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Introduction

Dans le domaine de la santé mentale, les pratiques orientées vers le rétablissement sont désormais centrales. Alors que les écrits scientifiques portant sur les expériences des usagers en cette matière sont nombreux, on en sait encore peu sur celles qui sont vécues par les praticiens appelés à intervenir auprès d’eux. Cela est encore plus vrai à propos des contextes d’intervention tels que les milieux institutionnels de soins de longue durée en psychiatrie, marqués par la présence d’une clientèle considérée comme « lourde et complexe » et dont le rétablissement demande des interventions particulières1. Ces personnes sont décrites comme présentant des psychoses réfractaires aux traitements, des comportements très dérangeants et un risque ou une dangerosité perçus comme importants2. À partir de résultats d’une recherche réalisée dans le cadre d’un projet de maîtrise3 au Centre intégré universitaire de santé et services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSSCN), site Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ), le présent article s’intéresse aux expériences d’intervenants dans l’accompagnement de ces personnes au rétablissement.

Mise en contexte

Les définitions du rétablissement en santé mentale abondent. On peut les classer selon deux grandes catégories, à savoir le rétablissement clinique et le rétablissement personnel4, 5. Le rétablissement clinique, plus souvent évoqué par des personnes exerçant un rôle d’intervention, vise avant tout une atténuation ou une rémission des symptômes et une restauration du fonctionnement. Dans cette optique, il est un état observable et objectif, habituellement défini par le clinicien, et se manifestant de façon similaire d’un individu à l’autre5. Or, Andresen et coll.6 soulignent qu’en raison de l’emphase qu’il place sur l’évaluation des symptômes et le fonctionnement, le rétablissement clinique s’inscrit dans un modèle médical qui entre souvent en conflit avec les définitions provenant des personnes utilisatrices de services. Le rétablissement personnel, en revanche, est défini à partir des témoignages des personnes ayant vécu la maladie. Considéré comme un processus dans lequel la personne s’engage, le rétablissement est alors un cheminement impliquant les dimensions interreliées que sont l’espoir, l’identité, le sens, l’autodétermination et le pouvoir d’agir ainsi que la responsabilité personnelle dans le processus et dans sa vie5. Selon Davidson et coll.7, il y aurait une confusion chez les intervenants entre les compréhensions clinique et personnelle du rétablissement, en raison de leur coexistence tant dans les écrits scientifiques que dans les milieux de pratique. Ceci ayant comme résultat une grande variabilité dans la manière dont les pratiques sont pensées, implantées et appliquées dans ces milieux.

L’accompagnement au rétablissement, pour sa part, a été plus souvent étudié sous l’angle des pratiques et de l’intervention. Ainsi, une étude de Williams et Tufford8 a permis de relever plusieurs aspects de la relation d’aide qui, selon les clients, ont contribué à leur rétablissement tels les soins, l’accès aux ressources, les besoins émotionnels et l’encadrement.

Le vécu personnel des intervenants dans l’accompagnement demeure cependant peu étudié. Hellzén9 remarque, entre autres, que le temps passé par les infirmières auprès des usagers est influencé par l’appréciation de la personne, la culture de l’établissement où elles pratiquent et l’équipe de travail. Goodwin et Gore10 ont quant à eux remarqué une diminution de l’engagement émotionnel des intervenants lorsque la maladie est sévère et que les personnes ont des troubles de comportement et des difficultés chroniques. Ils perçoivent cette diminution comme un mécanisme de défense face au contact quotidien et rapproché avec des personnes sévèrement affectées par la maladie mentale. De leur côté, Chen et coll.11 décrivent différentes tensions vécues par les intervenants dans l’application d’interventions visant le rétablissement dans des milieux internes en psychiatrie. Qu’elles soient personnelles, environnementales ou propres à la personne en suivi, ces tensions affectent l’expérience d’accompagnement des intervenants. Entre autres, la sévérité de la maladie, la passivité des personnes, un contexte où la sécurité prime, la structure administrative peuvent miner l’espoir des intervenants en leur donnant l’impression de ne pas avoir de pouvoir sur la situation, ce qui peut, par le fait même, compromettre la relation d’aide.

Dans une étude considérant les ingrédients porteurs d’espoir d’un mieux-être dans les suivis auprès de personnes atteintes de schizophrénie, Cormier12 souligne quant à elle l’aspect transactionnel de l’espoir. Elle décrit ainsi un phénomène de « contagion » de l’espoir qui se traduirait par la croyance de l’intervenant dans la capacité de la personne à se rétablir, croyance qui est perçue par l’usager et influence son propre espoir. Ces propos trouvent un écho dans l’ouvrage Je suis une personne, pas une maladie !13, où des intervenants spécialisés auprès de la clientèle vivant avec un trouble psychotique de l’IUSMQ racontent leurs expériences en lien avec le rétablissement. Ainsi, Yolande Champoux et Cécile Cormier, travailleuses sociales, soulignent que le contexte institutionnel de travail amène les intervenants à voir les personnes sous l’angle de la maladie, des problèmes et des difficultés, perdant ainsi de vue les forces et projets de ces personnes. Elles mentionnent également le sentiment d’impuissance et l’impression d’arriver aux limites de nos compétences dans l’intervention ressentie par plusieurs intervenants.

Devant le constat que le vécu personnel des intervenants a été peu étudié, nous avons cherché à mieux comprendre leur positionnement dans l’intervention[i]. Notre étude visait donc à mieux décrire l’expérience vécue par les intervenants dans l’accompagnement vers le rétablissement des personnes vivant dans les milieux de soins de longue durée en psychiatrie.

Méthodologie

Notre devis repose principalement sur des méthodes qualitatives. Nous avons rencontré neuf (9) intervenants de différentes professions (infirmiers, professionnels, éducateurs spécialisés) dans le cadre d’entrevues semi-dirigées portant sur différents aspects de leur expérience d’accompagnement et sur leur définition du rétablissement. Afin de compléter les données issues de l’entrevue, ils ont également répondu à un questionnaire portant sur l’attitude envers le concept de rétablissement (Recovery Attitude Questionnaire, version à 7 items, RAQ-7). L’utilisation conjointe de ces outils a permis de mieux situer chaque expérience individuelle, en l’associant à une tendance attitudinale concernant l’idée du rétablissement. Les collectes ont eu lieu entre février et juin 2014. Les données des entrevues qualitatives ont été soumises à une analyse thématique des contenus à l’aide d’un logiciel de traitement de données qualitatives (QDAminer, version 4.1.23). Selon une approche mixte, nous avons combiné l’utilisation d’un système de catégories prédéterminées et l’inclusion de thèmes émergeant des données recueillies14.

Résultats

Les discours des intervenants rencontrés éclairent certaines caractéristiques de l’intervention auprès des personnes vivant dans les unités de longue durée de l’IUSMQ. Trois éléments ressortent comme centraux dans l’expérience des participants : 1) l’espoir entretenu quant à l’amélioration de la situation (croire) ; 2) l’implication dans des interventions pouvant faire une différence dans la vie des personnes (s’impliquer) ; et 3) le lien établi avec les personnes (s’attacher). Ces trois composantes, qui s’imbriquent et s’interinfluencent dans le vécu de l’intervenant au quotidien auprès des personnes, résument ce qu’est l’accompagnement au rétablissement pour les praticiens rencontrés.

L’espoir, l’implication et l’attachement, composantes interreliées de l’expérience

Les participants décrivent un processus d’interinfluence entre l’espoir (croire), l’implication (s’impliquer) et le lien avec les personnes suivies (s’attacher). Chaque élément influence les deux autres, positivement ou négativement (figure 1). Les différents témoignages n’identifient pas un point de départ uniforme. C’est pourquoi nous représentons cette dynamique non pas comme une séquence – ou chaque étape serait le préalable de la suivante – mais plutôt comme l’intersection entre trois composantes interreliées, aux frontières perméables.

Figure 1

Composantes de l’expérience d’accompagnement au rétablissement et dynamique de leurs relations

Composantes de l’expérience d’accompagnement au rétablissement et dynamique de leurs relations

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À travers les entrevues, nous constatons que pour six des intervenants rencontrés, une croyance, même minime, est un point de départ nécessaire qui pousse à aller vers la personne. Ces intervenants s’impliquent au départ, car ils croient qu’un changement est possible. Pour trois autres intervenants, l’implication est d’abord dans le cadre de leurs obligations comme professionnels et employés de l’établissement. Pour eux, c’est à travers l’évolution de la personne que la croyance augmente et que l’implication est plus significative.

Ainsi, l’espoir (croire) influence l’implication. Croire au départ permettrait à l’intervenant de s’investir dans l’intervention et forme une certaine ouverture aux possibilités. Il essaie des choses, jusqu’à ce qu’une action génère de l’espoir chez la personne. Il croit que le changement est possible. Par la suite, un lien se développe et, au fur et à mesure des réussites, l’investissement de l’intervenant augmente. L’espoir en vient à influencer l’attachement.

Également, l’implication a une influence sur l’espoir. Pour une infirmière, c’est à travers l’évolution du suivi que la croyance en un changement survient. Lorsque la personne saisit une opportunité, l’espoir est renforcé et son implication devient plus forte. Une autre infirmière, ayant de la difficulté à croire, se refuse à briser l’espoir des personnes, car elle perçoit que son travail est de maintenir cet espoir. Elle dit alors se retrouver emportée par leur propre espoir en s’impliquant, en percevant une transmission de l’espoir de la personne vers elle.

Finalement, l’attachement influence l’implication en donnant envie d’en faire davantage, ce qui amène l’intervenant à s’investir. Le lien favorise l’implication par la découverte des besoins de la personne et par le développement d’un sentiment de sécurité dans la relation : l’intervenant sait qu’il peut essayer des choses avec la personne. Le lien influence aussi l’espoir : lorsque l’intervenant connaît mieux la personne et ses capacités, il développe des attentes envers son évolution et croit de plus en plus qu’un changement est possible.

L’influence inverse serait aussi constatée. Les intervenants rencontrés décrivent ainsi que pour certains praticiens de leur organisation, le faible espoir entraînerait un désinvestissement et une faible implication[ii]. Ainsi, un intervenant qui croit moins aurait tendance à moins s’impliquer, par exemple dans l’élaboration des plans d’intervention en équipe. Les intervenants s’impliquant moins donneraient l’impression d’être moins attachés aux personnes en suivi. Une éducatrice dénonce le fait que certains intervenants dénigrent les personnes en suivi, alors qu’un autre intervenant décrit que certains envoient, par leurs interventions, un message selon lequel les personnes sont inadéquates et incapables.

Croire

« Si j’élimine l’espoir de mon travail, je ne travaille plus, c’est clair. » C’est ainsi qu’un éducateur décrit l’importance de garder espoir envers les possibilités de changement des personnes. L’espoir est nécessaire au travail pour la majorité des intervenants rencontrés, et doit être présent le plus tôt possible de la relation d’aide. Il s’agit d’une croyance un peu vague que quelque chose peut changer, une ouverture dans la possibilité de changer pour les personnes. Ils observent l’évolution, sans attentes particulières, comme l’exprime cette professionnelle : « Tu t’investis, tu ne sais pas où tu t’en vas et puis, oups ! ça prend un chemin. »

L’espoir peut donc être présent au départ ou se développer en observant l’évolution de la personne. Pour la majorité des répondants (6/9), les réussites vécues par le client, aussi petites soient-elles, sont source d’espoir. Ainsi, une personne qui avance « permet de croire à autre chose ». Un autre intervenant, tout d’abord observateur, dit même s’être retrouvé emporté par l’espoir.

Parler d’espoir oblige à porter aussi un regard sur son contraire. Ainsi, les répondants décrivent que la maladie des personnes hébergées est en elle-même porteuse de désespoir. Les propos de cette éducatrice décrivent cette difficulté : « Moi, je trouve que c’est la clientèle, c’est les troubles de comportement. Plus ils ont d’années d’hospitalisation, plus s’est incrustée la maladie mentale. » Nous notons que parmi ces éléments de désespoir, les antécédents d’échec, de grandes difficultés comportementales et des symptômes importants, ou une longue histoire d’institutionnalisation des personnes entraînent du découragement devant l’ampleur de la tâche. Les perceptions amènent unanimement les intervenants à vivre l’espoir au jour le jour : il est ainsi plus facile de croire.

S’impliquer

L’implication prend différentes significations selon les répondants. Ainsi, pour six intervenants, il s’agit de s’investir auprès de la personne et l’aider à vivre des réussites (même modestes) ainsi que susciter et préserver l’espoir. S’impliquer, c’est aussi susciter cette envie de reprendre du pouvoir sur sa vie en soutenant les décisions de la personne. Pour trois intervenants, l’implication vise également à soulager et à prendre soin de la personne. La perception du client comme étant chroniquement malade, très souffrant et abandonné par son entourage, amène ces intervenants à s’investir dans une approche de soin visant le confort et de « faire en sorte que ce soit moins pénible. » L’implication devient en ce sens un investissement humain porté par le lien.

Cependant, s’impliquer signifie vivre avec les échecs et les tentatives infructueuses. Les situations évoluent peu à travers les années ; le découragement gagne les équipes de travail. Cette perception amène à penser que les interventions sont inefficaces. Les intervenants perçoivent qu’ils doivent travailler beaucoup sans atteindre des résultats phénoménaux, d’où l’importance pour eux de s’accrocher aux moindres réussites et moments de bonheur. Ils adoptent donc différentes stratégies afin d’affronter cette difficulté. Limiter les attentes envers l’évolution est une manière de s’adapter : des attentes modestes permettraient d’éviter le découragement s’il y a échec. La créativité devient également une manière de garder espoir et de poursuivre l’implication.

S’attacher

La plupart des intervenants (7/9) mettent l’accent sur l’établissement d’un lien avant toute intervention. Ce lien s’exprime à travers une envie de découvrir la personne, d’approfondir et trouver ce qui pourrait faire un changement dans sa vie. Cette envie demande de s’impliquer au départ. Pour certains participants (n = 3), l’attachement commence par une implication sans attentes. Une éducatrice, entre autres, dit s’impliquer tout d’abord parce qu’elle doit faire son travail, rendre un service. Mais au fil de l’évolution, elle constate qu’une confiance s’est installée, qu’une connaissance plus approfondie et un lien particulier se développent. Il en va de même pour une infirmière qui s’implique dans les soins et constate qu’avec son implication, la personne lui fait de plus en plus confiance.

Tous les participants considèrent que le lien est vécu différemment dans les unités de longue durée en psychiatrie en raison des années d’implication. Tous décrivent ces liens comme étant plus forts. Une infirmière mentionne que le lien est plus profond alors qu’une autre souligne l’aspect « familial » du lien. La camaraderie et l’intimité sont aussi nommées comme décrivant la relation d’aide dans le contexte des unités de longue durée. Le contexte des unités permet aussi, selon quatre intervenants, le développement d’un sentiment de sécurité dans la relation avec la personne, qui permet d’avancer dans l’intervention. Pour deux des éducateurs rencontrés, cette sécurité se retrouve dans la connaissance mutuelle. Pour une intervenante, les peurs du début, provenant des informations contenues au dossier de la personne ou de son expérience dans la profession, se trouvent dissipées lorsque le lien se développe, tant du côté de l’intervenant que de la personne.

En contrepartie, l’attachement important et l’implication affective peuvent être source de désespoir, de tristesse, d’impuissance et de découragement devant la maladie et les rechutes. Pour un intervenant, le fait d’être souvent la personne la plus significative de l’entourage peut entraîner un sentiment de responsabilité envers la personne et faciliter l’apparition d’émotions comme le désespoir. Ce lien, selon un autre intervenant, rend difficile l’objectivité.

Discussion

Nous soulignions en début d’article la question du maintien de l’engagement et de la stimulation de l’espoir dans le contexte de ces unités. Nous avons constaté dans notre étude que les dimensions de l’attachement, de l’espoir et de l’implication se stimulent les unes les autres. La dynamique ainsi décrite recoupe les données recueillies sur l’importance de l’espoir dans le rôle de l’intervenant dans les milieux de longue durée en psychiatrie.

L’espoir est décrit comme un ingrédient essentiel au processus de rétablissement11-13, 15, tant pour les personnes que pour les intervenants. Nous retrouvons dans les verbalisations le phénomène de « contagion » de l’espoir à travers la relation décrite par Cormier12. Cette transmission, selon nos participants, semble également se présenter en sens inverse : lorsque la personne vit de l’espoir, celui de l’intervenant grandit.

Nous notons à travers les discours des personnes rencontrées que les intervenants (a) ayant vécu davantage d’histoires de réussites ou perçues comme telles (b) ayant pratiqué dans des milieux externes, plus sensibles aux pratiques orientées vers le rétablissement ou (c) ayant un plus grand accès à la formation, démontrent une croyance apparemment plus marquée et, bien que touchés par l’échec de leurs interventions, arrivent à garder espoir grâce à de petites réussites. Leur expérience d’accompagnement devient plus positive et le succès des interventions est vu comme une possibilité, tout comme le rétablissement de la personne.

Parmi les moyens soutenant cette possibilité, ces intervenants soulignent qu’ils tentent de favoriser la participation des personnes dans leur plan d’intervention. Ceci rejoint les conclusions de l’étude de Chen et coll.11, selon lesquelles, en favorisant cette participation, les praticiens favorisent l’espoir chez la personne, donnent des services plus personnalisés, nourrissent le rétablissement par la reprise du pouvoir et s’assurent d’une continuité du processus de rétablissement de la personne. Ce positionnement prévient le désespoir et la perte de pouvoir.

Cependant, dans le contexte des unités de soins de longue durée en psychiatrie, la sévérité des symptômes et les atteintes au fonctionnement découragent souvent la croyance en une amélioration significative de l’état des résidents. Il est plus difficile de croire pour les intervenants, comme le décrivent Chen et coll.11 : ils vivraient peu d’espoir lorsqu’ils perçoivent les personnes comme ayant des limitations importantes, ce qui entraîne un pronostic peu favorable. Tremblay et coll.16 soulignent dans une étude sur la culture du rétablissement à l’IUSMQ qu’il « est possible de croire qu’un intervenant confronté seulement à la maladie, aux rechutes et à des patients en phase de crise, devient moins enclin à croire aux histoires à succès et au rétablissement des personnes ».

Concernant plus spécifiquement les infirmières, Goodwin et Gore10 mentionnent que même si ces professionnelles souhaitent que les personnes améliorent leur condition, la sévérité de la maladie et les difficultés rencontrées les amènent à vivre l’échec, des déceptions, de la colère, un sentiment d’impuissance et du désespoir. On peut présumer que ces conclusions peuvent s’appliquer à d’autres catégories d’intervenants oeuvrant dans ce type de milieux où le contact avec une maladie sévère est quotidien. Les intervenants rencontrés expriment ne pas savoir ce qu’ils peuvent faire, notamment lorsque la médication ne fait pas effet. L’espoir s’affaiblit alors, amoindrissant ainsi la satisfaction dans l’expérience d’accompagnement. Ils ont souligné cette difficulté de croire en un rétablissement dans ce contexte. Les expériences liées à l’échec, pour les intervenants de la longue durée en psychiatrie, peuvent être porteuses de désespoir.

L’implication dans des interventions visant le rétablissement est aussi compromise par la perte d’espoir liée à la sévérité de la maladie. Chen et coll.11 soulignent à cet égard que les intervenants de milieux internes en psychiatrie ont généralement une attitude moins positive envers le rétablissement que ceux travaillant dans la communauté. Piat et coll.17 soulignent que les intervenants des milieux de soins intrahospitaliers ont tendance à se concentrer sur des tâches instrumentales et sur la sécurité et la gestion du risque, plutôt que sur la relation avec le client, nuisant en cela à l’implantation des pratiques orientées vers le rétablissement. Pour Chen et coll.11, ils adoptent cette façon de faire en réponse à l’instabilité des personnes. Holloway et Sederer2 ont d’ailleurs montré que les personnes vivant sur les unités sont perçues comme à plus grand risque de dangerosité. Les intervenants présenteraient aussi de la résistance lorsque vient le temps d’adopter des interventions orientées vers le rétablissement1017. Cette résistance peut apporter un éclairage sur ce que les intervenants rencontrés ont décrit comme une « mentalité du risque zéro » qui sous-tend les interventions dans le milieu.

Nemec et coll.18 mentionnent à cet effet que la manière dont le rôle d’un intervenant est déterminé dans un milieu de travail influence la manière dont il concevra ses interventions vers le rétablissement. La culture d’intervention du milieu peut, sans que cela ne soit voulu, contribuer à une perspective négative et au déficit d’espoir chez les intervenants. Dans le milieu qui nous intéresse, l’attention portée à la stabilisation des symptômes influencerait les pratiques, selon les intervenants rencontrés. Cette culture organisationnelle peut également, selon Nemec et coll.18, se refléter à travers des notes évolutives orientées vers les limitations de la personne, ses symptômes et problématiques et ainsi occulter les forces, succès et caractéristiques individuelles.

Tremblay et coll.16 notaient également que les intervenants des unités de longue durée ont davantage une définition clinique du rétablissement. Nous notons à travers les discours des intervenants qu’une vision du rétablissement comme étant clinique avant d’être personnel peut influencer négativement l’espoir, en ce sens que cette vision s’attarde davantage aux aspects de rémission des symptômes et à l’amélioration du fonctionnement. Or, dans les milieux institutionnels, ces aspects (symptômes et fonctionnement) peuvent se dégrader chez les résidents avec le temps sans interventions adaptées, en raison de la sous-utilisation des capacités d’adaptation des personnes19. Aussi, pour Piat et coll.17, le milieu hospitalier est davantage associé à la maladie qu’au rétablissement et il peut même créer de la chronicité. Ainsi, le fait de viser la rémission des symptômes cliniques de la maladie mentale seulement devient surtout porteur de désespoir en raison des faibles améliorations constatées par les praticiens.

L’engagement d’autres acteurs dans le rétablissement des personnes devient, dans ce contexte, le vecteur d’une attitude plus positive en favorisant les réussites et l’espoir. Pour la majorité de nos participants, le fait de compter sur une équipe multidisciplinaire permettant d’amener les interventions plus loin, de débloquer des situations complexes ou seulement de soutenir l’espoir est positif et améliore le vécu dans l’accompagnement. Chen et coll.11 soulignent l’importance de l’implication de différents professionnels voulant promouvoir des pratiques orientées vers le rétablissement dans un milieu de soin.

Portée de l’étude

La portée des résultats de notre recherche doit être considérée en tenant compte de la taille de notre échantillon et du fait que notre recrutement a été réalisé dans un seul site. De plus, l’étude aurait pu bénéficier du point de vue des autres professionnels impliqués (nutritionnistes, physiothérapeutes), des préposés aux bénéficiaires qui, sur certaines unités, remplissent un rôle semblable à celui des éducateurs, des médecins et psychiatres soignant les personnes. Nous pouvons également soupçonner un biais d’autosélection, car les intervenants de notre échantillon verbalisaient tous des attitudes positives quant au concept de rétablissement. Les points de vue d’intervenants ayant des croyances négatives (ou moins positives) à cet égard, dont les tenants et les aboutissants sont potentiellement différents, auraient pu enrichir l’analyse. Par ailleurs, la validité interne a pu également être affectée par un biais de désirabilité sociale et organisationnelle. Ainsi, nous ne pouvons exclure la possibilité que certains répondants aient voulu se montrer comme adhérant davantage à l’approche du rétablissement qu’ils n’y croient en réalité.

Conclusion

Bien que notre étude dresse le portrait (partiel) d’un milieu précis, nous considérons que nos résultats offrent des pistes significatives menant à une meilleure compréhension du vécu expérientiel des intervenants et des facteurs favorisant une expérience positive. Un nombre grandissant de chercheurs ont commencé à explorer le vécu des intervenants par rapport à l’accompagnement au rétablissement, sous l’angle de l’implantation de pratiques orientées vers le rétablissement. Le corpus de recherche ainsi créé permettra de favoriser l’implantation de ces pratiques en tenant compte des obstacles et du vécu des intervenants en contact avec les personnes. Les établissements participant à ces recherches gagneront à contribuer à l’analyse de ces réalités. En cela, ils contribueront également à une implantation réussie de pratiques centrées sur la personne et visant son plein potentiel.