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Introduction

L’adolescence est une période développementale pendant laquelle l’enfant se transforme tant au plan physique, social, cognitif qu’émotionnel (Casey, Duhoux & Cohen, 2010 ; Crone & Dahl, 2012 ; Dahl, 2004). Malgré plusieurs changements positifs tels que l’accès au raisonnement abstrait, cette période de transition est aussi marquée par une augmentation du taux de suicide, de mortalité reliée aux comportements à risque, de dépression, de troubles anxieux et d’abus de substances (Costello, Copeland & Angold, 2011 ; Galvan, 2011 ; Steinberg, 2008, 2010). Plusieurs études montrent que les taux de dépression (Angold, Costello & Worthman, 1998) et d’abus d’alcool (Costello, Sung, Worthman & Angold, 2007) sont plus fortement reliés au développement pubertaire que l’âge chronologique et que le développement pubertaire est associé à un taux plus élevé de symptômes de troubles affectifs chez les filles que chez les garçons (Crockett, Carlo, Wolff & Hope, 2013 ; Rudolph, Troop-Gordon, Lambert & Natsuaki, 2014), suggérant que les différences sexuelles représentent un facteur important dans la compréhension des trajectoires vers la psychopathologie (Rudolph et al., 2014). En effet, au milieu de la puberté, le taux de dépression augmente considérablement chez les adolescentes (Angold et al., 1998 ; Cyranowski, Frank, Young & Shear, 2000 ; Galvao et al., 2014 ; Rudolph et al., 2014).

Plusieurs approches théoriques ont été proposées pour expliquer cette augmentation des troubles de santé mentale chez l’adolescent. Certaines théories conceptualisent ce phénomène comme étant le résultat d’altérations du développement des circuits fronto-striato-limbiques sous-tendant la régulation des émotions (Ernst, Pine & Hardin, 2006 ; Nelson, Leibenluft, McClure & Pine, 2005 ; Steinberg, 2005). Nous proposons que ces altérations puissent découler de l’influence spécifique de la puberté sur le développement de ces circuits (Ladouceur, 2012 ; Ladouceur, Peper, Crone & Dahl, 2012). Les résultats d’une étude longitudinale récente ayant un grand échantillon d’adolescentes semblent indirectement appuyer cette hypothèse. Ces résultats démontrent que les adolescentes dont les seins sont plus développés à l’âge de 10 ans manifestent un nombre plus élevé de symptômes de dépression à l’âge de 14 ans (Joinson et al., 2012). L’émergence du domaine de recherche en neurosciences affectives du développement a permis l’avancement des connaissances concernant le développement des circuits fronto-striato-limbiques et comment ce développement pourrait être relié à la régulation des émotions. Des données récentes provenant d’études animales et d’études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) chez l’humain suggèrent qu’il y aurait une réorganisation et une restructuration de ces circuits neuronaux pendant la puberté (Giedd, 2008 ; Spear, 2010). Ces études suggèrent également que l’augmentation du niveau d’hormones sexuelles semble jouer un rôle important dans ce processus (Peper & Dahl, 2013). Cependant, peu d’études ont examiné l’influence spécifique de la puberté sur le développement cérébral et la réactivité émotionnelle chez l’adolescent. Le premier objectif de ce relevé de la documentation est de résumer brièvement les résultats d’études en IRM axées sur l’étude du développement cérébral sous-tendant les émotions pendant la puberté, incluant les circuits de récompense, ceux-ci étant aussi impliqués non seulement dans la pathophysiologie des troubles affectifs, mais aussi au niveau de la toxicomanie (Volkow & Morales, 2015). Un deuxième objectif est de faire valoir l’importance de recherches scientifiques ayant pour objectif d’élucider les facteurs neurodéveloppementaux prédisposant aux troubles affectifs. Finalement, le dernier objectif de ce relevé est de présenter une intégration des recherches scientifiques en neurosciences affectives du développement, en vue de développer des stratégies d’intervention pour les troubles affectifs chez l’adolescent.

Recherches en imagerie par résonance magnétique axées sur l’étude du développement cérébral sous-tendant les émotions pendant la puberté

Qu’est-ce la puberté

La puberté est une période de transition de l’enfance à l’adolescence (vers l’âge de 9-10 ans chez la fille et 11-12 ans chez le garçon) comportant d’importants changements tant au plan physique, psychologique que social (Schulz, Molenda-Figueira & Sisk, 2009 ; Spear, 2010). La puberté débute par d’importants changements au système neuroendocrinien (Dorn, Dahl, Woodward, & Biro 2006 ; Natsuaki et al., 2009). Les premiers changements incluent la sécrétion de l’hormone lutéinisante et l’hormone de stimulation folliculaire par l’hypophyse antérieure. Ces hormones agissent sur les cellules somatiques des gonades et contrôlent la production d’hormones stéroïdiennes (la testostérone et l’estradiol) qui sont régulées par l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique (Delemarre-van de Waal, 2002 ; Demir et al., 1996). Ce processus de maturation pubertaire inclut la gamétogénèse chez les garçons (spermatogénèse) et les filles (folliculogénèse). Il inclut également une croissance rapide due aux hormones de croissance et le développement des caractères sexuels primaires et secondaires (par exemple, le développement des organes génitaux ; le développement de la pilosité corporelle, notamment les poils pubiens et ceux des aisselles ; le début des menstruations chez les filles) dû aux hormones sexuelles. Ces changements physiques peuvent aussi être accompagnés par des changements sur le plan comportemental (par exemple, une augmentation de la prise de risques), émotionnel (par exemple, une plus grande réaction physiologique) et social (par exemple, une plus grande importance est accordée aux pairs) (Crone & Dahl, 2012). Certains chercheurs proposent que ces changements psychologiques et comportementaux puissent être le résultat de l’influence des hormones stéroïdiennes sur le développement des structures cérébrales engendrant une réorganisation des circuits neuronaux (Peper & Koolschijn, 2012).

Afin de mieux comprendre le rôle spécifique de la puberté sur le développement cérébral, il est important de considérer certains facteurs méthodologiques. La forte corrélation positive entre le stade pubertaire et l’âge chronologique fait en sorte qu’on doit utiliser une approche méthodologique qui permet de départager les effets reliés à la puberté de ceux reliés à l’âge chronologique (Shirtcliff, Dahl & Pollak, 2009 ; Spear, 2010). Par exemple, puisque les filles atteignent la puberté généralement un an avant les garçons, il serait donc recommandé de recruter un échantillon d’adolescents selon une tranche d’âge restreinte (Dorn et al., 2006 ; Shirtcliff et al., 2009). Quoique peu nombreuses, certaines études neurodéveloppementales ont déjà commencé à utiliser cette approche méthodologique (p. ex., Bramen et al., 2012 ; Bramen et al., 2011 ; Forbes, Phillips, Ryan & Dahl, 2011 ; Spielberg et al., 2015). Un autre facteur méthodologique à considérer est l’évaluation du développement pubertaire. L’évaluation du développement pubertaire comprend : a) un examen physique des caractères sexuels primaires et secondaires par un clinicien ayant une formation médicale ou un membre de l’équipe de recherche ayant reçu une formation ; b) l’utilisation du questionnaire Peterson Developmental Scale (PDS) (Petersen, Crockett, Richards & Boxer, 1988) ; c) un prélèvement d’un échantillon de salive ou de sang pour l’analyse du taux d’hormones androgènes (la déhydroépiandrostérone [DHA ou DHEA]) et stéroïdiennes (la testostérone et l’estradiol). L’analyse du taux d’hormones sexuelles provient de résultats d’études animales démontrant que certaines régions du cerveau (p. ex., l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal) contiennent de nombreux récepteurs neuronaux sensibles à l’action de ces hormones (Sarkey, Azcoitia, Garcia-Segura, Garcia-Ovejero & DonCarlos, 2008 ; Simerly, Chang, Muramatsu & Swanson, 1990). Certaines études suggèrent que ces hormones pourraient également agir en tant que facteurs trophiques facilitant la plasticité cérébrale (Garcia-Segura & Melcangi, 2006).

L’influence de la puberté sur le développement des structures cérébrales

Ce n’est que depuis quelques années que les chercheurs ont commencé à se pencher sur la question du rôle spécifique de la puberté et des hormones sexuelles dans le développement cérébral chez l’adolescent. Une série d’études a examiné la relation entre le taux d’hormones sexuelles et le volume de substance grise. Parmi celles-ci, certaines ont démontré que cette relation pourrait dépendre du fonctionnement du gène des récepteurs androgéniques. Elles ont aussi montré des différences sexuelles dans la relation entre le taux d’hormones sexuelles et la structure cérébrale. Par exemple, Peper et al. ont démontré, chez un groupe d’adolescents (n = 78 ; 10-15 ans), une corrélation positive entre la densité totale de la substance grise et le taux de testostérone et d’estradiol (Peper, Brouwer et al., 2009). Chez les filles, il y aurait une corrélation négative entre le taux d’estradiol mesuré dans l’urine et la densité de la substance grise cérébrale dans les régions du cortex orbitofrontal, du lobe pariétal (gyrus angulaire et supramarginal) et du lobe temporal moyen (Peper, Brouwer et al., 2009). Ces effets se maintiennent après avoir tenu compte de la réduction du volume total de la substance grise en fonction de l’âge. Aucune corrélation entre la densité de la substance grise et le taux d’estradiol ou de testostérone n’a été observée chez les garçons ni entre la densité de la substance grise et le taux de testostérone chez les filles. Cependant, une étude chez des enfants et des adolescents (8-15 ans) révèle une corrélation positive entre le taux de testostérone dans le sérum sanguin et le volume de la substance grise dans les régions de l’amygdale et de l’hippocampe (Neufang et al., 2009). Les résultats de cette étude indiquent également des différences sexuelles dans la relation entre les hormones stéroïdiennes et la substance grise. Par exemple, ils montrent une corrélation positive entre le taux d’estradiol dans le sérum sanguin et le volume de la substance grise dans les régions du parahippocampe chez les filles et entre le taux de testostérone et le volume de la substance grise dans les régions de l’hypothalamus et du corps mamillaire chez les garçons et les filles (Neufang et al., 2009). En utilisant des mesures de caractères sexuels secondaires, plutôt que le taux d’hormones stéroïdiennes, Peper et al. (2009) ont démontré que le développement pubertaire chez des filles de 9 ans est relié à la croissance de la densité de substance grise. En tenant compte des effets reliés à l’âge chronologique, ceci permet donc de tirer des conclusions concernant le rôle du développement pubertaire. En particulier, ils ont démontré que la densité de la substance grise dans les régions du cortex préfrontal et pariétal était réduite chez les filles dont le développement pubertaire était plus avancé (Peper, Schnack et al., 2009). Les chercheurs ont interprété ces résultats comme reflétant un processus d’élagage synaptique dans ces régions du cerveau qui aurait été initié par le début de la puberté (Paus, 2005). Les résultats d’une étude récente confirment cette hypothèse (Bramen et al., 2011). Dans le cadre de cette étude, des garçons âgés de 12 à 13 ans et des filles âgées de 11 à 12 ans ont été jumelés selon leur stade de développement pubertaire. Les chercheurs ont observé, chez les garçons, une corrélation positive entre le stade de développement pubertaire et le volume de substance grise de l’amygdale ainsi qu’une corrélation négative entre le taux de testostérone et le volume de substance grise dans l’amygdale, et ce, après avoir tenu compte des effets reliés à l’âge (Bramen et al., 2011).

Certains chercheurs ont mis de l’avant l’hypothèse que les effets spécifiques du développement pubertaire sur les caractéristiques de la substance grise seraient possiblement reliés au fonctionnement du gène des récepteurs androgéniques (Raznahan et al., 2010). Le gène des récepteurs androgéniques est composé d’un polymorphe trinucléotidique (séquence CAG répétée) dont la longueur détermine l’action des récepteurs androgéniques. C’est-à-dire qu’une séquence génétique CAG (cytosine, adénine, guanine, codant pour l’acide aminé glutamine) plus courte serait associée à un taux sanguin de testostérone plus élevé (Brum et al., 2005). Ainsi, en utilisant un modèle longitudinal, Raznahan et al. (2010) ont examiné si les différences individuelles dans le fonctionnement des récepteurs androgéniques étant déterminés génétiquement pourraient influencer l’épaisseur de cortex chez les adolescents (Raznahan et al., 2010). Selon les résultats de cette étude, plus les récepteurs androgéniques sont efficaces (c.-à-d. séquence CAG plus courte), plus le cortex cérébral se développerait selon un profil « masculin ». Ainsi, chez les garçons, l’efficacité des récepteurs serait associée à un profil de développement masculin pour les régions du lobe pariétal (lobules inférieurs) sous-tendant les processus visuospatiaux. Chez les filles, l’efficacité des récepteurs serait associée à un profil de développement masculin dans la région inférieure du lobe préfrontal gauche sous-tendant le langage et les processus d’inhibition (Raznahan et al., 2010). De telles études longitudinales sont nécessaires afin de pouvoir élucider le rôle complexe de la puberté et du taux d’hormones stéroïdiennes dans le développement cérébral chez l’adolescent. Une seconde étude effectuée auprès de 190 jumeaux évalués à l’âge de 9 ans (91 garçons et 99 filles) et à l’âge de 12 ans a examiné comment les facteurs génétiques et ceux reliés au contexte familial pourraient expliquer la relation entre le taux d’hormones sexuelles et le niveau de densité de substance grise (Brouwer et al., 2015). Les résultats suggèrent, chez les filles, qu’une augmentation du taux de gonadotrophines hypophysaires, soit de l’hormone folliculo-stimulante (FSH), serait reliée à la croissance de l’hippocampe, et ce, surtout au début de la puberté. De plus, les résultats suggèrent une corrélation négative entre le taux d’estradiol et la densité de la substance grise surtout dans les régions du lobe préfrontal et pariétal (Peper, Brouwer et al., 2009). Il est important de noter cependant que le contexte familial dans lequel l’adolescent se développe pourrait aussi engendrer des différences individuelles dans le taux d’hormones sexuelles (Brouwer et al., 2015).

Les chercheurs ont aussi examiné les effets du développement pubertaire sur le volume et la microstructure de la substance blanche. L’imagerie cérébrale en tenseur de diffusion (ITD) est une technique qui permet d’obtenir une mesure indirecte de la position, de l’orientation et de l’anisotropie des structures fibreuses, notamment les faisceaux de substance blanche du cerveau. Ainsi, il est possible de déterminer pour chaque voxel du cerveau l’intégrité des faisceaux de la substance blanche cérébrale par le calcul de la fraction d’anisotropie (FA). La valeur de FA augmente lorsque la diffusion devient anisotrope. Ainsi, cette valeur augmente avec l’âge, mais est plutôt non linéaire surtout dans certaines régions du cerveau (Lebel et al., 2012 ; Lebel, Walker, Leemans, Phillips & Beaulieu, 2008). La valeur du FA est sensible au degré de myélinisation, au diamètre moyen des fibres et à l’organisation axonale (Paus, 2010). D’autres mesures en ITD incluent la diffusion moyenne (DM) qui caractérise le déplacement moyen des molécules indépendamment de la direction des fibres, et l’anisotropie relative (AR), qui caractérise les vecteurs perpendiculaires à l’axe principal (Hasan, 2006).

Une des premières études volumétriques a démontré que le taux d’hormone lutéinisante était relié au volume de substance blanche chez un groupe de jumeaux âgé de 9 ans (n = 104). Cette corrélation positive fut observée dans les régions du cingulum gauche, du gyrus temporal moyen, du gyrus frontal supérieur et du splénium du corps calleux (Peper et al., 2008). Lors d’une deuxième étude, Peper et al. n’ont observé aucune corrélation entre le volume de la substance blanche et le taux de testostérone ou d’estradiol chez des adolescents (n = 78) âgés de 10 à 15 ans (37 garçons et 41 filles) (Peper, Brouwer et al., 2009). Chez des adolescents un peu plus vieux (12 à 18 ans), Perrin et al. ont examiné la relation entre les caractères sexuels secondaires (en utilisant le PDS [Petersen et al., 1988]), le taux sanguin de testostérone ainsi que des caractéristiques de la substance blanche, soit le volume et le rapport de transfert d’aimantation (MTR) qui représente une mesure indirecte du taux de myéline (Perrin et al., 2009). Ils ont aussi obtenu une mesure de la séquence CAG répétée du gène AR. Les résultats de cette étude suggèrent une corrélation positive, chez les garçons, entre la croissance de la substance blanche et le taux de testostérone. Toutefois, la présence du gène AR semblerait agir en tant que modérateur de sorte que l’augmentation du volume de la substance blanche en fonction du taux de testostérone serait plus importante chez les garçons dont la séquence CAG du gène AR est plus courte. Aucune corrélation entre les mesures du développement pubertaire (c.-à-d. caractères sexuels secondaires) et le volume de la substance blanche ou le MTR n’a été observée. Cette absence de résultat s’explique par le fait que la puberté apparaît légèrement plus tôt chez les filles que chez les garçons et qu’il serait donc difficile de départager les effets reliés à l’âge de ceux reliés à la puberté. Néanmoins, ces résultats sont intéressants, car ils démontrent que l’association entre le taux de testostérone et le volume de la substance blanche semble être spécifique aux garçons ayant un profil génétique particulier, soit une séquence CAG plus courte. De plus, ces résultats suggèrent que l’effet de la testostérone sur le volume de la substance blanche chez les garçons serait dû à une augmentation du diamètre de l’axone et non à une augmentation de l’épaisseur de la gaine de myéline. Cette interprétation est corroborée par les résultats d’une étude animale démontrant le rôle de la testostérone dans la croissance radiale de l’axone (Pesaresi et al., 2015).

À l’aide de l’ITD, Asato et al. (2010) ont examiné les effets reliés à l’âge, au sexe et au développement pubertaire sur la croissance de la substance blanche chez 114 enfants, adolescents et adultes (Asato, Terwilliger, Woo & Luna, 2010). Les chercheurs ont subdivisé l’échantillon en trois groupes selon le développement pubertaire (c.-à-d. caractères sexuels secondaires mesurés avec le questionnaire Tanner Maturation Scale) : un groupe au début de la puberté (scores de 1 ou 2), un groupe au milieu de la puberté (scores de 3 ou 4), et un groupe adulte et/ou à la fin de la puberté (score maximal de 5). Les résultats de cette étude suggèrent que certains tractus de la substance blanche (par exemple, le faisceau unciné, le faisceau longitudinal supérieur, le corps calleux) n’atteignent leur pleine maturité qu’à la fin de la puberté (Asato et al., 2010). Une étude plus récente a aussi examiné les effets de l’âge, du sexe et du développement pubertaire (c.-à-d. caractères sexuels secondaires mesurés avec le PDS) sur les indices FA et DM chez 38 garçons et 39 filles (Herting, Maxwell, Irvine & Nagel, 2012). Cependant, ces chercheurs ont utilisé une mesure continue du développement pubertaire plutôt qu’une comparaison de groupes. Les résultats suggèrent une corrélation positive entre FA et le développement pubertaire dans la région du cortex insulaire. Ils suggèrent également une interaction entre le sexe et le développement pubertaire indiquant une corrélation positive chez les garçons et une corrélation négative chez les filles entre FA et le développement pubertaire dans la région du lobe frontal supérieur. Pour ce qui est des effets du taux d’hormones stéroïdiennes, les résultats suggèrent une corrélation positive entre le taux de testostérone et la valeur FA dans plusieurs régions (p. ex., capsule interne, gyrus insulaire, corps calleux, gyrus angulaire) chez les garçons et une corrélation négative entre le taux d’estradiol et la valeur FA dans les régions du gyrus angulaire et du faisceau longitudinal supérieur (Herting et al., 2012). En examinant les effets spécifiques des hormones stéroïdiennes sur la substance blanche, Menzies et al. (2015) ont montré que le taux de testostérone serait associé au niveau de DM dans les faisceaux longitudinaux supérieurs et inférieurs et de l’unciné. Ainsi, les résultats suggèrent que le taux de testostérone chez les garçons semblerait favoriser l’organisation de la substance blanche alors que le taux d’estradiol chez les filles ne semblerait pas avoir d’effet sur l’organisation de la substance blanche. Il serait donc important de déterminer si ces différences sexuelles pourraient contribuer aux facteurs de vulnérabilité à la dépression chez les adolescentes.

Certains chercheurs se sont penchés sur cette question en examinant la relation entre le moment de l’apparition de la puberté (par exemple, un développement pubertaire plus avancé par rapport aux pairs), la structure cérébrale et les symptômes de dépression. Selon certains modèles neurodéveloppementaux, la relation entre l’émergence de la puberté et l’apparition de symptômes dépressifs, particulièrement chez les filles, pourrait être expliquée par des mécanismes neurobiologiques reliés à la puberté. Par exemple, Whittle et al. (2012) ont démontré qu’un développement pubertaire plus avancé en fonction de l’âge serait associé à une glande pituitaire plus volumineuse, et que cette association serait associée à un taux plus élevé de symptômes dépressifs. Ces résultats proviennent d’analyses transversales et longitudinales chez des adolescents (n = 155, âge moyen = 12,7 ans, écart type = 0,5 an, 72 filles) évalués à l’âge de 11 ans et 13 ans (Whittle et al., 2012). Ces résultats sont importants, car la glande pituitaire est un organe important au sein de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique impliqué dans la maturation des caractères sexuels durant la puberté. Le volume de la glande pituitaire augmente de façon significative durant l’adolescence et cette augmentation du volume est positivement corrélée aux taux d’hormones stéroïdiennes (Pui-Yee Wong et al., 2014). Cependant, aucune relation causale ne peut être confirmée puisque la glande pituitaire joue un rôle tant dans le développement de certaines psychopathologies (MacMaster & Kusumakar, 2004) que dans la production de gonadotrophines reliées à la sécrétion d’hormones stéroïdiennes (Pui-Yee Wong et al., 2014). Ainsi, si on tient aussi compte du fait que la glande pituitaire est aussi impliquée au niveau de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, il n’est donc pas clair dans quelle mesure le stress quotidien ou les événements négatifs de la vie pourraient modérer la relation entre le moment de l’apparition de la puberté, le volume de la glande pituitaire et la dépression.

L’influence de la puberté sur le fonctionnement des circuits neuronaux et la réactivité émotionnelle

Plusieurs modèles conceptuels en neuroscience du développement ont été proposés pour expliquer les changements au plan émotionnel, social et comportemental chez l’adolescent. Parmi ces modèles, certains accentuent le développement des processus sociocognitifs (Blakemore, 2008 ; Nelson et al., 2005), motivationnels (Galvan, 2010), et cognitifs-affectifs (p. ex., Casey, Jones & Somerville, 2011 ; Ernst, Romeo & Andersen, 2009 ; Steinberg, 2005). Malgré leurs divergences, tous ces modèles proposent une plus grande réactivité aux stimuli émotionnels ou motivationnels pendant la puberté. Cette plus grande réactivité serait attribuée à l’immaturité du cortex préfrontal impliqué dans la régulation des émotions. Ainsi, comme la puberté tend à apparaître plus tôt surtout dans les pays industrialisés (Steingraber, 2007), il y aurait donc une tendance vers une plus grande réactivité émotionnelle au début de l’adolescence lorsque le cortex préfrontal sous-tendant l’autorégulation n’a pas encore atteint sa pleine maturité. Cet écart entre le développement des structures striato-limbiques et le développement du cortex préfrontal pourrait ainsi créer une vulnérabilité dans le fonctionnement des circuits fronto-striato-limbiques et augmenter le risque de déséquilibre affectif pouvant engendrer le développement de troubles affectifs, et ce, surtout chez les adolescents à risque (par exemple, ceux ayant un trouble anxieux ou ceux ayant un parent présentant un trouble affectif).

Avant de procéder aux résultats de ces études sur la puberté, il est important de brièvement décrire quelles sont les régions cérébrales comprises dans les circuits fronto-striato-limbiques et comment ces circuits se développent pendant l’adolescence. Les circuits fronto-striato-limbiques comprennent les régions suivantes : l’amygdale, le cortex cingulaire antérieur, le cortex insulaire antérieur, le striatum ventral, cortex préfrontal médian (aires de Brodmann 10/11/32), le cortex préfrontal ventrolatéral (aires de Brodmann 45/47), le cortex préfrontal dorsolatéral (aires de Brodmann 9/46) ainsi que le cortex cingulaire moyen et rétrosplenial (aires de Brodmann 24/32 et CRS, aire de Brodmann 25) (voir figure 1) (Ladouceur, Versace & Phillips, 2015).

Figure 1

Modèle neuronal pour la régulation des émotions. Les flèches bleues représentent une voie de rétroaction : le système du cortex préfrontal latéral qui inclut la région dorsolatérale et ventrolatérale. DLPFC : région dorsolatérale du cortex préfrontal ; DACG : cortex cingulaire antérieur ; rACG : cortex angulaire rostral ; VLPFC : cortex préfrontal ventrolatéral ; MdPFC : région médiodorsale du cortex préfrontal ; OFC : cortex préfrontal orbitofrontal ; sgACG : cortex cingulaire antérieur rostro-ventral ; HPC/PHPC : hippocampe-parahippocampe ; AMY : amygdale ; T : thalamus ; VS : striatum ventral. Les régions colorées représentent les régions neuronales impliquées dans la régulation volontaire ou la régulation automatique des émotions. Orientation/identification des émotions (orange) ; régulation automatique des émotions (vert) ; régulation volontaire des émotions (violet) ; régions neuronales impliquées dans la régulation volontaire et la régulation automatique des émotions (bleu).

Cette figure apparaît dans le chapitre Ladouceur et al. (2015)

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L’amygdale est impliquée dans la reconnaissance et l’évaluation de la valence émotionnelle des stimuli sensoriels, la détection du plaisir ainsi que l’apprentissage associatif et réponses comportementales reliées à la peur et l’anxiété (Budygin et al., 2012 ; Cardinal, Parkinson, Hall & Everitt, 2002 ; Cole, Powell & Petrovich, 2013 ; LeDoux, 2000). Le striatum ventral, incluant les noyaux accumbens et le putamen ventral, est la cible principale des projections dopaminergiques provenant de populations de neurones très restreintes situées dans la substance noire et dans l’aire tegmentale ventrale. Le striatum ventral a des projections ciblant la région médiane du lobe préfrontal (incluant le cortex orbitofrontal [aire de Brodmann 10] and rétrosplenial du cortex cingulaire). Le striatum ventral est impliqué dans le comportement appétitif (récompense et désir), mais aussi dans le traitement de stimuli signalant une menace ainsi que l’apprentissage (Budygin et al., 2012). Les régions telles que l’amygdale, le thalamus, et l’hippocampe sont aussi impliquées dans la régulation du plaisir et de la motivation (Haber & Knuston, 2010).

Les circuits fronto-striato-limbiques continuent à se développer de l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Ainsi, l’adolescence représente une période développementale importante pour la maturation de ces circuits. Par exemple, pendant l’adolescence, les circuits fronto-striataux deviennent plus organisés, surtout les projections du cortex préfrontal médian au striatum ventral (Brenhouse, Sonntag & Andersen, 2008), les projections dopaminergiques de la voie mésocorticale (Benes, Taylor & Cunningham, 2000) et le contrôle inhibiteur du cortex préfrontal grâce aux projections dopaminergiques (Tseng & O’Donnell, 2007). Bien que la majorité des études en IRMf suggèrent que les adolescents, en comparaison aux enfants et aux adultes, montrent un plus grand niveau d’activation dans le striatum ventral associé à l’anticipation, à la perception et à la réception d’une récompense (Ernst et al., 2005 ; Galvan, 2011 ; Op de Macks et al., 2011 ; Spear, 2011), certaines études ont démontré un effet inverse (Bjork et al., 2004 ; Bjork, Smith, Chen & Hommer, 2010). Les régions du cortex préfrontal jouent un rôle important dans la régulation des processus cognitifs et comportementaux reliés aux émotions et à la motivation (Dolcos, Iordan & Dolcos, 2011 ; Phillips, Ladouceur & Drevets, 2008). Plusieurs études transversales et longitudinales indiquent que ces régions se développent vers la fin de l’adolescence (Giedd, 2008 ; Luna, Padmanabhan & O’Hearn, 2010), ce qui pourrait expliquer pourquoi certains adolescents éprouvent des difficultés au niveau de la régulation des émotions (Phillips et al., 2008).

En départageant les effets reliés à l’âge chronologique de ceux reliés à la puberté à l’aide de procédures méthodologiques, certains chercheurs ont réussi à élucider les effets de la puberté sur le fonctionnement des circuits fronto-striato-limbiques. Par exemple, Forbes et al. (2011) ont utilisé un plan transversal afin de comparer le niveau d’activité cérébrale associé au traitement des expressions faciales des émotions chez des adolescents (n = 76, filles : 11-12 ans ; garçons : 12-13 ans) au début du développement pubertaire en comparaison à ceux qui ont atteint la puberté. Le niveau de maturation pubertaire fut évalué selon une observation clinique des caractères sexuels secondaires et du questionnaire PDS. Les résultats de cette étude suggèrent que les adolescents au début de la puberté avaient un plus grand niveau d’activation dans les régions de l’amygdale et du cortex ventrolatéral associé à la présentation d’expressions faciales émotionnelles en comparaison à ceux qui étaient à un stade de développement pubertaire plus avancé. De plus, indépendamment du stade de développement pubertaire, une plus grande activation de l’amygdale associée à la présentation d’expression de colère était associée à un niveau plus élevé de symptômes dépressifs. Ces résultats sont concordants avec ceux d’une étude longitudinale qui avait pour but d’examiner chez des adolescents (10-13 ans) les substrats neuronaux associés à la présentation d’expressions faciales émotionnelles (colère, peur, joie, tristesse, neutre) (Moore et al., 2012). Le protocole d’IRMf incluait deux évaluations à deux ans d’intervalle et avait pour but de déterminer si le niveau d’activation dans les régions limbiques était plus grand en fonction du stade de développement pubertaire. Les résultats ont démontré une augmentation du niveau d’activation dans les régions de l’amygdale, de l’hippocampe et du pôle temporal associée à la présentation d’expressions faciales émotionnelles au cours des deux ans et de la maturation pubertaire.

D’autres études ont examiné l’effet de la puberté sur le fonctionnement des circuits fronto-limbiques en mesurant la corrélation entre le taux d’hormones sexuelles et le niveau d’activation dans certaines régions cérébrales. Par exemple, lors d’une étude longitudinale chez des adolescents (filles : 11-12 ans ; garçons : 12-13 ans), nous avons démontré que les adolescents dont le taux sanguin de testostérone avait augmenté au cours d’une période de deux ans avaient aussi une réduction du niveau de connexions entre l’amygdale et le lobe orbitofrontal associé au traitement d’information émotionnelle négative (Spielberg et al., 2015). Ces résultats sont cohérents avec ceux d’études qui ont manipulé le taux de testostérone sanguin en utilisant un gel de testostérone pris par voie nasale. Van Wingen et al. (2010) ont démontré que des femmes (en préménopause) ayant pris ce gel de testostérone et visionnant des expressions faciales négatives lors d’une séance d’IRMf avaient une connexion plus faible entre l’amygdale et la région lobe ventrolatéral (BA 47) en comparaison aux femmes ayant pris un placebo. Une telle réduction des connexions fut interprétée comme reflétant un déficit de la régulation émotionnelle automatique engendré par un manque de contrôle du lobe préfrontal sur l’activité de l’amygdale (Van Wingen et al., 2010). La DHEA semblerait aussi jouer un rôle dans le fonctionnement des circuits neuronaux sous-tendant les émotions. Whittle et al. (2015) ont démontré, chez des garçons et des filles, une corrélation négative entre le niveau de DHEA pour l’âge chronologique et le niveau d’activation du cortex cingulaire associé au traitement d’expressions faciales émotionnelles (colère, peur, joie) pendant une tâche d’IRMf (Whittle et  al., 2015). La réactivité émotionnelle et l’affect négatif sont des facteurs qui ont été associés au taux élevé du niveau de base de DHEA (Shirtcliff, Zahn-Waxler, Klimes-Dougan & Slattery, 2007 ; Susman, Dorn & Chrousos, 1991 ; Susman, Inoff-Germain, Nottelmann, Loriaux et al., 1987). Ainsi, étant donné le rôle du cortex cingulaire dans la régulation de l’amygdale lors du traitement de stimuli émotionnels, les résultats de Whittle et al. (2015) sembleraient suggérer que le taux de la DHEA serait relié aux processus de régulation des émotions. Cependant, de plus amples études longitudinales sont requises pour déterminer la séquence temporelle des effets du développement pubertaire sur la réactivité émotionnelle.

L’influence de la puberté sur le fonctionnement des régions cérébrales sous-tendant la motivation

L’adolescence est caractérisée par une augmentation normative de la motivation d’approche, incluant une tendance plus élevée vers la prise de risques et le désir de nouveauté (Ernst et al., 2006 ; Steinberg, 2008). Cette augmentation de la motivation d’approche a aussi été conceptualisée comme reflétant une hypersensibilité aux stimuli signalant la récompense (Friemel, Spanagel & Schneider, 2010) et une augmentation de la probabilité de réactions comportementales à la présentation de ces stimuli (Depue & Collins, 1999). Il n’est toujours pas clair cependant comment cette hypersensibilité à la récompense serait-elle reliée aux changements neurodéveloppmentaux du système de récompense pendant la puberté.

Une des premières études d’IRMf visant à traiter cette question a été effectuée chez 77 adolescents (filles âgées de 11 à 12 ans ; garçons âgés de 12 à 13 ans). Les résultats suggèrent que les adolescents au début de la puberté avaient un plus grand niveau d’activation dans les régions du striatum ventral et du cortex préfrontal après avoir reçu une récompense lors de la performance d’une tâche à deviner que les adolescents au milieu ou à la fin de la puberté. De plus, le niveau d’activation dans le striatum ventral associé à l’anticipation de la récompense était corrélé positivement au taux sanguin de testostérone chez les garçons (Forbes et al., 2010). Ces résultats suggèrent que le taux de testostérone peut ainsi influencer les processus d’anticipation de la récompense et possiblement expliquer certaines différences sexuelles du comportement (par exemple, les garçons tendent à prendre plus de risques que les filles). De plus, ces résultats suggèrent que le développement pubertaire pourrait avoir un effet sur le fonctionnement du système de motivation, et ce, dès le début de la puberté. Cependant, d’autres études en IRMf plus récentes suggèrent plutôt une corrélation positive entre le niveau d’activation dans le striatum et le développement pubertaire. Cette augmentation du niveau d’activation du striatum semble être associée à la présence de comportements de prise de risques. Ces résultats corroborent ceux d’une étude longitudinale récente. En utilisant un grand échantillon d’enfants, adolescents, et adultes (n = 299 ; 8 à 27 ans), Braams et al. ont démontré une relation linéaire entre le taux maximal d’activation du noyau accumbens à la récompense chez des adolescents au milieu de la puberté et l’augmentation de prises de risques (Braams, Van Leijenhorst & Crone, 2014). Ils sont aussi concordants avec ceux d’une étude transversale démontrant une corrélation positive entre le niveau d’activation dans le striatum suite à la réception d’une récompense dans le cadre d’une tâche de jeux de hasard et le taux de testostérone dans la salive chez garçons et des filles (âgés de 10 à 16 ans) (Op de Macks et al., 2011). La divergence des résultats suite à ces études transversales et longitudinales examinant l’influence des hormones stéroïdiennes sur le système de récompense indique que plusieurs questions scientifiques demeurent non-résolues. Une explication pourrait être la différence dans l’écart d’âge des échantillons ou le type de tâche utilisé avec l’IRMf. Tel que recommandé, certaines études ont recruté des adolescents selon un critère d’âge restreint (par exemple, des filles âgées de 10 à 11 ans et des garçons âgés de 11 à 12 ans). Ce contrôle de l’âge chronologique permet alors de tirer des conclusions plus justes concernant l’influence de la puberté sur le développement des circuits fronto-striataux. Malgré la divergence des approches méthodologiques, les hormones stéroïdiennes semblent jouer un rôle important dans le développement du système de récompense et cette influence pourrait avoir un effet médiateur quant aux changements dans les comportements d’évitement et d’approche qui émergent durant l’adolescence.

L’importance de l’étude du développement cérébral pendant la puberté afin d’élucider les facteurs prédisposant aux troubles affectifs

Le taux de prévalence des troubles dépressifs et des troubles anxieux augmente considérablement durant l’adolescence. La comorbidité des troubles dépressifs et des troubles anxieux est plus fréquente chez les femmes et les jeunes (Brady & Kendall, 1992 ; Kovacs, Gatsonis, Paulauskas & Richards, 1989 ; Pine, Cohen, Gurley, Brook & Ma, 1998). Plus de 75 % des jeunes présentant un trouble dépressif souffrent également ou ont souffert d’un trouble anxieux (Kessler, Avenevoli & Merikangas, 2001). L’augmentation de la prévalence des troubles dépressifs se produit vers le milieu ou la fin de la puberté et certaines études suggèrent que cette augmentation serait plus prononcée chez les filles que les garçons et qu’elle serait reliée aux changements du taux de testostérone et d’estradiol qui ont lieu pendant cette période (Angold et al., 1998 ; Angold, Costello, Erkanli & Worthman, 1999). Ces différences sexuelles du taux de prévalence des troubles dépressifs émergeant pendant la puberté se maintiennent jusqu’à l’âge adulte (Angold et al., 1998 ; Kessler et al., 2001).

Les études en IRMf chez les enfants et les adolescents atteints d’un trouble dépressif, en comparaison aux adolescents en santé, suggèrent des altérations dans le fonctionnement et les connexions des circuits fronto-striato-limbiques (Kerestes, Davey, Stephanou, Whittle & Harrison, 2013). Ces altérations ont été observées chez des adolescents dépressifs (avec ou sans médication) performant des tâches d’IRMf reliées au traitement de l’information émotionnelle ou de récompense, aux fonctions exécutives et aux processus cognitifs affectifs. Par exemple, certains chercheurs ont montré que les adolescents dépressifs ont un niveau d’activation plus faible dans le striatum ventral après avoir reçu une récompense monétaire lors d’une tâche à deviner en comparaison à des adolescents non dépressifs (Forbes & Dahl, 2005 ; Forbes et al., 2006). Des résultats similaires (niveau d’activation plus faible dans le striatum ventral suite à la réception d’une récompense) ont été observés chez des adolescents ayant un nombre élevé de symptômes dépressifs et chez ceux dont le degré d’héritabilité familiale était élevé (Gotlib et al., 2010 ; Monk et al., 2008). Ces effets semblent persister malgré le fait d’avoir reçu une récompense (c’est-à-dire avoir gagné un montant d’argent durant la tâche précédente) (Olino et al., 2011) et sont associés à la prévalence moyenne d’émotions positives au quotidien (Forbes et al., 2009). Ces effets sont aussi présents chez les adultes atteints d’un trouble dépressif (Dichter et al., 2009 ; Pizzagalli et al., 2009 ; Smoski et al., 2011 ; Stoy et al., 2012). Les adolescents dépressifs, en comparaison aux adolescents non dépressifs, ont aussi un niveau d’activation plus élevé dans l’amygdale reliée au traitement d’expressions faciales émotionnelles (Tao et al., 2012 ; Thomas et al., 2001 ; Yang et al., 2010) ainsi que des altérations dans le fonctionnement des circuits fronto-limbiques lors de tâches affectives et au repos (Davey, Yucel, Allen & Harrison, 2012 ; Jiao et al., 2011 ; Perlman et al., 2012 ; Zhu et al., 2012). Les adolescents présentant un trouble anxieux, en comparaison aux adolescents sans trouble anxieux, ont aussi un niveau d’activation plus élevé de l’amygdale, relié au traitement d’expressions faciales de peur ou de colère pendant des tâches d’apprentissage (Britton et al., 2013 ; Britton, Lissek, Grillon, Norcross & Pine, 2010 ; McClure et al., 2007 ; Monk et al., 2008). D’autres études visant à examiner les processus cognitifs affectifs en utilisant des tâches d’IRMf telles que le Stroop émotionnel, le Go/NoGo émotionnel, ou la tâche de mémoire de travail émotionnelle ont aussi montré un niveau d’activation plus élevé de l’amygdale, relié à la dépression et à l’anxiété (Elliott, Rubinsztein, Sahakian & Dolan, 2002 ; Fales et al., 2008 ; Halari et al., 2009 ; Monk et al., 2006 ; Wang, Huettel & De Bellis, 2008).

Cette brève revue suggère que : a) le taux de prévalence des troubles dépressifs augmente de façon significative chez les adolescentes pendant la puberté ; b) le développement pubertaire et le taux d’hormones sexuelles semblent avoir un effet spécifique sur la structure et le fonctionnement de régions cérébrales incluant les circuits fronto-striato-limbiques ; c) la présence d’un trouble affectif ou de risque familial semble engendrer des altérations au fonctionnement des circuits fronto-striato-limbiques. Ainsi, il est donc possible que la puberté puisse influencer les processus neurodéveloppementaux des circuits fronto-striato-limbiques et que cette influence serait possiblement différente chez les adolescents à risque de psychopathologies de sorte à augmenter considérablement le risque de déséquilibre affectif et le développement d’un trouble affectif. Par exemple, le niveau d’activation de l’amygdale dans un contexte de stress (c.-à-d. conflits avec les pairs) pourrait être plus élevé chez une adolescente au milieu de la puberté dont la mère est atteinte de dépression. L’autorégulation serait alors plus difficile étant donné l’immaturité du cortex préfrontal.

Intégration des recherches scientifiques en neurosciences affectives du développement en vue de développer des stratégies d’intervention dans le traitement des troubles affectifs chez l’adolescent

Les résultats d’études cliniques ou épidémiologiques suggèrent fortement que certains mécanismes neurodéveloppementaux reliés au développement pubertaire pourraient contribuer au développement de troubles affectifs pendant l’adolescence (Joinson et al., 2012). Le développement cérébral en fonction du développement pubertaire est graduel et aucune étude jusqu’à présent n’a pu identifier quels sont ces mécanismes neurodéveloppementaux et comment peuvent-ils contribuer au développement de troubles affectifs. Ces questions ne peuvent être abordées que par des études longitudinales chez des adolescents à risque. Ces études longitudinales pourraient inclure une approche multimodale à l’évaluation du développement cérébral et ainsi déterminer la séquence temporelle des effets du développement pubertaire sur le développement cérébral sous-tendant la réactivité émotionnelle et l’émergence des symptômes de troubles affectifs.

Malgré le besoin d’études longitudinales pour mieux comprendre le risque de troubles affectifs, il est aussi important de nous interroger sur l’intégration des connaissances concernant l’influence de la puberté sur le fonctionnement des réseaux de récompense et comment ces connaissances pourraient mener à la découverte de nouvelles stratégies d’intervention. Pendant l’adolescence, d’importants changements développementaux ont lieu dans les connexions entre l’amygdale, le striatum ventral et le cortex préfrontal médian (Sturman & Moghaddam, 2011, 2012). Les études animales et en IRMf chez l’humain suggèrent une plus grande réactivité du striatum ventral aux stimuli de récompense et plus grande tendance vers des comportements d’approche. Ainsi, il serait sans doute possible d’exploiter ces changements développementaux afin de développer des stratégies d’intervention des comportements d’évitement chez les adolescents anxieux. Une façon de procéder serait d’utiliser de façon systématique et stratégique le renforcement positif (c.-à-d. la réception d’une récompense monétaire pour une bonne réponse) et les stimuli signalant un renforcement positif afin de promouvoir la réorientation de l’attention et les comportements d’approche. Par exemple, les modèles cognitifs des troubles anxieux proposent que le taux de vigilance soit élevé chez les individus anxieux ce qui engendre un biais de l’attention vers les stimuli signalant une menace (p. ex., les expressions faciales de peur ou de colère). Les programmes de modification de l’attention aux stimuli de menace impliquent un entraînement à la réorientation de l’attention vers des stimuli neutres ou positifs (Eldar et al., 2014 ; Shechner et al., 2014) et certaines études montrent que ces programmes ont pour effet de réduire le nombre de symptômes d’anxiété (Eldar et al., 2014 ; Shechner et al., 2014). Plusieurs études en neurosciences cognitives du développement ont démontré que l’utilisation de renforcements positifs avait pour effet d’augmenter la performance de tâches cognitives et que cet effet était plus grand chez les adolescents que chez les adultes et les enfants (Geier & Luna, 2012 ; Smith, Halari, Giampetro, Brammer & Rubia, 2011). Il serait donc intéressant d’examiner jusqu’à quel point l’utilisation de renforcements positifs dans le cadre de programmes de modification de l’attention aux stimuli de menace pourrait améliorer la réorientation de l’attention vers les stimuli positifs ou neutres chez des adolescents anxieux en fonction de leur stade de développement pubertaire. Une autre façon d’exploiter la plus grande réactivité du système de récompense pendant l’adolescence serait de promouvoir les comportements d’approche dans les contextes sociaux chez des adolescents atteints d’un trouble de phobie sociale. Ces adolescents anxieux ont une plus grande tendance vers l’évitement des interactions sociales telles que les fêtes d’amis, les sorties en groupes ou les présentations orales. À l’adolescence, recevoir une rétroaction positive ou négative de ses ami(e)s ou de ses pairs est très importants (Albert, Chein & Steinberg, 2013). Ainsi, la création d’un contexte social virtuel tel que celui créé par certains chercheurs (Baus & Bouchard 2014 ; Parrish, Oxhandler, Duron, Swank & Bordnick, in press ; Valmaggia, Latif, Kempton & Rus-Calafell, 2016) lors de séances de thérapie cognitivo-comportementale pourraient avoir un effet bénéfique sur l’augmentation des comportements d’approche chez les adolescents anxieux. Ceci ne représente que quelques exemples de stratégies d’intervention basées sur des connaissances en neurosciences affectives du développement. Des études cliniques sont certes nécessaires afin d’évaluer ces hypothèses.

Conclusion

La puberté représente une période développementale pendant laquelle ont lieu d’importants changements au niveau de la réactivité émotionnelle, la motivation, l’apparence physique, les processus psychologiques et les interactions sociales. De plus en plus de chercheurs se penchent sur la question de l’influence spécifique de la puberté sur le développement cérébral et la réactivité émotionnelle. Néanmoins, de plus amples recherches sont nécessaires afin de mieux comprendre les mécanismes neurodéveloppementaux et comment cette influence pourrait être différente chez les adolescents à risque et ainsi contribuer à l’émergence de troubles affectifs. Ces études devront être longitudinales avec une approche multimodale et une conception méthodologique qui permettraient de départager les effets reliés à la puberté de ceux reliés à l’âge chronologique. En parallèle, de plus amples recherches sont nécessaires afin de déterminer la possibilité d’exploiter davantage les changements neurodéveloppementaux qui ont lieu pendant la puberté de sorte à amplifier ou améliorer les stratégies d’intervention actuelles comme celles utilisées dans le cadre de la thérapie cognitivo-comportementale ou de développer de nouvelles approches ciblant certains mécanismes neurobiologiques.