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L’agressivité et la violence non traitées chez les personnes souffrant de psychose sont des enjeux communautaires et de soins de santé importants. Les résultats d’une étude communautaire multivariée réalisée en 1990, et regroupant des données de trois sites du NIMH Epidemiologic Catchment Area (ECA), démontraient que, chez les individus souffrant de psychose, la probabilité était trois fois plus élevée qu’ils posent des actes violents au cours d’une année que la population générale (Swanson et al., 1990). Un consensus s’est depuis dessiné grâce à des études qui ont rapporté des résultats similaires (Lindquist et Allebeck, 1990 ; Link et al., 1992 ; Monahan, 1992 ; Monahan et Steadman, 1994 ; Swanson, 1994 ; Mullen, 1997). On estime que 20 % des patients admis à l’hôpital pour la première fois et souffrant de schizophrénie ont eu des antécédents de comportements agressifs, ou mettant la vie en danger (Humphreys et al., 1992 ; Volavka et al., 1997). Les taux de comportements agressifs et violents demeurent élevés pendant l’hospitalisation, les estimés oscillant entre 18 % et 64 % (Arango et al., 1999 ; Ehmann et al., 2001) et la moyenne approximative atteignant 13 % chez les patients souffrant de psychose au cours de l’année qui suit leur sortie (Monahan et Applebaum, 2000). Il faut par ailleurs, tenir compte des mises en garde suivantes : 1) l’accroissement de l’incidence de comportements violents chez les personnes souffrant de psychose est due à un petit sous-ensemble de cette population (Swanson et al., 1999 ; Walsh et al., 2002) ; 2) la violence grave demeure un événement rare du point de vue statistique (Link et al., 1992) et 3) les estimations d’actes agressifs et violents varient de façon spectaculaire selon les critères utilisés pour définir de tels incidents. Par exemple, en observant un échantillon de 78 personnes hospitalisées souffrant de psychose, Ehman et al. (2001) ont observé des agressions légères chez 64 % d’entre elles, des agressions moyennement sévères chez 41 % d’entre elles, et de la violence chez 26 % de ces individus.

Un comportement agressif est significativement associé à une faible adhésion aux traitements, à de pauvres résultats et à une pauvre intégration communautaire qui résultent en de fréquentes rechutes et en des réhospitalisations, et par une probabilité accrue d’incarcération et d’itinérance (Monahan et Steadman, 1994 ; Hunter, 2000). Cet effet de « porte tournante » découle dans une large mesure de l’absence de traitements basés sur des données probantes, sur un trop grand recours à une gestion du comportement restrictive, et à des procédures de contrôle (par exemple, contention chimique ou physique et isolement) aux dépens d’un traitement qui vise à altérer les comportements inadaptés (Hunter, 2000 ; Donat, 1998 ; Donat, 2002 ; Paul et Lentz, 1977).

Bien qu’il ait démontré une certaine efficacité (plus particulièrement, la clozapine) pour réduire le comportement agressif chez les personnes souffrant de psychose, le traitement psychopharmacologique de l’agressivité aiguë et répétée demeure inadéquat. Dans leur examen de 2002, Brieden et al. ont conclu que le nombre et la variété des traitements pharmacologiques recommandés à travers les études recensées, indiquent un manque de connaissance, au sujet des fondements neurobiologiques de l’agressivité, et du traitement chimique qui en découle. En cas de non-respect de la médication, ils proposent de faire appel à de très puissants neuroleptiques et benzodiazépines IM de première génération. On sait très bien par contre que le recours à des régimes de médication à forte dose qui servent à anesthésier et qui engendrent des effets secondaires néfastes (par exemple, l’akathisie) peut exacerber le comportement agressif chez des patients déjà agressifs (Hunter, 2000 ; Steinert et al., 2000). Plus important encore, ces auteurs, et quelques autres (Crowner et al., 1994 ; Nolan et al., 2003 ; Krakowski et al., 1999), signalent qu’il est difficile de généraliser à partir des preuves empiriques actuelles, étant donné la diversité des définitions opérationnelles de l’agressivité et des lacunes des méthodologies d’évaluation. La plupart des études portant sur les traitements psychosociaux et non pharmacologiques de l’agressivité souffrent de lacunes méthodologiques semblables. Toutefois, comme nous en discutons plus loin, ces traitements ont des taux de succès élevés. Ils apportent une approche multidimensionnelle qui, alliée à des interventions pharmacologiques appropriées, a démontré qu’elle assure les interventions les plus efficaces pour réduire l’agressivité et la violence.

Le but de cette recension est de 1) décrire les traitements non pharmacologiques qui ont fait preuve d’efficacité pour réduire l’agressivité et la violence chez les personnes souffrant de psychose ; 2) présenter une approche de formulation de cas/planification du traitement qui aborde les influences étiologiques complexes, et les facteurs multiples qui jouent sur le maintien du comportement agressif chez ces patients et 3) fournir en exemple un cas où l’on se sert de cette approche.

Les traitements psychosociaux

Parmi les traitements psychosociaux qui existent, l’apprentissage social et les traitements comportementaux affichent de loin le plus grand nombre de données probantes et le plus d’efficacité. Nous limiterons donc notre recension surtout à ces types de traitements. Les approches comportementales et axées sur l’apprentissage social sont basées sur le fait qu’apprendre constitue un processus biologique d’adaptation par lequel les organismes agissent afin de maximiser le renforcement, et de réduire toute stimulation aversive (Liberman, 1978). Lorsque ce processus dérape, un organisme peut engendrer des comportements qui produisent des avantages à court terme, mais qui sont inadaptés à long terme. Les programmes comportementaux et d’apprentissage social défient ces comportements inadaptés de deux manières : 1) ils restructurent de manière concrètement évidente l’ensemble des renforcements, de telle sorte que les avantages à court terme de comportements socialement intolérables ne peuvent plus être obtenus, et que les comportements à caractère sociable sont fortement renforcés et 2) ils enseignent des habiletés sociales que l’on considère propice à l’adaptation à la société élargie, habiletés qui peuvent s’être détériorées ou qui n’auraient jamais été apprises. De cette manière, ces approches facilitent le développement de comportements de remplacement qui permettront à la personne de mieux réussir en société, et de réduire la manifestation de comportements intolérables. Cette approche entraîne un avantage méthodologique supplémentaire soit l’évaluation objective des comportements problématiques et des effets du traitement sur une base continue.

Le malade hospitalisé

Dans le contexte de l’hospitalisation, les procédures de contrôle et de gestion (par exemple, la médication, l’isolement et la contention) sont les interventions traditionnelles le plus fréquemment utilisées en cas de comportements agressifs (Corrigan et al., 1992). De par leur nature même, ces interventions sont réactionnelles, ne fournissent aucune occasion au patient d’acquérir de façon proactive des réponses alternatives, et sont donc d’une efficacité limitée. De plus, la soudaine avalanche d’attention et d’excitation émotionnelle pourrait renforcer le comportement agressif, rendant encore plus difficile son élimination à long terme. Trente années de données empiriques suggèrent une voie alternative viable ; ces données démontrent que, lorsqu’on organise les unités de traitement autour des principes comportementaux et de l’apprentissage social, l’agressivité et la violence chez la population des patients souffrant de psychose sont réduites (Paul et Lentz, 1977 ; Beck et al., 1991 ; Glynn et Mueser, 1992 ; Corrigan et al., 1993 ; Bellus et al., 1999 ; Wong et al., 1988 ; Ayllon et Azrin, 1968 ; Kazdin, 1982).

Le programme d’apprentissage social (Social Learning Program, SLP) élaboré par Paul et Lentz (1977) constitue l’exemple le plus global de l’approche comportementale et de l’apprentissage social. Cette étude bien contrôlée, échelonnée sur six ans, décrit l’intervention la plus efficace pour n’importe quel autre type de traitement des personnes souffrant de psychose. En bref, la structure du programme est la suivante : elle fait appel à une économie de jetons qui systématise la prestation de renforcement matériel pour toute une gamme de comportements adaptatifs, et fait appel à des coûts de réponse (amendes de jetons) pour les comportements socialement intolérables. Les récompenses et les amendes de jetons sont jumelées à une rétroaction verbale positive programmée comme renforcement additionnel, et à des pénalités comme de brèves périodes de temps d’arrêt du renforcement pour des infractions au programme. Globalement, le rendement dans des domaines de comportement spécifiés détermine le niveau d’indépendance et d’accès aux privilèges. Ces techniques permettent de très bien anticiper l’accès aux récompenses et privilèges, si l’on fait preuve d’une autonomie accrue en matière de contrôle de soi et d’aptitudes sociales. Les données quant à l’efficacité de ce genre de programme pour réduire les comportements agressifs chez les adultes souffrant de psychose, de même que chez des populations hétéroclites de jeunes au sein du système de soins de santé mentale, sont impressionnantes (Paul et Lentz, 1977 ; Beck et al., 1991 ; Bellus et al., 1999 ; Schur et al., 2003).

Dans l’étude de Paul et Lentz (1977), on a assigné de façon aléatoire 84 patients très violents à l’une de trois unités de traitement : 1) le modèle traditionnel, médical et de soins en milieu surveillé ; 2) le thérapie de milieu, axée sur l’administration par les patients (patient-government) ; et 3) le SLP. Après six mois, le comportement violent a nettement diminué, à la fois dans le milieu de thérapie et au sein des unités SLP. Toutefois, le SLP seul a démontré une amélioration nettement supérieure dans tous les domaines (cognitif, symptomatique, fonctionnement social, etc.) et dans les taux de congé. Une deuxième étude contrôlée comparant le SLP et les unités de soins traditionnels dans un autre État est arrivée aux mêmes conclusions, à la fois dans le cas des comportements violents et ceux d’automutilation (Bellus et al., 1999). On a obtenu des résultats indiquant aussi une baisse sensible des comportements violents lorsqu’on a implanté le SLP chez des personnes souffrant de psychose chronique, et bénéficiant de services de psychiatrie légale (Beck et al., 1991). D’autres chercheurs ont rapporté les effets bénéfiques de l’économie de jetons sur les comportements agressifs (Liberman, 1978 ; Wong et al., 1988 ; Ayllon et Azrin, 1968), et de l’introduction systématique de comportements de remplacement par l’entremise d’un entraînement aux habiletés de vie autonome (Corrigan et al., 1993 ; Liberman, 1978 ; Wong et al., 1988 ; Frey et Weller, 2000 ; Wallace et al., 1973). Presque toujours, ces interventions sont jumelées à l’utilisation d’un temps d’arrêt du renforcement comme conséquence à un comportement agressif. La recherche sur l’utilisation par les patients d’un temps d’arrêt auto-contrôlé dans de tels contextes, a démontré une baisse significative des interactions dangereuses comparativement aux mesures d’isolement et de contention (Glynn et Mueser, 1992).

Lorsque des interventions au niveau d’un service hospitalier, telles que l’économie de jetons, n’ont pas réglé suffisamment les comportements agressifs, l’ajout de contrats de comportements individualisés réduit davantage l’agressivité, le recours à l’isolement et à la contention, et a donc diminué les blessures reliées aux procédures restrictives (Silverstein, 1997 ; Donat, 1998 ; Wallace et al., 1973 ; Longo et Bisconer, 2003 ; Wong et al., 1987). Par exemple, Donat (2002) a observé que le seul prédicteur significatif d’une diminution de 75 % du besoin d’isolement ou de contention pour les comportements de perte de contrôle et d’agressivité, au cours d’une période de cinq ans dans un hôpital d’État, était une révision administrative des cas menant à la mise en oeuvre des plans de traitement individualisés des comportements. Les contrats reliés aux comportements ont aussi connu un important succès lorsqu’ils ont été conclus avec des patients à l’externe (Heinssen, 2002).

L’un des aspects les plus critiques de la réussite, lors de la mise en oeuvre d’un programme comportemental, est l’adhésion soutenue des membres du personnel aux principes directeurs (par exemple, les techniques de renforcement). En effet, l’environnement assuré par les contacts sociaux avec le personnel est un important prédicteur de comportement agressif chez les personnes souffrant de psychose (Liberman, 1978). Traditionnellement, on croyait qu’il suffisait d’augmenter le ratio personnel/patient pour réduire les comportements agressifs. Il existe certaines preuves à cet effet (Donat, 2002). Toutefois, Coleman et Paul (2001) ont démontré que le ratio personnel/patient était un faible prédicteur d’efficacité et des taux de congé du service. C’est plutôt le degré d’attention propre à la philosophie du programme, (par exemple, le renforcement verbal positif), accordé aux patients par le personnel pendant leur traitement à l’interne, qui était un très bon prédicteur de l’efficacité du service et du succès suite au congé.

Tout comme on peut associer le personnel, qui dispense un taux élevé de renforcement positif pour les comportements adaptés, à l’amélioration du comportement, les comportements d’hostilité et de rejet de la part du personnel peuvent mener à des augmentations de la psychopathologie, de l’agressivité et de la violence. Il y a une corrélation entre le rejet accru par le personnel des personnes souffrant de psychose et une désorganisation cognitive et comportementale plus marquée, et de plus faibles aptitudes sociales, davantage d’irritabilité et des symptômes psychotiques apparents (Coleman et Paul, 2001). Bien que l’on ne puisse établir clairement la direction de la causalité dans cette étude, Whittington et Wykes (1996) ont constaté que 82 % des agressions à l’endroit du personnel avaient été immédiatement précédées d’un stimulus aversif dirigé vers le patient par l’infirmier agressé. Finalement, il y a des preuves à l’effet qu’à mesure que les compétences du personnel s’améliorent, l’isolement, la contention et les blessures diminuent (Donat, 2002).

Le patient externe

Malgré l’évidente baisse de l’agressivité et de la violence après la mise en oeuvre de programmes de traitements comportementaux chez des patients hospitalisés, il existe peu d’études contrôlées portant sur le traitement psychosocial de la violence et de l’agressivité chez les personnes souffrant de psychose dans des milieux résidentiels, et des programmes externes de traitements. Cody et al. (2002) ont observé que, malgré le mandat précis en vertu du Nursing Home Reform Act (1987) de recourir à des interventions non pharmacologiques avant d’avoir recours aux médicaments pour s’occuper des comportements problématiques en « nursing homes » (centres d’accueil), on a rapporté peu d’augmentation du recours à des interventions non pharmacologiques. Ceci est particulièrement pertinent pour les personnes souffrant de psychose qui vivent dans la communauté, puisqu’on estime que 68 % à 94 % des résidants des « nursing homes » sont atteints de maladies mentales, la plupart d’entre eux souffrant de démence ou de psychose.

Les études existantes appuient le recours soutenu à des programmes psychosociaux structurés pour les personnes souffrant de psychose après leur congé des centres hospitaliers. Paul et Lentz (1977) ont décrit un processus de congé réussi en vertu duquel les patients et le personnel profitaient de séances de rappel selon les principes SLP par les intervenants de l’unité SLP, en fonction de la réduction de la fréquence des contacts à la suite des congés. Ces patients ont connu des séjours dans la communauté significativement plus longs, et des résultats plus positifs (et avaient besoin de moins de médication), que les patients ayant pris congé d’autres unités de soins. Bien que le comportement agressif n’était pas ciblé spécifiquement, on peut conclure à une baisse continue de ces comportements vue l’absence d’un retour à un environnement plus restrictif. Swanson et al. (2000) ont mené une étude randomisée avec groupe contrôle d’un an des effets de l’engagement en ambulatoire (outpatient commitment, OPC) sur le comportement violent des personnes souffrant de psychose. Le programme OPC, non obligatoire, est une intervention légale conçue pour fournir du soutien social et de l’aide aux personnes souffrant de troubles mentaux graves, afin que ces dernières utilisent des soins psychiatriques communautaires existants dans les cas où elles sont incapables, ou encore résistent à se défaire de ces comportements violents. Dans cette étude, on a assigné de façon aléatoire 262 patients, soit au programme OPC, soit au groupe contrôle. Les participants du groupe OPC ont démontré une amélioration significativement plus importante à partir de la ligne de base, en matière de respect de la médication et d’abus de substance. Ces scores de changements ont prédit significativement une réduction de l’incidence de comportements violents au cours de l’année du suivi. Il y a aussi des preuves à l’effet que la formation systématique des case managers, à l’évaluation comportementale et aux principes de traitement, se traduit par une réduction de la violence dans la communauté (Weisman et Lamberti, 2002).

Résumé et recommandations

Dans leur ensemble, les données ci-dessus portent à croire que les changements du comportement agressif et violent sont une conséquence prévisible des facteurs de traitement précis. Les preuves indiquent clairement que l’agressivité peut être modifiée à l’aide d’un contact soutenu avec des soins en santé mentale, l’adhésion aux traitements, le recours à des techniques comportementales et d’apprentissage social, et à des agents pharmacologiques indiqués. Comme de nombreux autres intervenants, nous recommandons que le traitement de comportements agressifs et violents chez les personnes souffrant de psychose se fonde sur une évaluation sophistiquée des facteurs contributifs personnels et environnementaux. Tel que l’indique le Tableau 1, les résultats d’études récentes des prédicteurs et des mécanismes de l’agressivité chez les personnes souffrant de psychose supposent un réseau causal complexe de nombreux facteurs, à la fois personnels et environnementaux, qui influencent de façon interactive le comportement agressif chez ces personnes. Pour bien aider ces personnes, il faudrait que la formulation de cas et que les stratégies de traitement reflètent ces tendances, lors de la modélisation des sentiers de causalité de l’agressivité chez ces patients. On décrit plus bas une telle approche de la formulation de cas.

Le modèle fonctionnel multimodal

Le modèle fonctionnel multimodal (Multimodal Functional Model, MFM) correspond à une perspective intégrée biomédicale-psychologique-socio-environmentale de la planification du traitement. « Multimodal » se rapporte aux multiples modalités d’influence (par exemple, biomédicale, psychosociale, etc.) sur le comportement d’une personne. Le terme « fonctionnel » sous-entend la présomption selon laquelle il est mieux d’envisager les symptômes d’un patient comme l’aboutissement d’un sentier commun final de ses adaptations fonctionnelles aux exigences personnelles (allant du physiologique à la personnalité) et de l’environnement. Le but ultime de cette approche est de concevoir des interventions pour remplacer des adaptations socialement inappropriées par des comportements plus normaux. L’avantage de cette approche est que les interventions qui en résultent ne sont plus axées exclusivement sur le contrôle et la gestion du comportement, mais constituent des efforts de traitement qui s’occupent directement des déficits ou des excès psychosociaux qui concourent aux comportements du patient. On décrit ci-dessous la collecte des données et les outils d’analyse fonctionnelle, ainsi que des méthodes dérivées pour ce modèle MFM.

Tableau 1

Prédicteurs de l’agressivité et de la violence chez les personnes avec psychose (PI).

Prédicteurs de l’agressivité et de la violence chez les personnes avec psychose (PI).

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Les formulations diagnostiques MFM

Étape 1 : évaluer le déclenchement et établir les conditions

Premièrement, on établit et on définit opérationnellement l’ensemble précis des symptômes ciblés ou des comportements en cause, afin que l’ensemble du personnel et que le patient soient en mesure de les reconnaître rapidement lorsqu’ils apparaissent, et puissent mesurer leur intensité, leur durée et leur variabilité. Deuxièmement, on élabore des formulations diagnostiques précises au sujet de la signification fonctionnelle des comportements et des symptômes, en prenant en considération le contexte élargi au sein duquel ils se manifestent. L’ensemble du personnel devrait participer à l’identification des conditions de stimuli actuels externes (par exemple, la perte d’un être cher, les options limitées en matière de logement) et internes (par exemple, l’anxiété, la colère chronique, la sédation iatrogène). On considère que chacune des conditions de stimulus a une fonction instigatrice primaire ou secondaire. Les influences primaires (ou « déclencheurs ») sont celles qui doivent être présentes pour que le comportement (symptôme) se produise. Par exemple, la demande d’une tâche sur un ton sévère pourrait déclencher une incidence de comportement agressif. Les influences instigatrices secondaires sont les conditions « scéniques », c’est-à-dire celles dont la présence augmente ou réduit la probabilité que le symptôme ou que le comportement se manifeste en présence de l’instigateur primaire. Par exemple, notons la privation de sommeil, la douleur physique, un bruit étranger incontrôlable, la confusion, des effets secondaires de la médication, etc. Ainsi, le patient pourrait ne pas devenir agressif si on lui demande une tâche sur un ton sévère s’il n’est pas privé de sommeil. Le manque de sommeil le prédispose à réagir davantage au ton sévère.

Étape 2 : évaluer le but du comportement

Puis, le personnel soignant élabore des hypothèses au sujet des raisons ou des fonctions que remplissent les comportements/symptômes (par exemple, moduler la douleur, éviter le rejet, attirer l’attention). Il faut noter que certains symptômes (par exemple, les hallucinations) pourraient correspondre plus directement à des anomalies neurobiologiques sous-jacentes. Toutefois, même si ces symptômes commencent souvent à acquérir des caractéristiques fonctionnelles à mesure qu’ils s’associent à des conséquences distinctes de renforcement, on peut observer un changement de la fréquence, de la durée ou de l’intensité en fonction de conséquences spécifiques (par exemple, attirer l’attention, être laissé seul, etc.).

Étape 3 : évaluer les influences de vulnérabilité

Ensuite, on évalue les influences tertiaires ou de vulnérabilité. Les conditions de stimulus tertiaires sont des difficultés continues ou des déficits qui interagissent avec les stimuli primaires et secondaires qui accroissent ou réduisent la probabilité de manifestation des comportements ou des symptômes visés. Entre autres exemples, notons des déficiences sensorielles, des caractéristiques de la personnalité et des habiletés de communication limitées. Ces conditions tertiaires servent d’avenues aux efforts de réhabilitation et de stratégies de coping qui améliorent l’immunité de la personne aux problèmes potentiels. Finalement, tenter de modéliser l’interaction entre les conditions primaires, secondaires et tertiaires de stimuli à travers les variables à la fois externes et internes, mène à une compréhension détaillée de comment émergent des comportements anormaux et oriente la conception d’interventions ciblées.

L’évaluation globale à l’aide de catégories d’influences instigatrices peut donc nous orienter vers des facteurs de risque objectivement définissables, et vers une planification de traitement dirigé comportant des interventions multimodales. C’est ce qui mène à des résultats améliorés. Par exemple, dans le cas d’un patient qui devient agressif en réponse à des taquineries de la part d’autres patients (instigateur primaire), dans un contexte où il éprouve de l’akathisie (instigateur secondaire), et souffre d’un déficit au niveau des habiletés de communication (instigateur tertiaire), on peut voir à ajuster sa médication et à lui assurer un entraînement en habiletés sociales, afin qu’il puisse faire face aux taquineries et apprenne de meilleures habiletés de communication. Ces interventions seraient mises en oeuvre de façon séquentielle, de pair avec des changements dans les comportements agressifs évalués continuellement afin d’établir les bienfaits de chacune des interventions.

La collecte des données

Le processus de diagnostic se fait en collaboration, et un dialogue direct avec le patient au sujet de ses perceptions des influences significatives sur les comportements ciblés (symptômes), et au sujet de ses objectifs et motivations, s’avère crucial. De plus, la collecte des données de base et la collecte continue de données au cours du traitement, est la deuxième composante servant à établir à la fois les événements instigateurs et les conséquences, de même que l’envergure du comportement. Les outils de collecte de données utilisés de pair avec le MFM comprennent la Patterns and Trends Datasheet (PTD) et les cartes CABC. La PTD est un registre du moment, de la fréquence, de la durée et de la variabilité du comportement ciblé. Il permet la collecte des données à chaque demi-heure de la journée au cours d’une période d’un mois, afin que l’on puisse facilement discerner les modèles des données. Les cartes CABC permettent la cueillette épisodique de renseignements portant sur le contexte, les antécédents et les conséquences associées à chacune des incidences du comportement ciblé. On peut habituellement discerner les facteurs qui influencent le comportement agressif et violent, lorsqu’on passe en revue les données recueillies après plusieurs jours.

Évaluation fonctionnelle et analyse

Étant donné que le processus de formulation diagnostique est particulier selon le cas, les activités d’évaluation visent à comprendre les comportements (symptômes) dans leur rapport aux influences personnelles et environnementales propres à chacun des individus. Dans ce processus, les hypothèses diagnostiques sont formulées à la fois pour les conditions antécédentes (les influences instigatrices) et les conditions conséquentes, puisqu’elles peuvent influencer à la fois les variables externes (environnementales) et internes (personnelles). Comprendre comment les conséquences (le renforcement positif, le renforcement négatif, la rétroaction sensorielle, etc.) sont liées aux comportements inadaptés, aide aussi à concevoir des stratégies d’interventions ciblées.

Le processus est le suivant. Pour chacun des symptômes ou comportement, le membre de l’équipe multidisciplinaire, le plus apte à évaluer une modalité particulière d’influence, élaborera des hypothèses au sujet des conditions instigatrices et aggravantes propres à cette modalité prétendument reliée au comportement ciblé. Puis, on élabore des hypothèses quant au niveau d’influence de chacune des conditions (primaire, secondaire, tertiaire), et les propriétés fonctionnelles du comportement. Enfin, on formule des idées au sujet des interventions possibles.

Faire le lien entre les hypothèses diagnostiques fonctionnelles et les interventions

Il est important d’établir le lien entre chacune des interventions et une hypothèse particulière. Pour chacune des hypothèses, on établit une intervention précise ou un ensemble d’interventions. On met ensuite l’hypothèse à l’épreuve, par le biais d’une intervention dans le cadre d’un plan par étapes systématiques, qui permet de tester une hypothèse à la fois, avant d’en introduire une nouvelle. On prend note du changement attendu, basé sur des buts objectivement mesurables, et d’un échéancier au cours duquel le changement devrait survenir. On poursuivra les hypothèses et les interventions afférentes jugées utiles selon les données ; on rejette celles qui ne s’avèrent pas utiles après collecte des données et vérification des hypothèses, et on met à l’épreuve l’hypothèse suivante. À mesure que le processus avance, on accumule une banque de données au sujet de ce qui fonctionne, et comment chaque intervention subséquente augmente l’effet du traitement, ainsi qu’un registre de ce qui a été essayé auparavant et de ses effets. Ce système de formulation de cas et de résultats d’interventions donne un programme de traitement rationalisé qui, avec le temps, ne comprend plus que les interventions qui suscitent des avantages mesurables chez le patient. Ainsi, l’impardonnable pratique de poursuivre des interventions inefficaces, ou encore peu efficaces (y compris des médications particulières), pendant des années est remise en question par un examen constant des données quant aux résultats, et par la formulation d’hypothèses au fur et à mesure.

Alimenté par les propriétés fonctionnelles des comportements individuels, le traitement multimodal efficace mène continuellement au raffinement des hypothèses diagnostiques et des choix d’interventions. L’identification des propriétés fonctionnelles des comportements mène à l’utilisation ciblée d’interventions comportementales, validées de façon empirique, qui 1) apprennent au patient des moyens d’expression adaptés ; 2) fournissent des comportements de remplacement pro-sociaux et 3) encouragent le développement et l’utilisation de stratégies de coping, qui augmentent l’immunité des conditions tertiaires existantes associées au trouble du comportement. Basé sur la recension de la littérature qui souligne la complexité étiologique du comportement agressif et violent chez le patient souffrant de psychose, et la nature très interactive des facteurs de risque qui suscitent leur maintien, l’utilité d’un tel modèle pour le traitement de l’agressivité et de la violence chez le patient souffrant de psychose est évidente.

Nous concluons par une étude de cas qui illustre concrètement comment l’alliage de la gestion du milieu, de l’évaluation fonctionnelle du comportement à l’aide du MFM et des contrats thérapeutiques individuels, peut réussir à mener à une réduction de la violence et des comportements inadaptés, tout en faisant augmenter les comportements à caractère sociables. Le patient a reçu ses soins du programme Second Chance du Weill Medical College of Cornell University/New York Presbyterian Hospital, à la section de Westchester. Il s’agit d’un programme intensif de réhabilitation comportementale et d’apprentissage social hospitalier, qui comprend la gestion du milieu à l’aide d’une économie de jetons et d’un système basé sur des points de privilèges, ainsi que des interventions de groupe et d’apprentissage individuel aux habiletés, et une pharmacothérapie de pointe. Tous les patients admis arrivent directement des hôpitaux d’État où ils ont été considérés comme étant réfractaires au traitement, et ont été hospitalisés en moyenne environ sept années consécutives.

Contrat thérapeutique avec Gary utilisant le MFM

Description des comportements

Gary est un homme de race noire âgé de 28 ans avec un diagnostic DSM-IV de dépression majeure avec caractéristiques psychotiques en rémission, et une histoire de polytoxicomanie (dépendance au cannabis, alcool et abus de cocaïne crack) et une déficience motrice importante (des mouvements d’apparence choréique incontrôlables des jambes, des bras, du tronc, du cou, de la langue et dystonie). Il a été référé au programme Second Chance dans le but de traiter ses problèmes de contrôle du comportement, qui l’empêchaient de retourner dans la communauté. Il a été transféré de l’hôpital d’État où il avait passé 2 ans dans une unité de soins (environnement- physique, condition de milieu secondaire), période au cours de laquelle il avait eu peu de contact avec sa famille — chose qu’il désirait ardemment (environnement- psychosocial, condition de milieu secondaire). Les symptômes psychotiques de Gary étaient en rémission, et les symptômes affectifs et son trouble du mouvement étaient en partie sous contrôle, grâce à des médicaments au moment où il est arrivé à notre programme. Ces médicaments incluaient l’olanzapine 15 mg qhs ; la méthadone 10 mg bid (pour la douleur due à sa déficience motrice) ; le gabapentin, 600 mg bid ; le baclofène, 200 mg qhs ; le trihexyphénidyle, 22,5 mg qam ; la sertraline, 100 mg qhs, et le lorazepam 2 mg bid.

Fonctionnellement, on définissait le manque de contrôle de Gary sur son comportement comme se caractérisant par de bruyants gémissements, des cris, des pleurs, marcher à quatre pattes et se tortiller par terre, agripper et prendre quiconque autour de lui dans ses bras, se déshabiller et supplier les autres de l’aider à enlever ou ajuster ses vêtements. Au tout début de la phase d’évaluation, il n’était pas clair quels événements primaires déclencheraient cet ensemble de comportements. Toutefois, l’enclenchement de ces comportements semblait largement corrélé à la gravité de son trouble du mouvement (personnel — condition motrice tertiaire) qui, par ricochet, semblait lui causer plus de détresse (personnel — déclencheur primaire : motricité). Au cours des premiers jours, Gary afficha ces comportements environ sept heures par jour. Initialement, ces comportements étaient d’une telle gravité (se tordre, crier et pleurer) qu’il se retrouva sous contention ou en isolement pour une grande partie des deux premières journées. En ce qui a trait aux conséquences, ces comportements — bien qu’au départ très effrayants pour les autres patients et le personnel soignant — ont fini par mobiliser les autres pour répondre à ses besoins, et l’aider à réduire sa détresse (par exemple, des patients l’aidaient à ajuster ses vêtements ou lui apportaient de l’eau, le personnel soignant tentait de lui parler et de le calmer). En fin de compte, des événements positifs lui étaient donc présentés en conséquence de ses comportements.

Hypothèses

La première opinion de plusieurs membres du personnel était que Gary n’était « pas soignable » à l’aide d’interventions comportementales, et devait être transféré dès que possible à une unité médicale dans un autre hôpital pour qu’on s’y occupe d’un trouble neurologique inconnu (personnel — condition tertiaire biomédicale). Une autre hypothèse était à l’effet qu’il souffrait à la fois d’un trouble du mouvement grave, et qu’il démontrait une réaction sévère d’anxiété/ajustement au changement de domicile (environnement — condition de stimulus physique et psychosociale secondaire due au milieu), et que les symptômes observés étaient essentiellement de nature psychologique. Cette dernière hypothèse était basée en partie sur des observations antérieures du patient à son ancien hôpital, le fait qu’il avait récemment passé une journée au tribunal sans perdre le contrôle de son comportement et, aussi, sur une rencontre avec plusieurs membres du personnel, au cours de laquelle il avait bien gardé le contrôle et avait identifié ses objectifs et ses besoins avec lucidité. Le plan d’intervention multimodale intégré (Figure 3) montre comment cette hypothèse a été davantage développée d’un point de vue multimodal (à l’aide des outils suivants : la fiche technique de diagnostic fonctionnel (Functional Diagnostic Worksheet), et le formulaire de diagnostic et d’intervention propre aux disciplines (Specific Discipline Diagnostic-Intervention Form) : figures 1 et 2) dans un plan d’intervention ciblé, qui nous a permis simultanément de vérifier l’hypothèse et de commencer à s’occuper des excès de comportement. Le personnel qui endossait la deuxième hypothèse croyait que le comportement incontrôlé de Gary s’expliquait par des stratégies de communication enfantines pour attirer l’attention, et le manque d’habiletés sociales adéquates (personnel — conditions de stimulus tertiaires sociales/de coping et de communication) pour que l’on comble ses besoins, et qu’il pouvait apprendre à atteindre ses objectifs en ayant recours à des moyens plus sociables. Les comportements pour attirer l’attention et les mauvaises habiletés sociales et de communication, lorsque Gary se trouve en détresse semblent en partie reliés au fait qu’il aurait été abandonné, et aurait vécu dans des circonstances chaotiques au cours de son enfance (sa mère et son père étaient des trafiquants de drogue, comme il l’est lui-même devenu, et sa mère a été assassinée) (personnel — condition tertiaire sociale/de coping découlant du milieu). Ces comportements sont clairement déclenchés par le fait que ses besoins ne sont pas comblés immédiatement (personnel — événements primaires sociaux/de coping discriminants). Ainsi, les objectifs de traitement fixés ont été d’accroître sa palette de moyens adaptatifs et d’habiletés sociales pour attirer l’attention et combler ses besoins ; de diminuer la fréquence, la durée et l’intensité des comportements incontrôlés, et de lui apprendre des façons de transiger (cope) avec son trouble du mouvement avec des manières adaptées. Étant donné l’intensité et la durée des épisodes de comportements incontrôlés de Gary, on a soulevé l’hypothèse que le recours à la technique du conditionnement opérant à renforcement différentiel d’approximations successives serait vraisemblablement le plus efficace. En d’autres mots, on croyait que son comportement pouvait être façonné pour réduire la durée et l’intensité des épisodes de comportements incontrôlés — en renforçant positivement et successivement un temps d’arrêt moindre pour un bon contrôle de comportement, et en utilisant un temps d’arrêt immédiat des procédures de renforcement au déclenchement de la perte de contrôle..

Figure 1

Formulaire diagnostic fonctionnel multimodal

Formulaire diagnostic fonctionnel multimodal

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Figure 2

Formulaire de diagnostic/discipline spécifique-interventions : Gary

Formulaire de diagnostic/discipline spécifique-interventions : Gary

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Figure 3

Plan intégré d’intervention multimodale (Multimodal Integrated Intervention Plan)

Plan intégré d’intervention multimodale (Multimodal Integrated Intervention Plan)

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Collecte de données

Étant donné que l’analyse fonctionnelle du comportement à l’aide du MFM est enrichie par la collecte de données objectives, le personnel soignant a commencé à colliger des données sur la fréquence et la durée des excès de comportement indiqués plus haut, en se servant de la Patterns and Trends Data Sheet (PTDS) — disponible sur demande auprès de la revue —, afin d’établir si un pattern se discernait quant aux périodes et à la durée des comportements incontrôlés. Le pattern qui a émergé indiquait clairement que tous les comportements, définis d’un point de vue fonctionnel, survenaient ensemble, et avec la même intensité à chacun des épisodes de comportements incontrôlés, et on les a donc ciblés comme un tout. On a observé que les épisodes survenaient surtout le matin et en soirée, avec moins d’incidents se produisant aux heures d’activités plus structurées. De plus, les cotations hebdomadaires des comportements retrouvés dans plus de vingt catégories de comportements socialement intolérables et sociables sont mesurés, méthode faisant partie de la norme du milieu de traitement dans notre programme (voir les articles de Silverstein et al. dans ce numéro), assurant donc des données objectives additionnelles quant à l’évolution de Gary.

Traitement et gestion de comportement

Dans le cadre du traitement, on a apporté des changements à la médication au tout début dans une tentative d’améliorer un peu la gravité de ses mouvements (on a baissé le trihexyphénidyle à 2,5 mg, puisqu’il augmente les mouvements à dose plus élevée, on a retiré le sertraline et ajouté du nortryptyline, puisque les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine contribuent au trouble du mouvement). Bien que son trouble du mouvement semblait démontrer une certaine amélioration après une période de stabilisation au nouveau régime médicamenteux, les écarts de comportement de Gary demeuraient problématiques. On a donc instauré un contrat individuel convenu par le personnel et Gary, faisant appel au renforcement différentiel (voir l’exemple en annexe). En bref, le plan initial prévoyait un renforcement positif (avec un jeton pour l’achat d’un article désiré) pour chaque heure d’éveil, où Gary faisait preuve d’un bon contrôle (défini opérationnellement dans le contrat). S’il perdait le contrôle pendant 4,5 heures ou moins (la durée moyenne de ses épisodes à ce moment), il pouvait gagner des points supplémentaires vers son niveau, et des jetons échangeables contre des cigarettes ou autres articles désirés. De plus, on a précisé dans le plan une procédure systématique de temps d’arrêt de renforcement, afin d’assurer une réponse cohérente aux excès de comportement. La procédure de temps d’arrêt comprenait aussi des contingences basées sur ses capacités de reprendre contrôle. Nommément, on peut considérer le recours à la procédure de temps d’arrêt comme une forme de gestion de comportement ; mais utilisée régulièrement pour un comportement bien cerné et en conjonction avec le renforcement différentiel de comportements de remplacement adaptatifs, on peut le considérer comme une composante essentielle d’une stratégie de traitement. Les plans de comportements subséquents reflétaient la démonstration par Gary d’un plus grand contrôle de ses comportements ; ces plans augmentaient l’accroissement de la quantité de temps d’un bon contrôle requis pour des récompenses. Ceci s’est fait par de petites réductions graduelles, i.e. une diminution du temps accordé aux pertes de contrôle pour rencontrer le niveau médian actuel de Gary ; approximativement 0,5 à 1 heure chaque semaine (par exemple, le plan 1 permettait 4,5 heures de manque contrôle ; le plan 2 = 4 heures ; le plan 3 = 3 heures ; le plan 4 = 2 heures, et le plan 5 = 0,5 heures. Cette succession de plans de comportements correspond à une procédure de façonnement par laquelle le comportement de la personne est façonné vers un objectif optimal précis, à la suite duquel la personne aura appris un comportement socialement plus approprié pour en remplacer un qui est source de mauvaise adaptation. Ce dernier sera éventuellement retiré du plan de comportements.

Mise en oeuvre et réaction

La figure 4 indique les changements au niveau des excès de comportements (définis plus haut) au fil du temps tels qu’enregistrés à l’aide de la Patterns and Trends Data Sheet, au cours d’une période de six semaines. Remarquer que la ligne de tendance (ligne pointillée) a une pente négative importante qui indique une diminution marquée de la durée du manque de contrôle au fil du temps. On voit une certaine variabilité qui peut en partie s’expliquer par différents stimuli « déclencheurs » (des exemples suivent). Des événements importants sont indiqués sur le graphique (par exemple, le moment où les plans de comportements ont été mis en oeuvre, des événements déclencheurs). Fait à remarquer, un arrêt documenté dans l’administration cohérente du contrat initial a eu un effet notable sur les comportements de Gary, ce qui a entraîné une réaction d’éclatement. Bien que la fréquence des comportements inappropriés de Gary ait diminué d’environ sept heures par jour à près d’une heure par jour, les membres du personnel infirmier ont senti qu’ils ne pouvaient « plus l’endurer » au cours d’une de ses épisodes de perte de contrôle, et avaient cédé à sa demande d’une cigarette (un bris du contrat de soins). Comme on pouvait s’y attendre en présence de cette condition d’un renforcement intermittent, la fréquence des comportements inappropriés de Gary a immédiatement augmenté, revenant presque aux niveaux de base. De manière semblable, le jour de son anniversaire, (apparemment aussi le jour où sa mère a été fusillée et assassinée sous ses yeux), semblait servir d’événement déclencheur, résultant en une augmentation substantielle du manque de contrôle pendant deux jours.

Figure 4

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Après une mise en oeuvre plus ordonnée du plan et de la collecte d’autres données (à l’aide de la PTDS), il est devenu clair que la perte de contrôle de Gary s’était concentrée dans les heures du matin (auparavant, il s’agissait à la fois du matin et du début de soirée). Associé à des préoccupations quant à sa demande pressante de benzodiazépines au besoin, ce constat a mené à l’hypothèse selon laquelle son comportement pourrait être du en partie au sevrage de ces médicaments aux petites heures du matin. Cette nouvelle hypothèse fut vérifiée — on lui donna régulièrement une dose de 2 mg de lorazepam dès son réveil. De plus, on modifia le contrat pour y inclure du renforcement positif additionnel pour des comportements contrôlés le matin, sous la forme de récompenses, pour lui-même et les autres membres de son groupe, pour le bon contrôle. Comme l’indique la figure 4 (voir sections intitulées plans 4 et 5), cette intervention mixte a diminué de façon importante la durée, et la fréquence des épisodes de perte de contrôle du matin. De plus, au cours de cette phase de traitement, lorsque Gary amorçait les mêmes excès de comportement, ces derniers avaient perdu une part importante de leur intensité et, soit Gary se retirait lui-même dans la salle de recueillement, soit il adoptait d’autres comportements réconfortants (par exemple, des exercices de relaxation ou l’interaction avec ses pairs). La figure 5 illustre cette baisse de l’intensité et de la fréquence de comportements socialement intolérables au fil du temps. Aussi, une observation régulière du comportement de Gary a démontré une corrélation élevée entre son manque de contrôle au niveau moteur et un dérèglement émotionnel. Dans la dernière phase du traitement, le contrôle au niveau de sa motricité s’était amélioré (bien que toujours incommodante) au cours de toute la période des heures d’éveil. Enfin, Gary a commencé à adopter des comportements plus sociables qui ont augmenté avec les mises à jour des plans de comportement (Figure 6). Les comportements sociables sont cotés par l’ensemble du personnel de l’unité, et comprennent la compétence sociale, la tolérance au stress et au conflit, le soutien et la rétroaction envers les pairs et l’engagement dans des activités autonomes. Veuillez remarquer la tendance ascendante (surtout de l’activité autonome et de la compétence sociale). Il n’est pas clair dans quelle mesure les composantes du traitement mixte (du lorazepam le matin et un renforcement positif additionnel) ont chacune individuellement eu une incidence sur le comportement de Gary. Toutefois, il était clair que Gary avait moins de trouble moteur le matin (vraisemblablement dû au lorazepam), et recourrait à de nouveaux moyens pour résoudre des problèmes tout au long de la journée, lorsqu’il était insatisfait ou ressentait de la douleur ; il faisait aussi preuve d’habiletés sociales améliorées. L’acquisition de nouvelles habiletés sociales et de résolution de problèmes est presque certainement attribuable aux plans de comportement, et à la formation en habiletés sociales qu’il a reçue. Des mises en place distinctes de ces interventions (comme le suggère le recours au MFM) pourraient aborder cette question plus directement. Ce qu’il importe de noter, c’est que sans collecte formelle et constante des données (à l’aide du Patterns and Trends Data Sheet) et des vérifications systématiques des hypothèses, le pattern de perturbation pourrait ne pas avoir été décelé et les interventions pertinentes non reconnues.

Figure 5

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Les limites du MFM

Bien que ce modèle soit séduisant du point de vue de l’investigation scientifique et des perspectives de planification d’un traitement conjoint, il y a certaines limites à la mise en oeuvre du MFM dans les soins de santé routiniers. Le recours à un plan par étapes pour vérifier une hypothèse, à la fois quant à la cause ou au maintien d’un comportement, est souvent considéré peu réaliste dans les milieux actuels de traitement en santé mentale. Par exemple, étant donné les lignes directrices relatives aux normes de soins destinés aux personnes souffrant de psychose, il serait très difficile de mettre à l’épreuve des interventions non pharmacologiques en l’absence de pharmacothérapie chez le patient souffrant de psychose. De plus, la plupart des patients demeurent rarement dans un environnement suffisamment longtemps pour épuiser les hypothèses, et les interventions qui en découlent. Aussi, le personnel soignant est souvent peu formé en observation du comportement, et résiste ou est peu motivé à colliger suffisamment de données pour formuler de bonnes hypothèses. Enfin, le modèle est en grande partie basé sur l’observation du comportement, et son organisation n’intègre pas un processus formel pour discuter avec le patient de ses propres perceptions et objectifs. Ainsi, il devrait être considéré comme complément à des entretiens de qualité et à la collaboration avec les patients. Ayant énoncé ces limites, nous soutenons que l’utilisation du MFM comme méthode d’organisation pour la planification du traitement, accompagnée de l’apport continu du patient, peut mener à une évaluation et à des traitements plus efficaces et, ainsi, réduire l’utilisation continue d’interventions inefficaces.

Figure 6

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