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Le Plan d’action en santé mentale du Québec (PASM - ministère de la Santé et des Services sociaux - 2005) se situe en continuité directe avec l’évolution en Occident de l’organisation des soins en santé.

Au cours des dernières décennies, le modèle médical traditionnel basé sur la multiplication des établissements de soins et leur spécialisation (c.-à-d. la gestion d’une offre de services) s’est avéré insuffisant afin de faire face à des problèmes de santé et des traitements de plus en plus complexes, et des coûts de santé grandissants. Des modèles nouveaux ont vu le jour, et ces modèles continuent d’évoluer. Par exemple, à défaut de pouvoir augmenter indéfiniment les services et les ressources, il est apparu judicieux de favoriser l’intégration plus optimale des services déjà existants, et ce, en les regroupant autour de clientèles spécifiques. Il s’agit du modèle de « gestion par programme clientèle » centré sur les besoins d’une clientèle spécifique et sur l’évolution de celle-ci à travers le processus de soins en visant l’atteinte de résultats spécifiques. La préoccupation pour l’excellence du soin au patient se double maintenant d’un intérêt pour une trajectoire de soins plus complète, y compris le « prévenir-soigner-soutenir ». Enfin, cette perspective appelle un modèle encore plus élaboré, celui d’un fonctionnement en réseau basé sur une coordination des ressources et des efforts afin de répondre aux besoins d’une population spécifique. Il s’agit d’un modèle profondément ancré dans une « gestion de la connaissance » où l’ensemble des connaissances au sujet de la clientèle, des traitements et des services oriente les interventions de soins dans la perspective d’optimiser la trajectoire de soins de chaque patient.

Le PASM intègre la mise en place d’un tel modèle de soins. Il vise une transformation majeure des services en santé mentale au Québec, et plus particulièrement le développement d’une véritable culture de travail en réseau, axée sur l’atteinte de résultats. Il porte, à juste titre, un nom à la hauteur de ses aspirations : « La force des liens ». Cette transformation radicale des soins en santé mentale interpelle un grand nombre d’acteurs, y compris tous les départements québécois de psychiatrie. Le présent article vise à présenter l’expérience de mise en oeuvre du PASM à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR) en lien avec son partenaire, le CSSS Lucille-Teasdale (CSSS LT). Il s’agit d’une expérience en cours de déploiement, un work in progress, dont seront présentés les éléments déjà en place et ceux à venir afin d’éclairer une réflexion sur les principaux enjeux et défis pratiques que pose la mise en place du PASM au programme de santé mentale, secteur adulte, de l’HMR. Il est à noter que cet article reflète une position « proactive » quant à la mise en place du PASM. Sans idéalisation ni pessimisme excessif, cette position reflète le désir de bien comprendre les enjeux et les défis impliqués de façon à mieux contribuer à l’actualisation de solutions. L’article débute par un rappel des principes qui sous-tendent le PASM et se poursuit par une présentation du contexte dans lequel évolue l’HMR et des principaux défis et enjeux rencontrés dans ce processus de transformation avec les étapes franchies et en élaboration.

La responsabilité populationnelle et la hiérarchisation des services

Deux principes majeurs guident la transformation des soins opérée par le PASM : d’abord, la responsabilité populationnelle et ensuite la hiérarchisation des services. La responsabilité populationnelle des soins est désormais dévolue aux Centres de santé et de services sociaux (CSSS) qui ont le mandat « … d’élaborer un plan de service pour la population de (leur) territoire, de stimuler et de coordonner la participation de (leurs) partenaires afin d’assurer la fluidité entre les différents niveaux d’intervention et les services[1] ». Les CSSS doivent veiller à l’accessibilité, la continuité et la qualité des services.

La hiérarchisation des services en niveaux de service de première, deuxième et troisième ligne constitue le deuxième principe sous-tendant le PASM. Ce dernier prévoit que 70 % des patients souffrant d’un problème de santé mentale seront désormais traités en première ligne alors que seulement 30 % d’entre eux seront orientés en deuxième et troisième ligne, ceci constituant un changement radical de pratique. « … La hiérarchisation des services vise à offrir le bon service, à la bonne personne, par le bon intervenant, au bon moment, pour la bonne durée et au bon endroit[2]. » En concordance avec les nombreuses données qui confirment un lien significatif entre la santé des populations et l’efficacité des services de première ligne (Starfield, 1998, 2005 ; Fleury 2009), le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a choisi de prioriser le développement de services de première ligne rapidement accessibles à toute la population et leur arrimage aux services spécialisés de deuxième et troisième ligne. Ce choix rejoint les orientations mêmes de l’Organisation mondiale de la Santé (WHO/WONCA, 2008).

Le PASM définit clairement les services de première et de deuxième ligne. Les services de première ligne sont de deux ordres : 1- les services de première ligne généraux et 2- les services de première ligne en santé mentale. Les services généraux comprennent les services courants en CSSS, les services offerts par les organismes communautaires, les centres de crise, les groupes de médecins de famille (GMF) et les cliniques médicales, les psychologues en privé, etc. La première ligne en santé mentale englobe les services offerts par les guichets d’accès en santé mentale (GASM), de nouveaux « acteurs » dans l’organisation des soins, et les équipes de santé mentale des CSSS.

La deuxième ligne en santé mentale fait référence aux services spécialisés en psychiatrie qui comportent désormais deux volets : 1- l’évaluation et le traitement des problématiques complexes par des équipes interdisciplinaires ; et 2- le soutien à la première ligne par les soins partagés et l’expertise d’un autre nouvel « acteur » dans l’organisation des soins : le médecin spécialiste répondant en psychiatrie. Un des objectifs et défis importants du PASM concerne la réussite du passage fluide des patients entre les première, deuxième et, au besoin, troisième lignes.

La hiérarchisation de services repose sur le guichet d’accès en santé mentale qui constitue désormais la nouvelle – et seule – porte d’entrée des services en santé mentale de première ou deuxième ligne. En d’autres mots, il s’agit du lieu initial où les personnes qui présentent un problème de santé mentale sont évaluées et orientées selon la hiérarchisation des services : soit vers les services généraux de première ligne, soit vers les équipes de santé mentale de première ligne, ou soit vers les services de deuxième ligne. Chaque CSSS possède un GASM desservant sa population.

Le PASM prévoit une évaluation et une orientation du patient par le GASM dans les sept jours ouvrables suivant la réception de la référence. L’évaluation des demandes et leur orientation reposent sur le jugement clinique d’un professionnel de la santé soutenu par une conceptualisation du niveau de services requis non seulement selon les problématiques diagnostiques rencontrées mais également selon la combinaison de trois facteurs additionnels : 1- l’intensité des manifestations symptomatiques présentées par le patient ; 2- son niveau de dysfonctionnement ; 3- la complexité des facteurs environnementaux. À titre d’exemple, ce modèle prévoit que le patient présentant des symptômes légers ou ponctuels sera plus susceptible d’être orienté en première ligne générale, tandis que celui présentant une symptomatologie d’intensité modérée sera envoyé en première ligne en santé mentale, et que le patient souffrant de symptômes sévères et/ou persistants sera orienté en deuxième ligne. Des grilles sommaires ont été développées afin d’illustrer ce modèle de hiérarchisation des services en fonction de diverses problématiques diagnostiques (voir ministère de la Santé et des Services sociaux, Trousse d’information, 2008). Bien que la réalité clinique puisse être plus complexe et que les lignes de conduite ne constituent pas des règles immuables, ces dernières offrent des points de repère utiles qui permettront le développement progressif d’une vision commune sur la hiérarchisation des soins.

Ainsi, la mise en place du PASM entraîne un changement majeur de pratique, de rôle et de clientèle. De « nouveaux acteurs » apparaissent dans l’organisation des soins : 1- le guichet d’accès en santé mentale et 2- le médecin spécialiste répondant en psychiatrie. Par ailleurs, les « anciens acteurs » sont appelés à se redéfinir c.-à-d. : 1- les équipes de santé mentale en première ligne ; 2- les omnipraticiens et 3- les équipes de psychiatrie en deuxième ligne. Nous discuterons ci-dessous des enjeux et défis principaux auxquels fait face la deuxième ligne en psychiatrie à partir du contexte et de l’expérience de l’HMR en partenariat avec le CSSS Lucille-Teasdale.

Contexte de HMR 

L’HMR est un hôpital général de 631 lits situé dans la partie est de l’île de Montréal. En 1999, la structure organisationnelle de l’hôpital fut radicalement modifiée avec le passage d’une structure par départements à un mode de gestion par programmes. Le Programme de santé mentale compte potentiellement 18 psychiatres en adulte et 4 pédopsychiatres. Son secteur adulte comprend une unité d’hospitalisation de 48 lits et un ensemble de services de deuxième ligne en ambulatoire. Depuis janvier 2011, le Programme de santé mentale de l’HMR dessert environ 75 % de la population du CSSS Lucille-Teasdale, soit la population du quartier Rosemont (près de 82 000 habitants) et celle du quartier Hochelaga-Maisonneuve (près de 50 000 habitants). Il s’agit d’une population multiethnique et défavorisée, tout particulièrement celle du quartier Hochelaga-Maisonneuve, tel que documenté par des indicateurs de facteurs de risque sociodémographiques variés (Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, 2006). Le deuxième partenaire hospitalier du CSSS Lucille-Teasdale, l’Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine, dessert environ 25 % de la population de ce territoire.

Point de départ et transformation à HMR

Le Programme de santé mentale de l’HMR présentait, avant l’arrivée du PASM, une organisation de soins semblables à celle de la majorité des autres établissements. Le service de clinique externe recevait directement toutes les demandes de consultations confondues et les acceptait comme de nouvelles inscriptions. L’infirmière pivot, porte d’entrée de nos services externes, effectuait une pré-évaluation téléphonique auprès de chaque patient inscrit et déterminait l’orientation pertinente selon la priorité clinique et les besoins identifiés. L’éventail des problématiques présentées était très large, allant de la situation de crise ponctuelle aux troubles mentaux graves. Une grande proportion des patients adressés n’avait pas, de fait, de médecin de famille et la très grande majorité des patients inscrits recevait un suivi en clinique externe qu’ils aient eu une problématique plus légère ou sévère. Une fois le suivi d’un patient amorcé en clinique externe, il était extrêmement difficile d’y mettre fin lors de la stabilisation de l’état du patient étant donné le peu d’omnipraticiens et de ressources en première ligne pouvant assurer un suivi de maintien. D’un autre côté, la notion de « patient suivi à long terme » était fortement enracinée dans les équipes traitantes en psychiatrie.

L’arrivée du PASM bouscule initialement les perceptions quant aux pratiques et aux soins dans le programme. Elle est d’abord accueillie avec des doutes quant à la faisabilité du projet. Toutefois, la mobilisation des chefs médicaux en collaboration avec les chefs clinico-administratifs permet d’amorcer le virage requis devant un changement majeur incontournable. Dans le programme, s’effectue alors un choix vers la pro-activité, c.-à-d. l’adoption d’une attitude visant l’identification des défis et enjeux impliqués dans la mise en place du PASM couplée à une participation active et collaborative dans l’élaboration de solutions sur le territoire desservi par l’HMR. La transformation requise est conceptualisée comme un work in progress, c.-à-d. une transformation évolutive qui procède par étapes et dont les résultats progressifs doivent être documentés et leur impact suivi. En lien avec la culture de l’HMR, plusieurs valeurs sous-tendent cette démarche de transformation. Citons simplement la priorité au patient (l’amélioration des soins), l’accessibilité et la continuité des soins, l’engagement de tous les soignants et l’examen du processus de soins.

Cette transformation s’effectue en plusieurs étapes parallèles, dont plusieurs se poursuivent à ce jour. Une première étape de la transformation est de réaffirmer le choix consensuel du groupe quant au maintien d’une organisation de services selon un modèle de psychiatrie générale, par opposition à un modèle de cliniques spécialisées. Ce modèle de psychiatrie générale repose sur l’offre de services généraux en psychiatrie axés sur l’orientation rapide du patient vers les soins les plus appropriés et sur la continuité des soins à travers les services requis. Ce modèle mise sur la fluidité du passage entre les services requis par la ou les problématiques du patient dans le but « … d’offrir le bon service, à la bonne personne,… au bon moment…[3] ». Conséquemment, le rôle de l’infirmière pivot en ambulatoire est renforcé afin de favoriser l’orientation rapide de l’ensemble des clientèles vers les soins ambulatoires pertinents (ex. soins partagés, clinique externe, hôpitaux de jour). Ceci permet, entre autres, d’orienter rapidement un patient présentant une problématique de deuxième ligne vers une prise en charge directe par un psychiatre traitant, attitré d’emblée, sans besoin d’une évaluation par un psychiatre intermédiaire.

En vertu de ce modèle de psychiatrie générale, deux axes d’orientation prioritaires sont identifiés au programme de santé mentale de l’HMR, soit le soutien à la première ligne et le traitement spécialisé des problématiques complexes de deuxième ligne avec une préoccupation pour la continuité et l’organisation des soins. En fonction de leur importance, ces deux axes de transformation seront décrits de façon plus détaillée dans les sections suivantes. Le travail préalable essentiel effectué en lien avec le GASM de la première ligne sera présenté d’abord afin de les mettre adéquatement en contexte.

Le travail en lien avec le GASM du CSSS Lucille-Teasdale

Le GASM du CSSS Lucille-Teasdale (CSSS-LT) est en opération depuis le 17 novembre 2008. Ce guichet est constitué d’une équipe interdisciplinaire fonctionnelle, quoiqu’encore incomplète, composée de sept professionnels qui incluent infirmières, travailleurs sociaux et psychologues. Ces professionnels qui travaillent également dans les équipes de santé mentale du CSSS sont de garde « à tour de rôle » au guichet. Ils y reçoivent les références et procèdent aux évaluations requises.

La mise en place du guichet fonctionnel au CSSS-LT est d’abord soutenue et encadrée par un groupe de travail systémique réunissant deux directrices administratives et une conseillère clinicienne du CSSS-LT, la chargée de projet pour la mise en oeuvre du PASM dans l’est de Montréal et trois membres du programme de santé mentale de l’HMR : la chef clinico-administrative du programme, la chef médicale et la chef clinico-adminitrative en ambulatoire. Des rencontres régulières se tiennent dans la collégialité et le respect pendant quinze mois. Ce groupe de travail permet aux partenaires de se connaître davantage et de prendre la mesure des défis auxquels chacun fait face. D’un commun accord, et ce, afin de permettre une consolidation suffisante du guichet, il fut décidé de ne pas procéder immédiatement à la réorientation de toutes les demandes en psychiatrie vers le GASM, tel que prévu ultimement par le PASM. Ceci donne lieu à une période de transition au cours de laquelle les inscriptions directes en clinique externe de psychiatrie de l’HMR sont maintenues, quoique progressivement réorientées, en parallèle avec un guichet ouvert mais en voie de consolider son fonctionnement. Cette période de transition s’est prolongée pendant plus de deux ans étant donné le manque d’effectifs professionnels au GASM. C’est à partir d’avril 2011 que le GASM est devenu véritablement unique, c.-à-d. la seule porte d’entrée pour le suivi en externe à l’HMR. Le groupe de travail systémique s’avère précieux dans ce contexte parce qu’il permet de développer progressivement des procédures « terrain » claires permettant un meilleur arrimage entre la première et la deuxième ligne avec une réduction des difficultés initialement nombreuses.

Les procédures de référence mutuelles étant clarifiées davantage et les rôles des partenaires mieux définis et diffusés, il apparaît alors clairement que le prochain défi se situe sur le plan du développement d’une vision clinique commune quant à ce qui constitue des problématiques de première ligne ou de deuxième ligne. En janvier 2010, le groupe de travail systémique se réunit avec les intervenants du GASM et les infirmiers de liaison en psychiatrie (urgence et ambulatoire) afin d’élaborer une stratégie permettant de favoriser la discussion de cas cliniques et un meilleur travail de collaboration. Une série de rencontres cliniques sont planifiées, où les intervenants du GASM et de l’HMR doivent présenter à tour de rôle des cas types relevant de première ligne et de deuxième ligne, cas pouvant facilement faire consensus, et ce, afin d’établir une vision clinique commune de départ. Cette étape, réalisée assez rapidement, permet de mettre en évidence le véritable défi d’établir un consensus autour de problématiques difficiles ou « frontières » entre la première et la deuxième ligne et susceptibles de créer des situations de désaccord pouvant potentiellement retarder la prise en charge d’un patient. Des rencontres cliniques centrées sur la discussion consensuelle de telles problématiques constituent ainsi une des méthodes adoptées pour harmoniser la vision clinique entre la première et la deuxième ligne. Le dialogue qui s’installe est plus ouvert et donne lieu à des interventions cliniques plus rapides. Quoiqu’incomplète, l’harmonisation de la vision clinique entre la première et la deuxième ligne apparaît alors en voie de progression.

Le soutien à la première ligne

Le soutien à la première ligne, tel que développé par le PASM, fait référence aux services en deuxième ligne qui ont pour but de soutenir les services en première ligne et de favoriser un bon arrimage entre les services de première et de deuxième ligne. Le soutien à la première ligne regroupe deux volets principaux : les soins partagés et le médecin spécialiste répondant en psychiatrie.

1) Les soins partagés

Le service de soins partagés existe au Programme de santé mentale de l’HMR depuis 2004, et date donc d’avant même la mise en place du PASM. Les soins partagés offrent un soutien aux omnipraticiens du territoire qui désirent obtenir un avis psychiatrique au sujet des patients dont ils conservent la responsabilité du suivi. Plus spécifiquement, ce service consiste en une évaluation ponctuelle par un des psychiatres de l’équipe avec rapport écrit à l’omnipraticien documentant les opinions diagnostiques et les recommandations thérapeutiques, pharmacologiques et autres. Il arrive parfois que le psychiatre ait besoin de consulter une travailleuse sociale attitrée, à temps partiel, aux soins partagés afin de répondre à un besoin psychosocial inhabituel pour lequel l’éventail des ressources déjà documenté par écrit par la travailleuse sociale s’avère insuffisant. Le psychiatre s’adresse à l’infirmière pivot en ambulatoire lorsque des arrimages sont requis avec les services de première ligne en santé mentale ou avec les services de deuxième ligne. Les soins partagés de l’HMR remplissent entre 550 et 600 évaluations « en face à face » par année, ce qui correspond à une augmentation annuelle de plus de 40 % depuis la mise en place du PASM. Et ce nombre est encore appelé à augmenter lorsque le PASM sera pleinement diffusé auprès des omnipraticiens.

2) Le médecin spécialiste répondant en psychiatrie (MSRP)

Le rôle du MSRP, initialement appelé psychiatre répondant, a été défini et balisé dans ses différents aspects par le ministère de la Santé et des Services sociaux en accord avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec et l’Association des médecins psychiatres du Québec. Il comporte, à cette étape, trois volets principaux : le soutien sur place aux équipes de santé mentale du CSSS ; le soutien sur place aux omnipraticiens du territoire ; et le soutien téléphonique aux omnipraticiens du territoire.

Le premier volet concerne le soutien à l’équipe de santé mentale du CSSS et implique la présence sur place du psychiatre à raison d’une demi-journée (3 ½ heures) par semaine par territoire desservi de 50 000 habitants. Le rôle du psychiatre est centré autour de la discussion de situations cliniques, soit de patients suivis par les professionnels de l’équipe de santé mentale en première ligne, y compris les omnipraticiens membres de l’équipe, s’il y en a, ou bien de patients adressés au GASM et présentant des problématiques ambiguës afin de faciliter leur orientation. Le psychiatre offre également une disponibilité téléphonique aux membres de l’équipe de santé mentale, le reste de la semaine, pour les situations ne pouvant attendre la rencontre de la semaine suivante (AMPQ, 2009).

Le deuxième volet du rôle du MSRP est le soutien aux omnipraticiens en cabinet déterminé par l’organisation des services sur le territoire. Il implique la présence sur place du psychiatre, soit en cabinet, en GMF ou en clinique-réseau à raison d’une autre demi-journée (3 ½ heures) par semaine pour l’ensemble des cabinets du territoire. Ainsi, si le territoire regroupe deux GMF et deux cliniques-réseaux, le MSRP visite chacun d’entre eux à raison d’une fois par mois. Le MSRP discute des patients suivis par les omnipraticiens. Tout comme pour le soutien en CSSS, ce n’est que de façon très occasionnelle que le psychiatre évalue un patient sur place (AMPQ, 2009).

Le soutien téléphonique aux omnipraticiens du territoire constitue le troisième volet majeur du rôle de MSRP. Il est défini comme la réponse à des consultations téléphoniques ponctuelles sollicitées par des omnipraticiens afin d’obtenir des conseils sur l’orientation du patient, la médication appropriée, les diagnostics probables et les traitements pertinents. Il est conceptualisé dans le PASM comme un service de garde téléphonique qui prévoit la disponibilité d’un psychiatre, et ce, du lundi au vendredi (de 9 heures à 17 heures) pour des consultations téléphoniques traitées à l’intérieur d’un très court délai (environ 20 minutes) (AMPQ, 2009).

Ces différents volets du rôle du MSRP impliquent des organisations de service diverses en deuxième ligne. Chaque établissement de deuxième ligne est appelé à déterminer en collaboration avec les différents partenaires de son territoire, et selon les effectifs dont il dispose, les volets qu’il prévoit prioriser. Au terme d’un travail de réflexion effectué conjointement avec l’Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine et le CSSS-LT, l’HMR choisit de procéder selon une progression par étapes en priorisant en premier lieu la mise sur pied du service de MSRP auprès du CSSS-LT. Depuis juillet 2011, en fonction du territoire desservi, l’HMR déploie en alternance trois MSRP, soit un MSRP auprès de chacune des deux équipes de santé mentale des CLSC Rosemont et Hochelaga-Maisonneuve et où oeuvre la seule omnipraticienne en santé mentale, et un autre auprès du GASM (trois semaines sur quatre en alternance avec un collègue de l’Hôpital Louis-Hippolyte Lafontaine). Cette première étape cruciale permettra de mieux cerner les besoins en première ligne et de favoriser un arrimage optimal entre la première et la deuxième ligne. Le travail de collaboration avec l’omnipraticienne en santé mentale du CSSS-LT qui travaille également dans une des cliniques-réseaux du territoire donnera un éclairage additionnel précieux sur les défis et besoins des omnipraticiens du territoire et permettra d’approfondir la réflexion sur les étapes ultérieures à développer à l’HMR quant au soutien à la première ligne.

Le traitement spécialisé des problématiques complexes de deuxième ligne avec une préoccupation pour la continuité et l’organisation des soins

Le modèle de hiérarchisation des soins et de soutien à la première ligne proposé par le PASM suscite initialement, chez certains psychiatres et professionnels à l’HMR, la crainte d’une atrophie et d’une dévalorisation du suivi spécialisé en deuxième ligne au profit de services psychiatriques plus ponctuels tels les soins partagés. Or, le PASM prévoit clairement les tâches dévolues aux services spécialisés en deuxième ligne :

  • l’évaluation et le traitement des personnes ayant des symptômes plus graves ;

  • les soins destinés aux personnes présentant le plus de risques de rupture avec la société ;

  • le traitement et la réadaptation de longue durée d’un petit nombre de personnes résistant aux traitements habituels mais qui ont un potentiel de réadaptation[4].

En d’autres mots, les services de deuxième ligne sont réservés à une clientèle souffrant d’une symptomatologie plus grave, souvent comorbide et résistante au traitement et présentant, ainsi, un ensemble de défis tant en termes de diagnostic qu’en termes d’alliance thérapeutique ou de réadaptation. Depuis l’amorce du déploiement du PASM à l’HMR, il y a eu une nette évolution de la clientèle vers ce profil complexe qui, bien qu’il en ait déjà constitué une partie, est devenu le profil principal des patients suivis en psychiatrie en deuxième ligne.

Ce modèle de hiérarchisation des soins qui centre les soins en deuxième ligne sur les problématiques plus graves et complexes pose des défis importants à la fois sur les plans de la vision et de la pratique cliniques. Les prochaines lignes exploreront ces divers défis et, succinctement, certaines des stratégies envisagées à l’HMR afin d’y faire face.

Principaux enjeux rencontrés

Ce nouveau modèle de soins souligne l’importance de renforcer le travail interdisciplinaire qui, bien qu’ayant toujours été important, s’avère désormais indispensable afin de répondre aux besoins et défis multiples d’une clientèle complexe. Ainsi, l’époque où un psychiatre pouvait suivre seul une grande proportion de sa cohorte de patients est révolue.

Ce modèle met aussi en relief la nécessité de s’approprier la nouvelle notion d’épisode de soins avec ses impacts multiples sur la pratique en psychiatrie. L’amorce d’un suivi en psychiatrie n’est plus synonyme d’une prise en charge « à vie ». Désormais, le patient sera suivi pour la durée de son épisode de soins, que celle-ci soit plus courte ou plus longue, déterminée par un ensemble de facteurs, dont l’intensité des symptômes, la réponse aux traitements et les objectifs de réadaptation. Lorsque l’épisode de soins d’un patient se termine, son suivi est transféré à la ressource la plus appropriée à ses besoins, le plus souvent en première ligne.

Cette notion d’épisode de soins suscite souvent une réaction initiale mitigée, voire négative dans les équipes interdisciplinaires, tout particulièrement chez les psychiatres et les psychologues qui expriment des inquiétudes quant à l’impact de cette vision nouvelle sur leur relation avec le patient. L’appropriation véritable de la notion d’épisode de soins en deuxième ligne repose, entre autres, sur l’ouverture des praticiens à s’engager dans un processus exigeant de réflexion constructive sur leur rôle et la nature de leur lien thérapeutique avec le patient.

La mise en place d’un tel modèle renforce la nécessité de procéder à un transfert en première ligne des cohortes de patients stabilisés qui constitue l’un des impacts les plus directs de la hiérarchisation des soins sur la pratique en deuxième ligne. Cela souligne aussi l’importance de développer une perspective de trajectoire de soins qui découle naturellement de la notion d’épisode de soins. En fonction d’un suivi en psychiatrie d’une durée désormais limitée, l’équipe interdisciplinaire d’un patient est appelée à prévoir, dès son entrée dans les services de deuxième ligne, sa trajectoire probable de soins, c’est-à-dire le parcours de services pertinents pour ce patient, d’abord, en deuxième ligne et, ensuite, en lien avec la première ligne. Cette trajectoire de soins doit être réévaluée et réajustée avec souplesse selon l’évolution du patient.

Enfin, ce nouveau modèle reconnaît l’importance d’examiner l’organisation des soins sous l’éclairage de la continuité des soins non seulement entre la première ligne et la deuxième ligne, mais également entre les différents services offerts en deuxième ligne (ex. entre l’interne, l’urgence et l’ambulatoire).

Stratégies adoptées afin de faire face aux enjeux

Tel qu’il a déjà été mentionné, la mise en oeuvre du PASM à l’HMR s’est avérée le déclencheur d’un travail de réflexion – encore en cours – sur l’organisation des soins dans le souci d’un processus d’amélioration continue. La première étape de ce travail de réflexion commune, qui s’est échelonné sur plus d’une année, vise à documenter les perceptions concernant les forces et les faiblesses dans la continuité des soins selon l’objectif d’un passage fluide du patient entre les divers services de la deuxième ligne et entre les première et deuxième lignes. Plus spécifiquement, un chantier de travail fut mis en marche afin d’examiner les zones de continuité et les zones de discontinuité intra et interservices. Des rencontres régulières et à contenu novateur sont tenues en parallèle entre les chefs médicaux des différents services, entre les chefs médicaux et clinico-administratifs et, dans chaque service, avec les groupes de professionnels concernés. La diffusion transparente de la démarche et des conclusions progressives, jugée essentielle, s’est effectuée dans le cadre de retraites départementales et de conférences scientifiques attitrées.

Bien qu’une description détaillée des conclusions de cette démarche dépasse largement le propos de cet article, mentionnons que ce travail concerté a permis de mettre en lumière des observations organisationnelles intéressantes et d’amorcer une discussion consensuelle sur les stratégies d’améliorations à déployer. Une douzaine de constatations avec recommandations mettent un accent particulier sur la communication intra et interservices (urgence, interne, ambulatoire) et sur la nécessité d’ajuster les ressources professionnelles en lien avec les besoins de la clientèle. La démarche se poursuit actuellement avec l’identification progressive des moyens concrets permettant de mettre en place les recommandations (exemple : lignes de conduite favorisant une meilleure transmission des informations entre l’urgence, la clinique externe et l’interne, selon le besoin clinique de chaque patient).

Au même moment, un deuxième travail de groupe, de nature différente et plus circonscrit, se poursuit en clinique externe en regard du transfert des patients stabilisés en première ligne. En effet, dans le cadre de la collaboration entre l’HMR, le CSSS-LT et l’Hôpital Louis-H. Lafontaine et du transfert préalable en première ligne des patients suivis à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, l’éventualité d’un transfert réussi en première ligne des patients stabilisés de l’HMR devint possible. Avec cet objectif, le programme de santé mentale de l’HMR exécute, sur plusieurs mois, un travail d’identification des patients pour lesquels un suivi en première ligne s’avère désormais pertinent. Chaque psychiatre en externe, en collaboration avec les professionnels de la santé impliqués, est appelé à identifier le type de suivi requis pour chacun de ses patients en utilisant la grille de cotation suivante :

  • A : patient dont la problématique nécessite un suivi en psychiatrie de deuxième ligne ;

  • B : patient dont la problématique relève désormais d’une première ligne en santé mentale ;

  • C : patient dont le suivi peut être adressé exclusivement à un médecin de famille.

Une liste d’indicateurs cliniques développés préalablement par le groupe de travail réunissant des partenaires des trois CSSS de l’est de Montréal, de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine et de l’HMR sert de guide de référence aux psychiatres et aux professionnels pour l’orientation vers la première ligne. Un certain nombre de données additionnelles sont aussi recueillies pour chaque patient, notamment, la disponibilité ou non d’un médecin de famille. Cette première étape cruciale d’identification des patients pouvant être transférés en première ligne s’effectue parallèlement à l’identification des mécanismes de retour rapide en deuxième ligne pour les patients dont l’état se détériore significativement. Le transfert réel de la première cohorte de patients s’amorce avec la mise en place de mécanismes de transfert personnalisé basés sur la pratique déjà adoptée par l’hôpital Louis-H. Lafontaine. À l’heure actuelle, le transfert des patients de l’HMR, longtemps retardé par le manque d’effectifs en première ligne, progresse favorablement.

Conclusion

Le PASM introduit un changement radical de vision et de pratique dans les soins en santé mentale au Québec. Après une période d’incertitude et d’ambivalence devant ce défi, l’HMR s’est interrogé sur le moyen de le transformer en fenêtre d’opportunité au profit des patients, des services et de l’ensemble des professionnels impliqués. Le présent texte fait donc part du cheminement réflexif et pratique de l’HMR concernant plusieurs enjeux majeurs liés à la mise en place du PASM en collaboration avec le CSSS-LT. Certes, lorsqu’il s’agit de résumer une situation complexe, on se retrouve inévitablement devant une description simplifiée de la réalité qui ne rend pas justice à tous les efforts, toutes les démarches et tous les partenaires impliqués dans une telle entreprise que la mise en place du PASM. Ainsi, il est fait mention seulement brièvement du travail substantiel et préliminaire effectué sur plusieurs années avec l’ensemble des partenaires de l’est de Montréal, notamment l’Hôpital Louis-H. Lafontaine et le CSSS St-Michel/St-Léonard ainsi que le CSSS Pointe-de-l’Île en collaboration avec le CSSS-LT. Le présent texte ne couvre que la période de déploiement « terrain » du PASM à l’HMR en collaboration avec le CSSS-LT. Par le fait même, il aborde surtout les enjeux liés à la deuxième ligne sans véritablement rendre compte de la transformation majeure également vécue en première ligne.

Il va sans dire que la mise en oeuvre du PASM au Québec présente encore de nombreux défis. Elle ressemble en quelque sorte à un immense « casse-tête » dont les nombreux morceaux se mettent en place progressivement avec certaines des pièces qui demeurent encore à être ajustées. Trois ingrédients majeurs nous apparaissent essentiels dans l’obtention éventuelle d’une figure complète et satisfaisante : d’abord et avant tout, le maintien du patient, de son bien-être, de ses besoins et de la relation soignant-soigné au coeur des préoccupations des praticiens et des administrateurs ; ensuite, la poursuite d’un travail de collaboration véritable entre tous les acteurs concernés dans le suivi attentif de l’évolution de ce processus ; et enfin, la mise en place de moyens d’établir des bilans sur la progression des soins afin d’en tirer des apprentissages. L’objectif ultime poursuivi – est-il besoin de le rappeler – étant de « faire mieux et ensemble pour le bien des patients ».