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Cet article propose un aperçu de la situation de la psychothérapie psychologique en Suisse. Nous utilisons le terme de la « psychothérapie psychologique » pour désigner la pratique de la psychothérapie effectuée par des psychologues, car en Suisse, la psychothérapie est offerte à la fois par les psychiatres-psychothérapeutes et par les psychologues-psychothérapeutes. Nous allons décrire la formation et l’activité des psychologues-psychothérapeutes, ainsi que les questions liées au remboursement et les modèles d’emploi actuels. Pour plus d’informations sur la situation des psychologues-psychothérapeutes dans d’autres pays européens le lecteur intéressé est renvoyé à d’autres publications récentes (p. ex. Lunt, 2015 ; Pilgrim, Champion, Hutschemaekers, Garnoussi, & Van Dijk, 2012 ; Pritz, 2011 ; Strauss & Kohl, 2009 ; Sulz & Hagspiel, 2011).

La Suisse est une confédération composée de 26 cantons, elle possède des frontières communes avec l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein. La Suisse a quatre langues officielles : l’allemand (environ 65 % de la population), le français (22 %), l’italien (8 %), et le romanche (0,6 %). En 2013, la « Loi sur les professions relevant du domaine de la psychologie » (LPsy) a été adoptée, celle-ci vise à renforcer la santé publique et à protéger les clients contre la fraude. Pour renforcer la loi, la « Commission des professions de la psychologie » a été instituée. Celle-ci conseille le gouvernement suisse ainsi que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur les questions concernant l’application de la loi et elle statue sur la reconnaissance des diplômes étrangers. L’OFSP administre l’accréditation des programmes de formation de la psychothérapie en Suisse.

La psychothérapie psychologique en Suisse

Une formation en psychothérapie est offerte par les universités et les hautes écoles spécialisées au sein de programmes post-grades de Master (NDLR, l’équivalent de la maîtrise au Québec), ainsi que par des fournisseurs privés en dehors du système universitaire. Un diplôme accrédité de Master est nécessaire pour l’entrée en formation post-grade de psychothérapie. Après l’introduction de la « Loi sur les professions relevant du domaine de la psychologie », soixante-deux programmes post-grades de psychothérapie ont été temporairement accrédités. Par conséquent, leurs diplômes sont reconnus comme des diplômes fédéraux post-grades. Jusqu’en 2018, tous ces programmes de formation doivent être accrédités sur une base régulière. Ces programmes couvrent un large éventail d’orientations psychothérapeutiques, y compris les approches cognitivo-comportementale, humaniste, psychodynamique et systémique. Bien que les psychologues-psychothérapeutes d’adultes et les psychologues-psychothérapeutes d’enfants/adolescents ne sont pas considérés comme des professions de la psychologie séparées par la loi et un psychologue-psychothérapeute reconnu a le droit d’offrir des services pour tous les groupes d’âge, il existe des programmes de formation post-graduée spécifiques pour la psychothérapie d’adulte et celle de l’enfant/adolescent. Sur les demandes présentées jusqu’en 2018, les accréditations finales des programmes de formation seront données pour une période de 7 ans. Les coûts de la formation post-graduée en psychothérapie varient considérablement entre les programmes, en fonction de l’orientation théorique, du lieu de la formation, ou si la formation est proposée par une université ou un établissement privé. Selon nos estimations, sur la base des rapports publiés des différents instituts de formation à la psychothérapie, le coût total peut varier entre 40 000 et 90 000 CHF (53 370 – 120 073 CAD).

Le total des coûts annuels pour les services de santé remboursés par les assurances obligatoires en Suisse sont de 9 857 400 000 CHF (13 147 267 239 CAD). 11 % sont générés dans le domaine de la psychiatrie (y compris la psychothérapie psychologique). Plus précisément, 2,9 % des coûts de santé annuels totaux couverts par les assurances obligatoires sont générés par les services psychologiques (SASIS, 2013). Ces chiffres ne comprennent pas les frais de psychothérapie psychologique couverts par les assurances privées ou payés par les patients eux-mêmes.

Selon une enquête récente représentative de la psychothérapie psychologique en Suisse commandée par la Fédération Suisse des Psychologues (FSP ; Stettler, Stocker, Gardiol, Bischof, & Künzi, 2012), la Suisse compte 15 000 psychologues, ce qui représente 1,8 psychologue pour 1 000 habitants. Après leur diplôme de Master, les psychologues peuvent choisir parmi un certain nombre de spécialisations, la psychothérapie étant particulièrement populaire. Au total, plus de 5 700 psychologues sont reconnus sur le plan fédéral en tant que psychothérapeutes, ce qui représente 0,7 psychologue-psychothérapeute pour 1 000 habitants. Sachant qu’une proportion de psychothérapeutes travaille à temps partiel, il est nécessaire de traduire ces chiffres en équivalent temps plein : soit 3 100 psychologues-psychothérapeutes reconnus (0,4 pour 1 000 habitants). En comparaison, 3 241 psychiatres-psychothérapeutes exercent en Suisse (0,4 pour 1 000 habitants). Selon la loi, seuls les psychologues spécialisés ou les psychiatres (diplômés ou en formation) sont habilités à fournir des psychothérapies. Alors que d’autres professionnels offrent également des services de santé mentale tels que le conseil, le counseling, la relation d’aide. Ces professionnels ne sont pas en droit de s’intituler « psychothérapeutes ».

Soixante-seize pour cent des psychologues-psychothérapeutes ont un titre postgrade de psychothérapeute reconnu au niveau fédéral (ils ont suivi une formation dans un programme post-gradué) et les 24 % restants sont des psychothérapeutes en formation. Les psychologues-psychothérapeutes ont déclaré les principales orientations théoriques suivantes : 32 % psychanalytiques, 19 % cognitivo-comportementales, 17 % humanistes, et 12 % systémiques, et d’autres déclarent adhérer à « plusieurs approches » de psychothérapie de manière intégrative ou éclectique (Stettler et al., 2012).

Les psychologues-psychothérapeutes fournissent une partie importante des soins globaux de santé mentale. Selon l’enquête sur la psychothérapie mentionnée ci-dessus (Stettler et al., 2012), les psychologues- psychothérapeutes traitent 259 000 patients chaque année, ce qui représente 3,2 patients pour 100 habitants. En moyenne, chaque psychologue-psychothérapeute traite 84 patients par an, et chaque patient reçoit 29 séances en 17 mois de traitement. La majorité (59 %) des psychologues-psychothérapeutes signalent qu’ils ont des listes d’attente et 43 % signalent qu’ils n’ont pas de disponibilité actuellement (Stettler et al., 2012). Le taux d’abandon de la psychothérapie psychologique en Suisse varie entre 3 % dans les cliniques de soins ambulatoires publics et 22 % dans le secteur privé.

Remboursement et modèles de l’emploi

Le remboursement de la psychothérapie psychologique dans le système de santé suisse est divisé en trois principales sources de financement. Tout d’abord et surtout, 67 % des services psychothérapeutiques sont remboursés par l’assurance maladie obligatoire. Deuxièmement, 29 % des services psychothérapeutiques sont payés par les patients eux-mêmes ou par leurs assurances complémentaires privées, et, troisièmement, 4 % des services psychothérapeutiques sont financés par les services sociaux publics.

Les psychologues-psychothérapeutes exercent selon différents modèles d’emploi : premièrement, les psychologues-psychothérapeutes peuvent travailler en cabinet privé (34 %). Sur ce modèle, leurs patients paient eux-mêmes pour le traitement psychothérapeutique, ou reçoivent un remboursement, le plus souvent partiel, par l’intermédiaire de leur assurance privée. Deuxièmement, les psychologues-psychothérapeutes peuvent travailler en pratique dite « déléguée ». Comme « psychothérapeute délégué », le psychologue-psychothérapeute est l’employé d’un psychiatre. Selon la législation actuelle, cela signifie que le psychiatre « délègue » la psychothérapie comme un acte médical au psychologue-psychothérapeute et que le psychologue travaille sous la responsabilité juridique et la supervision du psychiatre. Le psychiatre est remboursé pour la psychothérapie fournie par l’assurance de base obligatoire, et la proportion de ce montant transmis au psychologue varie d’un employeur (psychiatre) à l’autre. Jusqu’à présent, il n’y a pas de remboursement direct de la psychothérapie offerte par des psychologues spécialisés par les assurances de santé obligatoires. Ce qui est encore plus frappant, le remboursement pour la psychothérapie déléguée est seulement d’environ deux tiers de celle de la psychothérapie offerte par les psychiatres. Troisièmement, les psychologues-psychothérapeutes peuvent travailler dans une clinique ambulatoire d’un établissement plus grand. Si cette clinique fait partie d’un établissement psychiatrique, soit les patients paient de leur propre poche (si la clinique est dirigée par des psychologues), soit se font rembourser (si un psychiatre est le directeur de la clinique). Enfin, environ 13 % des psychologues-psychothérapeutes travaillent dans les hôpitaux psychiatriques et fournissent des soins mentaux primaires ainsi que de la psychothérapie.

Le système de la psychothérapie déléguée est très controversé en Suisse, car elle traite les psychologues-psychothérapeutes comme des employés non responsables de psychiatres-psychothérapeutes recevant un paiement moindre, malgré leur qualification reconnue en tant que psychothérapeutes pleinement capables. La pratique de la psychothérapie psychologique de ce système est relativement fréquente puisqu’environ 40 % des psychologues-psychothérapeutes travaillent en délégation. Toutefois, si les patients souffrant de troubles mentaux diagnostiqués ne disposent pas d’une assurance privée ou semi-privée, ils sont tenus de payer eux-mêmes pour des services de psychothérapie offerts par des psychologues-psychothérapeutes reconnus. Selon un récent sondage de psychologues-psychothérapeutes à Berne (Rufer et al., 2011), les psychologues-psychothérapeutes qui travaillent dans un cabinet délégué ont donné comme raison principale de travailler dans la délégation, le fait que les patients ayant seulement une assurance obligatoire ne peuvent pas se permettre de payer leur psychothérapie. En conséquence, la majorité des répondants travaillant en tant que thérapeutes délégués rapportent qu’ils voudraient changer leur situation professionnelle et travailler dans un cabinet privé indépendant, mais beaucoup sont freinés par les conditions de remboursement actuellement défavorables (Rufer et al., 2011).

De sérieuses questions ont été soulevées quant à la pertinence du modèle de délégation compte tenu de la forte demande pour la psychothérapie en Suisse. Beaucoup de psychologues considèrent le modèle délégué inadéquat pour une profession universitaire de haute qualité et de la formation spécifique post-graduée. Précisons que le modèle de délégation a été initialement conçu comme une solution temporaire jusqu’à ce que les professions de la psychologie soient réglementées ; ce qui est le cas depuis 2013, avec la « loi sur les professions relevant du domaine de la psychologie » (LPsy). L’objectif est que des psychologues travaillent indépendamment et soient remboursés par l’assurance obligatoire : cet objectif a déjà été exprimé par plusieurs responsables politiques de la santé depuis les années 1990 et a été remis à l’échelle aujourd’hui. Des craintes, telles que celles des coûts accrus pour la santé publique et des paiements d’assurance plus élevés en raison de l’introduction de psychologues en tant que nouveaux fournisseurs, semblent alimenter une réticence apparente du gouvernement suisse à ajuster les réglementations de la psychothérapie aux conditions modifiées. Si une nouvelle réglementation était adoptée, la version actuellement la plus probable serait le « modèle de la prescription ». Selon le modèle de la prescription, un psychologue-psychothérapeute pourrait travailler de manière indépendante et dans son propre bureau, mais une ordonnance d’un médecin serait encore nécessaire pour le remboursement par l’assurance maladie obligatoire. Un système similaire de la réglementation des services existe pour les physiothérapeutes et les ergothérapeutes en Suisse.

En définitive, le Département fédéral de l’intérieur devra décider si et comment l’impasse actuelle entre les besoins des patients, les préoccupations professionnelles, et les restrictions financières sera résolue et si les réglementations seront ajustées à la nouvelle situation juridique des psychologues.

Conclusions

La psychothérapie en Suisse est fournie par des psychiatres-psychothérapeutes ainsi que par des psychologues-psychothérapeutes. La psychothérapie psychologique est une partie importante des soins de santé pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Depuis 2013, la formation et la pratique de la psychothérapie psychologique en Suisse sont régies par la loi sur les professions relevant de la psychologie (LPsy), qui assure un haut niveau de qualité des soins. Les programmes de formation de psychothérapie accrédités au niveau fédéral couvrent un large éventail d’orientations théoriques, offrant suffisamment d’options pour les patients qui recherchent la psychothérapie psychologique. Toutefois, en travaillant à des taux d’engagement généralement plus bas que les psychiatres-psychothérapeutes et n’ayant pas le droit d’être remboursés directement par l’assurance maladie obligatoire, nous pensons que les psychologues-psychothérapeutes ne répondent pas aux besoins des patients et se retrouvent dans une situation qui n’est pas adéquate quant à leur statut de professionnels de la santé hautement qualifiés et offrant des services très similaires à ceux des psychiatres-psychothérapeutes. Travailler éventuellement en tant qu’employé auxiliaire chez un psychiatre afin de permettre au patient d’être remboursé par l’assurance maladie obligatoire est un modèle désuet, inadéquat et injuste nécessitant un changement politique.

En conclusion, si la Suisse décidait d’honorer les prestations des psychologues-psychothérapeutes via l’assurance obligatoire, elle ferait partie d’un illustre groupe de pays européens, comme l’Allemagne, la Finlande, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Suède, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque et le Royaume-Uni. Nous pensons qu’il est temps de faire ce pas.