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Dans son ouvrage, Jacques Rouillard présente une synthèse élargie des rapports entre les groupes syndicaux et l’État et adopte, sans surprise, une approche militante. L’auteur avance l’idée que l’influence continuelle des grandes centrales syndicales auprès des paliers gouvernementaux a activement contribué à favoriser la construction du filet social au Canada et au Québec.

Les dix chapitres de l’ouvrage ont été conçus séparément et peuvent être, à certains égards, répétitifs. L’auteur offre un tour d’horizon impressionnant des facteurs qui ont agi sur le syndicalisme canadien et québécois depuis la fin du XIXe siècle : conjonctures économiques et politiques changeantes, formation et évolution des centrales syndicales, formulation de politiques publiques favorisant le droit à la syndicalisation et amélioration de la législation du travail, changement du taux de militantisme, etc. Cela dit, les nombreux détails présentés dans l’ouvrage ne permettent pas d’obtenir un portrait adéquat de la situation syndicale au Québec. L’ouvrage nous rappelle bien la complexité de l’histoire ouvrière : la série d’événements qui la définissent semble infinie et l’historien a le continuel défi de faire la synthèse de cette longue histoire. À première vue, le contenu dense de l’ouvrage, qui ne suit pas toujours une structure chronologique, semble déborder de faits alors que d’autres événements fondamentaux sont parfois rapidement expliqués. Il s’agit sûrement d’un choix conscient de la part de l’auteur qui a déjà amplement écrit au sujet du syndicalisme. Malgré tout, l’ouvrage constitue une bonne revue des grandes vagues de syndicalisation.

La première section de l’ouvrage, qui traite du rapport syndicat-État, tente de démontrer les particularités du syndicalisme québécois dans ses échanges avec les pouvoirs politiques. Déjà au début du XXe siècle, des groupes syndicaux comme le Conseil des métiers et du travail de Montréal s’opposent à la tournure particulièrement conservatrice de la société québécoise et créent les bases d’un projet de société sociale-démocrate. Dans un autre ordre d’idées, il semble que les centrales syndicales soient manifestement plus radicales du côté québécois, surtout après la Révolution tranquille. Elles soutiennent directement certains partis politiques, comme le Parti Québécois dans les années 1970. Mais comme le démontre très bien Rouillard, le syndicalisme québécois n’est pas isolé du reste du pays : dans les années 1930 et 1940, c’est le CCF, prédécesseur du NDP, qui prend de l’ampleur grâce à l’appui syndical qu’il reçoit. Et les liens avec le syndicalisme canadien vont encore plus loin puisque certains syndicats demeurent sous tutelle canadienne.

La deuxième section, qui tente d’analyser la place des syndicats dans l’arène politique, démontre bien comment les syndicats sont devenus des organismes très politisés, surtout lorsqu’ils soutiennent les partis politiques les plus susceptibles de supporter leurs demandes et leurs grands projets de société. Le lien entre le nationalisme et le syndicalisme au Québec est d’abord basé sur un rapport linguistique. Avec efficacité, Rouillard démontre que les prises de position des syndicats évoluent avec la conjoncture politique. L’intervention du fédéral semble communément acceptée en temps de crises, alors que l’autonomie provinciale devient un sujet brûlant dans les temps de prospérité.

Dans ces deux sections, Rouillard perçoit les syndicats comme de véritables agents de transformation. Bien qu’il réussisse à démontrer la contribution active des syndicats dans la société, la place centrale de ces derniers, en tant qu’acteurs capables d’agir sur l’histoire, semble ici un peu exagérée, comme si les syndicats étaient les seuls véritables outils de pression auprès des institutions étatiques. Cette perception positive du syndicalisme n’est pas inhabituelle chez les historiens du travail. Si elle permet de légitimer la place des syndicats à travers des études scientifiques, elle ne permet pas néanmoins de renouveler la perspective historique dans laquelle est présentement étudiée l’histoire du travail. À ce chapitre, l’auteur offre des analyses prévisibles : récits des grandes centrales syndicales, mobilisation ouvrière, positions des gouvernements, bref, une histoire qui ne remet aucunement en question le rôle des syndicats. Les sources utilisées vont dans le même sens : les archives syndicales et les documents publiés par les syndicats eux-mêmes sont mis à profit, soit des procès verbaux, des mémoires et ainsi de suite. Ces sources, malgré leur utilité pour comprendre l’histoire du travail, ne permettent que l’examen des acteurs les plus illustres, sans compter qu’elles ne permettent pas de questionner efficacement la légitimité des actions syndicales. Si Rouillard affirme, à de multiples reprises, que les syndicats ont toujours voulu protéger les intérêts des travailleurs, l’analyse mise de l’avant par ce dernier démontre plutôt comment les syndicats se sont politisés. On pourrait dire autrement que l’auteur fait sien le concept de solidarité ouvrière, alors que les travailleurs eux-mêmes se retrouvent à peine dans cette l’analyse.

Enfin, ce n’est que dans la dernière partie que Rouillard analyse les perceptions du syndicalisme canadien et québécois, et offre une analyse intéressante de l’opinion publique face aux syndicats. En utilisant les sondages d’opinion publique, comme ceux de la firme Gallup et de la firme Angus Reid par exemple, Rouillard démontre comment les Canadiens sont majoritairement favorables au droit de syndicalisation. À l’aide de divers tableaux comparatifs, il peint le portrait d’un solide appui au syndicalisme, qui varie néanmoins selon la conjoncture politique et économique en place. S’ils sont perçus par certains comme trop puissants et s’ils ont perdu de la crédibilité, les syndicats font néanmoins toujours partie de la société contemporaine. Somme toute, en dépit de son orientation prosyndicale, le texte de Rouillard nous rappelle que le syndicalisme n’est pas une chose du passé, et que son histoire est loin d’être complète.