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En ergothérapie, il est bien reconnu que l’occupation est non seulement thérapeutique mais constitue aussi un déterminant important de la santé et du bien-être (Association canadienne des ergothérapeutes [ACE], 1997). Ainsi, l’emploi [1] constitue un rôle extrêmement valorisé par la société, un élément d’identité, une source de revenus, une part importante de l’équilibre occupationnel et une contribution au bien-être physiologique et psychologique (Chan et al., 1997 ; Conference Board of Canada, 2000 ; Mowbray et al., 1995).

Alors que l’emploi représente une fonction considérable de la vie d’un individu, les altérations des résultats professionnels sont de première importance chez les personnes aux prises avec un trouble mental grave. Malgré les diverses législations (Charte des droits et libertés, L.R.Q., c-12, 1975 ; Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, L.R.Q., c. E-20.1, 1978) assurant l’égalité des droits des personnes aux prises avec des incapacités, dont les problèmes mentaux graves, la présence de ces personnes continuent d’être limitée sur le marché de l’emploi. Selon les études, seulement 8 à 15 % des personnes aux prises avec un problème psychiatrique occupent un emploi sur le marché régulier (Anthony et Blanch, 1987 ; Anthony et al., 1988 ; Anthony et al., 1990).

Au cours des années, on a pris conscience que ces personnes pouvaient vivre une vie productive et satisfaisante dans la communauté. On a aussi développé l’approche de soutien à l’emploi (Supported Employment). Ainsi, l’emploi est devenu une mesure de résultat légitime en réadaptation psychiatrique (Mueser et al., 1996). Cependant, l’obtention d’un emploi n’est pas la fin des efforts à fournir. Plusieurs groupes de chercheurs (Anthony et Blanch, 1987 ; Becker et al., 1998 ; Black, 1988 ; Bond et McDonel, 1991 ; Cook, 1992 ; MacDonald-Wilson et al., 1991) ont confirmé qu’il est plus difficile pour ces personnes, de maintenir leur emploi que d’en obtenir un.

Afin d’augmenter leur chance de succès dans leur démarche d’intégration et assurer leur maintien en emploi, des soutiens sur une base continue doivent être instaurés (Becker et al., 1998 ; Bond, 1992 ; Chandler et al., 1997 ; Cook et al., 1992 ; Cook et Pickett, 1994 ; Cook et Razzano, 1992 ; McHugo et al., 1998). Bond (1998) estime que le soutien continu constitue l’un des principes de base du soutien à l’emploi.

Le but du présent article est de décrire à partir de la perspective de personnes aux prises avec un trouble mental grave, les soutiens désirés pour maintenir un emploi. Des recommandations pour des recherches futures ainsi que les implications pour les ergothérapeutes sont soulevées.

Une recension des écrits dans les champs de la réadaptation professionnelle et de la santé mentale révèle plusieurs éléments en matière d’intégration professionnelle et de maintien en emploi. Dans un premier temps, peu d’études ont été menées sur la durée et la nature des soutiens (Bond, 1998). Selon plusieurs chercheurs (Danley et al., 1994 ; McFarlane et al., 1995), l’incertitude associée à la continuité des services de réadaptation professionnelle a influencé le taux de maintien en emploi. D’autres chercheurs (Chandler et al., 1997 ; Cook et Pickett, 1994 ; Cook et Razzano, 1992 ; McHugo et al., 1998 ; Peterson, 1995 ; Test et al., 1995) ont indiqué que la présence de soutiens continus permettait de conserver ou d’améliorer le taux d’emplois. Les résultats des diverses études sont consistants.

Certaines études effectuées ont porté sur l’identification de soutiens pour les personnes aux prises avec un trouble mental grave (Tableau 1). Deux études distinctes de Mancuso (1990, 1993), ont établi que les modifications de l’environnement physique, de l’emploi, de l’horaire, une facilitation des relations interpersonnelles, la conservation d’une bouteille d’eau au poste de travail et la possibilité de travailler à partir du domicile constituaient des mesures d’accommodation. Une autre étude de Fabian et al. (1993) estime qu’une orientation et un entraînement d’un superviseur, une orientation des collègues, une formation dans le milieu d’emploi, une modification de l’horaire, des règles et des procédures, un changement des attentes face à la production, ainsi que des tâches et des normes sociales ont été identifiées comme mesures d’accommodation. Coles (1996) a identifié des sphères d’intervention pouvant influencer le maintien en emploi : anxiété, problèmes de mémoire, difficulté de concentration et connaissance de la maladie. Dans un même ordre d’idées, Marrone et al. (1995) ont spécifié les sphères d’interventions suivantes : soutien d’un collègue, soutien du réseau social, soutien dans le développement des habiletés, soutien au niveau de la gestion de soi et soutien organisationnel. Les résultats sont similaires d’une étude à l’autre. D’ailleurs, les devis méthodologiques étaient tous de nature qualitative.

Par contre, un élément qui constitue une limite de ces études est l’absence d’une définition du concept de soutien. Ainsi, la définition adoptée dans la présente étude est celle de Luckasson et Spitalnik, (1994) :

Ressources et stratégies qui en fait privilégient les intérêts et les causes des individus avec ou sans incapacité afin de leur assurer un accès aux ressources, à l’information et aux relations faisant partie intégrante de l’environnement d’emploi et du milieu de vie, et qui ont comme résultat l’amélioration de la productivité, l’intégration dans la communauté, l’indépendance et la satisfaction.

Traduction libre, Luckasson et Spitalnik, 1994, 88-89

Une seconde limite des recherches est l’absence de l’input des personnes utilisatrices des services. En raison des contradictions potentielles entre les perspectives des chercheurs, des cliniciens et des personnes utilisatrices, l’exploration de la perspective de ces dernières est de plus en plus reconnue comme un effort important de recherche pour approfondir la compréhension des enjeux auxquels elles sont confrontées (Clark et al., 1993).

Tableau 1

Soutiens identifiés dans d’autres études

Soutiens identifiés dans d’autres études

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Méthodologie

Devis de l’étude

La méthodologie qualitative est désignée pour connaître la signification et l’expérience vécue des participants face à un phénomène précis (Marshall et Rossman, 1989). Ainsi, l’étude collective de cas (Stake, 1994) a été privilégiée comme stratégie de recherche. Dans ce processus, le choix des participants (cas) est effectué pour permettre d’accroître la compréhension du phénomène à l’étude : les soutiens requis pour le maintien en emploi. Pour assurer la qualité scientifique de l’étude, les quatre critères de Lincoln et Guba (1985) ont été retenus. D’abord, la crédibilité a été assurée en confrontant des données recueillies en entrevue et par l’analyse des documents. Une description informative des participants et le principe de saturation des données permettent l’évaluation de la transférabilité par le lecteur. L’utilisation a priori du modèle théorique Personne-Environnement-Occupation (Law et al., 1996) pour l’analyse et l’interprétation des résultats a contribué à l’imputabilité procédurale. Le potentiel confirmatif a été garanti en partie par l’alternance entre les entrevues et l’analyse. L’utilisation d’un journal de bord a permis de maximiser la crédibilité, l’imputabilité procédurale et le potentiel confirmatif.

Participants

Les participants ont été recrutés selon un échantillonnage de critères (« criterion sampling ») parmi des personnes recevant des services de l’organisme l’Envol S.R.T. L’organisme devait recruter les personnes en présentant une lettre d’information sur le projet de recherche. Les personnes intéressées à participer étaient ensuite référées au chercheur afin qu’il vérifie le respect des critères d’inclusion et d’exclusion et obtienne leur consentement par la signature d’un formulaire. Ces critères d’inclusion étaient les suivants : souffrir d’un trouble mental grave depuis deux (2) ans ; avoir subi des pertes fonctionnelles ; avoir un emploi dans un milieu intégré et ce, depuis six (6) semaines à raison d’un minimum de vingt (20) heures par semaine ; s’exprimer en français et ; demeurer dans un appartement, un appartement supervisé, un foyer de groupe, une résidence de type familial ou une chambre depuis au moins six (6) mois. Les critères d’exclusion étaient identifiés comme suit : être aux prises avec une déficience intellectuelle ; être aux prises avec une déficience et/ou incapacité physique ; souffrir d’un trouble cognitif d’origine organique ; vivre une instabilité résidentielle (c’est-à-dire sans domicile fixe ou ne pas être en mesure de s’établir dans un milieu de vie plus de six mois durant la dernière année et le plus récent déménagement ne devant pas remonter à moins de six mois). En respectant le principe de saturation des données, six (6) participants ont collaboré à l’étude. En effet, la diversité et la richesse des informations ne justifiaient pas de poursuivre la collecte de données, car elle aurait mené à une redondance.

Tableau 2

Caractéristiques des participants

Caractéristiques des participants

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Selon Lincoln et Guba (1985), le principe de variation maximale suggère qu’une étendue de caractéristiques descriptives est nécessaire pour faciliter la transférabilité des résultats de l’étude. Les participants à l’étude étaient tous caucasiens, francophones et de nationalité canadienne. Le tableau 1 résume les caractéristiques démographiques, éducatives, professionnelles et celles associées à l’utilisation des services.

Collecte de données

Les informations ont été recueillies auprès des participants principalement par le biais d’entrevues semi-dirigées. Ces dernières ont été enregistrées et transcrites par verbatim. Quant aux données démographiques, elles ont été obtenues à l’aide de l’Ensemble d’outils de mesure en réadaptation psychosociale (International Association of Psychosocial Rehabilitation, 1999). Enfin, les informations sur le sujet à l’étude ont été recueillies à l’aide d’un guide d’entrevue.

Un guide d’entrevue semi-structuré a été construit à partir de la recension des écrits et du modèle Personne-Environnement-Occupation (Law et al., 1996). Les principaux sujets abordés dans le guide incluaient :

  • Données générales sur les enjeux directement liés ou non à l’emploi

  • Données spécifiques sur les enjeux potentiellement liés au maintien en emploi

    • Composantes associées à la personne

    • Composantes associées à l’emploi

    • Composantes associées aux environnements (milieu d’emploi, milieu résidentiel)

  • Données spécifiques sur le dévoilement de la maladie à son employeur

Analyse des données

Les verbatims des entrevues ont été analysés de façon à cibler les types de soutiens requis dans le maintien en emploi. Dans ce processus d’analyse, les segments de textes significatifs des entrevues ont été considérés unités significatives.

Lorsque les unités significatives ont été identifiées, quatre autres étapes ont été requises pour procéder au premier niveau de codification des données (Coleman et Unrau, 1996) : catégorisation des unités significatives, détermination des codes pour les catégories, définition et réorganisation des codes et décision du moment d’arrêter. Les résultats de cette première codification ont été ensuite analysés à nouveau afin de déterminer des relations et des patrons entre les diverses catégories (deuxième niveau de codification des données). Cette codification a permis d’identifier divers thèmes.

L’analyse des données a été complétée par le chercheur principal qui s’est engagé dans un processus itératif impliquant plusieurs lectures des transcriptions. Le processus d’analyse a été facilité par l’utilisation du logiciel Microsoft Access (version 1997) permettant de mettre en relation les unités de sens significatives, les catégories et les thèmes.

Résultats

L’analyse de la perspective des participants a fait émerger quinze thèmes reliés à des enjeux de maintien en emploi. Onze de ces thèmes sont des types de soutiens au maintien en emploi. Deux thèmes sont associés à l’administration des soutiens. Un thème correspond à des composantes personnelles, un concerne le dévoilement, et deux thèmes portent sur le rétablissement en lien avec l’emploi. L’analyse interprétative qui suit aborde seulement les thèmes liés aux types de soutiens, lesquels relèvent de deux dimensions : les soutiens associés à l’emploi ainsi que les soutiens associés au milieu résidentiel et à la communauté (soutiens non directement reliés à l’emploi). Le tableau 3 présente les différents types de soutiens favorisant le maintien en emploi et les éléments qui les caractérisent.

Les soutiens associés à l’emploi

L’intégration professionnelle et sociale

Les participants ont expliqué que l’intégration dans le milieu d’emploi était un élément nécessaire pour maintenir leur emploi, un point de vue exprimé par une personne qui a mentionné : « Quand on va à la pause cigarette, ils m’invitent jamais pour y aller, ils me demandent jamais pour y aller avec eux autres… » (H4) [2].

Pour expliquer ce soutien, les répondants expriment l’importance d’avoir des contacts avec un ou des collègues, d’établir des relations sociales. Une des participantes explique, « Ben moi, je me sens un peu isolée. Euh ! Parce que Josée et Marie-Pierre ont beaucoup d’interactions parce qu’ils s’occupent du fonctionnement administratif de la place. Marie-Pierre a beaucoup de contacts mettons avec Luc. Elle a beaucoup de contacts avec William. William pis Luc. Moi, je suis comme à part tsé. J’ai pas de… le « feeling » d’appartenance est moins là étant donné que t’as moins de contacts. » (F1).

Tableau 3

Types de soutiens associés au maintien en emploi

Types de soutiens associés au maintien en emploi

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Comme les autres participants, l’un d’entre eux a identifié les stratégies visant à diminuer les préjugés et les stigmas associés à la santé mentale comme étant un élément facilitant son intégration et le maintien de son emploi. Il résume en disant simplement : « C’est lourd les préjugés. » (H3)

Bref, ce soutien consiste à développer et à favoriser la mise en place de stratégies orientées vers l’intégration de la personne dans son milieu d’emploi. Toutes activités centrées sur la sensibilisation de la santé mentale et le développement de relations sociales avec les collègues sont caractéristiques de ce soutien.

Mesures d’accommodation au niveau de la productivité

Ce soutien consiste à développer et instaurer dans le milieu d’emploi des modifications, des adaptations personnelles et organisationnelles destinées à augmenter la productivité et la performance de l’employé aux prises avec un trouble mental grave. Par conséquent, cette façon de procéder conserve la satisfaction et favorise le maintien en emploi chez la personne.

Lorsqu’il est question de mesures d’accommodation, plusieurs éléments peuvent être considérés. Les participants ont mentionné éprouver des « difficultés à maintenir leur attention sur la tâche ». Ce qui aiderait à surmonter ce problème serait d’avoir des « mécanismes pour revenir sur ce que je fais » (H4). Autrement dit, il s’agit de développer chez les personnes des stratégies compensatoires au niveau des composantes cognitives telles « une description des tâches » (F6).

Un autre élément rapporté par les participants est la possibilité « d’avoir des contacts réguliers avec mon supérieur » pour éviter des situations comme « mon directeur qui n’est pas ici, cela fait deux semaines que je ne l’ai pas vu » (H3). Un autre participant explique « on avait trois rencontres par semaine » (H2).

Des commentaires concernant la planification et l’organisation des tâches ainsi que l’horaire d’emploi ont été mentionnés. « Il m’aide à faire sûr que tout va bien dans mes démarches » de sorte que la personne ne vive pas d’insatisfaction et soit en mesure de rencontrer les exigences de l’employeur au niveau de la « productivité » et ne pas « attendre pour recevoir et pacter les boitages » (H2).

L’adaptation de l’environnement physique s’avère également un élément important. À cet égard, une des participantes explique : « Il va prendre le bureau et puis moi, je vais me retrouver dans le passage, dans le coin là-bas. J’ai de la misère avec ça, j’ai bien de la misère avec ça parce que je suis facilement distraite » (F1). Ce commentaire démontre l’importance d’avoir un bureau individuel pour être davantage performant et pour se sentir à l’aise : « Tsé mon babillard, mes cochonneries, mes affaires, comme que j’veux tsé, c’est mon chez nous huit heures par jour » (F1).

Les participants ont abondamment parlé de l’adaptation de l’horaire d’emploi pour augmenter leur rendement. « J’apprécie avoir une flexibilité au niveau de l’horaire. Je peux rentrer certaines journées à 10h00 lorsque j’en ressens le besoin » (H5). Les participants considèrent qu’« adapter l’horaire de l’emploi en fonction de mes besoins » (F6) est une accommodation qui améliore leur performance en autant que ça ne perturbe pas le fonctionnement et l’organisation du milieu d’emploi.

Enfin, les participants ont abordé les enjeux reliés à la stabilité du rôle, des tâches et des fonctions. Une participante mentionne à ce sujet que « là, ils sont en train de m’écarter des tâches que je préfère et ne maintiennent plus mes tâches qui ont toujours été la même chose de base » (F1). Aussi, la notion de description du rôle et/ou fonctions qui influencent la satisfaction et la performance des employés, « l’ambiguïté des tâches et des responsabilités » (H2) entraîne des problèmes et des insatisfactions.

L’intégration des habiletés de rendement occupationnel

Les participants ont expliqué que le développement des habiletés sociales constituait un soutien important. Un répondant mentionne prendre son temps et « essaie de dire bonjour » (H3) à tous les employés. Une autre participante a indiqué avoir besoin de « people skills » (F6). Il s’agit d’offrir aux individus des services qui leur permettront d’interagir avec leurs collègues, l’autorité et les ressources environnementales. Toute aide apportée à la personne pour initier des interactions, répondre à des interactions, rechercher la présence des autres, comprendre les autres, être compris par les autres, avoir des sujets de conversation appropriés, gérer ses comportements, suivre les règles, donner du feedback, recevoir et intégrer les signaux environnementaux et s’ajuster aux situations négatives est partie intégrante de ce soutien.

Le counselling visant l’intégration des habiletés psychologiques requises pour répondre aux demandes environnementales de manière personnelle et sociale satisfaisante s’avère être un soutien recherché par les participants. Plus précisément, il s’agit d’intégrer les habiletés de gestion et d’adaptation au stress, de planification et d’utilisation de son temps, l’initiation et la fin des activités de même que le maintien de l’intégrité physique et psychologique. Un participant mentionne que lorsqu’il y a « beaucoup de changements, cela vient que ça me tape sur les nerfs ». Il est ainsi amené à devoir identifier des stratégies pour s’adapter à la situation comme « sortir dehors prendre une pause et fumer une cigarette » (H3).

L’intégration des habiletés cognitives, parfois problématique, constitue un enjeu pour favoriser le maintien en emploi. Un répondant estime avoir des « difficultés avec la résolution de problèmes » (H5) et demande à voir une « personne-ressource, un conseiller » pour l’aider à faire face à cet obstacle. Ce soutien consiste à offrir de l’assistance pour comprendre, synthétiser, évaluer l’information environnementale pour ensuite transformer en comportements les résultats et les solutions envisagées. Bref, toutes les interventions dirigées vers la résolution de problèmes, la généralisation des apprentissages, la séquence, la conceptualisation, la catégorisation et la capacité de suivre des directives écrites et verbales sont considérées comme un soutien important.

Période d’absence pour maladie

À ce chapitre, les participants ont identifié deux enjeux, soit d’avoir la possibilité à la fois de recevoir de l’aide financière pendant leur absence et de prolonger cette période. En effet, trop souvent les gens sont obligés de retourner au travail sans qu’ils ne soient pleinement rétablis. Cette situation est bien décrite par une répondante :

« Mais là, j’avais pas le choix de revenir, y était pour me « lay offé » médical. Pis là à l’assurance chômage, il te donne 50 % de ton salaire. J’ai de la misère à arriver avec ce que j’ai là. Je me suis senti coincée. Ça faisait ben des fois qu’il me disait je veux que tu reviennes. Mais, j’ai été obligée de prendre une semaine de vacances là-dedans. Oui, pis je me suis fait dire ben t’aimerais pas mieux prendre une semaine de vacances quand t’es bien avec tes enfants. Ben j’ai dit j’me ferai pas payer la semaine dernière. J’ai dit, faut que j’aille faire les groceries moi. J’pense que mes enfants préfèrent manger. » (F1)

Le deuxième élément est d’accorder une période suffisante pour permettre un rétablissement.

« Comme cette année ça été vraiment plus long que d’habitude, ben ça a été deux mois au lieu de peut-être un mois. Pis tsé, le pré-requis pour la job là c’était que la personne devait avoir un problème de santé mentale pis, je m’absente quand je ne suis pas bien. Pis là ben, je me fais sentir que j’ai dérangé parce que je n’ai pas été là pour deux mois. Mais, what do you expect ? Je m’attendais qu’ils soient plus flexibles et compréhensifs par rapport qu’il y a des périodes de l’année qui sont plus difficiles et que je veux m’absenter pour me rétablir au niveau de ma santé. » (F1)

Counseling au niveau du développement et de l’avancement professionnel

Les participants estiment que des services de développement professionnel, (visant le développement d’un concept de soi à travers les valeurs, les intérêts et les choix) s’avéreraient fort utiles et permettraient d’aspirer à une identité et un champ professionnels. « J’ai besoin d’une personne qui va m’aider à poursuivre mon cheminement de carrière. De cette façon, je vais être plus en mesure d’avancer professionnellement » (H4).

Les soutiens associés au milieu résidentiel et à la communauté

Ressources environnementales

Les participants ont expliqué que leurs réseaux familial, social et d’entraide (groupe d’entraide) constituaient un excellent soutien favorisant leur maintien en emploi. L’accès à au moins une de ces ressources leur permet « de ventiler, parler des difficultés et des problèmes rencontrés » (H3), et s’avère être aidant.

Le réseau familial et social joue un rôle au niveau de la qualité de vie en aidant les personnes à maintenir un équilibre dans leur vie, à développer des stratégies d’adaptation et à résoudre des problèmes nuisant à leur fonctionnement dans le travail.

Les groupes d’entraide ont davantage été ciblés pour leur offrir de l’assistance afin d’augmenter leur autonomie, leur participation communautaire et d’identifier des stratégies pour gérer les stresseurs et les préjugés dans le milieu d’emploi. Les participants apprécient ces groupes puisque « notre groupe, c’est que notre groupe on est tous du monde qui est ou qui a été traité en santé mentale » et « on comprend pas sur le côté comme un docteur ou intervenant qui l’a vu dans les livres on le comprend parce que je l’ai vécu, je le sais c’est quoi » (H4).

Activités associées au rôle occupationnel autre que professionnel

Le soutien identifié ici consiste à assurer un équilibre occupationnel ainsi qu’à développer et maintenir les divers rôles occupationnels : activités de gestion du milieu de vie, activités de consommation ainsi que les activités de socialisation et de loisirs.

Un participant a très bien décrit le phénomène de l’équilibre occupationnel lorsqu’il mentionne « j’ai de la difficulté avec les congés car je ne sais pas quoi faire durant mes congés » (H5). Il s’agit d’aider les personnes à établir un équilibre au niveau du nombre et du temps accordé aux différents rôles de rendement occupationnel dans le but de prévenir une surcharge, un conflit ou une diminution des rôles. « Il y a toutes sortes de difficultés que l’on peut vivre dans notre vie » (H3) qui font en sorte que la gestion du milieu de vie (obtenir un logement, planifier les repas, prendre soin de la famille, des vêtements, de l’entretien ménager, maintenir une sécurité dans le logement) peut devenir un enjeu capital. Une autre participante ajoute « Tsé, y a rien à manger, tsé, tous les facteurs qui influencent sur ce que l’on veut faire » (F1). Plusieurs éléments du milieu de vie viennent influencer le fonctionnement dans l’emploi tel que « la santé des enfants, l’auto » (F1).

Les activités de consommation, c’est-à-dire destinées à l’achat des biens ainsi que celles orientées vers la planification et la gestion financière (banque, budget) constituent un enjeu important du maintien en emploi. Un répondant explique qu’un soutien important est « la finance ». Il ajoute que l’aide qu’il reçoit pour la gestion de ses biens et de son budget lui permet de « diminuer mon stress » et « d’obtenir les biens nécessaires à mon fonctionnement » (H2).

Les répondants estiment aussi que l’assistance au niveau du développement des activités de socialisation et de loisirs s’avère être un soutien nécessaire. Actuellement « c’est la solitude », souligne une participante (H3). La participation à des activités de loisirs avec d’autres personnes est recherchée : « je participerais à des groupes d’activités, des sorties sociales » (H5). Un autre participant soulève que des activités de loisirs solitaires sont également importantes pour maintenir son équilibre et favoriser le maintien de son emploi. « L’écriture et l’art constituent deux activités que j’apprécie faire ». Il ajoute « qu’un intervenant m’a initié à lire des livres de prise de conscience en soi » (H3).

Activités de gestion médicale et de la santé

Les médicaments sont identifiés comme un élément important de ce soutien. « J’en ai vraiment besoin », ils permettent de « maintenir mes émotions plus stables » (H2).

Obtenir de l’aide pour développer des activités nutritionnelles et de repos est aidant dans le maintien de l’emploi puisque « j’ai un niveau d’énergie satisfaisant pour fonctionner ». « Avec mon médecin et l’équipe du CLSC, j’ai développé un menu alimentaire et je me couche tôt » (H2).

En fait, ce soutien au chapitre des activités de gestion médicale et de la santé englobe toutes les interventions orientées vers l’établissement d’un régime de vie sain dans un but de maintenir ou d’améliorer l’état de santé de la personne. Plus particulièrement, il s’agit d’aider la personne dans 1) l’acquittement des activités psychosociales et/ou cognitives visant le maintien et/ou l’amélioration de la santé mentale telles que « contrôler mes symptômes à l’aide d’une grille établie avec mes intervenants et pour savoir quoi faire lorsque les symptômes sont présents » (H5) ; 2) la régulation de saines pratiques dans les domaines de la consommation alimentaire, les pratiques sexuelles et l’abus de substance ; 3) le développement d’une routine pharmacologique, c’est-à-dire un horaire, l’obtention des médicaments, l’utilisation d’une dosette, la prise des médicaments et la gestion des effets secondaires ; 4) les tâches liées aux communications d’urgence.

Obtention des services dans la communauté

Ce soutien identifié par les répondants se définit comme de l’accompagnement et de l’assistance dans l’accès aux services jugés nécessaires. Un participant résume ce soutien comme suit : « il a besoin d’aide pour identifier et obtenir les services d’un dentiste » (H2). Un autre ajoute « que l’aide reçue pour avoir un avocat » lui a permis « de ne pas vivre de stress dans mon emploi » (H4).

Qualités et forces personnelles

À ces divers types de soutiens, les participants ont identifié des composantes personnelles, telles que des qualités et des forces personnelles, qui contribueraient à favoriser leur maintien en emploi. Par exemple, une participante mentionne « je ne suis pas gênée, j’ai de l’entregent, hum, je suis flexible… un bon sens des responsabilités » (F1).

Discussion

Les résultats de l’étude décrivent la perspective des personnes aux prises avec un trouble mental grave à l’égard des types de soutiens nécessaires à leur maintien en emploi. Les entrevues réalisées auprès de six (6) participants ont permis d’illustrer dix domaines de soutiens qui peuvent avoir un effet facilitant sur le maintien en emploi : intégration professionnelle et sociale, mesures d’accommodation au niveau de la productivité, intégration des habiletés de rendement occupationnel, période d’absence pour maladie, counseling au niveau du développement et de l’avancement professionnel, ressources environnementales, activités associées aux rôles occupationnels autre que le rôle professionnel, activités de gestion médicale et de la santé, obtention des services dans la communauté et, qualités et forces personnelles. Les résultats obtenus confirment l’importance de plusieurs facteurs déjà identifiés comme soutiens, et introduisent de nouveaux éléments à considérer dans le maintien d’un emploi. Les résultats ont également des implications pour les connaissances en ergothérapie et les services d’ergothérapie destinés à améliorer le maintien d’une occupation pour les personnes aux prises avec un trouble mental grave.

Comparaison avec les écrits existants sur les types de soutiens

Les thèmes émergeants de la présente étude chevauchent, élaborent et ajoutent de l’information aux types de soutiens discutés dans la littérature. Seulement quelques chercheurs (Coles, 1996 ; Fabian et al., 1993 ; MacDonald-Wilson, 1997 ; Mancuso, 1990, 1993 ; ministère des Approvisionnements et Services Canada [MASC], 1995 ; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2000 ; West et Parent, 1995) ont examiné la question des types de soutiens au maintien en emploi chez les personnes aux prises avec un trouble mental grave (Brouillette, 2002).

Les soutiens qui valident clairement ceux déjà identifiés dans la littérature sont les mesures d’accommodation. En effet, les études de Mancuso (1990, 1993), Fabian et al., (1993), MASC (1995), MacDonald-Wilson, (1997) et du ministère de la Santé et des Services sociaux (2000) auprès de personnes aux prises avec un trouble mental grave ont longuement discuté des diverses mesures d’accommodation facilitant le maintien en emploi. Ces mesures d’accommodation sont développées pour permettre aux individus de maintenir leur productivité et répondre aux tâches et fonctions essentielles.

Dans une étude descriptive effectuée en 1995, Marrone et al. ont noté l’importance d’avoir du soutien des collègues, du réseau social, au niveau du développement des habiletés, de la gestion de soi et du soutien organisationnel afin d’aider les personnes souffrant d’un trouble mental grave à conserver leur emploi. Les soutiens rapportés par Marrone et al. se rapprochent de certains types de soutiens identifiés par les participants. Le soutien des collègues est relié à l’intégration professionnelle et sociale ; le soutien du réseau social se rattache aux ressources environnementales ; le soutien au niveau du développement des habiletés et le soutien au niveau de la gestion de soi s’agencent avec l’intégration des habiletés de rendement occupationnel et les activités de gestion médicale et de la santé ; enfin, le soutien organisationnel est relié aux mesures d’accommodation au niveau de la productivité.

Dans une étude qualitative de type étude de cas destinée à identifier des sphères d’interventions de soutiens nécessaires au maintien en emploi, Coles (1996) a obtenu comme résultats l’anxiété, les problèmes de mémoire, les difficultés de concentration et une meilleure connaissance de la maladie. L’anxiété et une meilleure connaissance de la maladie correspondent au soutien au niveau de la gestion médicale et de la santé tandis que les problèmes de mémoire et les difficultés de concentration sont reliés aux stratégies compensatoires au niveau des composantes cognitives (mesures d’accommodation).

Quoique l’objectif de l’étude soit similaire aux autres, le sujet abordé était différent ; l’identification des soutiens s’est faite à partir de la perspective des personnes souffrant d’un trouble mental grave. Les commentaires des participants sur les activités associées aux rôles occupationnels autres que le rôle professionnel suggèrent que non seulement l’emploi mais aussi les autres sphères occupationnelles de l’individu affectent le maintien en emploi et l’équilibre occupationnel. Selon les participants, les interventions de soutiens à l’emploi doivent considérer à la fois les enjeux résidentiels et communautaires de même que ceux directement associés à l’emploi.

Implications cliniques

Plusieurs études examinant le rôle du soutien dans le maintien en emploi ont conclu que l’instauration de tels soutiens avait un lien avec la conservation de l’emploi (Becker et al., 1998 ; Chandler et al., 1997 ; Cook et al., 1992 ; Cook et Pickett, 1994 ; Cook et Razzano, 1992 ; McHugo et al., 1998). Ainsi, la présente étude vient ajouter au corpus de connaissances des éléments à considérer dans la réadaptation professionnelle des individus aux prises avec un trouble mental.

Les résultats offrent de nouvelles pistes d’interventions et de réflexions au niveau de la réinsertion professionnelle puisqu’ils explorent, à partir de la perspective des personnes utilisatrices, les soutiens continus à instaurer pour maintenir un emploi. En effet, peu d’attention a été accordée à l’expérience subjective des personnes dans leur processus de réinsertion professionnelle et de maintien en emploi. De plus, les enjeux associés à l’emploi ont souvent été ignorés. Les professionnels de la santé mentale doivent accorder une plus grande importance au rôle que l’emploi joue dans le processus de rétablissement. Ils doivent aussi prendre conscience que ces personnes peuvent obtenir et maintenir un emploi sur le marché régulier avec des soutiens ajustés à leurs besoins. L’approche clinique requiert un changement de vision concernant la nature et la durée des soutiens à offrir. En fait, il faut préconiser une approche où les soutiens seront variés, associés à l’emploi, au milieu résidentiel et à la communauté et offerts sur une période continue. Les valeurs et les attentes des professionnels de la santé sont souvent les éléments qui déterminent la nature et la durée des soutiens. Ce changement de vision permettra aux personnes d’exprimer leurs besoins de soutiens favorisant l’atteinte de leurs objectifs et préférences professionnelles. Les professionnels doivent être là pour faciliter et développer les soutiens en plus de travailler avec les qualités et les forces personnelles de l’individu.

De façon générale, les résultats de l’étude suggèrent que le développement de soutiens reliés directement ou non à l’emploi puisse influencer positivement le maintien en emploi des personnes aux prises avec un trouble mental grave.

Les résultats sont particulièrement importants pour le domaine de l’ergothérapie puisqu’ils permettront de favoriser le maintien d’une occupation. La participation à une occupation significative s’avère un point central des connaissances et de la pratique de l’ergothérapie (Moll et Cook, 1997 ; Yerxa, 1994). Avec une analyse occupationnelle de l’environnement, de la personne et de l’emploi, les ergothérapeutes peuvent facilement intégrer les résultats dans leur pratique en réadaptation professionnelle.

Implication pour la recherche

Les limitations majeures de l’étude sont reliées aux caractéristiques de l’échantillon. Bien que les participants ont été choisis selon des critères, leur expertise et leur apport, il n’en demeure pas moins que les résultats ne peuvent être généralisés en raison de la taille de l’échantillon (n = 6).

Il importe également de mentionner que malgré les avantages de l’entrevue semi-dirigée, ce mode de collecte de données laisse place à la subjectivité. Bien qu’il permette de faciliter l’émergence d’éléments significatifs, ce type d’entrevue demeure à la merci de la capacité du participant à exprimer ses connaissances et son expérience. De plus, comme l’analyse des données repose sur l’expérience et la personnalité du chercheur, l’interprétation du contenu des entrevues est influencée par sa subjectivité. Par contre, l’utilisation d’un journal de bord et des transcriptions en verbatim a permis d’améliorer la crédibilité et l’objectivité des résultats.

Finalement, cette étude aura permis d’identifier des domaines de soutiens influençant positivement le maintien en emploi à partir de la perspective des personnes aux prises avec un trouble mental grave. Des recherches additionnelles sur l’instauration de ces soutiens sont requises pour déterminer leur influence et leur importance relative dans le maintien en emploi. De plus, il serait fort intéressant de connaître la perspective des employeurs et des collègues. Enfin, des études longitudinales sur le maintien en emploi permettraient d’identifier des liens entre les types de soutiens et la durée du maintien en emploi.

Conclusion

Le maintien en emploi de même que la réinsertion professionnelle chez les personnes aux prises avec un trouble mental grave occupent une place importante dans le processus de réadaptation et de rétablissement de ces personnes. Cette étude collective de cas sur les soutiens continus à instaurer aura permis de définir des domaines de soutiens associés au maintien en emploi. Ces domaines de soutiens touchent à la fois les enjeux associés à l’emploi et les enjeux associés au milieu résidentiel et à la communauté. Les rôles occupationnels interagissent les uns avec les autres. Il s’avère donc important que les personnes reçoivent l’aide nécessaire pour assumer l’ensemble des rôles occupationnels désirés et y maintenir un équilibre.

Finalement, dans un souci de faciliter le changement de vision préconisé, le développement professionnel des intervenants sera un enjeu incontournable pour l’amélioration de l’intervention dans le domaine du soutien à l’emploi.