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D’après les estimations de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), il y a eu un milliard de touristes internationaux en moins en 2020 à cause de l’effondrement sans précédent de la demande. L’Afrique pour sa part a subi une baisse de 75 % (cité dans Grandcourt, 2021). Même s’il est fortement touché par la pandémie de COVID‑19 qui souligne ses vulnérabilités et impose une réflexion en profondeur, le secteur du tourisme international est l’un des moteurs de la croissance économique mondiale et, selon l’OMT (2019), les arrivées de touristes internationaux (visiteurs qui passent la nuit) ont augmenté de 6 % à l’échelle mondiale pour se situer à 1,4 milliard en 2018. C’est nettement plus que le taux de croissance de l’économie mondiale, qui a été de 3,7 %. Quant aux données en provenance de l’Afrique, elles font apparaître une croissance de 7 % en 2018 (+10 % pour l’Afrique du Nord et +6 % pour l’Afrique subsaharienne), avec un total estimé à 67 millions d’arrivées (UNWTO/OMT, 2019).

À ce titre, certains auteurs pensent même que le tourisme serait devenu la première industrie mondiale et représenterait 9 % du produit intérieur brut (PIB) mondial en employant plus de 9 % des actifs (Burhin et Vandalle, 2014 : 32). De nos jours, les statistiques démontrent que ces taux sont progressivement en hausse au fil des ans. Toujours selon les observations de l’OMT, le nombre de touristes internationaux pourrait largement atteindre 1,8 milliard d’ici 2030. Quant au tourisme domestique, moins touché par les crises mondiales, il s’accroît dans pratiquement tous les pays développés et émergents, malgré les crises et les perturbations économiques.

À cet effet, le Conseil mondial du voyage et du tourisme estime que ce secteur pourrait créer 3,8 millions d’emplois (dont 2,4 millions d’emplois indirects) en Afrique subsaharienne au cours des dix prochaines années (Christie et al. , 2013). À l’image des autres secteurs économiques en Afrique (télécom, banque, etc.), celui du tourisme a connu des bouleversements importants à partir des années 2000 en raison de la pénétration du numérique et des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’industrie touristique (Bowden, 2007) . Ainsi, en moins de deux décennies, le tourisme est devenu l’un des principaux utilisateurs de TIC, par le biais des services Internet et d’applications mobiles, transformant considérablement l es habitudes de consommation (réservations, e-paiement, évaluation, plateformes, etc.).

Les pratiques touristiques changent avec de nouvelles conceptions et pratiques qui s’installent et de nouvelles stratégies qui s’affichent (Raffour, 2002 ; Vincent, 2014). Dorénavant, les structures du tourisme profitent des avancées des technologies et se doivent de faire preuve de créativité et d’originalité. Le numérique peut donc être un moyen d’attirer de nouvelles clientèles plus jeunes, ou en tout cas de retenir leur attention par des services numériques comme le jeu ou la «  virtualisation » (Fabry, 2011), mais dans le même temps les pratiques des touristes plébiscitent la mobilité et les applications.

Pour décrypter l’état des lieux de la gestion des sites touristiques en Afrique, nous nous focaliserons sur le cas d’un site culturel et touristique du Burkina Faso inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2009. En nous basant sur le concept d’e-tourisme, nous posons la question suivante : dans quelle mesure les outils numériques peuvent-ils contribuer à une meilleure offre de services en matière de tourisme en Afrique ? De même, en déroulant l’exemple du site des « ruines de Loropéni », quels sont les principaux enjeux de valorisation à travers l’adoption et l’usage des supports numériques ?

Cadre théorique et contextuel de l’étude

Cette première partie explore de façon synthétique l’état de la littérature sur l’apport des TIC à la valorisation du secteur touristique. L’aspect contextuel est également évoqué dans le but de consolider les propos théoriques en les étoffant d’un regard empirique sur le terrain africain et particulièrement sur le cas du Burkina Faso.

De la théorie de l’intégration des TIC dans le secteur touristique

Une définition usuelle désormais classique présente les technologies de l’information et de la communication comme étant un « ensemble des techniques et des équipements informatiques permettant de communiquer à distance par voie électronique » ( Larousse , 2017). Cette définition peut être complétée par celle du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui intègre l’ensemble des aspects communicationnels tels que le traitement, la mise en mémoire, la diffusion et l’échange de l’information.

Au regard de certains travaux ( Djellal et al. , 2004 ; Ben Attou, 2018), l’intégration des TIC dans le tourisme est née à la fois d’une conception industrialiste de l’innovation, de l’inadaptation de nos appareils conceptuels et de nos outils de mesure qui expliquent le besoin sans cesse croissant du renouvellement technologique (Buhalis et Deimezi, 2004 ; Buhalis et Law, 2008 ; Bureth, 2016). Ainsi, dans la taxonomie de l’innovation proposée par Rinaldo Evangelista en 2000, les agences de voyages par exemple relèveraient essentiellement de la catégorie dite des «  technology users  » (Gallouj et Leroux, 2011 : 217).

Cependant, la problématique de l’innovation abordée dans cette étude sous l’angle de l’intégration des TIC (Foray 2000) dans le secteur touristique nous incite à centrer notre question de recherche sur leur apport socioéconomique au secteur du tourisme africain. En effet, les technologies de l’information peuvent être mobilisées pour la valorisation du patrimoine culturel et touristique. Dans ce cas, l’utilisation du support numérique est alors placée au cœur de cette transformation des habitudes de consommation des produits touristiques par et pour les acteurs .

Deux défis technologiques s’imposent clairement au secteur touristique : il s’agit d’une part, pour l’accueil des visiteurs, d’une « mutation réelle du physique vers le numérique » (Buhalis et Deimezi, 2004 ; Cabrespines et Wargnier, 2017) ; d’autre part, pour les produits touristiques, de leur dématérialisation à travers le « Web 2.0, au centre de la prise de pouvoir du consommateur » (Fabry, 2011). Ainsi, les TIC ont révolutionné le secteur du tourisme et l’industrie du voyage et vont continuer à en modifier profondément l’expérience (Buhalis et Law, 2008 ; Fabry, 2011), surtout quand les déplacements deviennent délicats, dangereux et/ou impossibles (confinement). L’intégration croissante des supports numériques dans le secteur touristique a pour effet la naissance de nouveaux concepts au premier rang desquels l’e-tourisme et, donc, l’e-touriste. C’est le cas, en 2020, avec la pandémie de COVID‑19 et la fantastique et inventive croissance de l’offre culturelle et touristique disponible en ligne : cas des musées, des concerts, des sites en 3D, des conférences virtuelles, etc. (Musées virtuels, 2020).

De facto , le tourisme électronique ou e-tourisme désigne l’ensemble des activités et des services du secteur du tourisme qui s’appuient totalement ou partiellement sur le réseau Internet. Par exemple, l’e-tourisme donne des moyens aux usagers de préparer, d’organiser et de réserver des voyages via Internet (Morand et Mollard, 2008). De ce fait, ces utilisateurs ou consommateurs de l’e-tourisme sont désormais nommés de «  touristonautes [1]  » . Concrètement, pour opérationnaliser ce concept, Patrick Viceriat et Claude Origet du Cluzeau, dans leurs travaux prospectifs publiés en 2009, proposent 18 axes stratégiques pour lever les obstacles de croissance économique du tourisme électronique.

Approche contextuelle de l’e-tourisme en Afrique

Concernant les défis que doivent relever les sites africains, nous pouvons souligner ceux liés à la sécurité et à l’accessibilité, notamment l’accessibilité physique aux sites mais aussi aux informations sur les sites par l’adaptation des outils aux usages réels. En Afrique comme ailleurs, les usages numériques se multiplient et suscitent de nouvelles pratiques, de nouveaux besoins et de nouveaux modes de consommation et d’expérience. Internet a profondément marqué la notion de services et d’accueil dans tous les domaines d’activités et plus particulièrement dans le secteur touristique (Conte, 2000 ; Lebrun 2018).

Sur le plan de la structuration du marché touristique, il s’agit de mettre en lumière le s relations entre les multiples éléments du phénomène touristique ainsi que les éléments qui ont une incidence sur l’activité touristique. Les consommateurs sont en effet à la recherche de nouveaux services et on constate une évolution comparable au niveau du comportement des usagers des offices de tourisme ( Keitumetse , 2016 : 132 ) . Il est donc important de modéliser et de cartographier les relations et les dépendances pouvant exister entre tous les agents économiques intéressés (voir le tableau 1 ). Il s’agit par exemple de montrer la succession de stades hiérarchisés en fonction de leur situation relative de clients ou de fournisseurs, de proche en proche vers l’amont ou vers l’aval.

Tableau 1

Structuration du marché de l’e-tourisme en Afrique

Structuration du marché de l’e-tourisme en Afrique
Source : Adapté de Gallouj et Leroux, 2011, «  E-tourisme, innovation et modes d’organisation  ».

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Le tableau 1 présente la structuration partielle de la filière tourisme adaptée au contexte africain. Cette organisation comporte deux principales entités distinctes qui sont d’une part les acteurs de l’e-tourisme et d’autre part leurs partenaires sur le terrain. Elle propose de manière matricielle huit différents niveaux d’intervention des outils technologiques dans le circuit de la promotion du secteur touristique en Afrique. Nous pouvons notamment souligner que ces composantes du paysage touristique illustrées dans le tableau pourraient être mobilisées pour favoriser un accès virtuel à des sites africains de plus en plus attrayants pour les visiteurs nationaux et étrangers : d’où la promotion de l’e-tourisme en Afrique. Le tourisme culturel est alors présenté ici comme un moteur fort de la revitalisation et de la promotion des cultures. De ce fait, la culture devient synonyme d’identité et d’authenticité et apparaît comme l’un des patrimoines les plus importants qu’une collectivité puisse proposer.

État des lieux de l’intégration des TIC dans le patrimoine culturel et touristique au Burkina Faso : cas des ruines de Loropéni

En nous référant à certaines publications scientifiques relatives à la notion du patrimoine culturel et touristique, nous notons que «  l e tourisme s’est invité à la table du patrimoine, les acteurs culturels » ( Coëffé , 2011 ; Coëffé et Morice , 2017). De fait, selon ces mêmes travaux, l e patrimoine culturel se définit comme l’ensemble des biens matériels ou immatériels ayant une importance artistique et/ou historique certaine et qui appartiennent soit à une entité privée (personne, entreprise, association, etc.), soit à une entité publique (commune, département, région, pays, etc.). Quant au tourisme culturel , il désigne une forme de tourisme dont l’objectif est de faire découvrir le patrimoine culturel et le mode de vie d’une région ainsi que de ses habitants ( Coëffé , 2017 ; Coëffé et Morice, 2017 ; Ayouba, 2018 ).

Ce type de tourisme est vaste. Il englobe la visite de sites naturels, le tourisme architectural, mais aussi le tourisme religieux, les déplacements effectués pour assister à des festivals ou des manifestations culturelles, le tourisme gastronomique, la visite de musées, de monuments, de galeries d’art. À titre d’illustration, pour aborder l’intégration des TIC, nous mobiliserons le cas du site des « ruines de Loropéni ». Comme l’illustrent les figures 1 et 2 , ce site culturel, situé au sud-ouest du pays, possède une rare muraille d’environ 6 mètres de haut et 1,40 mètre d’épaisseur, de forme carrée et d’une superficie de 11 130 kilomètres carrés (Centre du patrimoine mondial, 2009 ).

Figure 1

Ruine de Loropéni

Ruine de Loropéni
Source : Ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme du Burkina Faso, 2009.

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Figure 2

Image cartographique du site

Image cartographique du site
Source : Ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme du Burkina Faso, 2009.

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Il est notable que dans sa dynamique de valorisation des sites touristiques, le ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme entreprenne des sorties pour mieux planifier la gestion des ruines de Loropéni car ce site fait actuellement la fierté du Burkina Faso à l’échelle internationale ( Tarnagda, 2018). En effet, il est constitué de constructions rares et représente aujourd’hui un attrait touristique important en Afrique de l’Ouest, entre le Burkina Faso, la Guinée et la Côte d’Ivoire. Son aspect architectural gigantesque en fait un lieu de mémoire pour les visiteurs nationaux et internationaux et l’un des plus visités au Burkina Faso compte tenu de son intérêt historique et touristique. Cependant, force est de constater que ce site est peu valorisé et reste encore largement méconnu au Burkina Faso ainsi que dans la sous-région sahélo-saharienne, nonobstant les travaux d’aménagement touristique réalisés ces dernières années par le ministère de tutelle (voir figures 3 et 4 ).

Figure 3

Photo des ruines

Photo des ruines
Source : Ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso, 2009.

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Figure 4

Plan schématique des ruines

Plan schématique des ruines
Source : Ministère de la Culture et du Tourisme du Burkina Faso, 2009.

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Concernant les potentialités touristiques réservées au site, nous pouvons nous référer aux statistiques de 2016 de l’Observatoire national du tourisme au Burkina Faso. Nous constatons ainsi dans le tableau 2 que les taux de fréquentation des sites culturels tels que les ruines de Loropéni sont variables en fonction de l’origine des touristes et de la période des visites ; cela laisse supposer que la valorisation (transports, informations, accès, signalétique, promotions connexes, accommodations, toilettes, sécurisation du site, etc.) des sites pourrait entraîner une hausse de la fréquentation, voire, à terme, une meilleure rentabilité de l’action touristique. La progression continue des touristes burkinabè est à ce titre tout à fait encourageante, et ce, depuis 2014. Ainsi, l’intégration des outils technologiques – directement dans la gestion du site et/ou indirectement dans la virtualisation du site à destination d’e-touristes – contribue à valoriser l’expérience et à étoffer la demande.

Figure 5

Répartition des visiteurs en 2016 Burkina Faso

Répartition des visiteurs en 2016 Burkina Faso
Source : Observatoire national du tourisme du Burkina Faso, 2016.

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Tableau 2

Variation de la fréquentation des touristes

Variation de la fréquentation des touristes
Source : Observatoire national du tourisme du Burkina Faso, 2016.

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Problématique et questionnement

Le développement des TIC s’opère certes de façon rapide, mais avec une grande disparité régionale entre le sud et le nord du pays (Lecompte, 2000). Le sud, plus particulièrement l’Afrique subsaharienne, accuse un retard en termes de valorisation de ses sites culturels et touristiques. Ce retard est principalement attribuable à l’insuffisance des infrastructures de communication et des réseaux numériques et aux problèmes d’alimentation électrique ( Ouédraogo, 2010) . En effet,l’environnement africain de l’information et des communications présente les caractéristiques suivantes : faible taux de pénétration du téléphone, faible croissance des réseaux, système de réinvestissement de bénéfices qui laisse à désirer, tarification élevée des installations privées, liaisons téléphoniques interurbaines médiocres et infrastructures de réseaux nationaux très variables (ECA, 1999 ; Sagna, 2007).

Plusieurs défis d’offre de services de qualité en matière de tourisme se présentent aux professionnels du secteur touristique en Afrique subsaharienne (Burhin et Vandalle, 2014) et en particulier au Burkina Faso (Somda, 2018 ). Selon Susan Keitumetse (2016 : 126), « le problème majeur, lorsqu’on veut analyser les politiques et le management du tourisme, est de savoir exactement ce qu’est le tourisme ». Le tourisme évoque souvent un ensemble de termes parfois péjoratifs tels qu’oisiveté, fainéantise, vacances, loisirs, etc. Pour Twan Huybers et Jeff Bennett (2003 : 572), la croissance du tourisme est attribuable en grande partie à « l’amélioration de l’efficience des transports, ainsi qu’aux réductions de coûts et de prix des moyens de locomotion   ».

Or, il apparaît que la fréquentation des sites touristiques en Afrique est essentiellement freinée par l’absence ou l’insuffisance de développement, premièrement des infrastructures d’accès au site d’accueil et à l’hébergement, deuxièmement à l’insuffisance d’information sur le site lui-même. Ce type de handicap – allant de l’éloignement des aéroports à la médiocrité des routes, voire des hôtels – rend difficile toute action de promotion des sites touristiques (Granjon et al. , 2009 : 819) . Toutefois, nous nous focaliserons essentiellement dans cette seconde partie non pas sur les handicaps – connus –, mais sur la contribution potentielle – moins connue – de l’intégration et du déploiement des technologies numériques dans un tourisme et une pratique d’e-tourisme en Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso.

De la complexité de l’intégration des TIC au tourisme en Afrique

Jean-Pierre Lozato-Giotart et Michel Balfet (2007 : 234) observent que les activités touristiques relevant de l’univers des services ne sont pas « toujours nettement perçues dans la mesure où l’on constate que le produit touristique se traduit concrètement par des chaînes de fonctions intégrant des prestations de biens matériels, aisément identifiables par le consommateur et des prestations immatérielles dont l’importance et l’étendue sont difficilement perçues par ce dernier ». À ce titre, la figure 6 montre la diversité des rôles et des missions des TIC dans le secteur du tourisme.

Figure 6

Interactivité entre TIC et tourisme

Interactivité entre TIC et tourisme
Source : Lozato-Giotart et Balfet, 2007, « Management du tourisme », p. 234.

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De facto , le tourisme apparaît souvent comme la résultante de relations de service entre un prestataire (agence de voyages, hôtel, transporteur) et un touriste qui reposent sur un support de consommation de type industriel (chambre d’hôtel, table de restaurant et menu), avec parfois l’intermédiation de plateformes (Booking.com, Hotel.com, Tripadvisor.com, etc). Ainsi, ces relations – échanges d’information et de flux physiques – créent une forte interactivité entre le secteur touristique et plusieurs autres domaines d’investissements socioéconomiques, voire géopolitiques (Werthner et Klein, 2006 ; Lozato-Giotart et Balfet, 2007) . Cette singularité des interpénétrations et de la circulation des flux informationnels/physiques est à la fois source d’opportunités et de menaces pour le développement du tourisme en contexte africain.

La question de la non-qualification des personnes ressources « in situ »

L’innovation technologique et informationnelle est importante pour la valorisation des services touristiques (Aldebert, 2008) . Dès lors, de nombreux travaux insistent sur les trajectoires de recherche qui débouchent presque systématiquement sur des analyses en termes d’impacts et d’effets (Wade et Raffour, 2000 ; Weiermair, 2001 ; Aldebert, 2006). Malheureusement, dans le cas africain, l’ignorance ou du moins la méconnaissance des attentes des clients, l’absence de standard pérenne, la discordance entre les services offerts et les normes ou encore un manquement aux promesses de service – créant une forte frustration des clients – constituent quelques facteurs fréquents de la non-qualification des prestataires de services touristiques sur le continent (Burhin et Vandalle, 2014).

De plus, la moindre qualité des services et les réclamations des clients entraînent la plupart du temps une perte financière et de notoriété pour les voyagistes africains. À titre d’illustration, une étude réalisée en 2006 aux Pays-Bas, auprès de 20 000 sociétés de plus dix employés, avait évalué le coût de la non-qualité de services à environ 400 millions d’euros ( ibid. ).

Propositions de recherche et démarche méthodologique

Nous déploierons une méthodologie mixte (qualitative et quantitative) pour aborder les propositions de recherche liées essentiellement à l’utilisation du téléphone portable, qui est la technologie la plus fréquente et la plus accessible sur le terrain.

Propositions de recherche

Nous retenons donc la proposition principale (PP) selon laquelle l’utilisation des outils technologiques dans le domaine du tourisme peut contribuer à la valorisation des sites touristiques africains. En tenant compte de la spécificité du terrain de Loropéni, mais aussi de l’omniprésence et de la robustesse de la technologie « téléphone portable » notamment en brousse – plutôt que celles des ordinateurs fixes ou portables –, cette PP peut être subdivisée en trois sous-propositions :

  • P1 : Le téléphone portable constitue l’outil technologique le plus utilisé par les e-touristes du site de Loropéni.

  • P2 : L’utilisation du téléphone portable pour se connecter aux sites Web touristiques peut influencer positivement le taux de fréquentation des ruines de Loropéni.

  • P3 : L’utilisation des applications touristiques peut contribuer à valoriser les sites touristiques africains, en l’occurrence les ruines de Loropéni.

Démarche méthodologique

L’objectif principal de notre méthodologie mixte est de répondre à notre question de recherche principale : quels sont les apports des TIC à la valorisation du tourisme en Afrique et plus spécifiquement au Burkina Faso ? Notre démarche est ainsi fondée sur la combinaison de deux approches distinctes. Il s’agit, d’une part, d’une méthodologie qualitative basée sur une étude de cas unique portant sur le site de Loropéni et, d’autre part, d’une méthodologie quantitative basée sur des entretiens semi-directifs et sur l’administration d’un questionnaire destiné aux usagers de la technologie mobile et aux visiteurs potentiels du site.

Une méthode mixte qualitative/quantitative

L’approche hypothético-déductive (Allard-Poesi et Perret, 2014 : 14) est correctement adaptée à notre domaine de recherche. Partant de l’approche qualitative, nous cherchons à cerner la complexité du phénomène étudié, c’est-à-dire l’intégration des TIC dans le tourisme. Il s’agit de collecter des données difficilement accessibles – et sensibles – en mobilisant une étude de cas ( David, 2001 : 85 ) . Celle-ci est complétée par des données quantitatives collectées sur le terrain aux alentours de Loropéni. L es études de cas relèvent d’une approche instrumentale « destinée à mieux circonscrire un phénomène à partir de cas multiples, dans une optique plutôt exploratoire » (Yin, 2003).

La méthode d’étude du cas unique

Notre recherche a donc privilégié l’étude de cas unique portant sur le site des « ruines de Loropéni » . Cette étude nous incite – après nous être familiarisé avec le site – à marquer, mois après mois, notre présence physique sur le terrain, afin de collecter des informations portant sur l’utilisation des outils technologiques – téléphones portables notamment – par les touristes potentiels. La forme d’entretien privilégiée est celle de l’entretien individuel ou semi-collectif, in situ et en face-à-face. Cette technique consiste pour l’intervieweur à s’adresser « séparément à un petit nombre de personnes » (Fenneteau, 2015 : 9). Les d eux principaux outils de collecte de données que nous avons mobilisés sont l’entretien semi-directif et le questionnaire. Les entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’experts, soit une dizaine de responsables d’agence de voyages et de services touristiques locaux. Quant aux questionnaires, ils ont été administrés auprès de touristes, soit une soixantaine de visiteurs réels et potentiels des ruines de Loropéni et parfois issus du milieu socioprofessionnel de l’e-tourisme au Burkina Faso. Ces derniers répondants – touristes – fréquentent donc aussi régulièrement les autres sites touristiques du pays, ce qui leur permet un certain recul comparatif par rapport à Loropéni. Nous avons notamment eu recours à ces deux cohortes d’experts et de semi-experts en « remobilisant » le panel de répondants que nous avions déjà sollicités en 2017 lors de notre recherche doctorale centrée sur la numérisation de la cinémathèque de Ouagadougou, structure liée au ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme (Tapsoba, 2016).

Présentation et analyse des résultats de l’étude

Après un codage manuel et un traitement logiciel (statistiques essentiellement descriptives via MS Excel) des données collectées, les principaux résultats issus du cas unique des ruines de Loropéni font ressortir trois phénomènes. Le site est difficilement accessible certes mais tout à fait authentique et original. Les outils technologiques utilisés par les touristes nationaux sur le site sont essentiellement des téléphones portables de type classique (et non pas des téléphones intelligents ou smartphones , car les applications mobiles sont inexistantes et l’Internet est inaccessible). Les statistiques relevées montrent que 69 % des visiteurs sont nationaux, ce qui est très élevé, et qu’ils sont majoritairement dotés de téléphones portables de base ( dumb phone ) qu’ils utilisent pour communiquer entre eux (SMS) sur le site même ou pour collecter de nouvelles informations (photographies, courtes vidéos, etc.) qu’ils diffusent ensuite sur les réseaux. Ce sont donc les touristes eux-mêmes qui sont le premier vecteur de diffusion d’informations – sérieuses ou non, fiables ou non, etc. – du site de Loropéni.

Pour rappel, plus de la moitié (56 %) de la population en milieu rural possède un téléphone mobile contre 87 % en milieu urbain. Chez les hommes, 79,4 % disposent d’un téléphone contre 51,7 % chez les femmes, soit un écart de 27 points de pourcentage. Nos résultats témoignent aussi, de façon connexe et indirecte, de l’expansion forte de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication au Burkina Faso tout en soulignant la faiblesse de la pénétration des smartphones connectés au réseau Internet et donc aux applications d’e-tourisme qui pourraient étoffer l’offre culturelle.

De façon plus détaillée, nous soulignons que le téléphone portable est utilisé par au-delà de 64 % des touristes potentiels de 15 ans et plus. Parmi les personnes ne disposant pas de téléphone portable, 35 % déclarent l’avoir utilisé. Au contraire, l’utilisation de l’ordinateur et de la connexion Internet est très faible à l’échelle nationale. Seulement 5 % des Burkinabè âgés de 15 ans et plus ont utilisé au moins une fois l’ordinateur durant les 12 mois précédant l’enquête. En milieu rural le taux d’utilisation est de 1 %. Les résultats ci-dessus permettent de montrer que la première proposition de recherche liée au téléphone portable est confirmée sur le terrain. Dès lors, le tableau 3 nous permet d’aborder les données nécessaires pour répondre et nous positionner face à nos deux autres propositions de recherche. Ce tableau s’inspire de celui sur les relations complexes entre les technologies, les services et le commerce dans le domaine du tourisme (Gallouj et Leroux, 2011 : 42).

Tableau 3

Interaction entre outils technologiques et valorisation du site touristique

Interaction entre outils technologiques et valorisation du site touristique

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Ainsi, plusieurs défis touristiques peuvent être relevés en fonction du degré d’interaction – et d’alignement – entre prestataires de service touristique et visiteurs potentiels d’un site touristique. Les obstacles d’accès à l’information sur le site et sur son accueil peuvent être levés de façon anticipée et sincère par exemple par la communication préalable à la visite proprement dite d’un site culturel, naturel ou touristique et l’amélioration des données factuelles centrées sur le site. Le tableau 3 met certes en évidence les aspects positifs de l’utilisation de l’outil technologique sur les prestations touristiques et il s’agit ici de la valorisation du patrimoine touristique. Toutefois, ce même tableau illustre les impacts socio-technologiques de la valorisation des sites touristiques – la réalité sur le terrain – dès lors que les outils technologiques (téléphone portable) sont exploités en bonne intelligence à la fois par les e-touristes et les prestataires de services, grâce à une information fiable et sincère.

Discussions et limites

Nous insistons ici sur les nombreux travaux qui ont déjà pu montrer que les liens entre technologie et tourisme ne se limitent pas à cette question de l’effet positif de l’adoption ou de l’utilisation des TIC dans le secteur du tourisme ( Coëffé, 2011 ; Gallouj et Leroux, 2011 ; Vincent, 2014). En cette année où la moitié de l’humanité est confinée – y compris en Afrique et au Burkina Faso –, il s’agit aussi de souligner que le numérique, la virtualisation et les technologies de l’information peuvent tout à fait contribuer à faire connaître un peu mieux – différemment – des sites totalement sous-estimés ou sous-médiatisés (cas des ruines de Loropéni), à la condition qu’ils aient été préalablement filmés, documentés, photographiés, commentés, critiqués, etc. ( Deltour et Lethiais, 2014 : 51).

Paradoxalement, cela permettrait aussi de diminuer des fréquentations, parfois abusives et dégradantes, de certains sites culturels fragiles et, donc, à la nature de reprendre un peu de sa place perdue, et cela, tout en évitant de détériorer l’authenticité des sites. Cette détérioration peut entraîner parfois la disparition du site lui-même si rien n’est fait (cas de Pamukkalé en Turquie ou de certains bagnes de Guyane, par exemple). Les visites touristiques sur les sites culturels nécessitent une prise de mesures conservatoires pour une bonne gestion des sites à visiter. Ainsi, «  la mise en patrimoine prépare la mise en tourisme ou, du moins, la favorise » ( Lazzarotti, rapporté par Coëffé , 2011).

En ces temps de confinement, et donc d’impossibilité de se déplacer physiquement sur les sites, ce procès en patrimonialisation et en mise en tourisme négociée constitue sans nul doute un enjeu majeur pour une grande diversité d’acteurs. Leurs projets peuvent être concurrents ou convergents, à eux de les valoriser virtuellement avant de les confronter aux réalités physiques. Toutefois, au regard de la demande croissante de « consommation » de sites culturels, certains auteurs pensent que le recours aux TI peut aussi générer des conséquences négatives à long terme, surtout pour ce qui concerne les sites naturels (sites fauniques, aquatiques, etc.).

Suivant le rapport de Greenpeace international (2012), publié à l’issu du colloque du European Journal of Cancer portant sur les Information Technologies and Communication (EJC - ICT), les TIC émettent autant de dioxyde de carbone (CO 2 ) – 2 % à 5 % des émissions globales annuelles, selon les pays –, que l’industrie aéronautique tout en affichant une croissance de 20 % par an ». En effet, selon ce rapport, « Certains centres de traitement des données consomment autant d’électricité que 250 000 foyers européens. Si le cloud était un pays, il se classerait au 5 e  rang mondial pour la demande en électricité, et ses besoins devraient être multipliés par trois d’ici à 2020. » Or, dans la plupart des pays africains, cette ressource énergétique et technologique, Cloud Computing , réseaux télécoms et data centres , est souvent difficile à mobiliser sur le terrain et parfois même impossible au niveau national ou sous-régional (Buhalis, 2004). La conséquence est la croissance de l’activité des outils numériques et des applications liées aux géants du numérique : Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) et aux plateformes non africaines, ce qui remet en question de facto la souveraineté des informations culturelles (Bidan, 2020).

Conclusion et perspectives

Il y a des impacts positifs liés à l’intégration des TIC, et notamment des téléphones portables robustes et peu énergivores ( dumb phones ), dans l’e-commerce et le secteur du tourisme ( Mamaghani, 2009) . Toutefois, le temps des téléphones intelligents ( smartphone s) n’est pas encore arrivé aux ruines de Loropéni en raison principalement de réseaux défaillants sur le site et aux alentours de celui-ci. Notre investigation sur le cas des « ruines de Loropéni » au Burkina Faso fait voir que les acteurs « physiques » du tourisme local connaissent bien la montée en puissance des TIC et souffrent de cette désintermédiation permise par l’essor d’Internet qui induit pour eux une perte de légitimité. Ils sont conscients de la nécessité de présenter et de valoriser leur offre sur Internet, soit à travers leur site Internet (visite virtuelle), soit en se référençant par le biais d’un intermédiaire (plateforme), soit enfin en « jouant le jeu » des réseaux sociaux (réponses aux commentaires, partage, buzz , etc.).

En termes de perspectives, il leur faudrait minimiser les fréquentations abusives ou non respectueuses – souvent par manque d’information des visiteurs eux-mêmes – des sites culturels car elles détériorent leur authenticité et peuvent entraîner la disparition du site lui-même si rien n’est fait, notamment lorsqu’il est fragile (bois, sable, ruines, etc.). Enfin, le potentiel d’un tel site – rare en Afrique de l’Ouest – impose de penser et d’anticiper les visites touristiques qui vont arriver – après le confinement et peut-être même grâce au confinement et à la médiatisation rampante du site –, et de prévoir des mesures pour une bonne préservation de ce site et de nombreux autres dispersés sur le continent. Paradoxalement, les téléphones portables utilisés par les visiteurs pourraient – c’est d’ailleurs envisagé avec les opérateurs téléphoniques qui géolocaliseront les voyageurs – véhiculer des « gestes barrières touristiques » par de simples SMS (textos) de sensibilisation, de préservation et de bonnes pratiques touristiques in situ . L’imbrication du tourisme et du e-tourisme, du touriste et du e-touriste, du site et du e-site grâce aux technologies de l’information est une réalité en construction.