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Le lieu constitue un référent géographique qui permet l’analyse des pratiques spatiales. La caractéristique du lieu est spécifique puisque c’est là où se trouve et/ou se passe quelque chose (Berque, 2003 : 555). Aussi, dans une lecture du phénomène touristique, sont différenciés les lieux touristiques des lieux non touristiques. Diverses propositions d’explication de mise en tourisme des lieux et des espaces ont mis en lumière le rôle des multiples acteurs qui agissent afin de qualifier un lieu comme touristique (Miossec, 1977 ; Lozato-Giotard, 1985 ; Équipe MIT, 2002) ou encore qui font évoluer les lieux selon des expériences et des trajectoires diverses (Stock, 2001 ; Bourdeau, 2012a ; Capellà Miternique et Marcotte, 2014 ; Vlès, 2015). Dans une analyse bibliographique proposée sur un tourisme qualifié comme hors des sentiers battus (Condevaux et al., 2016), le lieu ordinaire est expliqué par la géographie sociale comme un territoire du quotidien (Di Méo, 1996) en référence à des travaux fondateurs (Lefebvre, 1947 ; de Certeau, 1980) et s’oppose au lieu inventé par le tourisme (Knafou, 1991). Le tourisme n’est donc pas immuable aux lieux. Les phénomènes de mode, les événements géopolitiques et sanitaires ou encore les projets d’aménagement agissent sur la fréquentation touristique des lieux. À la différence du lieu ordinaire qui est « simplement resté depuis les débuts du tourisme, dans l’ombre des centralités touristiques » (Gravari-Barbas, 2017 : 404), les pratiques touristiques contribuent à nous renseigner sur la situation touristique d’un lieu. La situation touristique « exprime un ensemble d’interaction d’échelle locale, situé dans l’espace et le temps défini par les acteurs, dont les touristes, se trouvent et où ils négocient et mobilisent leurs compétences ainsi que les normes sociales et spatiales en vigueur » (Équipe MIT, 2005 : 341). L’éloignement du lieu du quotidien demande aux touristes une recherche d’offres spécifiques et contribue à développer une intensité de fréquentation de certains lieux, qualifiés comme touristiques. La perception et les choix des individus participent à cette qualification (Pearce, 1995). Dans la diffusion du tourisme, la relation entre un lieu et son arrière-pays dépend d’ailleurs des pratiques des touristes (Hall, 2004). La relation entre lieu et pratique peut se caractériser ainsi : « C’est de lieux, de liens de lieux et de lieux de lieux que l’espace est fait. Ils sont reliés par des réseaux. Le lieu est un point, mais un point singulier, identifiable et identifié, distinct des autres. » (Brunet et al., 1992 : 298) Les lieux sont informés dans le même temps qu’ils informent à propos d’un contexte d’action par et dans lequel ils prennent place (Coëffé, 2010). Le lieu touristique, comme construction sociale, est de ce fait mythifié. Certains lieux touristiques sont d’ailleurs plus mythifiés que d’autres. Le lieu, en tant qu’entité spatiale participant à la structuration de l’espace fonctionnel, révèle un espace vécu et dispose d’une fonction socio-spatiale permettant sa construction (Mao, 2003). Le lieu a donc du sens pour les individus : « l’usage des lieux ne peut être considéré comme un acte gratuit, exempt de sens et de diverses fonctions symboliques ou culturelles » (ibid. : 81). Un lieu peut donner « à voir » et amener à la « conscience » d’autres lieux situés dans un espace englobant (Debarbieux, 1995). Plusieurs lieux peuvent être différenciés, comme le fait Bernard Debarbieux (1995) : le lieu attribut, lorsque le territoire symbolise un lieu notoire ; le lieu générique, apportant une référence par sa forme générique ; ou encore le lieu de condensation, qui est construit et identifié par une société en raison de son sens, de l’histoire qu’il révèle. Certains lieux sont plus importants dans l’échelle des valeurs attribuées par les individus qui les fréquentent, on les qualifie de hauts lieux (Debarbieux, 1993 ; Gentelle, 1995 ; Mao et Corneloup, 2005 ; Piriou, 2011b). Les hauts lieux sont « des symboles localisés qui condensent un territoire collectif et exaltent une certaine conception de la nation » (Debarbieux, 1995 : 103). Ces lieux deviennent des références pour d’autres lieux du Monde, par un moment de lieu (Équipe MIT, 2005). Certains lieux, par une intensivité de leur mode de fonctionnement, et de manière simultanée à différentes échelles politiques et spatiales, du local au global, peuvent être qualifiés d’« hyper-lieux » (Lussault, 2017). Aux lieux touristiques aisément identifiables par l’intensité de la fréquentation sont couramment opposés les lieux ordinaires. Le lieu ordinaire tranche radicalement avec le lieu touristique hyperspécialisé, par son offre, c’est-à-dire là où le taux de fonctions touristiques domine par rapport aux autres activités (Fagnoni, 2004 : 51, cité par Condevaux et al., 2016). Les lieux ordinaires seraient même caractérisés « comme des villes petites ou moyennes et des espaces périurbains sans tradition d’accueil [qui] cherchent […] dans le tourisme une nouvelle voie de développement ou de requalification économique et territoriale » (Bourdeau, 2012b : 39). Des travaux menés dans la métropole parisienne démontrent d’ailleurs une volonté politique de faire évoluer des lieux ordinaires de banlieue en lieux de tourisme en souhaitant y favoriser la création d’une situation touristique (Jacquot et al., 2013). À partir de ces constats, nous pouvons pointer plusieurs problèmes concernant la distinction entre lieu ordinaire et lieu touristique. Le lieu ordinaire ne bénéficie pas des équipements que connaîtrait un lieu touristique. Or, limiter les lieux connus et identifiés par les touristes à des villes, à des stations touristiques et à tous lieux équipés (logements, services, activités…) ne permet pas d’appréhender le phénomène touristique dans sa globalité. Les mobilités touristiques, au-delà d’« une mobilité princeps », c’est-à-dire une mobilité entre le lieu du quotidien et un lieu du hors quotidien, s’observent aussi par des mobilités secondes. Par mobilités secondes, nous entendons les déplacements réalisés au sein d’un espace après un premier déplacement vers cet espace que nous appelons « mobilité princeps » (Piriou, 2009). Celles-ci établissent une mise en relation, par des pratiques spatiales de lieux très divers, qu’il s’agisse de villes ou de villes-étapes, mais aussi de nombreux sites (monuments, plages, montagnes, pointes, caps…). Ensuite, une vision binaire consistant à opposer un lieu du « tout tourisme » (haut lieu touristique, lieu hyperspécialisé dans le tourisme) à un lieu du « sans tourisme » (lieu ordinaire, lieu en marge) mériterait d’être complétée. Certains lieux touristiques sont moins fréquentés, moins importants sur l’échelle des valeurs, voire moins diversifiés ; pour autant, ils ne sont pas des lieux ordinaires du fait de leurs pratiques par les touristes. Les lieux peuvent se différencier selon leurs formes élémentaires, mais aussi selon les pratiques touristiques qui y sont observées. On pourrait penser que les lieux pratiqués par les touristes sont choisis selon une utilité recherchée dans le but de réaliser leurs projets de recréation. Par ailleurs, on pourrait voir au sein de ces lieux une offre suggérée aux touristes qui expliquerait une fréquentation.

Pour essayer de clarifier la distinction entre lieux ordinaires et lieux touristiques, nous proposons d’analyser, par le biais d’une enquête réalisée auprès des touristes, les pratiques spatiales ainsi que les motivations qui font que des lieux sont parcourus par des touristes. Étudier les pratiques des touristes constitue un moyen de comprendre la mise en relation entre deux ou plusieurs lieux. Les pratiques spatiales dans une dimension régionale des touristes nous informent à ce titre de l’attribution d’une fonction touristique régionale des lieux. Nous proposons trois fonctions récréatives qui permettent de caractériser les fonctions touristiques régionales des lieux : les services, l’exploration et la contemplation. Il est ainsi possible de montrer l’existence de lieux plus populaires et d’autres plus marginaux selon la spécialisation des pratiques. Par une lecture des pratiques de touristes en séjour sur la côte d’Émeraude, espace littoral qui connaît la plus forte intensité touristique de Bretagne, nous avons entrepris d’analyser les choix de lieux parcourus.

Comprendre les pratiques spatiales des touristes

L’analyse du phénomène touristique peut être réalisée de plusieurs manières. On peut observer les flux de déplacements entre bassins continentaux, nationaux et régionaux (Dehoorne, 2003), les espaces touristiques nationaux comme la France (Violier, dans Fagnoni, 2017), ou encore convoquer la géographie régionale ou l’aménagement et l’économie régionale dans un souci de localisation, par exemple dans la province du Québec (Brière, 1961 ; de Grandpré, 2000). La destination touristique traduit un lieu à voir, l’objet d’un désir, mais également une organisation pour l’atteindre. Le concept est large et diversifié et concerne plusieurs caractéristiques géographiques (un lieu), économiques (un marché, un produit) et psychologiques (motivation du consommateur) (Jafari, 2000). La destination peut s’appréhender comme un ensemble de projets « conçus comme efforts intentionnels et intéressés des acteurs intervenant dans la construction de la destination » (Kadri et al., 2011 : 24). En y regardant de plus près, les mobilités des touristes peuvent renseigner sur la diffusion du tourisme. On distingue les mobilités princeps, c’est-à-dire le déplacement entre le domicile, un lieu du quotidien vers un ou plusieurs lieux touristiques. À ce stade sont distingués les lieux pratiqués par les touristes de ceux qui ne le sont pas. Le lieu touristique est « un lieu créé ou investi par le tourisme et transformé pendant au moins un temps par la présence des touristes » (Équipe MIT, 2002 : 300). Mais il existe peu d’informations sur les mobilités secondes engagées par les touristes pendant le séjour touristique. Il s’agit des mobilités occasionnées par les touristes pendant le séjour, une fois la mobilité princeps – du départ du lieu du quotidien jusqu’au lieu de séjour – achevée (Piriou, 2009). Michel Chadefaud (1987) a défini dans ce sens des mobilités occasionnées pendant un séjour dans le sud-ouest de la France, en particulier pour ce qui concerne la pratique des lieux autour des villes d’eaux. De plus, lors du déplacement entre le lieu du quotidien et le lieu de séjour, des étapes peuvent être effectuées ; elles participent à l’expérience du séjour touristique.

Dès 1965, Clare A. Gunn proposait un décryptage des pratiques spatiales des touristes en identifiant le lieu d’origine, souvent une région générant des touristes, puis une localité d’accueil ou une région de destination. Mais il précisait surtout qu’il est nécessaire de prendre en compte une route ou une région par laquelle transitent les voyageurs entre leur lieu d’origine et leur région de destination (Gunn, 1965, cité dans Gunn, 1988). Dean MacCannell (1976) a quant à lui énuméré des attractions touristiques dont certains marqueurs, tels qu’un paysage, un aménagement, une route panoramique, incitent à la fréquentation par les touristes. Selon Neil Leiper, ces attracteurs se trouvent à la fois dans la région de destination comme dans la région de transit. On comprend ici que la mobilité princeps peut traduire soit une route de transit à « effet tunnel » (Gay, 2006 ; Bernier, 2013), soit un espace de marge[1], soit une route de transit avec des points d’escale (Piriou, 2011a). Dans ce dernier cas, il s’agit d’un espace en situation touristique (Leiper, 1979 ; 1995). On constate par ailleurs dans la littérature géographique anglo-saxonne (Mill et Morisson, 1985 ; Lew, 1987 ; Gunn, 1988 ; Dredge, 1999) comme dans la littérature géographique francophone (Miossec, 1977 ; Lozato-Giotart, 1985) concernant les espaces touristiques, une inspiration du modèle centre–périphérie[2]. Ce modèle permet d’expliquer une géographie fonctionnelle, essentiellement entre les villes, selon leur taille, leur nombre et leur écart. Les auteurs distinguent les centres, sièges des biens et des services, des périphéries où se trouve la demande qui utilise ces biens et ces services. Jan O.J. Lundgren (1984) a, pour sa part, proposé d’exploiter ce modèle dans une analyse des fonctions des lieux et des flux touristiques, en tenant compte de l’intensité du tourisme, du degré de centralité ou encore de la place des attractions et de l’offre dans l’économie locale et régionale. Les attractions conduisent les individus à se déplacer vers des lieux touristiques (Lew, 1987). Celles-ci, regroupées, constituent des noyaux qui peuvent être des points d’intérêt, ou des nœuds dès lors que des points d’intérêt sont agglomérés au sein d’une « région de destination » (Gunn, 1988). On remarque d’ailleurs que certains lieux d’intérêt sont visités de manière isolée alors que d’autres le sont par combinaison de plusieurs lieux. Pour Douglas Pearce (1995), l’échelle régionale de l’espace touristique se structure par des stations, des villes, des sites et leur mise en relation par le biais des transports. Neil Leiper (1990) considère que les touristes peuvent changer de région de destination à partir du lieu où ils se logent et Dianne Dredge (1999) complète cette réflexion à partir d’une typologie de disposition hiérarchique de la région de destination selon le nombre de nœuds ainsi que les associations entre les régions de destination reliées par au moins un même nœud.

Ces propositions d’analyse des pratiques spatiales des touristes, inspirées du modèle centre–périphérie, permettent de mettre en évidence une complexité de l’espace touristique, ne se limitant pas à un constat de la fréquentation des lieux touristiques, mais par une explication de la relation entre les lieux et leur hiérarchisation. Ainsi, on peut distinguer les lieux touristiques des lieux ordinaires. Mais on perçoit aussi certains autres lieux pratiqués par les touristes. Ces lieux ne motivent pourtant pas la principale raison du déplacement touristique. Ces lieux pourraient être qualifiés de lieux de transit. Certains font l’objet d’une pratique touristique qu’est la découverte et pourraient paraître complètement à la marge des lieux touristiques ; pourtant ils participent à la construction du séjour touristique. À noter qu’au-delà de l’explication de la combinaison de lieux, le modèle des lieux centraux a été contesté dans son application au phénomène touristique. Mathis Stock (2017) considère que les lieux touristiques fonctionnent à l’inverse des lieux centraux, c’est-à-dire que les lieux centraux attirent pour leurs biens et leurs services alors que les lieux touristiques attirent pour eux-mêmes. Par ailleurs, un lieu central n’est central que si les flux polarisent d’autres lieux. Or, seul le système de centralité qui émerge des pratiques d’habitants temporaires – que sont les touristes – donne une signification aux centralités, notamment en différenciant les lieux touristiques d’autres lieux (ibid.). Le raisonnement qui consiste à différencier les lieux ordinaires des lieux touristiques demande d’observer et de comprendre les pratiques des touristes au sein de ces lieux, mais selon une approche spatiale dans une dimension régionale. Nous proposons de distinguer les lieux ordinaires des lieux à fonctions touristiques régionales.

Identifier les fonctions récréatives des lieux : étude sur la côte d’Émeraude en Bretagne

Pour comprendre les pratiques spatiales des touristes, nous avons fait le choix de les interroger au sein d’un espace de pratique. Nous avons mené une étude entre 2009 et 2012 sur la côte d’Émeraude, espace littoral français situé le plus à l’est des côtes de la Manche de la région Bretagne. Ce cas d’étude a été choisi puisque qu’une veille diligentée par l’Observatoire régional du tourisme de Bretagne laissait apparaître un espace-laboratoire de mesure de la densité touristique entre 2006 et 2011. Cet espace, qui comprend à la fois une frange littorale et un arrière-pays, constitue l’espace touristique le plus fréquenté de la région Bretagne.

Illustration 1 

Terrain d’enquête : la côte d’Émeraude

Terrain d’enquête : la côte d’Émeraude
Source : Réalisation de l’auteur, 2018.

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Le tourisme sur la côte d’Émeraude

Le nom de côte d’Émeraude est apparu au début du tourisme balnéaire au XIXe siècle. C’est Eugène Herpin, historien local, qui qualifia d’émeraude cette côte de Bretagne en 1894, pour valoriser les reflets des fonds rocheux dans l’eau. Il observait alors la côte d’Émeraude comme un périmètre allant du cap Fréhel au Mont-Saint-Michel. Un demi-siècle plus tard, Denise Delouche considérait pour sa part que la côte d’Émeraude s’étend de Granville au cap Fréhel, mais elle situait le centre et le point le plus actif au niveau de Dinard et de Saint-Malo (Delouche, 1956 : 439). En fait, la côte d’Émeraude s’articulerait autour de deux pôles structurants que sont Saint-Malo et Dinard. Puis ce sont les villégiateurs par leurs activités qui ont marqué leur empreinte spatiale du tourisme dans une dimension régionale. D’abord, les bains de mer sont apparus à Saint-Malo en 1837, à l’instar des pratiques hydrominérales à Dinan (Clairay et Vincent, 2008 : 207), puis se sont déployées de nouvelles pratiques, telles que le balnéaire, la recherche d’évasion, conséquences d’une société de loisirs (Barbedor, 2004). Le développement touristique de la côte d’Émeraude se caractérise spatialement par une forme en chapelet et une satellisation de stations à partir de deux lieux centres que sont Saint-Malo et Dinard. Selon Jean-Pierre Lozato-Giotart (1993 : 109-110), la commune de Saint-Malo présente un caractère bicéphale, qui fait coexister un principal noyau et pôle touristique – qui est urbain et non balnéaire – et un liseré balnéaire sableux avec une séparation ville-plage très nette. Saint-Malo, par un important degré d’urbanité, est à la fois un lieu de passage, particulièrement pour les Britanniques venant en France, un lieu de séjour et un lieu de promenade (Delouche, 1956 : 4413). Ensuite, la station de Dinard, située face à Saint-Malo sur la rive opposée de la Rance, est née dans les années 1850, lorsque le village de pêcheurs de Saint-Enogat fut découvert et fit l’objet de constructions de villas par des Britanniques (Andrieux, 1951 ; Clairay et Vincent, 2008 : 219). En 1858, Dinard est devenue une commune indépendante de Saint-Enogat et se développera par la construction d’un établissement de bains de mer sur la plage du casino. La station est fréquentée par la haute société anglaise et française et se positionne en rivale des stations de la côte d’Azur (Andrieux, 1951 : 180-181). Elle devient la station chic de la Belle Époque grâce aux différents équipements sportifs et culturels proposés comme le casino, le club de yacht, le club de tennis.

Illustration 2 

Pratiques balnéaires sur la plage de l’Écluse à Dinard face à la cité intra-muros de Saint-Malo

Pratiques balnéaires sur la plage de l’Écluse à Dinard face à la cité intra-muros de Saint-Malo
Photo : Auteur, 2011

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À partir de ces stations émergentes vont se développer des stations de « seconde génération » ou « stations filles » formant un ensemble de stations balnéaires en chapelet (Clairay et Vincent, 2008 : 213). Saint-Lunaire et Saint-Briac-sur-Mer sont des stations à proximité de Dinard. Elles proposent des activités sportives au service de la station centrale. On peut citer le cas du terrain de golf (Dinard Golf) qui se situe entre Saint-Lunaire et Saint-Briac-sur-Mer et se positionne en référence aux stations déjà constituées. Paramé et Rothéneuf sont, quant à elles, des stations satellites de Saint-Malo, qui souhaitent attirer une clientèle plus mondaine avec la construction de grands bâtiments publics ainsi que divers équipements de loisirs (par exemple la pratique du tennis sur la plage). Aujourd’hui, elles sont intégrées, sur le plan administratif, à la commune de Saint-Malo.

D’autres stations ont poursuivi la construction de ce chapelet de stations balnéaires. Il s’agit de Lancieux, Saint-Jacut-de-la-Mer, Saint-Cast-le-Guildo. Elles ont connu un plus faible développement mais ont bénéficié des activités de stations voisines (Clairay et Vincent, 2008 : 214).

Enfin, d’autres lieux contribuent à l’activité touristique de la côte d’Émeraude. Par exemple, le village de pêcheurs de Cancale est visité comme une destination d’excursion pour les touristes en séjour dans les stations de la côte d’Émeraude afin de profiter des activités portuaires et des régates de bisquines (Clairay, 1997 : 39).

De nos jours, le tourisme sur la côte d’Émeraude est estimé à 10 % de la fréquentation touristique régionale avec 1 million de visiteurs sur un total de 9 millions pour toute la Bretagne. Cette côte comptabilise 7,5 % des nuitées régionales, soit 7,5 millions de nuitées sur 99 millions pour toute la Bretagne[3]. L’analyse de cet espace se fait donc tant sur les rives de la mer Manche que celles du fleuve maritime la Rance. Enfin cet espace est composé de lieux touristiques divers selon les critères de l’institution nationale en charge du tourisme[4] : on identifie des stations classées de tourisme (Saint-Malo, Saint-Lunaire, Dinard, Dinan, par exemple) et des communes touristiques (comme Plévenon ou Saint-Briac-sur-Mer).

Au cours du mois d’octobre 2009, nous avons rencontré et interrogé de manière aléatoire 45 touristes au sein de certains de ces lieux classés (Plévenon, Saint-Cast, Dinard, Saint-Malo, Dinan, Cancale), mais nous avons également choisi, près de Dol-de-Bretagne, chef-lieu de canton, un complexe touristique d’hébergements et d’activités situé sur la commune d’Épiniac (voir illustration 1).

Recueil de récits de séjour de touristes pour comprendre les fonctions récréatives des lieux

Nous avons recueilli des récits de séjour selon la méthodologie du récit de vie qui permet de mieux appréhender la complexité ainsi qu’analyser la subjectivité de la pratique du tourisme. Le récit de vie est « une forme particulière d’entretien, l’entretien narratif, au cours duquel un chercheur demande à une personne, […] de lui raconter tout ou partie de son expérience vécue » (Bertaux, 2005 : 11). Cette méthode se traduit par un entretien compréhensif, narratif, et permet de mettre en évidence une expérience vécue.

Par cette méthode nous cherchions à comprendre les déplacements des touristes, notamment la mise en relation de lieux géographiques opérée par ces mobilités touristiques. Nous avons posé la question[5] : « Pouvez-vous nous raconter chronologiquement ce que vous avez fait pendant votre séjour et nous expliquer vos choix ? » Ces récits de séjour nous permettent de mieux appréhender les logiques spatiales propres aux séjours des touristes interrogés et de comprendre la place des lieux au sein de leurs mobilités touristiques.

Nous basant sur les entretiens menés auprès des touristes, nous avons déterminé, à travers leurs récits, les raisons de la pratique des lieux touristiques, notamment par les principales activités réalisées qui, selon nous, correspondent à trois fonctions récréatives du lieu touristique (Piriou, 2018). Les fonctions récréatives d’un lieu précisent l’intentionnalité des touristes et renseignent sur la complémentarité ou la spécificité de ce lieu au sein d’un ensemble touristique régional de lieux. Nous avons ainsi défini trois catégories de fonctions récréatives. Tout d’abord, la fonction de services qui participe à l’organisation pratique du séjour des touristes. Ces derniers réalisent des activités identiques à celles pratiquées dans un lieu quotidien. Il peut s’agir de se nourrir, de se loger, de se déplacer ou d’avoir des loisirs qui ne sont pas spécifiques ou constitutifs du lieu ou de la région du séjour touristique. Citons par exemple le fait d’aller faire ses achats dans un supermarché d’une enseigne nationale en retrouvant les mêmes produits du quotidien ou encore aller au cinéma ou dans un restaurant de chaîne tel celui situé près de son domicile. Ensuite la fonction de contemplation correspond à tout ce que le touriste peut voir et appréhender par l’observation comme une simple lecture paysagère. Il peut s’agir de profiter d’une vue panoramique, d’une promenade, de réaliser un circuit en automobile, de pratiquer un sport dans un lieu caractérisé par un paysage spécifique, par exemple la pratique du ski en montagne. Enfin, la fonction d’exploration traduit une lecture approfondie d’un territoire par l’intermédiaire d’un média ou l’accompagnement d’un guide, parcourir et profiter d’un marché du terroir, visiter un château avec un guide ou encore déjeuner dans un restaurant proposant des produits locaux.

À partir des 45 récits de séjours collectés lors de nos entretiens auprès des touristes, nous avons pu cerner les fonctions récréatives recherchées dans les lieux pratiqués. Prenons trois exemples de récits de séjour, recueillis dans trois lieux : Dinard, Dinan et Cancale.

D’abord, Marie-Odile et Charles, un couple de quinquagénaires originaires de la région de Limoges, sont venus en voiture jusqu’à Dinard pour se rapprocher d’amis parisiens en séjour près de Saint-Malo. Nous les avons interrogés le jeudi 10 octobre 2009 devant l’hôtel où ils séjournaient à Dinard :

Nous sommes arrivés lundi et nous avons retrouvé nos amis à Saint-Malo dans un restaurant. L’après-midi nous avons été à l’Office de tourisme chercher quelques documentations et avons fait une promenade sur le Sillon. Nous avons pris un thé à Paramé. Ensuite, nous avons rejoint notre hôtel de Dinard et avons mangé un petit bout. Mardi, nous nous sommes retrouvés [avec nos amis] à Dinard et nous avons fait une promenade dans la ville et l’après-midi nous avons été visiter Saint-Suliac sur les bords de Rance. Hier, nous sommes partis à la journée au Mont-Saint-Michel et nous avons mangé le midi à Cancale. Aujourd’hui nous allons à la pêche du côté de Cancale et nos femmes vont faire les magasins à Saint-Malo. Demain, nous irons faire un golf à Dinard l’après-midi s’il fait beau, sinon nous irons faire une promenade sur les plages vers la pointe du Grouin [à Cancale].

Ensuite, Mireille et Hugues, un couple de sexagénaires originaires d’Arques dans le Pas-de-Calais, sont venus en voiture pour une semaine de vacances en Bretagne. Ils nous ont confié le déroulement de leur séjour devant leur résidence hôtelière de Dinan lorsque nous les avons interrogés le mercredi 13 octobre 2009 en fin de journée :

Nous sommes arrivés vendredi soir, samedi nous nous sommes promenés à la Vicomté-sur-Rance à l’écluse du Chatelier. Dimanche, nous avons passé la journée à Saint-Briac, Saint-Lunaire, et avons visité Dinard. Lundi, nous sommes restés le matin à Dinan et l’après-midi avons été voir le château de Léhon, puis après nous sommes allés à Combourg. Aujourd’hui nous avons passé la journée à Saint-Malo. Demain on restera sûrement à Dinan. Et après on verra selon la météo, on évite de trop prévoir à l’avance.

Finalement, Sylvie et Hubert, un couple de quinquagénaires originaires de Paris, sont pour leur part arrivés en voiture pour une semaine de vacances ; ils ont loué un appartement à Cancale. Ils nous ont précisé l’organisation de leur séjour lorsque nous les avons rencontrés le vendredi 2 octobre 2009 en début de matinée sur le marché aux huîtres de Cancale :

On a fait beaucoup de promenades sur des sentiers balisés en bord de mer et dans les terres. On a mangé à Dol-de-Bretagne, à Combourg, on a été au marché de Dinan samedi matin, on nous l’avait recommandé, et la ville est très belle. On a été à Saint-Malo, à Saint-Suliac et donc aujourd’hui Cancale. On part demain.

Ces trois récits relatent les choix de lieux et apportent des précisions sur les pratiques de ces lieux. Nous identifions ainsi des lieux que nous pouvons qualifier comme touristiques selon la classification du ministère (Saint-Malo, Dinard, Cancale), mais nous relevons aussi la pratique d’autres lieux qui n’apparaissent pas dans la classification (La Vicomté-sur-Rance, Saint-Suliac, Combourg, Léhon). Cette classification ne révèle finalement qu’une faible partie des lieux pratiqués par les touristes ; elle s’appuie en effet sur l’offre et non sur les pratiques récréatives des touristes.

Illustration 3 

Lieux pratiqués par les touristes interrogés sur la côte d’Émeraude

Lieux pratiqués par les touristes interrogés sur la côte d’Émeraude
Source : Réalisation de l’auteur, 2018.

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Sur l’ensemble des 45 récits de séjour, plusieurs noms qui n’appartiennent ni au classement de « communes touristiques » ni à celui des « stations de tourisme » sont cités. Ainsi, sur la côte de la Manche, sont citées les communes de Plurien, Saint-Jacut-de-la-Mer et Lancieux ; en vallée de la Rance, sont mentionnées les communes de Pleurtuit, La Vicomté-sur-Rance et d’autres plus éloignées, Saint-Pierre-de-Plesguen et Combourg (illustration 3). Saint-Malo est la commune la plus citée : sur les 45 personnes interrogées, 42 s’y sont rendues pendant leur séjour. Parmi celles-ci, 18 personnes y ont cherché des services (9 se sont rendues au restaurant, 6 s’y sont logées, 2 ont utilisé des transports, et 1 a réalisé des achats alimentaires) ; 16 s’y sont rendues pour explorer (10 ont réalisé une visite, 4 ont fait du shopping et enfin 2 sont allées dans un centre de thalassothérapie). Enfin, 8 touristes sont allés à Saint-Malo pour y faire de la contemplation (6 ont fait une promenade, 1 a profité de la vue depuis les remparts et 1 est allé à la plage). Saint-Malo constitue un lieu touristique important bien identifié comme touristique à la fois dans la littérature scientifique (Delouche, 1956 ; Clairay, 1997) et dans la classification, puisqu’il s’agit d’une station touristique. Par ailleurs, les quelques citations de ce nom de commune, sur les 45 récits de séjour collectés, révèlent l’importance accordée par les touristes à Saint-Malo, permettant de qualifier cette commune de « haut lieu » touristique de la côte d’Émeraude. D’autres communes sont moins bien identifiées comme touristiques et pourtant apparaissent dans quelques récits de séjour des touristes. Ainsi, à la différence de Saint-Malo, le village de Saint-Suliac, situé sur les bords de Rance, n’a été cité qu’un nombre minime de fois. Seulement 5 touristes sur les 45 interrogés s’y sont rendus. En revanche, ces touristes y ont trouvé des fonctions récréatives : 3 d’entre eux ont pratiqué de l’exploration (1 visite de brocante et 2 visites de galerie d’art) et 2 y ont trouvé des services (hébergement). De même, la commune de Combourg a été citée par 5 touristes sur 45, justifiant une visite pour de la contemplation mais aussi pour de l’exploration. Enfin, d’autres noms de communes sont rarement cités par les personnes que nous avons interrogées. Parmi les chefs-lieux de canton, par exemple, aucun nomme Plancoët, Pleslin-Trigavou ou encore Fréhel[6].

Les lieux faiblement ou jamais cités par les touristes se situent en marge de lieux touristiques majeurs. Mais la justification de la pratique de certains lieux témoigne qu’ils présentent un intérêt pour les touristes. Alors que les touristes se rendent à Saint-Malo pour de multiples fonctions récréatives, d’autres lieux les intéressent davantage pour certaines fonctions récréatives spécifiques. Par exemple, le village de Saint-Suliac est visité pour la découverte de galeries d’art et de brocantes, mais aussi pour se loger. Quant à Combourg, ce lieu est parcouru pour faire de la contemplation. Ces lieux qui pourraient sembler être ordinaires disposent donc d’un intérêt touristique, qui, même faible, leur permet de bénéficier d’une fonction touristique régionale.

La fonction touristique régionale des lieux selon les pratiques spatiales des touristes

Le choix des lieux visités par les touristes apporte un éclairage sur une différenciation à faire entre les lieux touristiques majeurs, des lieux ordinaires et ceux qui bénéficient d’une fréquentation touristique occasionnée par des mobilités touristiques secondes, c’est-à-dire dans le cadre de pratiques spatiales dans une dimension régionale. Les lieux sont différenciés selon l’échelle des valeurs, leur capacité d’accueil et d’offres touristiques, mais les fonctions récréatives recherchées par les touristes, à partir des pratiques, contribuent à expliquer la relation établie entre les lieux qui s’inscrivent dans un espace de dimension régionale. La fonction touristique régionale situe les lieux sur la route des touristes, puisque ces lieux sont pratiqués pour des activités qu’ils choisissent eux-mêmes. Ainsi, des lieux seraient complémentaires les uns aux autres et les touristes assurent des combinaisons par leurs mobilités secondes selon la suggestion des lieux. La fonction touristique régionale d’un lieu permet donc de mieux comprendre les raisons de sa fréquentation. Ce lieu fréquenté n’est pas un lieu ordinaire. Cependant, son intensité touristique peut être très faible, mais en raison des fonctions récréatives conférées par les touristes, ce lieu à un intérêt.

Une spécialisation dans des fonctions récréatives permet d’évaluer la fonction touristique régionale d’un lieu. Nous avons emprunté une méthode de calcul habituellement utilisée en géographie des transports pour déterminer la spécialisation de terminaux portuaires dans le transbordement de marchandises (Rodrigue et al., 2006). Cela permet de comprendre « si un terminal est spécialisé dans le transbordement ou la manutention d’un type particulier de marchandise ou si, inversement, il reçoit une grande variété de marchandises, ce qui permet de calculer l’indice de spécialisation » (ibid. : 124). L’emploi de cet indice semble utile pour appréhender la spécialisation d’un lieu. Dans le cas d’un lieu portuaire, il s’agit de comprendre la spécialisation par la contribution des dockers, dans un type de marchandise selon les transbordements et la manutention. Concernant un lieu touristique, il s’agit d’analyser la spécialisation par la contribution des touristes selon leurs pratiques. Ainsi, l’indice de spécialisation permet de connaître la spécialisation d’un lieu dans une ou plusieurs fonctions récréatives afin de définir sa fonction touristique régionale. L’indice de spécialisation équivaut à la matrice carrée du nombre total d’activités relatives à une fonction récréative pratiquée dans un lieu, sur le carré du nombre total d’activités pratiquées relatives à toutes les fonctions récréatives d’un lieu. Plus l’indice de spécialisation est proche de 1, plus le lieu est spécialisé dans une fonction récréative en particulier. À l’inverse, si l’indice est égal à 0 ou est proche de 0, cela signifie que le lieu est pratiqué pour des fonctions récréatives diverses (tableaux 1 à 3).

Tableau 1 

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Dinan, selon les pratiques de touristes interrogés

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Dinan, selon les pratiques de touristes interrogés
Source : Élaboration de l’auteur, 2018.

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Tableau 2 

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Saint-Suliac, selon les pratiques de touristes interrogés

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Saint-Suliac, selon les pratiques de touristes interrogés
Source : Élaboration de l’auteur, 2018.

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Tableau 3 

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Combourg, selon les pratiques de touristes interrogés

Exemples de calculs d’indices de spécialisation dans des fonctions récréatives de Combourg, selon les pratiques de touristes interrogés
Source : Élaboration de l’auteur, 2018.

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Nous avons tout d’abord identifié trois fonctions touristiques régionales qui se caractérisent par des pratiques limitées à une seule fonction récréative. L’indice de spécialisation est égal à 1 dans une fonction récréative. Ainsi, le lieu d’observation est pratiqué pour faire de la contemplation. La commune de Combourg est citée par cinq touristes. Leurs pratiques consistent à voir la ville ou encore à faire une balade à vélo. Ce lieu a donc l’observation pour fonction touristique régionale, compte tenu de la fonction récréative, contemplation, identifiée selon les pratiques des touristes. Citons par exemple le cas de l’aquarium de Saint-Malo qui est visité à des fins de divertissement et de compréhension du monde marin. Le lieu de services, quant à lui, est fréquenté pour une fonction de services. D’après les touristes interrogées, Saint-Lunaire constitue un lieu de services puisqu’ils y trouvent leur hébergement à proximité de Dinard. D’autres lieux font l’objet de plusieurs spécialisations. Le lieu de passage est à la fois parcouru pour des fonctions récréatives de contemplation et d’exploration. Le lieu d’excursion est fréquenté pour des fonctions récréatives d’exploration et de services. Le lieu d’étape regroupe des fonctions récréatives de contemplation et de services. Enfin, le lieu d’escale est le lieu qui regroupe le plus de fonctions récréatives et n’est pas spécialisé, puisqu’il est visité pour des fonctions récréatives de contemplation, d’exploration et de services. La fonction touristique régionale peut être définie selon une logique de stations ou de communes touristiques (par exemple Dinan, Saint-Malo) par opposition à des sites touristiques secondaires. Ils se différencient des lieux à fonctions touristiques régionales, spécialisés dans une ou deux fonctions récréatives, et des lieux touristiques répondant à un ensemble de fonctions récréatives.

On constate que les touristes agissent dans la transformation des lieux. Cependant, d’autres facteurs ont pu intervenir préalablement dans cette mise en tourisme. Le facteur politique, permettant l’ouverture au tourisme, a favorisé la fréquentation de lieux par des touristes, auparavant pratiqués uniquement par une population locale[7]. Des lieux sont devenus d’ailleurs centraux, d’autres secondaires, organisant les itinéraires au sein de la destination (Sacareau, 2000). Le facteur technique a favorisé la diffusion vers des lieux divers. Les chemins de fer ont fait apparaître des nouveaux lieux en chapelet le long de leurs lignes[8]. Ensuite l’essor de l’automobile individuelle a contribué au développement d’un espace touristique aréolaire comprenant de multiples lieux (Gay, 2006). Cependant, notre analyse des pratiques touristiques démontre que n’importe quel lieu peut être pratiqué par les touristes. La fonction touristique régionale attribuée par les touristes dans leurs pratiques révèle les motifs et l’importance de lieux visités et contribue à expliquer la pratique de certains lieux en particulier au sein d’un espace touristique en général.

Conclusion

L’analyse des mobilités touristiques favorise une compréhension des pratiques spatiales des touristes. Des lieux sont parcourus. Aussi la pratique d’un espace de dimension régionale nous renseigne sur la distinction que font les touristes dans leurs choix de lieux ainsi que leurs pratiques dans ces lieux. Nous appuyant sur l’étude de terrain réalisée qui apporte une compréhension d’un phénomène de mobilités touristiques entre des lieux touristiques plutôt qu’une analyse exhaustive de la fréquentation des lieux touristiques, nous avons constaté que la marginalité ne se définit pas uniquement en se basant sur l’intensité du tourisme dans les lieux. Elle s’évalue selon les pratiques des touristes dans les lieux choisis, dans le cadre de mobilités secondes. Certains lieux ne sont pas parcourus par les touristes. D’autres le sont selon une intensité variable, dépendant des activités spécifiques recherchées. Nous avons défini les fonctions récréatives que les touristes recherchent dans les lieux en les parcourant dans le cadre de leurs mobilités princeps et secondes. La contemplation, l’exploration, les services sont les fonctions récréatives qui regroupent l’ensemble des activités des touristes dans les lieux dans le cadre de mobilités secondes engagées dans un espace de dimension spatiale régionale. La spécialisation des lieux dans des fonctions récréatives, définie selon les pratiques des touristes dans le cadre de leurs mobilités secondes, confère une fonction touristique régionale. En effet, ces lieux sont combinés à d’autres lieux, par complémentarité, au sein de pratiques touristiques suivant une dimension spatiale régionale. En raison de leur spécialisation dans des fonctions récréatives, nous avons proposé les fonctions touristiques régionales suivantes : lieu d’observation, lieu de visite, lieu de services, lieu de passage, lieu d’excursion, lieu d’étape.

Enfin, distinguer des lieux ordinaires des lieux à fonctions touristiques régionales, c’est-à-dire des lieux qui ont un intérêt pour les touristes dans le cadre de mobilités secondes de dimension spatiale régionale, participe à renseigner les acteurs professionnels du tourisme qui doivent agir dans la dynamique des lieux. Le passage de lieu ordinaire à lieu touristique majeur s’inscrit dans un temps long et s’avère complexe (Pearce, 1995 ; Sacareau, 2000 ; Hall, 2005 ; Gay, 2006). La création d’un équipement ex nihilo ou la naissance d’un intérêt par phénomène de mode peut en être l’origine. En revanche, le passage d’un lieu ordinaire à un lieu à fonctions touristiques régionales se présente comme plus efficace par la mobilisation de compétences d’acteurs. La prescription constitue un moyen efficace de diriger des flux touristiques d’un lieu vers un autre. Les touristes, eux-mêmes, sont des prescripteurs par le partage d’expériences. Ce phénomène est amplifié grâce à l’utilisation des technologies numériques, notamment l’usage des réseaux sociaux. Néanmoins, les offices de tourisme, les communautés d’accueil, qu’il s’agisse d’hébergeurs ou de guides, agissent pour capter des flux touristiques et valoriser l’intérêt de lieux ordinaires afin que les touristes leur confèrent une fonction touristique régionale par leurs pratiques. Il faut cependant rappeler que les touristes sont souverains dans leurs choix et que la pratique des lieux est soumise à la suggestion qui en est faite et à la correspondance avec le projet de recréation envisagé. La marge s’observe selon les choix des touristes. Les touristes pratiquent des lieux qu’ils ont eux-mêmes choisis, mais l’identification des lieux visités par les touristes ne peut se limiter à une lecture de l’intensité touristique ou des équipements structurants des lieux.