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Derrière la couverture de cette biographie de Jacques Viger se cachent en vérité deux livres. En une première partie de quelque 120 pages, Léo Beaudoin trace à grands traits les origines, faits d’armes et accomplissements de Jacques Viger tout en nous éduquant sur le contexte. Dans la seconde moitié de cet ouvrage, Renée Blanchet présente son édition de la correspondance échangée entre Jacques Viger et sa femme, Marguerite, entre 1808 et 1813. Deux ouvrages en un, donc, rédigés par deux auteurs qui présentent deux contenus différents et s’adressent en apparence à deux lectorats aux intérêts dissemblables: le curieux d’histoire que l’on sait friand de biographies, et l’historien patenté, à qui la seconde partie de ce livre évitera un patient travail de transcription de sources manuscrites. Il apparaît donc préférable de diviser ce compte rendu en deux.

La biographie d’abord. Rédigée d’une plume élégante par un historien amateur qui, comme il l’avoue dans un entretien publié sur le site web de la maison d’édition, poursuit « des recherches à tâtons et sans méthode scientifique », la portion biographique de cet ouvrage ne repose sur aucune méthodologie clairement exposée, l’introduction se contentant d’annoncer le « personnage hors du commun » dont il sera question. Sans problématique ni hypothèse de recherche, cet essai fait moins l’impression d’une biographie historique, capable, par exemple, de relever et d’expliquer les contingences qui modifient le parcours individuel d’un acteur, que d’un panorama prospectif qui replace l’acteur dans son époque, une vue d’ensemble, en somme. L’auteur, en vérité, n’entretient d’autre ambition que celle du défricheur: ouvrir une voie encore peu empruntée, jeter un peu de lumière sur un personnage méconnu de l’histoire montréalaise.

Après avoir établi, genre biographique oblige, l’ascendance généalogique de J. Viger et de sa femme, l’auteur passe en revue les principales étapes ayant marqué la carrière de Viger. En de courts chapitres d’à peine dix pages, le lecteur apprend que ce « bourgeois typique de son siècle » fut successivement journaliste pour le Canadien en 1809, capitaine de la milice des Voltigeurs durant la guerre de 1812-1813, premier maire de Montréal de 1833 à 1836, membre de la nébuleuse Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et fondateur et premier président de la Société historique de Montréal - à laquelle Léo Beaudoin est lui-même rattaché.

Ce livre eût-il été plus épais que ce plan thématique eût probablement été approprié aux modestes visées du texte. Or, chaque chapitre débutant par une mise en contexte, trop peu de lignes échoient à l’objet de cette biographie pour que le lecteur en ressorte bien instruit. Par exemple, le chapitre IV, intitulé « Un officier de milice », s’ouvre sur une explication des répercussions des guerres napoléoniennes en terre nord-américaine. De Viger le militaire, on ne retient que l’esquisse d’un effort empreint de dévouement, certes, mais peu glorieux, voire insignifiant. Dans le chapitre V, portant sur la carrière de fonctionnaire de Viger à Montréal, l’auteur expose davantage la situation économique de Montréal au XIXe siècle qu’il n’explique l’impact de son protagoniste à titre d’inspecteur des grands chemins, rues, ruelles, ponts et chaussées de la ville. Le court - six pages - chapitre VI se clôt quant à lui sans que le lecteur ne sache trop ce que le premier maire de Montréal a légué à sa cité, hormis ses armoiries. Idem au chapitre VII, qui fait davantage l’histoire de la naissance obscure de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal que de l’action de Viger en son sein.

Si cette structure présente l’avantage d’épargner au lecteur la linéarité souvent téléologique d’un plan chronologique, force est de constater qu’elle escamote quelque peu le personnage de Viger, qui se fait finalement bien discret dans sa propre biographie. Peu nous est dit, en effet, sur le caractère de ce dernier. À répétition, L. Beaudoin dénote chez lui les traits d’un homme avide de connaissances nouvelles, un autodidacte du journalisme comme du service public, de l’archéologie et de l’histoire comme de l’héraldique. Recherchant la compagnie d’hommes doctes et cultivés, recevant chez lui les plus influentes familles montréalaises, notamment les Papineau, dont il était l’intime, Viger demeura toujours ce « jeune dilettante assoiffé de savoir » dont l’« entregent légendaire » (p. 61) lui valut les plus prestigieuses positions au sein des organismes dans lesquels il s’impliqua. Souvent invoqués par l’auteur comme facteurs explicatifs des incurvations dans la trajectoire de Viger, ces marqueurs identitaires laissent cependant dans l’obscurité de grands pans du portrait de cet érudit, ainsi que L. Beaudoin le signale d’ailleurs humblement en conclusion (p. 121). Travail de défrichage, cet ouvrage servira peut-être de socle factuel à une recherche future. Toutefois, se lisant avant tout comme une partition sommaire de la chronologie vitale de Jacques Viger, il intéressera davantage le public amateur que les historiens chercheurs.

La correspondance éditée par Renée Blanchet, qui constitue la seconde partie de cet ouvrage, permet au lecteur de jeter un regard sur l’intimité et le quotidien d’un couple disparate: au moment du mariage, le 17 novembre 1808, Mme Jacques Viger, née Marie-Marguerite De La Corne Lennox a 33 ans et quatre enfants de son précédent mariage. Jacques Viger, lui, a 21 ans et la vie devant lui. Leur correspondance permet aisément de vérifier le caractère maternant de Mme Viger qui, ainsi que le dénote L. Beaudoin dans la partie biographique, tentait fréquemment de modérer les ardeurs de son jeune et fringant mari. S’étalant de 1808 à 1813, cet échange de missives témoigne en fait de deux séparations forcées du couple. La première - lettres 1 à 20 -, dans les six mois qui ont suivi immédiatement le mariage, lorsque Viger s’est essayé au journalisme politique pour le Canadien, remuant quotidien de Québec fondé en 1806 par quelques-uns des réformistes les plus influents. Or, au-delà de quelques anecdotes de voyage amusantes et révélatrices de l’esprit littéraire qui animait Viger, ces lettres ne dévoilent que bien peu de choses sur la fonction brièvement occupée par le courriériste au sein du journal. Plus instructive, la deuxième portion de cette correspondance met au jour la vie d’un officier durant la guerre de 1812-1813 et le morne quotidien de sa femme esseulée, trompant l’ennui en recevant chez elle les amis de son mari. On y découvre un Viger épris d’amour pour sa Marguerite, appauvri et déçu par l’âpreté de la routinière réalité guerrière. Dépourvue d’indications méthodologiques, cette édition ne peut être qualifiée de critique, malgré l’effort de clarté évident investi dans les notes explicatives.

Conformément à leurs ambitions, les auteurs de cet ouvrage dual ont dégagé de la flore archivale certaines pistes d’investigation sur un personnage secondaire de la trame événementielle de l’histoire québécoise au XIXe siècle, ni plus, ni moins. Ainsi que L. Beaudoin l’exprime en guise de conclusion, il reviendra à d’autres qu’eux d’écrire la première biographie historique du personnage complexe et polyvalent qui se dévoile ici pudiquement (p. 121). Pour l’heure, cet ouvrage restera, au mieux, un bon complément à la notice de Jean-Claude Robert, dans le Dictionnaire biographique du Canada.