubler temporairement la concentration de PT, ce qui démontre l’impact majeur de la charge interne sur la qualité de l’eau du lac.

4.5 Implications pour la gestion des apports en P

En suivant le raisonnement utilisé pour le calcul de la charge interne, deux modes d’intervention pourraient mener à sa diminution : diminuer la durée et l’étendue de l’anoxie et/ou diminuer la concentration de P dans les sédiments. Les chances de succès sont plus grandes en misant sur la réduction de la concentration de P dans les sédiments (NÜRNBERG, 1991), car il est difficile de diminuer les périodes d’anoxie étant donné que la demande en oxygène des sédiments demeure grande, surtout au lac Nairne qui a un petit volume hypolimnétique pour une grande surface de sédiments.

La quantité de P qui s’accumule dans les sédiments est avant tout régie par les apports externes. Donc, la principale façon de réduire la concentration de P des sédiments passe par une réduction des apports en provenance du bassin versant. Il est possible d’estimer la charge externe à atteindre pour que les sédiments passent en mode auto-épuration (NÜRNBERG, 1991), c’est-à-dire le moment où la concentration de P dans les sédiments commence à diminuer, car le flux de P des sédiments vers la colonne d’eau devient supérieur au flux inverse (sédimentation de la charge externe, recyclage du P, resédimentation d’une partie de la charge interne, etc.). Selon le TL utilisé (4 ou 4,29 mg•m-2•jour-1), la valeur seuil de charge externe (ou charge externe admissible) se situe entre 136 et 165 mg•m-2•année-1 pour le lac Nairne.

La charge externe en P du lac Nairne a été estimée à 174 mg•m-2•année-1 en 2010 (LABRECQUE, en préparation). Cette valeur est légèrement au-dessus de la charge externe à atteindre pour que la concentration de P dans les sédiments commence à diminuer. Les sédiments du lac Nairne seraient donc à la limite entre l’accumulation de P et l’auto-épuration.

Il s’avère toutefois impossible d’estimer la durée de l’auto-épuration des sédiments avec les données disponibles jusqu’à présent. Plusieurs décennies peuvent s’écouler avant que la charge interne ne devienne négligeable. La réduction des apports externes demeure une solution adéquate pour améliorer la qualité de l’eau du lac Nairne, car il ne fait aucun doute qu’une telle réduction sera bénéfique pour le lac, et ce, tout au long de l’année. Si des interventions sur les sédiments sont préconisées par les acteurs locaux, elles devront être précédées d’études complémentaires visant à déterminer si le P libéré par les sédiments est de source ancienne ou récente. Il faudra donc déterminer si la charge interne est majoritairement composée de P qui s’est accumulé dans les sédiments depuis plusieurs années et dont la libération relève davantage de facteurs chimiques ou bien, de P accumulé à la surface des sédiments au cours d’une seule saison qui est aussitôt remis en circulation par l’activité biologique. Cette distinction aura des répercussions majeures sur l’approche à adopter pour réduire la charge interne de P du lac Nairne.

5. Conclusion

Le P qui s’accumule dans les sédiments d’un lac provient des apports du bassin versant et de l’activité biologique qui a lieu dans le lac. Ces deux sources sont étroitement liées, car l’activité biologique est en grande partie régie par les apports de nutriments en provenance du bassin versant. Ordinairement, le P demeure emprisonné dans les sédiments. Toutefois, lorsque certaines conditions se présentent, il peut être remis en circulation. Cette étude a démontré qu’une telle remise en circulation survient principalement pendant les périodes d’anoxie au lac Nairne.

La campagne de terrain effectuée au cours de l’été 2010 a permis de déterminer que la charge interne de P du lac Nairne se situe entre 83 et 91 mg•m-2•été-1 et qu’elle pourrait atteindre 170 mg•m-2•été-1. Cette charge contribue fortement à la détérioration de la qualité de l’eau du lac en septembre et en octobre. À cette période, les impacts de la charge interne se traduisent par une diminution de la transparence de l’eau, une augmentation de la biomasse algale et d'importantes floraisons de cyanobactéries. Une réduction de la charge externe permettrait, à long terme, de réduire la charge interne puisque les pertes en P par les sédiments via le phénomène de relargage surpasseront éventuellement l’accumulation. Des suivis de l’évolution de la charge externe et de la concentration en P dans les sédiments permettraient de mesurer le niveau de succès des interventions effectuées dans le bassin versant et de planifier les étapes subséquentes qui mèneront à la restauration du lac Nairne.