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1. Introduction

Au Québec, on estime que les glaces de rivières causent au moins le tiers des inondations (TURCOTTE, 2016). Les dommages associés à ces évènements hivernaux sont généralement importants, car ils génèrent une montée des eaux majeure et subite (BELTAOS, 2014). Les embâcles de glace affectent la société, les infrastructures publiques, le transport hivernal, les industries et les populations riveraines, mais aussi les écosystèmes (BELTAOS et BURRELL, 2015; MORSE et HICKS, 2005; RICHARD et al., 2015). De plus, ce sont des évènements formatifs ayant la capacité de façonner le paysage fluvial de manière permanente. Plusieurs études font la recension des empreintes géomorphologiques de ces processus telles que l’apparition de berges glacielles formées par l’action érosive des glaces (BELTAOS, 1995; BIRD, 1967; BOUCHER et al., 2009; ETTEMA, 2002; HAMELIN, 1969; MICHEL, 1972; MORIN et al., 2015; PROWSE et CULP, 2003; SMITH, 1979; TURCOTTE et al., 2011; UUNILA, 1997), l’incision verticale du lit (ALLARD et al., 2011; BEST et al., 2005; ETTEMA et KEMPEMA, 2012; SUI et al., 2000), la modification de la forme en plan de la rivière (HICKS, 1993; SMITH et PEARCE, 2002; ZABILANSKY et al., 2002), la création de formes glacielles sur la plaine inondable (DIONNE, 1992; HAMELIN, 1969; MACKAY et MACKAY, 1977; PROWSE et CULP, 2003) et la transformation de la végétation riveraine (BOUCHER et al., 2009; LIND et al., 2014; PROWSE et CULP, 2003; SMITH et PEARCE, 2002; TARDIF et BERGERON, 1997; TAYLOR et al., 2008; UUNILA, 1997). Pour cette raison, certains modèles hydrogéomorphologiques adaptés à la caractérisation des hydrosystèmes des milieux froids remettent les processus glaciels au centre de la dynamique fluviale (ALLARD et al., 2011; TURCOTTE et MORSE, 2013).

En dépit de l’importance des phénomènes glaciels tant au niveau de l’inondabilité que de l’érodabilité du paysage, les pratiques actuelles d’aménagement des cours d’eau au Québec ne favorisent pas leur intégration explicite. Par exemple, la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, qui encadre la construction d’infrastructures en milieu inondable, ou encore le Programme de détermination des cotes de crue (PDCC), qui vise à délimiter les cotes altitudinales associées aux périodes de retour de 20 et 100 ans, ne prennent pas en compte les inondations en présence de glace (BOUTET et al., 2004). Ces méthodes, basées uniquement sur l’analyse fréquentielle couplée à une modélisation hydrodynamique simplifiée, ne considèrent pas le caractère évolutif de la rivière, largement attribuable, en milieux froids, à l’activité glacielle.

Dans un milieu habité comme le bassin versant de la rivière L’Acadie où l’information à propos des évènements d’embâcles demeure fragmentaire et confinée aux journaux locaux, l’approche hydrogéomorphologique apparait adéquate pour caractériser et interpréter la présence d’embâcles de glace. Cette approche met en lumière les relations entre les processus fluviaux et les formes du milieu fluvial suivant une pluralité d’échelles allant des sections transversales du chenal au bassin versant (BIRON et al., 2013; DEMERS et al., 2014). Elle se différencie des approches traditionnelles en hydrologie puisqu’elle intègre différents paramètres du bassin versant de manière à étudier l’interaction de la rivière avec le milieu dans lequel elle évolue (BIRON et al., 2013). Cette approche, lorsqu’adaptée aux environnements froids, distingue entre autres les formes d’érosion ou de sédimentation glacielle et permet de localiser et de caractériser le régime d’embâcles (fréquence, intensité). L’intégration de cette dimension aux politiques d’aménagement permettrait de mieux établir l’espace de liberté réel de la rivière, soit le corridor fluvial comprenant les espaces d’inondabilité et de mobilité du cours d’eau (BIRON et al., 2013). Une utilisation plus généralisée de celle-ci contribuerait à diminuer le risque d’inondation et d’érosion associé aux phénomènes glaciels dans les milieux froids et habités en adaptant les pratiques d’aménagement de manière conséquente.

Ce travail a donc pour objectif de décrire et de spatialiser le régime d’embâcles par l’étude des formes fluviales et de la végétation riveraine de la rivière L’Acadie. Pour ce faire, nous (1) caractérisons la morphologie des berges et du chenal pour faire ressortir celles qui portent les traces du transport des glaces et de la formation d’embâcles et (2) recensons l’impact des glaces sur la végétation arborescente dans des secteurs ciblés dans le but de déterminer les variations spatiales dans la fréquence des évènements d’embâcles au cours des dernières décennies.

1.1 Site à l’étude

La rivière L’Acadie, située en Montérégie, connait régulièrement des épisodes d’inondations hivernales causés par la formation d’embâcles de glace. Ces épisodes peuvent s’étendre sur des centaines de mètres, et ce, malgré des interventions préventives visant l’affaiblissement du couvert de glace en aval de la rivière (DUCHAINE, 2016). La rivière L’Acadie se jette dans la rivière Richelieu à la hauteur de la municipalité de Carignan après un parcours de 84 km débutant près de la frontière américaine dans la municipalité de canton d’Hemmingford. Le bassin versant de la rivière L’Acadie a une superficie de 555 km2.

Dans le cadre de l’étude, la rivière a été divisée en cinq secteurs relativement homogènes (forme en plan, largeur, pente, etc.) (Figure 1). Les indicateurs retenus pour la caractérisation sont les aires drainées, l’occupation du territoire, la nature des dépôts, ainsi que l’orographie (Tableau 1). Les différentes couches provenant d’organismes gouvernementaux québécois, canadiens et américains ont été traitées à l’aide d’outils d’analyse spatiale sur ArcGis afin d’obtenir des données pour tout le bassin versant. Voici un portrait des secteurs :

  • Le secteur 1, en amont du bassin versant, est d’une longueur de 10,8 km et est situé dans une zone de forêts et de tourbières. Il présente une majorité de sols imperméables, puisque les dépôts morainiques et résiduels représentent 74 % des sols. On y trouve la plus grande concentration de marécages (12,35 %). Les matériaux fluviatiles et alluvionnaires en sont absents. C’est également dans ce secteur que l’on retrouve le plus de milieux non aménagés (74,29 %).

  • Le secteur 2 fait 18,5 km et est fortement agricole (58,74 %). Des dépôts fluviatiles font leur apparition dans ce secteur où l’on constate la plus grande part de sols organiques non différenciés. Les terres cultivées y sont plus présentes que les milieux naturels (36,75 %). Le chenal a été mécaniquement modifié pour les activités agricoles.

  • Le secteur 3 traverse de petites zones urbaines et s’étend sur 18,4 km. Les dépôts d’origine marine y excèdent 10 % et l’on y trouve la plus forte densité de terres cultivées.

  • Dans le secteur 4, faisant 30,9 km, on note une importante présence de zones urbanisées (10,76 %) ainsi qu’une hausse des matériaux fluviatiles. L’occupation du sol dans ce secteur demeure semblable au précédent, à l’exception des secteurs résidentiels qui sont plus abondants.

  • Le secteur 5 d’une longueur de 5,5 km est situé à la confluence avec la rivière Richelieu. Il s’agit du secteur le plus résidentiel de la rivière L’Acadie (11,05 %). Ce secteur se distingue par une concentration des sols aménagés plus importante que dans le reste du bassin versant (77,72 %). Ce dernier compte la plus grande proportion de routes et de lieux habités, c’est-à-dire plus de 15 % du territoire.

Figure 1

Localisation de la rivière L’Acadie et division par secteurs homogènes

L’Acadie River localization and division by homogeneous sectors

Localisation de la rivière L’Acadie et division par secteurs homogènes

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Tableau 1

Caractérisation du bassin versant par secteurs cumulés

Watershed characterization by cumulated sectors

Caractérisation du bassin versant par secteurs cumulés

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2. Matériel et méthodes

2.1 Étude hydrogéomorphologique des berges et du chenal

En premier lieu, une caractérisation de la morphométrie du chenal de la rivière L’Acadie a été effectuée à l’aide de plusieurs indices. D’abord, les largeurs du chenal et de la plaine alluviale ont été mesurées sur des images orthorectifiées avec une résolution de 30 cm. Les mesures ont été réalisées sur des tronçons de 500 m à partir d’un système d’information géographique. Ensuite, des mesures d’encaissement représentant la largeur de la plaine alluviale divisée par la largeur du chenal ont été calculées. L’indice de sinuosité du chenal, correspondant à la longueur du talweg d’un tronçon donné divisée par la distance entre les deux extrémités du tronçon, a également été extrait. Finalement, l’altitude et la pente du chenal provenant d’un relevé lidar ont permis la création d’un profil en long.

La caractérisation des berges sur le terrain a été effectuée à partir de variables géomorphologiques et écologiques (Tableau 2). Dans le secteur 1, des tronçons totalisant 3,2 km ont été étudiés, alors que les autres sont respectivement de 13,5 km (2), 10,3 km (3), 20,2 km (4) et 5,3 km (5). Puisque l’analyse des formes et d’écosystèmes est généralisée à l’ensemble d’un secteur, un relevé exhaustif des caractéristiques d’une seule berge représentative (la gauche) a eu lieu. Ainsi, les berges ont été divisées visuellement en trois sections : pied, talus et sommet. Chaque changement géomorphologique ou écologique d’une section de la berge est documenté à l’aide d’un point GPS, d’une photo et d’une description sur la feuille de collecte.

Tableau 2

Indicateurs utilisés pour la caractérisation géomorphologique et écologique des berges

Indicators used for the geomorphological and ecological characterization of the banks

Indicateurs utilisés pour la caractérisation géomorphologique et écologique des berges

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Cette caractérisation a permis l’identification de grands morphotypes à partir d’indicateurs qualitatifs simples soit la présence d’accumulations sédimentaires ou d’érosion, la pente de la berge, la présence de racines exhumées et la présence de cicatrices glacielles sur la végétation. Les données ont été intégrées dans une matrice de dissimilarité, en calculant la distance euclidienne entre deux éléments avec la fonction dist de la librairie cluster du logiciel R (R CORE TEAM, 2016). Le classement en grappes a été réalisé avec la méthode complete de la fonction hclust (R CORE TEAM, 2016). Un dendrogramme regroupant des berges possédant des attributs géomorphologiques et écologiques similaires a été créé. L’analyse des caractéristiques modales de chacun des groupes a mené à la caractérisation de différents morphotypes de berges. Ces morphotypes de berges ont été cartographiés afin de mesurer leur longueur par secteur. La présence de cicatrices glacielles sur la végétation riveraine (moins de 50 % d’arbres ou plus de 50 % d’arbres avec cicatrices) a été ajoutée à la cartographie afin de mieux cerner son lien avec les morphotypes de berges.

La rugosité des cinq secteurs n’a pas été mesurée explicitement dans cette étude, mais nous présumons que son rôle sur la dynamique des embâcles, sans être nul, est relativement comparable entre les secteurs. Cette homogénéité dans la rugosité du chenal vient du fait que la rivière ne traverse pas d’obstacles structuraux majeurs et s’écoule dans des dépôts quaternaires passablement fins et homogènes dans l’ensemble du bassin versant. La présence de blocs et d’entraves obstruant l’écoulement dans le chenal est aussi minimale. Enfin, bien qu’il existe parfois des arbres « en travers » du chenal, et ce de l’amont vers l’aval, les accumulations de bois étaient inexistantes dans les sections étudiées.

2.2 Estimation de la fréquence des évènements glaciels

L’étude des cicatrices sur les arbres riverains est une méthode reconnue afin d’établir la fréquence des évènements glaciels (BOUCHER et al., 2009; MORIN et al., 2015). Lorsque la glace entre en contact avec la végétation riveraine durant une crue ou un embâcle, l’écorce et le cambium des arbres sont endommagés, produisant au fil du temps une cicatrice visible et facilement identifiable. Dans la présente étude, ces marques sur les troncs d’arbres permettent de décrire deux variables importantes du régime glaciel soit la hauteur et la fréquence des évènements glaciels.

La hauteur des crues glacielles et des embâcles peut être révélée par l’étude de la hauteur des cicatrices présentes sur les arbres riverains (SMITH et REYNOLDS, 1983; UUNILA, 1997). Bien que certaines imprécisions puissent apparaitre lorsque de tels indicateurs sont utilisés, ils permettent néanmoins d’estimer le niveau maximum approximatif atteint par les glaces (BALLESTEROS-CANOVAS et al., 2015; TARDIF et BERGERON, 1997). Sur la rivière L’Acadie, l’analyse des hauteurs a été effectuée en octobre 2016 sur 24 arbres (trois par site d’échantillonnage) répartis en huit sites d’échantillonnage des secteurs 3, 4 et 5 (là où des cicatrices ont été observées). Au total, les hauteurs maximales et minimales des cicatrices à chacun des sites ont été mesurées à l’aide d’une perche graduée à partir du sommet du talus. Ces mesures ont ensuite été rapportées en hauteur absolue à l’aide des altitudes extraites des relevés lidar. La hauteur moyenne absolue par arbres et par sites a été calculée afin de les comparer avec les cotes de crue du PDCC (BOUTET et al., 2004). Les valeurs de hauteur absolue des cicatrices glacielles ont été classées par sites échantillonnés plutôt que par secteurs parce que les données du PDCC ne sont disponibles que dans le secteur 4 en aval de l’autoroute 10 et dans le secteur 5.

La fréquence des évènements glaciels a été établie en dénombrant les cicatrices visibles de l’extérieur à même les troncs d’arbres. Puisqu’il était contrindiqué de tronçonner les arbres dans ce secteur habité afin de déterminer l’âge des tiges, un échantillon a été prélevé à l’aide d’une sonde de Pressler, en s’assurant de remonter au coeur de l’arbre. L’âge a été déterminé en comptant les cernes depuis l’écorce jusqu’au coeur. La fréquence des évènements glaciels a été calculée pour chaque arbre en divisant le nombre de cicatrices visibles sur chacun par son âge.

Il est important de mentionner qu’aucune datation dendrochronologique n’a été effectuée afin de connaitre précisément l’année exacte des évènements glaciels. L’objectif de ce travail n’est pas de reconstituer une occurrence, mais plus simplement d’obtenir une estimation de la variabilité spatiale de la fréquence et de la hauteur des évènements glaciels au cours des dernières décennies. L’échantillonnage des cicatrices glacielles sur les arbres représente donc une estimation conservatrice. D’abord, seules les marques visibles sont dénombrées, alors que certaines cicatrices qui se sont peut-être refermées n’ont pas été prises en compte dans notre analyse. Cependant, BOUCHER et al. (2009) rappelle que ce genre de cicatrice est généralement en faible proportion dans les registres de cicatrices, en particulier lorsque les évènements glaciels sont fréquents et que les arbres sont jeunes. D’autres phénomènes peuvent aussi censurer le dénombrement des cicatrices : le ploiement des tiges sous l’impact de la glace, la saturation de l’espace cicatrisable sur les tiges, ou encore le fait que des évènements glaciels de faible intensité ne parviennent pas à cicatriser les tiges (ou inversement, que seuls les évènements extrêmes puissent cicatriser les arbres). Ces éléments affectent équitablement la végétation riveraine sur toute la longueur de la rivière et, puisque notre analyse porte sur une comparaison entre les différents secteurs homogènes, ces derniers ne réduisent donc pas l’efficacité de la méthode.

Finalement, dans une perspective de validation des estimations de fréquence d’évènements, une recherche documentaire a été effectuée. Les références aux inondations hivernales ont été recensées dans les quotidiens nationaux, les archives des bibliothèques universitaires du Québec, dans l’historique des embâcles répertoriés par le Ministère de la Sécurité publique du Québec (MSPQ) et dans la base de données Eureka. Chaque évènement identifié a été classé dans un tableau afin de les séparer par secteurs et de calculer la fréquence des évènements par année (ev. /an), pour chaque secteur.

3. Résultats

3.1 Morphométrie du chenal

Les différentes caractéristiques morphométriques de la rivière L’Acadie évoluent le long du chenal (Figure 2). Le profil longitudinal de la rivière (Figure 2a) présente une pente relativement peu prononcée de 0,08 %. Le secteur 1 a la pente la plus prononcée avec 0,19 %. Les secteurs 2, 3 et 4 ne dépassent pas 0,1 % d’inclinaison avec respectivement 0,05 %, 0,09 % et 0,08 %. Deux ruptures sont toutefois visibles dans le secteur 2, soit à la transition avec le secteur 3 et à 22 km de l’exutoire. Le secteur 5 a une pente quasi nulle avec 0,002 %. La largeur du chenal au niveau plein bord (Figure 2b) augmente de manière quasi linéaire vers l’aval dans les quatre premiers secteurs, à l’exception d’un pic autour de la rupture de pente au milieu du secteur 2. Elle connait ensuite une hausse importante dans le secteur 5. Le ratio d’encaissement (Figure 2c) stable montre que la rivière n’est dans l’ensemble pas très encaissée, sauf dans la portion amont du secteur 1. L’indice de sinuosité (Figure 2d) oscille pour sa part autour de 1 pour les secteurs 1, 2, 3 et 5 et témoigne de leur caractère rectiligne. Dans le secteur 4, l’indice dépasse souvent 1,5. Cette valeur est typique d’un chenal à méandres.

Figure 2

Caractérisation du chenal selon divers indicateurs morphométriques. Les lignes pointillées délimitent les différents secteurs homogènes à l’étude

Channel characterization according to several morphometric indicators. Dotted lines represent homogenous sectors

Caractérisation du chenal selon divers indicateurs morphométriques. Les lignes pointillées délimitent les différents secteurs homogènes à l’étude

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3.2 Classification des berges

Le classement par grappes a mis en évidence quatre morphotypes de berges contenant respectivement 51, 50, 10 et 109 observations. Les berges du morphotype A présentent une pente entre 30 et 60 %, une exhumation notable des racines au talus et une érosion importante du talus (Figure 3). Les berges B regroupent les berges avec une pente supérieure à 60 %, une exhumation des racines au talus, une érosion du talus ou de l’entièreté de la berge ainsi que la présence de cicatrices sur plus de la moitié des arbres riverains. Le morphotype C contient les berges avec une pente supérieure à 60 %, des cicatrices sur moins de 50 % des arbres et une érosion sur le pied et le talus des berges. Les berges n’ayant pas de traces d’érosion, d’exhumation ou de scarification se regroupent quant à elles dans le morphotype D.

Figure 3

Morphotypes de berges résultant du classement par dendrogramme : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion. Les lignes représentent la division visuelle de la berge en trois parties effectuée lors la collecte de données

River bank morphotypes identified by the clustering analysis: A) river scour banks, B) ice scour banks - moderate erosion, C) ice scour banks - heavy erosion, D) stable or aggrading banks. Lines represent the visual division of the banks in three parts made while collecting data

Morphotypes de berges résultant du classement par dendrogramme : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion. Les lignes représentent la division visuelle de la berge en trois parties effectuée lors la collecte de données

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Alors que le secteur 1 comporte une part importante de berges associées au morphotype A, soit 69 %, et le reste au morphotype D, la situation est inversée dans le secteur 2 qui est composé à 99 % de berges du morphotype D (Figure 4). Les secteurs 3 et 4 sont ceux ayant le plus de similarités avec la présence des quatre types de berges. Ainsi, bien que les berges du morphotype C soient peu nombreuses en nombre absolu, elles représentent 5,7 et 6,5 % des secteurs 3 et 4. De plus, les berges associées au morphotype B ne se trouvent que dans les trois secteurs situés en aval, mais elles représentent 31 %, 20 %, et 31 % des secteurs 3, 4 et 5 respectivement. La portion aval du secteur 4 et le secteur 5 présentent une majorité de berges B et D. La majorité des arbres sur ces berges présentent des cicatrices glacielles (Figure 5).

Figure 4

Proportion de morphotypes de berges par secteur : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion

Proportion of homogeneous river bank morphotypes by sector : A) river scour banks, B) ice scour banks - moderate erosion, C) ice scour banks - heavy erosion, D) stable or aggrading banks

Proportion de morphotypes de berges par secteur : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion

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Figure 5

Cartographie des morphotypes de berges et de la présence de cicatrices glacielles de la portion aval des secteurs 4 et 5. Morphotypes : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion

Map of river bank morphotypes and ice scar presence in sectors 4 and 5. Morphotypes: A) river scour banks, B) ice scour banks - moderate erosion, C) ice scour banks - heavy erosion, D) stable or aggrading banks

Cartographie des morphotypes de berges et de la présence de cicatrices glacielles de la portion aval des secteurs 4 et 5. Morphotypes : A) berges d’érosion fluviale, B) berges glacielle - érosion modérée, C) berges glacielles - érosion forte, D) berges stables ou en accrétion

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3.3 Occurrences glacielles

Une quinzaine d’évènements d’inondations hivernales ont été répertoriés dans les 80 dernières années sur la rivière L’Acadie (Tableau 3). Selon la recherche documentaire, seulement les trois secteurs situés en aval (3, 4 et 5) ont connu des épisodes d’embâcles de glace. Certains évènements, soit ceux de 2008, 2013 et 2017 se sont déroulés simultanément dans les secteurs 4 et 5 à cause de la formation de deux embâcles. En ce qui concerne le secteur 3, une seule référence aux inondations hivernales a été trouvée, mais il y en aurait eu d’autres auparavant. Le maire de L’Acadie affirme qu'en 1956 à la suite de pressions de la part de citoyens et citoyennes, la rivière « a été creusée sur une longueur de 4 miles (6,4 km) près de sa source, ce qui a pour effet d’aggraver le débordement quand les eaux poussées par le courant arrivent à cet endroit (HUDON, 2014) ». Dans le secteur 4, les embâcles causent des inondations dans les zones résidentielles situées en aval. Les évènements rapportés s’étendent parfois sur de grandes distances ou se disloquent près du pont de l’autoroute 10 pour se reformer au pont de la Grande-Allée. Dans plusieurs cas, les ponts servent de repère pour la localisation d’embâcles, car ceux-ci sont des points d’observation privilégiés. L’historique des embâcles répertoriés par le MSPQ (2017) confirme la présence d’embâcles dans le secteur 4 pour 2008, 2013, 2014, 2016 et 2017. Selon les archives, les embâcles dans le secteur 5 se forment près du pont de l’île Goyer et s’étendent sur plusieurs centaines de mètres et entrainent des inondations dans le secteur en amont.

Tableau 3

Recension des évènements d’embâcles de glace dans les archives documentaires

Review of ice jam events in the documentary archives

Recension des évènements d’embâcles de glace dans les archives documentaires

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La comparaison entre les archives documentaires et le décompte des cicatrices glacielles sur les arbres riverains présente le plus gros décalage dans le secteur 3. La fréquence provenant des archives dans ce secteur est de 0,02 ev./an alors que les cicatrices glacielles affichent 0,06 ev./an. Les valeurs les plus élevées sont observables dans le secteur 4 avec 0,23 ev./an pour les archives et 0,27 pour les cicatrices glacielles. Le secteur 5 est le seul où les archives (0,10 ev./an) témoignent d’une fréquence plus importante que les cicatrices glacielles (0,07 ev./an).

Les médianes des trois distributions de la hauteur des cicatrices glacielles observées pour les trois secteurs (1,59 m, 1,64 m et 1,70 m) sont très similaires et ne varient que de 11 cm (Figure 6). Le secteur 4 est celui avec les valeurs de hauteur les plus dispersées (2,32 m), la plus forte moyenne (1,83 m) et la hauteur maximale la plus élevée (2,86 m). Le secteur 5 présente une distribution plus regroupée.

Figure 6

Diagramme à moustache illustrant les hauteurs des cicatrices par rapport au niveau plein bord par secteur. La médiane est indiqué par un trait épais

Box plot illustrating ice scar heights above bankfull level by sector. Median is indicated by thick line

Diagramme à moustache illustrant les hauteurs des cicatrices par rapport au niveau plein bord par secteur. La médiane est indiqué par un trait épais

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En s’intéressant plus précisément à certains sites d’échantillonnage des secteurs 4 et 5, on constate des variations dans la hauteur des cicatrices glacielles observées sur le terrain (Figure 7). Le site situé le plus en amont est celui dont la différence par rapport aux données du PDCC est la plus grande puisque la hauteur des cicatrices glacielles dépasse les cotes de crues de 100 ans. Les trois sites suivants sont plus près de la cote de crues de deux ans. Les deux sites d’échantillonnage plus près de l’exutoire dans le secteur 5 présentent des hauteurs dépassant largement celles du PDCC pour 20 et 100 ans.

Figure 7

Comparaison entre les hauteurs absolues des cicatrices glacielles (en mètres) et les cotes de crues du Programme de détermination des cotes de crue (PDCC)

Comparison between ice scar absolute heights (in meters) and flood beanchmarks identified from the PDCC

Comparaison entre les hauteurs absolues des cicatrices glacielles (en mètres) et les cotes de crues du Programme de détermination des cotes de crue (PDCC)

La ligne pointillée représente la séparation entre les secteurs 4 et 5 et les nombres en gras la fréquence des évènements observés sur le terrain par site.

Dotted line represents the division between sectors 4 and 5 and bold numbers indicate ice jam frequency by site.

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4. Discussion

L’étude des morphologies des berges de la rivière L’Acadie permet d’en apprendre davantage sur les processus qui ont contribué à façonner le paysage fluvial et de mettre en évidence l’évolution longitudinale du régime d’embâcles le long du cours de la rivière. On passe d’une absence d’activité glacielle (secteurs 1 et 2) à un régime où les embâcles jouent un rôle dans la formation dans le paysage (secteurs 3 et 4) tout en posant un risque significatif pour les populations (secteur 5). Les caractéristiques morphométriques et hydrographiques propres à chaque secteur peuvent expliquer ce gradient dans l’activité glacielle et ses impacts variables sur les berges de la rivière L’Acadie.

Le secteur 1, situé le plus en amont, ne présente aucune trace d’un régime d’embâcles dynamique. On y retrouve presque exclusivement des berges du morphotype A (Figure 4). Bien que ces berges arborent quelques traces d’érosion, rien n’indique que cette érosion soit attribuable à l’action dominante des glaces, car la végétation arborescente n’affiche aucune abrasion glacielle. Ce secteur, ayant la plus petite aire de drainage et le réseau hydrographique le moins développé, ne dispose probablement pas d’une puissance hydraulique suffisante pour fracturer le couvert de glace et ainsi générer des embâcles (BEST et al., 2005). De plus, le sol composé principalement de tills et la présence de massifs forestiers et de marécages (Tableau 1) contribuent au ralentissement de l’écoulement et de l’apport de glace des tributaires vers le chenal (LIND et al., 2014). La faible pente et la linéarité du chenal favorisent une fonte sur place du couvert réduisant le transport des glaces et ainsi le risque de congestion (Figure 2).

Tout comme le secteur précédent, aucune observation ne permet de conclure que des embâcles de glace se produisent dans le secteur 2. La forte présence de berges du morphotype D qui ne portent aucune empreinte glacielle indique plutôt que le couvert de glace n’est pas en mesure de remodeler les sédiments de la rivière (Figure 5). Le chenal modifié mécaniquement pour l’activité agricole présente une morphologie similaire dans tout le secteur, soit un relief plat, un encaissement constant, une forme rectiligne et une largeur uniforme peu favorable à la formation d’embâcles de glace (Figure 2).

La présence des morphotypes B et C indique que le secteur 3 porte des traces du passage des glaces visibles sur la végétation et la morphologie des berges (Figure 4). Les berges du morphotype C sont en effet celles où l’action érosive des glaces est la plus importante. Ces dernières ont peu de végétation arborescente au talus, ce qui explique l’absence d’exhumation des racines. Cette morphologie de berges est associée, selon ETTEMA (2002), au passage de radeaux de glaces transportés à la suite de la dislocation du couvert de glace qui érodent latéralement les chenaux où l’écoulement est rapide. Les analyses des cicatrices visibles sur les arbres indiquent toutefois que la fréquence des évènements d’embâcles est moins importante que dans les secteurs 4 et 5 situés plus en aval, bien que la hauteur des cicatrices enregistrées soit semblable (Figure 6). Cette rareté des cicatrices glacielles sur les troncs d’arbres ne signifie toutefois pas l’absence totale d’action glacielle. Les crues semblent tout de même capables de transporter les glaces lors de la dislocation mécanique du couvert. Cependant en l’absence de prédisposition morphologique particulière du chenal dans le secteur 3 (Figure 2), les glaces sont évacuées vers l’aval (sous forme de train de glace) en érodant les berges sans générer d’embâcles majeurs. Les travaux de creusement mécanique du chenal dans ce secteur (HUDON, 2014), ainsi que ceux pour l’agriculture dans le secteur 3, pourraient expliquer la plus grande facilité de la rivière à évacuer la glace dans ce secteur.

Le secteur 4 est celui dans lequel on observe les traces les plus importantes des embâcles de glace sur les berges et la végétation. Il s’agit, avec le secteur 3, du seul autre endroit où l’on retrouve le morphotype C, c’est-à-dire des berges fortement sculptées par l’action des glaces. De plus, les berges du morphotype B présentent dans ce secteur des caractéristiques semblables aux berges glacielles à deux niveaux identifiées par BOUCHER et al. (2009) dans le Haut boréal québécois, soit une érosion du talus et une absence de végétation au talus, associées à l’activité glacielle. La présence de sédimentation récente au-dessus du talus d’érosion n’a toutefois pas été constatée. Le premier niveau représente la plaine alluviale générée par l’écoulement en eau libre et le second correspond à la hauteur atteinte par l’eau lors des inondations causées par les embâcles de glace (MORIN et al., 2015). Le talus de ce type de berges porte les signes d’érosion attribuable au transport des glaces à la formation ou à la dislocation d’un embâcle. Sur d’autres rivières, comme la Nécopastic dans le Haut boréal québécois, une fréquence de 0,2 évènement par année (un par cinq ans) doit être atteinte pour la mise en place et l’entretien de ce type de berges par les embâcles (BOUCHER et al., 2009). D’après nos résultats, le secteur 4 obtient cette fréquence d’embâcles en plus d’avoir une forte portion de berges associées au morphotype A (Figure 4). Ceci laisse croire qu’au plan géomorphologique, l’action des glaces y est plus importante qu’ailleurs sur la rivière. Parmi les facteurs favorisant l’augmentation de la fréquence des embâcles et aggravant leur impact géomorphologique dans ce secteur, on retrouve les méandres et les infrastructures civiles (Figure 2) (BELTAOS, 1995; SMITH et PEARCE, 2002). Cela se traduit par des cicatrices plus étendues et un plus grand nombre d’arbres cicatrisés au sommet des berges (Figure 6). La fréquence plus élevée des embâcles au cours des dernières décennies peut également s’expliquer par le fait que la rivière creuse et forme des méandres dans ses propres sédiments quaternaires (ZABILANSKY et al., 2002). L’aplatissement soudain du relief après l’incision de la rivière dans une terrasse marine de la mer de Champlain (Figure 2a) favorise la formation de méandres de plus grande amplitude (Figure 2d) dans des dépôts argileux (Tableau 1) qui s’érodent plus facilement, directement ou indirectement à cause du mouvement des glaces (ETTEMA, 2002). Les berges et les cicatrices glacielles sont d’ailleurs souvent présentes sur les berges concaves (Figure 5). Une partie de l’importance du régime d’embâcles du secteur 4 pourrait également être attribuée à l’activité glacielle du secteur 3 situé plus en amont. En effet, une fois disloquée et prise en charge au secteur 3, la glace transportée vers l’aval ne rencontre que très peu d’obstacles avant d’atteindre de nombreuses entraves à l’évacuation (méandres, rupture de pente, ponts) dans le secteur 4 (Figure 2).

La fréquence des embâcles de glace diminue au secteur 5, mais ces derniers représentent tout de même un risque significatif à cause de la densité des habitations et des infrastructures locales. À cet endroit, le chenal atteint sa plus grande largeur et redevient rectiligne avant de se jeter dans la rivière Richelieu (Figure 2). Les berges associées au morphotype B portant l’inscription de l’activité glacielle se situent surtout en amont du pont de la route 112 (Figure 5). Les berges D ne présentent pas de trace d’érosion glacielle, bien que plus de la moitié des arbres au talus portent des cicatrices (Figure 5). Les embâcles répertoriés et observés sur le terrain semblent ainsi assez importants pour endommager la végétation, mais leur fréquence n’est possiblement pas suffisante pour entretenir des berges glacielles, comme au secteur 4. Selon la recension des archives documentaires, il semble que des embâcles majeurs s’y forment et entrainent des inondations dans le secteur 4. Comme la rivière L’Acadie se jette dans la rivière Richelieu qui dégèle moins rapidement, les glaces peuvent s’y accumuler et causer des inondations hivernales (TURCOTTE et al., 2011). L’analyse des cicatrices dans le secteur 5 fait état d’embâcles de glace dont la fréquence et la hauteur dépassent (au moins une fois tous les 20 ans) celles des inondations prévues par le PDCC (Figure 7). Nous concluons donc que, dans ce secteur, les cotes de crues du PDCC sous-estiment le risque d’inondation en ne prenant pas en compte celui par embâcle. Cette situation exacerbe la vulnérabilité des infrastructures situées à l’intérieur de l’espace de liberté de la rivière en ne reconnaissant pas leur exposition à cet aléa.

Il existe aussi des prédispositions généralisables à l’ensemble du bassin versant qui expliquent ce gradient de l’amont vers l’aval dans la fréquence, l’intensité et l’impact de l’activité glacielle. D’abord, l’héritage des glaciations quaternaires et des transgressions marines se traduit par la mise en place de sédiments glaciaires, fluvio-glaciaires et marins répartis de façon presque uniforme dans le bassin versant (Tableau 1). La pente peu prononcée à l’échelle du bassin favorise la sortie du lit sur de grandes portions de la rivière lors des évènements d’embâcles tout en encourageant l’érosion glacielle des berges (HAMELIN, 1969; NOURRY, 2002). La morphologie du chenal est aussi fortement influencée par ces dépôts quaternaires, tels que la formation de méandres et l’augmentation de la sinuosité que l’on retrouve dans le secteur 4 (Figure 2d). Ces deux facteurs hérités du contexte quaternaire contribuent à la prédisposition aux embâcles de glace (BELTAOS, 1995). De plus, le régime hydrologique du bassin versant de la rivière L’Acadie a été fortement modifié par l’occupation humaine, laquelle remonte à plusieurs siècles (NOURRY, 2002). Les nombreux tributaires aménagés présents dans tous les secteurs de la rivière L’Acadie amènent une importante quantité de glace qui, ne pouvant être évacuée, peut entrainer la formation d’embâcles. L’apport d’eau plus chaude par les tributaires accélère la dislocation locale du couvert dans la rivière principale et la glace transportée pourrait se heurter au couvert toujours en place plus en aval (TURCOTTE et al., 2011). Également, l’omniprésence de l’agriculture (Tableau 1) rend les sols moins perméables que les forêts qu’ils remplacent. Ce faisant, elle accélère le ruissellement des eaux de surface et accroit l’intensité des pics de crues qui sont deux facteurs augmentant les risques d’inondations hivernales (LIND et al., 2014). Le même phénomène se produit avec les zones résidentielles et les routes dont la présence croit le long du cours d’eau (Tableau 1) (NOURRY, 2002). Les milieux ouverts, comme les terres agricoles, accroissent la radiation solaire au sol ce qui accélère la fonte de la neige dans le bassin versant (LIND et al., 2014). De plus, le drainage agricole très présent au sein du bassin versant s’ajoute à des travaux de linéarisation et de surcreusement du chenal qui augmentent anormalement le débit de la rivière et ainsi la capacité de mobilisation et le transport des glaces dans le secteur 3 et plus en aval. De nombreuses infrastructures sont présentes le long de la rivière, dont les ponts Goyer, de la Grande-Allée et de l’autoroute 10 dans le secteur 4 (Figure 2e). Elles influencent la largeur du chenal (Figure 2b) en créant un rétrécissement artificiel qui pourrait représenter un obstacle pour la libre circulation des glaces.

5. Conclusion

En somme, les résultats obtenus révèlent que le régime d’embâcles de glace varie grandement d’un secteur à l’autre et a un impact visible sur la morphologie et la végétation riveraine de la rivière L’Acadie. Ce gradient longitudinal s’explique par les caractéristiques morphométriques et hydrographiques des différents secteurs. Le secteur 1, situé le plus en amont, ne présente pas d’embâcles de glace tout comme le secteur 2 dont le chenal a été complètement remodelé mécaniquement. Il semble que le secteur 3 arbore des traces d’abrasion glacielle, mais la fréquence évènementielle ne témoigne pas d’un régime d’embâcles important. Les berges et leur végétation portent effectivement les marques du transport rapide d’une quantité importante de glaces vers l’aval à cause des modifications humaines du chenal. Des occurrences glacielles ont été observées sur une majorité des berges et de la végétation du secteur 4. En plus de présenter une morphologie propice à la création d’embâcles avec ses méandres serrés, une rupture de pente et des obstacles anthropiques à l’écoulement, ce secteur reçoit la glace arrivant du secteur 3 amplifiée par le drainage et la fonte hâtive des terres agricoles. Le secteur 5 présente peu de marques du passage des glaces, mais sa proximité avec l’exutoire dans la rivière Richelieu en fait un lieu favorable aux embâcles de glace de forte intensité qui inondent les quartiers résidentiels situés en amont.

Cette étude met à profit une approche qui se base sur la dynamique hydrogéomorphologique du cours d’eau afin de tirer des conclusions sur la spatialisation des embâcles de glace. Cela a permis de démontrer que l’impact des glaces est visible à l’échelle des berges, du chenal et du bassin versant. Cette approche intégratrice permet de réfléchir à l’importance de revoir les pratiques d’aménagement riveraines sur certains cours d’eau, tels que la rivière L’Acadie, où les embâcles de glace sont nombreux et concentrés dans les secteurs urbains. Cela devrait ultimement réduire les risques collectifs associés à des évènements dépassant les périodes de retour établies par le PDCC pour des crues à l’eau libre, particulièrement dans le cadre de changements climatiques où la fréquence d’évènements extrêmes pourrait s’accroitre (BIRON et al., 2013). En ce sens, elle repose sur une vision évolutive des environnements fluviaux qui devrait ressortir à la fois dans les études des milieux hydriques que dans les politiques d’aménagement. Celles-ci devraient également tenir compte des processus responsables de l’évolution morphosédimentaire des cours d’eau afin de diminuer de manière durable la vulnérabilité aux risques naturels comme les inondations et l’érosion liées aux embâcles de glace.