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Plus de 30 millions de personnes ont fréquenté les parcs à thème (ou d’attractions) en France en 2012 dans les 280 sites du pays (Écho touristique, 2013). À lui seul, Disneyland Paris, première destination européenne de tourisme avec 250 millions de visiteurs en 20 ans, en a capté 15,6 millions en 2012, devant le Louvre (8,4 millions) et la tour Eiffel (6,6 millions), et assure 60 % des 2,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires de la profession. Les visiteurs de Disneyland Paris ont dépensé 59 milliards d’euros en 20 ans en France et, sur le plan social, 55 000 emplois ont été créés au cours de la même période. Contrairement aux États-Unis, les parcs à thème ont mis du temps à s’implanter et à se développer en Europe. Par exemple, 9 Français sur 10 en ont déjà visité 1 en 2012, la moitié en ont visité au moins 4 différents, et 16 % au moins 7 ; par ailleurs, ils ont très souvent passé au moins 2 jours et 1 nuit dans des hébergements localisés dans ou en dehors des parcs (OpinionWay et GfK, 2012).

Si les idées pour surprendre, satisfaire et fidéliser la clientèle ne manquent pas au niveau des attractions des parcs à thème, pour demeurer performants face à la concurrence, l’offre hôtelière dans ces parcs doit-elle (ou pas) jouer également la carte de l’innovation afin d’attirer la clientèle, ou se positionner face à la concurrence ? L’enjeu est majeur car, selon TravelSat (2013), plus de 150 millions de touristes fréquentent des parcs à thème pendant leur séjour à l’étranger et, malgré la crise, les prévisions de croissance de ce secteur touristique sont très fortes. Depuis les années 1990, une rupture est observée par rapport à l’offre des années 1970 où les prestataires cherchaient à standardiser pour réconforter la clientèle. Le slogan « The best surprise is no surprise » de la chaîne Holiday Inn représentait bien le positionnement des hébergements de l’époque (Barry, 2008). Propreté, sécurité et confort constituaient alors les principales attentes des clients des grandes chaînes hôtelières. D’un établissement à l’autre, d’une chambre à l’autre, il n’y avait pas de surprise, la qualité était égale, la promesse de conformité était tenue, les normes étaient respectées et les attentes étaient comblées.

Mais le produit touristique est une expérience de consommation complexe qui résulte d’un processus par lequel le touriste, lors de sa visite, utilise plusieurs services dont les dimensions peuvent être fonctionnelles (confort, sécurité, santé…) et expérientielles (sensation, évasion ou aventure) (Gunn, 1988). Ainsi, depuis les années 1990, d’autres modèles d’hébergement se sont développés et connaissent un franc succès (Lis et Vignal, 2005). Les voyageurs à la recherche d’expériences différentes ont le choix entre hôtels hyper-technologiques, hôtels de charme, hôtels design, hébergements atypiques… De petits établissements indépendants, mais aussi de grandes chaînes hôtelières empruntent cette voie qui fait souvent appel à l’art, à l’innovation, à la culture locale ou encore aux talents de designers (Barry, 2008). L’offre est devenue si abondante que le teNeues Publishing Group publie un guide spécialisé sur les hôtels tendances, les Cool Hotels, ainsi que des guides spécialisés sur des thématiques particulières : Beach Resorts, Luxury Hotels, etc. Cette nouvelle offre s’inscrit dans une tendance plus mode, plus sophistiquée, plus technologique, plus personnalisée, plus thématisée, qui vient bousculer les modes traditionnels de fonctionnement des chaînes hôtelières face à une clientèle elle aussi en mutation, à la fois exigeante, critique et versatile. En effet, les professionnels doivent faire face à une double exigence paradoxale : il s’agit d’offrir dans un même contexte des services fonctionnels qui garantissent une bonne nuit (voire de bons repas) et des services expérientiels stimulants et divertissants qui procurent un plaisir différent, voire atypique et surtout mémorable.

D’un point de vue stratégique, l’expérience est conceptualisée comme un outil de différenciation à la disposition des entreprises et leur permettant de fournir au consommateur une valeur accrue, en transcendant en quelque sorte les attributs fonctionnels d’une offre commerciale pour la repenser sous l’angle de l’expérience, c’est-à-dire sous l’angle d’un vécu avec les dimensions affectives et émotionnelles que sa consommation peut impliquer pour le consommateur (Pine et Gilmore, 1999 ; Schmitt, 1999 ; Hetzel, 2002 ; LaSalle et Britton, 2003). Les yeux (le décor), le goût (l’assiette), le toucher (le spa, les massages), l’odorat (les parfums d’ambiance) et l’ouïe (le CD lounge) : rien n’est oublié. Ainsi, la chaîne Holiday Inn a demandé au décorateur Laurence Llewelyn-Bowen d’imaginer la chambre du futur : pour lui, tout sera conçu pour mettre les cinq sens en éveil. Le client pourra modifier ce lieu de vie passager selon ses envies : éclairages modulables, projections d’images pour un décor sans cesse renouvelé, diffuseur de parfums, musiques variées, etc.

Deux options stratégiques autour de l’expérience émergent de la littérature marketing : la stratégie de création d’une offre d’expérience et la stratégie de différenciation par l’expérience (Filser, 2002). La première option consiste à créer de la surprise et du merveilleux dans des contextes expérientiels conçus par l’entreprise (Ritzer, 2010) et aboutit à l’élaboration d’environnements thématisés comme les casinos de Las Vegas, les parcs Disney ou les chaînes de restaurants franchisés Hard Rock Café (Armstrong et al., 1997 ; Gottdiener, 1997 ; Hetzel, 2002). La deuxième option vise à produire de l’expérience au quotidien en agissant sur la dimension expérientielle des produits (Schmitt, 1999) et à l’exprimer dans le positionnement d’une offre (Filser, 2002 ; Roederer, 2008). La distinction entre les deux options repose sur le fait que l’une aborde la thématisation des lieux commerciaux, alors que l’autre s’attache à injecter une perspective expérientielle dans le traitement des variables du mix marketing de n’importe quel produit.

Dans un contexte touristique très concurrentiel, l’analyse de la satisfaction dans l’hôtellerie devient de nouveau un enjeu majeur pour évaluer et adapter son offre fonctionnelle et expérientielle aux attentes et besoins des multiples segments de clientèle. De nombreuses recherches ont montré qu’une satisfaction élevée entraînait la fidélisation des consommateurs (Oliver, 1980 ; La Barbera et Mazursky, 1983 ; Oliver et Swan, 1989 ; Bolton et Drew, 1991 ; Fornell, 1992 ; Anderson et Sullivan, 1993 ; Boulding et al., 1993 ; Ngobo, 2000). Il a également été établi que la fidélité engendre une augmentation de bénéfices pour l’entreprise, notamment grâce à la diminution du coût des transactions futures, à la réduction de l’élasticité-prix chez les clients et à l’accroissement des parts de marché (Reichheld et Sasser, 1990 ; Rust et Zahorik, 1993 ; Rust et al., 1995). Enfin, il a été démontré empiriquement que plus les consommateurs sont satisfaits, plus le bouche-à-oreille est positif (Oliver et Swan, 1989 ; Söderlund, 1998 ; Westbrook, 1987). Dans les entreprises touristiques, tout cela fait de la satisfaction une variable qu’il importe de maîtriser et cette maîtrise passe, entre autres, par la compréhension de ses antécédents et des mécanismes qui la sous-tendent.

Depuis peu, un courant de recherche s’est développé soutenant que la relation entre la performance des différents attributs du service et la satisfaction peut être asymétrique (Brandt, 1988 ; Rust et Zahorik, 1993 ; Venkitaraman et Jaworski, 1993 ; Llosa, 1996 ; 1997 ; Poubanne et al., 2003 ; 2006 ; Bartikowski et Llosa, 2004 ; Bodet, 2006 ; 2009). La théorie de l’asymétrie de la contribution des attributs de service à la satisfaction est née d’une remise en question du paradigme de la confirmation des attentes (Oliver, 1980). Un apport majeur de cette théorie est qu’elle permet une compréhension plus qualitative de la façon dont les attributs du service conduisent à la satisfaction ou à l’insatisfaction. Elle revêt également un intérêt stratégique puisqu’elle donne la possibilité d’optimiser le pilotage et le développement de biens et de services satisfaisants (Brandt, 1988) et elle présente de nombreux avantages dans l’analyse des variables de segmentation (Poubanne et al., 2003).

À notre connaissance, la théorie de l’asymétrie a jusqu’à maintenant été très peu appliquée dans le domaine du tourisme en général (Camelis et al., 2015), dans la restauration (Moutte, 2005) et l’offre hôtelière en particulier (Anaba et al., 2014). Plus précisément dans les hôtels, Elisabeth Robinot et Jean-Luc Giannelloni (2010) ont montré que le stationnement, le temps pour obtenir la clé de la chambre, les niveaux de prix et de qualité évalués par le nombre d’étoiles, étaient des attributs très importants qui contribuent grandement à la satisfaction (si leur performance était positive ou négative). Au contraire, les informations d’accès, la confirmation de la réservation et l’utilisation des énergies propres et renouvelables étaient considérées comme des bonus, ce qui signifie qu’ils ne contribuent à la satisfaction d’une manière positive que s’ils sont présents. Dans le même temps, Lisa Slevitch et Haemoon Oh (2010) ont constaté que les services centraux (propreté, lits/oreillers, réception, sûreté et sécurité) et les services facilitateurs (bain à remous/sauna, espaces publics, collations complémentaires) d’un hôtel étaient perçus comme importants alors qu’ils affichent des contributions différentes.

Si les hébergements touristiques ont connu une profonde mutation avec la production de contextes expérientiels notamment dans les parcs à thème, l’objet de cette recherche est de mesurer l’influence des services (fonctionnels versus expérientiels) offerts par un hôtel haut de gamme thématisé et situé dans Disneyland Paris sur la satisfaction de la clientèle. Pour ce faire, le modèle tétraclasse basé sur la théorie de la relation asymétrique entre la qualité de service perçue et la satisfaction des touristes a été utilisé pour cet hébergement, durant l’année 2012, sur un large échantillon.

Nous consacrons la première partie de cet article à la présentation du cadre théorique et méthodologique et son application dans les hébergements touristiques. La seconde partie sera focalisée sur l’analyse de la satisfaction de la clientèle (en fonction de variables de segmentation) ayant séjourné à l’hôtel New York de Disneyland Paris. Enfin, nous ferons un bilan de cette recherche menée et proposerons quelques perspectives d’enrichissement théorique, méthodologique et professionnel.

Cadre théorique

Le premier objectif de notre cadre théorique est de clarifier la tendance à créer des contextes expérientiels dans les hébergements touristiques afin de mieux comprendre l’effet attendu auprès de la clientèle. Ensuite, compte tenu de la nature fonctionnelle et expérientielle des produits et des hébergements dans les parcs à thème, nous justifierons l’intérêt de l’utilisation du modèle tétraclasse dans l’analyse de la satisfaction de la clientèle afin de mesurer l’influence des contextes expérientiels créés par les responsables.

La création de contexte expérientiel dans les hébergements touristiques

Pour Morris B. Holbrook (1999), l’idée selon laquelle le consommateur ne désire pas des produits en tant que tels, mais des expériences satisfaisantes que les produits procurent, ou l’idée que la fondation de la valeur pour le consommateur est enracinée dans l’expérience de consommation sont présentes dans la littérature depuis les années 1950. Mais c’est à la fin des années 1990 que B. Joseph Pine et James H. Gilmore (1999) émettent l’hypothèse que les expériences vont supplanter les biens et les services pour donner naissance à une nouvelle ère d’« économie de l’expérience ». Ils exhortent alors les entreprises à produire des expériences mémorables pour offrir davantage de valeur à leurs clients. Ils définissent ainsi l’expérience offerte par l’entreprise : « une utilisation intentionnelle des services en tant que scène et des marchandises en tant qu’accessoires, pour entraîner les clients individuels d’une manière qui crée un événement mémorable » (ibid. : 3).

En définissant ainsi l’expérience, ces auteurs mettent en relief les notions d’intention et de contrôle. Ils envisagent l’entreprise ici comme pilote de l’expérience, donc comme étant supposée fournir des expériences suffisamment marquantes et agréables pour être perçues comme mémorables par le consommateur. Dans le but de concevoir de telles offres, l’entreprise combine un ensemble de biens et de services autour d’un thème porteur, en utilisant l’ensemble des variables du marketingmix, y compris la variable atmosphère des lieux où se déroulent les expériences (Kotler, 1973). Les gestionnaires disposent de cadres de pilotage permettant le développement de méthodes visant à mettre en œuvre des expériences (Schmitt, 1999 ; Wolf, 1999 ; Hetzel, 2002 ; Haeckel et al., 2003). Les pratiques des entreprises qui ont le plus de succès dans la production d’expériences, comme les parcs à thème Disney, constituent des modèles à suivre (Pine et Gilmore, 1999). Le tourisme est un domaine où abondent également les exemples d’application de la stratégie de création d’expériences, notamment les marchés de Noël, les événements culturels ou sportifs (Roederer, 2008 ; Bouchet et al., 2011). D’une manière générale, les stratégies de création d’expériences ne se fondent pas nécessairement sur les attentes d’une demande existante identifiée. En cas de réussite, elles parviennent à attirer une demande jusqu’alors latente au même titre qu’une innovation de rupture ne correspondant pas à une demande préalablement identifiée (Baker et Hart, 1999). L’expérience produite par l’entreprise peut alors être définie comme une combinaison intentionnelle de biens et de services visant à mettre en scène un temps fort pour le consommateur. Cependant, même bien maîtrisé, une production d’expériences ne suscitera jamais la même expérience chez tous les clients, et certains contextes ne peuvent évidemment pas être contrôlés intégralement par l’entreprise.

« Contrairement à ce que les tenants de l’économie de l’expérience ont essayé de leur faire croire, ils [les gestionnaires] ne peuvent pas créer et gérer l’expérience des consommateurs, mais ils peuvent construire des contextes expérientiels dans lesquels le consommateur pourra s’immerger pour avoir accès à une expérience » (Carù et Cova, 2006 : 43). Les contextes expérientiels gérés par l’entreprise recouvrent aussi bien les lieux de vente ou de consommation dans lesquels sont fournis des services que les moyens de communication consacrés à un produit ou à une marque. Pour les mettre en place, l’entreprise recourt à l’ensemble des variables d’action à sa disposition (Petr, 2002). Si le contexte expérientiel est un lieu, l’aménagement physique et spatial sera alors complété par des propositions sensorielles (musique ou bruits, parfum, choix des matières et des couleurs) (Rieunier, 2004) et par d’éventuels scripts plus ou moins formalisés, codifiant les interactions du personnel en contact avec le client (Orsingher, 2006). L’exemple célèbre du Sourire-Bonjour-Au revoir-Merci (SBAM) en grande distribution demandé au personnel en contact direct avec la clientèle, ou celui du tutoiement de mise entre « gentils membres » et « gentils organisateurs » (dans la terminologie du Club Méditerranée) sont des illustrations des efforts déployés par l’entreprise pour contrôler un aspect du contexte expérientiel et fixer un cadre d’expérience. Ces manières de procéder, SBAM ou tutoiement, imposent un cadre qui donne sens à une situation d’accueil du client. Tous les éléments du décor et les efforts de ritualisation de l’accueil vont constituer autant de ressources pour la construction de l’identité symbolique du contexte dédié à l’expérience. Ils obéissent à des principes d’organisation décodables à travers un cadre de participation réfléchi, cherchant à faire vivre une expérience agréable et marquante au consommateur (Bouchet, 2004).

Pour l’entreprise touristique, produire de l’expérience revient à créer des contextes expérientiels qui vont soit constituer l’offre proprement dite de l’entreprise, soit servir à mieux positionner cette offre dans l’esprit du consommateur en la différenciant de celle de la concurrence. Ainsi, la capacité de créer des offres d’expériences, c’est-à-dire la capacité à assembler des biens et des services intentionnellement, dans le but de mettre en scène des temps valorisés par le consommateur, peut constituer un avantage concurrentiel significatif. De même, parvenir à se différencier sur un aspect de l’expérience générée par son produit peut constituer un avantage concurrentiel commercial important et surtout différenciateur des offres rivales (Trinquecoste, 1997 ; 1999). Deux options stratégiques émergent de la littérature marketing : la stratégie de production d’une offre d’expérience et la stratégie de différenciation par l’expérience (Filser, 2002).

Dans la stratégie de production d’offre d’expériences, pour des organisations spécialisées dans ce créneau il s’agit de mettre en scène une hyper-réalité au sens de Jean Baudrillard (1968 ; 1981). La littérature marketing présente de nombreux exemples de mise en œuvre de la stratégie basée sur l’offre d’expériences dans des domaines aussi distincts que variés. Sur le plan des hébergements touristiques, une tendance actuelle est la thématisation des hôtels dans un environnement où le design et la décoration sont particulièrement soignés et allégés par rapport aux décors chargés des hôtels luxueux classiques. « Jadis, les clients des trois et quatre étoiles étaient des hommes d’affaires quinquagénaires. Aujourd’hui, ce sont des hédonistes de 35 ans qui, lorsqu’ils voyagent, ont le désir de se retrouver dans des lieux qui leur ressemblent, de recréer chacun un chez-soi, une sorte de tribu avec tous ses codes esthétiques », explique le directeur général de Nosylis, une agence de voyages parisienne qui a lancé une brochure consacrée aux grandes villes européennes et à leurs hôtels contemporains (Lis et Vignal, 2005). À l’ère où l’on vend des expériences, certains hôteliers ne lésinent pas sur les moyens et offrent des chambres uniques, décorées par des artistes de renom. L’hébergement constitue alors une véritable expérience artistique puisque le visiteur doit intégrer l’œuvre, souvent peu banale, avant tout le reste, même le confort. Les hébergements atypiques (cabane dans les arbres, yourte, etc.) s’inscrivent dans cette tendance également.

La stratégie de différenciation par l’expérience vise quant à elle à produire de l’expérience au quotidien en agissant sur les dimensions expérientielles des produits (Schmitt, 1999). Le recours à l’expérience peut s’envisager comme un outil de différenciation sans que l’expérience, elle-même, constitue l’offre de l’entreprise. Les sources de différenciation varient selon le domaine d’activité de l’entreprise, mais le mécanisme de base reste stable et consiste à se démarquer de ses concurrents sur des caractéristiques de l’offre auxquelles le consommateur est particulièrement sensible (Porter, 1985). Cette perspective enrichit le positionnement cognitif de l’offre dans l’esprit du consommateur (Ries et Trout, 1986) en cherchant à exprimer les composantes expérientielles de celle-ci. Ces stratégies ne concernent pas exclusivement les produits à fort contenu expérientiel, mais elles peuvent bénéficier à des produits à fort contenu fonctionnel dont le positionnement peut être revisité en fonction de l’expérience spécifique qu’ils procurent par la mise en œuvre de l’habillage expérientiel du produit, par le décor, l’intrigue ou les actions (Filser, 2002). Ainsi, il devient possible de distinguer les hébergements touristiques à habillage expérientiel comme de nombreux hôtels de chaîne, à la base très standardisés, qui décident de se différencier par la décoration ou le design pour se donner un look expérientiel.

Au final, de nombreux responsables d’hébergements ont créé des contextes expérientiels basés sur l’esthétique, le technologique, le sensoriel ou le divertissement, afin d’offrir une expérience originale à leurs clients et/ou de se différencier de la concurrence dans un marché touristique saturé par des offres relativement standardisées en termes de qualité de service et de confort. Face à cette tendance, il est légitime de s’interroger sur le bien-fondé de la thématisation des hôtels haut de gamme se situant dans des parcs à thème aux produits très expérientiels par rapport à la satisfaction de la clientèle.

L’intérêt d’une évaluation de la satisfaction des touristes par le modèle tétraclasse

L’intérêt exprimé par les professionnels et les chercheurs en tourisme pour la satisfaction du client s’explique par les nombreuses conséquences positives observées chez les prestataires de services. Parmi ces conséquences sont fréquemment cités l’inélasticité au prix, un bouche-à-oreille positif, l’engagement, les achats répétés et la fidélité du client (Cronin et al., 2000 ; Szymanski et Henard, 2001 ; Bodet, 2012). Des résultats similaires ont été obtenus dans le contexte des industries de l’hôtellerie (Oh, 1999 ; Kandampully et Suhartanto, 2000 ; Ekinci et al., 2008). Cependant, même s’il semble exister un consensus quant aux conséquences de la satisfaction, de nombreux auteurs estiment que la satisfaction est le résultat d’un processus d’analyse rationnel et cognitif par lequel le consommateur compare ses attentes préalables à la consommation avec ce qu’il reçoit, également appelé performance perçue (Oliver, 1980). Ce processus psychologique appelé processus de confirmation (ou « disconfirmation ») des attentes a très longtemps constitué la pensée dominante en matière de recherche sur la satisfaction du consommateur.

Pour d’autres auteurs (entre autres Boris Bartikowski et Sylvie Llosa, 2004), cette vision de la satisfaction est inadaptée car elle surestime les capacités rationnelles et déclarées des individus et sous-estime fortement les dimensions affectives et émotionnelles des expériences de consommation et de leur évaluation. Par exemple, tous les consommateurs n’ont pas forcément des attentes très précises précédant leur consommation, tandis que de nombreuses expériences de consommation, comme les descentes en rafting ou encore les parcs d’attractions, sont fortement influencées par les dimensions émotionnelles (Arnould et Price, 1993). C’est pourquoi, pour de nombreux praticiens et chercheurs, la satisfaction s’appuie sur des aspects cognitifs et affectifs (Olsen et Johnson, 2003).

Dans le domaine des services, la méthode SERVQUAL (Parasuraman et al., 1988) a souvent été employée, notamment dans le domaine du tourisme (Fick et Ritchie, 1991 ; Augustyn et Ho, 1998). Ces travaux ont par la suite été ajustés à différents contextes de services, cependant une question cruciale demeure concernant le rôle de ces dimensions sur la satisfaction. En effet, une part croissante de chercheurs (Bartikowski et Llosa, 2004 ; Robinot et Giannelloni, 2010 ; Slevitch et Oh, 2010 ; Chen, 2015) conteste la relation seulement linéaire entre les attributs de service et la satisfaction des consommateurs. Sur le plan du poids des attributs ou des éléments de service sur la satisfaction, Boris Bartikowski et Sylvie Llosa (2001 ; 2004) identifient deux types d’attributs : stables (ou invariants) et variants. La première catégorie est presque intuitive et considère que les attributs du service ont toujours le même poids ou la même importance sur la satisfaction, indépendamment de leur évaluation. Ils seront par exemple toujours très importants ou peu importants. Ces auteurs prennent l’exemple de la nourriture dans les restaurants qui devrait être toujours importante. D’un point de vue statistique, la relation entre les attributs invariants et la satisfaction est linéaire ou proportionnelle. Dans ce cas, l’amélioration de la qualité ou de la performance d’un attribut aura un effet proportionnel positif ou négatif, faible ou fort, sur la satisfaction. Lorsque les attributs ont un poids constant faible, ils sont appelés secondaires ; lorsqu’ils ont un poids constant fort, ils sont appelés clés, selon la nomenclature de Sylvie Llosa (1996 ; 1997).

L’aspect novateur de l’analyse de ces auteurs concerne les attributs dits variants. Leur seconde catégorie regroupe les attributs dont le poids est influencé par l’évaluation de leur niveau de performance et ils distinguent deux types d’attributs dans cette catégorie. Certains attributs ont un poids important uniquement lorsqu’ils sont évalués de manière négative, tandis que leur poids est faible lorsqu’ils sont évalués positivement ; ces éléments sont appelés basiques. La propreté est très souvent citée comme exemple dans cette catégorie : un hôtel propre ne procure pas de satisfaction particulière, alors que s’il est sale, cela va créer de l’insatisfaction. La sécurité aussi est souvent utilisée comme exemple : un environnement de consommation sûr est normal, attendu, tandis qu’un environnement peu sécurisé créera de l’insatisfaction. À l’inverse, certains attributs ne sont importants que lorsqu’ils sont évalués positivement, tandis qu’ils sont neutres ou faiblement importants lorsqu’ils sont perçus négativement. Ces éléments, que l’on peut qualifier de bonus, sont appelés plus par Llosa (1996 ; 1997). Bartikowski et Llosa (2004) citent l’exemple de l’offre de boissons gratuites qui crée de la satisfaction, mais aucune insatisfaction si elles ne sont pas offertes. Le modèle tétraclasse de Llosa (1997) (illustration 1) permet de hiérarchiser de manière assez simple les attributs du service en fonction de leur contribution.

Fig. 1

Illustration 1

Illustration 1

Le modèle tétraclasse

Source : Llosa, 1996.

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Bartikowski et Llosa (2001 ; 2004) ont par ailleurs recensé et comparé plusieurs méthodes statistiques existantes permettant de mesurer ces deux catégories d’attributs, invariants et variants, et ont conclu à la supériorité du modèle tétraclasse notamment parce qu’il s’agit d’une méthode de mesure indirecte (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de questionnement direct sur l’importance des attributs, ce qui est plus juste, cette importance n’étant pas toujours consciente) basée sur une analyse factorielle des correspondances qui détermine le poids statistique des attributs à partir d’une mesure globale de satisfaction et d’une mesure de performance pour chaque attribut ou dimension de service. Selon Valéry Anaba (2010), ce modèle présente de nombreux avantages pour les services commerciaux offerts dans le domaine du tourisme, car il a été conçu pour analyser la satisfaction par rapport à une expérience de service (plutôt qu’un produit). Le poids des éléments est déduit de calcul statistique et non déclaré par le client, ce qui constitue une mesure valide de l’impact d’un élément. La contribution des éléments est mesurée à partir d’évaluation d’expériences de service réellement vécues (et non simulées) (Poubanne et al., 2006). Cette méthode nécessite des données ordinales correspondant à la nature réelle de nombreuses échelles de satisfaction à support sémantique. Elle comporte donc de nombreux critères de validité et ses résultats sont faciles à interpréter grâce à une carte qui identifie la contribution des attributs par un point (ibid.) ou un tableau qui compare les types d’attributs.

Suivant la méthodologie de Llosa (1996 ; 1997), la contribution des éléments à la satisfaction est calculée grâce à une analyse factorielle des correspondances d’un tableau de contingence comprenant :

  • en colonne, les modalités d’un indice global de satisfaction réduit à deux classes (satisfaction positive / satisfaction négative) par une analyse de segmentation ;

  • en ligne, les éléments susceptibles de jouer sur la satisfaction.

Dans cette méthodologie, deux lignes sont consacrées à chaque élément de l’expérience de service : l’une concerne son évaluation positive, l’autre son évaluation négative (Lichlé et al., 2002). Les coordonnées de l’indice global de satisfaction permettent d’établir les frontières entre les quatre types d’éléments : clés, basiques, plus, secondaires. Cette carte graphique est alors transformée en un tableau de contribution qui indique clairement la contribution à la satisfaction des éléments de service. C’est par exemple ce qu’a réalisé Anaba (2010) dans le cadre de son doctorat traitant de la satisfaction par rapport à des offres hôtelières en France.

L’intérêt du modèle tétraclasse, en comparaison avec d’autres méthodes statistiques, réside également dans son utilisation dans le cadre de comparaison de segments de consommateurs (Clerfeuille et Poubanne, 2003). De nombreuses variables de segmentation peuvent être utilisées et dépendent des préoccupations stratégiques ainsi que des contextes de consommation des clients. Les variables sociodémographiques comme l’âge, le genre ou la nationalité, les variables psychologiques comme la valeur perçue, la recherche d’expériences touristiques, ou encore les variables de contexte comme le nombre de compagnons ou les motifs de voyages ont déjà été étudiées (Clerfeuille et Poubanne, 2003 ; Anaba et al., 2014). D’autres auteurs ont analysé l’expérience touristique en tenant compte du genre (Squire, 1994 ; Jennings, 1999 ; Small, 1999 ; Jennings et Stehlik, 2000), des différences culturelles (Hollinshead, 1992 ; Berno, 1996 ; Butler et Hinch, 1996 ; Lee, 2001 ; Urry, 2002 ; Bricker et Kerstetter, 2006 ; Torres et al., 2014) ou des autres clients (Camelis et al., 2013).

Au final, l’objet de cette recherche sera donc de mesurer l’influence des services (fonctionnels versus expérientiels) offerts par un hôtel haut de gamme thématisé et situé dans un parc d’attractions sur la satisfaction de la clientèle, par le biais du modèle tétraclasse, tout en mesurant l’effet des principales variables de segmentation (classiques versus affectives).

Méthodologie

En sus de l’offre hôtelière environnante, le parc d’hébergement de Disneyland Paris comprend 7 hôtels thématisés qu’il est possible de classer en 4 catégories hiérarchiques : les resorts ou haut de gamme (hôtel Disneyland, 5 étoiles ; hôtel New York, 4 étoiles), les milieux de gamme (hôtels Newport Bay Club et Sequoia Lodge, 3 étoiles), les bas de gamme (hôtels Cheyenne et Santa Fe, 2 étoiles) et le lodge Davy Crockett Ranch (sans étoile). En 2012, la fréquentation était de 55 686 touristes, le taux d’occupation des hôtels Disneyland Paris était de 87,1 % et la dépense moyenne par chambre de 218,80 euros (Service marketing de Disney, communication personnelle).

L’hôtel New York est thématisé « American Way of Life »[1] avec une architecture et un hall d’entrée très lumineux rappelant Manhattan, des chambres et des restaurants de style Art déco, ainsi qu’une piscine immense et une salle d’entraînement, un ensemble de détails dans les salles de bains et autres sanitaires rappelant la présence au sein de l’univers Disney. La fréquentation était de 9357 clients en 2012 et la dépense moyenne par chambre de 400 euros. En termes de caractéristiques de la clientèle, il y avait une quasi-parité des hommes et des femmes, ainsi que des tranches d’âge réparties ainsi : 12,2 % entre 16 et 25 ans ; 33,6 % entre 26 et 35 ans ; 42,9 % entre 36 et 45 ans ; 8,8 % entre 56 et 65 ans ; et 0,3 % plus de 65 ans. En outre, 46 % des répondants provenaient de France, 11 % du Royaume-Uni, 10,5 % de Belgique et d’Espagne, 7,4 % des Pays-Bas, 5 % d’Italie, 2,4 % d’Allemagne et 1 % d’Irlande (Service marketing de Disney, communication personnelle).

Nous avons établi un partenariat de recherche avec le département Marketing Research et Consumer Insight (MRCI) de Disneyland Paris, afin d’accéder à leur base de données des réponses de 9053 clients à leur enquête de satisfaction portant sur la période 2011-2012. Nous n’avons pas réalisé simultanément d’entretiens avec la clientèle, mais de simples observations répétées sur place. Par ailleurs, nous n’avons pas participé à l’élaboration des 126 questions qui sont de la seule responsabilité des membres du département MRCI, ce qui peut représenter une limite, même si la pertinence stratégique et opérationnelle des questions semble évidente pour les responsables du parc d’attractions. Les questionnaires en français et en anglais ont été envoyés aux clients par courriel après visite. Pour le retour par courriel des questionnaires, aucune durée après visite n’était fixée, ce qui peut apparaître comme un biais de comparaison. Malgré ces quelques limites, ce partenariat était une véritable opportunité scientifique car il est rare dans les recherches menées sur la satisfaction d’avoir à sa disposition une telle base de données quantitatives.

Parmi les 126 questions de la base de données utilisée, 25 étaient relatives (Q71 à Q96) à l’hébergement choisi (en l’occurrence l’hôtel New York). Plus précisément, après avoir déterminé quel type d’hôtel avait été fréquenté (Q71 à Q76), nous avons extrait une mesure globale de la satisfaction liée à sa fréquentation (Q77), puis la mesure spécifique de la performance de 14 attributs (Q78 à Q91) de son offre de services (chambre, réception, petit déjeuner, dîner, activités de loisirs, boutique, informations données, personnels, propreté, bar, stationnement, service de bagages, conciergerie, piscine), suivies d’une série de questions liées aux repas servis (Q92 à Q96). La satisfaction globale et spécifique a été mesurée par une échelle à ancrage verbal en 6 items (de « tout à fait satisfait » à « pas du tout satisfait », plus « je ne sais pas »). Cette phase nous a permis d’appliquer le modèle tétraclasse à 15 items (1 global et 14 spécifiques) afin d’analyser la satisfaction des clients ayant fréquenté l’hôtel New York sur la base d’une échelle en cinq points (nous n’avons pas pris en compte les « je ne sais pas »). Pour la présentation, nous avons scindé les 14 attributs spécifiques de la satisfaction de l’hôtel New York en 2 catégories : 8 variables fonctionnelles (chambre, réception, informations données, personnels, propreté, stationnement, service de bagages, conciergerie) et 6 expérientielles (petit déjeuner, dîner, bar, activités de loisirs, boutique, piscine).

De plus, nous avons retenu les 7 variables les plus discriminantes du profil des individus (parmi 14 possibles dans la base), donc sources de segmentation de la clientèle, que nous avons réparties dans 2 catégories : plus « classiques » : pays de résidence et catégorie d’âge (adultes, jeunes adultes et jeunes) et saison de la visite (printemps, été, automne, hiver) ; plus « affectives » : expérience antérieure du parc (oui/non), affinité aux « films Disney » (oui/non), satisfaction vis-à-vis du parc (échelle en 5 points) et satisfaction de l’hôtel perçue par les enfants (évaluée par leur parent selon une échelle en 5 points).

Les résultats des analyses de l’hôtel New York de Disneyland Paris

L’analyse des résultats de l’hôtel New York débutera par une étude sur l’ensemble de l’échantillon global (9357 clients), puis s’intéressera à une comparaison de la satisfaction de la clientèle à partir de deux catégories de variables de segmentation : classiques vs affectives.

L’analyse de l’échantillon global

L’analyse sur l’ensemble de l’échantillon de l’hôtel New York fait ressortir différentes contributions (illustration 2).

Fig. 2

Illustration 2

Illustration 2

La carte de contribution des éléments de service à la satisfaction des clients de l’hôtel New York.

Source : auteurs.

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Les résultats montrent clairement que la chambre est le seul et unique élément clé et apparaît, par conséquent, comme la plus importante source de satisfaction ou d’insatisfaction. Par ordre de priorité suivent : la réception, les repas, les activités de loisirs, la boutique, les informations données, les personnels et la propreté, tous des attributs qui doivent être irréprochables puisque caractérisés comme basiques ; les informations fournies, la propreté, le personnel et la réception s’avérant les plus critiques. Le bar est un élément plus, qui est donc apprécié mais non indispensable, tandis que le stationnement, le service des bagages, la conciergerie et la piscine sont des éléments secondaires. En synthèse, les services fonctionnels associés à la chambre sont les plus importants (réception, informations données, personnels et propreté) en matière de satisfaction, alors que ceux associés au stationnement, au service des bagages et à la conciergerie sont jugés plus accessoires par la clientèle. Quant aux services expérientiels (dans l’ellipse bleue), ceux jugés les plus importants concernent davantage la restauration (petit déjeuner, dîner), la boutique et les activités de loisirs, alors que le service piscine est jugé plus accessoire et que le service bar est jugé important mais non prioritaire.

Ces résultats indiquent que la chambre et le bar influencent fortement la satisfaction ou l’insatisfaction des clients de l’hôtel New York qui effectuent principalement des courts séjours dans le parc de Disneyland Paris. Il semble donc que la satisfaction des touristes (adultes répondants aux questionnaires) présents dans cet hôtel ne soit pas liée à l’expérience de la thématisation « American Way of Life », mais soit davantage focalisée sur la qualité de son offre de base pour un établissement haut de gamme : « bien dormir » et « bien manger ou boire ». Il apparaît que tous les services expérientiels et la thématisation proposés par l’hôtel ne sont pas prioritaires pour les clients de court (1 nuit) ou moyen séjour (2-3 jours) s’ils n’arrivent pas à se reposer suffisamment. Un client satisfait dans un hôtel situé dans un parc à thème est un client qui a bien dormi, surtout s’il a passé sa journée à s’adonner à une multitude d’attractions sources d’émotions fortes ! Ainsi, des chaînes d’hôtels comme Crowne Plaza vont jusqu’à se positionner sur la qualité du sommeil en rénovant certaines des chambres de son hôtel d’Orlando Universal (à proximité des parcs Disney et Universal) à l’aide de murs insonorisés, d’une tête de lit absorbant les sons, d’un oreiller et d’un coussin adaptés, ainsi que d’un générateur de bruit blanc qui réduit le bruit des ronflements.

La satisfaction de la clientèle selon des variables de segmentation plus « classiques »

Les segments de clientèle selon les pays de résidence

La première analyse concerne la variable « pays de résidence ». L’absence de lignes grisées dans le tableau 1 indique qu’il y a au moins une variation de contribution pour un pays, et ce, pour l’ensemble des attributs de service. Pour ce qui est de l’attribut le plus important pour l’ensemble de l’échantillon, la chambre d’hôtel, on distingue trois groupes :

  • un premier groupe qui rassemble les résidents belges, allemands, français et néerlandais, pour qui la chambre d’hôtel est un élément clé ;

  • les résidents irlandais constituent un autre groupe, car la chambre d’hôtel est pour eux un élément basique, ce qui dénote au moins une forte contribution à l’insatisfaction ;

  • le troisième groupe associe les résidents espagnols, italiens et britanniques pour qui la chambre n’a que peu d’importance. Pour les résidents britanniques, elle ne contribue que faiblement à la satisfaction, indépendamment de sa performance (élément secondaire).

Fig. 3

Tableau 1

Tableau 1

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction du pays de résidence des clients.

Source : auteurs.

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De nombreuses variations peuvent être observées entre les différents pays de résidence, mais il semble que de manière globale les résidents néerlandais, irlandais et britanniques se distinguent très nettement de l’ensemble des résidents d’autres pays avec un très grand nombre d’attributs contribuant fortement à la satisfaction (clés ou plus), tandis que pour l’autre groupe, la grande majorité des éléments contribue de manière forte à l’insatisfaction (basiques et secondaires).

Au-delà des enseignements spécifiques relatifs à chaque pays de résidence, ces résultats indiquent que les Britanniques, les Irlandais et les Néerlandais sont moins difficiles à satisfaire puisque de nombreux attributs peuvent influencer leur satisfaction. Ces résultats rejoignent les travaux de Geert Hofstede (1980) qui mettent en évidence que les résidents de ces trois pays ont des « proximités culturelles » très fortes sur trois dimensions (individualism, uncertainty avoidance, indulgence) qui influencent la manière dont ils consomment des produits. Selon ces trois dimensions, les Britanniques, les Irlandais et les Néerlandais apparaissent davantage centrés sur eux et leur famille, attirés par un consumérisme basé sur la surprise et des produits nouveaux, et désireux de profiter de la vie et d’avoir du plaisir, notamment lors des loisirs.

À l’inverse, les résidents des autres pays ne prennent en compte que quelques attributs dans leur évaluation de l’offre (chambre, dîner, bar, boutique). Des raisons culturelles ou économiques, ou les deux, peuvent potentiellement être mises en avant pour expliquer ces différences. D’un côté, il est possible d’envisager qu’un pouvoir d’achat limité (Espagne, Italie et France) exacerbe les attentes en termes de performance en réduisant les zones de tolérance des touristes. D’un autre côté, selon les trois dimensions d’Hofstede (1980) évoquées, les résidents de ces pays sont aussi centrés sur eux et leur famille, mais ils préfèrent les règles car ils n’aiment pas les incertitudes et ils se sentent contraints dans la satisfaction de leurs désirs par ces mêmes règles qu’ils critiquent bruyamment et avec cynisme.

Les segments de clientèle selon la catégorie d’âge

La catégorie d’âge (tableau 2) est la deuxième variable « classique » qui segmente l’échantillon en trois groupes : adultes, jeunes adultes et jeunes. En ce qui concerne la chambre d’hôtel, il existe une différence majeure entre les adultes et les jeunes adultes d’une part et les jeunes d’autre part. Pour ces derniers, la chambre n’est qu’un élément secondaire, alors qu’il est clé pour les deux premiers groupes. De manière générale, seules quelques différences mineures existent entre les adultes et jeunes adultes, tandis que les jeunes se distinguent très nettement. Pour ces derniers, la boutique, le stationnement et la piscine sont des éléments clés et les informations fournies (notamment sur le parc ou les activités de loisirs) sont un élément plus. Plus d’attributs de service expérientiels semblent contribuer de manière forte à la satisfaction des jeunes touristes en comparaison des plus âgés davantage centrés sur des attributs fonctionnels.

Fig. 4

Tableau 2

Tableau 2

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction de la catégorie d’âge des clients.

Source : auteurs.

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Les segments de clientèle selon la saison

Des variations sont observables en fonction de la saisonnalité, mais les différences sont minimes sur de nombreux aspects (tableau 3). Les contributions semblent très semblables au printemps et en été. Une ou deux variations notables sur des attributs de service expérientiels sont observées en automne (par exemple le dîner devient un élément clé) et en hiver (le petit déjeuner devient clé). La chambre d’hôtel est secondaire le printemps, l’été et l’automne, alors qu’elle devient basique en hiver ; cela peut s’expliquer par le temps plus important passé dans la chambre où les journées sont plus courtes et le temps rigoureux.

Fig. 5

Tableau 3

Tableau 3

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction des saisons.

Source : auteurs.

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Au final, ces résultats sur les variables de segmentation plus « classiques » (pays de résidence, catégorie d’âge et saisonnalité) mettent en évidence des différences intéressantes du point de vue stratégique pour les responsables de l’hôtel New York, voire ceux du parc hôtelier. Tout d’abord, il ressort que les touristes britanniques, irlandais et néerlandais n’ont pas la même évaluation des attributs de service fonctionnels et surtout expérientiels. À ce titre, une focalisation particulière sur cette clientèle devrait être faite en termes d’offres générant de la surprise et du plaisir, y compris lorsqu’elles ne sont pas prévues dans le forfait initial. A contrario, pour les résidents des autres pays à l’étude, la qualité des attributs de service, notamment fonctionnels, doit être irréprochable, au risque de faire l’objet de commentaires désagréables véhiculés sur le site Internet ou par le bouche-à-oreille. Et cette recommandation stratégique interculturelle semble être applicable à tous les hôtels et toutes les attractions du parc de Disneyland Paris.

De plus, les résultats indiquent que plus les touristes sont âgés, plus ils sont sensibles à la qualité des services fonctionnels. Plus ils sont jeunes, plus les services expérientiels offerts s’avèrent différenciateurs au niveau de leur satisfaction, même s’ils viennent très souvent avec leurs parents ou leurs grands-parents. Pour autant, il est difficile de sous-segmenter la clientèle familiale et il semble que la diversité des services fonctionnels versus expérientiels proposés soit un compromis stratégique voulu et plutôt satisfaisant. Enfin, il ressort une variation sur la saison « froide » où les attributs de service expérientiels liés à la restauration et fonctionnels liés à la chambre prédominent dans la satisfaction des touristes, en raison du contexte climatique moins propice à profiter des attractions du parc ou des activités extérieures.

La satisfaction de la clientèle selon des variables de segmentation « affectives »

Les segments de clientèle selon leur expérience antérieure du parc

L’expérience antérieure du parc est une variable qui influence également la contribution de certains attributs du service à la satisfaction ou l’insatisfaction vis-à-vis de l’hôtel New York (tableau 4). Alors que les contributions des touristes ayant une expérience du parc sont semblables à celles de l’échantillon global, ceux pour qui c’était la première expérience présentent quelques variations. Précisément, le petit déjeuner devient un élément clé, tandis que la chambre d’hôtel et la réception deviennent moins importantes, respectivement basique et secondaire. À l’inverse, quatre éléments fonctionnels et expérientiels (bar, stationnement, conciergerie, piscine) deviennent basiques pour les clients n’ayant pas d’expérience antérieure du parc, comme s’ils accordaient plus d’importance à ces éléments périphériques de l’offre hôtelière. Il semblerait que, passé l’excitation de la première visite où les touristes s’attardent au côté original de toute l’offre du parc, lors d’une visite ultérieure, ils prennent davantage le temps d’évaluer l’utilité et la qualité des services offerts, l’émerveillement et l’hyperstimulation par l’originalité s’étant amoindris.

Fig. 6

Tableau 4

Tableau 4

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York selon l’expérience antérieure (ou pas) du parc des clients

Source : auteurs.

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Les segments de clients selon leur affinité avec les « films Disney »

La comparaison des segments de clients selon leur affinité avec les « films Disney », c’est-à-dire entre ceux qui possèdent des films Disney et les regardent et ceux qui n’en ont pas ou n’en regardent pas fréquemment, a produit de nombreuses différences (tableau 5). Plus précisément, tous les attributs affichent une contribution différente pour ces deux groupes. Les clients présentant ce type d’affinité ont des contributions très proches de celles de l’ensemble de l’échantillon, avec un seul élément clé (c’est-à-dire la chambre de l’hôtel) et de nombreux éléments basiques.

Fig. 7

Tableau 5

Tableau 5

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction de l’affinité des clients avec les « films Disney ».

Source : auteurs.

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Du côté des individus ne présentant pas ce type d’affinité, les éléments périphériques (c’est-à-dire non prioritaires dans l’hébergement) sont jugés importants. Il s’agit par exemple du bar, du stationnement, du service de bagages et de la piscine, qui sont des éléments clés. Aucun élément n’est basique, tandis que plusieurs éléments sont des éléments plus : la réception, le petit déjeuner, les informations fournies, le personnel, la propreté et la conciergerie. En synthèse, beaucoup plus d’éléments contribuent fortement à la satisfaction, ce qui suggère que ces touristes ne sont pas très exigeants ou n’ont pas d’attentes bien précises. Cette variable affinité avec les films Disney pourrait être un indicateur pertinent d’appartenance à la communauté de marque Disney et une analyse à partir de trois groupes (faible, médiane, forte affinité) au lieu de deux pourrait s’avérer plus pertinente.

Les segments de la clientèle selon leur satisfaction vis-à-vis du parc

La satisfaction ou l’insatisfaction des touristes vis-à-vis du parc semble être une variable très discriminante puisqu’aucun élément du service n’a la même importance (tableau 6). Pour les clients satisfaits par le parc, les contributions des éléments de service à la satisfaction sont très semblables à celles de l’échantillon global. En revanche, pour les touristes non satisfaits par le parc, de nombreux éléments sont identifiés comme contribuant fortement à la satisfaction. Cinq éléments périphériques (bar, stationnement, service de bagage, conciergerie et piscine) deviennent clés, tandis que de nombreux éléments basiques deviennent plus. De manière surprenante, la chambre d’hôtel devient un élément secondaire. Ces consommateurs non satisfaits par le parc semblent davantage influencés par les services fonctionnels et expérientiels de l’hôtel. Dans ce cas, il est possible d’envisager que la non-satisfaction vis-à-vis du parc soit liée à un faible intérêt pour ce dernier et à un plus grand intérêt pour les offres de l’hébergement.

Fig. 8

Tableau 6

Tableau 6

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction du niveau de satisfaction des clients par rapport au parc

Source : auteurs.

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Les segments de la clientèle selon la satisfaction perçue de l’hôtel par les enfants

D’après le tableau 7, il semble que les parents dont les enfants ne sont pas satisfaits par l’hôtel identifient de nombreux éléments comme clés, alors qu’ils sont des bonus (plus) pour ceux dont les enfants sont satisfaits. De manière plus précise, les services expérientiels et en particulier ceux liés aux activités de loisirs (activités de loisirs et piscine) s’avèrent plus importants pour eux, car ils constituent une attraction de plus qu’ils ont envie de tester.

Fig. 9

Tableau 7

Tableau 7

Contribution des attributs de service de l’hôtel New York en fonction de la satisfaction perçue des enfants (évaluée par leurs parents).

Source : auteurs.

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Au final, ces résultats sur les variables de segmentation « affectives » (expérience antérieure, affinité avec les films Disney, satisfaction du parc et des enfants) mettent l’accent sur des différences intéressantes du point de vue stratégique pour les responsables de Disneyland Paris. En effet, tant au volet des services fonctionnels qu’expérientiels, cela permet d’affiner sur place la communication directe quant à l’offre en fonction de la journée vécue au parc et à l’hôtel, et d’adapter les services en fonction de la relation affinitaire que les touristes ont avec le parc d’attractions et/ou la communauté de marque Disney.

Perspectives théoriques, méthodologiques et professionnelles

Les résultats de cette recherche montrent que si le positionnement thématique « American Way of Life » de l’hôtel New York dans un parc à thème hyper-stimulant est cohérent pour l’entreprise Disney, il n’apparaît pas comme un élément déterminant dans la satisfaction ou l’insatisfaction de la clientèle en quête avant tout d’expériences nocturnes très ordinaires mais fondamentales : « bien dormir » (voire « bien manger ») pour profiter encore plus des attractions. Dans ce cadre, ce positionnement apparaît comme un habillage expérientiel de services fonctionnels (illustration 3) où il s’agit de prolonger l’entertainment lié au contenu expérientiel du parc tout en offrant une qualité de services liés à un contenu fonctionnel d’hébergement haut de gamme. En fait, ces résultats posent la question du choix de la thématisation dans l’offre hôtelière haut de gamme dans un parc à thème qui devrait semble-t-il, au contraire, davantage investir dans le confort sensoriel et expérientiel de ses chambres pour garantir un sommeil le plus réparateur possible. Mais cela ne semble pas être la perspective de développement envisagée par Disneyland Paris avec la création de ses Villages Nature qui ouvriront en 2016 ou 2017, en partenariat avec Pierre & Vacances, et qui ont pour objectif une thématisation « verte » du site de Marne-la-Vallée pour une clientèle familiale à même de rester plus longtemps que trois jours et deux nuits (Batat et Frochot, 2014 : 101-102).

Fig. 10

Illustration 3

Illustration 3

Positionnement de l’hôtel New York de Disneyland Paris

Source : adapté de Filser, 2002 : 20.

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Du point de vue méthodologique, le recours au modèle tétraclasse d’analyse de la satisfaction de la clientèle appliqué à un hôtel de Disneyland Paris fait apparaître des résultats assez probants pour les chercheurs et les professionnels du tourisme ou les spécialistes des parcs à thème. Tout d’abord, il confirme que la relation entre la performance du service hôtelier sur ses différents attributs et la satisfaction peut être asymétrique pour les vacanciers. Bien entendu, il serait possible d’analyser avec encore plus de finesse les variations des contributions en s’intéressant de manière plus précise à la position des éléments à l’intérieur d’une catégorie (clé, basique, plus, secondaire) et aux variations à l’intérieur d’une catégorie. Mais l’analyse de ces déplacements nécessite le recours à des cartes (comme l’illustration 2) en très grand nombre, ce qui est souvent possible dans le cadre d’un doctorat mais difficile à réaliser dans un article scientifique au format très limité. De plus, la différenciation des services offerts (fonctionnels vs expérientiels) et des variables de segmentation (classiques vs affectives) s’avère une voix prometteuse compte tenu de la thématisation des hôtels et des caractéristiques de la clientèle. Enfin, la prise en compte de variables plus sensorielles dans l’analyse de la satisfaction pour mesurer le « bien dormir » ou le « bien manger » comme le « bien s’amuser » semble indispensable aujourd’hui dans ce type d’hébergement haut de gamme situé dans un parc d’attractions.

Bien entendu, le recours au modèle tétraclasse dans l’analyse de la satisfaction est encore perfectible à plusieurs titres. Tout d’abord, il est possible d’affiner encore les analyses quantitatives extraites des bases de données en les croisant avec d’autres indicateurs liés à la clientèle ou encore d’ordre stratégique liés au contexte expérientiel contrôlé par l’entreprise. Par exemple, pour les hôtels de Disneyland Paris, des informations « stratégiques » en relation avec les prestations offertes (rénovation des chambres, nouveaux services, aménagement intérieur, etc.), les événements proposés ou les promotions faites aux clients permettraient sans nul doute d’affiner l’interprétation des données. Ensuite, il paraît très utile et complémentaire de procéder à des analyses qualitatives de type entretien et/ou observation sur site afin de mieux comprendre les niveaux de satisfaction ou d’insatisfaction en fonction des différents moments de la journée ou du séjour (arrivée, pendant, départ) et des autres clients présents (en termes de similitudes ou de nuisances, de groupes affinitaires ou de foule oppressante, etc.). En effet, ces éléments des contextes expérientiels hors du contrôle de l’hôtel constituent des champs d’action auxquels l’entreprise n’a pas d’accès direct, mais dont elle ne peut se désintéresser car ils sont le théâtre d’expériences riches et complexes (Roederer, 2008 ; Camelis et al., 2015), sources de satisfaction ou d’insatisfaction.