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Introduction

1. Blessure de stress opérationnel

Au Canada, le personnel de la sécurité publique (PSP) fait principalement référence aux pompiers, policiers, ambulanciers et militaires (Chambre des communes, 2016). L’exposition régulière à des incidents critiques variés, tels que la mort ou les blessures graves d’un citoyen ou d’un collègue, est attendue chez les PSP et ces derniers en vivent plus fréquemment que la population générale (Carleton et coll., 2019 ; Komarovskaya et coll., 2011 ; Weiss et coll., 2010). Selon une étude effectuée auprès des PSP au Canada, la fréquence de diagnostics probables de trouble mentaux serait 4 fois supérieure chez ce groupe comparativement à la population générale : 44,5 % versus 10,1 %, respectivement (Carleton et coll., 2018). C’est pour désigner les problèmes psychologiques découlant de l’exercice des fonctions opérationnelles, en particulier auprès du personnel de la sécurité publique, que le terme « blessure de stress opérationnel » (BSO) a été créé (Institut canadien de recherche et de traitement en sécurité publique). Par leur définition, les BSO font référence à de nombreux troubles de santé mentale et les plus fréquemment rencontrés chez les PSP canadiens sont la dépression (26,4 %), le trouble de stress posttraumatique (23,2 %) et le trouble d’anxiété généralisée (18,6 %) (Carleton et coll., 2018).

2. Cybersanté mentale et BSO

De nombreuses barrières peuvent limiter l’initiation et la continuation d’un processus de soins psychologiques, notamment une autostigmatisation qui décourage les individus à reconnaître leurs difficultés et à chercher de l’aide, un coût élevé, un accès limité des services d’aide en santé mentale et de la difficulté à trouver des soins spécialisés (Mojtabai et coll., 2011 ; Salaheddin et Mason, 2016 ; Sareen et coll., 2007). Selon la Commission de la santé mentale du Canada (2019), « la cybersanté mentale permet d’offrir des services de santé mentale rapides et efficaces à l’aide d’Internet, d’applications mobiles et d’autres technologies ». Elle permet entre autres de réduire le temps d’attente et d’améliorer l’accès à du soutien psychologique dans les zones rurales et éloignées, en plus d’offrir des soins dans plusieurs langues. Il est d’autant plus intéressant de considérer ces nouvelles technologies puisque la majorité de la population canadienne possède un téléphone mobile (c.-à-d. 88,1 % ; Statistiques Canada, 2018). Avec l’émergence des technologies mobiles, la recherche s’est concentrée sur un champ de la cybersanté mentale dans lequel les interventions utilisent les applications mobiles ou la messagerie texte. Dans le cadre de cet article, ces dernières seront appelées « interventions mobiles ».

Par leur caractère confidentiel et accessible, les interventions mobiles ont un fort potentiel d’impact auprès des PSP, lesquels sont particulièrement affectés par la stigmatisation (Ricciardelli et coll. 2020). Étant donné que les PSP sont plus susceptibles de vivre plusieurs évènements potentiellement traumatiques durant leur carrière, il semble opportun que ceux-ci soient davantage outillés à s’adapter à ces expériences dès qu’elles surviennent, dans le but de prévenir le développement des BSO. Les interventions basées sur une application mobile ou la messagerie texte amènent la possibilité d’autoévaluer et de surveiller divers symptômes communément associés aux BSO, et d’intervenir rapidement si le seuil clinique d’un trouble de santé mentale est atteint, requérant ainsi une évaluation plus formelle. Toutefois, la majorité des applications mobiles commercialisées qui visent à réduire les symptômes d’anxiété et d’inquiétude ne sont pas conformes aux approches fondées sur des données probantes, et celles en lien avec la dépression ne décrivent pas suffisamment leur affiliation organisationnelle et leur source de contenu (Kertz et coll., 2017 ; Shen et coll., 2015).

3. Examen d’une intervention mobile en santé mentale

Avant de rendre une intervention mobile disponible sur le marché et d’en recommander l’usage, il est crucial d’en faire un examen complet, qui dépasse l’examen scientifique de l’efficacité de l’outil. La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), en collaboration avec les Instituts de recherche en santé du Canada, a publié une liste de critères évaluatifs et informatifs à considérer lors de l’évaluation d’une application mobile en santé mentale (2019). Dans les critères évaluatifs des applications mobiles, on compte d’abord les preuves de l’efficacité et des qualités cliniques que prétendent avoir les interventions mobiles, facteurs sur lesquels la présente recension-cadre s’est concentrée. Si l’application mobile avance certaines allégations cliniques, il est essentiel de vérifier si elle peut réellement faire ce qu’elle prétend. La désirabilité pour l’utilisateur, c’est-à-dire l’envie et la capacité d’utiliser l’intervention, fait également partie des critères. Ensuite, il est recommandé de considérer l’ergonomie de l’intervention mobile, donc d’évaluer si elle est assez conviviale et attrayante pour inciter les utilisateurs à en poursuivre l’usage. Pour finir, la CSMC suggère d’évaluer les aspects liés à la sécurité et à la confidentialité de l’intervention. Considérer chacun de ces critères pour une intervention mobile permettrait d’affirmer si cette dernière est fiable et fonctionnelle.

4. Objectifs

La présente recension-cadre s’intéresse aux interventions mobiles destinées à aider le personnel de la sécurité publique vivant avec une des 3 blessures de stress opérationnel les plus fréquentes. Le premier objectif de ce travail est donc de recenser les modalités et les résultats des recensions systématiques et des méta-analyses qui portent sur l’évaluation des interventions mobiles qui visent à diminuer les symptômes reliés à au moins une des BSO d’intérêts, principalement chez les PSP. Dans le cas où de telles recensions n’existeraient pas, la recherche sera étendue aux recensions s’intéressant aux interventions mobiles qui s’adressent de manière plus générale aux adultes qui présentent des symptômes d’anxiété, de dépression et de stress posttraumatique. Le deuxième objectif est de présenter les interventions mobiles qui ont été évaluées auprès de PSP et de les analyser à l’aide des critères évaluatifs proposés par la CSMC. Le troisième objectif de cette recension-cadre est d’émettre des recommandations pour les recherches futures sur les interventions mobiles qui visent à aider les PSP souffrant d’une des 3 BSO les plus fréquentes.

Méthodologie

1. Stratégie de recherche

Entre juin et septembre 2020, les bases de données PubMed, Psycinfo et Embase ont été consultées. Pour les recherches avec vocabulaire libre et contrôlé, les termes associés aux concepts suivants ont été utilisés : technologies mobiles, blessures de stress opérationnel, anxiété, dépression, trouble de stress posttraumatique, interventions et personnel de la sécurité publique (voir le Supplément 1 pour la chaîne de recherche complète). La recherche à vocabulaire libre était limitée au titre. Puisque les technologies mobiles évoluent rapidement, la recherche était limitée aux articles publiés depuis 2010. Toutes les publications ont été téléchargées et les doublons ont été supprimés. Des critères d’éligibilité ont été identifiés pour sélectionner les articles et sont décrits dans la prochaine section. Lorsque le texte complet de l’article n’était pas accessible avec les abonnements de l’Université de Montréal, ces derniers ont été exclus.

2. Critères d’éligibilité

Les méta-analyses et les recensions systématiques qui répondent aux critères suivants pouvaient être inclues dans la présente revue : 1) ils étaient publiés en français ou en anglais ; 2) depuis 2010 ; 3) dans un journal scientifique ; 4) un des objectifs principaux était d’évaluer l’efficacité de plusieurs interventions mobiles ; 5) visant à diminuer les symptômes psychologiques liés à l’anxiété, la dépression et/ou le trouble de stress post-traumatique ; 6) ils incluaient un échantillon d’adultes ; 7) les interventions recensées ont été trouvées grâce à une recherche de la littérature scientifique.

Les revues de littérature étaient exclues de la recension-cadre : 1) si elles ne respectent pas un protocole de recherche validé ; 2) s’il n’était pas possible d’extraire les informations nécessaires pour atteindre les objectifs de notre recension.

3. Extraction de l’information

Pour chaque recension sélectionnée, les informations suivantes ont été extraites : 1) la ou les problématiques de santé mentale étudiées ; 2) les critères d’inclusion principaux des articles ; 3) l’âge des participants ; 4) s’ils présentent des symptômes psychologiques ; 5) le nombre d’articles retenus qui correspondent aux critères d’inclusions de cette revue et le nombre d’interventions mobiles évaluées ; 6) la ou les approches thérapeutiques sur lesquelles se sont basées la majorité des interventions mobiles recensées ; 7) la durée des interventions mobiles ; 8) le médium d’intervention utilisé et s’il était combiné avec une autre modalité ; 9) les résultats généraux en lien avec l’efficacité de ces interventions. Concernant les méta-analyses, les tailles d’effets et l’hétérogénéité ont été relevées en plus. Dans les recensions portant sur des interventions mobiles visant à réduire un large éventail de symptômes psychologique, seulement les informations en lien avec les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress posttraumatique ont été extraites. S’il n’était pas possible d’extraire les informations mentionnées spécifiquement pour ces interventions mobiles, alors la recension était exclue. Les conclusions ont été résumées dans une synthèse narrative.

Les articles portant sur des interventions mobiles en lien avec les BSO d’intérêt et qui ont été testées auprès d’un échantillon d’adultes ont été extraits des recensions qui s’intéressaient aussi à d’autres types d’interventions. Ensuite, un examen des articles inclus dans les recensions retenues a été fait afin d’en retirer les doublons. Pour finir, les articles portant sur des interventions mobiles destinées aux PSP ont été repérés afin de présenter les interventions ainsi que leurs résultats associés. La figure 1 présente un diagramme détaillant la sélection des articles.

Figure 1

Diagramme illustrant la sélection des articles

Diagramme illustrant la sélection des articles

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Résultats

1. Résultats des méta-analyses et recensions systématiques

La recherche de la littérature a relevé un total de 419 articles, après avoir retiré les doublons. Aucun article de recension visant à évaluer des interventions mobiles destinées à des PSP n’a été identifié, ce pour quoi la recherche a dû être élargie aux populations adultes. Après avoir appliqué les critères d’inclusion et d’exclusion, 5 méta-analyses et 4 recensions systématiques ont été retenues, lesquelles ont été publiées entre 2016 et 2019. Dans celles-ci, une méta-analyse (Linardon, et coll. 2019) et une recension systématique (Lui et coll. 2017) s’intéressent à plusieurs problématiques de santé mentale à la fois. Un total de 74 études originales sont étudiées dans les travaux de recensions. Les informations extraites de ces recensions systématiques et des méta-analyses sont détaillées dans le tableau 1. La durée des interventions varie entre 4 semaines et 6 mois. Les échantillons sur lesquels les interventions mobiles ont été mises à l’essai sont composés de personnes âgées d’au moins 14 ans et sont majoritairement issus de populations cliniques. Une seule étude inclut des participants âgés de 14 ans et son échantillon est composé d’individus âgés jusqu’à 24 ans, ce pour quoi elle n’a pas été retirée de la liste (Kauer et coll., 2012).

Tableau 1

Informations extraites des méta-analyses et des recensions systématiques

Informations extraites des méta-analyses et des recensions systématiques

Tableau 1 (continuation)

Informations extraites des méta-analyses et des recensions systématiques

Tableau 1 (continuation)

Informations extraites des méta-analyses et des recensions systématiques

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La figure 2 illustre l’intérêt grandissant de la recherche sur les interventions mobiles. Puisque la recension la plus récente a été publiée en 2019, on peut également supposer que de nombreux articles sont parus durant cette année et qu’ils n’ont pas pu être considérés par les auteurs.

Figure 2

Nombre de publications parues selon l’année

Nombre de publications parues selon l’année

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Les interventions mobiles visant à réduire les symptômes d’anxiété ont été évaluées dans 4 publications (Firth et coll., 2017a ; Linardon et coll., 2019 ; Lui et coll., 2017 ; Loo Gee et coll., 2016). Dans l’ensemble, les interventions ont été efficaces pour réduire les symptômes d’anxiété. Les méta-analyses ont trouvé dans les essais contrôlés randomisés un effet positif d’intensité faible à modérée des interventions mobiles sur les symptômes généraux d’anxiété par rapport aux groupes contrôles (Firth et coll., 2017a ; Linardon et coll., 2019 ; Loo Gee et coll., 2016). Dans les 3 publications, les auteurs ont rapporté une hétérogénéité significative au niveau des effets observés, d’intensité faible à élevée. La recension systématique réalisée par Lui et ses collaborateurs (2017) a aussi conclu que les études portant sur des interventions mobiles ciblant les symptômes de l’anxiété ont généralement donné des résultats positifs. Les interventions mobiles utilisent pour la majorité une application mobile comme seul outil d’intervention. Certaines interventions mobiles sont toutefois combinées avec des séances de thérapies ou avec une plateforme Web, ou un clinicien offre du feedback aux participants. Les approches thérapeutiques sur lesquelles sont basées les interventions mobiles sont hétérogènes, et aucune approche ne prédomine sur les autres. On retrouve, entre autres, des stratégies issues de la thérapie cognitive comportementale (TCC) et de la thérapie d’acceptation et d’engagement, ainsi que des techniques de pleine conscience et de relaxation.

Les interventions mobiles visant à réduire les symptômes de dépression ont fait l’objet de 3 méta-analyses (Senanayake et coll., 2019 ; Linardon et coll. 2019 ; Firth et coll., 2017b) et de 3 recensions systématiques (Colombo et coll., 2019 ; Maresova et coll., 2017 ; Lui et coll., 2017). Les résultats de ces méta-analyses ressemblent grandement à ceux portant sur les symptômes d’anxiété. Dans les essais randomisés sélectionnés par les auteurs, on retrouve un effet positif d’intensité faible à modérée des interventions mobiles sur les symptômes de dépression, mais il y a une hétérogénéité dans les études. Les conclusions des recensions systématiques rapportent que les symptômes de dépression diminuent après l’utilisation de l’intervention et qu’elles représentent un grand potentiel dans le traitement de la dépression, notamment aux stades légers et modérés du trouble (Maresova et coll., 2017). La méta-analyse de Senanayake et coll. (2019) s’est intéressée exclusivement aux interventions mobiles utilisant la messagerie texte comme médium d’intervention (N = 7), tandis que la majorité des articles inclus dans les autres recensions portaient sur des applications mobiles. Certaines interventions mobiles sont toutefois combinées avec des séances de thérapies, une plateforme Web ou un journal de bord, et un clinicien offre parfois du feedback aux participants. Les stratégies basées sur la TCC sont les plus utilisées dans les interventions mobiles visant à réduire les symptômes de dépression, mais on y retrouve également de la psychoéducation, des techniques de régulation émotionnelle, des techniques motivationnelles, des techniques d’autogestion et de surveillance de l’humeur, et des éléments de pleine conscience.

Les interventions mobiles visant à réduire les symptômes de stress posttraumatique ont été étudiées dans 2 recensions systématiques (Lui et coll., 2017 ; Wickersham et coll., 2019). De manière générale, ces interventions semblent efficaces pour réduire les symptômes associés au trouble. Toutes les études incluses ont fait état de comparaisons intergroupes, lesquelles laissent supposer une amélioration des symptômes du TSPT immédiatement après l’intervention. Lorsque les tailles d’effet sont rapportées, elles sont pour la plupart d’intensité faible à modérée. Les études incluses ont également rapporté des preuves d’améliorations durables des symptômes du TSPT au cours des semaines ou des mois suivants l’intervention (Wickersham et coll., 2019). Enfin, notons que les interventions mobiles utilisent toute une application mobile et elles utilisent principalement des stratégies basées sur la TCC et des techniques de psychoéducation pour aider les utilisateurs.

2. Interventions mobiles testées par des membres du personnel de la sécurité publique

En examinant les listes de références des recensions systématiques et des méta-analyses retenues, 3 articles ont été repérés puisqu’ils portent sur des interventions mobiles qui ont été testées par des vétérans (Kahn et coll., 2016 ; Possemato et coll. 2016 ; Roy et coll., 2017). L’article complet de Roy et ses collaborateurs n’était pas disponible en ligne, ce pour quoi ses résultats n’ont pas pu être présentés ici. Voir le tableau 2 pour un résumé de l’examen des interventions mobiles selon les critères évaluatifs de la CSMC.

Tableau 2

Examen des interventions mobiles ayant pour but de réduire les symptômes de stress post-traumatique auprès de PSP selon les critères évaluatifs proposés par la Commission de la santé mentale du Canada

Examen des interventions mobiles ayant pour but de réduire les symptômes de stress post-traumatique auprès de PSP selon les critères évaluatifs proposés par la Commission de la santé mentale du Canada

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2.1 PTSD Coach

L’application mobile PTSD Coach a été développée par le Veterans Affairs’ (VA) National Center for PTSD en partenariat avec le Department of Defense National Center for Telehealth and Technology (Hoffman et coll., 2011). Elle a été conçue par des experts et des cliniciens spécialisés dans le trouble de stress posttraumatique (TSPT) afin d’offrir aux survivants de traumas de la psychoéducation sur les traumas et le TSPT, une évaluation et un suivi des symptômes du TSPT (grâce à la PTSD Checklist-Specific [PCL]), des outils d’autogestion basés sur la TCC et un accès facile au soutien en cas de crise. L’application mobile est disponible gratuitement pour les appareils mobiles iOS (Apple) et Android. L’article de Possemato et collaborateurs (2016) avait pour objectif de comparer l’utilisation autonome de l’application mobile PTSD Coach avec l’utilisation de l’application soutenue par un clinicien durant 8 semaines. Dans l’étude présentée, 20 vétérans éligibles ont été randomisés dans les 2 conditions. Pour répondre aux critères d’inclusion, les personnes devaient présenter des symptômes significatifs de TSPT résultant d’un traumatisme lié à leur activité militaire, et avoir un score de 40 ou plus sur la PCL. L’étude a démontré la faisabilité et l’efficacité potentielle de l’utilisation de PTSD Coach dans le cadre des soins primaires, avec ou sans le soutien d’un clinicien. Trente-huit pour cent des participants qui se sont engagés dans l’utilisation autonome de PTSD Coach ont présenté une réduction significative des symptômes du TSPT et 40 % ont ensuite cherché un traitement de santé mentale supplémentaire.

En se fiant aux informations présentées dans l’article de Possemato et collaborateurs (2016), il est possible de faire un examen sommaire de l’application mobile. L’essai contrôlé randomisé suggère que PTSD Coach réduit efficacement les symptômes de stress posttraumatique, mais une étude à plus grande échelle est nécessaire pour confirmer ces résultats préliminaires. Puisque l’engagement dans l’application par les participants était élevé, et que le taux d’abandon était assez bas (20 %), on peut présumer que l’application mobile présente des qualités qui incitent les utilisateurs à utiliser l’application et à en poursuivre leur utilisation. Ces informations suggèrent que les critères d’ergonomie et de désirabilité pour l’utilisateur sont remplis, mais ces derniers devraient être davantage investigués par les auteurs. Pour finir, il est impossible de juger de la qualité de la sécurité et du respect de la vie privée de PTSD Coach.

2.2. Mission Reconnect

Le programme Mission Reconnect (MR) a été conçu sous la forme d’une intervention dyadique, disponible sur une application mobile et Internet, destinée aux anciens combattants de l’après 11 septembre et à leurs partenaires de vie. Le programme est conçu afin qu’ils l’utilisent individuellement et ensemble, en enseignant certaines stratégies d’autosoins visant à traiter les impacts à court et à long terme du déploiement et à promouvoir le bien-être. Les méthodes utilisées sont fondées sur des thérapies basées sur la pleine conscience, la massothérapie, les émotions positives et l’éducation des soignants. L’article de Kanh et collaborateurs (2016) visait à évaluer l’effet de l’utilisation de MR durant 16 semaines sur les problématiques de santé mentale associées à la réadaptation postdéploiement chez les anciens combattants et leurs partenaires. Au total, 160 dyades (320 personnes) ont satisfait aux critères d’éligibilité et ont été incluses dans l’étude. Les anciens combattants ont présenté des améliorations après 8 semaines dans un large éventail de problèmes de santé mentale, y compris les symptômes de dépression (Beck Depression Inventory), les symptômes de stress posttraumatique (PTSD Checklist-Civilian version) et le stress perçu (Perceived Stress Scale-10 item). Sur la base de ces résultats, MR semble être une intervention d’autogestion prometteuse et peu coûteuse pour améliorer le bien-être général.

En se fiant aux informations présentées dans l’article de Kanh et collaborateurs (2016), l’intervention MR semble aider les utilisateurs et serait efficace pour réduire les symptômes de stress posttraumatique, de dépression et de stress perçu. Toutefois, cette étude a évalué MR dans un échantillon communautaire sans critères d’inclusion ou d’exclusion liés à des aspects spécifiques de la santé mentale. Ainsi, l’impact du programme auprès d’une population clinique reste à évaluer. Ensuite, l’utilisation de MR par les vétérans et leur partenaire s’est élevée à 2,5 heures par semaine durant les 8 premières semaines d’utilisation, ce qui suggère que l’intervention mobile a des qualités ergonomiques assez bonnes pour inciter les utilisateurs à en poursuivre leur usage. Pour finir, les auteurs ont demandé aux participants à la fin de l’étude dans quelle mesure ils seraient susceptibles de recommander MR à un ami, et sur une échelle de 0 à 10, le score moyen des anciens combattants était de 8,7. Ceci indique une certaine satisfaction des utilisateurs à l’égard du programme, et suggère que MR remplit le critère de désirabilité. Pour finir, il est impossible de juger de la qualité de la sécurité et du respect de la vie privée de Mission Reconnect avec les informations présentées dans cet article.

Discussion

Cette recension-cadre avait d’abord pour objectif de recenser les résultats des méta-analyses et recensions systématiques ayant évalué l’efficacité des interventions mobiles qui visent à diminuer les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress posttraumatique chez les PSP. La recherche de la littérature n’a relevé aucune recension qui s’intéressait particulièrement aux PSP, ce pour quoi nous avons dû élargir notre recherche aux adultes de la population générale. Les méta-analyses et les recensions nous permettent d’obtenir un portrait global de l’efficacité des interventions mobiles visant à réduire les symptômes d’anxiété, de dépression ou de stress posttraumatique chez les adultes, et le présent article permet de faire une analyse critique de ces résultats afin d’identifier celles qui pourraient potentiellement s’appliquer aux PSP. Dans notre revue, 9 publications respectaient les critères d’éligibilité et elles ont été publiées entre 2016 et 2019, lesquelles sont toutes publiées en anglais. La majorité des articles portent sur des interventions mobiles délivrées via une application mobile. Ces interventions mobiles sont majoritairement développées sur la base de théories psychologiques telles que la thérapie cognitive comportementale, la thérapie d’acceptation et d’engagement, ainsi que la psychoéducation. De manière générale, ces interventions mobiles semblent réduire de manière significative les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress posttraumatique. Toutefois, sur les 74 articles compris dans les recensions, seulement 3 études avaient un échantillon composé de PSP. Les 2 essais contrôlés randomisés qui ont pu être décrits dans cette revue ont évalué 2 interventions mobiles avec des échantillons de vétérans et de leurs partenaires. L’application mobile PTSD Coach et le programme Mission-Reconnect semblent tous les deux efficaces dans l’amélioration des symptômes associés au TSPT. L’examen des interventions mobiles à l’aide des critères proposés par la CSMC suggère qu’elles ont un fort potentiel auprès des vétérans, mais que certains critères gagnent à être étudiés davantage. Entre autres, les aspects liés à la sécurité et la vie privée ne sont pas investigués par les auteurs. Avant de proposer aux PSP canadiens d’utiliser ces interventions, il est important de s’assurer qu’elles respectent les exigences législatives fédérales et provinciales/territoriales applicables en matière de renseignements personnels sur la santé. Ensuite, l’ergonomie et la désirabilité des interventions mobiles ne sont pas investiguées explicitement par les auteurs. Un travail de coconstruction avec les PSP permettrait de cibler les spécificités de cette population et de mettre de l’avant leurs intérêts. Il est également important de remarquer que l’échantillon de PSP ciblé par ces 2 études est limité aux anciens combattants. Des initiatives plus élargies doivent être entreprises pour les PSP puisque des policiers, des ambulanciers, des pompiers et des militaires actifs n’ont pas été inclus dans ces études. Les interventions mobiles pourraient avoir un plus grand potentiel chez ces PSP puisqu’ils sont exposés de manière répétée à des évènements potentiellement traumatiques, et la nature de leur travail est différente.

Les recensions systématiques et méta-analyses rapportent certaines limites importantes. Entre autres, tous les auteurs ont remarqué une hétérogénéité entre les études retenues, laquelle repose surtout sur la durée des interventions mobiles, les groupes contrôles et les outils de mesures utilisés. De plus, le taux d’abandon, lorsqu’il est rapporté dans les études, est très élevé (Firth et coll., 2017a ; Lui et coll., 2017). Sachant que les individus qui participent à des études sont souvent plus motivés que la moyenne, il faut s’attendre à ce que le taux d’engagement dans les interventions mobiles soit faible dans les contextes naturels ou lorsque ces applications sont téléchargées individuellement dans les magasins d’applications. Il est d’autant plus intéressant de considérer les critères proposés par la Commission de la santé mentale du Canada lors du développement et de l’examen des interventions mobiles puisqu’ils ont le potentiel d’optimiser l’engagement des utilisateurs dans l’intervention mobile.

Notre recension-cadre doit être considérée à l’égard de certaines limites. Tout d’abord, il n’a pas été possible de spécifier notre recherche aux PSP puisque la littérature n’est pas assez étendue. Ensuite, les études n’ont été incluses que si elles mesuraient un résultat lié à la symptomatologie des BSO, ce qui implique que les recensions observant des mesures connexes n’ont pas été intégrées à notre analyse. Pour finir, nous n’avons pas suivi de protocole de recherche validé, ce qui implique que malgré l’adoption d’une méthode rigoureuse et la plus systématique possible, il est possible que certaines publications n’aient pas été rapportées dans notre recension (Moher et coll., 2009).

En conclusion, rappelons que plusieurs obstacles retiennent les PSP à aller chercher de l’aide pour leurs difficultés liées aux BSO qu’ils peuvent développer. Les interventions mobiles ont le potentiel de surpasser ces limitations, en plus de permettre aux PSP de développer des stratégies pour gérer leur réaction face aux expositions répétées à des évènements potentiellement traumatiques. Les résultats des études réalisées auprès de la population générale nous démontrent que les interventions mobiles ont des effets positifs sur les symptômes d’anxiété, de dépression et de stress posttraumatique auprès de la population générale. Des recherches futures sont toutefois nécessaires afin de confirmer que les effets sont comparables auprès des PSP. De plus, l’analyse des interventions PTSD-Coach et de Mission Reconnect avec les critères évaluatifs proposés par la CSMC nous indique que les recherches futures auprès de PSP doivent étudier les aspects liés à la désirabilité pour l’utilisateur, l’ergonomie et la sécurité des informations personnelles avant de recommander l’usage des interventions mobiles aux PSP.