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D’année en année, le patrimoine culturel fait l’objet d’un nombre sans cesse croissant d’études dans la communauté scientifique. Depuis peu, cette dernière l’aborde, en partie, sous l’angle de la patrimonialisation. Elle scrute les processus au fil desquels l’objet, l’ensemble d’objets et même l’héritage immatériel acquièrent des significations individuelles ou sociales. En raison de plusieurs facteurs reliés, entre autres, à la pratique religieuse qui a cours aujourd’hui dans les sociétés occidentales, le patrimoine religieux figure avantageusement parmi les objets et les manifestations à l’étude par la communauté scientifique. Le Québec n’est certainement pas en reste. En 2005 et 2006 paraissaient, à quelques mois d’intervalle, deux collectifs consacrés entièrement à la problématique : Le patrimoine religieux du Québec : entre le cultuel et le culturel (sous la direction de Laurier Turgeon, Presses de l’Université Laval) et Quel avenir pour nos églises ? (sous la direction de Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Thomas Coomans, Presses de l’Université du Québec). C’est à ces ouvrages, et à d’autres études spécialisées, que s’ajoute Le patrimoine religieux du Québec. Éducation et transmission du sens, publié aux Presses de l’Université Laval en 2009, sous la direction de Solange Lefebvre.

Préparé à la suite d’un colloque ayant eu lieu en 2006 à l’initiative de la Chaire religion, culture et société de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal (dont Solange Lefebvre est titulaire) en collaboration avec le Conseil du patrimoine religieux du Québec, l’ouvrage Le patrimoine religieux du Québec. Éducation et transmission du sens contient vingt-quatre textes qui sont regroupés en trois parties distinctes : 1- « Visions du patrimoine religieux » ; 2- « Éduquer au patrimoine » ; 3- « Histoires de transmission et de sauvegarde ». D’une façon générale, l’ouvrage ne situe pas son argumentaire dans le champ du courant d’études des patrimonialisations. Mis à part quelques rares contributions comme celle de Laurier Turgeon et de Louise Saint-Pierre (« Prolégomènes à une base de données multimédia du patrimoine religieux immatériel du Québec »), il propose peu d’analyses permettant de dépister les processus par lesquels les biens mobiliers et immobiliers cléricaux en sont venus à être considérés comme partie prenante du patrimoine culturel de la collectivité québécoise. En revanche, comme l’indique son titre, il entend s’attacher « à l’examen des multiples enjeux de la transmission du patrimoine aux générations montantes et aux populations récemment installées en sol québécois » (p. 27). C’est d’ailleurs justement à l’aune de la transmission que le collectif propose des réflexions novatrices en matière de patrimoine religieux. Celles-ci tiennent, pour certaines, à la notion de transmission elle-même. Dans ce registre se démarque le texte « Entre le matériel et l’immatériel : quelques considérations sur la transmission du sens du patrimoine religieux », de Bernard Brodeur, président de la Commission de la culture sur l’avenir du patrimoine religieux (tenue en 2005), qui explore les rapports entre la propriété ecclésiastique et sa mise en récit patrimoniale.

D’autres textes abordent le patrimoine religieux et sa transmission sous l’angle des chevauchements qu’ils impliquent entre les registres laïques et religieux. Marc Pelchat (« Les langages du patrimoine religieux et la ‘survie du sacré’») cherche à positionner le patrimoine dans le rapport de la religion à l’existence, alors que Maxime Allard, o.p. (« Des visées croisées à l’occasion du patrimoine ‘religieux’ ») relève quelques tensions qui découlent des contacts entre le patrimoine culturel et le religieux. Christine Cheyrou (« La sacristie et le conservateur ») explore les processus par lesquels l’exposition muséale d’art religieux est susceptible de transformer le musée en un nouvel espace de sacralité. Puis, dans deux des contributions les plus stimulantes de l’ouvrage, Pierre Lucier et François-Marc Gagnon situent la transmission du patrimoine religieux dans un registre proprement culturel. Le premier en souhaitant qu’elle rejoigne l’« ‘esprit du lieu’, c’est-à-dire cela même qui, par-delà la date et la grammaire des signes, opère comme une force de signification toujours agissante » (p. 149) et le second en proposant de projeter le patrimoine religieux dans la sphère de l’art et de faire de lui l’« objet d’un jugement de goût » (p. 156) qui puisse susciter des débats publics.

Plusieurs textes de l’ouvrage militent en faveur de l’extension de la notion de patrimoine et de son ouverture au « patrimoine immatériel », sorte d’héritage culturel vivant des communautés. C’est le cas du texte de L. Turgeon et de L. Saint-Pierre, mais aussi de ceux de Bernard Brodeur, de Christina Cameron et d’Olivier Bauer. Le lecteur ne manquera pas de remarquer les récentes percées de l’ethnologie derrière cette ouverture au patrimoine immatériel.

En lien avec une partie de l’objectif poursuivi par l’ouvrage, des textes se consacrent finalement aux enjeux de la transmission du patrimoine religieux dans les communautés issues de l’immigration et dans les générations montantes. À cet égard, on notera particulièrement les patientes recherches de Pierre Anctil sur la communauté juive de Montréal ou encore les réflexions de Denis Watters (« Le patrimoine religieux dans un programme québécois d’éthique et de culture religieuse »).

En posant essentiellement la question du patrimoine religieux sous l’angle de l’intelligence qui préside à sa transmission, l’ouvrage Le patrimoine religieux du Québec. Éducation et transmission du sens marque un apport au champ des études consacrées à la problématique du patrimoine religieux, au Québec. À terme, le lecteur en retiendra notamment que l’« avenir du patrimoine religieux repose sur l’équilibre des rapports de force entre les communautés croyantes, la société civile, les instances gouvernementales compétentes et les experts » (p. 20). À la vue des textes savants qui côtoient les écrits de théologiens et de politiques, il y trouvera aussi, indirectement, un témoignage patent de l’épistémologie du patrimoine culturel contemporain dont la construction résulte, la plupart du temps, d’une demande sociale qui dépasse le seul domaine académique.