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Le présent article aborde la question du soutien social dont peuvent bénéficier les mères vivant en contexte de vulnérabilité, et dont l’exercice du rôle est potentiellement fragilisé par un cumul de facteurs de risque tels que la pauvreté, la sous-scolarisation et le jeune âge de la mère à la naissance de son premier enfant (Landry, 2000 ; MSSSQ, 1998 ; Paquette et al., 2001 ; Vitaro et al., 1992). L’effet tampon (buffering effect) qu’exerce le soutien social entre d’une part, les sources de stress qui confrontent quotidiennement la mère et, d’autre part, sa capacité d’ajustement (coping skills) face aux pressions qu’elle subit constitue un phénomène bien documenté (Abidin, 1992 ; Belsky, 1984 ; Cochran et Niego, 2002 ; Cowan et al., 1996 ; Kotchick et Forehand, 2002 ; Landry, 2000 ; Lavigueur et al., 2001). Les études confirment que l’aide du réseau social informel du parent (conjoint ou entourage) peut protéger la mère des effets négatifs des tracas quotidiens (daily hassles), et lui permettre de contrer plus efficacement les conséquences adverses du stress pour s’adapter aux exigences de son rôle auprès de l’enfant. Privilégiant une perspective contextualisée ou écologique de la parentalité, certaines études et documents d’orientation gouvernementaux dénoncent, quant à eux, les limites d’une approche psychosociale professionnelle qui s’inscrit en marge du réseau de soutien naturel des familles. Les auteurs de ces écrits insistent sur l’importance de favoriser une approche d’intervention de réseau qui impliquerait davantage les membres significatifs de l’entourage dans le soutien offert aux familles (Bédard, 1998 ; Bouchard, 2000 ; Colin et al., 1992 ; Dunst et al., 1994 ; Lessard et Turcotte, 2000 ; Kemp et al., 1997 ; MSSQ, 1998).

Toutefois, même s’il est bien démontré que le soutien social peut agir comme facteur de protection chez les mères à risque, force est de reconnaître que, dans les faits, les approches d’intervention qui misent sur les ressources du réseau social informel demeurent relativement marginales et sous-exploitées. En fait, pour être efficaces, de telles approches devront nécessairement puiser à même les connaissances de la réalité quotidienne du soutien parental telle que vécue et perçue par le parent que l’intervenant tente d’aider. Certaines des études portant sur le soutien social des parents abordent des caractéristiques de leur réseau informel, comme son rôle plus ou moins aidant ou le niveau de familiarité et d’intimité des personnes impliquées, tandis que d’autres études ciblent plus spécifiquement le soutien social dont sont l’objet des clientèles plus à risque, telles les mères insulaires ou les mères adolescentes.

Le rôle bipolaire du réseau social informel

Malgré le rôle protecteur important que peut apporter le soutien social, certains auteurs ont par ailleurs souligné le rôle bipolaire ou ambivalent (aidant ou nuisible) que peuvent jouer certains membres du réseau social envers les individus cibles (Carpentier et White, 2001). De fait, l’environnement social peut devenir une source de stress additionnel importante lorsque certains membres du réseau sont perçus par le parent comme étant coercitifs ou dénigrants à son égard (Coyne et DeLongis, 1986 ; Dadds et al., 1987 ; Webster-Stratton, 1990), ou encore lorsque certains individus sont exigeants et deviennent un poids supplémentaire sur les épaules du parent (Belle, 1990). Ce type d’influences, positives dans certains cas et négatives dans d’autres, est particulièrement bien documenté en regard du rôle des conjoints (unis « pour le meilleur et pour le pire ») et constitue semble-t-il un phénomène assez répandu (Goldberg et Easterbrook, 1984 ; Lavigueur et al., 1995 ; Sarason et al., 1990 ; Unger et Wandersman, 1988).

Le caractère de familiarité/intimité au sein du réseau social

En plus de la bipolarité positive/négative associée à certains membres du réseau social, on peut aussi considérer le soutien parental en regard du critère de la familiarité/intimité qui caractérise la personne qui offre cette aide. En effet, on peut s’attendre à ce que le soutien social s’exerce de façon différente selon qu’il y a ou non la présence d’un conjoint ou d’un partenaire dans la réalité quotidienne de la famille. Pour un parent qui vit dans une famille biparentale, le conjoint joue un rôle capital, que ce soit comme source de soutien (confident, partenaire parental) ou encore comme source de stress additionnel (conflit conjugal, absence d’alliance parentale). Selon Tousignant (1992), le soutien du conjoint serait plus rare en milieu défavorisé, privant sa partenaire d’un facteur de protection contre le stress environnemental lié à la pauvreté. Ainsi, le conjoint (qu’il s’agisse du père de l’enfant, de l’ex-conjoint ou du nouveau partenaire) apparaît comme une figure centrale dont l’influence (positive ou négative) est incontournable et dépasse celle des autres membres du réseau social du parent (Lavigueur et al., 1995). Dans ce contexte, toute étude portant sur la réalité du soutien social chez les mères à risque doit donc nécessairement prendre en compte le fait que ces dernières vivent ou non avec un conjoint.

Un groupe de parents particulièrement à risque : les mères dites « insulaires »

Le concept des mères « insulaires » tel que défini dans les travaux de Wahler et Dumas (voir la revue faite par Lavigueur, 1989) réfère à un groupe de mères qui, comparativement à un groupe normatif, se sentent davantage dépourvues sur le plan du soutien social. Ces mères perçoivent leurs interactions avec les membres de leur entourage (depuis les dernières 24 heures) comme étant plus coercitives que celles du groupe de comparaison. Elles affirment également que ces rapports sociaux informels impliquent rarement des amies ; elles ont plutôt l’impression de « subir » les contacts que leur imposent les membres de leur famille immédiate ou les intervenants psychosociaux. Ces mêmes chercheurs ont par ailleurs observé que non seulement ce groupe particulier de mères était plus à risque dans leurs habiletés parentales (perception plus négative du comportement de l’enfant, réactions plus coercitives et moins discriminantes), mais que ces mères bénéficiaient relativement peu des programmes traditionnels de soutien aux habiletés parentales (taux d’abandons élevé et érosion des apprentissages). Ces résultats décevants confortent l’idée voulant qu’il y a lieu de développer de nouvelles approches d’intervention pour mieux rejoindre et répondre aux besoins spécifiques des mères à risque socialement isolées.

Le soutien social pour la population des mères adolescentes

Les études chez les mères adolescentes confirment le rôle prépondérant du facteur de la familiarité/intimité en regard du soutien parental. Selon les études de Charbonneau (2001) et de Poissant (2002), deux figures (en fait, l’une ou l’autre) semblent associées au profil de la résilience observée chez certaines jeunes mères : il s’agit des mères de ces adolescentes (grands-mères maternelles) ainsi que leurs « chums » ou partenaires (que ce dernier soit le père ou non de l’enfant). Les entrevues menées par Poissant (2002) auprès de 30 adolescentes primipares de 17 ans et moins permettent de dégager certains profils d’ajustement des jeunes mères face aux défis qui les confrontent. Celles qui semblent mieux s’adapter sont précisément celles qui apparaissent plus aptes à mobiliser les ressources disponibles et à s’assurer du soutien de leur famille, de leur partenaire, de leurs amies et du réseau institutionnel et communautaire.

Objectifs de notre étude

Dans le but d’éclairer et de soutenir une intervention professionnelle qui met davantage à profit le réseau informel des mères en contexte de vulnérabilité, notre étude visait à mieux documenter la réalité du soutien parental vécue par celles-ci. De façon plus précise, notre étude visait à décrire comment ces mères perçoivent les personnes faisant partie de leur entourage immédiat, sous l’angle du soutien social. L’étude ciblait spécifiquement trois dimensions : (a) la dimension parentale du soutien social (en questionnant les mères uniquement sur la contribution possible des personnes de l’entourage en regard de l’exercice du rôle parental plutôt que d’aborder toutes les facettes du bien-être de l’individu) ; (b) la dimension du réseau primaire (en se concentrant sur les individus de l’entourage immédiat identifiés comme « les plus importants » par les mères, plutôt que de tenir compte des autres figures plus éloignées ou secondaires dans la vie du parent) ; et (c) la dimension subjective de ce soutien (par exemple, les formes de soutien et de stress telles que perçues et ressenties par les mères, plutôt qu’évaluées par un observateur externe). De plus, afin de documenter davantage le soutien parental, nous avons exploré cette réalité à partir de descriptions concrètes données par les mères (comment les individus aident ou nuisent) et selon une perspective qui s’inscrit dans le temps (en distinguant le soutien perçu depuis le début de la maternité et le soutien perçu au temps présent). Finalement, nous avons comparé les points de vue des répondantes en tenant compte de deux contextes bien précis : (a) le contexte conjugal (mères avec ou sans conjoint), et (b) le contexte de la vulnérabilité relative qui menace la parentalité (groupe de mères à risque et groupe de mères normatif).

Approche méthodologique

Participantes

Les résultats présentées ici proviennent de la collecte des données réalisée auprès de deux groupes de mères ayant au moins un enfant âgé entre 2 et 6 ans : un groupe cible (n = 49) et un groupe normatif (n = 43). Les mères du groupe cible (cumulant deux ou trois des facteurs de risque) sont issues de familles monoparentales (n = 19), de familles reconstituées (n = 17) ou de familles intactes (n = 13). De leur côté, les mères du groupe normatif (présentant aucun ou un seul facteur de risque) proviennent toutes de familles intactes (n = 36) ou reconstituées (n = 7). Notons que, malgré les efforts que nous avons déployés, il n’a pas été possible d’obtenir un nombre comparable de familles monoparentales dans les deux groupes à l’étude. Les mères du groupe cible ont majoritairement été recrutées à partir d’une invitation personnelle adressée par des intervenants (n = 60) participant à notre programme de recherche. La majorité des mères du groupe normatif ont quant à elles été recrutées au moyen d’une lettre d’invitation distribuée dans une Maison de la famille ou par l’éducatrice de leur enfant en milieu de garde. De façon plus marginale, certaines mères ont également été recrutées par les mères participantes ou par un autre organisme (clinique pédiatrique, milieu scolaire, association de parents).

Caractéristiques sociodémographiques

Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des mères participantes. Tel que mentionné précédemment, trois facteurs de vulnérabilité ont présidé à la formation des deux groupes de mères : jeune âge des mères à la naissance de leur premier enfant, faible scolarisation et pauvreté. On comprend que les mères du groupe cible soient en moyenne plus jeunes et que peu d’entre elles travaillent à l’extérieur puisque ces caractéristiques sont indirectement reliées à nos critères de sélection. Bien que non retenu comme critère d’adversité en tant que tel, on observe également un écart important dans le statut conjugal des deux groupes de mères. Par exemple, on remarque que la proportion de familles intactes est plus faible dans le groupe cible (13/30, 43 %) comparativement au groupe normatif (36/43, 84 %) et que la moyenne d’années de vie commune (familles intactes et reconstituées) y est deux fois plus faible (4,8 contre 9,9 années).

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des mères participantes en fonction des groupes

Caractéristiques sociodémographiques des mères participantes en fonction des groupes
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Calculé à partir de l’indice québécois qui pondère le revenu mensuel en fonction du nombre de personnes qui contribuent et qui cohabitent.

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À cause du nombre insuffisant de mères monoparentales dans le groupe normatif (n = 4) et dans le but de faciliter l’analyse des résultats, nous avons divisé le groupe cible en deux : le premier sous-groupe est formé de mères qui cohabitent avec un conjoint (mères du groupe cible vivant dans une famille biparentale : CBi) alors que le second sous-groupe est composé de mères n’ayant aucun conjoint (mères monoparentales du groupe cible : CMo). Les réponses obtenues auprès des mères de ces deux sous-groupes seront comparées à celles recueillies auprès des mères biparentales du groupe normatif (NBi).

Questions abordées lors des entrevues

Les mères ont été rencontrées à deux reprises à leur domicile dans le cadre de notre programme de recherche portant sur les compétences éducatives et les forces de résilience des parents, ainsi que sur les ressources présentes dans leur réseau social [1]. Ce programme regroupe des projets de recherche plus larges dont fait partie la présente étude. Les deux entrevues avaient une durée variant entre 90 et 120 minutes chacune. Pour les fins du présent article, nous présenterons uniquement les questions en lien avec la perception qu’ont les mères du soutien présent dans leur réseau social. Le thème du réseau social a été abordé à l’aide d’un schéma qui facilite une visualisation d’ensemble et une exploration de chacune des composantes de la structure du réseau (figure 1, page suivante).

  1. Identification des personnes les plus significatives de l’entourage. Cinq questions ont abordé le thème des « personnes marquantes dans la vie du parent », ciblant à la fois la dimension positive du soutien parental et la dimension négative, tant depuis la naissance de l’enfant qu’au moment présent de l’entrevue. Les questions posées sont présentées en appendice. Les pourcentages de mères ayant choisi l’un ou l’autre membre de son entourage ont été regroupés selon les trois catégories de répondantes (mères cibles monoparentales, mères cibles biparentales et mères normatives biparentales).

  2. Description du rôle joué par les mères et par les conjoints des participantes. Deux figures centrales du réseau social primaire des mères (leur propre mère, leur conjoint/ex-conjoint) sont plus directement reliées au caractère de familiarité/intimité du réseau social et ont conséquemment fait l’objet d’une attention particulière. La représentation que les mères ont du rôle que jouent présentement ces personnes dans leur vie et dans celle de leurs enfants a été abordée par le biais de questions ouvertes. On retrouve en appendice le détail des cinq questions posées.

Figure 1

Schéma du réseau social présenté au parent (26/11/02)

Schéma du réseau social présenté au parent (26/11/02)
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groupe de loisir, groupe paroissial, bénévolat, cuisine collective, maison de la famille, groupe d’entraide, atelier dse formation, études, etc.

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Une analyse de contenu des réponses a d’abord permis de regrouper les représentations des mères selon que celles-ci étaient de nature « nettement positive », « nettement négative », ou « positive/négative » (ambivalente). Puisqu’il est ici question du rôle des conjoints, partenaires ou ex-conjoints, il est apparu utile de distinguer dans l’analyse non seulement les réponses des mères selon qu’elles vivent ou non en couple, mais également de contraster leurs réponses selon qu’elles vivent dans un contexte de familles intactes (CBi-Int) ou reconstituées (CBi-Rec). Deux évaluateurs indépendants ont classé les réponses des participantes de manière à pouvoir mesurer un niveau d’entente inter-juges. Celui-ci s’établit à 88 %. Une analyse de contenu plus poussée des descriptions fournies par les répondantes a ensuite permis d’approfondir notre compréhension des différentes modalités sous lesquelles s’expriment le soutien parental et le stress relationnel dont les mères se sentent l’objet de la part de leur propre mère et de leur conjoint ou ex-conjoint.

Résultats

Les personnes les plus significatives du réseau social informel

Le tableau 2 présente les pourcentages des mères (des groupes cible et normatif) qui ont identifié tel ou tel membre dans leur réseau social comme étant la personne la plus aidante (questions 1 et 3) ou la plus nuisible (questions 2, 4, 5), dans le passé ou présentement. Seules les catégories de réponse ayant une fréquence correspondant à au moins 10 % du choix dans l’un des groupes de répondantes sont présentées dans le tableau des résultats (page suivante).

Rôle de soutien

Le rôle central joué par les mères des mères cibles (les grands-mères maternelles des enfants) choisies comme « la personne qui a le plus aidé (dans le passé) » ressort de façon évidente dans le groupe cible, et ce, de façon encore plus marquée pour les familles monoparentales (CMo, 53 % vs. CBi 30 %), tandis que les belles-mères sont la deuxième figure en importance pour les mères cibles biparentales (CBi, 20 %), suivies dans ce groupe par les amies et les intervenantes (10 % chacune).

Référant à « la personne sur qui elles peuvent toujours compter (maintenant) », l’importance accordée à la mère et à la belle-mère tend à diminuer chez les mères de familles biparentales au profit du soutien du conjoint, qui passe maintenant de 7 % à 20 % chez les CBi. Cette proportion demeure toutefois bien en deçà du groupe normatif, alors que 56 % de ces mères (NBi) identifient leur conjoint comme étant « la personne sur qui elles peuvent toujours compter ». En plus du rôle accru des conjoints, l’importance des amies augmente dans le groupe cible : la proportion passe de 10 % à 33 % chez les mères biparentales (CBi) et de 5 % à 21 % chez les monoparentales (CMo).

Rôle négatif

Identifiant la personne de leur réseau qui « leur a le plus nui », l’ex-conjoint est sans contredit la figure dominante chez les mères cibles monoparentales (CMo, 37 %), tandis qu’une proportion relativement importante de ce groupe de mères n’identifie aucune personne nuisible (32 %). Quant aux mères biparentales du groupe cible (CBi), leurs choix portent sur plusieurs membres différents, sans faire ressortir de catégorie en particulier : le conjoint (13 %), le père (13 %), l’ex-conjoint (10 %) et les belles-mères (10 %) étant les figures les plus fréquemment mentionnées. Ce profil contraste avec celui des mères biparentales du groupe normatif pour qui la personne perçue comme la plus nuisible devient la belle-mère (NBi, 19 %), bien qu’une proportion impressionnante de ces mères n’identifie aucune personne en particulier (aucune réponse) à cette question (NBi, 40 % vs. 13 % chez les CBi).

Tableau 2

Membres perçus comme « aidants » ou nuisibles dans l’entourage des mères*

Membres perçus comme « aidants » ou nuisibles dans l’entourage des mères*
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Groupe cible : familles monoparentales (CMo ),

familles biparentales (CBi ),

Groupe normatif : familles biparentales (NBi )

n = 19, incluant avoir un partenaire qui ne cohabite pas (n = 3);

n = 30, incluant 17 familles reconstituées et 13 familles intactes;

n = 43, incluant 7 familles reconstituées et 36 familles intactes.

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À propos des critiques et des conflits actuels, la mère ressort comme étant la figure la plus importante chez les mères biparentales cibles (CBi, critique : 13 % et conflit : 17 %), alors que ce n’est pas du tout le cas chez les mères monoparentales (CMo, critique : 0 % et conflit : 5 %). Du côté de ces dernières (CMo), le rôle négatif de l’ex-conjoint devient plus prégnant (a nui : 37 % ; critique : 11 % et en conflit : 16 %), tandis que le choix des soeurs reliées aux interactions négatives apparaît tout aussi sinon plus important pour elles (critique : 16 % et conflit : 21 %). Sous le thème des critiques, ni les mères ni les pères (les parents de la mère répondante) ne sont choisis par les mères des familles monoparentales, tandis qu’une proportion importante d’entre elles mentionne qu’aucune personne en particulier dans leur entourage ne les critique (CMo, 37 % contre CBi, 20 %, comparé à NBi, 61 %). Notons que seules les belles-mères sont désignées par les mères du groupe normatif comme étant les personnes qui les critiquent le plus, bien que cette proportion demeure relativement faible (NBi, 14 %).

Descriptions plus ou moins positives du rôle des mères et des partenaires

Nous nous attardons ici aux descriptions données par les répondantes illustrant le rôle joué par les deux figures qui émergent de façon plus évidente du réseau social : (a) les partenaires (conjoints, chums ou ex-conjoints) et, (b) les mères des mères (grands-mères maternelles de l’enfant). En raison du manque d’espace, nous nous limiterons aux témoignages des mères du groupe cible, puisque, dans une perspective d’intervention, ces descriptions nous semblent les plus susceptibles d’éclairer et d’alimenter une approche de réseau. Le tableau 3 présente le pourcentage des mères de chacun des sous-groupes de mères cibles (CMo, CBi-Int et CBi-Rec) selon que les descriptions données traduisaient une perception essentiellement positive, essentiellement négative, ou « un mélange de commentaires positifs et négatifs ». Notons que le sous-groupe de mères cibles biparentales a été scindé en deux de manière à distinguer les familles intactes des familles recomposées.

Tableau 3

Descriptions plus ou moins positives du rôle des mères et des partenaires

Descriptions plus ou moins positives du rôle des mères et des partenaires

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Nous tenterons d’illustrer ces perceptions à partir de certains extraits particulièrement représentatifs des différentes tendances observées dans les propos recueillies auprès des mères rencontrées. Loin d’être exhaustive, l’analyse présentée ici vise davantage à faire image et à stimuler la réflexion concernant le potentiel de soutien parental que peuvent parfois représenter les mères devenues grands-mères ainsi que les partenaires des mères en contexte de vulnérabilité.

Le rôle de leur propre mère dans leur vie adulte

Les données qualitatives recueillies auprès des mères cibles confirment et illustrent le choix de leur mère comme personne clé pour les soutenir dans l’exercice de leur rôle maternel. Lorsqu’on a demandé aux mères de décrire le rôle joué par leur propre mère dans leur vie et dans celle de leurs enfants, le portrait était majoritairement très positif, avec une abondance d’exemples convaincants à l’appui, et ce, tout particulièrement chez les répondantes en situation de famille monoparentale ou intacte (CMo, 53 % ; CBi-Int, 54 % et CBi-Rec, 29 %).

Plusieurs affirmations évoquent le rôle central que jouent certaines des mères dans la vie de leur fille devenue mère : « C’est ma meilleure amie » (CMo) — « On se dit tout, on se parle tout le temps » (CMo) — « Elle est mon ange gardien, mon guide » (CMo). De plus, les répondantes identifient une myriade de formes complémentaires de soutien que leurs mères ont su leur offrir, qu’il s’agisse, par exemple, de conseils prodigués, d’écoute, de dépannage en cas d’imprévus, de gardiennage ou de participation à des activités partagées. Certaines de ces mères semblent combiner à elles seules toutes les dimensions du soutien social (!), comme en témoignent les propos de ces deux mères monoparentales : « Ma mère est comme une amie, je lui parle de tout… Elle m’aide financièrement… Elle aime passer du temps avec moi et la petite. La veille, elle est venue coucher chez moi et on a jasé jusqu’à minuit. J’ai toujours été proche de ma mère » — « C’est une amie, une confidente.… Je lui parle beaucoup, elle m’aide, elle m’amène la sécurité, me supporte financièrement, émotivement, moralement. Elle m’aide à faire mon ménage… ».

Tandis qu’une bonne proportion de mères expriment une perception un peu plus nuancée du rôle joué par leur mère dans leur vie (CMo, 47 % ; CBi-Int, 31 % et CBi-Rec, 50 %), on retrouve aussi à l’autre extrémité, une faible proportion de mères qui avaient une perception franchement négative du rôle joué par leur mère (CMo, 0 % ; CBi-Int, 15 % et CBi-Rec, 21 %) : certaines disent avoir coupé tout contact avec leur mère, tandis que d’autres la décrivent comme « cherchant la chicane », ou portant des jugements négatifs sur elle, ou encore comme étant plus distante ou indifférente lorsque leur mère est avec un nouveau partenaire. Notons par contre, qu’aucune mère de famille monoparentale ne porte ce type de jugement exclusivement négatif sur le rôle de sa mère dans sa vie.

Le rôle de la grand-mère dans la vie de leurs petits-enfants

Une bonne proportion des mères a décrit le rôle joué par la grand-mère maternelle de leur enfant en des termes exclusivement positifs (CMo, 59 % ; CBi-Int, 42 % et CBi-Rec, 27 %). Ce rôle est décrit sous plusieurs facettes intéressantes. « C’est une bonne grand-mère, elle s’en occupe beaucoup financièrement. Au point de vue affectif, elle les garde, joue avec eux dehors. Elle vient avec moi chez le médecin… elle joue le rôle de conjoint » (CMo) — « C’est une deuxième mère pour ma fille… elle joue avec elle, elle lui lit des histoires, elle la console, elles rient ensemble, elles dorment même parfois ensemble : ‘C’est sweet de voir ça !’ » (CMo) — « Les enfants aiment leur grand-mère. Elle les garde, les gâte, elle leur donne du temps de qualité, leur lit des histoires. Elle est patiente et douce » (CMo) — « Elle le garde beaucoup, elle le gâte mais l’instruit aussi. Elle respecte nos règles et nos consignes. Elle est très importante pour Yoakim (nom fictif), il sait qu’elle nous aide » (CBi-Rec) — « Elle les garde souvent, n’importe quand, quand j’ai besoin.… Souvent je la regarde aller pis elle agit avec mes enfants comme elle agissait avec moi quand j’étais petite. Elle est fine, douce. Elle les appelle pour prendre des nouvelles » (CBi-Int).

Une bonne proportion de mères (surtout de familles reconstituées ou intactes) ne sont pas exclusivement positives dans le jugement qu’elles posent sur le rôle joué par la grand-mère maternelle. Tantôt ces mères soulignent le manque de disponibilité de leur mère, tantôt elles évoquent des aspects positifs (bonne relation, écoute des enfants) juxtaposés à des comportements plus négatifs (garde peu, gâte trop, surprotège, etc).

Le fait d’évoquer un rôle exclusivement négatif joué par la grand-mère vis-à-vis l’enfant demeure une situation plus exceptionnelle. Les répondantes (CMo, 18 % ; CBi-Int, 8 % et CBi-Rec, 6 %) disent alors que leur mère gâte les enfants de façon nuisible, qu’elle critique et juge ce que font les enfants, qu’elle prend partie pour les enfants et la contredit devant eux, ou encore, qu’elle fait des pressions déplacées pour garder les enfants, en se « prenant un peu pour la mère ».

Notons finalement que le fait de « gâter ses petits enfants » est une expression particulièrement récurrente dans le discours des mères (27 % de l’ensemble des répondantes) ; le terme est généralement défini de façon positive, surtout lorsque les mères y associent d’autres activités impliquant la grand-mère et l’enfant. L’évaluation faite par deux mères du groupe normatif résume bien l’ambivalence qui peut être associée à l’expression : « Ce n’est pas une présence gâteau » — « Elle les gâte par son amour, par sa présence. Elle est pleine de petites attentions ».

Le rôle du conjoint ou du partenaire dans la vie des mères

Une grande proportion des mères cibles qui vivent en couple décrivent de façon exclusivement positive leur partenaire de vie actuel (CBi-Int, 71 % et CBi-Rec, 84 %). Certaines descriptions sont particulièrement éloquentes : « Si je le perdais, ça serait ma plus grosse perte, je serais folle de le laisser aller. Y’en a pas deux comme lui » (CBi-Rec). Les qualités évoquées référent tantôt au couple : « Mon partenaire idéal… on a une bonne communication, une bonne relation sexuelle » (CBi-Rec) — « Il prend soin de moi » (CBi-Rec) — « Il y a entraide entre nous, surtout pour les conflits en ce qui concerne les ex-conjoints » (CBi-Rec), tantôt à des qualités d’ordre personnel : « il n’est pas violent » (un élément récurrent) ; il est farceur, travaillant, mature, doux, respectueux, sociable, compréhensif, à l’écoute ; ou encore, plus globalement : « il a un grand coeur… s’il y a un problème, il va essayer de le régler, je ne sais pas quoi répondre : je l’aime ! » (CBi-Rec). Enfin, d’autres répondantes ciblent d’emblée des qualités de type parental ou familial chez leur partenaire : partage des tâches, soin ou acceptation des enfants, apport financier à la famille. L’extrait suivant résume bien ce type de qualité : « il est toujours là pour les enfants » (CBi-Int).

Quelques mères ont eu une réponse plus nuancée (21 % et 5 %), alternant qualités et défauts dans la description qu’elles donnaient de leur partenaire. Par exemple : « il est travaillant, a une tête de cochon, est compréhensif » — « Je peux compter sur lui, mais il a la tête dure » — « Il chiâle pas mal, il s’occupe des enfants ». Finalement, une faible minorité de répondantes (7 % et 11 %) a exprimé une vision franchement négative : « C’est pas le genre d’homme avec qui je veux vivre pour une vie complète. J’ai fait une erreur… C’est un égocentrique, un manipulateur… » (CBi-Rec).

Le rôle des pères ou partenaires auprès de l’enfant tel que perçu par les mères

Pour des raisons évidentes, nous avons analysé de façon séparée la manière dont les mères parlent de leur conjoint actuel et de leur ex-conjoint dans la vie de leur enfant.

  1. Rôle joué par le père ou le partenaire actuel. La majorité des mères des familles intactes (69 %) décrivent de façon uniquement positive le « rôle paternel » joué par leur conjoint, père de leur enfant. « Un très bon père… Quand ils ont des besoins, il est là. Il prend du temps pour chaque enfant » — « Presque toujours là pour eux » — « Il est bon. Il aime le petit, il l’adore, je pense qu’il ne pourrait pas vivre sans lui ». D’autres mères de familles intactes (31 %) nuancent leur jugement en soulignant, après avoir énuméré certaines qualités, la présence d’un défaut chez leur conjoint, comme par exemple un manque de discipline ou de patience.

    Le profil du rôle paternel joué par le partenaire est similaire mais encore plus positif selon la perception des mères des familles reconstituées (76 %), que celui-ci soit ou non le père d’un ou de plusieurs de leurs enfants. « Il est très responsable… il prend soin des trois enfants, même s’il n’y a que le plus jeune qui est de lui » — « Monika l’appelle « papa » alors qu’elle appelle son vrai père ‘Claude’ » — « Merveilleux, je ne pouvais pas mieux tomber, papa gâteau, pas trop de discipline, chaleureux, minoucheux, très patient ». Par contre, une faible proportion des mères de familles reconstituées parle de leur partenaire en des termes exclusivement négatifs (12 %). « Pas sévère, insouciant, inconscient » — « On n’a pas les mêmes valeurs éducatives… On se chicane devant les enfants à propos de la façon dont il faut régler leur chicane ».

  2. Rôle joué par l’ex-conjoint dans la vie de l’enfant. Comme on pouvait sans doute s’y attendre, le portrait devient beaucoup moins positif lorsque certaines des mères parlent du rôle paternel joué par leur ex-conjoint. Cette perception négative semble davantage répandue chez les mères de familles reconstituées (43 %). « Moins d’argent perdu : il ne privera plus mon enfant de lait pour aller s’acheter un gramme » — « Mais souvent il dit qu’il vient le chercher mais il ne vient pas… Charles vit beaucoup de colère par rapport à ça ».

    On note par contre qu’un tiers des mères de familles monoparentales décrivent de façon positive le rôle joué par leur ex-conjoint envers leur enfant. « C’est un bon père : il s’occupe bien de lui… Il joue avec lui. Il le voit une fin de semaine sur deux, mais il vient souvent durant la semaine le voir » — Il est assez important dans leur vie. Il est un bon exemple pour eux. Il leur apporte la sécurité. Il les voit une fois et plus par deux semaines. On fait des sorties familiales. Les enfants sont contents de le voir et ils s’ennuient ». Un autre tiers de ce groupe de répondantes (CMo) déclare que leur ex-conjoint est carrément « absent du tableau », que ce soit suite au choix qu’elles ont fait, ou suite à une interdiction de la cour, ou simplement « parce que le père a disparu sans laisser d’adresse ». Finalement une proportion plus faible de mères des familles monoparentales en parle de façon exclusivement négative (22 %). Par exemple : « Il est impulsif, impatient… Il vit chez ses parents. Il n’est pas présent, lorsque les enfants vont chez lui, ce sont ses parents qui s’occupent principalement des enfants » — « Quand elle va chez lui, il va lui acheter toutes sortes d’affaires, mais c’est un vrai “ass hole” : il va tout faire le contraire de ce que moi je fais avec la petite… Il détruit toute la routine que moi j’ai… il parle contre moi à ma fille… ».

Discussion

Nous soulignerons ici certains éléments plus significatifs qui se dégagent des données présentées, tout en identifiant quelques pistes d’action que ces résultats peuvent suggérer pour les intervenants qui accompagnent les mères en situation de vulnérabilité et qui souhaitent renforcer le soutien parental dont celles-ci peuvent bénéficier au sein de leur entourage.

Une première observation s’impose. Les figures féminines ressortent de façon prépondérante parmi les membres du réseau informel désignés par les répondantes du groupe cible comme ressources d’aide les plus significatives : mères, belles-mères, amies. Cette tendance reflète le phénomène plus général de la surreprésentation féminine dans le soutien social, que ce soit à titre de conjointe, de mère, de fille aînée, de voisine ou d’amie (Belle, 1982 ; 1988). Par contre, lorsque les mères cibles sont directement interrogées sur le rôle de leur conjoint ou partenaire dans leur vie et dans celle de leurs enfants, celui-ci apparaît également comme une ressource d’aide appréciée et importante à leurs yeux. Il importe donc de ne pas négliger le rôle de ce partenaire dans l’intervention de réseau et de renforcer cette présence masculine au chapitre du soutien parental quand cette influence apparaît positive. Tout le courant de soutien à l’exercice du rôle paternel apparaît en ce sens une piste importante et valide qui vaut la peine d’être poursuivie (par exemple, Bolté et al., 2002 ; Dubeau et al., 1999).

Le rôle des belles-mères

Chez les mères cibles de familles biparentales, les belles-mères ont été identifiées par certaines d’entre elles comme une ressource de première importance (sans doute dans un rôle qui vient compenser celui de la mère lorsque cette dernière n’est pas privilégiée par ce sous-groupe de répondantes). À cet égard, le rôle négatif attribué aux belles-mères par les mères du groupe normatif constitue un contraste intéressant : tandis que ces dernières sont nombreuses à n’identifier aucune personne de nuisible dans leur entourage, seule la figure de la belle-mère est perçue plus négativement par un certain nombre de mères du groupe normatif. Sur le plan de l’intervention, ce contraste observé entre les deux groupes suggère que certaines ressources disponibles pour les parents plus vulnérables (notamment les belles-mères) pourraient être sous-estimées et trop peu mises à profit par les intervenants psychosociaux (ces derniers étant sans doute plus familiers avec la socioculture du groupe normatif).

Le rôle des « partenaires » et le statut des familles

Le rôle de soutien du conjoint est davantage mentionné par les mères qui vivent en couple, lorsque l’on réfère au soutien « actuel » sur lequel elles peuvent compter, plutôt que la personne qui « a été » la plus aidante depuis la naissance de leur enfant (bien que le rôle des conjoints demeure bien en deçà de l’importance que leur attribue le groupe normatif). À cet égard, l’âge à la naissance du premier enfant n’est sans doute pas étranger au biais observé en faveur du rôle de soutien dominant accordé aux grands-mères maternelles des enfants dès le début de l’exercice du rôle maternel, notamment dans le contexte des mères adolescentes (Charbonneau, 2001 ; Poissant, 2002).

Sous le thème du rôle des partenaires, on doit également rappeler le nombre important de familles reconstituées qui composent l’échantillon des mères cibles qui vivent en couple. Les descriptions que font plusieurs de ces mères du rôle joué par leur partenaire actuel dans leur propre vie et dans celle de leurs enfants sont souvent assez élogieuses. Par contre, il est utile de rappeler que plusieurs des mères participantes ayant mentionné appartenir à une famille « reconstituée » sont en couple avec leur (nouveau) conjoint depuis relativement peu de temps (la moyenne de cohabitation est de 3,6 années et presque la moitié des couples ne cohabitent que depuis 2 ans ou moins). On peut donc poser l’hypothèse que le halo positif qui entoure parfois le rôle du partenaire peut, dans certains cas, être associé à l’effet « lune de miel » d’une relation conjugale récente. L’intervenant doit être tout particulièrement sensible au contexte distinct de plusieurs familles reconstituées qu’il accompagne, afin de soutenir adéquatement ces « jeunes couples », notamment dans le rôle de soutien parental exercé par le « nouveau partenaire » qui participe à la vie familiale.

Le rôle des ex-conjoints

La relation avec l’ex-conjoint est perçue par certaines mères de familles reconstituées et monoparentales comme une source de critique et de conflit. On note par contre que cette influence négative a tendance à diminuer avec le temps (tandis que le rôle des soeurs apparaît comme une source de stress souligné par certaines mères). Il est intéressant aussi de souligner qu’un tiers des mères monoparentales décrivent de façon exclusivement positive le rôle que leur ex-conjoint joue auprès de leurs enfants, dans la mesure où justement ces pères restent impliqués, alors qu’ils partagent avec ces mères des moments de garde et qu’ils demeurent une figure positive importante dans la vie de leurs propres enfants.

Le rôle des grands-mères maternelles dans les familles monoparentales

À l’instar des études portant sur les mères adolescentes, nos résultats confirment la place prédominante qu’occupent les mères (grands-mères maternelles) dans le soutien parental apporté à leur fille devenue mère. L’aide décrite par les mères concernant le rôle que leur propre mère joue dans leur vie et dans celle de leurs enfants, évoque plusieurs modalités concrètes et semble déterminante pour plusieurs mères. Pour l’intervenant, ces témoignages permettent d’entrevoir toute la richesse du rôle joué par les grands-mères, en particulier lorsque cette présence est vécue et perçue de façon positive par leur fille.

La difficile situation des mères insulaires

Mais, comme le soulignent les études sur les mères dites « insulaires » (Lavigueur, 1989), nos données suggèrent aussi que les deux piliers du réseau social (que sont les grands-mères et les conjoints) peuvent aussi devenir dans le groupe cible des sources importantes de stress, de conflit ou de dévalorisation, qui ne font alors qu’ajouter aux autres facteurs de risque avec lesquelles ces mères plus vulnérables doivent composer. Selon le modèle du stress parental proposé par Abidin (1992), ces mères se retrouvent pénalisées sur plusieurs fronts à la fois car elles cumulent de nombreux facteurs de risque. On pourrait ainsi résumer les conditions adverses auxquelles doivent faire face les mères insulaires : (a) loin de bénéficier de l’effet protecteur du soutien de leurs proches, ces mères perçoivent les interactions quotidiennes de façon coercitive et dévalorisante ; (b) elles portent les marques psychologiques d’une difficile relation mère-enfant qui a marqué leur propre histoire développementale et leur trajectoire de vie ; et (c) elles vivent les stress quotidiens d’une famille monoparentale souvent appauvrie sur le plan financier.

Pour l’intervenant qui accompagne ces mères particulièrement fragilisées dans l’exercice de leur rôle parental, il devient donc impératif de demeurer à l’affût de la présence de figures nuisibles qui « brûlent l’énergie émotive » afin de les aider à créer la distance psychologique dont elles auraient besoin pour se protéger des relations nuisibles. Dans une perspective plus positive, il faudra surtout que l’intervenant soit bien outillé dans son approche et ses moyens d’action pour permettre à de nouvelles ressources d’émerger dans le réseau social de ces mères (développement chez la mère d’habiletés sociales favorables, participation à des groupes plus ou moins formels de parents, accompagnement à titre de facilitateur vers des ressources communautaires (Collins et al., 1976 ; Lavigueur et al., 2001 ; Tousignant et al., 1987).

En conclusion, il importe de souligner que, dans un contexte d’intervention, la réalité de l’environnement social de chaque parent demeure unique. La diversité que nous avons observée dans les profils de soutien et de conflit rappelle l’importance d’explorer ensemble (parent et intervenant psychosocial), de façon ouverte et créative, le visage particulier que revêt l’entourage social de la mère. Que ce soit pour améliorer la qualité du soutien existant, pour aider la mère à se protéger de certaines influences négatives, pour favoriser l’utilisation de ressources sous-utilisées, ou encore, pour accompagner le parent vers de nouvelles ressources, ce regard posé sur l’environnement quotidien permettra de développer un projet d’action plus réaliste et efficace. Cet échange peut sans doute être facilité par l’utilisation d’une grille ou d’un outil conçu à cette fin (le schéma et les questions que nous avons utilisés pour notre collecte de données en sont des exemples). Les grilles proposées par Pearson (1990) ou par Kemp et ses collègues (1997) offrent également des possibilités intéressantes d’évaluation dynamique du réseau informel du parent (tant en regard de la structure ou des fonctions du réseau que de la motivation du parent à prendre appui sur ces ressources). Au-delà d’un discours idéologique prônant l’intervention de réseau, il s’agit plutôt d’élaborer avec le parent lui-même l’approche qui semble la plus aidante et la mieux ajustée à sa réalité quotidienne. On peut espérer que cette attention au réseau de soutien actuellement (ou éventuellement) disponible permettra de dégager de nouvelles avenues pour solidifier le tissu social susceptible d’appuyer le parent et ainsi favoriser sa capacité de résilience malgré un contexte d’adversité relative.