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Il faut qu’il y ait du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante.

Nietzsche

Il y en a eu du chaos et des éclats de lumière depuis 40 ans en psychiatrie et en santé mentale. Le Québec et sa langue l’ont expérimenté au travers de transformations majeures des systèmes de soins, de l’évolution des asiles puis des hôpitaux, de la maturité des équipes aux couleurs multidisciplinaires variées, des remaniements subtils des psychothérapies et des concepts de soins, et des contraintes politiques et économiques. La drogue, l’itinérance ont trouvé des terrains urbains fertiles pour faire vaciller nos desseins, nos idéaux et malmener nos naïvetés. Notre reniflage timide des neurosciences pour enrichir la compréhension de la psychopathologie, en y repêchant par exemple ce qu’il y a de beau dans les sciences cognitives a modulé un mouvement de pensée qui ne s’est pourtant jamais divorcé du social, des mouvements communautaires, du souci alternatif. Des groupes thérapeutiques, aux pratiques de réseau jusqu’aux derniers avatars du Rétablissement et de la Pleine citoyenneté, les cliniciens, les intervenants ont voulu épouser des croyances pour aider à pratiquer un des plus beaux métiers du monde. Les données probantes ont été sollicitées pour compléter une réassurance sans cesse réclamée car c’est dur. C’est dur car il y a un écart entre ce savoir fragile et la pratique du quotidien. C’est dur car il y a des coupures, de la bureaucratie, de la rigidité et une mise à l’écart lancinante de la santé mentale. Il y a eu la recherche, le monde de la recherche, les subventions, les publications, le Medline, la langue anglaise ; et tout cela a pris forme autour de militants ou bâtisseurs comme Georges Aird, Yves Lecomte et une revue a grandi au fil des ans.

La revue Santé mentale au Québec est en quelque sorte le témoin et la rapporteuse de tout ce qui s’est construit et déconstruit en santé mentale depuis presque 40 ans. Devrions nous coller bout à bout les tables des matières de tous ses numéros, nous y verrions défiler une véritable histoire des modes et des constantes en santé mentale, un historique de nos questionnements et de nos combats. Avons-nous fait tant de progrès ?

Les créateurs et le groupe autour de la RSMQ nous ont demandé, au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, de reprendre le flambeau et d’assurer une pérennité à ce véhicule de pensée, cet outil de transfert de connaissance. Nous avons accepté car l’université a un tel rôle et nous assurerons la logistique et la direction de la revue. Jean Caron, clinicien, chercheur réputé, psychologue de ville, des campagnes et des régions, a accepté d’être éditeur et nous avons un comité éditorial en construction dépassant le Québec et imprégné des autres cultures francophones. Le Dr Jean Caron est à l’origine d’une des plus importantes études épidémiologiques sur la santé mentale au pays. Cette étude menée grâce à une aide financière majeure de l’Institut de recherche en santé du Canada a démarré sur le terrain avec une équipe d’interviewers à Pointe-Saint-Charles et Saint-Henri, des quartiers de Montréal. Il connaît la matière et saura assumer la gestion éditoriale de la revue.

Nous avons de façon naturelle reçu l’appui important des instances dont une des missions est le transfert de savoir en matière de santé mentale : de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (http://www.iusmm.ca/), de l’Institut Douglas (http://www.douglas.qc.ca) et de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (http://www.institutsmq.qc.ca/). D’ici moins de 2 ans, la revue sera électronique. Elle demeurera aussi en version papier, grâce aux Presses de l’Université de Montréal, et le lectorat pourra continuer aussi à utiliser la plateforme Érudit pour les accès aux articles.

La couverture de la revue sera à chaque numéro enrichie par une production de l’un des artistes du groupe des Impatients (http://impatients.ca), dont la mission est de venir en aide aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale par le biais de l’expression artistique. L’organisme délivre gratuitement des ateliers de création, dispose d’un espace galerie grâce auquel il fait connaître à un large public les oeuvres produites dans ses ateliers. Surtout, il a conservé l’ensemble des oeuvres produites par les participants, ce qui constitue aujourd’hui une collection de plus de 12 000 oeuvres. Il s’agit là d’un patrimoine d’une grande richesse et d’une originalité toute particulière. Elle constitue la première collection du genre au Canada. Les Impatients ont accepté de « faire la première page » à chacun de nos numéros. Il nous paraissait crucial que le « patient » ou l’artiste occupe la première place de la revue, soit l’objet du premier regard du lecteur. Tout ce qu’a fait le mouvement de la revue Santé mentale au Québec n’est-il pas en fait d’avoir attiré un regard vers la santé mentale, trop souvent stigmatisée ? Ce regard s’accompagne d’une parole écrite, celle de la langue française, belle complice du transfert de connaissance.

Dans ce numéro de transition, nous avons aussi donné la parole sous forme de lettre à l’éditeur ou de témoignage à de l’émotionnel plus cru : l’une des lettres est l’allocution de Laurent Mottron pour la remise d’un Honoris Causa à Michèle Dawson, autiste et chercheure sur les troubles envahissements du développement que le département avait proposé au rectorat (http://autismcrisis.blogspot.ca). C’est une première. L’autre témoignage est celui rendu par le travail d’une résidente en psychiatrie de notre département qui a gagné le prix Louis Guérette. Il s’intitule : Ce qui reste… Cet article fait suite en quelque sorte au numéro précédent de notre revue sur le suicide.

Bonne lecture et merci aux contributeurs, aux partenaires et à ceux pour qui on écrit de tels articles.