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Crises psychogènes non épileptiques : généralités

Diagnostic et épidémiologie

Une crise psychogène non épileptique (CPNE, ou PNES, Psychogenic NonEpileptic Seizure) est une manifestation transitoire d’allure neurologique pouvant faire évoquer, à tort, le diagnostic de crise épileptique (Maillard, Hingray, Schwann & Vespignani, 2015). L’idée de troubles d’allure épileptique, mais d’origine « fonctionnelle », terme privilégié dans les dernières propositions terminologiques, est toutefois plus ancienne et peut être retrouvée dans une série d’études consacrées à la notion d’hystéro-épilepsie (Landouzy, 1846 ; voir revue d’Auxéméry, 2012). Sa définition actuelle renvoie à un changement plus ou moins brusque du comportement et du contact avec l’environnement, compatible avec une altération apparente de la conscience et s’associant à des mouvements anormaux, parfois spectaculaires, de durée variable (Auxéméry, 2012). La répétition de ces événements est souvent invalidante et conduit à une prise en charge médicale qui n’est pas toujours adaptée. De fait, le diagnostic est rarement porté par la personne elle-même, et les médecins qui sont consultés vont interpréter la description fournie par le patient ou son entourage, comme évocatrice d’une crise épileptique. Cette situation peut conduire à la prescription d’examens complémentaires et de traitements antiépileptiques inappropriés. Dans ce contexte, l’absence de cause évidente, et la persistance des manifestations paroxystiques sous traitement antiépileptique, vont conduire à une escalade thérapeutique, et au final, au diagnostic erroné d’épilepsie partielle pharmacorésistante grave, avec des admissions répétées en réanimation, par exemple.

Des chiffres de 1,4 à 4 cas/100 0000 en incidence annuelle, et une prévalence de 2 à 33/100 000 individus sont rapportés dans la littérature (Asadi-Pooya & Sperling, 2015 ; Sigurdardotti & Olafsson, 1998), mais sont probablement sous-estimés, compte tenu des erreurs diagnostiques qui conduisent à identifier par excès des crises épileptiques, voire des épilepsies pharmacorésistantes au sein de cette population. Dans les centres tertiaires qui accueillent les cas d’épilepsies réfractaires, 20 à 30 % des cas rencontrés seraient en réalité des CPNE ou l’association de crises épileptiques et de CPNE (Abubakr et al., 2003 ; Boddea N. M. G. et al., 2012 ; Benbadis et al., 2001). L’incidence des CPNE au sein même d’une population épileptique est particulièrement élevée, l’épilepsie représentant un facteur de vulnérabilité accrue. Plus généralement, les CPNE intéressent une population jeune (bien que des personnes âgées puissent aussi en présenter) et majoritairement des femmes, comme la plupart des troubles fonctionnels (Tojek, Lumley, Barkley, Mahr & Thomas, 2000).

Les classifications nosographiques actuelles, épurées de référentiels théoriques, peinent à établir une définition consensuelle. La CIM-10 répertorie les CPNE au sein des troubles dissociatifs alors que le DSM-5 (2013) propose l’appellation de trouble de conversion. Le trouble renvoie ainsi à la présence d’au moins un symptôme témoin d’une altération de la motricité volontaire ou des fonctions sensorielles, non compatible avec une explication médicale ou neurologique. Les CPNE sont confirmées par vidéo-electroencéphalographie (EEG) permettant théoriquement d’éviter la confusion possible avec une crise épileptique. La possibilité de faciliter la survenue d’un épisode habituel en utilisant des procédures de suggestion a été avancée par certains auteurs (Popkirov, Grönheit & Wellmer, 2015a). Dans la plupart des cas, il s’agit de manipulations inutiles, voire dommageables pour la relation soignant/soigné (administration d’un nocebo, manipulation des croyances, etc.), et de fait, la procédure usuelle de l’EEG comporte des épreuves présentant des aspects suggestifs intrinsèques : l’hyperventilation induite pendant l’EEG suscite des modifications physiologiques qui peuvent faciliter la survenue d’une CPNE, et la stimulation lumineuse intermittente par les flashs comporte un aspect « stressant » qui peut susciter un malaise (Popkirov, Grönheit & Wellmer, 2015b).

Le diagnostic demeure aujourd’hui complexe. Certaines caractéristiques comportementales ou émotionnelles sévères peuvent poser des difficultés d’interprétation (Kanner et al., 1990). Par ailleurs, certaines personnes peuvent présenter successivement une crise épileptique et une CPNE (concept de crises successives ; Tourniaire, Saladini, Walusinski & Luauté, 2015) ce qui vient compliquer autant le diagnostic que la prise en charge pour le patient. En 2002, Reuber et al. ont évalué une période moyenne de sept années pour qu’un patient puisse recevoir un diagnostic de CPNE (Reuber et al., 2002). Souvent, ce diagnostic vient clôturer un parcours de soins compliqué, non adéquat et annonce une prise en charge psychologique pour laquelle les cliniciens n’ont encore que peu de travaux de référence. La comorbidité psychiatrique est très fréquente, notamment avec les troubles dépressifs qui représenteraient la plus forte comorbidité (Abubakr, Kablinger & Caldito, 2003). Des troubles paniques avec ou sans agoraphobie ainsi que des troubles anxieux, et notamment une anxiété chronique, sont aussi très fréquemment rapportés (pour une revue, voir Bodde et al., 2009).

Prise en charge des crises psychogènes non épileptiques

Au cours de son histoire, la façon de prendre en charge les CPNE a connu des propositions originales, de la compression des ovaires de Charcot aux « impressions fortes » de Gowers, en passant par la psychanalyse de Freud, dont on ne peut que souligner un point commun remarquable : l’exploitation à fin thérapeutique d’une forte sensibilité à la suggestion (LaFrance & Devinsky, 2004). Plusieurs auteurs se prononcent aujourd’hui en faveur des thérapies comportementales et cognitives (TCC) comme une alternative aux prises en charge d’orientation psychodynamique longtemps prédominantes (Goldstein et al., 2010 ; Hendrickson, Popescu, Dixit, Ghearing & Bagic, 2014). Récemment, une revue systématique de la littérature est venue confirmer l’intérêt des TCC dans la prise en charge de cette problématique (Martlew, Pulman & Marson, 2014). Toutefois, le manque d’essais contrôlés randomisés permettant de statuer clairement sur l’efficacité des différentes prises en charge de CPNE est à souligner (McMillan et al., 2014). Les cliniciens, qui doivent faire face à des patients « difficiles à traiter », « en grande demande d’aide » et « en perte d’espoir », se plaignent de ce manque d’évidence empirique pour guider leur prise en charge thérapeutique (McMillan et al., 2014). Dans ce cadre, des investigations complémentaires psychiatriques et neurologiques sont le moyen le plus robuste et fiable pour poser un diagnostic de CPNE précis, permettant en particulier de mieux caractériser les sous-types cliniques (Hingray et al., 2014). Il faut toutefois souligner que cette double approche reste parfois difficile à mettre en place. Ainsi, légitimer l’intervention du psychiatre n’est pas sans difficulté, du fait des résistances spontanées du (de la) patient(e), qui doit être amené(e) à en comprendre l’intérêt. Enfin, le risque existe que le neurologue, le diagnostic posé, ait tendance à dégager sa responsabilité thérapeutique, sous prétexte qu’il n’y a « rien de neurologique ».

Conceptualisation étiologique et facteurs de maintien

De très nombreux facteurs psychosociaux et mécanismes psychologiques ont été étudiés comme étant liés aux CPNE. Deux grandes hypothèses psychopathologiques ont sous-tendu ces travaux : 1) le vécu d’un précédent traumatisme psychique s’exprimant sous la forme d’un trouble dissociatif récurrent (ou syndrome de répétition) (Auxéméry, 2012, Tourniaire et al., 2015) et 2) l’influence d’un mécanisme neurobiologique. Concernant plus spécifiquement les facteurs de risques psychologiques, Bodde et al. (2009) ont proposé, au travers d’une revue systématique de la littérature, de les regrouper au sein d’un modèle en cinq niveaux (pour une revue complète des travaux, voir article de Bodde et al., 2009). Le premier niveau réfère à l’une des grandes hypothèses étiologiques des CPNE : le vécu d’un précédent traumatisme psychique (abus sexuel ou toute autre expérience traumatique) s’exprimant sous la forme d’un trouble dissociatif récurrent. L’intensité de la dissociation est considérée dans de nombreux travaux comme un facteur de risque majeur des CPNE. La dissociation peut être définie comme une altération des fonctions d’intégration telles que l’identité, la mémoire, la conscience et les fonctions sensori-motrices (Hingray, 2014). À la différence d’un état normal que toute personne peut expérimenter de manière partielle lors de l’exécution de tâches automatiques, l’état dissociatif peut se chroniciser et devenir une stratégie d’adaptation en cas d’exposition à un stresseur. Les CPNE pourraient être comprises comme l’expression d’un trouble dissociatif exacerbé (Hingray, 2014). Le deuxième niveau renvoi à des critères de vulnérabilité prédisposant la personne à développer ce type de crises. Les auteurs évoquent une influence notamment des facteurs de personnalité, du genre, d’atteintes neuropsychologiques ou encore de l’âge. Cette littérature renvoie également aux travaux mettant en avant un pattern de gestion émotionnelle spécifique aux patients « CPNE ». Le troisième niveau regroupe l’ensemble des facteurs créant chez une personne une vulnérabilité à développer des crises d’épilepsie (expression symptomatique particulière ou passé de crises d’épilepsie). Le quatrième niveau réfère à l’ensemble des mécanismes psychologiques permettant le transfert d’un état émotionnel en « crise d’épilepsie », telle qu’une propension à la dissociation ou à la somatisation. Enfin, un cinquième niveau évoque les facteurs spécifiquement impliqués dans la chronicité du trouble telle que l’utilisation de stratégies de coping particulières.

S’il est impossible de citer tous ces travaux, il est important de noter qu’au-delà de ces facteurs de vulnérabilité, plusieurs auteurs développent aujourd’hui l’hypothèse que les patients « CPNE » présenteraient de manière plus discriminante une difficulté à identifier et communiquer leurs émotions ainsi qu’une attitude générale d’évitement des situations de stress social (Schwabe, Reuber, Schöndienst & Gülich, 2007 ; Tourniaire et al., 2015)

Les processus émotionnels dans les CPNE

L’hypothèse d’un lien entre une perturbation émotionnelle et l’émergence d’un trouble cognitif ou comportemental n’est pas spécifique au CPNE, mais les caractéristiques mêmes du CPNE font de l’existence de troubles du traitement émotionnel un terrain prédisposant d’entrée dans ce type de crise. Les divers modèles théoriques des émotions s’accordent en effet sur le fait qu’une émotion est une réponse adaptative de l’organisme face à tout événement important pour l’individu. La réponse émotionnelle se distingue en particulier de toute autre activité mentale par l’importance des répercussions corporelles qui l’accompagnent et la mise en jeu de programmes moteurs mobilisant une grande partie de l’organisme. Ces réponses émotionnelles peuvent toutefois devenir inadaptées lorsque la nature, l’intensité, la durée ou encore la fréquence d’une émotion perturbent le bon fonctionnement mental. Une littérature de plus en plus abondante s’accorde sur l’existence de liens privilégiés entre ces réponses émotionnelles inadaptées et l’émergence de troubles comportementaux (voir Sheppes, Suri & Gross, 2015 pour revue). Plusieurs observations laissent suggérer que des difficultés de traitements émotionnels pourraient être au coeur de ce trouble si bien que des auteurs ont proposé de caractériser les CPNE en tant que réponse comportementale à une détresse émotionnelle (Lesser, 2003 ; Reuber & Mayor, 2012). Un déficit à identifier ses émotions et une moindre capacité à décrire ses émotions ont également été rapportés dans les CPNE (Bewley, Murphy, Mallows & Baker, 2005 ; Myers, Matzner, Lancman, Perrine & Lancman, 2013 ; Tojek, Lumley, Barkley, Mahr & Thomas, 2000 ; Hingray, Maillard, Schwann & Reuber, 2015 pour revue). Une étude récente (Novakova, Howlett, Baker & Reuber, 2015) réalisée auprès de 50 patients montre des scores pathologiques sur tous les items de l’EPS-25 (Emotional Processing Scale, Baker et al., 2010), une échelle du fonctionnement émotionnel. Ces résultats sont en accord avec les données qui semblent indiquer que les patients « CPNE » rapporteraient également de plus hauts niveaux d’alexithymie en comparaison de sujets sains ; cette différence n’étant toutefois pas toujours confirmée en comparaison de sujets épileptiques (Bewley et al., 2005 ; Tojek et al., 2000). Urbanek, Harvey, McGowan & Agrawal (2014) suggèrent une moins bonne compréhension émotionnelle, plus de croyances négatives et une plus grande tendance à contrôler l’expression émotionnelle des patients « CPNE » au regard de participants contrôles. Les émotions auraient ainsi une place centrale dès la mise en place du trouble épileptique psychogène (Bodde et al., 2009 ; Roberts et al., 2012), mais également dans son maintien et dans son expression.

Au-delà de difficultés dans le repérage des émotions, les modèles suggèrent que les patients « CPNE » auraient recours à un coping majoritairement plus évitant et à une propension plus grande à la somatisation que les patients épileptiques (Bakvis, Spinhoven, Zitman & Roelofs, 2011 ; Goldstein, Drew, Mellers, Mitchell-O-Malley & Oakley, 2000 ; Myers, Fleming, Lancman, Perrine & Lancman, 2013 ; Mokleby, Blomhoff, Malt, Dahlstrom, Tauboll & Gjerstad, 2002 ; Stone, Binzer & Sharpe, 2004). Dimaro et al. (2014) ont montré en particulier un évitement prononcé de l’expérience émotionnelle chez ces patients « CPNE », incluant un évitement des sentiments inconfortables ou douloureux, une véritable déconnexion émotionnelle et la croyance que les émotions négatives sont dangereuses.

Les mesures en laboratoire vont également dans ce sens. Ainsi, la présentation de visages à caractère émotionnel s’accompagne d’une plus grande diminution des capacités de mémoire de travail chez les patients « CPNE » comparés à des sujets sains (Bakvis, Spinhoven, Putman, Zitman & Roelofs, 2010). Les auteurs interprètent leur résultat comme l’existence d’un biais attentionnel dans cette population qui traiterait l’émotion induite par les visages de manière préconsciente, ce qui vient perturber leurs performances. Dans la continuité de cette étude, Gul & Ahmad (2014) rapportent que l’analyse des émotions des visages augmente la difficulté des patients « CPNE » à désengager leur attention de la composante émotionnelle des stimuli, entraînant une diminution de leur flexibilité mentale, ce qui est également observé par Bakvis et al. en 2009. Il y a donc bien un biais attentionnel dirigé vers l’émotion ; les émotions sont traitées préférentiellement, au détriment d’autres processus.

Des différences apparaissent également dans les capacités de régulation émotionnelle des patients « CPNE ». Ainsi, dans l’étude déjà présentée de Gul & Ahmad (2014), les participants remplissaient également l’ERQ (Emotion Regulation Questionnaire, Gross & John, 2003), qui détermine les proportions dans lesquelles un individu a tendance à employer une stratégie de réévaluation cognitive ou de suppression expressive face à des situations stressantes ou des problèmes de la vie quotidienne. Les auteurs observent alors que les patients « CPNE » rapportent une tendance significativement plus élevée que la population normale à mettre en place une stratégie de suppression expressive, alors qu’à l’inverse, ils sont significativement moins enclins à réévaluer les situations émotionnelles (Gul & Ahmad, 2014). Il faut noter qu’il a été montré à de nombreuses reprises que la stratégie de suppression s’avère relativement inefficace pour réduire l’intensité émotionnelle et constitue donc une stratégie moins bien adaptée que la stratégie de réévaluation de la situation (p. ex. Gross et al., 2003). Par ailleurs, Uliaszek, Prensky & Baslet (2012) ont montré une dichotomie entre deux clusters de patients CPNE. Le premier présente des difficultés à réguler les émotions alors que le second se situe dans l’évitement émotionnel. Les difficultés de régulation émotionnelle sont comorbides à divers troubles cliniques, tels que l’automutilation, la prise de substances, la dépression, l’anxiété et le trouble de la personnalité borderline (Gratz & Tull, 2010 ; Uliaszek, Prensky & Baslet, 2012), et les auteurs retrouvent ici ces associations dans le premier cluster, lequel rapporte également des états dissociatifs plus importants et de plus nombreuses plaintes somatiques que les patients faisant partie du deuxième cluster. Par conséquent, le premier cluster correspond à un sous-groupe de la population « CPNE » qui sous-régulerait ses émotions, tandis que le second serait un sous-groupe enclin à une surrégulation (Uliaszek etal., 2012). Cette dichotomie est également retrouvée parmi les patients présentant un trouble de stress post-traumatique (TSPT) (Ogden et al., 2006 ; Lanius, 2010 ; cités par Uliaszek et al., 2012). Ce parallèle observé au niveau du fonctionnement émotionnel constitue un point commun entre le fonctionnement des CPNE et celui du stress post-traumatique, qui tend à rapprocher ces deux pathologies. Il faut noter que l’hypothèse d’une relation potentielle entre TSPT et CPNE est régulièrement avancée dans la littérature, laissant suggérer qu’un trouble émotionnel (le TSPT) pourrait être à l’origine d’une expression somatique pour réduire ce trouble (le CPNE). Une autre piste à examiner à l’avenir concerne l’origine de cette plus grande propension des patients « CPNE » à choisir une stratégie d’évitement. Il est également envisageable que ce phénomène soit dû à une réelle incapacité à mettre en place les processus de réévaluation, plus coûteux à un niveau cognitif. Le fait que les patients traitent les émotions à un niveau préconscient (Bakvis et al., 2010 ; Gul & Ahmad, 2014 ; Roberts et al., 2012), nous semble donner du poids à cette hypothèse. Quelques études de neuroimagerie sont venues récemment compléter ces données cliniques et comportementales.

Contribution des neurosciences affectives

Neuroimagerie du CPNE

Par définition, l’imagerie cérébrale structurelle (Scanner et IRM) ne montre pas de lésion cérébrale dans la population CPNE, hors anomalie fortuite. Toutefois, les études IRM plus spécifiques ont été en mesure de mettre en évidence des anomalies quantitatives (voir Table 1) touchant par exemple à l’épaisseur du cortex des régions motrices et prémotrices à droite et celle du cervelet (Labate et al., 2012) ou aux anomalies de la substance blanche, telles qu’appréciées par les techniques d’analyse par imagerie de tenseur de diffusion (DTI), mettant en évidence des anomalies dans la connectivité fonctionnelle à gauche, au sein des aires impliquées dans la régulation émotionnelle (Lee et al., 2015). Une étude similaire retrouve également des anomalies de la connectivité fonctionnelle par la substance blanche au sein de cette population sans que les résultats soient superposables en termes de structures impliquées (Ding et al., 2014).

À la différence d’autres troubles fonctionnels d’origine psychogène (les paralysies et les mouvements anormaux psychogènes), peu d’études d’imagerie véritablement fonctionnelle se sont intéressées aux CPNE, car les manifestations transitoires et imprévisibles sont peu compatibles avec l’immobilité nécessaire à la réalisation des images. Au cours des crises, et par définition, aucune décharge épileptique n’est recueillie par l’EEG. Toutefois, indépendamment des crises, des anomalies de la connectivité fonctionnelle ont été mises en évidence, en particulier un défaut de synchronisation entre les régions préfrontale et pariétale (Knyazeva, Jalili, Frackowiak & Rossetti, 2011).

Table 1

Études de neuroimagerie présentant des modifications structurales ou fonctionnelles dans le CPNE. dr. = droite ; g.= gauche

Études de neuroimagerie présentant des modifications structurales ou fonctionnelles dans le CPNE. dr. = droite ; g.= gauche

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Une étude récente utilisant le PET au Fluorodeoxyglucose a mis en évidence un hypométabolisme au repos affectant les régions centrale et pariétale inférieure à droite et le cortex cingulaire antérieure de façon bilatérale (Arthuis, Micoulaud-Franchi, Bartolomei, McGonigal & Guedj, 2014). Ces données suggèrent une anomalie touchant au contrôle préfrontal des émotions (Bishop, Duncan, Brett & Lawrence, 2004). Ainsi, la population CPNE présente des anomalies fonctionnelles touchant des régions cérébrales telles que le cortex préfrontal, l’insula, le gyrus frontal inférieur, le cortex pariétal et le sulcus central, comparables à ce qui est observé dans le cas d’état de SPT (Bryant et al., 2005 ; Markowitsch et al., 2000 ; Morey et al., 2009 ; Pollatos, Schandry, Auer & Kaufmann, 2007 ; cités par Baslet, 2011), pouvant contribuer au caractère instable des systèmes cognitifs, attentionnels et émotionnels (Baslet, 2011).

Modifications des réseaux cérébraux de l’émotion

Ces dernières années, les neurosciences affectives ont connu un essor considérable qui s’est traduit notamment par une recherche systématique des structures neuronales impliquées dans les processus émotionnels. L’étude de l’intégrité de ces structures « émotionnelles » dans les CPNE appuie l’idée selon laquelle les régions cérébrales impliquées dans la régulation émotionnelle et les processus sensorimoteurs et cognitifs auraient une connectivité altérée dans cette population (Moser, Hajcak, Bukay & Simons, 2006). L’équipe de Van der Kruijs (2012, 2014) a ainsi rapporté à plusieurs reprises une connectivité fonctionnelle anormale dans cette population de régions impliquées dans le mouvement (sulcus précentral), dans le contrôle exécutif (gyrus frontal inférieur) et dans l’émotion (insula).

Très récemment, plusieurs études ont focalisé leur analyse sur les modifications de connectivité anatomique ou fonctionnelle à l’aide de la technique de l’imagerie du tenseur de diffusion ou de mesure en resting state. De manière tout à fait originale, deux études récentes reposant sur ces techniques suggèrent un lien entre des modifications de la connectivité cérébrale dans cette population et l’émergence de perturbations des capacités de régulation émotionnelle (Hernando et al., 2015 ; Lee et al., 2015). De manière convergente, ces études rapportent une connectivité anatomique altérée de la matière blanche des régions de l’hémisphère gauche. En particulier, ces atteintes toucheraient le faisceau unciné, reliant les régions orbitofrontales au lobe temporal. Le rôle de ce faisceau dans les processus émotionnels, et en particulier de régulation émotionnelle, a été souligné dans plusieurs études récentes (Gaffan & Wilson, 2008 ; Ross, 2008 ; Yasmin et al., 2008). Par ailleurs, l’étude de Lee et al. (2015) montre également une atteinte du gyrus temporal supérieur dont le rôle dans la perception des émotions a reçu une série de confirmations récentes (de Greck et al., 2012 ; Husain, Carpenter-Thompson & Schmidt, 2014). L’étude de la cartographie de la matière blanche semble donc s’avérer une piste prometteuse pour identifier les modifications cérébrales qui accompagnent les CPNE. Dans ce cadre, les rares études existantes appuient l’hypothèse selon laquelle des changements de connectivité anatomique pourraient être au coeur des changements émotionnels identifiés dans cette population.

Ces éléments anatomiques, ainsi que la mise en évidence d’un traitement atypique de l’émotion chez les patients « CPNE », appuient l’idée que la compréhension des mécanismes de régulation émotionnelle de ces patients est centrale dans l’étude de cette pathologie. Il faut toutefois rester prudent puisqu’à ce jour, aucune étude n’a combiné au sein du même protocole des mesures de connectivité neuroanatomique avec celles des capacités émotionnelles. Ceci constitue selon nous la prochaine étape nécessaire dans l’approche en neurosciences affectives des CPNE susceptible de fournir des éléments significatifs pour mieux comprendre des changements affectifs qui caractérisent cette population.