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1. Contexte annonciateur de la Réforme des soins en santé mentale en Belgique

1.1 Contexte international comme déclencheur d’initiatives politiques

Les évolutions qui ont marqué les soins en santé mentale en Belgique ces 40 dernières années montrent qu’un certain nombre de jalons importants sont d’ores et déjà posés vers la mise en place de soins plus orientés vers et au sein de la communauté (Bjaras et coll., 1991 ; Emard et coll., 2004). Sur le plan international, nous tendons à amener les soins en santé mentale vers les demandeurs de soins au lieu de les sortir de leur domicile, de les encadrer et traiter en milieu résidentiel et/ou institutionnel (Thornicroft et Tansella, 2004).

Le rapport annuel de 2001 de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) fait part de l’intérêt social pour les problèmes croissants en matière de santé mentale et du besoin urgent d’un élargissement et d’une meilleure organisation de l’offre de soins. Le 18 mai 2002, sur proposition de la Belgique, cette constatation fut transformée en une résolution « Mental health : Responding to the call for action » (déclaration d’intention, 2002).

D’où la nécessité de promouvoir une offre de soins en santé mentale qualitative et quantitative optimalisée orientée vers la demande. C’est la raison pour laquelle la Conférence ministérielle européenne de l’OMS de janvier 2005 à Helsinki a abouti à des accords politiques concrets et au plan d’action détaillé des soins en santé mentale (OMS, 2006).

Dans les pays où les soins en santé mentale axés sur la communauté sont déjà plus développés, on constate que moins il y a de traitements résidentiels plus les problèmes psychiques peuvent être traités avec succès (Emard et Aubry, 2004).

En d’autres termes, dans ces pays, on remarque que des soins en santé mentale basés sur les besoins et demandes de soins des personnes présentant des problèmes psychiques et offerts d’une manière continue ou aussi proche que possible du domicile donnent des résultats positifs et allant dans le sens du rétablissement (Mizock, 2011).

Sur le plan européen, nous constatons que le développement des soins orientés vers la communauté, la suppression systématique de l’offre de soins en santé mentale résidentiels et la focalisation sur le dépistage précoce des problèmes psychiatriques ont très nettement et concrètement porté leurs fruits (Morandi, 2010).

Au Royaume-Uni, par exemple, le nombre d’équipes mobiles qui proposent des traitements et un accompagnement au domicile de personnes présentant des problèmes psychiques a augmenté de manière exponentielle depuis le début de 2000. Au cours de cette même période, on a observé une forte baisse du nombre de suicides par 12 % (NAO, 2007 ; NHS, 1999).

On n’a pas encore pu démontrer jusqu’à présent une relation statistique significative entre les deux phénomènes mais de nombreux acteurs des soins en santé mentale britanniques sont convaincus que la modification de l’organisation des soins a pour le moins amorcé la réduction de la problématique du suicide (Appleby, 1999 ; Thornicroft, 2003).

En France, dans certaines régions, nous constatons les résultats très encourageants du changement de politique proposant une offre de soins dans la communauté plutôt que le maintien des soins au sein des structures hospitalières (Roelandt, 2007).

Cette même évolution est constatée, avec des résultats assez comparables dans des régions, notamment en Hollande, en Suisse, en Norvège ou encore au Québec.

1.2 Belgique et problématiques de l’offre en santé mentale

Le remaniement des offres en santé mentale, avec une limitation de l’offre hospitalière résidentielle au bénéfice d’un suivi communautaire, et plus largement au bénéfice du patient, a amené le gouvernement belge, composé de ses entités fédérales, régionales et communautaires[1], à se concerter et à construire ensemble leur dispositif – tant sur le plan organisationnel que philosophique pour proposer la mise en place d’une « réforme des soins en santé mentale » qui a pour but d’optimaliser les soins en santé mentale actuels. Cette nouvelle offre est principalement orientée vers une approche et une vision communautaire (Besançon et coll., 2009).

Il ressort de l'enquête de santé par interview de 2004 (Bellamy et coll., 2005) qu’une personne sur quatre (24 %) dans la population des 15 ans et plus a déjà lutté contre un mal-être psychique et que pour plus de la moitié de ces personnes (13 %), il s’agissait d’une affection assez grave. Pour un tiers des personnes incapables de travailler durant de longues périodes ou définitivement, la cause de cette incapacité est due à un dysfonctionnement mental. Il s'agit de près de 70 000 personnes.

Les données de l’enquête de santé montrent aussi qu’un Belge sur quatre rencontre des problèmes de santé mentale (Gisle, 2008). Une subdivision par problématique indique que 8 % de la population a présenté des épisodes dépressifs, 8 % a rencontré des problèmes somatiques, 6 % des symptômes de peur et 20 % des dysfonctionnements du sommeil. De plus, 6 % des personnes indiquent qu'elles ont traversé une grave dépression durant l’année précédant l’enquête.

Il ressort des statistiques internationales que les taux de suicide se situent parmi les plus élevés du monde dans un certain nombre de pays européens. Les cinq pays dans le monde ayant les taux de suicide les plus élevés sont respectivement la Lituanie, la Biélorussie, la Russie, la Slovénie et la Hongrie. La Belgique est en 13e position, une place peu enviable (OMS, 2006 ; Centre de Prévention du Suicide, 2011).

1.3 La Belgique et son (ses) système(s) de soins en santé mentale : l’avant-réforme

La Belgique propose un large éventail d’offres en matière de soins de santé et de bien-être aux personnes ayant des problèmes psychiques. Les gens viennent essentiellement chez le médecin généraliste avec leurs problèmes physiques mais aussi de plus en plus avec leurs problématiques psychosociales.

Différents acteurs du bien-être, acteurs du secteur de l’enseignement, des instances judiciaires des soins aux personnes âgées, des services sociaux des centres publics d’action sociale, de l’Office national de l’emploi, des sociétés de logements sociaux, s’occupent également en première instance des personnes ayant des problèmes psychiques ou psychiatriques.

Suivant la gravité de la problématique, ces personnes sont renvoyées, pour plus d’assistance spécialisée, vers des centres de soins en santé mentale, des hôpitaux psychiatriques, des services psychiatriques des hôpitaux généraux et/ou vers des psychiatres privés et/ou des psychothérapeutes.

Ce renvoi ne se déroule actuellement pas toujours de manière harmonieuse. Ceci est dû en partie à la méconnaissance de l’offre des soins en santé mentale ayant pour effet que les personnes n’arrivent pas directement au bon endroit, ceci est dû également au tabou qui plane au-dessus des problèmes psychiques (Bolle, 2007). Ce qui influe aussi, ce sont les délais de traitement souvent longs auxquels les personnes présentant des problèmes psychiques et leurs orienteurs sont confrontées.

Des raisons historiques expliquent que la capacité de l’offre de soins en santé mentale résidentiels en Belgique n’a cessé de croître plus fortement que chez nos voisins. Malgré les démarches déjà entreprises pour ancrer les soins en santé mentale plus fortement dans la société, la Belgique est encore et toujours confrontée à l’un des ratios les plus élevés de lits psychiatriques par nombre d’habitants (Guide, 2009 ; Mariage, 2010). En 2008, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) publiait son rapport Policies andPractices for Mental Health in Europe – Meeting the Challenges selon lequel la Belgique dispose de 152 lits psychiatriques (en hôpital psychiatrique et en services psychiatriques des hôpitaux généraux) par 100 000 habitants. De tous les pays européens, seule Malte a un ratio encore plus élevé, avec plus de 180 lits par 100 000 habitants.

La même année, le Centre fédéral belge d’expertise des soins de santé (KCE) a constaté dans une étude (KCE, 2008) que 4 730 patients psychiatriques adultes ont résidé en 2003 pendant plus d’un an dans un service de traitement d’un hébergement protégé visant la garantie optimale de leur réadaptation sociale (service T).

Un tiers de cette population a déjà séjourné plus de six ans dans un service similaire. Une conclusion importante est que les hébergements ne fournissent pas suffisamment d’efforts pour réintégrer ces usagers dans la société (aussi in Roy et Perron, 2009).

1.4 La Réforme des soins en santé mentale en Belgique : des projets pilotes comme point de départ

Lorsque des efforts sont faits pour orienter les soins en santé mentale vers la société et la communauté, cinq mouvements qui correspondent à la philosophie de base en cours d’implémentation en Belgique peuvent être décrits (Guide, 2010).

Tout d’abord, la désinstitutionnalisation qui consiste à limiter les traitements résidentiels au sein d’institutions de soins, tout en favorisant la mise en place de formules de soins ambulatoires intensifs et spécialisés en tant que solutions de rechange à l’hospitalisation et visant à maintenir l’usager en santé mentale au sein de la Cité.

Ensuite, l’inclusion qui peut être décrite comme la réadaptation et la réhabilitation dans le cadre d’une indispensable collaboration avec les secteurs de l’enseignement, de la culture, du travail, du logement social… L’inclusion ne concerne donc pas que les secteurs de la santé mentale, mais l’ensemble des professionnels qui interviennent.

Puis, la décatégorisation qui est la mise en place, via les circuits et les réseaux de soins, d’une collaboration avec et entre les soins aux personnes adultes, les services de santé mentale, le secteur des personnes handicapées et la justice. L’ensemble des intervenants se concerte autour de l’usager, limitant une prise en charge en silos.

Ensuite, l’intensification qui consiste en une intensification des soins au sein des hôpitaux, correspondant à des durées d’hospitalisation réduites et des soins avec des programmes de soins intenses, permettant de limiter la mise à l’écart de l’usager.

Enfin, la consolidation qui est une régularisation des différents projets pilotes participants, tant sur le plan fédéral, que communautaire et régional, dans le concept de globalisation des soins en santé mentale. L’idée étant de pouvoir structurer l’offre de soins globale et en réseau.

Il convient également de signaler ici, mais ce point sera développé infra, que cette vision de la santé mentale prend place dans une approche par réseau (Provan et coll., 2004), où une offre de services intégrale et globale est présente par zone ; chaque zone correspondant à un réseau et à un projet-pilote de la Réforme des soins en santé mentale.

En se basant sur les études mentionnées ci-dessus et sur d’autres études, et pour que l’organisation des soins en santé mentale réponde aux principes fondamentaux de la déclaration d’intention commune mentionnée supra, la Conférence interministérielle belge (CIM) Santé publique du 28 septembre 2009 a décidé de passer à la mise en application de l’article 107 de la Loi concernant les hôpitaux et autres institutions de soins (De Ceuterick, 2010). Cet article dit que « Le Roi peut prévoir des modalités spécifiques de financement afin de permettre, sur une base expérimentale et pour une durée limitée, un financement prospectif des circuits et des réseaux de soins, axé sur les programmes. »

Autrement dit, la mise en oeuvre de l’art. 107 est une technique financière qui permet la réallocation d’une partie du budget des moyens financiers (BMF) (De Ceuterick, 2010) des hôpitaux afin d’adapter l’offre actuelle de soins en santé mentale.

2. Cadre conceptuel de la Réforme des soins en santé mentale

2.1 Des « fonctions » en tant que symbolisation du réseau de services alternatifs

Le modèle que nous mettons en place (Guide, 2010) a comme originalité et spécificité d’associer, au sein d’une vision globale et intégrée, l’ensemble du dispositif en intégrant les ressources des institutions hospitalières et des services développés dans la communauté, qu’ils soient directement en lien avec la santé mentale ou non.

L’organisation que nous préconisons concerne donc l’ensemble des intervenants présents sur un territoire délimité qui ont à créer des stratégies pour répondre à l’ensemble des besoins en santé mentale de la population de ce territoire.

Pour construire ce nouveau modèle, et en assurer sa pérennité, nous postulons qu’un nombre minimal de fonctions doivent être remplies ; fonctions qui progressivement s’organisent en réseau de services alternatifs répartis sur le territoire.

La finalité est le maintien des personnes au sein de leur environnement et de leur tissu social d’origine par la mise en place de parcours thérapeutiques individualisés. Le réseau ainsi construit est multidisciplinaire et basé sur des modalités d’intervention flexibles.

Ainsi, l’organisation d’une première ligne à bas seuil facilite l’accessibilité aux soins en santé mentale, encore trop souvent vécus comme stigmatisants.

Tableau 1

Résumé des cinq fonctions de la Réforme des soins en santé mentale

Résumé des cinq fonctions de la Réforme des soins en santé mentale

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La fonction 1 : activités en matière de prévention, de promotion des soins en santé mentale, détection précoce, dépistage et pose d’un diagnostic

La première fonction concerne les missions de base de l’aide et des soins. Il s’agit d’actions qui se développent dans l’espace communautaire et qui concernent autant des actions de prévention, de détection précoce ou de première intervention.

Cela sous-entend un accueil de la demande accessible, l’organisation d’une réponse de proximité, basée sur un diagnostic qui permet de donner une réponse adaptée aux difficultés psychiques ou psychologiques de la population du territoire concerné en assurant, si nécessaire, la continuité thérapeutique sur le long terme.

Dans ce cadre, il est primordial d’associer la première ligne généraliste dans la prise en charge des soins en santé mentale.

La fonction 2 : équipes ambulatoires de traitement intensif, aussi bien pour les problèmes psychiques aigus que chroniques

La deuxième fonction concerne les équipes de traitement à domicile, d’une part, celles qui s’adressent aux personnes en situation aiguë ou subaiguë (fonction 2a) et, d’autre part, celles qui s’adressent aux personnes qui présentent des difficultés psychiatriques chroniques (fonction 2b).

La nouveauté de cette fonction est d’explorer une nouvelle forme de soins en santé mentale plus rapidement accessibles aux personnes et de leur offrir des soins adaptés là où elles vivent.

L’originalité est donc d’offrir une alternative à l’hospitalisation en créant une offre mobile, avec intervention immédiate et intensive pour les situations aigües, dont la variabilité en intensité et en durée sera adaptée pour les personnes qui présentent des problématiques chroniques.

Cette nouvelle forme de ressources organise son action en complémentarité avec la première en y ajoutant une mobilité et une expertise. Le partenariat est structuré et s’inscrit dans une approche globale.

La fonction 3 : équipes de réhabilitation, réinsertion et inclusion socioprofessionnelle

La troisième fonction s’inscrit dans le secteur de la réhabilitation psychosociale. Il s’agit d’offrir des programmes particuliers à des personnes qui présentent des problématiques psychiatriques à un stade spécifique de leur maladie.

La réhabilitation psychosociale est un processus dynamique qui s’inscrit dans une logique de temporalité permettant aux personnes d’accéder à la réinsertion sociale et professionnelle dans la société et qui nécessite une approche politique transversale, impliquant des ministères et des administrations aux compétences diversifiées.

C’est un programme particulier qui prend en considération le développement des capacités permettant une autonomie suffisante dans la vie journalière, des capacités sociales par la participation à une vie communautaire, culturelle, et aussi par l’élaboration d’un projet professionnel adapté.

Ces programmes particuliers peuvent s’inscrire à la suite ou complémentairement aux missions de base remplies par les ressources de la première fonction ou dans la continuité des interventions réalisées dans le milieu de vie par les équipes mobiles.

La fonction 4 : unités intensives de traitement résidentiel, aussi bien pour les problèmes psychiques aigus que chroniques, lorsqu’une hospitalisation s’avère indispensable

La quatrième fonction concerne l’intensification des soins résidentiels spécialisés pour les personnes pour lesquelles l’aide dans l’environnement de vie ou au domicile n’est temporairement pas indiquée.

Ces unités peuvent délivrer une observation et un traitement spécifiques et intensifs en mettant l’accent sur les soins aigus, sur l’indication et l’établissement de diagnostic, sur la prise en charge résidentielle intensive.

Ces petites unités sont caractérisées par des séjours de courte durée, d’une grande intensité et fréquence, d’un encadrement spécialisé. Les aspects relatifs à la coordination des soins sont pris en compte lors de la prise en charge. La gestion des hospitalisations est importante. Celles-ci sont réalisées avec une attention à la durée (brève) de l’hospitalisation, des filtres pour l’admission (au moins une procédure d’admission coordonnée), un suivi après la phase aigüe (autant que possible par le professionnel de l’équipe qui est le plus près de l’usager).

Une communication permanente avec les autres acteurs du réseau assure le maintien du lien avec le réseau social des personnes tout en optimalisant leur possibilité de retour au domicile et aux chances d’insertion.

La crise nécessite toujours une mise au point diagnostique spécialisée avec une approche médicale somatique, psychologique et psychiatrique qui peut être assurée au sein de chaque fonction du réseau.

L’urgence psychiatrique comporte un aspect d’urgence des pathologies psychiatriques avérées pour lesquelles des modalités d’accueil résidentiel spécifiques sont nécessaires.

La fonction 5 : formules résidentielles spécifiques permettant l’offre de soins lorsque l’organisation des soins nécessaires à domicile ou en milieu substitutif du domicile est impossible

La cinquième fonction concerne le développement d’habitats spécifiques et/ou adaptés pour des personnes qui souffrent de problématiques psychiatriques chroniques stabilisées et qui présentent des possibilités d’intégration sociale réduites.

Ces habitats ont pour but d’apporter un soutien à l’organisation de la vie quotidienne.

Le but poursuivi est de faciliter l’insertion sociale par des programmes individualisés, qui prennent en compte les besoins d’autonomie exprimés par les personnes.

Intégrés dans le tissu social, ils sont organisés sous forme d’hébergements protégés, d’appartements supervisés ou toute autre forme de logements adaptés.

Tableau 2

Représentation de l’offre globale couverte par la liaison entre les cinq fonctions

Représentation de l’offre globale couverte par la liaison entre les cinq fonctions

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2.2 Description du modèle et de la vision sous-tendant la Réforme des soins en santé mentale et rôle des partenaires

Implémentation locale, un modèle de travail en réseau

Nous précisons notre démarche comme étant une approche globale et intégrée qui définit toutes les fonctions dans le cadre des soins en santé mentale, et ce, au départ d’un modèle intégré.

L’organisation actuelle des soins en santé mentale doit progressivement évoluer et faire place à un réseau de services alternatifs répartis sur le territoire.

Ceci implique une adaptation de chacune des ressources qui, ensemble, sont amenées dans un souci de complémentarité à développer leur modèle, basé à la fois sur la créativité et l’originalité des acteurs, de leur localisation, mais aussi et surtout en tenant compte de la philosophie globale de la Réforme.

Nous insistons sur le fait que ces fonctions fondamentales nécessitent une collaboration avec tous les acteurs concernés à différents paliers.

Ceci nous amène à définir préalablement un cadre minimum qui a pour but d’une part, de déterminer les différentes étapes nécessaires à la construction du réseau de collaboration et d’autre part de définir le profil du coordinateur de réseau ainsi que son rôle essentiel dans la construction du processus.

La construction du réseau

Définition du réseau

Il faut être très précis sur la notion de réseau que nous devons comprendre comme étant un réseau de collaborations entre des structures et des ressources qui vont, dans un partenariat effectif, définir une finalité, un fonctionnement et des objectifs communs, ceci afin de garantir l’efficacité du suivi des usagers, une meilleure continuité des soins, l’amélioration de l’offre et l’amélioration de la qualité de prise en charge.

Il est nécessairement conçu sur la base de la philosophie globale de la Réforme. Le réseau se définit sur la base de programmes individualisés, dont, entre autres, l’offre thérapeutique, tout en respectant le libre choix de l’usager.

Cette finalité doit être visible et doit devenir un modèle opérationnel de travail en réseau ayant comme but d’offrir une réponse adaptée à chacune des situations par la mise en place de parcours thérapeutiques individualisés.

Chaque réseau est ainsi constitué de l’ensemble des cinq fonctions définies préalablement.

Déroulement de l’action

Pour réaliser le réseau, certains éléments de base sont pris en considération[2] :

  • Mise en place des acteurs

    Chaque ressource du réseau inscrite dans le projet désigne un représentant qui sera durant tout le processus l’interlocuteur, le garant de sa structure dans la construction organisationnelle du réseau.

    Son mandat est clair, il est connu du coordinateur de réseau, il sert d’appui permanent et de liaison fonctionnelle entre les actions définies dans le projet de construction de réseau et leur concrétisation sur le terrain.

  • Mise en place du coordinateur de réseau

    Un coordinateur de réseau est choisi pour un territoire donné et défini. Ce coordinateur est désigné par l’ensemble des garants et sur base d’un profil précis.

    Le coordinateur de réseau prend connaissance des ressources mobilisables existantes sur le territoire du projet. Il se profile comme étant le facilitateur de la création du réseau. Il connaît les spécificités des différentes ressources, il connaît les projets en cours…

    Il rencontre les responsables, pouvoirs organisateurs et directions de ces structures, il s’imprègne de l’offre des différentes ressources mais aussi de leurs limites, il en connaît les législations. Il réalise une cartographie actualisée…

  • Mise en place du comité de travail

    Le coordinateur de réseau et l’ensemble des garants de services constituent le comité de travail stratégique qui aboutit à l’opérationnalisation du travail en réseau sur le territoire défini.

    C’est un groupe de préférence fermé, qui établit dès le départ un plan de travail structuré (plan de programme) comprenant obligatoirement : la finalité recherchée (construction opérationnelle du réseau), les objectifs généraux pour y parvenir, les actions à mener, les moyens à y affecter, un échéancier (un agenda opérationnel ou plan d’élaboration stratégique (Fleury et coll., 2000 ; De Beer, 2013), une analyse rétroactive (évaluation en continu des résultats).

    Ce plan de programme est connu et bien intégré par tous les membres du comité de travail (le coordinateur de réseau et les garants de services). Il est sous la responsabilité globale (pilotage) du coordinateur de réseau qui veille à la réalisation des objectifs par une animation dynamisante des différents acteurs.

  • Construction participative des outils

    Cette étape est bien sûr la plus importante du plan programme. Elle a pour but de renforcer la coopération, résultat attendu d’une construction d’un réseau par les acteurs eux-mêmes.

    Les objectifs peuvent être résumés à ces concepts-clés : l’organisation, la planification, l’élaboration des stratégies, l’établissement de complémentarités, la concertation, la coordination, la conception d’outils nouveaux, l’information et le partenariat.

    On comprend dès lors l’importance du choix du coordinateur de réseau, qui est en permanence confronté à des missions tant stratégiques et politiques, que d’organisation et de gestion, le tout en faisant preuve d’un savoir-faire en communication. Il est aussi le facilitateur des processus de changements.

    Dans cette étape de construction des outils, on peut retenir deux axes :

    • Tout d’abord, la mise en commun des pratiques (des ressources), avec cette étape qui s’avère importante, mais souvent minimisée. On a souvent l’impression de connaître les partenaires mais cette connaissance des différentes ressources du territoire peut être incomplète, obsolète et demande une mise à jour permanente et un contact maintenu. C’est une des missions du comité de travail. La pratique de l’immersion (si possible croisée) au sein des services est recommandée. Il s’agit d’un temps pendant lequel le garant de service est intégré, vit de l’intérieur le travail d’un ou de plusieurs services partenaires du réseau territorial. Il s’intéresse en profondeur aux conditions d’accès, à l’organisation du travail, aux programmes ou modules proposés. Il comprend la réalité du quotidien des partenaires, leur potentiel, mais aussi leurs limites.

      Cette étape permet la mise en oeuvre des potentialités du terrain, notamment par un décloisonnement des acteurs et des pratiques.

    • La mise en place de consensus (aboutissant à des procédures) qui est également une étape indispensable. Les procédures sont construites par les acteurs eux-mêmes, elles prennent la forme de conventions de collaboration. Ces procédures constituent le cadre opérationnel du travail en réseau, précisant de façon très claire, compréhensible, qui fait quoi, quand.

  • Construction participative des méthodologies

    À cette étape de construction du réseau, le coordinateur du réseau et les garants de services ont à définir une méthodologie de travail commune, la construction d’un modèle de fonctionnement visant à utiliser de façon intégrée dans un même programme les différentes ressources disponibles dans le réseau. Parmi les bonnes pratiques issues de la littérature ou des projets thérapeutiques (Somme et coll., 2008 ; Becker, 2006 ; Hutchinson, 2004 ; Carrier, 1998), le modèle du plan de service individualisé ou plan de soins individualisé est l’approche la plus formalisée de ce type de préoccupation. Ce modèle permet d’établir des procédures de formalisation, de planification et de coordination des interventions liées aux soins, à la réhabilitation psychosociale, à l’insertion des usagers, ce qui requiert de multiples ressources. Chaque projet définit une méthodologie propre concertée qui aboutit au développement du réseau organisationnel.

  • Développement de la fonction « référent de soins »

    Cette étape est essentielle, elle est l’aboutissement et la réussite du projet de travail en réseau au départ de l’usager. Dans la construction des procédures et des méthodologies, et dans un souci d’efficacité de travail en réseau autour de l’usager, cette nouvelle fonction joue un rôle déterminant : elle utilise les procédures (conventions) signées par le coordinateur du réseau, et les garants de services centrent leur action sur l’usager et sont les pivots d’une coordination centrée sur les besoins de l’usager. Le « référent de soins » est responsable d’un parcours réussi de l’usager et il assure la liaison entre les ressources (fonctions) disponibles du réseau.

3. Implémentation de la Réforme : le développement des réseaux

3.1/ Projets pilotes

Au 1er janvier 2014, les 19 projets qui ont été retenus ont tous lancé la construction du réseau et la mise en place des équipes mobiles. La totalité des projets couvre actuellement un ensemble de communes sur le territoire belge qui représente une population de 7 933 919 habitants pour un total de la population belge de 11 082 744 habitants.

Répartis par région, nous notons la situation suivante :

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La cartographie de couverture des projets sur la Belgique est donc la suivante :

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3.2 Approche participative, par une inclusion des usagers et familles

La participation des usagers et familles dans l’organisation des soins se développe en Belgique depuis maintenant de nombreuses années. Sans remonter trop loin, il faut considérer comme référence la Note politique relative à la santé mentale en 2005 du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Rudy Demotte.

Dans cette note politique, le ministre aborde les éléments concrets qui doivent mener à une réorganisation des soins en santé mentale dans les circuits et réseaux de soins.

Les représentants des usagers et des familles en ont compris les enjeux. Il leur semblait donc impératif de participer activement à ce mouvement novateur et à sa mise en oeuvre, s’agissant de l’évolution future des soins en santé mentale en Belgique.

Dans le cadre de ces projets pilotes, deux associations d’usagers, UilenSpiegel et Psytoyens, ainsi que deux associations de familles, Similes Wallonie pour la partie francophone du pays et Similes Vlaanderen pour la partie néerlandophone du pays, ont été sollicitées pour participer à la réflexion transversale de cette nouvelle approche visant à reconnaître et à concrétiser la notion de participation des usagers et des familles.

À la fin du printemps 2007, le cabinet des Affaires sociales et de la Santé publique et le Service public fédéral (SPF) Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement, informent les organisations de patients et de familles de l’utilité d’inclure dans le partenariat un comité scientifique dont le pilotage a été confié à des experts de LuCas (Centre de recherche interdisciplinaire de la KUL) et à l’Association Interrégionale de Guidance et de Santé.

Les objectifs étaient alors les suivants :

  • améliorer la représentation des familles et des usagers à l’organisation des soins de santé mentale ;

  • accroître cette représentation sur le plan politique.

Une possibilité inédite et unique était ainsi offerte aux usagers et aux familles d’être reconnus comme partenaires des professionnels de terrain dans la réflexion et l’action visant à poursuivre les réformes dans le secteur de la santé mentale.

2010 marque le début officiel de l’article 107 de la loi sur les hôpitaux ; qui concerne donc une étape nouvelle de la Réforme des soins en santé mentale prônant une organisation des soins centrés sur les besoins des patients pris en considération dans leur milieu de vie.

C’est une nouvelle philosophie, un changement de culture considérable qui demandera du temps à la fois aux autorités compétentes, aux directions d’institutions, aux professionnels mais aussi au sein des associations d’usagers et de familles.

Les six associations (usagers, familles et experts) ont donc été invitées à poursuivre la réflexion concernant le processus de concertation, entamé plus de deux ans auparavant.

Un financement spécifique a été réservé pour permettre aux représentants des usagers et des familles de réaliser des missions précises qui sont négociées et précisées dans un contrat signé avec la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique.

Prenons par exemple un extrait de la convention 2013 concernant les missions confiées aux usagers et aux familles :

  1. Favoriser la participation des associations d’usagers et de proches à la Réforme des soins en santé mentale en étant intégrés, à des degrés divers, à tous les projets.

  2. Soutenir et coacher :

    Afin de permettre une participation effective, les associations d’usagers et de proches doivent poursuivre le soutien et le coaching de leurs volontaires.

  3. Soutenir et implémenter les recommandations rédigées dans les rapports d’activités précédents, ainsi que les bonnes pratiques identifiées.

  4. Poursuivre le développement et l’adaptation de la check-list.

  5. Mettre en place et dispenser une formation à l’attention des médecins psychiatres.

  6. Mettre en place et démarrer des rencontres formatives à l’attention des comités de réseau et des comités de fonction.

  7. Organiser un colloque.

  8. Expérimenter et adapter les guides (version usagers) dans la pratique sur la base du feed-back émanant du terrain.

Le projet « participation des représentations des patients et de leurs familles » est donc complètement intégré dans la Réforme des soins en santé mentale en Belgique ; on peut considérer qu’il y a un impact sur différents plans, à savoir :

  • sur le plan macro : vers les autorités politiques et de l’administration, que ce soit sur le plan fédéral ou des Régions et Communautés

    • par des recommandations qualitatives concernant la mise en place et le déroulement de la Réforme des soins en santé mentale. Un comité d’accompagnement mis sur pied par les autorités fédérales est organisé trimestriellement afin de suivre l’évolution des missions et de prendre en considération l’état d’avancement des recommandations.

  • sur le plan méso : vers les institutions qui construisent les réseaux locaux dans le cadre de la phase expérimentale de la Réforme des soins en santé mentale

    • en participant aux différentes réunions des comités de réseau, et en donnant l’avis des usagers/familles concernant les processus mis en place, les méthodologies développées…

  • sur le plan micro : vers les usagers/familles eux-mêmes au niveau individuel

    • en construisant les outils permettant aux usagers / proches de comprendre et s’impliquer dans les différentes étapes de la Réforme des soins en santé mentale.

4. Évaluation et follow-up scientifique de la Réforme des soins en santé mentale

Les autorités ont confié le programme de recherche scientifique à trois équipes universitaires qui réalisent et poursuivent des objectifs spécifiques en lien avec leur expertise : il s’agit de l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve), la Katholieke Universiteit Leuven-Lucas (Leuven), la Vrije Universiteit Brussel (Bruxelles). Les objectifs de recherche poursuivis sont de plusieurs ordres et sont propres à chaque collecte de données effectuée dans le cadre de l’étude de faisabilité de la Réforme « vers de meilleurs soins en santé mentale ». Nous vous présentons ici le cadre général, ainsi que quelques objectifs et résultats dans le cadre de la recherche.

4.1 Approche bottom-up

L’approche méthodologique qui domine dans le cadre de la Réforme des soins en santé mentale peut être qualifiée de bottom-up, dans la mesure où la démarche procédurale trouve son ancrage dans les pratiques de soins en santé mentale, faisant ensuite l’objet d’une analyse, d’un questionnement, d’un remaniement. Le souhait est de démarrer de l’opérationnel et de l’expérience, pour ensuite retravailler les pratiques de soins, de réseaux et de concertations, et ce, avec l’usager comme point de mire.

Cette vision bottom-up prend en compte les propositions et recommandations des acteurs, dans un souci de participation, d’échange et d’inclusion, sans perdre de vue la philosophie de base inspirée des recommandations de l’OMS et d’une vision centrée sur le rétablissement.

4.2 Méthode d’évaluation de la Réforme et de l’approche par réseaux

La stratégie de recherche est ici fondée sur les méthodes d’évaluation de programme (par exemple, Rossi et al., 2004 ; Patton, 1986) et l’évaluation réaliste (Pawson et Tilley, 1997 ; Greenhalgh et al., 2009). La collecte des données est essentiellement qualitative : en utilisant une analyse systématique du contenu des documents et des sources électroniques, entrevues individuelles et de groupe. Une attention particulière est portée aux différentes parties prenantes. L’analyse quantitative des réseaux est réalisée en collaboration avec l’Université catholique de Louvain. Les résultats ne seront pas abordés ici.

L’équipe de recherche a tout d’abord analysé les « plans » de réseaux et a essayé d’éclaircir les choix sous-jacents pour la construction de ces réseaux, et ce, dans le cadre du programme établi par le gouvernement. Dans un second temps, l’équipe de recherche a essayé d’éclaircir les expériences d’implémentation des réseaux en se basant sur les facteurs entravants ou facilitants, internes ou externes. Ce travail doit se poursuivre, accompagnant le processus et l’implémentation de la Réforme.

4.3 Les résultats préliminaires, via l’expérience de neuf réseaux

L’étude est en cours. Nous livrons donc un résumé des résultats préliminaires couvrant l’expérience de neuf réseaux ; soit les premiers à s’être implémentés, et ce, depuis le commencement des projets en 2009 jusqu’à l’automne 2013. L’équipe de recherche de la Vrije Universiteit Brussel met principalement l’accent sur la « couverture géographique des réseaux et le développement des ‘‘réseaux interorganisationnels’’ (ION) et la collaboration ».

Une attention particulière est accordée à la gouvernance du réseau. L’analyse est inspirée par les théories institutionnelles (Desreumaux, 2006) et des études bottom-up identifiant des caractéristiques liées aux pratiques dans lesquelles les organisations et les réseaux interorganisationnels se déploient ainsi que des études de modèles de gouvernance des réseaux (Lamotte, 2002 ; Provan, 2004 ; Josserand, 2007 ; Biarez, 2004).

Les plans des réseaux comprennent différents éléments leur permettant de se définir et donnant leur identité propre :

  • La couverture géographique (caractéristiques régionales et de superficie (urbain, rural)) diffère de manière assez significative entre les réseaux. Les Régions ne sont pas délimitées en fonction des besoins ou des caractéristiques épidémiologiques.

  • Éventuellement, différenciation des zones « sous–régionales », résultant du développement de « sous-ION ». Dans de nombreux projets, la fonction « 2 » est développée le long des lignes sous-régionales (avec les partenaires de réseau sélectionnés).

  • La « complexité » des réseaux (mesurée par le nombre de partenaires et la diversité des secteurs concernés) varie grandement. Une distinction claire doit être faite entre les partenaires « officiels » du réseau (par la signature d’un accord de collaboration) et les « informels » (être informé ou impliqué sur une base informelle).

  • La plupart des réseaux et partenariats dans ce programme sont construits sur la base de collaborations préexistantes.

  • La complexité de la coordination et le modèle de gouvernance sont fortement associés à la complexité du réseau, bien que des variations se produisent.

  • Les buts et les objectifs du projet/ION sont écrits dans un discours très « général » : ils font référence à une évolution globale de la politique de la société, mais il manque de spécificité dans l’élaboration.

  • Dans certains réseaux de la phase de préparation et de conception, il y a eu un processus de collaboration entre une grande majorité des partenaires. Dans d'autres projets, la conception a été faite par un petit groupe de base.

Les premières expériences de mise en oeuvre soulignent que tous les projets ont théoriquement fonctionné dans les zones géographiques initialement désignées, bien que beaucoup de projets aient implanté les fonctions sur un plan subrégional. Ensuite, les projets ont poursuivi leurs développements durant les deux premières années de fonctionnement du programme. Puis, la plupart des projets se concentrent sur la mise en oeuvre et les aspects opérationnels de la fonction 2. Le développement d’une approche géographique globale pour la prestation de soins en santé mentale dans la région n’est pas une question prioritaire pour tous les projets. Le principal point d’attention reste les questions opérationnelles.

La stratégie de « déployer » le réseau varie entre projets : certains ION commencent avec les principaux partenaires avec lesquels ils ont collaboré précédemment, d’autres projets ont effectué de longs tours de consultation et d’information auprès des partenaires potentiels. Presque tous les ION ont adapté leur coordination et leur gouvernance au cours de la mise en oeuvre : certains ION ont ajouté des gouvernances et des couches de direction, d’autres ION ont supprimé certaines de leurs plateformes de coordination. En général, ces choix ont été basés sur une perception de l’inefficacité des conseils ou des comités et sur la peur de perdre l’engagement des partenaires à cause de ces inefficacités.

Dans l’ensemble, il y a un turn-over tout à fait pertinent des coordinateurs de projets, entre autres parce que de nombreux coordonnateurs ont perdu leur engagement en raison de la complexité et la charge de travail. En plus de la gouvernance, de nombreux projets ont du mal avec les dirigeants d’ION : l’approche est, dans la plupart des projets, limitée à une coordination bureaucratique administrative de l’ION.

Notons également que, dans le cadre de l’Université catholique de Louvain, trois grands objectifs sont pris en considération : tout d’abord, décrire et comprendre les réseaux et circuits de soins au sein des différents projets de la Réforme des soins en santé mentale ; puis, décrire la patientèle des projets et caractériser les usagers dont la concertation autour d’une prise en charge multiservice est plus appropriée ; et enfin, décrire cette frange plus spécifique de la population étudiée en termes de qualité de vie, de continuité de soins et de consommation du réseau.

Concernant l’analyse de la structure du réseau de soins, plusieurs résultats probants ont été relevés. Tout d’abord, les services des projets de la Réforme de soins en santé mentale sont fortement connectés entre eux, offrant ainsi un potentiel des parcours de soins optimaux aux usagers. Les liens sont hétérophiles, tendant à se déployer prioritairement vers des services ayant une offre de soins complémentaire, ce qui peut être considéré comme des résultats positifs dans le cadre du processus de réforme. Les résultats indiquent que les services hospitaliers psychiatriques ont souvent une place centrale dans les projets.

L’analyse de la patientèle des réseaux a démontré une participation relativement hétérogène des différents types de services inclus dans la phase pilote de la Réforme. Les outils HoNOS (Andreas, 2010) et SIX ont permis de définir les usagers en termes de fonctionnement psycho-social et d’intégration sociale à travers tous les types de services.

Cela fut également une des études pionnières en matière de comparaison de patientèle entre toutes les couches de services composant la santé mentale en Belgique. L’étude a enfin déterminé un groupe privilégié pour la concertation pour une prise en charge multiservice. Ce groupe s’apparente aux malades sévères et chroniques (SMI).

L’analyse sur ce groupe d’usagers spécifiques a permis de montrer une relative satisfaction de la qualité de vie et de la continuité de soins des usagers. Il semblerait qu’afin d’améliorer la qualité de vie de ceux-ci, les questions relatives à la sexualité et essentiellement à l’emploi seraient déterminantes. Concernant la consommation du réseau par les usagers, nous avons pu voir que les fonctions 1 et 2 avaient un rôle complémentaire alors que la fonction 5 (voir supra) avait plutôt un rôle exclusif. Enfin, l’étude a également permis de montrer la grande précarité des usagers d’un point de vue socioéconomique. Ce résultat est conforme à ce que les cliniciens connaissent de ces usagers.

4.4 Enquête auprès des usagers dits « prioritaires » ou à problématique complexe

L’équipe de recherche de Katholieke Universiteit Leuven - Lucas s’est donc penchée sur le développement d’une étude de faisabilité dont voici les premiers résultats. Au terme de celle-ci, nous avons prévu de continuer l’évaluation sur le modèle de l’étude de faisabilité, moyennant des adaptations modérées.

L’enquête auprès des usagers « prioritaires » ou à problématique complexe (c’est-à-dire qui ont été désignés par le réseau de soins comme étant prioritaires dans le suivi par plusieurs ressources) est composée d’un questionnaire. L’équipe de la Katholieke Universiteit Leuven a examiné dans ce cadre deux domaines d’évaluation : « le niveau de rétablissement de l’usager » avec l’instrument « HOOP » (HHI, 2003) et un questionnaire sur l’« empowerment » qui correspond à la capacité d’un individu à agir sur ses conditions de vie et à se représenter investi de compétences pour ce faire (Bakker, 2012) ; ainsi que « la satisfaction des usagers concernant l’offre de soins » avec un instrument « Visie op zorg » (vision des soins) (Van Humbeek, 1999).

L’équipe attendait les réponses de 150 usagers et a obtenu 95 questionnaires en retour.

Les résultats de cette enquête peuvent être résumés comme suit :

  1. Le niveau de rétablissement des usagers

    Les usagers prioritaires se caractérisent par un degré modéré d’espoir et un degré un peu plus haut que la moyenne concernant le rétablissement. Plus concrètement : il y a encore beaucoup d’espace pour l’amélioration du sentiment d’espoir et de récupération de son propre pouvoir pour les usagers prioritaires ; qu’ils soient ou non aidés par une équipe mobile semble n’avoir aucun effet significatif sur le sentiment global d’espoir et d’« empowerment ». Cependant, on observe une tendance des usagers prioritaires à utiliser des nouvelles formes de soins, avec comme conséquence un regard positif sur la vie et sur l’avenir, ainsi que le sentiment d’une vie précieuse et utile. Notons également que les usagers de sexe masculin donnent une plus grande importance que les usagers de sexe féminin à considérer que la vie est précieuse, utile et a un sens.

  2. La situation des usagers concernant les soins fournis

    Les résultats obtenus en utilisant l’instrument « Visie op zorg » montrent que les usagers prioritaires sont globalement satisfaits de l’aide qu’ils ont reçue par les fournisseurs de soins de santé et que le degré de satisfaction des usagers prioritaires dépend de leurs revenus. Les usagers qui bénéficient de 1500 à 2500 euros/mois sont globalement plus satisfaits de l’aide qu’ils reçoivent des professionnels que ceux ayant moins de ressources ; et les usagers prioritaires considèrent avoir besoin de plus de soutien dans certaines situations : éducation concernant la grossesse et le sida, continuité des soins, soutien par les pairs, prévention des rechutes et information pour les familles ou les proches

4.5 Enquête sur les membres de familles/proches en tant qu’aidants informels

L’enquête auprès des familles/proches en tant qu’aidants informels est composée d’un questionnaire ainsi que de groupes de discussion. Le questionnaire comprend les domaines d’évaluation suivants : « soutien pour les membres des familles en tant qu’aidants informels » par l’instrument du « thermomètre des soins en santé mentale » (Vragenlijst, 2003), ainsi que « la charge pour les familles en tant qu’aidants informels » à travers le « Zarit Burden interview » (Jeon, 2005 ; Herbert, 2000).

Il était attendu un nombre de 500 réponses ; 158 questionnaires ont été enregistrés. Les groupes de discussion ont été construits sur les thématiques issues des questionnaires. Il était prévu 10 de ces groupes ; 7 ont pu être organisés.

Les résultats de l’enquête des familles en tant qu’aidants informels (Repper et Carter, 2010) peuvent être résumés comme suit : tout d’abord, les membres des familles subissent une lourde charge, et une aide supplémentaire pour les tâches quotidiennes ainsi qu’un soutien financier seraient les bienvenus ; puis, les membres des familles souhaitent un soutien administratif complémentaire afin de faciliter la coordination et la continuité des soins ; ensuite, les aidants informels connaissent une forte charge émotionnelle (liée surtout à un manque de communication avec les médecins, ainsi que trop de stigma et de préjugés) ; puis, les membres des familles pensent qu’ils pourraient bénéficier de plusieurs types de soutien comme une aide à la prise en charge émotionnelle, une psychothérapie, des entretiens de familles, un renforcement de l’information concernant les soins pour les usagers.

Les expériences en tant qu’aidants informels ont aussi un impact sur leur vie sociale et professionnelle. Les membres des familles pensent à différentes formes de soutien : plus de soutien par les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé, psychoéducation en individuel ou en groupe, et enfin une thérapie familiale. En outre, les membres des familles ne se considèrent pas suffisamment impliqués dans la surveillance et le traitement des usagers, cela peut dépendre de différents facteurs et notamment : culture des services/professionnels, le respect de la vie privée et l’assertivité des aidants informels.

Ceci pourrait être facilité par le recours à des experts (Jouet, 2010), la reconnaissance des membres des familles en tant que partenaires à part entière dans les soins et une communication transparente avec les prestataires des soins.

4.6 Enquête sur les dispensateurs de soins

Dans le cadre de cette partie de la recherche, des enquêtes ont été réalisées vers les prestataires de soins et les domaines portant sur « la satisfaction au travail » et « les soins orientés vers le rétablissement » (Farkas, 2005) ont été évalués.

Les questionnaires dans lesquels se trouvent le « Job Satisfaction Scale (JSS) » (Spector, 1985) et le « Utrechtse Brun-out Schaal » (Schaufeli, 2003) ont été utilisés pour la « satisfaction au travail ». Des 500 réponses attendues, 414 questionnaires ont été transmis. Les résultats du questionnaire sur la « satisfaction au travail » par les prestataires de soins indiquent qu’ils sont relativement satisfaits concernant les qualités intrinsèques du rôle au travail et la supervision en ce qui a trait au fonctionnement des services. Les prestataires de soins sont moins satisfaits de leur salaire et des promotions possibles.

Sur la base des facteurs précédents, il y a peu d’éléments permettant de mettre en avant l’épuisement professionnel des prestataires de soins. Dans ce cadre, nous constatons un niveau de satisfaction moindre au travail auprès des sous-groupes de prestataires de soins les plus âgés, ou ceux avec moins de cinq ans ou plus de trente-cinq ans d’expérience dans les soins de santé mentale et également les assistants sociaux et les ergothérapeutes (en comparaison des infirmières psychiatriques, psychologues, psychiatres ou médecins). Nous constatons également un niveau de satisfaction moins élevé pour ce qui est de l’organisation pour les prestataires de soins qui ont plus de quarante heures de travail par semaine.

Nous pouvons aussi noter certaines tendances à un niveau des compétences individuelles, comme les prestataires de soins avec moins de cinq ans ou plus de trente-cinq ans d’expérience dans les soins en santé mentale présentent un degré d’accomplissement individuel inférieur au contraire des prestataires de soins présentant plus de cinq ans ou moins de trente-cinq ans d’expérience. Enfin, il semble intéressant de souligner que les prestataires de soins des équipes mobiles ont un sentiment plus élevé de la compétence individuelle que les autres prestataires de soins.

4.7 Les soins orientés vers le rétablissement

Le niveau des soins orientés vers le rétablissement (Farkas et coll., 2005) a été également mesuré en utilisant le Recovery Oriented Practices Index (ROPI) (Burgess, 2010). Il est convenu d’utiliser le ROPI dans dix établissements. Huit ont pu prendre part à l’étude.

Les résultats de cette enquête peuvent être résumés de la manière suivante :

  • Certaines conditions sont nécessaires pour assurer une orientation de travail centrée vers le rétablissement : un panel large de service et des programmes de soins individuels coordonnés, ainsi qu’une disponibilité satisfaisante pour répondre aux besoins tout en accordant une attention suffisante et individuelle à chacun des usagers.

  • Dans de nombreux départements résidentiels des établissements de soins, plusieurs domaines d’amélioration sont mis en avant : travailler avec des experts et les soutenir pour développer une vision du rétablissement au sein de ces institutions ; promouvoir des valeurs telles que la participation ; baser les prises en charge sur les capacités, les compétences, les rôles des usagers, l’autodétermination des usagers en situation de crise et l’attention portée à la gestion de la maladie, ainsi que l’attention portée au choix des usagers.

5. Réforme des soins en santé mentale en Belgique : état des lieux

La Réforme des soins en santé mentale vient modifier profondément le paysage et la philosophie de prise en charge des usagers avec une problématique de santé mentale et/ou psychiatrique, en orientant les pratiques vers une vision se centrant sur une prise en charge communautaire et vers le rétablissement, et ce, en transformant l’offre hospitalière – qui apparaît comme une des plus fournies en Europe en termes de lits/habitants – en soins au plus près du quotidien et du cadre de vie de l’usager. Cette philosophie implique une prise en compte de tous les intervenants qui formalisent un travail en réseau, où la concertation est une des bases du travail. La finalité est le maintien des personnes au sein de leur environnement et de leur tissu social d’origine par la mise en place de parcours thérapeutiques individualisés.

Pour ce faire, le modèle que nous mettons en place en Belgique se caractérise par cinq fonctions (reprenant les acteurs de la première ligne, des équipes mobiles, de la formation et l’insertion professionnelle, du milieu hospitalier et du logement) qui viennent comme un modèle symbolisant le réseau de services alternatifs.

Celui-ci a comme originalité d’associer, au sein d’une vision globale et intégrée, l’ensemble du dispositif en intégrant les ressources hospitalières et développées dans la communauté, qu’ils soient directement en lien avec la santé mentale ou non. Sur une zone déterminée, l’ensemble des intervenants présents a à créer des stratégies pour répondre à l’ensemble des besoins en santé mentale de la population de ce territoire. Le réseau ainsi construit est multidisciplinaire et basé sur des modalités d’intervention flexibles.

L’implémentation de cette Réforme des soins en santé mentale s’adjoint le suivi et l’analyse de trois équipes scientifiques afin d’évaluer ses effets et l’évolution, dont une partie des résultats préliminaires sont repris dans le corps du texte. Les mécanismes et l’approche stratégique de cette réforme prennent place de manière formalisée, avec des conventions de collaboration entre partenaires qui se réunissent et déterminent des procédures au sein de comités de réseau et de fonction. Un coordinateur de réseau est le garant de cette structuration, favorisant l’implémentation du réseau de partenaires.

Nous vivons actuellement une période qui peut être qualifiée d’historique, et ce, au regard des ambitions et de la complexité de la Réforme, tant en lien avec l’hétérogénéité des partenariats professionnels impliqués, qu’avec la volonté d’intégration des usagers et des familles, où par rapport au dialogue et au consensus permanents qu’elle suscite avec les différentes instances gouvernementales. La Réforme est depuis 2009 dans une phase exploratoire en Belgique où les 19 projets-pilotes, couvrant une partie importante du territoire du pays, s’installent structurellement en modifiant profondément les pratiques et la vision des soins. Il n’en reste pas moins que la Réforme nécessite une mise au travail des acteurs sous la forme d’un apprentissage s’installant dans le temps.

Cette mise au travail et cet apprentissage peuvent connaître des forces antagonistes, la Réforme des soins en santé mentale se voyant étayée par des leviers, mais peut également être confrontée à des freins et à des difficultés. Nous allons évoquer quelques-unes de ces forces antagonistes.

Comme leviers, nous pouvons en évoquer plus d’une dizaine, illustrant la force et la volonté de ce mouvement historique : l’implémentation sur le plan national ; un souhait politique fort que la Réforme perdure et que sa vision s’installe (le soutien des différents paliers de pouvoir est patent) ; l’implémentation locale avec la prise en compte de l’avis des acteurs de terrain (approche bottom-up couplée aux éléments top-down) ; l’élaboration du modèle de soins sur le concept de réseau (une zone d’action) se basant sur une offre globale et intégrée ; le rôle essentiel du coordinateur de réseau pour la cohérence des ressources et la formalisation des procédures ; l’ensemble des acteurs d’une zone concernée et l’intégration des ressources ; l’implication de l’ensemble des acteurs (soins ou non) prenant en charge l’usager ; la concertation formalisée entre les professionnels et avec les usagers ; l’implication des usagers/familles sur tous les plans de décision (micro, méso, macro) ; le modèle basé sur l’approche communautaire avec une vision orientée vers le rétablissement (recovery) ; le suivi scientifique de la Réforme et de son implémentation ; ainsi que la mise à disposition de moyens financiers complémentaires.

Comme éléments venant freiner l’implémentation, nous pouvons également évoquer quelques faiblesses de cette réforme.

Nous pensons ici à cinq éléments, comme le processus de changement conséquent qui doit s’envisager dans le long terme ; le financement complémentaire qui s’effectue au départ des hôpitaux psychiatriques (risque d’un rôle trop centralisé des hôpitaux psychiatriques mettant à mal la vision de base de la Réforme) ; la difficulté de certains acteurs de terrain de s’intégrer dans une nouvelle culture de travail basée sur les pratiques de réseau et la concertation avec l’usager ; la complexité des processus décisionnels et des changements organisationnels sur le plan macro (nombreux niveaux de pouvoir et de décision), ainsi que la « Sixième Réforme de l’État » sur le plan politique en Belgique, avec un transfert de certaines compétences liées à la santé mentale, du niveau fédéral vers les Régions et Communautés. Ce dernier élément amenant de l’incertitude et pouvant être cause de relâche dans les avancées.

L’équipe de coordination de la Réforme des soins en santé mentale, et plus largement l’ensemble des partenaires et des intervenants politiques s’impliquant assidûment dans ce vaste programme, rencontrent des défis à court et moyen termes, sur des sujets à la fois sensibles et essentiels quant à la réussite du programme fixé. Il convient notamment de poursuivre les travaux de la recherche scientifique afin d’élaborer un modèle pérenne basé sur des indicateurs et des résultats ; de nécessairement couvrir l’ensemble du territoire de façon équilibrée, au bénéfice de chacun des usagers ; de prendre en considération des recommandations internationales, notamment de l’OMS ou de l’Union européenne, mais aussi de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Nations Unies) ; d’intégrer les recommandations élaborées par les représentants des usagers et des proches ; d’intégrer au sein de la Réforme la nouvelle politique du plan « internés » (soins en santé mentale pour usagers médico-légaux) ; d’intégrer au sein de la Réforme l’offre spécifique portant sur les unités de crise (neuf en Belgique) pour usagers toxicomanes ; et enfin, l’élaboration du plan stratégique et de la vision de la nouvelle Réforme portant sur le secteur de la petite enfance, de l’enfance et de l’adolescence. En effet, l’intégration des jeunes à la Réforme (avec des instructions spécifiques) des soins en santé mentale est une priorité en termes de santé publique, avec une liaison entre ces secteurs et les soins pour adultes.

Cet article a dressé un état des lieux et un condensé de la Réforme des soins en santé mentale en Belgique, où les différents acteurs s’inscrivent dans une démarche évolutive, dont l’aboutissement devrait être une implémentation structurelle du modèle de réseau et de partenariats, incluant l’ensemble des acteurs des soins ou participant à la prise en charge des usagers en santé mentale.