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C’est à partir d’un mot, d’une phrase, d’une réflexion et surtout d’un élan du coeur, que s’est développé le projet de donner accès aux usagers à la bibliothèque d’un établissement de santé et de services sociaux québécois de la région de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

Depuis longtemps, quelques livres étaient disponibles sur l’unité de traitement et réadaptation accueillant des personnes ayant reçu un diagnostic de maladie mentale au cours de leur vie. Ces bouquins permettaient à certains de redécouvrir le plaisir de lire, tout en s’occupant constructivement.

Ergothérapeute, Julie Bellemare a eu l’idée d’améliorer l’offre qualitative et quantitative de livres et d’aider les usagers à développer des habiletés qu’ils pourraient utiliser lors de leur retour dans la communauté. Pour ce faire, elle a sollicité l’expertise d’une technicienne en documentation spécialisée dans le domaine de la santé mentale, Guylaine Vaugeois, pour l’aider à mettre en place un système de classement et d’emprunt des volumes qui serait le plus réaliste possible. Ensemble, elles ont travaillé à développer le projet, en y impliquant graduellement des usagers. Une magnifique aventure venait de prendre son envol !

L’idée a fait son chemin et le projet a été poussé un peu plus loin. Dès lors, l’objectif a été de donner directement accès aux usagers à la bibliothèque de l’établissement, puisqu’auparavant, elle était fréquentée exclusivement par les employés. Dans la philosophie du rétablissement, l’un des buts visés par les membres fondateurs du projet était de créer pour les usagers un espace, un havre de paix en dehors de l’unité où ils se sentiraient bien. Malgré le scepticisme face à ce projet qui bouleversait les façons de faire établies, elles ont aménagé, avec l’aide de quelques usagers, un espace propice à la lecture, convivial et agréable à même la bibliothèque. L’accès à tous les espaces de la bibliothèque est devenu possible pour les usagers sept jours sur sept, accompagné d’un intervenant.

Elles y ont installé tous les livres autrefois présents sur l’unité et ont mis en place un système de classement et d’emprunt. Les usagers ont également été mis à contribution en étiquetant les livres et en confectionnant une banderole pour décorer leur coin de la bibliothèque avec comme slogan : « Un beau chemin vers la lecture », en guise de remerciement à une psychiatre qui a fait un don important de livres, tant en quantité qu’en qualité puisqu’elle croyait beaucoup au projet.

Deux principales catégories d’ouvrages ont été mises en place pour la clientèle. D’abord, afin de développer leur compétence en éducation à la santé, différents ouvrages vulgarisés ont été sélectionnés. Le contenu de ces volumes a été validé par des intervenants du domaine afin que l’information véhiculée soit pertinente et accessible à des personnes non initiées sur le sujet. Ces livres ont été identifiés avec un logo spécifique, symbolisant l’idée du partenariat de soins et services que l’établissement souhaitait établir avec les usagers. Ces logos sur les volumes ont permis à la clientèle de repérer plus facilement les ouvrages vulgarisés qui leur sont spécifiquement destinés. De plus, afin de compléter cette information, d’autres volumes ont été sélectionnés pour leur contenu relatif avec le « vivre avec la maladie ». En effet, les volumes classiques sur les pathologies parlent très rarement des impacts de la maladie sur la vie quotidienne des personnes qui ont reçu un diagnostic, ainsi que des alternatives et des solutions qui peuvent être utilisées pour en atténuer les répercussions sur la vie de tous les jours. Par ailleurs, afin de sélectionner les volumes les plus pertinents, il a été demandé à différents usagers de soumettre un titre de volume qui les avait le plus aidés dans leur parcours avec la maladie, et qu’ils recommanderaient à tout usager vivant la même situation qu’eux. Ces volumes ont été identifiés avec le logo « Coup de coeur des usagers ».

La signification des différents logos est maintenant expliquée aux usagers lorsqu’ils se présentent à la bibliothèque. Enfin, il est possible pour un usager d’emprunter des volumes de la section générale de la bibliothèque qui contient des ouvrages de référence et des périodiques scientifiques en santé mentale, mais ce n’est pas encore une pratique courante actuellement. Ce volet nécessite un développement.

La deuxième catégorie d’ouvrages disponibles pour les usagers appartient à la catégorie ludique : romans, bandes dessinées, ouvrages sur des sujets de toutes sortes. Ce type de livres permet aux usagers de se changer les idées et de reprendre goût à la lecture. Ce projet original a suscité tant d’enthousiasme que plus de 3 000 volumes ont été recueillis gratuitement auprès d’organismes communautaires, d’écoles de la région et d’employés de l’établissement, afin de garnir cette section de la bibliothèque. Un surplus de livres a même été gratuitement mis à la disposition des usagers dans la salle d’attente de la clinique externe de l’établissement. Ne s’arrêtant pas là, d’autres volumes qui ne pouvaient être utilisés dans le cadre du projet ont été remis à un organisme communautaire qui vient en soutien aux familles défavorisées de la région.

Le projet est donc bien en marche et la fréquentation de la bibliothèque est importante, régulière et appréciée. Le scepticisme que le projet avait suscité initialement s’est atténué avec le temps, permettant une cohabitation harmonieuse des usagers et des intervenants dans un espace commun. Les bénéfices tangibles que le projet a apporté aux usagers a été également un gage de succès dans la transformation des pratiques. La bibliothèque est devenue un lieu d’intervention pour l’ergothérapeute et l’équipe traitante. Fréquenter la bibliothèque est maintenant une activité intégrée à la programmation clinique offerte aux usagers. Par exemple, les participants d’un groupe thérapeutique ayant comme médium la création d’un journal utilisent les ressources de la bibliothèque pour la réalisation de recherches sur des sujets variés.

La révision récente de la programmation d’activités offertes aux usagers a permis de proposer la mise sur pied d’un service de prêt de DVD, et une personne hospitalisée ayant des compétences de documentaliste s’est impliquée dans la gestion de l’inventaire et des prêts.

Cette cliente rapporte : « Ma participation à ce projet me permet de faire un don de soi et m’occupe à faire quelque chose que j’aime. »

Cette expérience a permis de mettre en lumière le potentiel de « l’activité bibliothèque » au plan clinique. La participation de cette cliente fait en effet partie de son plan d’intervention interdisciplinaire, et puisqu’elle travaille en collaboration avec la technicienne en documentation, cette dernière devient ainsi partie intégrante de l’équipe interdisciplinaire. Mme Vaugeois bénéficie du soutien de l’équipe dans ses interventions auprès de la cliente et contribue aussi aux activités de l’équipe en partageant avec elle ses observations.

Par leur travail d’équipe avec les usagers, Guylaine Vaugeois, technicienne en documentation et Julie Bellemare, ergothérapeute, ont fait la démonstration que la collaboration interprofessionnelle peut aller au-delà des interventions cliniques traditionnelles, et inclure des personnes possédant une expertise dont peuvent profiter leurs collègues et la clientèle. Soulignons que la fréquentation de la bibliothèque permet de travailler concrètement au développement de compétences personnelles et sociales transférables lors du retour en communauté (p. ex. formuler une demande appropriée, se responsabiliser en respectant les dates de retour des volumes). Elle permet aussi aux usagers de se centrer sur le moment présent en ayant du plaisir, et favorise un sentiment d’inclusion par son côté normalisant et convivial, contribuant ainsi à la déstigmatisation trop souvent associée à la clientèle en santé mentale. Le choix réfléchi de ne pas faire un espace aux usagers distinct de celui des employés dans la bibliothèque donne un message clair de la volonté d’inclusion et du vivre-ensemble.

Quelques témoignages d’employés :

« Quand on a aménagé une bibliothèque sur l’unité où je travaille, j’ai pensé que ça nous amènerait une charge de travail additionnelle. Par la suite, les usagers pouvaient aller directement au centre de documentation, et lorsque j’y ai accompagné un groupe d’usagers, j’ai pu voir combien ils appréciaient l’endroit et les effets positifs que ça avait pour eux. J’ai pensé que c’était un beau projet finalement. »

Une infirmière de l’unité de traitement et réadaptation

« Les usagers de la clinique externe viennent me voir pour me dire qu’ils apprécient pouvoir prendre des livres gratuits. Je ne pensais pas que cela aurait un si grand impact sur eux… ça semble transformer leur quotidien. »

Une agente administrative de la clinique externe

« Bravo pour la belle bibliothèque ! Mes usagers adorent venir faire de la lecture. Il y a des livres nouveaux constamment pour les intérêts de tous et de chacun. C’est un lieu paisible où il est possible de créer une communauté d’apprentissage. »

Une éducatrice spécialisée de l’unité de traitement et réadaptation

« J’ai reçu plusieurs commentaires de mes patients qui viennent emprunter des livres à la bibliothèque ou bien qui ont pu en recevoir gratuitement à la clinique externe. Chacun a exprimé sa joie et a remercié l’équipe pour ce superbe projet. »

Une psychiatre de l’unité médico-légale

Parfois, un simple livre peut guider vers le rétablissement et changer une vie.

Pour terminer, quelques témoignages d’usagers :

« Il y a des beaux livres, j’aime ça lire et puis c’est gratuit…je peux l’emmener tu es sûre ? »

« C’est mon premier et peut-être mon seul cadeau de Noël. C’est triste, mais cela me fait chaud au coeur de pouvoir lire un de mes auteurs préférés. »

Un client témoigne à un intervenant : « J’ai pu redécouvrir mon intérêt pour la lecture et ainsi m’aider à passer du temps jusqu’à mon congé. Je pense que cela est bon pour mon cerveau. »