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Introduction

La philosophie de Martin Heidegger a certaines proximités, explicites ou implicites, avec des auteurs souvent groupés sous l’appellation « critiques de la technique » (Anders, Ellul, Charbonneau, Gras etc.), le fait a souvent été relevé. La Conférence sur la Technique est parfois citée, ainsi que les expressions employées par cet auteur à propos de la manière contemporaine de traiter la nature : comme « stock », comme « réservoir de forces », comme « Gestell »[1]. Cet auteur ayant eu temporairement sa carte au parti nazi, le pas est souvent franchi pour en conclure que les critiques de la technique sont des nazis en puissance. Luc Ferry est peut-être l’auteur le plus connu parmi ceux qui ont soutenu cette thèse[2], mais elle sourd un peu partout, dans divers travaux de sciences politiques[3] ou de sociologie[4]. Cette thèse est-elle fondée ? Le rapprochement ne permet-il pas plutôt de s’épargner une réflexion cruciale sur la technique ? Nous allons montrer ici que de la critique de la technique à une position sinon nazie, du moins pessimiste ou réactionnaire, la route n’est pas droite, elle est même pleine de surprises. Mais elle vaut le détour, car elle lève quelques ambiguïtés persistantes dans les débats sur la technique et donne quelques clés importantes pour comprendre l’écologie politique, dont le fonds de commerce le plus constant est précisément de contester certains choix technologiques. Si Heidegger scandalise, ici, c’est parce que les « critiques de la technique » semblent remettre en cause la technique en général, au sens de l’artifice, dont les Modernes tiennent qu’elle est ce qui a permis à l’humanité de sortir de l’ordre enchanté de la religion. La crainte est la même que celle exprimée par Luc Ferry à l’endroit de l’écologie, dans Le nouvel ordre écologique (1992).

Le problème est que non seulement les critiques de la technique ne soutiennent pas de telles thèses, mais en plus que les Modernes semblent se contredire eux-mêmes et sacraliser un développement technique parmi d’autres possibles, qui est vu comme seul « rationnel ». D’où ce fait que la critique heideggérienne semble particulièrement à propos, ici, puisqu’elle affirme simplement que « la science » est devenue un ensemble de vérités exactes sur les étants, se prenant pour des vérités absolues. De là que « la science ne pense pas », étant tombée dans « l’oubli de l’Être ». Cette thèse trouve un écho non seulement chez les écologistes, qui constatent que ce qui est présenté comme relevant de « la science » unique devrait en réalité relever de l’artifice, ouvert au débat, mais aussi auprès d’auteurs postcoloniaux, qui estiment que bien des produits de la science moderne sont partiellement marqués du sceau de l’ethnocentrisme. La lecture d’auteurs de référence tels que Luc Ferry, Raymond Aron, Louis Dumont, Marcel Gauchet ou même Jacques Bidet, côté marxiste, le confirme. Une science qui refuse de mettre à l’épreuve ses parti-pris est-elle autre chose qu’un dogme ? La « question de l’Être » résonne donc, pour les critiques de la technique, comme une réouverture de la critique, y compris sur les fins. Une telle position n’est « anti-démocratique » que si l’on part d’une définition restreinte de « la démocratie », comme l’a entrevu Kerry Whiteside[5].

Ce n’est qu’à partir d’ici que l’on peut comprendre le sens que peut avoir l’appel heideggérien au « Dieu qui sauve ». En rouvrant la question des fins, Heidegger en appelle à une « révolution spirituelle », en quelque sorte, qui peut être entendue à la manière des « non-conformistes des années 30 » que sont Ellul et Charbonneau. Mais rares sont les critiques de la technique à suivre le maître de la forêt noire, quand il s’enfonce dans une pensée simplement poétique et politiquement dénuée de perspectives. Le vers de Hölderlin peut aussi être compris dans la perspective ouverte par Bloch ou Whitehead d’une utopie concrète, d’un changement qui touche jusqu’aux cadres mêmes de la démocratie formelle, faisant appel à un renouvellement de la raison. Et nous touchons là encore à ce qui peut inquiéter les partisans de l’ordre établi, qu’il soit de droite ou de gauche : des formes radicales et insurrectionnelles de contestation d’un ordre technique mortifère.

Le recours à Heidegger, de la part des critiques de la technique, s’explique donc avant tout par la pertinence des concepts que cet auteur a pu élaborer, au regard des questions qu’ils entendent traiter. L’intérêt pour la personne de Heidegger, son rapport au nazisme et la fidélité à ses écrits s’avèrent relativement secondaire, dans ce contexte, tant le motif de fond, qui est la question du rapport entre l’Être et les étants, est prégnant. La question de la technique se révèle fondamentale, pour notre temps, et l’on s’épargne de la prendre à bras le corps dès lors qu’on amalgame la critique de la technique avec le nazisme – un régime dont nous devons rappeler qu’il a versé dans l’apologie de la technologie, et non sa condamnation, ni même sa modération[6].

La critique de la raison instrumentale est-elle antihumaniste ?

Le texte le plus connu de Heidegger sur la technique est la Conférence de 1954, cependant il est juste de soutenir que ce qui est dit n’est pas accidentel et que la thèse sous-jacente est présente dès le départ, dans Être et Temps. Rappelons quels sont les principaux arguments du philosophe allemand. Être et Temps s’ouvre sur « la nécessité, structure et primauté de la question de l’être », qui reste en réalité en suspens dans cet ouvrage, alors qu’elle va devenir centrale pour l’auteur par la suite. Heidegger se lance dans une analyse « existentiale » du sujet comme Dasein [7], terme que l’on a pu traduire d’abord par « réalité-humaine »[8] puis par « ek-sistence » ou « être-là ». Le Dasein est cet étant qui se détermine chaque fois à partir d’une possibilité qu’il est. Les existentiaux sont les caractères d’être du Dasein. Le premier d’entre eux est « l’être-au » en tant que tel, dont l’être-au-monde est la possibilité la plus vaste, en expansion. Une autre possibilité est de nature instrumentale (« être-à-la-disposition-de »[9]) ou de nature plus profonde, herméneutique. Le monde est sens qui se dévoile au gré des renvois de signes[10], un monde dont la matérialité ne se réduit pas à la res extensa cartésienne[11] ni à la modalité inauthentique de l’être-au-monde, l’être-dans-la-moyenne, le « on »[12], qui fournit par avance la réponse aux questions et aux décisions à prendre. Le Dasein est « être-jeté »[13] dans ce monde, il porte sa charge comme un fardeau, et est tenté pour supporter cette condition de n’être que sur le mode inauthentique, celui de l’oubli de soi dans le fonctionnalisme des institutions, qui fournit des réponses à tout et calme l’angoisse, notamment par le travail, cet « affairement effréné »[14]. Tourné vers « l’entendre »[15], au contraire, le Dasein se trouve à l’écoute de l’Être, mais aussi vulnérable à l’angoisse, qui seule permet de saisir l’entièreté d’être originale du Dasein[16]. Toute visée de sens se fonde primitivement sur cet entendre. Pour Heidegger, le travail au sens d’activité de production est donc occultation de ce qui est proprement humain : le sens. Ce sens ne se donne que par la patience. La conscience morale donne quelque chose à entendre, sur le mode de l’appel. Cet appel ne dit rien, il est silencieux, mais il expose le Dasein à son pouvoir-être[17], à ses différents possibles : être-en-faute ou vocation.

Ce que Luc Ferry et Alain Renaut reprochent à Heidegger est sa critique de la modernité, dont la technique[18]. Les auteurs font de la modernité un tout : démocratie, droits de l’Homme et projet de résoudre « par la discussion publique les questions que ne cessent de produire la dynamique contemporaine d’une rupture constante avec la tradition »[19]. La modernité est décrite comme l’avènement d’une raison instrumentale qui permettrait de rompre avec les ordres passés, qui se caractérisaient justement par une limitation forte de cette raison, au profit de la religion et plus généralement d’ordres conçus comme donnés, reçus et immuables, étant perpétués à l’identique de génération en génération. L’artifice est donc la clé de la liberté. La critique c’est être réactionnaire, vouloir revenir à un ordre fixe. « La haine des artifices » est donc « la haine de l’humanité comme telle »[20]. L’homme est indétermination, perfectibilité ; son essence est de ne pas avoir d’essence. Même son de cloche chez Dominique Bourg qui, dans L’Homme-artifice, ne trouve pas de mots assez durs contre cette idée d’opposer l’homme et la technique, c’est-à-dire l’homme et l’artifice, car

« il n’y a pas en effet d’humanité sans objets techniques, ni sans environnement technique permanent […] l’humanité et son langage se sont constitués grâce à la manipulation des objets, laquelle est devenue en retour fondamentalement tributaire du langage. On ne saurait donc séparer l’humanité en soi de la technique en soi pour les opposer ensuite. L’avènement de la modernité scientifique et industrielle n’a en rien altéré cet état des choses ». [21]

La référence à l’écologie a plus généralement inquiété les sciences sociales dans leur ensemble car « admettre la dépendance des sociétés humaines à l’égard de l’écosystème introduirait la possibilité (qui est aussi un risque) de renouer avec une conception de la société qui remet en cause l’autonomie du social […] qui peut s’énoncer sous la forme d’une règle de méthode : on n’explique le social que par le social »[22], et cela depuis la fondation de la sociologie par Emile Durkheim. Les sciences humaines, qui se veulent généralement constructivistes, ont été incommodées par cet aspect de l’écologisme, qui leur semblait devoir limiter la liberté humaine, qui se manifeste, matériellement, dans la technique[23]. Et il suffit de lire quelques livres de Anders, Ellul, Charbonneau ou Illich pour constater qu’en effet c’est bien la raison instrumentale qui est en cause.

Mais cette lecture est erronée. Ni les « critiques de la technique » ni Heidegger ne critiquent toute forme de technique, comme le suggérait Dominique Bourg à l’encontre du « fondamentalisme écologiste »[24]. L’accusation fait même sourire, si l’on se rappelle que Heidegger lui-même fait de la relation instrumentale l’un des existentiaux. Comment condamner la technique « en soi », par conséquent ? C’est peu cohérent. Le titre de sa conférence en anglais (The Question regarding Technology [25]) indique bien que c’est la « technologie » que Heidegger remet en cause, et non la technique en général. Et en cela il utilise un concept précis et faisant consensus, comme l’indique Maurice Daumas, historien des techniques :

« cette discipline nouvelle qui vient s’insérer entre la science fondamentale et la pratique des techniciens que les Anglais désignèrent par le terme si expressif d’engineering, et que dans ce qui précède, faute d’équivalent français, nous avons nommé la technologie »[26].

On trouve les mêmes précisions du côté de Jacques Ellul qui, s’il insiste en effet sur les caractères inexorables du « système technicien », soutient aussi que le « système technique » est une invention récente[27]. La thèse que Bourg prête à Ellul, d’une « autonomie de la technique » qui ferait de la technique un destin, retirant au sujet sa subjectivité[28], porteuse d’une technophobie « extravagante et dangereuse »[29] aurait partie liée avec Heidegger et donc avec le nazisme[30], est donc erronée. Pour Ellul « l’autonomie » de la technique n’est pas un fait qui serait issu de causes extra-humaines : il est le résultat des « technolâtres »[31], dont Galbraith a produit une « remarquable analyse »[32]. On ne trouve pas non plus, ni du côté d’Illich, ni de celui de Charbonneau ou d’Anders de condamnation de la technique « en soi ». Ce que critique Alain Gras, par exemple, c’est d’avoir choisi « la puissance du feu », alors que d’autres trajectoires techniques auraient été possibles, au 19e siècle[33].

L’accusation est tout aussi peu fondée du côté écologiste. De quoi est-il question, en effet, chez Simonnet, par exemple, quand il évoque l’homme « dénaturé » ? D’un appel à abandonner toute attitude instrumentale, pour se soumettre à un « ordre naturel » qui serait soustrait à l’esprit critique ? Non, l’homme est bien, pour Moscovici et bien d’autres, l’agent d’une transformation de la nature. Si la nature se voit reconnaître une dignité, ce n’est pas pour nier le rapport instrumental, mais pour en réorienter l’efficace. Pour Hainard aussi le rapport à la nature est « dialectique » :

« c’est-à-dire que l’homme, en tant qu’individu agissant, se considère comme hors de la nature et appelle nature ce qu’il n’a pas fait. Mais c’est une question de situation. Je suis persuadé que, pour la fourmi, l’homme fait partie de la nature – surtout la confiture- et que, pour elle, la fourmilière ne fait pas partie de la nature »[34].

La définition de la nature fluctue, chez les écologistes, mais jamais elle ne s’inscrit contre « l’artifice » en soi. Tout indique que pareille idée ne leur ait jamais effleuré l’esprit. Le « plan de stabilisation » que propose l’équipe de The Ecologist en 1972[35] n’a manifestement rien de naturel et n’est pas défendu comme tel. Pour Moscovici, la question n’est pas d’être pour ou contre la technique en soi mais de décider quelle science et quelle technique[36].

Non seulement ces auteurs ne critiquent pas « la technique » en soi, mais Luc Ferry admet lui-même qu’accorder une dignité à la nature n’a rien de contraire à l’humanisme. Abordant ce sujet, Ferry met longuement en garde contre tout « vitalisme », « animisme » et autre rapport à la nature qui ferait de cette dernière une entité douée de respect, en tant que totalité. « Penser comme une montagne », comme le suggère Leopold, est par exemple jugé incompatible avec l’humanisme abstrait. Une montagne ne pense pas. La nature et la montagne sont le domaine du chaos[37], ce sont des lieux à aménager, à humaniser. Mais de nouveau, coup de théâtre : à la toute fin de son argumentation, dans les toutes dernières pages de son livre, qui sont d’ailleurs rarement citées, Ferry change complètement de perspective et reconnaît qu’il existe dans la nature « un ordre » qui n’est pas le fait de l’humain[38], que les écosystèmes sont mieux arrangés que la plupart des constructions humaines, et qu’il y a la possibilité d’élaborer une théorie des devoirs envers la nature comme telle, du fait de son « équivocité »[39]. Pour Ferry, nous devons « préserver ce qui paraît déjà humain en elle et rejoint ainsi les idées qui nous sont les plus chères : liberté, beauté, finalité »[40]. Et l’auteur finit même par se demander s’il n’était pas excessif d’accorder tous les droits à l’Homme, car du même coup la nature n’en avait plus aucun[41]. C’est amplement suffisant pour les écologistes, qui entendent, eux aussi, protéger « la beauté, la liberté et la finalité ». Ainsi Robert Hainard, que Jean Jacob[42] place en tête des « naturalistes conservateurs » : « je ne suis pas bien vieux, mais je suis effrayé de constater combien j’ai vu disparaître de la beauté du monde »[43]. Pour Leopold, que Ferry range parmi les fondateurs de la deep ecology, si la nature doit être préservée c’est parce qu’elle fait partie de la culture, et qu’elle est la seule à permettre une expérience spécifique, jugée irremplaçable et faisant intégralement partie de la culture[44]. Protéger la nature, c’est donc bien protéger « nos » lieux de vie, position que Ferry juge seule être acceptable au regard de l’humanisme[45].

L’oubli de l’Être

À l’inverse ce qui est gênant est que Ferry identifie totalement « artificiel » et « industriel ». Ainsi la citation complète de la sentence déjà évoquée de Luc Ferry est-elle celle-ci : « la haine des artifices liés à notre civilisation du déracinement est aussi la haine de l’humain comme tel »[46] (nous soulignons). Ce qui est contraire à l’humanisme, ce n’est donc pas ce qui est contraire à « l’artifice », dans l’absolu, mais seulement ce qui est contraire à nos artifices, à ceux qui ont été sélectionnés par notre civilisation. Tout le reste est « haine de l’humain en tant que tel ». Qui sont-ils, alors, ces humains qui sont contraires à « nos artifices » ? Sont-ils dénués « d’humanité comme telle » ? Sont-ils des « sous-hommes » ? La réponse, en toute logique, devrait être positive : les sous-développés sont des sous-hommes, si l’on suit Ferry. Et cet auteur n’est pas isolé. Pour François Guéry, par exemple, « l’humanité de l’homme commence avec l’industrie », et le passé (l’âge de pierre, le Moyen-âge, les peuples autochtones) ou l’ailleurs (les sous-développés, la nature) ne sont là que pour le confirmer[47]. Ferry actualise ainsi le risque que Marie-Angèle Hermitte redoutait[48] : construire deux catégories à l’intérieur de l’humanité, dont l’une serait supérieure à l’autre. Et si définir l’essence de l’homme est à l’origine des régimes politiques « les plus effroyables », comme le soutiennent Luc Ferry et Alain Renaut[49], alors nous devons compter ces auteurs parmi leurs soutiens les plus actifs.

Prendre au sérieux la position de Luc Ferry permet en revanche d’expliquer pourquoi les écologistes militants, qui sont rarement philosophes, s’en prennent si souvent à « l’Homme » (« anthropocentrisme ») : parce que c’est précisément ce dont leurs adversaires se prévalent, pour caractériser leur position. Le procédé est peut-être maladroit, sur le plan stratégique, et mal fondé, sur le plus philosophique, mais il est assez courant, quel que soit le bord politique. La droite est-elle pour le libéralisme ? La gauche radicale se dit « antilibérale », et là aussi c’est peut-être assez mal choisi ; cela devient même incompréhensible, vu des États-Unis. La gauche est-elle favorable à la reconnaissance des communautés ? La droite se dit anti- « communautariste » etc. Les discours militants doivent être resitués dans le contexte qui est le leur, et non analysés comme s’ils écrivaient dans la sphère académique. Puisque les adversaires des écologistes essentialisent « l’homme », quand bien même seraient-ils des philosophes de profession comme Luc Ferry, les écologistes, qui ne s’embarrassent pas toujours de subtilités philosophiques, s’en prennent à cet « homme » au nom duquel leurs adversaires disent agir. Tel est bien le sens de l’opposition écologiste à « l’anthropocentrisme ». C’est pourtant le seul sens, parmi tous ceux qui sont possibles, que Dominique Bourg, examinant ce terme, laisse de côté ! Du coup, les positions écologistes lui paraissent absurdes et intenables. Voilà comment une partie de la littérature sur la question écologiste consiste en d’interminables passes d’armes autour de faux problèmes.

Si l’humanité est si facilement essentialisée, c’est aussi parce qu’il n’y a guère de désaccord, à ce sujet, entre libéralisme et marxisme. Ce dernier courant, dans ses versions classiques, par exemple chez Jacques Droz[50], fait du « développement des forces productives » la face progressiste du capitalisme, qui demande à être « conservée » lors du dépassement positif (« Aufhebung »). Comme le dit Marx, « il faut du temps et de l’expérience avant que l’ouvrier apprenne à distinguer la machinerie de son utilisation capitaliste, et donc transférer ses attaques du moyen matériel de production lui-même à la forme sociale d’exploitation de celui-ci »[51]. C’est un aspect qui n’est encore guère remis en cause de nos jours, dans les relectures les mieux informées de Marx, ainsi celle de Jacques Bidet et Gérard Dumesnil. Soutenant un « altermarxisme », ces deux auteurs, quand ils en viennent à la problématique-clé des forces productives, toutefois, affirment d’un côté que les forces productives n’ont pas d’essence et ne sont porteuses d’aucune tendance[52] et de l’autre qu’un tendance historique anime malgré tout le capitalisme[53]. En fait la tendance qu’ils voient à l’œuvre est la même que celle que Droz décrivait en 1974 : le marché, disent-ils, fabrique malgré lui, « dans son dos » une rationalité organisatrice. Et après avoir critiqué le « grand récit » marxiste ils en reprennent l’essentiel, annonçant un « État mondial » en gestation[54], en tant que « destin » de l’État-nation[55]. C’est encore sur ce point que les écosocialistes contemporains résistent, comme le montre un examen attentif des travaux de John Bellamy Foster[56], souvent cité en référence.

Que notre époque soit dominée par une conception unique et exacte de l’Être, non-négociable, impérative, se traduisant par une quête d’exactitude cumulative au lieu d’une quête de sens, est bien ce à quoi renvoie la thématique de « l’Oubli de l’Être ». Voilà pourquoi « l’authenticité » heideggérienne trouve des échos du côté des critiques de la technique. Elle peut en effet être rapprochée de ce que les écologistes entendent par « nature ». La nature, le sauvage est une ressource mobilisée non pas contre « l’artifice » en général mais contre le domestique au sens de « domesticité »[57], entendu comme une forêt d’interdits qui étouffe l’humanité de l’homme et le réduisent à la survie. Ce qui est dénoncé est « cet état de siège permanent qui tente de mettre la société en uniforme »[58]. La nature renvoie ici à l’authenticité des désirs, contre ceux qui sont inauthentiques et donc « artificiels ». Le recours à la nature est donc avant tout critique, c’est-à-dire l’exact opposé de ce que comprennent Luc Ferry et Dominique Bourg. Lalonde affirme même que « les retrouvailles avec la nature sont à l’opposé du naturel »[59].

Pour Heidegger si nous commettons l’erreur de vivre de manière inauthentique, c’est que nous réifions les catégories dans lesquelles nous évoluons : nous évoluons dans le domaine des étants, plutôt que celui de l’Être. D’où ce fait que « la science ne pense pas », par exemple[60]. Car penser, c’est remettre en cause, c’est se tenir dans la « clairière de l’Être », ce lieu où les étants sont suspendus en tant que tels, laissant au nouveau la possibilité d’advenir. Ainsi peut se comprendre le questionnement et le scepticisme des critiques de la technique envers les miracles et bienfaits apportés par l’évolution industrielle. Plus généralement ici se pose la question de la généalogie de la situation dans laquelle nous sommes : est-ce le « développement », « l’Occident » etc. ? Les termes sont flous et que le débat fait rage. Il n’est pas clôt. Ellul, par exemple, a beaucoup évolué, dans les trois ouvrages successifs qu’il publie sur le sujet (La technique ou l’enjeu du Siècle, 1954 ; Le Système technicien, 1977 ; Le bluff technologique, 1988). Cette incertitude renvoie à l’incertitude de notre époque elle-même sur sa propre spécificité, son propre « être », et les modalités de son émergence. Ainsi une généalogie de l’enfermement contemporain est-elle possible, remontant chez Heidegger jusqu’à Platon, ou chez Lynn White jusqu’au christianisme[61]. Ainsi s’explique aussi le succès des analyses de Heidegger et de ses héritiers (Derrida, par exemple) dans le domaine postcolonial, où les concepts occidentaux se heurtent à des réalités qui les contraignent à avouer leur composante locale, spécifiquement occidentale. D’où le fait qu’un auteur comme Dipesh Chakrabarty, l’un des héritiers des études subalternistes, en Inde, puisse se réclamer à la fois de Marx et de Heidegger[62]. Nous n’avons pas la place de développer, ici, mais les études postcoloniales le montrent : laïcité, nation, État etc. sont des concepts qui, sans être totalement insensés dans une autre culture, doivent être dépouillés de leur dimension ethnocentrique occidentale, pour avoir une pertinence. Quelques exemples : comment séparer l’Église et l’État, dans un pays comme l’Inde, où il n’y a pas d’Église ? Comment expliquer les connaissances des peuples autochtones dans ce qui chez eux ne s’appelle pas « l’écologie » mais s’en approche très sérieusement, en regard de l’insuffisance des nôtres, dans notre manière de gouverner nos modes de vie[63] ?

Le recours à Heidegger devient donc assez clair : il sert à pointer le manque d’universalité des certitudes sur lesquelles nous nous appuyons, y compris en ce qui concerne la définition de la démocratie, et à démasquer la part d’oppression et d’impérialisme que peut contenir l’universel. Cette thématique est bien celle des critiques de la technique, aussi n’est-il pas étonnant que cet auteur soit souvent mobilisé, étant l’un des rares à offrir les ressources théoriques nécessaires. La situation se trouve donc inversée : les partisans de « la science » se trouvent du côté des dogmatiques, de ceux qui refusent tout examen critique de leurs postulats, et les critiques sont du côté de ceux qui demandent une mise à l’épreuve, avant toute conclusion hâtive. Et ceci concerne aussi bien les gains de productivité, aspect qui peut sembler purement « technique », que les cadres politiques qui permettent de définir ce que nous considérons être la démocratie. En résumé la « question de l’Être » ouvre la perspective d’une sorte de révolution spirituelle, ce qui est bien cohérent avec les positions des critiques de la technique tels que Ellul ou Charbonneau, issus du personnalisme et des « non-conformistes des années 30 »[64].

Le « Dieu qui sauve »

Ceci nous conduit au dernier élément souligné par ceux qui mettent garde contre le recours à Heidegger : l’appel qui sourd chez cet auteur envers « un dieu » qui nous sauverait. Comment le comprendre ? Est-ce là un appel romantique aux forces telluriques ? Difficile de l’affirmer, Heidegger se refusant à s’expliquer sur un projet politique ou de civilisation. Mais le vers de Hölderlin qui signe la fin de la Conférence sur la Technique a aussi été interprété par Ernst Bloch, pour qui Heidegger n’a fait que traduire le sentiment de la petite-bourgeoisie confrontée à l’énormité des désastres générés par le capitalisme[65]. Non sans une certaine résonance avec les propos de Serge Moscovici, pour qui la nature est « une énorme cuisine »[66], Bloch montre qu’un tout autre « entendre de l’Être » est possible, fondé sur les passions joyeuses : celles qui sont tournées vers l’avenir, vers l’utopie, vers l’espérance, l’harmonie, la réconciliation. C’est aussi cela, l’existentialisme : que l’humain ne se contente jamais du donné, qu’il soit toujours enclin à faire des rêves éveillés. Les positions de Sartre, Adorno et Bloch, qui ne nient ni l’intérêt de la critique heideggérienne de la technologie ni la « question de l’Être », sont plus congruentes avec celles des critiques de la technique, qui ne critiquent que pour créer, pour « libérer la nature », comme le dit explicitement Moscovici.

Pour Sartre en effet le grand apport de la phénoménologie, qu’il lie à Husserl autant qu’à Heidegger, est surtout d’avoir « réalisé un progrès considérable en réduisant l’existant à la série des apparitions qui le manifestent »[67], pour autant que cette approche permet de supprimer une série de dualismes encombrants tels qu’intérieur / extérieur, qualités premières / qualités secondaires, corps / âme etc. La phénoménologie permet en outre d’accéder au « préréflexif », ce qui implique notamment de ne plus avoir besoin de recourir directement à la psychanalyse. Pour Sartre, Heidegger est celui qui a mis être et néant en tension, ce qu’il juge être un progrès par rapport à Hegel. L’angoisse est la possibilité pour le Dasein de se trouver face au néant[68]. Mais pour Sartre Heidegger a le tort de ne pas conserver son être au néant, et c’est là toute la divergence affichée de « l’existentialisme » sartrien d’avec l’analyse proposée par l’élève de Husserl. Alors que chez Heidegger l’angoisse ne débouche que sur un appel énigmatique à la vocation ou à l’être-en-faute, et plus tard à « ce qui sauve », chez Sartre, le néant est tout simplement la négation du concret, affirmation de la contingence du monde, en tant que celui-ci peut être transformé. « La liberté humaine précède l’essence de l’homme et la rend possible »[69], c’est elle qui permet à l’homme de « néantiser » le réel, et ainsi de le changer. Elle est projet, intention. C’est en se mobilisant sa propre « facticité » que la liberté joue une force contre une autre, utilise la plasticité de la matière pour la transformer, pour « l’ouvrer ». Pour Sartre, ce qui dissipe l’angoisse, ce n’est pas de se réfugier dans la poésie comme chez le dernier Heidegger, c’est l’engagement. « L’immédiat, c’est le monde avec son urgence »[70]. L’angoisse, c’est la conscience de la liberté, qui ne produit rien en elle-même. Étant simple conscience elle ne se produit que sur le mode désengagé.

Ce que Sartre reproche à Heidegger, finalement, c’est de ne pas avoir pensé l’engagement. Et le philosophe allemand lui donne partiellement raison. Dans la Lettre sur l’Humanisme [71], à Jean Beaufret qui lui posait la question d’une éthique, Heidegger répond que l’enjeu est essentiel, mais qu’éthique et ontologie sont des efforts qui tombent dans l’étant et oublient la question de l’Être. Et tel est bien le cas. Ce souci de tenir tout recours conceptuel et tout parti-pris pour une trahison de quelque chose de plus essentiel se traduit chez Heidegger par une écriture difficile, qui cherche constamment à nier ce qu’elle a pu établir, même par mégarde, pour éviter de tomber dans le piège qu’elle dénonce, et surtout ne pas s’engager dans rien de précis. Exercice infini, impossible, repris à sa suite par Derrida, qui explique pourquoi le romantisme en général et Heidegger en particulier ont accordé tant d’importance à l’art et aux poètes, jugés seuls capables d’une puissance d’évocation et de mobilisation « sans phrase », c’est-à-dire sans argumentation. Adorno a montré quel était le revers possible de cette position[72] : finir par faire de toute complication conceptuelle une sorte de mystère qui serait à la fois insondable et porteur d’une vérité ultime finit par détruire la raison.

Le geste est bien celui du romantisme, pourvu qu’on n’en reste pas à une conception superficielle ou réactionnaire. C’est contre l’abstraction et le caractère mécanique des lois économiques et de la science positive que Schelling et Whitehead ont élevé leurs critiques, jugeant que ces abstractions sont un déni de concret qui font un tort extrême à la liberté et à la civilisation. La nature se présente alors comme ce qui est extérieur à l’ordre donné, à l’ordre constitué, à l’ordre artificiel. C’est là un aspect important du moment romantique, et l’on ne s’étonne plus, dès lors, de voir Ruskin, Wordsworth et d’autres auteurs issus de ce courant fréquemment cités dans la littérature critique de la technique. Pour Marx lui-même la lutte n’avait d’autre but de réconcilier nature et humanité, pour atteindre « ce communisme en tant que naturalisme achevé = humanisme, en tant qu’humanisme achevé = naturalisme »[73]. « Marx veut dire que l’homme a retrouvé sa propre nature », précise le traducteur[74]. Chez Hegel aussi le Savoir Absolu implique la réconciliation de la nature avec elle-même.

Dans ce contexte l’appel à « renaturer l’homme » doit se comprendre comme un appel romantique à l’authenticité, à ce que Thoreau appelle la « wildness » (et non la « wilderness »), la créativité pure, « sans pourquoi », que Kant appelait aussi le génie[75], mais qu’il n’avait envisagé que dans le domaine de l’art au sens étroit du terme. Cette créativité peut être comprise comme étant la manifestation de Dieu, en tant que celui-ci n’est rien d’autre que le fait qu’ « il y a » quelque chose plutôt que rien, notamment qu’il y a de l’importance, que tout ne se vaut pas, comme le suggère Whitehead[76], un auteur fréquemment cité chez les critiques de la technique - Dominique Janicaud est par exemple l’un des traducteurs de l’Essai de cosmologie.

« L’immanence de Dieu dans le monde au regard de sa nature primordiale est une impulsion vers le futur, fondée sur un appétit dans le présent »[77].

« Dieu est le terrain infini de toute vie de l’esprit, l’unité de la vision cherchant la multiplicité physique. Le Monde est la multiplicité des finis, des actualisations cherchant une unité parfaite »[78].

« Dieu et le monde sont les opposés contrastés en fonction desquels la Créativité accomplit sa tâche suprême de transformation d’une multiplicité disjointe, dont les diversités sont opposées, en une unité concrescente, dont les diversités sont contrastées »[79].

Dieu est la limitation ultime, on ne peut avancer aucune raison à sa nature puisqu’il est le terrain même de la rationalité.

Bloch, Whitehead et Sartre permettent de comprendre l’intérêt de la référence au « Dieu qui sauve ». Contrairement à ce que soutient la thèse cartésienne de la res extensae, qui tient la nature pour une pure étendue régie par des lois inexorables, ce n’est pas « l’immuabilité » qui caractérise « la nature », à l’encontre de la technique, qui serait seule évolutive, mais au contraire la créativité, comme dans la philosophie de l’organisme de Whitehead. Chez cet auteur, la nature n’est saisissable que de manière partiellement évanescente, comme « l’Être » chez Heidegger. Le domaine de la science est celui des étants, du passé. Elle ne peut écrire l’histoire à venir. Nous sommes donc partie prenante dans ce qu’elle deviendra. Pour Bloch le regard utopique tourné vers l’avant n’est pas rêveur au sens du rêve nocturne, il est exigeant, il demande des preuves, il ne s’engage pas sans bonne raison. Il est d’autant plus pénétrant qu’il est conscient. Il anticipe et prolonge le Donné dans les possibilités futures de son être-transformé, de son être-amélioré. C’est l’espérance et la confiance qui sont notre être-authentique. Ils sont donc toujours là pour nous tenter, pour nous séduire, pour nous pousser à franchir le pas, à aller voir plus loin que les rôles préfabriqués derrière lesquels nous sommes amenés à nous abriter. Ce qui nous ravit de la sorte, « c’est le plaisir de vivre une existence différente »[80], de nous sentir vivants, créateurs. Tant que nous gardons de la jeunesse dans notre cœur, que nous ne nous rigidifions pas dans une attitude insensible, nous sommes ouverts à la nouveauté et à l’aventure, nous sommes prêts pour le grand départ, si jamais l’occasion se présente.

Ce n’est pas de « contingence » dont il faut parler, avec Ernesto Laclau et Chantal Mouffe[81], pour marquer l’ouverture des processus sociaux à la nouveauté, mais de « créativité », comme le fait Whitehead. Le potentiel de créativité d’un mouvement, son « tonus », vécu et ressenti par ses membres, est l’expérience sur la base de laquelle l’espoir émerge. L’utopie a bien quelque chose de divin, en ce qu’elle cherche à rendre possible l’impossible, et qu’elle sait, par expérience qu’un tel geste peut être accompli. Telle est sans doute le véritable sens du mythe de Prométhée. Tel est l’Esprit Absolu hégélien. Ce n’est pas un hasard si Serge Moscovici, l’auteur de La machine à faire des Dieux, fait partie des auteurs cités par Laclau et Mouffe dans leur étude du populisme.

On voit bien, ici, ce qui inquiète les partisans de « la démocratie » : que cette créativité turbulente ne déborde les cadres formels construits tout exprès pour permettre leur expression – surtout si elle exprime des désirs qui sont interdits, dans le cadre de la démocratie telle qu’elle a été définie tant par les libéraux que par les marxistes. Ainsi pour Luc Ferry l’écologie démocratique est celle qui passe par l’État et le marché[82]. Mais ce faisant il évite de poser la question de savoir si cela suffira à surmonter le défi, ou si ce qui est en jeu n’est pas quelque chose de plus profond, qui aurait trait à la civilisation elle-même. Ferry essentialise les institutions établies, de manière à écarter tout mouvement révolutionnaire, qu’il soit conservateur ou progressiste. Mais il ne démontre pas que sa solution est à la hauteur des enjeux, en pratique.

L’écologisme est-il le prochain grand espoir, la prochaine utopie, la prochaine civilisation ? Divers signes l’indiquent. La dégradation de la nature, que tout le monde peut percevoir, sous différentes formes, et qui ne pourra pas être cachée bien longtemps, induit mécaniquement une remise en cause du sacré moderne. De nombreux rapports sont venus renforcer les constats que faisaient ces premiers « utopistes » : Rapport du Millénaire sur les Écosystèmes (2005), dernier rapport du Club de Rome etc. L’Agence Internationale de l’Énergie elle-même a été forcée de reconnaître que nous avions passé le pic de pétrole conventionnel, en 2006. Le premier rapport du Club de Rome, en 1972, malgré des moyens informatiques qui nous semblent ridicule, avait donc vu juste sur ce point. Une analyse exigeante de la situation conduit à la conclusion qu’un changement se produira, que c’est le mouvement réel de l’histoire et non une utopie abstraite. Cette éventualité est à prendre au sérieux et explique aussi les liens que les observateurs ont pu faire entre l’écologisme et « l’esprit des années 30 », quand la démocratie était menacée par un grand danger, qu’il n’était pas possible de juguler par les institutions démocratiques elles-mêmes car ce sont elles qui l’ont permis. Dans le cas de la crise écologique c’est même la démocratie, au sens libéral (c’est-à-dire avec la société civile autorégulatrice, mue par « l’intérêt »), qui l’a générée. A posteriori nombreux sont ceux qui ont reconnu dans les « non-conformistes des années 30 »[83], dont Charbonneau et Ellul faisaient partie, des individus qui ont été parmi les seuls à être lucides sur ce qui était en train de se passer.

Conclusion

Nous avons essayé de montrer les liens étroits qui unissent les critiques de la technique et les thématiques véhiculées par Heidegger. La proximité souvent observée de cet auteur avec ces problématiques n’est donc pas un hasard : elle se vérifie. Mais en même temps l’usage que font les critiques de Heidegger est relativement lâche. En aucun cas ils ne s’inscrivent simplement « à la suite » de cet auteur. Le philosophe de Todtnauberg est simplement l’un des rares à offrir un cadre conceptuel permettant d’appréhender le type recherché de critique de la rationalité.

Trop longtemps, le renvoi de Heidegger au nazisme a permis d’écarter les arguments des critiques de la technique (ou plus exactement de la technologie) et de s’épargner une discussion de fond sur les questions qu’ils soulèvent. Pourtant les enjeux sont des plus pressants et il est urgent que la philosophie s’en saisisse, d’une manière qui contribue à éclairer l’action et pas seulement à trier ce qui, dans les arguments, peut être jugé digne d’être discuté de ce qui doit être laissé de côté.