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L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a créé la Liste du patrimoine mondial et adopté la Convention du patrimoine mondial lors de sa 17e conférence en 1972. La création de cette liste se justifiait par le rôle de l’UNESCO qui est de voir « au maintien, à l’avancement et à la diffusion du savoir en veillant à la conservation et protection du patrimoine universel et en recommandant aux peuples intéressés des conventions à cet effet » (UNESCO, 1972 : 1). Cette création se justifiait également par le fait que « certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité toute entière » (ibid.). La première liste publiée en 1978 comportait douze inscriptions. Quarante ans plus tard, elle en compte au-delà de un millier. Les demandes d’inscription croissantes des dernières années démontrent qu’il existe un réel engouement pour cette reconnaissance. À tel point que le comité du patrimoine mondial limite maintenant à deux le nombre de propositions par État-partie (pays ayant signé la Convention) et n’évalue plus que 45 dossiers d’inscription par année (UNESCO, 2012). Les raisons qui incitent autant de pays à se lancer dans cette aventure longue et coûteuse pour obtenir ce titre ne se limitent plus aux dimensions de protection et de conservation. La reconnaissance rime de plus en plus avec développement touristique et économique. Quoique la relation entre l’obtention du label du patrimoine mondial et l’augmentation de la fréquentation touristique ne soit pas démontrée hors de tout doute, la force de cette industrie dans l’économie mondiale actuelle représente un attrait supplémentaire pour entreprendre le processus de labellisation (VanBlarcom et Kayahan, 2011).

Par ailleurs, l’association en 2009 de l’UNESCO avec Tripadvisor, la publication d’un guide Michelin consacré uniquement aux sites du patrimoine mondial et l’utilisation des sites labellisés pour promouvoir des destinations par certaines compagnies aériennes (par exemple Air Transat en 2016) illustrent l’intérêt de l’industrie touristique envers le label. Certains gestionnaires de sites labellisés peuvent alors interpréter cette association comme une preuve de la valeur commerciale du label aux yeux de l’industrie touristique et des touristes. Dans le but de mieux comprendre le rôle promotionnel du label sur le plan touristique, l’objectif de cet article est d’identifier les valeurs que les acteurs, qu’ils soient issus du milieu du patrimoine ou de celui du tourisme, attribuent au label de l’UNESCO à titre d’outil promotionnel. La question qui se pose est donc : quelles valeurs sont attribuées au label du patrimoine mondial de l’UNESCO dans la promotion touristique ?

Considérant qu’une majorité des études portant sur le label analysent le sujet du point de vue des visiteurs (entre autres, Marcotte et Bourdeau, 2006 ; Florent, 2011 ; Deware et al., 2012 ; King et Halpenny, 2014) et qu’elles sont peu nombreuses à aborder le point de vue des acteurs du milieu touristique (Hall et Piggin, 2002 ; Marcotte et Bourdeau, 2003), cet article apporte ainsi un complément aux écrits scientifiques sur le sujet. En effet, il apparaît qu’une meilleure connaissance de ce que les gestionnaires et les autres parties prenantes du milieu touristique pensent du label permettrait de mieux définir son rôle et son utilité.

Les villes du patrimoine mondial

La Liste du patrimoine mondial comprend des sites naturels, culturels et mixtes. Si chaque site comporte, par principe, des caractéristiques particulières, certaines conditions sont communes aux villes historiques et reconnues patrimoine mondial. Celles-ci partagent en effet les mêmes défis à propos de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine bâti, mais également à propos de la gestion et de la planification des diverses activités urbaines, activités qui sont parfois concurrentes ou antagonistes les unes avec les autres et qui se produisent toutes au sein des villes. Ces dernières ont aussi la responsabilité de sensibiliser les résidents et les visiteurs, ainsi que de communiquer les raisons qui leur ont valu le titre de patrimoine mondial.

Les caractéristiques communes et particulières de ces villes du patrimoine mondial définissent le cadrage de cette recherche (voir illustration 1). Dans un premier temps, ces villes sont considérées comme des ensembles habités et vivants, dont les résidents, les organisations économiques, les instances politiques et les infrastructures participent à la vie quotidienne. Parfois, la mobilisation exigée pour obtenir le label peut créer un sentiment d’appartenance et forger une identité commune, rattachée à l’histoire de ces villes (Marcotte et Bourdeau, 2008 ; 2012a ; Su et Wall, 2010). Ces villes sont considérées et perçues à travers des valeurs partagées, qui les définissent et les caractérisent.

Les villes du patrimoine mondial possèdent ou développent des fonctions patrimoniales. À la différence de certains monuments isolés qui ont été labellisés, les villes du patrimoine mondial constituent des ensembles variés, intégrant plusieurs sites, dans un tissu urbain lui-même complexe. Considérant le caractère « exceptionnel » de ces villes sur le plan patrimonial et la nécessité de respecter le plan de gestion lié à leur conservation, plusieurs acteurs œuvrant à la protection et à la diffusion du patrimoine sont généralement présents dans ces villes, notamment les musées et les services de patrimoine et d’urbanisme. Ces services s’occupent de la sensibilisation, de la communication et de la protection du patrimoine. Aux fonctions résidentielles et économiques des villes s’ajoutent donc les fonctions patrimoniales.

L’ensemble des attributs des villes du patrimoine mondial peuvent les rendre attractives et les transformer en destinations touristiques. S’ajoutent alors d’autres acteurs, soit les touristes et les organisations de services spécialisés en tourisme. D’espaces vivants, patrimoniaux, les villes deviennent aussi des espaces « consommés ».

Fig. 1

Illustration 1 : Les différentes fonctions d’une ville du patrimoine mondial et les valeurs s’y rattachant

Illustration 1 : Les différentes fonctions d’une ville du patrimoine mondial et les valeurs s’y rattachant
Source : Les auteurs

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Les valeurs associées au label du patrimoine mondial

Quoique le terme de « valeur » soit largement utilisé en sciences sociales, il n’en demeure pas moins équivoque (Schwartz, 2006). En effet, à l’exception de la définition de la valeur économique et des produits marchands, il n’existe pas de définition consensuelle et unanime de ce terme (Williams et Soutar, 2009). Sa richesse ne lui vient donc pas de sa précision conceptuelle, mais de sa capacité à mettre en exergue les éléments, tangibles et intangibles, considérés comme importants pour un individu ou pour une société.

Les valeurs s’apparentent ainsi à un étalon ou à une mesure des éléments prépondérants. Les valeurs sont aussi une source de motivation. Elles identifient et encouragent l’atteinte d’un idéal. Les valeurs guident donc les actions et les choix des personnes et des groupes, pour en arriver à ce qui est considéré comme bon et désirable (Schwartz, 2006). Plusieurs auteurs distingueront également les valeurs intrinsèques (désirables en soi) des valeurs extrinsèques (permettant d’atteindre un but désirable) (pensons pareillement aux valeurs finales et instrumentales de Rokeach, 1973).

La notion de valeur a été retenue dans le cadre de cette recherche, car elle aide à comprendre non seulement les raisons rationnelles qui justifient un choix – en l’occurrence l’utilisation commerciale du label du patrimoine mondial de l’UNESCO –, mais également les autres raisons, notamment non économiques, qui influencent la perception de « l’utilité » du label dans la promotion d’une ville labellisée.

Si chaque individu a des valeurs différentes, ces valeurs étant en nombre relativement restreint, elles sont, au final, généralement partagées par l’ensemble d’un groupe. Les valeurs sont donc propres à chaque individu, mais leur nombre limité et leur universalité permettent de les comparer. Les valeurs permettent de prendre en compte les discours de différents acteurs, qu’il s’agisse dans ce cas-ci d’acteurs touristiques, de gestionnaires de sites ou d’organisations internationales, et de voir apparaître quelles sont celles qui sont communes et partagées par ces groupes.

L’analyse des valeurs pouvant être appliquée à plusieurs contextes, de nombreuses typologies de valeurs ont été développées et recensées dans les écrits scientifiques. Pour comprendre les valeurs attribuées au label du patrimoine mondial comme outil de commercialisation pour des villes labellisées, les typologies de valeurs suivantes ont été mobilisées : les valeurs individuelles et culturelles pour tenir compte du contexte de la ville et de ses résidents (Schwartz, 2006), la valeur universelle exceptionnelle de l’UNESCO (Jokilehto, 2006 ; 2008 ; UNESCO 2012), les valeurs patrimoniales dans le cadre du patrimoine reconnu (Greffe, 2003 ; 2011) et les valeurs de consommation pour la fonction touristique (Holbrook, 1999).

Shalom H. Schwartz (2006) définit dix valeurs principales, parfois complémentaires, parfois antagonistes. Ces valeurs sont regroupées sous quatre dimensions : 1) l’ouverture au changement (avec les valeurs d’autonomie, de stimulation, d’hédonisme) ; 2) le développement de soi (valeurs de pouvoir et de réussite) ; 3) le conservatisme (valeurs de sécurité, de tradition et de conformité) ; et 4) la transcendance (valeurs de bienveillance et d’universalisme). Ces valeurs sont considérées comme étant universelles et sont donc partagées par différentes cultures. Elles dirigent les choix et les motivations des individus et peuvent en conséquence être utiles pour comprendre comment les choix et les perceptions des résidents et des gestionnaires sont établis à l’égard de l’utilisation du label.

La Convention du patrimoine mondial repose sur la « valeur universelle exceptionnelle » (VUE), élément central qui justifie l’inscription et la protection d’un site par l’UNESCO. La VUE se rapporte à des dimensions d’« exceptionnalité », c’est-à-dire de « témoignage unique », de « caractère exemplaire », d’« exemple éminent », et s’appuie sur dix critères qui font notamment référence aux traditions culturelles, au génie créateur humain, à la beauté (voir <http://whc.unesco.org/fr/criteres/>). La VUE se réclame d’une universalité géographique et temporelle : la valeur d’un site doit transcender les frontières nationales et être signifiante pour les générations actuelles et futures. Elle doit en outre être suffisamment inclusive pour intégrer les nouveaux éléments qui seront reconnus éventuellement comme du « patrimoine » (le caractère contradictoire de la VUE, entre d’une part cette recherche d’universalité et d’autre part la reconnaissance des différences culturelles, a été largement critiqué, mais ce débat n’est pas l’objet de cet article) (voir par exemple Jokilehto, 2006 ; 2008 ; Smith, 2015).

Xavier Greffe (2003) distingue les valeurs d’existence, d’usage et de développement du patrimoine. La valeur d’existence a trait à la transmission de l’identité d’une communauté par le biais de son patrimoine. Les notions telles que l’ancienneté, l’histoire et la commémoration, que l’on peut associer à cette valeur d’existence, sont autant de façons de représenter l’identité de la communauté. La valeur d’usage est associée à un fondement économique et aux ressources qui peuvent être générées par ce patrimoine (notamment en lien avec l’attractivité et les revenus touristiques que le patrimoine peut susciter). La valeur de développement concerne les sphères sociale et environnementale qui conduisent à un développement durable et assurent la cohésion sociale.

Les valeurs attribuées au patrimoine varieront bien entendu entre les populations locales, les responsables des organisations et les touristes. Ces valeurs peuvent également se distinguer entre leurs caractéristiques intrinsèques (d’existence et d’usage) et extrinsèques (entre autres en protégeant un patrimoine de façon à maintenir un sentiment d’appartenance à un lieu et à ce qu’il contribue in fine au développement social) (Greffe, 2011).

Considérant que la ville devient « consommée » à travers les activités touristiques, la typologie des valeurs de consommation de Morris B. Holbrook (1999) permet de saisir les règles, les critères ou les idéaux à partir desquels un individu émet un jugement quant à ses choix. Identifié comme un des pères de l’approche expérientielle en marketing, Holbrook considère que la consommation ne se limite pas à des dimensions rationnelles et utilitaires et ne s’explique pas uniquement par ces dernières (Holbrook et Hirschman, 1982). La consommation de produits touristiques et de loisirs doit en effet prendre en compte la recherche de plaisir et d’hédonisme. Holbrook (1999) propose donc huit valeurs qui permettent de tenir compte des dimensions aussi bien rationnelles que « non économiques » : l’efficacité, l’excellence, le statut, l’estime, le jeu, l’esthétique, l’éthique et la spiritualité. Ces valeurs se distinguent également par leur caractère extrinsèque (lorsque la consommation d’un « objet » permet d’atteindre une fin qui lui est extérieure) et intrinsèque (lorsque l’expérience de consommation est appréciée pour elle-même).

Ces quatre typologies ont été utilisées ici pour construire la base du système de valeurs qui pourraient être attribuées au label de l’UNESCO. Les valeurs qui leur sont associées sont résumées au tableau 1.

Fig. 2

Tableau 1 : Résumé des différents systèmes de valeurs associés aux villes du patrimoine mondial et mots clés s’y rapportant

Tableau 1 : Résumé des différents systèmes de valeurs associés aux villes du patrimoine mondial et mots clés s’y rapportant
Source : Les auteurs

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Greffe (2011) discute également des certifications et des labellisations auxquelles il est possible d’attribuer des valeurs. La valeur d’existence d’un label (ou d’une certification) tient à la façon dont ce label est attribué, à la qualité qu’il définit et garantit (ex. une certification reconnaissant ce qu’il vaut en lui-même, sa qualité). La valeur d’usage d’un label peut être associée à la réduction d’un risque pour le touriste (ex. un label qui informe sur un site et qui garantit au visiteur que ce site mérite le détour), ou à la garantie associée à la qualité d’un réseau (visiter un site associé à un réseau tel que celui des villes du patrimoine mondial, ou reconnu comme un parc national, peut être perçu comme une garantie de qualité). Cette valeur d’usage sert donc à informer et à sécuriser le touriste et non pas à définir ou à caractériser le site en lui-même.

Méthodologie

Afin de répondre à l’objectif de la présente recherche, soit de déterminer quelles valeurs les différents acteurs attribuent au label de l’UNESCO comme outil promotionnel, une approche qualitative a été privilégiée. Cette approche permet de prendre en compte les facteurs liés au contexte de la recherche, soit son caractère exploratoire, mais également la nécessité de laisser les acteurs exprimer largement leurs perceptions (Hay, 2010).

La collecte des données a été réalisée par des entretiens auprès de groupes d’acteurs du patrimoine et d’acteurs du tourisme de Québec, ville du patrimoine mondial (voir le tableau 2 pour connaître les critères de reconnaissance de la ville comme site du patrimoine mondial). Les entretiens en face à face se sont déroulés avec l’appui d’un guide d’entrevue semi-dirigée, permettant de relancer ou de modifier les questions en fonction de la compréhension des personnes interrogées.

Le cas de Québec a été choisi car le label du patrimoine mondial n’y est pas utilisé de façon extensive, ni particulière (voir Marcotte et Bourdeau, 2012b). Ayant été inscrit sur la Liste du patrimoine mondial il y a plus de trente ans, le label n’apparaît pas comme une nouveauté à mettre de l’avant pour faire la promotion de la ville et il ne mobilise plus les acteurs du patrimoine et du tourisme de façon aussi soutenue, si ce n’est lorsque des aménagements majeurs risquent de modifier le paysage du quartier historique (Marcotte et Bourdeau, 2008). Le cas de Québec s’apparente donc à un cas « prototype » de villes touristiques labellisées. Les valeurs attribuées au label comme outil promotionnel y apparaissent mitigées et méritent éclaircissement. On remarque en effet que les villes qui ont obtenu le label récemment l’utilisent de façon soutenue, l’effet de nouveauté, de distinction et la mobilisation étant encore présents (Marcotte et Bourdeau, 2012b). Se pose alors la question de savoir si cet engouement perdurera dans les années subséquentes. Le cas de Québec représente ainsi la situation des villes dont l’effet de l’obtention s’amenuise avec le temps.

Au total, quinze entrevues ont été réalisées auprès de différents types d’acteurs : des membres d’organismes de protection du patrimoine et responsables de la promotion du patrimoine ; des membres de l’industrie touristique au sein d’organismes publics ; ainsi que des membres d’organisations touristiques privées. Ces interlocuteurs provenaient des secteurs de l’hébergement, des attraits et événements et des services touristiques. Étant donné qu’il s’agit de connaître les valeurs attribuées à l’utilisation promotionnelle du label, cette étude s’est concentrée sur les organisations qui en font déjà usage, ou pourraient le faire. Les personnes interrogées ont été désignées par leur organisation respective ; elles ont été sélectionnées car elles sont les plus susceptibles de prendre une décision quant à l’utilisation ou la non-utilisation promotionnelle du label.

L’analyse de contenu thématique, à l’aide du logiciel NVIVO 10, a permis d’identifier les termes et les expressions utilisés et de déterminer les différentes valeurs attribuées par les divers acteurs. La grille de codification a été élaborée dans un premier temps en s’appuyant sur la recension des écrits concernant les systèmes de valeurs (voir tableau 1) et a par la suite été complétée et raffinée par la lecture et l’annotation des verbatim d’entretiens (Paillé, 2003). L’analyse des verbatim s’est donc réalisée de façon itérative afin de s’assurer d’intégrer les nouvelles valeurs identifiées.

Fig. 3

Tableau 2 : Les caractéristiques de la ville de Québec

Tableau 2 : Les caractéristiques de la ville de Québec
Source : Les auteurs

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Analyse des résultats et discussion

Les valeurs associées au label du patrimoine mondial de l’UNESCO

Au total, les acteurs ont identifié 14 différentes valeurs, pour un total de 177 mentions (voir illustration 2). Plus des deux tiers des valeurs mentionnées se résument en cinq éléments : 1) la réputation – qui rassemble plus de 18 % des mentions ; 2) l’histoire – 15 % des mentions ; 3) la beauté – 12 % ; 4) l’unicité – 10 % ; et 5) l’économie – également 10 % des mentions. Les entretiens ont par ailleurs mis à jour des valeurs particulières, telle l’unicité, qui n’avaient pas été mentionnées dans les écrits scientifiques.

À première vue, certaines valeurs brillent aussi par leur absence. Par exemple, ni le développement durable, ni la VUE, ni l’authenticité n’ont été explicitement cités. Toutefois, en considérant les réponses de façon plus générale, ces notions peuvent apparaître sous d’autres dénominations. Ainsi, la valeur de beauté apparaît comme un élément important pour les personnes interrogées. Parmi les dix critères justifiant la VUE, le septième se réfère au caractère esthétique exceptionnel, mais d’un espace naturel. Pour les répondants, la beauté du quartier historique de Québec semble englober aussi bien le cadre culturel de la ville que son cadre naturel (par exemple avec le fleuve et les espaces verts).

Aussi, des valeurs que l’on peut associer à la valeur de développement (Greffe, 2003) ou de développement durable ont été citées, notamment la culture (avec un peu plus de 6 % des mentions) : « Québec est une destination naturelle pour des gens qui ont un intérêt envers la culture. »

En revanche, le sentiment d’appartenance et l’identité récoltent à peine 1 % des mentions : « Il n’y a pas si longtemps, […] pour monsieur ou madame Tout-le-Monde, le titre de ville du patrimoine mondial, cela n’était pas évident, il n’y avait pas la fierté d’en faire partie. »

Fig. 4

Illustration 2 : Les valeurs associées au label de l’UNESCO dans le discours des acteurs de la ville de Québec

Illustration 2 : Les valeurs associées au label de l’UNESCO dans le discours des acteurs de la ville de Québec
Source : Les auteurs

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La distinction entre les valeurs intrinsèques et extrinsèques s’est révélée utile pour distinguer les valeurs directement associées au label et les valeurs qui lui sont reconnues pour atteindre un autre objectif.

La réputation, valeur extrinsèque, est la valeur la plus souvent associée au label. Elle s’exprime dans le discours des acteurs par des mots comme : reconnaissance, notoriété, international, mondial, reconnu (voir illustration 3). Par son association avec l’UNESCO, l’obtention du label induit une notoriété à la ville et lui forge une réputation, exprimée dans les entrevues comme étant internationale. Cela représente un des éléments majeurs conférant une valeur positive au label comme outil promotionnel aux yeux des acteurs du milieu touristique : « [L’UNESCO est] un genre de certification, qui établit un standard, une renommée, une réputation. » « [L’UNESCO] est un réseau important, qui amène une notoriété. »

Fig. 5

Illustration 3 : Nuage de mots-clés issus du discours des participants

Illustration 3 : Nuage de mots-clés issus du discours des participants
Source : Les auteurs

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Les valeurs intrinsèques au label, telles qu’on les trouve notamment dans les documents de l’UNESCO, et qui ont été confirmées par les entretiens, sont : l’histoire et les « vieilles pierres » ; la beauté du site ; la protection ; et l’universalité. Les éléments associés à la VUE (exemplarité, caractère exceptionnel, témoignage, chef-d’œuvre) n’ont pas été cités comme tels, mais la notion voisine d’unicité du lieu pourrait s’en rapprocher : « Une valeur de rareté dans un contexte nord-américain, il y a reconnaissance, car il y a rareté. »

Si le prestige associé à la réputation est bien présent, de façon paradoxale la qualité, elle, n’est que très peu représentée (1 % des mentions). Ce constat rappelle la conclusion de Greffe (2011) selon laquelle un label peut acquérir une valeur associée à sa capacité de faire connaître la présence d’une ville aux touristes, mais ne garantit pas pour autant la qualité de l’expérience qui sera vécue ; les valeurs du label s’associent ainsi plus à une valeur d’usage qu’à une valeur d’existence.

La valence

Les entretiens comportent plusieurs nuances quant aux valeurs identifiées. Les extraits suivants démontrent que si une valeur est mentionnée, son importance peut parfois être atténuée : « La valeur est un petit plus, une valeur ajoutée. » « Mais pour la vaste majorité des gens, je dirais que c’est un élément intéressant parmi quelques autres. »

Les valeurs ont donc aussi été analysées en fonction de leur valence : positive, négative, ou neutre. Il apparaît que la majorité des mentions sont positives (75 %). Ces résultats laissent entrevoir que de façon générale les acteurs perçoivent le label comme un outil « appréciable » pour la promotion touristique de leur ville : « Pour nous, c’est gagnant de le mettre à l’avant-plan dans nos communications. » « Pour nous, ce serait un gros plus si on le faisait parce qu’on se positionne complètement là-dedans. » « Donc pour nous c’est important ce label-là, c’est à la base de ce que nous faisons. »

Parmi les personnes interrogées, ce sont les acteurs provenant du milieu privé qui s’expriment avec la valence la plus favorable (voir illustration 4). Ces acteurs voient dans le label une valeur économique potentielle pour leur entreprise, alors que les acteurs du milieu public dissocient le label de sa valeur économique ou d’usage. La valeur du label apparaît en outre plus grande lorsqu’elle est associée au tourisme international ou au tourisme culturel : « Quelqu’un qui aime l’histoire, quelqu’un qui cherche quelque chose de culturel va probablement être au courant du phénomène UNESCO. » « Pour la promotion à l’étranger. Pas au Québec, mais à l’étranger. Pour le Québec, ce n’est pas important, […] tout le monde connaît la ville. Patrimoine mondial de l’UNESCO, ça ne leur donne rien de plus. »

La valeur d’unicité, apparue en cours d’encodage, est de prime abord associée aux valeurs intrinsèques de l’UNESCO. Un site est reconnu patrimoine mondial parce qu’il est « exceptionnel ». Cependant, son évocation dans le discours des acteurs rapproche aussi cette valeur de celle de réputation. Elle est, de la même façon, utilisée de manière affirmative et positive : « Y a peu de villes dans le monde qui peuvent se targuer d’avoir ce titre. » « En Amérique du Nord, il n’y a pas une tonne de villes qui ont ce label. »

Les autres valeurs mentionnées et marquées par une valence très positive sont la valeur historique et la valeur dite « vieilles pierres ». Ces valeurs, très proches conceptuellement, deviennent un autre élément important dans l’attribution d’une valeur positive au label : « D’autant plus que l’on mise, sur nos photos [promotionnelles], sur le château Frontenac, les fortifications… on les a, donc il faut les utiliser. » « Et comme il y a de l’histoire dans nos rues, c’est un incontournable. »

Elles se rapportent également aux deux critères ayant justifié l’inscription de la ville, soit l’exemple « éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural » (critère IV) et, à titre de représentation d’une des étapes majeures de la colonisation des Amériques par les Européens, l’association à « des traditions vivantes, des idées, des croyances » (critère VI) (voir le libellé des critères au tableau 2).

Les mentions liées à la valeur de la beauté se distinguent des valeurs historiques et des vieilles pierres. Plutôt que de faire appel à l’architecture, ou même à la propreté des lieux, elles se rapportent à l’image d’ensemble, composée d’éléments culturels et naturels. La beauté est même identifiée comme une condition sine qua non de la labellisation : « C’est la première idée qui me vient lorsque je parle d’un lieu reconnu par l’UNESCO, d’une beauté extraordinaire. » « Les premiers [lieux labellisés] qui étaient des lieux géographiques reconnus mondialement pour leur caractère, leur beauté et tout… »

Dans les cas où la valence de la réputation du label est négative, elle se manifeste le plus souvent sous forme de questionnement : « Je serais curieux de connaître le niveau de notoriété », ou d’affirmation négative : « [Pour les Américains] l’UNESCO ne veut pas dire grand-chose. » « L’UNESCO en soi, c’est un organisme international, qui est fondu dans les temps. » Le manque de connaissances semble ainsi avoir un impact sur la valeur attribuée au label comme outil promotionnel.

L’éducation est également une des valeurs à valence négative identifiée dans les discours des acteurs. Lorsqu’ils en font mention, d’aucuns déplorent le manque d’information sur ce qu’est l’UNESCO, sur ce que signifie l’obtention du label et sur ce qu’il représente : « Parce que, à la limite ça veut dire quoi, Québec joyau du patrimoine mondial de l’UNESCO ? Personne ne le sait. » Cette lacune serait d’ailleurs davantage présente pour la population locale. La valeur d’existence apparaît donc très faible.

Il y a certaines autres valeurs qui sont mentionnées, mais pas dans le cadre de l’utilisation promotionnelle du label. Par exemple, la protection est considérée comme une valeur intrinsèque et non commerciale. Le label possède une valeur de protection, mais non une valeur de commercialisation.

Fig. 6

Illustration 4 : Valence des valeurs associées à l’utilisation promotionnelle, selon la perception des répondants (organisations privées et publiques)

Illustration 4 : Valence des valeurs associées à l’utilisation promotionnelle, selon la perception des répondants (organisations privées et publiques)
Source : Les auteurs

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Fig. 7

Illustration 5 : Valence des principales valeurs

Illustration 5 : Valence des principales valeurs
Source : Les auteurs

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Conclusion

Les résultats de l’analyse démontrent que les acteurs du milieu patrimonial et touristique de la ville de Québec attribuent une valeur positive au label de l’UNESCO comme outil de promotion touristique.

La réputation apparaît comme la principale valeur liée à l’utilisation du label, ce dernier conférant un statut unique à la ville et jouant le rôle d’ambassadeur, surtout pour les clientèles internationales. Dans ce cadre, le label est principalement considéré comme une valeur extrinsèque.

Les valeurs historiques et de vieilles pierres constituent un élément important qui influence positivement la valeur attribuée au label. Dans le même ordre d’idées, l’image de beauté, associée aux villes reconnues comme site du patrimoine mondial, est un thème important dans l’attribution d’une valeur positive au label.

Les valeurs intrinsèques du label de patrimoine mondial de l’UNESCO influencent donc aussi la valeur que les acteurs du milieu touristique attribuent au label comme instrument de promotion touristique. Notons que ces valeurs prennent leur pleine signification dans un positionnement de la destination axé sur l’histoire et le patrimoine. La valeur d’unicité qui a été mentionnée par les acteurs rejoint aussi bien la valeur de réputation que celle de beauté ou d’histoire. Ces valeurs d’unicité, d’histoire, de beauté démontrent en conséquence que l’utilisation du label du patrimoine mondial de l’UNESCO dans la commercialisation n’est pas qu’un recours à un terme valorisant extrinsèque, mais bien fondé sur les caractéristiques propres au site, soit la ville de Québec.

Par contre, parmi les valeurs intrinsèques, celle de la protection, déterminante pour l’attribution du label, semble freiner les acteurs dans l’idée de la considérer comme un outil utile et valable pour promouvoir la destination. Le manque d’information et de sensibilisation quant à sa « valeur d’existence » nuirait également à son utilisation et à sa reconnaissance, et ce, surtout pour les acteurs locaux.

La valeur d’usage ou extrinsèque du label apparaît donc comme l’élément le plus important dans l’utilisation du label dans la promotion touristique, mais il semble que les valeurs intrinsèques ou existentielles (histoire, beauté, unicité) justifient le fondement de ce label. Le manque de connaissances à leur égard induit toutefois un écart qui ne permet pas la pleine efficacité du label.

Cette étude exploratoire visait, dans une première étape, à connaître les valeurs associées au label par les acteurs qui peuvent, ou non, utiliser le label. Dans une seconde étape, il serait des plus intéressants de connaître les valeurs que les touristes et les résidents associent à ce label. Une telle comparaison des valeurs accordées au label par les touristes, les résidents et les acteurs de l’industrie patrimoniale et touristique permettrait d’enrichir la compréhension du phénomène étudié et apparaît comme la prochaine avenue de recherche.