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Le théologien camerounais Jean-Marc Ela n’a pas besoin de présentation. Son parcours et ses écrits demeurent une référence incontournable en théologie et en sociologie africaines. À ce titre, sa pensée féconde les travaux des théologiens, des sociologues, des philosophes, des historiens, des anthropologues, des économistes, des politologues, des hommes et femmes de culture, des démographes, des écologistes et des spécialistes des diverses sciences qui s’intéressent au devenir de l’Afrique. Ci-après nous présentons le théologien camerounais ainsi que son oeuvre.

1 Biographie sommaire et options théologiques

Jean-Marc Ela est né le 27 septembre 1936 à Ebolowa, chef-lieu de la région du Sud Cameroun. Il est décédé le 26 décembre 2008 à Vancouver (Canada) à l’âge de 72 ans (Assogba 1999, 14). Prêtre catholique du diocèse d’Ebolowa, universitaire de grande envergure, il est sociologue, anthropologue et théologien. C’est en 1969 qu’il soutient une thèse en théologie à l’Université de Strasbourg, en France. Sa thèse de doctorat qui porte sur Luther est décisive dans son ministère de prêtre et sa carrière de chercheur. J.-M. Ela a en outre un doctorat de 3e cycle en anthropologie sociale et culturelle (Sorbonne, 1978) ainsi qu’une habilitation en sociologie (Strasbourg, 1990).

J.-M. Ela a enseigné au Petit Séminaire Saint Jean XXIII d’Ebolowa et à Sangmélima, Collège de Kizito. Deux ans après son retour de France, Ela quitte le Sud-Cameroun pour le Nord où il s’établit, probablement de 1971 à 1985 (Assogba 2017, 13). Sur les pas de Baba Simon, J.-M. Ela met ses compétences de théologien et de sociologue au service de « l’Afrique d’en bas ». Il fait de la théologie à partir du vécu des Kirdi, fécondant vigoureusement par le même fait le quotidien en conjuguant les techniques et méthodes de la sociologie au discours théologique.

Deux idées-forces émergent et constituent un des apports originaux de J.-M. Ela à la rationalité africaine de son temps. En premier lieu, la méthode qui consiste à interpréter des faits sociaux à partir de l’instance théologique fondamentale. J.-M. Ela n’envisage pas les sciences humaines comme des auxiliaires à sa théologie de libération. Pour lui, la théologie et les sciences humaines forment une unité sans fissure dans sa démarche intellectuelle de telle sorte que le dynamisme qui en résulte se déploie dans une série d’actes savants pleins d’une créativité rigoureusement caractérisée. Cette manière d’envisager la relation entre les sciences humaines et la théologie a un impact important sur la trame de son discours dont la rhétorique axiale débouche sur la corrélation entre le politique et le religieux. En conséquence, le théologien camerounais appelle à la responsabilité et à l’engagement politique des théologiens. Bref, son discours convie intrinsèquement à une éthique de l’engagement prophétique dans l’aujourd’hui des sociétés africaines.

En deuxième lieu, sa théologie prophétique est un exemple éclatant de ce qu’il appelle le « témoignage de la foi vécue » jusqu’au bout. La haute connaissance scientifique acquise par la démarche méthodologique (épistémè) qui supprime la subordination des sciences sociales par rapport à la théologie, tout en respectant la finalité théologale de cette dernière, ne se réduit pas seulement et purement à un fait de pensée, une gnose intellectualiste. Comme conséquence, son parti-pris pour les pauvres s’articule – tant dans sa vie personnelle que pour ce qui est de la mission de l’Église et de la théologie – autour des exigences de la justice sociale, de l’espérance vécue dans l’actualité de cette histoire qu’elle implique, du développement de l’Afrique noire. Sa recherche vise la reconstruction de la société sur la base des valeurs africaines mises en dialogue avec les préceptes de l’Évangile. J.-M. Ela s’oppose ainsi à une théologie africaine qui idéalise le passé de l’Afrique et néglige les enjeux majeurs de l’histoire actuelle du continent noir.

De ce fait, dans son entendement, la théologie africaine entend « Dire Dieu et libérer l’Afrique » (Ela 1990). En fait, ce projet qu’il appelle la « Théologie sous l’arbre » est une reprise des défis du passé et du présent des Africains en vue de poser les bases d’un avenir ouvert et un devenir heureux. Dans ce projet, J.-M. Ela a choisi le camp des pauvres avec qui il s’engage coude à coude dans la lutte pour la libération de l’Afrique. Bien plus, il leur accorde la parole et s’engage à dire Dieu à la marge de l’histoire avec les mots des marginalisés (Ela 2003, 109-115).

La science et la pensée de J.-M. Ela sont plurielles, fécondes et riches, une contribution singulière, déterminante et diversifiée en théologie, en anthropologie et en sciences sociales africaines (cf. Eboussi Boulaga 2012 ; Ndongala 2017 et 2009 ; Devisch 2012, 17-22 ; Akam, 2011 et Assogba 2012). D’ailleurs, la richesse de sa contribution a été soulignée par une distinction honorifique. En effet, J.-M. Ela a été élevé en 1999 au grade de Doctor honoris causa de la KU Leuven (Belgique) et il a reçu, des Associations littéraires, le Grand Prix de la mémoire pour l’édition 2018.

Assurément, la carrière d’enseignant de J.-M. Ela a souffert de son engagement auprès des pauvres. Elle a été marquée par l’exclusion. Le théologien catholique n’a jamais enseigné dans une université catholique ni une institution d’enseignement catholique. À partir de 1985, J.-M. Ela a enseigné à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Yaoundé I. Sa détermination à faire la lumière sur l’assassinat en 1995 du Père jésuite Engelbert Mveng l’exposera aux menaces des autorités camerounaises. Cette situation entraînera son exil au Canada. Ce sera l’occasion pour lui d’enseigner à l’Université Laval, à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal. Son exil canadien sera fécond en écriture et lui permettra de rédiger et de léguer son dernier ouvrage théologique à la postérité (Ela 2003). Le théologien qui a appris à lire la Bible avec les yeux de son peuple (Ela 2003, 55) a ouvert la voie à un discours audacieux sur le Dieu subversif. Les marges de l’histoire (Ela 2003, 109), comme lieu d’émergence et de diffusion de ce discours, sont l’espace de réinvention de l’Église (Ela 2003, 95). C’est à ce titre que celui-ci promeut un christianisme africain (Ela 2003, 102). J.-M. Ela meurt le 26 décembre 2008 sur sa terre d’exil, à Vancouver (Canada).

2 Ouvrages majeurs

J-M. Ela est un auteur prolifique. À son actif, on retient un nombre important d’articles et d’ouvrages de théologie et de sociologie. Certains parmi ses livres ont été traduits dans d’autres langues, notamment l’allemand et l’espagnol. On ne soulignera jamais assez que de nombreuses productions scientifiques existent sur ses oeuvres et que, encore aujourd’hui, beaucoup de mémoires et de thèses ont pour objet sa pensée.

Parmi les titres les plus importants de sa production théologique, on retiendra :

Ela, J.-M. (1980), Le cri de l’homme africain. Questions aux chrétiens et aux Églises d’Afrique, Paris, L’Harmattan.

_____ (1981), De l’assistance à la libération. Les tâches actuelles de l’Église en milieu africain, Paris, Centre Lebret.

_____ (1985), Ma foi d’Africain, Paris, Karthala.

_____ (1992), Le message de Jean-Baptiste. De la conversion à la réforme dans les Églises africaines, Yaoundé, Éditions Clé.

_____ (2000), Les Églises face à la mondialisation. Quatre réflexions théologiques, Bruxelles, Commission Justice et Paix.

_____ (2003), Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala.

Ela, J.-M., R. Luneau, C. Ngendakuriyo et V. Cosmao (1981), Voici le temps des héritiers. Églises d’Afrique et voies nouvelles, Paris, Karthala.