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1. Introduction : stigmatisation et stéréotype

La lutte contre la stigmatisation des maladies mentales ou psychiatriques[i] est une préoccupation affichée des pouvoirs publics1, et fait l’objet d’un nombre croissant de publications scientifiques2. La conceptualisation de la stigmatisation par Link et Phellan3 présente quatre composantes qui interagissent en cascade : la reconnaissance des marques des différences humaines ; l’émergence de stéréotypes ; la catégorisation et séparation des groupes d’individus (ou distance sociale entre « eux » et « nous ») ; et enfin la perte de statut et la discrimination menant à des inégalités. La stigmatisation a donc pour base l’existence d’un stéréotype associé à une catégorie de personnes, ici la schizophrénie. Domaine privilégié de la psychologie sociale, les stéréotypes représentent des schémas cognitifs, ou structures cognitives, qui contiennent des croyances et des opinions concernant les caractéristiques, les attributs et les comportements des membres de divers groupes4. Les stéréotypes sont acceptés par la population générale (stigma public) et/ou intégrés par les personnes stigmatisées (self-stigma)1. Issus de la catégorisation sociale, les stéréotypes constituent des croyances et génèrent des attentes quant aux réactions des membres d’un groupe social, et la discrimination constitue quant à elle la réponse comportementale adoptée envers les individus marqués du/des stéréotypes2, 3.

L’objectif de cet article est de proposer une synthèse brève de la littérature récente ayant exploré le contenu du stéréotype associé à la schizophrénie via des enquêtes en population générale, en anglais et en français, et de proposer quelques perspectives de recherche basées sur les évolutions récentes de ce domaine.

2. Stéréotype et maladie mentale

La grande majorité des études disponibles ne se sont pas intéressées spécifiquement à la schizophrénie, mais en premier lieu à la maladie mentale en général. Le stéréotype associé à la maladie mentale est clairement négatif 3, 5 et serait le reflet des incompréhensions de la population générale6. Dans la première revue de littérature sur ce thème, Hayward et coll.5 proposaient 4 facteurs du stéréotype de la maladie mentale (mental illness) : dangerosité, attribution de responsabilité (les personnes ont une part de responsabilité dans leur maladie), faible pronostic, imprévisibilité et incompétence dans les rôles sociaux5, autrement nommée perturbation des interactions sociales3. Cependant, les références présentées se révèlent anciennes (années 80) et les facteurs identifiés basés sur des opinions d’experts, sans mise à l’épreuve empirique du modèle proposé. Malgré ces limites, le modèle d’Hayward et coll.5 fait encore référence dans la majorité des études.

Plus récemment sont apparus d’autres modèles issus de la psychologie sociale. Ainsi, selon le modèle « Chaleur et Compétence » de Fiske, Cuddy et Glick7, le contenu des stéréotypes peut être décrit selon deux dimensions : la « chaleur » (caractère bienveillant vs hostile) et la « compétence ». Dans cette étude, les personnes âgées, les personnes souffrant d’un retard mental et les personnes handicapées (dont les personnes avec un trouble mental) sont regroupées dans un même cluster dit « ambivalent » (chaleur importante/compétence faible). Au sein de ce groupe social, les personnes handicapées sont jugées les moins chaleureuses et les moins compétentes. Enfin, les comportements de la population américaine à leur égard sont décrits comme paternalistes, avec une mise à distance au travers de réactions d’aide, mais également de négligence passive (c.-à-d. mise à l’écart par institutionnalisation)7.

Le contenu du stéréotype associé à la maladie mentale pourrait varier selon les pays. Un récent sondage montre que pour les Français, le terme « maladie mentale » est associé à la folie, la dangerosité, l’incapacité de s’intégrer dans la société. Elle est considérée comme chronique (« besoin de traitement à vie », « aggravation dans le temps ») et génère une volonté de se mettre à distance socialement dans les situations de vie quotidienne8. Cependant, les Français ont tendance à inclure dans la catégorie « maladie mentale » des pathologies non psychiatriques, telles que les traumatismes crâniens, les démences et des syndromes génétiques. Ce résultat rappelle une étude américaine faisant état d’un décalage entre les représentations populaires et les classifications nosographiques en psychiatrie9. Ainsi, bien que la maladie mentale (mental illness) soit encore fortement associée à la psychose, une forte évolution est observée depuis les années 50. La population générale a moins tendance à décrire une maladie précise, mais associe plutôt à la maladie mentale des comportements considérés comme déviants (c.-à-d. en dehors des normes sociales). Par contraste, les troubles de l’humeur et l’anxiété apparaissent moins fréquemment cités lorsque la population décrit la maladie mentale9. Ce dernier résultat souligne que le stéréotype peut donc différer selon la maladie mentale visée.

3. Le stéréotype associé à la schizophrénie : spécificités

Les études ayant spécifiquement exploré le stéréotype de la schizophrénie avec une méthodologie adaptée demeurent encore rares. Dans une enquête en population générale allemande portant sur la schizophrénie, Angermeyer et coll.10 rapportent que, parmi les facteurs issus du modèle de Hayward et coll.5, « imprévisibilité/incompétence », puis « dangerosité » suivie du « faible pronostic » sont les plus prévalents, et les plus fortement associés à la discrimination et à la volonté de distance sociale. On retrouve partiellement ces résultats en population générale belge francophone, où les facteurs les plus fréquents sont « l’imprévisibilité » et le « faible pronostic », mais la « dangerosité » est plus rare. En revanche, ce sont bien la « dangerosité » et l’« incompétence » qui sont les facteurs les plus associés à la peur et aux réactions d’évitement11.

Les études comparatives disponibles font de plus émerger des spécificités dans le stéréotype de la schizophrénie. Les résultats montrent que la dangerosité, l’imprévisibilité et le faible pronostic sont fortement associés à la psychose91214, tandis que la responsabilité de la personne dans l’évolution de sa maladie est significativement plus fréquente dans les représentations des troubles de l’humeur1214 et des troubles des conduites alimentaires et addictives13. En France, une seule étude compare les stéréotypes de la psychose (c.-à-d. schizophrénie) à la bipolarité et l’autisme15. Ces groupes se distinguent clairement sur trois points : les facteurs de risques associés à l’apparition de la maladie (consommation de toxique pour la schizophrénie ; la génétique pour l’autisme et le stress émotionnel pour les troubles bipolaires) ; la dangerosité et la distance sociale (bien plus fréquentes dans les réponses concernant la schizophrénie).

4. Perspectives

Bien que la thématique de la stigmatisation connaisse un intérêt croissant, rares sont les études qui mettent à l’épreuve les modélisations théoriques proposées10 et/ou explorent le contenu du stéréotype au regard des différences et de l’évolution culturelle et sociétale. La synthèse des données est de plus encore limitée par la variabilité des méthodes utilisées, chacune possédant des biais spécifiques (questions ouvertes vs fermées, interrogations directes ou plus implicites, désirabilité sociale et biais de présentation de soi, etc.). L’étude du stéréotype s’inscrit historiquement dans les travaux de la psychologie sociale, fournissant un recul conceptuel et méthodologique qui commence à être utilisé dans les recherches en psychiatrie7. Dans ce contexte, un projet francophone collaboratif est en cours au sein de notre équipe. L’objectif du projet est de proposer une modélisation du stéréotype de la schizophrénie et d’en étudier les effets sur les pratiques professionnelles du soin et de l’accompagnement.

Conclusion

Le stéréotype associé à la schizophrénie apparaît le plus péjoratif au sein des maladies mentales et comporte plusieurs facteurs fortement associés à la discrimination. L’étude de la stigmatisation reste un domaine émergent en psychiatrie, notamment concernant ses implications dans les pratiques. Ce domaine bénéficie grandement de la littérature sur la stigmatisation en psychologie sociale. Des recherches futures sont notamment encore nécessaires pour apporter des éléments spécifiques au trouble mental visé (schizophrénie vs dépression vs trouble bipolaire) et au contexte culturel concerné, puisque les études au Québec ou en France sont encore rares. Ces résultats permettront de cibler plus précisément des axes d’intervention adaptés.