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L’équipe de rédaction des Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique est fière de vous présenter ce numéro athématique, intitulé « S’affirmer, s’exprimer, s’engager ». On le sait, la créativité musicale peut résulter d’actions fort diverses, prendre une grande variété de formes, tant à la Renaissance qu’à l’orée du xxie siècle. C’est ce que nous confirme chacun des textes retenus dans cette livraison. C’est certainement le cas des contributions de Paul Bazin, d’Anthony Grégoire et de Carolyne Sumner. Paul Bazin signe un texte intitulé « Quelques formes de l’engagement artistique dans la cantate Psaume pour abri de Pierre Mercure », dont le programme ne peut être plus clair. La « cantate radiophonique » Psaume pour abri (1963), qui s’appuie sur des poèmes de Fernand Ouellette, constitue, selon l’auteur, une prise de position claire de ces deux artistes québécois face à la menace nucléaire. Nous avons d’ailleurs choisi d’illustrer la couverture de cette livraison par certains documents iconographiques proposés dans ce texte pour rendre hommage à cet important compositeur québécois, disparu trop tôt en janvier 1966, un mois à peine avant son 39e anniversaire. L’ethnomusicologue Anthony Grégoire examine pour sa part, au sein d’une communauté du Sénégal, l’étonnante divergence entre la résultante sonore des performances d’une chorale et les partitions utilisées, ce qui témoigne d’une profonde appropriation de ce répertoire par les membres de cette communauté chrétienne. L’auteur en appelle à un réexamen de l’ensemble des différents paramètres qui forment une performance musicale dans cette région du monde. L’appropriation musicale est aussi au coeur du texte d’Étienne Kippelen, qui se penche sur les différentes fonctions et connotations de la citation en musique contemporaine, et particulièrement dans l’oeuvre de trois compositeurs marquants : Karlheinz Stockhausen, Alfred Schnittke et le Français Régis Campo, né en 1968. Il nous entraîne ainsi dans une réflexion sur la modernité et ses corollaires, postmodernité et hypermodernité. Carolyne Sumner se penche quant à elle sur l’implication sociale, politique et artistique du compositeur torontois John Weinzweig (1913-2006), un pionnier de la technique sérielle au Canada s’étant également distingué par une production considérable de musiques d’accompagnement pour la radio durant la Seconde Guerre mondiale. La Société Radio-Canada s’implique alors directement dans l’effort de guerre et commande à Weinzweig des trames sonores pour des productions dramatiques qui vont se révéler efficaces et accessibles, tout s’inscrivant dans son combat en faveur de la modernité musicale. Un autre exemple convaincant de l’insertion complète de l’artiste dans la société.

Un enracinement éclairé dans la tradition unit par ailleurs toutes ces démarches, tout comme celle d’Albert de Rippe, compositeur et luthiste de la Renaissance, auquel s’attarde Alexis Risler dans une étude visant à montrer que l’art de la transcription, à partir de modèles vocaux, peut mener à un perfectionnement de l’écriture, et même à des avancées dans l’art de l’improvisation. Il s’intéresse plus spécifiquement aux passages faisant appel à l’écriture canonique. Ce texte prolonge la conférence qu’Alexis Risler avait prononcée au printemps 2015 dans le cadre du Concours de conférences de la Société québécoise de recherche en musique (SQRM) et qui lui avait valu le 1er Prix du jury. Ce qui m’amène à vous annoncer la parution prochaine d’un numéro des Cahiers centrés sur les lauréats récents de ce concours, très apprécié du public comme des concurrents, ces derniers généralement inscrits aux études graduées dans une université québécoise. Une belle relève se prépare ainsi. Enfin, Patrice Nicolas nous offre un texte consacré à l’une des pages les plus connues du répertoire, le prélude en do majeur du premier livre du Clavier bien-tempéré de Jean-Sébastien Bach, fréquemment donné comme exemple d’un discours harmonique tonal d’une remarquable clarté, et lié à une pratique d’improvisation, à l’instar des fantaisies d’Albert de Rippe discutées par Risler. S’appuyant sur une solide bibliographie, l’analyste nous fait parcourir en accéléré l’histoire du regard jeté sur cette page dont on croyait peut-être connaître tous les ressorts et nous fait découvrir la règle de l’octave, dont Bach avait sans doute connaissance et qui peut avoir été mise en oeuvre dans l’écriture du prélude. Les six auteurs des textes publiés ici se rattachent à sept établissements sur deux continents, ce qui nous réjouit particulièrement : les universités McGill (pour Bazin et Risler) ; de Montréal, en association avec l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (pour Grégoire) ; d’Aix-Marseille en association avec le Conservatoire à rayonnement régional de Paris (pour Kippelen) ; de Toronto (pour Sumner) ; et enfin de Moncton (pour Nicolas). Le rayonnement des Cahiers de la SQRM s’en trouve ainsi une nouvelle fois renforcé.

Deux recensions complètent ce numéro. Jean-Philippe Després a lu pour nous et commenté l’ouvrage de Stephen McAdams intitulé Perception et cognition de la musique (Vrin, 2015), tandis que Louis Brouillette, qui a un bon moment collaboré aux Cahiers en tant que secrétaire de rédaction, et nous l’en remercions à nouveau, s’est intéressé à la monographie de Michelle Quintal consacrée à l’organiste et compositeur québécois Bernard Piché (1908-1989) (Éditions GID, 2015). D’autres pages intéressantes de l’historiographie viennent de s’écrire et le Québec y occupe une place de choix.

Un mot en terminant sur une nouveauté dans notre association avec le pôle revue d’Érudit. Afin de nous aider à réduire le retard dans la production qui risque d’entraver le développement de la revue, et aussi pour réduire le temps d’attente auquel sont confrontés les auteurs, nous souhaitons faire paraître occasionnellement sur cette plateforme, si les circonstances s’y prêtent, les articles au fur et à mesure qu’ils sont numérisés. Il est donc possible qu’un numéro paraisse en partie alors que nous travaillons à finaliser les derniers textes. D’autres mesures ont été mises en place afin d’accélérer, sans sacrifier la qualité, le processus d’édition des articles qui nous sont soumis. Chers lecteurs, soyez donc alertes afin de suivre nos prochaines livraisons et de ne rien perdre des travaux que la revue vous propose, travaux que nous espérons à la fois passionnants et porteurs d’avenir pour la discipline.