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Introduction

L’étude du partage optimal des risques dans une économie, soit au niveau agrégé, soit au niveau d’une économie villageoise, a été profondément renouvelée par les apports des articles empiriques qui pour la plupart rejetaient les théories existantes. Le rejet de l’hypothèse de revenu permanent (Hall, 1978; Pischke, 1995) et celle de l’assurance complète (Mace, 1991; Cochrane, 1991; Hayashi, Altonji et Kotlikoff, 1996), a conduit les théoriciens à modéliser les imperfections des marchés afin d’élaborer des théories compatibles avec les profils de consommations observés et le degré de partage de risque obtenu.

Dans les économies villageoises des pays en développement où l’incertitude est grande, les mécanismes permettant de partager les risques sont très importants. L’évaluation de politiques économiques, comme celles concernant le crédit, l’épargne ou l’assurance dépend de façon cruciale des diverses institutions faisant intervenir des mécanismes formels ou informels de partage de risque.

Dans cette revue de littérature, nous exposons les théories économiques expliquant le partage de risque en consommation en fonction de la complétude des marchés et des diverses sources d’imperfections possibles, comme les asymétries d’information ou les limites à l’engagement. Les études empiriques récentes les plus significatives font apparaître que les moyens de s’assurer contre les risques idiosyncratiques sont multiples. Les divers tests sous forme réduite du lissage (imparfait) de la consommation mettent en évidence des corrélations entre degré d’assurance et diversification des cultures, réseaux de solidarité, solidarité familiale, migration, altruisme, crédit ou assurance informels et contrats agricoles.

Tout d’abord, si les marchés sont complets, les agents peuvent s’assurer parfaitement contre les risques idiosyncratiques, le risque agrégé restant non assurable. Du point de vue empirique, même si l’assurance complète est en général rejetée, les résultats obtenus en utilisant des données de consommation montrent un certain degré d’assurance partielle (Altug et Miller, 1990; Mace, 1991; Cochrane, 1991; Attanasio et Davis, 1996). Dans des économies villageoises, la majorité des agents semblent également pouvoir s’assurer au moins partiellement (Alderman et Paxson, 1994; Townsend, 1994; Udry, 1994, 1995; Grimard, 1997). Ces résultats sont fondés sur le constat que la variabilité des revenus des ménages, évaluée au cours du temps, est très supérieure à la variabilité de leur consommation. Il y a lissage de la consommation entre individus à l’intérieur des villages ou de certains groupes. Tout se passe comme si les agents se mettaient d’accord pour un partage optimal des risques. Cependant, plusieurs difficultés économétriques grèvent souvent les tests empiriques du partage des risques. Afin d’expliquer pourquoi ce lissage de la consommation n’est qu’imparfait, plusieurs sortes d’obstacles à l’assurance complète ont été avancées.

Le modèle de cycle de vie (dit de « revenu permanent ») montre comment la consommation des ménages évolue lorsqu’un ensemble d’actifs contingents donné est disponible. Le modèle de cycle de vie permet d’abord d’écrire l’équation d’Euler déterminant l’espérance du taux marginal de substitution intertemporel de la consommation qui dépend des taux d’intérêt réels des actifs disponibles. Le rejet général de ce modèle simple a conduit à introduire des contraintes de liquidité, des non-séparabilités dans les fonctions d’utilité ou la notion d’épargne de précaution afin de mieux expliquer les profils de consommation observés.

Enfin, nous aborderons surtout les modèles permettant d’expliquer de façon endogène l’incomplétude des marchés à cause de certaines limites à la mise en oeuvre de l’allocation Pareto efficace d’assurance complète. Les problèmes d’engagement sont particulièrement importants lorsque les institutions légales capables de faire respecter un contrat sont défaillantes. Quelle est la crédibilité de l’engagement d’un agent à ne pas renégocier ex post l’accord informel de partage de risque étant donné l’incitation du plus chanceux à ne pas coopérer? La présence d’asymétries d’information est un argument qui vient aussi immédiatement à l’esprit pour expliquer l’absence de certains marchés d’assurance. À cause des problèmes d’antisélection ou d’aléa moral, certains marchés d’assurance n’existent pas ou sont sous-efficaces.

Mais quels sont les mécanismes ou institutions qui permettent le partage des risques? Il est clair que des marchés d’assurance pour certains risques n’existent pas. Pour parvenir à s’assurer contre ces risques, les agents ont recourt à des mécanismes indirects. Est-ce en diversifiant les productions agricoles et non agricoles comme dans un modèle de portefeuille? En faisant appel à la famille étendue par des stratégies de diversification des activités (Stark, 1991; Lambert, 1994), à des stratégies matrimoniales qui permettent le partage des risques à l’intérieur de la famille (Rosenzweig, 1988)? En utilisant des contrats d’assurance informelle dans des groupes de personnes qui se connaissent bien? En faisant appel à des banques ou d’autres institutions formelles ou informelles de crédit et d’assurance? La majorité des recherches effectuées sur les mécanismes de partage de risque reposent sur des résultats de formes réduites qu’il est difficile d’interpréter. Quelques tentatives récentes permettent de mieux cerner les mécanismes de partage de risque (Townsend et Mueller, 1998), notamment grâce à des estimations structurelles du comportement des ménages et de l’allocation des risques (Kurosaki et Fafchamps, 1999; Ligon et al., 2000, 2002).

Sans chercher à être exhaustifs, nous nous limiterons aux contributions théoriques et empiriques qui paraissent les plus significatives afin d’explorer des développements récents ainsi que les questions et critiques les plus importantes. Dans la première section, nous présentons le cadre théorique général et les deux hypothèses de référence que sont l’hypothèse dite de « revenu permanent » et l’hypothèse de marchés complets[1]. Dans la deuxième section, nous présentons les sources d’incomplétude et les mécanismes d’assurance informelle apparaissant lorsque les revenus sont exogènes. Dans la troisième section, nous présentons les théories et tests empiriques reliés à la prise en compte de l’endogénéité du revenu et par conséquent de l’exposition au risque des agents.

1. Choix intertemporels en marchés complets ou incomplets

1.1 Cadre théorique général

L’idée de base de la théorie du cycle de vie est de considérer que les choix des agents sont guidés par un ensemble de préférences intertemporelles qui peut s’écrire U(c1, ..., cT) pour un agent vivant T périodes (Deaton, 1992). L’objectif de l’agent est de maximiser U(c1, ..., cT) sous la contrainte de budget G(c1, ..., cT) = 0. Lorsque l’utilité intertemporelle de l’agent est additivement séparable de facteur d’escompte β, alors equation: 007247are001n.pngu(.) est croissante et concave. En introduisant de l’incertitude sur les revenus futurs et un nombre fini d’états de la nature indépendants et identiquement distribués au cours du temps, indexés par s ∈{1, ..., S}, de probabilités πs, on remplace la fonction d’utilité par son espérance conditionnelle à l’information à la date t de sorte que U(c1, ..., cT) = equation: 007247are002n.pngct est la consommation aléatoire en t prenant la valeur cst dans l’état s. L’évolution de la consommation d’un agent faisant des choix intertemporels optimaux dépend alors des marchés sur lesquels il peut échanger. L’hypothèse de marchés complets ou incomplets est essentielle.

1.2 Marchés complets et allocations Pareto optimales

Le cas de référence de la théorie économique repose sur l’hypothèse de marchés complets. Elle suppose qu’il existe un marché pour chaque bien contingent associé à tout événement réalisable dans l’économie. Sous cette hypothèse, le premier et le deuxième théorème du bien-être (Debreu, 1959; Arrow, 1964) montrent que chaque équilibre concurrentiel est un optimum de Pareto et chaque optimum de Pareto est décentralisable via un système de prix contingents par un équilibre concurrentiel. On peut rechercher l’ensemble des allocations Pareto optimales soit en maximisant l’objectif d’un planificateur social (une somme pondérée des utilités de chaque agent) sous la contrainte de ressource globale, soit en considérant les choix décentralisés des agents dans un système complet de prix contingents (Altug et Miller, 1990).

À chaque date t, on note st l’état de la nature c’est-à-dire la réalisation de toutes les variables aléatoires sous-jacentes supposées observées au début de la période τ (aléa climatique, chocs de production, maladie, changements de prix, changements démographiques, ...). On note ht = (s1, ..., st), l’histoire des états réalisés et π(ht) sa probabilité de réalisation. cit est la consommation de l’individu i étant donné ht ((ht) représente les ressources totales à la date t en fonction de ht). La maximisation de la somme pondérée par les λi(0 < λi < 1 et ∑ λi = 1) des espérances d’utilité des N agents sous la contrainte de ressources equation: 007247are003n.png pour tout t et tout ht, donne la structure factorielle ui′(cit) = μti c’est-à-dire que

où μt est le multiplicateur de Lagrange de la contrainte de ressources en t et ui′ l’utilité marginale de la consommation de l’agent i. En marchés complets, les taux marginaux de substitution intertemporelle de la consommation sont égaux entre les ménages (2), c’est-à-dire que les taux de croissance de l’utilité marginale de la consommation de tous les ménages sont égaux. De plus, les rapports des utilités marginales de deux agents sont constants dans le temps (1).

D’après la contrainte de budget et la condition (1), les niveaux de consommation sont les mêmes pour toute valeur des ressources agrégées t = ∑cit Wilson (1968) montre qu’en différenciant la contrainte de budget et en utilisant la dérivée logarithmique des conditions du premier ordre, on obtient[2]

equation: 007247are007n.jpg est la tolérance absolue vis-à-vis du risque de l’individu i à la date t.

La consommation des ménages doit varier positivement en fonction des ressources agrégées. Cette variation dépend des mesures de l’aversion au risque de la population aux niveaux de consommation optimale (Wilson, 1968; Diamond, 1967). Seul le risque agrégé compte (n’est pas assuré) et la consommation des ménages est assurée contre les risques idiosyncratiques. La règle de partage de risque (3) n’est en général pas linéaire sauf dans les cas particuliers des fonctions d’utilités à aversion absolue ou relative vis-à-vis du risque constante[3].

Cette caractérisation de l’assurance complète prédit que la consommation de chacun des agents est fonction de la consommation agrégée (ou log-consommation agrégée) et non des chocs idiosyncratiques subis. La variabilité transversale de la consommation n’est fonction que des préférences des agents[4].

1.3 Tests empiriques de l’assurance complète

Les tests empiriques des implications de l’assurance complète permettent de « mesurer » à quel point l’économie réelle diverge des allocations Pareto optimales donnant l’assurance complète. Malgré les implications simples des allocations Pareto optimales de la consommation, les problèmes de spécification des préférences individuelles grèvent les diverses études empiriques. Bien que l’assurance complète dans l’économie toute entière soit à peu près uniformément rejetée, elle peut ne pas l’être au sein de groupes d’assurance plus restreints capables d’implémenter une allocation optimale du risque (par exemple le village pour les économies rurales des pays en développement, la famille ou l’ethnie).

Avec des données américaines du Consumer Expenditure Survey (CEX), Mace (1991) teste l’assurance complète en utilisant la prédiction que la variation de consommation d’un ménage doit répondre au risque agrégé (c’est-à-dire à la variation de consommation agrégée) et non au risque idiosyncratique approximé par toute variable comme la variation de revenu du ménage ou de situation d’emploi. Mace (1991) ne rejette pas l’assurance complète avec utilité CARA (exponentielle) mais la rejette avec utilité CRRA (isoélastique). Toutefois, Nelson (1994) montre que le non-rejet de l’assurance complète avec utilité CARA était biaisé par des erreurs de mesure sur la consommation.

Cochrane (1991) teste aussi l’assurance complète avec des données américaines du PSID (Panel Study of Income Dynamics) de 1980 à 1983. Cochrane (1991) montre que si les chocs sont transversalement indépendants des niveaux initiaux de consommation, des paramètres de préférences et des erreurs de mesure, la distribution transversale de ces chocs doit être indépendante de la croissance de la consommation. L’existence de « chocs » de préférences est importante car elle peut introduire un biais de spécification. Une diminution de la consommation simultanée à celle du revenu individuel (à revenu agrégé constant) pourrait être interprétée comme un rejet de l’hypothèse de marchés complets et d’assurance complète alors qu’elle peut résulter, par exemple, d’une diminution de la taille du ménage ou d’une modification de sa composition. Avec des fonctions d’utilité CRRA et en introduisant éventuellement une non-séparabilité entre consommation et loisir, Cochrane (1991) rejette l’assurance complète vis-à-vis de certains chocs idiosyncratiques comme la maladie de longue durée, le chômage involontaire mais pas les pertes de travail dues aux grèves, aux déménagements involontaires ou aux épisodes de chômage.

Altug et Miller (1990) ne rejettent pas l’hypothèse de marchés complets. Ils estiment les conditions d’orthogonalité de leur modèle par la méthode des moments généralisée sur les données de panel individuelles du PSID entre 1967 et 1980 complétées par des données sur les rendements des actifs boursiers de la bourse de New York. Bien que le pouvoir de leur test soit faible, ils ne rejettent pas la structure factorielle caractérisant les allocations Pareto optimales.

Attanasio et Davis (1996) examinent le modèle d’assurance complète entre groupes constitués par des cohortes de niveaux d’éducation homogènes. Comme Cochrane (1991), Attanasio et Davis (1996) utilisent la spécification isoélastique, avec facteur d’escompte spécifique à chaque ménage, aversion relative au risque constante et homogène dans chaque groupe et chocs de préférences multiplicatifs de l’utilité marginale. Avec les données américaines du CEX (Consumer Expenditure Survey) et le supplément démographique annuel du CPS (Curent Population Survey), Attanasio et Davis (1996) testent que les variations de salaires relatifs n’ont pas d’impact sur la distribution des taux de croissance des utilités marginales. Ils rejettent très fortement l’assurance complète entre les groupes constitués de cohortes de même niveau d’éducation. En introduisant des non-séparabilités entre consommation et loisir, le rejet demeure mais ils ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des préférences entre cohortes (aversion au risque notamment) qui pourrait biaiser les tests.

Avec les données américaines du PSID (1968-1981 et 1985-1987), Hayashi, Altonji et Kotlikoff (1996) rejettent l’assurance complète aussi bien interfamiliale qu’intrafamiliale même lorsque l’endogénéité du loisir et une éventuelle non-séparabilité entre consommation et loisir sont prises en compte.

L’assurance complète a aussi été testée au niveau du village dans les zones rurales des pays en développement. La spécification exponentielle de l’utilité permet d’agréger aisément les préférences et les niveaux de consommation des agents lorsqu’ils ont la même aversion au risque et qu’il y a marchés complets. Townsend (1994) utilise cette propriété pour tester l’assurance complète en utilisant la consommation alimentaire totale du ménage au lieu des consommations individuelles non observées. Avec des données ICRISAT[5] de trois villages indiens (Aurepalle, Shirapur et Kanzara), Townsend teste l’assurance complète à l’intérieur de chaque village. Si vt est la moyenne au niveau du village de la consommation par équivalent adulte[6], Townsend (1994) effectue les régressions par ménage suivantes :

Ait est le nombre d’équivalents adultes du ménage i à la date t et les variables Xit peuvent être le revenu ou le nombre de jours de maladie, c’est-à-dire des variables représentant les chocs idiosyncratiques subis par les ménages. En supposant que tous les individus d’un même village ont la même aversion absolue au risque, il teste equation: 007247are009n.png et equation: 007247are010n.png Townsend accepte le plus souvent que le coefficient de la consommation agrégée est égal à un, mais avec un pouvoir de test très faible. La moyenne des coefficients estimés pour chaque ménage est de 0,73 avec une moyenne des écarts-types estimés de 1,91. Il montre aussi que les chocs de revenu ont peu d’influence dans la détermination de la consommation mais refuse l’hypothèse que le coefficient est nul pour certains ménages. En majorité, ceux-ci sont ceux qui ne possèdent pas de terre.

En imposant que le coefficient de la consommation agrégée equation: 007247are011n.png soit égal à un pour tous les ménages, le test d’assurance complète consiste à tester l’hypothèse nulle que equation: 007247are012n.png dans

Afin d’éviter le biais d’atténuation dû aux erreurs de mesure sur la variable explicative Xit, Townsend (1994) utilise les estimateurs en différence première et un estimateur intra (différence à la moyenne du ménage). L’assurance complète est rejetée si la variable de consommation inclut les consommations non alimentaires, mais pas pour les fermiers propriétaires quand on considère seulement la consommation alimentaire. Bien que le modèle d’assurance complète soit rejeté, il constitue un point de référence relativement bon. En effet, la covariation entre la consommation des ménages et la consommation agrégée est importante dans chacun des trois villages (Aurepalle, Shirapur et Kanzara) et l’impact des chocs idiosyncratiques de revenu, de maladie et de chômage est faible.

En calculant la part de la consommation produite par le ménage grâce aux productions, stocks et flux des biens de consommation au lieu des valeurs déclarées par le ménage, Ravallion et Chaudhuri (1997) montrent que le problème des erreurs de mesure sur la consommation jette un doute sur ces tests. Ravallion et Chaudhuri (1997) proposent une autre méthode d’estimation de l’équation (4) lorsque des erreurs de mesure interviennent dans les Xit. En effet, l’estimateur de equation: 007247are014n.png par moindres carrés ordinaires des différences premières de (4) est convergent sous l’hypothèse nulle d’assurance complète equation: 007247are015n.png mais comporte un biais vers le bas si equation: 007247are016n.png Par contre la spécification incluant des indicatrices temporelles (utilisée aussi par Cochrane, 1991; Deaton, 1990, 1992; Jalan et Ravallion, 1999) au lieu de soustraire la consommation agrégée permet d’obtenir un estimateur convergent sous l’hypothèse nulle equation: 007247are017n.png ainsi que sous toute hypothèse alternative equation: 007247are018n.png L’idée est que la spécification incluant des variables indicatrices temporelles permet de séparer complètement le risque agrégé de revenu du choc idiosyncratique. Lorsque Xit est le revenu, ΔXit contient des chocs idiosyncratiques mais aussi des chocs agrégés ce qui induit une sorte de biais d’atténuation dans l’estimation de ζ (lorsque equation: 007247are019n.png n’est pas nul).

En utilisant des données de panel de Côte d’Ivoire, Grimard (1997) rejette l’assurance complète à l’intérieur de chaque groupe ethnique. Grimard (1997) montre que la variation de la consommation (cas CARA) ou son taux de croissance (cas CRRA) ne sont pas expliqués par la consommation agrégée du groupe. Elles ne covarient pas à l’intérieur d’un même groupe ethnique et les chocs de revenus ont bien une influence significative sur la consommation.

Le problème de la spécification des préférences dans ces tests est essentiel. Mace (1991) trouve des résultats contradictoires avec utilité CARA ou CRRA. Ogaki et Zhang (2001) utilisent une forme plus flexible grâce aux fonctions d’utilité HARA[7] (aversion absolue hyperbolique) permettant à l’aversion relative vis-à-vis du risque d’être décroissante. Ces fonctions d’utilité consistent simplement à introduire un niveau de subsistance minimal dans la consommation. En utilisant les données indiennes ICRISAT de Townsend (1994) et des données pakistanaises de l’IFPRI utilisées par Dubois (2000), ils trouvent que la spécification avec aversion relative vis-à-vis du risque décroissante de la forme HARA est meilleure que la forme avec aversion relative constante. Leurs tests rejettent l’assurance complète intervillages mais ne rejettent pas l’assurance complète au niveau du village. Cependant, même si la forme HARA plus flexible semble meilleure, ils supposent l’homogénéité des préférences entre les ménages alors que Dubois (2000) montre sur les même données IFPRI du Pakistan que l’hétérogénéité des préférences est très importante et que l’assurance complète est alors rejetée même à l’intérieur du village.

Enfin, la plupart de ces tests d’assurance complète considèrent le ménage comme une unité et testent le partage des risques entre les ménages seulement. Or, les modèles de ménages collectifs (Chiappori, 1992) et leurs tests empiriques (Browning et Chiappori, 1998) peuvent générer des prédictions bien différentes du modèle unitaire. Non seulement l’agrégation de la consommation au niveau des ménages ne peut se faire que sous des formes de préférences bien particulières (par exemple exponentielle, voir Townsend, 1994) mais de surcroît elle n’est valide que sous l’hypothèse nulle d’assurance complète à l’intérieur du ménage. Grâce à des données individuelles, l’hypothèse d’assurance complète à l’intérieur du ménage a fait récemment l’objet de tests. Par exemple, Dercon et Krishnan (2000) rejettent l’hypothèse que les chocs de maladie sont parfaitement assurés à l’intérieur du ménage. N’observant pas les consommations individuelles, ils utilisent des données anthropométriques individuelles et supposent que les fonctions d’utilité ne dépendent de la consommation qu’à travers leur effet sur des mesures anthropométriques (fonctions de la taille et du poids). Dubois et Ligon (2000) rejettent l’assurance complète à l’intérieur du ménage grâce à des données de panel sur la consommation alimentaire individuelle de ménages philippins (données IFPRI). Ainsi, il apparaît que l’étude du partage de risque doive aussi se soucier de la façon dont le risque est réparti non seulement entre les ménages, mais entre les membres d’un même ménage. La difficulté à rejeter l’assurance complète peut dans certains cas être due au fait que le revenu introduit dans l’équation de changement de l’utilité marginale de la consommation contient souvent une composante prévisible et anticipée. Paxson (1992, 1993) utilise la variabilité climatique comme instrument permettant d’identifier les chocs exogènes de revenu et de séparer le revenu transitoire du revenu permanent. Paxson montre que la propension marginale à épargner des ménages ruraux thaïlandais de son échantillon du SES (Socio Economic Survey) est plus forte pour le revenu transitoire que pour le revenu permanent. Jacoby et Skoufias (1998) utilisent les données indiennes ICRISAT et les précipitations pour décomposer le revenu en choc transitoire et permanent. Cela permet d’obtenir un test plus puissant en testant si les fluctuations du revenu anticipé et du revenu non anticipé ont des impacts différents sur le lissage de la consommation.

Malgré les difficultés d’identification des préférences ou des chocs idiosyncratiques non prévus, les tests empiriques tendent à montrer que l’assurance complète n’est en général pas atteinte. On peut alors se demander quelles sont les contraintes conduisant à une assurance incomplète bien que procurant, dans certaines situations, un lissage substantiel quoiqu’imparfait de la consommation (Townsend, 1995).

1.4 Modèle de cycle de vie et marchés incomplets

Dans le cas de marchés incomplets, supposons que les agents disposent d’un certain nombre d’actifs différents qu’ils peuvent acheter et vendre au cours du cycle de vie. À chaque période t, l’agent doit allouer la somme de ses revenus du travail yt et du capital entre sa consommation et la valeur réelle des R différents actifs notés Nrt permettant d’effectuer des transferts entre dates et états de la nature. La contrainte de budget en t + 1 est equation: 007247are020n.png où χrt est le taux d’intérêt réel de l’actif r en t. Dans le cas où l’agent i maximise son espérance d’utilité equation: 007247are021n.png sous les contraintes de budget de chaque période, les conditions du premier ordre donnent l’équation d’Euler :

où μit est le multiplicateur de Lagrange associé à la contrainte de budget de i en t. Altug et Miller (1990) remarquent que l’hypothèse de marchés complets impose alors les NT – (N + T) restrictions μit = ηiμt à la décomposition factorielle de l’utilité marginale de l’agent. Ces restrictions ne sont possibles que si le nombre d’actifs est suffisant.

1.5 Tests du modèle de cycle de vie et développements

En considérant un seul actif et en supposant que le taux d’intérêt est constant et égal au taux de préférence pour le présent β-1 – 1, on impose que les marchés soient incomplets (sauf s’il n’y a pas de risque). L’utilité marginale de la consommation vérifie la condition nécessaire u′(ct) = Etu′(ct+1) montrant que le processus stochastique suivi par l’utilité marginale de la consommation est une martingale. Ainsi, aucune autre variable que la consommation courante ne devrait pouvoir prédire la consommation future.

1.5.1 Revenu permanent

Le cas particulier où l’utilité est quadratique constitue une version célèbre de la théorie du cycle de vie appelée modèle de revenu permanent. Dans ce cas, la consommation suit une martingale car ct = Et(ct+1). Elle est exactement égale à l’annuité équivalente de la richesse et des revenus de l’agent au cours de sa vie (cf. Deaton, 1992). Dans le cas d’un seul actif, l’équation d’Euler (5) s’écrit aussi :

Cette équation d’Euler constitue la base théorique de la plupart des tests empiriques du modèle de revenu permanent. Hall (1978) utilise des données agrégées de consommation de biens non durables et de services (États-Unis, 1948-1977) et teste si la consommation courante est entièrement prédite par la consommation passée. Il rejette cette hypothèse lorsque des variables liées à la richesse passée sont utilisées. Hall et Mishkin (1982) rejettent le modèle de revenu permanent avec des données individuelles américaines du PSID. De nombreuses autres contributions (cf. Deaton, 1992) ont testé cette théorie sur des données agrégées ou sur données individuelles. Les tests les plus fiables ont généralement conduit à rejeter l’équation d’Euler (6). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour réhabiliter le modèle de cycle de vie : biais d’agrégation lorsque les tests sont effectués sur données agrégées (Runkle, 1991; Attanasio et Weber, 1993), contraintes de liquidité (Zeldes, 1989; Runkle, 1991), mauvaise spécification de la fonction d’utilité avec notamment les problèmes de non-séparabilité, entre consommation et loisir, ou temporelle.

1.5.2 Contraintes de liquidité et épargne de précaution

Avec les données du PSID de 1968 à 1982, Zeldes (1989) teste le modèle de revenu permanent avec ou sans contraintes de liquidité en utilisant la consommation alimentaire. Le multiplicateur de Lagrange φt de la contrainte de liquidité[8] apparaît dans l’équation d’Euler (conditions de Kuhn-Tucker) :

Pour estimer cette équation d’Euler avec une fonction d’utilité à aversion relative vis-à-vis du risque constante, il faut connaître les ménages contraints (φt > 0) et non contraints (φt = 0). L’hypothèse d’identification de Zeldes est que les ménages ayant une richesse à la date t supérieure à une certaine proportion de leur richesse moyenne passée ne sont pas contraints. Il peut ainsi estimer les paramètres du modèle sur l’échantillon des ménages non contraints et ensuite prédire la valeur de φt pour les autres ménages supposés contraints et tester si φ̂t > 0. Zeldes (1989) conclut que les contraintes de liquidité sont un phénomène important. Avec les mêmes données PSID, Runkle (1991) teste la présence de contraintes de liquidités en estimant l’équation d’Euler par la méthode des moments généralisés. Il introduit des taux d’intérêt réels différents pour chaque ménage et conclut au contraire que les contraintes de liquidités ne sont pas importantes. Runkle (1991) met en évidence les erreurs de mesure sur la consommation et avance que le modèle de revenu permanent est rejeté quand on utilise des données agrégées à cause du biais d’agrégation. Deaton (1991) montre comment l’impossibilité d’emprunt pourrait expliquer les anomalies (relativement au modèle de revenu permanent) qu’on retrouve par exemple dans les données américaines. En présence de contraintes de liquidité, les actifs possédés jouent le rôle de « tampon » (buffer stock) contre les futurs chocs de revenus. Dans le cas d’impossibilité d’emprunt, l’équation d’Euler devient

equation: 007247are024n.png est le montant des liquidités possédées par l’agent en t. La possibilité de contraintes futures étant prise en compte dans l’espérance conditionnelle à l’information en t, le profil de consommation est différent du cas sans contrainte de liquidité même lorsque la contrainte n’est pas serrante à la date t.

L’argument d’épargne de précaution est parfois avancé, conjointement aux contraintes de liquidité. Lorsque l’utilité marginale des agents est convexe[9], un accroissement de l’incertitude sur la consommation future a tendance à réduire la consommation présente au profit de l’épargne. Carroll (1997) montre que toute variable aidant à prédire la variabilité future du revenu joue un rôle dans la prédiction du taux de croissance de la consommation. L’épargne de précaution génère donc un comportement similaire aux contraintes d’emprunt par la constitution d’une épargne « tampon ». Il est cependant difficile de distinguer empiriquement les deux modèles (7) et (8).

Pour ce qui est des applications dans les pays en développement, Rosenzweig et Wolpin (1993), Fafchamps et Pender (1997), Fafchamps et al. (1998) ou Dercon (1998) montrent comment l’accumulation d’actifs constitue une épargne de précaution permettant aux agents de faire face à d’éventuels chocs de revenus importants. Dercon (1998) estime un modèle structurel de décision de production avec accumulation de bétail servant à la fois de facteur de production et d’actif liquide constituant une épargne de précaution. Avec des données tanzaniennes, il montre que les ménages les plus riches possèdent plus de bétail mais que les ménages les moins dotés en possèdent rarement et choisissent des activités moins risquées et moins rentables. Rosenzweig et Wolpin (1993), montrent aussi qu’en l’absence d’accès au crédit, l’accumulation de facteurs de production liquides permet à des ménages indiens d’absorber les chocs de revenus. Cependant, comme le soulignent Lim et Townsend (1998), c’est aussi lorsque les chocs de production agricole sont importants que la demande de bétail comme facteur de production est la plus faible. Cela induit une corrélation positive entre risque de production et risque de prix des actifs de production que sont les animaux de traction qui diminue l’efficacité de ce mécanisme d’assurance.

1.5.3 Non-séparabilité temporelle

Afin de trouver des modèles plus cohérents avec les faits empiriques, les problèmes de spécification des fonctions d’utilité ont été avancés. Par exemple, avec non-séparabilité temporelle de l’utilité de la consommation, Meghir et Weber (1996) estiment un modèle simple d’habitude sur des données des États-Unis, où l’utilité instantanée dépend non seulement de la consommation courante mais aussi de celle de la période précédente. Le modèle incorpore des contraintes de liquidité et il est identifié grâce aux variations temporelles des prix relatifs des biens composant le vecteur de consommation des agents. Les résultats empiriques montrent que les contraintes de liquidité ne sont pas importantes.

Cependant, il est important de noter que la difficulté d’identifier les préférences des agents dans les tests du modèle de cycle de vie (Flavin, 1993; Blundell et al., 1994) explique probablement la diversité des résultats empiriques trouvés (voir Zeldes, 1989; Runkle, 1991; Deaton, 1992).

En présence d’incertitude et de risque, deux agents identiques en début de vie n’auront pas, ex post, les mêmes profils de consommation au cours du cycle de vie. Certains agents auront des chocs de revenus plus ou moins favorables que d’autres. Dans le cas où la consommation suit une martingale, si les innovations sont transversalement indépendantes des niveaux de consommation, la variance transversale de la consommation croît au cours du temps et les niveaux de consommation des agents divergent. Il semble donc évident que le partage du risque entre les agents augmente ex ante l’utilité espérée de chaque agent. Deaton et Paxson (1994) examinent la croissance des inégalités de la consommation pour des cohortes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de Taiwan, et trouvent que l’évolution de la variance du logarithme de la consommation n’est pas conforme aux prédictions du modèle de revenu permanent. Plusieurs hypothèses sont avancées pour l’expliquer, comme les contraintes de liquidité ou l’épargne de précaution mais aussi l’existence de mécanismes de partage de risque entre les individus pouvant réduire la variance interindividuelle de la consommation.

Dans les pays en développement, des mécanismes de partage de risque et d’assurance (souvent informels) semblent permettre aux agents de s’assurer de façon substantielle (Alderman et Paxson, 1994; Townsend, 1994, 1995; Morduch, 1995; Besley, 1995a, 1995b; Jalan et Ravallion, 1999).

2. Marchés incomplets et risque exogène

Dans le modèle d’Arrow-Debreu à information parfaite, complète et engagement total, l’échange de transferts contingents entre agents permet d’atteindre une allocation des ressources Pareto optimale à l’équilibre. Dans la section précédente, les imperfections et l’incomplétude des marchés introduites dans le modèle de cycle de vie sont exogènes et simplement dues à l’absence de certains marchés de biens contingents. Pour mieux comprendre le partage des risques, il est nécessaire de modéliser de façon endogène les limites à l’assurance complète provenant de trois sources de nature très différentes :

  • engagement limité empêchant la mise en oeuvre ex post des transferts contingents;

  • inobservabilité des actions des agents conduisant à un problème d’aléa moral;

  • inobservabilité des types des agents conduisant à un problème d’anti-sélection.

Ces diverses imperfections permettent d’endogénéiser les notions de contraintes de liquidité souvent invoquées dans les études empiriques mais ces limites sont de nature très différentes. L’engagement limité et l’anti-sélection sont des limites à la mise en oeuvre ex post du partage des risques lorsque le revenu est considéré comme exogène. Dans les cas d’engagement limité ou d’anti-sélection, on modélise les comportements des ménages une fois les chocs de revenu (exogènes) réalisés. Il s’agit de savoir quelles sont les contraintes ex post à l’assurance complète. Le cas de l’aléa moral sera abordé à la section 3. Le revenu est endogène et la recherche des allocations Pareto optimales avec aléa moral est très différente. Dans ce cas, on modélise plutôt le comportement ex ante des agents.

2.1 Assurance informelle avec engagement limité

L’allocation Pareto efficace prévoit le partage du risque entre les agents, c’est-à-dire le partage des ressources agrégées. Après la réalisation des chocs aléatoires de revenu, les agents ayant reçu les revenus les plus élevés au cours de la période ont des incitations à dévier importantes car ils doivent effectuer des transferts vers les moins chanceux. Si l’engagement à respecter la règle de partage efficace n’est pas crédible, des contraintes supplémentaires apparaissent dans la détermination des allocations optimales. Lorsqu’aucun mécanisme exécutoire ne permet de mettre en oeuvre les transferts nécessaires, il faut qu’ils soient effectués volontairement par les agents. Kimball (1988) puis Coate et Ravallion (1993) montrent comment on peut obtenir un comportement de réciprocité et de coopération même sans engagement, par une sorte d’assurance informelle générée par la répétition du modèle de partage de risque.

Considérons une économie d’échange à un bien non stockable sans accès au crédit ou à l’épargne. Soit yist le revenu de l’agent i à la période t lorsque l’état de la nature est s ∈ {1, ..., S} et ui(cist) l’utilité instantanée de sa consommation cist. La Pareto efficacité requiert que les rapports des utilités marginales des agents soient les mêmes dans tous les états de la nature. Des allocations Pareto efficaces peuvent être mises en oeuvre par des transferts contingents Tist tels que Tist = cistyist vérifiant equation: 007247are025n.png Lorsque les agents ne peuvent s’engager de façon crédible à respecter le contrat, le jeu de transferts ex post ne peut conduire qu’à un équilibre autarcique sans partage de risque.

Une répétition finie de ce jeu ayant un unique équilibre de Nash statique ne peut aboutir à un autre équilibre (Benoît et Krishna, 1985). Cependant, d’après le théorème du folklore, pour un taux d’escompte suffisamment faible et des stratégies de punition adaptées, il est possible d’obtenir des stratégies autres que l’équilibre de Nash lorsque le jeu est répété infiniment. Les modèles dynamiques avec engagement limité (Thomas et Worrall, 1988; Coate et Ravallion, 1993) utilisent les résultats d’Abreu (1988) montrant qu’il suffit d’ajouter une contrainte de soutenabilité assurant à chacun au moins son utilité à l’autarcie pour définir l’équilibre. En effet, Abreu (1988) montre que N + 1 profils de stratégies sont suffisants pour engendrer l’ensemble des paiements d’équilibre de cette économie : une stratégie coopérative et une stratégie de punition associée à la déviation de chacun des N agents. Les agents coopèrent tant que personne ne dévie. Si un agent dévie, tous basculent vers la stratégie de punition correspondant à la déviation de cet agent. Abreu (1988) montre que si les stratégies de punition infligent à l’agent de façon crédible les niveaux d’utilité les plus faibles possibles correspondant à l’autarcie, des stratégies plus complexes ne peuvent étendre l’ensemble des paiements d’équilibre et améliorer le partage de risque obtenu.

Si les revenus aléatoires sont distribués de façon identique et indépendante, l’utilité intertemporelle obtenue à l’autarcie et constituant la pire des punitions vaut :

L’ensemble des équilibres parfaits dans les sous-jeux est très grand (Fudenberg et Maskin, 1986). Kimball (1988) et Coate et Ravallion (1993) caractérisent l’équilibre correspondant au cas particulier où la somme des utilités individuelles est maximisée. Mais l’allocation Pareto efficace contrainte est en fait le résultat d’un processus de marchandage qui ne sélectionne pas forcément l’équilibre choisi arbitrairement par Coate et Ravallion. Afin de ne pas restreindre l’étude à cette allocation particulière, Fafchamps (1998) caractérise au contraire l’ensemble des équilibres.

Fafchamps (1998) utilise le fait que l’ensemble des solutions d’équilibre est constitué par la frontière de Pareto définie par l’égalité des rapports des utilités marginales des agents entre tous les états de la nature et par les contraintes de soutenabilité. Ces contraintes imposent qu’aucun des participants au groupe d’assurance informelle n’ait intérêt à dévier ex post de la stratégie coopérative c’est-à-dire (en notant vi l’utilité de la coopération) :

pour tous les états de la nature possibles s. Les contraintes (9) signifient que le gain de court terme de la déviation ui(yist) – ui(yist + Tist) doit être inférieur au gain de long terme à ne pas dévier β[vii] plus un terme exogène Ai représentant la valeur de la sanction morale en cas de non-coopération.

Lorsque l’agent reçoit un transfert positif (Tist ≥ 0), ces contraintes sont inopérantes. Fafchamps (1998) montre que l’ensemble des équilibres parfaits dans les sous-jeux croît lorsque la valeur de Ai croît ou lorsque les agents sont plus patients (β augmente). Plus l’économie ou le groupe d’assurance informelle est capable d’infliger une perte d’utilité importante aux agents qui dévient du sentier de coopération, plus l’ensemble des équilibres soutenables est grand. Fafchamps (1998) montre aussi que le quasi-crédit[10] peut être représenté ici par des stratégies non stationnaires. En effet, en supposant que wit est un revenu (un capital) supplémentaire possédé par l’agent i à la période t tel que la consommation vérifie cist = yist + Tist + wit, il existe alors une fonction ∏i faisant correspondre les transferts nets Tist aux vecteurs des revenus yst et des wit : Tist = ∏i(yst, wit). En supposant que l’évolution des wit est donnée par l’équation wit = ωi(yst-1, wit-1), l’ensemble des équilibres parfaits générés par les stratégies stationnaires est inclus dans celui généré par les stratégies non stationnaires dont fait partie le quasi-crédit. Il suffit d’écrire Tist comme la somme d’un terme d’emprunt ξ et d’un terme de transfert pur ψ de sorte que pour tout taux d’intérêt χ et toutes fonctions ωi(y, w) et ∏i(y, w) il existe des fonctions ξi(y, w) et ψi(y, w) telles que cist = yist + ξi(yst, wit)+ ψi(yst, wit) + wit et wit = – (1 + χ) ξi(yst-1, wit-1). Le taux d’intérêt χ du quasi-crédit est alors indéterminé et n’a pas de raison d’être le taux d’intérêt équilibrant un éventuel marché du crédit formel. Cette propriété peut expliquer pourquoi beaucoup de prêts informels à la consommation dans les pays pauvres ne comportent pas de taux d’intérêt explicite et le remboursement des emprunts est contingent à la réalisation des chocs futurs.

Udry (1994) montre que les contrats de crédits jouent un rôle dans le partage de risque pour des ménages du Nord du Nigeria bien que l’assurance complète ne soit pas atteinte. Le remboursement de l’emprunt dépend de la réalisation des chocs aléatoires à la fois de l’emprunteur et du prêteur. Les modèles d’assurance informelle sans engagement donnent une explication à ces résultats.

Coate et Ravallion (1993) considèrent le cas particulier de l’équilibre symétrique avec deux agents (A et B) seulement. Les revenus y ∈ {y1, ..., yS} sont aléatoires stationnaires et indépendants pour A et B. Un contrat d’assurance informel T est donné par un ensemble de transferts contingents Tij de A vers B lorsque A reçoit yi et B reçoit yj satisfaisant la contrainte de faisabilité Tij∈ [–yj, yi]. Sans contrat informel l’utilité instantanée de A et de B vivant en autarcie est Eiju(yi) où Eij désigne l’espérance par rapport à la réalisation des revenus yi et yj. Avec transferts, l’utilité instantanée de A vaut Eiju(yiTij). Les contraintes de soutenabilité s’écrivent de façon similaire à (9) avec A = 0. Le transfert optimal est (yiyj)/2 (valeur du transfert contingent permettant d’implémenter l’assurance complète c’est-à-dire le cas où seul le risque agrégé est supporté par les agents) si la contrainte de soutenabilité n’est pas saturée et sinon il vaut la valeur égalisant la contrainte de soutenabilité. Coate et Ravallion (1993) effectuent des simulations permettant d’évaluer la performance de ce mécanisme en terme de partage de risque. Ainsi, plus les agents sont averses au risque ou moins leurs revenus sont corrélés, plus ils ont intérêt à coopérer et plus la performance de l’assurance informelle sans engagement est bonne. Dans ce modèle, l’assurance informelle est moins performante lorsque la richesse d’un des agents augmente alors que celle de son partenaire reste constante.

Green (1987), Spear et Srivastava (1987), Kocherlakota (1996) étudient aussi l’allocation optimale des ressources lorsque l’engagement est limité avec une méthode de résolution différente qui permet de caractériser de manière récursive les solutions de programmes plus compliqués exposés ensuite (notamment Ligon et al., 2002). Green (1987) suppose qu’un seul agent dans le village (l’économie) a accès à l’épargne et à des prêts sans risque en dehors du village. Cet agent prêteur, neutre vis-à-vis du risque, élabore un contrat de partage de risque dans le village que tous les autres agents sont libres d’accepter et de renégocier. Il y a absence d’engagement comme dans Coate et Ravallion (1993) ou Fafchamps (1998). Le contrat assigne à chaque agent une consommation ct(ht) qui dépend de l’histoire de tous les événements passés ht. Cependant, la résolution de ce type de problème est difficile car la dimension de l’argument ht du contrat est très grande et croît avec t. Spear et Srivastava (1987) et Abreu et al. (1986) proposent une formulation récursive permettant de résoudre le programme. Il suffit de trouver une variable d’état du système, vt telle que ct(ht) = g(vt, yt) et vt+1 = q(vt, yt). Spear et Srivastava (1987), montrent que l’utilité future promise peut être utilisée pour cette variable d’état et que le problème du planificateur s’écrit sous la forme d’une équation fonctionnelle avec contraintes. Soit P(v) la valeur espérée du profit pour le prêteur promettant au moins v à l’autre agent (10), le contrat optimal est solution de

vs ∈[, ], cs∈[, ], est la valeur intertemporelle de l’autarcie et une utilité intertemporelle maximale que le prêteur peut promettre. On peut montrer que P(v) est décroissante et concave en v. De plus, les conditions du premier ordre donnent

Les concavités de u et P impliquent une relation croissante entre consommation et utilité promise. Lorsque la contrainte de soutenabilité (11) est saturée dans l’état s alors cs et vs sont indépendantes de v car on a u(cs) + βvs = u(ys) + β et (12). Au contraire, si la contrainte de soutenabilité n’est pas saturée alors vs = v et u′ (cs) = –P′(v)-1 impliquant que la consommation ne dépend pas de l’état de la nature s.

Kocherlakota (1996) étudie dans ce même cadre le cas où les deux agents sont averses au risque mais ont un revenu agrégé constant de sorte que leurs revenus sont parfaitement négativement corrélés. Il montre globalement les mêmes implications. Notamment, lorsque la contrainte de soutenabilité d’un des agents est saturée, sa consommation et son utilité promise sont plus élevées que dans le cas d’assurance complète.

2.1.1 Tests empiriques : cadeaux, transferts informels, réseaux de solidarité et altruisme

Les transferts informels observés entre ménages, particulièrement à l’intérieur de la famille étendue dans les pays en développement, sont souvent attribués aux transferts de solidarité nécessaires à la mise en oeuvre d’un certain partage de risque total ou partiel. On peut voir dans ces transferts une manifestation empirique des transferts théoriques du modèle précédent.

Avec des données des Philippines, Lund et Fafchamps (1997) montrent que les prêts informels et cadeaux sont au moins partiellement motivés par le désir de lisser la consommation mais ne permettent pas d’assurer complètement les agents. Certains chocs sont mieux assurés que d’autres par ces mécanismes d’entraide informelle. Les auteurs avancent que cette assurance informelle partielle peut être vue comme le résultat des contraintes d’engagement (Fafchamps, 1992; Platteau, 1997).

Avec des données du Pakistan (IFPRI) et indiennes (ICRISAT et NCAER[11]), Foster et Rosenzweig (2001) montrent que les transferts sont positivement corrélés aux chocs négatifs de production. Les résultats sous forme réduite montrent que les transferts ont une dépendance historique significative dont le degré dépend des liens d’altruisme entre ménages ce qui est compatible avec le modèle d’assurance informelle avec altruisme et engagement limité.

Enfin, Gauthier, Poitevin et González (1997) montrent d’un point de vue théorique comment des transferts ex ante (c.-à-d. avant que l’état de la nature ne se réalise) peuvent améliorer au sens de Pareto l’allocation lorsque l’engagement est limité. Dans leur modèle, un des deux agents a un revenu certain alors que l’autre a un revenu aléatoire. Lorsque l’engagement est limité de façon unilatérale, si le transfert ex ante peut être aussi grand que le maximum (pour tous les états de la nature) de la différence entre revenu et niveau de consommation de premier rang (engagement parfait), alors l’assurance complète peut être atteinte. Ces transferts ex ante permettent de soulager les contraintes de soutenabilité ex post du contrat. Lorsque l’engagement est limité de façon bilatérale, l’assurance complète n’est pas toujours possible, même pour des facteurs d’escompte proche de un. Ligon et al. (2000) montrent que l’épargne ou le stockage peuvent jouer le rôle de ces transferts ex ante. Mais il convient de mieux modéliser le rôle de l’épargne dans cet environnement avec engagement limité.

2.2 Engagement limité et autoassurance

Si les agents peuvent épargner, par exemple stocker certains biens de production, ils disposent d’un moyen d’assurance supplémentaire aux transferts informels. L’épargne est évidemment un moyen d’autoassurance permettant de lisser individuellement la consommation dans le temps. Cette possibilité améliore-t-elle le bien-être dans l’économie? Bien que la possibilité d’épargne augmente l’ensemble des instruments de partage de risque, il n’est pas évident qu’une amélioration du bien-être en résulte. En effet, la possibilité d’épargne modifie aussi les contraintes de soutenabilité (Ligon et al., 2000) sauf si l’on considère que l’agent qui dévie vers l’autarcie perd aussi son épargne (Gobert et Poitevin, 1998).

Supposons que les états de la nature suivent un processus de Markov avec la probabilité de transition πsr de l’état s vers l’état r. Chaque agent i dispose d’un stock en début de période t noté κit donnant κit/ρ à la période suivante. Les ressources disponibles de l’agent i sont donc zist = yist + κit dans l’état s et son utilité intertemporelle obtenue à l’autarcie dans l’état s est

Cette fonction valeur de l’autarcie est croissante, concave et différentiable car u est croissante, concave et différentiable. Par le théorème de l’enveloppe, equation: 007247are030n.jpgequation: 007247are031n.jpg est le niveau de consommation en autarcie. Cette variable ĉis est décroissante en fonction de ρ.

Chaque ménage peut recevoir et effectuer des transferts après la réalisation de l’état de la nature et avant de choisir sa consommation, ce qui permet d’améliorer au sens de Pareto l’allocation des ressources. Ligon et al. (2000) définissent les stratégies des agents et cherchent les équilibres parfaits en stratégies pures. Comme dans la section précédente, chaque agent choisit les niveaux de transfert et si un seul des agents dévie, tous se retrouvent en autarcie. Soit Ti(ht) le transfert net perçu par equation: 007247are032n.png l’utilité espérée escomptée de l’agent sur le chemin d’équilibre coopératif. La contrainte de soutenabilité à chaque période-état st est

où κit(ht-1) est le niveau de stock au début de la période t et ϕjst le multiplicateur associé à cette contrainte. Grâce à la structure Markovienne des revenus, l’ensemble des chemins d’équilibre dépend uniquement de l’état de la nature actuel et du niveau de ressources agrégées disponibles dans cet état. La frontière de Pareto v1st(v2st, v3st, ..., vNst, zst) reliant l’utilité escomptée future d’un agent 1 à celle des autres agents dépend uniquement de l’état de la nature et des ressources totales zst. Pour l’agent 1, le problème revient à choisir les consommations cist, les utilités escomptées futures virt+1 et les niveaux de stocks κit+1 sous les contraintes de soutenabilité (13) et sous la contrainte que chacun reçoive au moins le niveau d’utilité espéré déjà promis. En notant RU Mi, jstle rapport des utilités marginales de deux agents i et j, les conditions du premier ordre donnent ∀s, t, i[12]

Si la contrainte de soutenabilité de l’agent i n’est pas saturée (ϕirt+1 = 0), le dernier terme de (14) est nul. Avec (15) on obtient l’équation d’Euler classique de la théorie du cycle de vie (Hall, 1978; Deaton, 1992) avec un ajustement correspondant à la contrainte de liquidité (épargne possible mais emprunt impossible).

On notera equation: 007247are036n.png le taux marginal de substitution de la consommation entre t et t + 1 pour l’agent i. Si la contrainte de soutenabilité de l’agent i est saturée mais pas celle de l’agent jirt+1 > 0 et ϕjrt+1 = 0), la règle de mise à jour du rapport des utilités marginales entre ces deux agents (16) donne RU Mi, jrt+1 < RU Mi, jst, donc T M Sit, t+1 < T M Sjt, t+1. Il serait profitable d’égaliser les T M St, t+1 des agents i et j en augmentant la consommation de j en t + 1 et réduisant celle de i en t + 1, mais il faudrait alors augmenter les consommations futures de i pour ne pas violer les contraintes de soutenabilité, ce qui aboutirait à une distribution intertemporelle de la consommation de i plus mauvaise.

Considérons le cas où seule la contrainte de soutenabilité de l’agent i dans l’état r en t + 1 est saturée. Le dernier terme de (14) est du signe de u′(cirt+1) – u′(ĉir(zirt+1)) qui est du signe opposé à la différence entre le niveau de consommation soutenable cirt+1 et celui que l’agent i disposant de ressources zirt+1 choisirait en autarcie (par concavité de u). Si l’agent augmente son stock à la date t, cela relâche ou resserre la contrainte de soutenabilité suivant que cirt+1ĉir(zirt+1) > 0 ou < 0. L’amplitude du dernier terme de (14) dépend du nombre de contraintes de soutenabilité saturées. S’il est strictement positif, la consommation de la période t sera plus faible (relativement à la consommation future) que ne le prédit l’équation d’Euler classique puisqu’un rendement accru de l’épargne apparaît à cause de la contrainte de soutenabilité. S’il est strictement négatif, la consommation de la période t sera plus élevée (relativement à la consommation future) que ne le prédit l’équation d’Euler classique puisqu’un stock plus grand aggraverait la contrainte de soutenabilité en rendant l’autarcie plus attractive. Le signe du dernier terme de (14) est en général indéterminé mais il est strictement positif lorsque le stockage ne peut pas être effectué individuellement mais seulement au niveau agrégé c’est-à-dire du « village » ou groupe d’assurance informel étudié (Ligon et al., 2000).

L’amélioration de la technologie de stockage peut augmenter ou diminuer le bien-être. D’une part cela augmente ce qui est technologiquement réalisable mais d’autre part cela accroît l’espérance d’utilité de l’agent en autarcie restreignant l’ensemble des allocations soutenables. Dans le cas où le stockage est impossible (ρ = ∞), si les agents sont suffisamment impatients (β suffisamment faible), il n’existe aucun équilibre non autarcique. Si ρ < Et[T M Sit, t+1], le ménage i peut stocker une partie de ses ressources pour améliorer son bien-être. Si les agents sont suffisamment patients (β suffisamment grand), le partage de risque parfait est réalisable. En marchés complets et sans risque agrégé, l’espérance du taux marginal de substitution est égal au facteur d’escompte pour tous les ménages et à toutes les périodes Et[T M Sit, t+1] = β. Supposons que β soit supérieur au niveau minimal permettant le premier rang et tel qu’un agent i est indifférent entre l’accord informel et la déviation vers l’autarcie dans un certain état. Si on introduit des possibilités de stockage avec β < ρ < ∞ alors l’allocation de premier rang reste inchangée et le stockage n’est pas utilisé. Toutefois, l’utilité de l’autarcie est augmentée et l’agent i qui était indifférent préférera dévier vers l’autarcie, rendant l’allocation de premier rang non soutenable.

Les tests empiriques de Ligon et al. (2000, 2002), sur les données indiennes ICRISAT, montrent que ce modèle permet de fournir une théorie empiriquement pertinente de l’allocation des ressources avec marchés incomplets puisqu’il est préféré à l’hypothèse de marchés complets.

De surcroît, ces modèles théoriques avec engagement limité montrent que les politiques publiques visant à améliorer le bien-être social en réformant certaines institutions liées au crédit et à l’épargne peuvent avoir des effets ambigus. Les effets ambigus d’une politique visant à améliorer les possibilités d’épargne se rapprochent des résultats de Attanasio et Rios-Rull (2000a) qui étudient l’effet d’un transfert forfaitaire universel sur le bien-être des agents. Ils montrent par des simulations que ces transferts peuvent réduire le bien-être dans certains cas par un phénomène d’éviction sur les transferts informels privés.

2.3 Anti-sélection et révélation

L’information incomplète génère des problèmes d’anti-sélection créant une autre source d’incomplétude. En supposant qu’il n’y a plus de problème d’engagement et que les agents peuvent conclure des contrats qui seront mis en oeuvre de façon crédible, seul le problème d’information sur les revenus contraint l’allocation Pareto efficace. Lorsque les revenus (exogènes) et les consommations ne sont pas observables, toute allocation doit respecter des contraintes de révélation (Thomas et Worrall, 1990).

Notons P(v) la valeur espérée du profit pour le principal qui transfère Ts et promet une utilité future espérée vs à l’agent qui déclare le revenu ys ayant une probabilité de réalisation πs :

et (ICs, s) u(ys + Ts) + βvsu(ys + Ts) + βvss, s

avec ∀s, vs∈ ] – ∞, ], Ts∈ [c̱ – ys, ∞] et une utilité intertemporelle maximale. Des hypothèses sur la fonction d’utilité de l’agent[13] permettent d’assurer l’existence de la solution. D’après la concavité de u et les contraintes d’incitations (ICs, s-1) et (ICs-1, s), un agent déclarant un revenu faible reçoit un transfert plus grand en échange d’une utilité future plus faible (en supposant que les revenus sont ordonnés en s c’est-à-dire ys-1 < ys, cela implique que Ts-1 > Ts et vs-1 < vs). Thomas et Worrall (1990) montrent que les contraintes locales (ICs, s-1) et (ICs-1, s) sont suffisantes et que seule la contrainte (ICs, s-1) est saturée à l’optimum. Un agent sera toujours indifférent entre déclarer son vrai revenu et déclarer le revenu immédiatement inférieur, mais pas le revenu supérieur. Dans ce modèle, l’utilité promise à l’agent décroît au cours du temps et tend vers -∞ à cause de la concavité de P et des contraintes de révélation. Le modèle prédit donc une dérive à la baisse de la consommation de l’agent.

Green (1987) et Atkeson et Lucas (1992) montrent comment déterminer l’allocation efficace lorsque les agents ont un paramètre de préférence privé non observé par le planificateur. De la même façon, des contraintes de révélation interviennent et compliquent la détermination de l’allocation Pareto efficace contrainte. Atkeson et Lucas (1992) montrent que le degré d’inégalité de consommation entre les agents croît au cours du temps, une fraction décroissante de la population recevant une fraction croissante des ressources. Comme l’exposent Harris et Townsend (1981), la présence d’asymétries d’information entraîne des problèmes de résolution difficiles dans la détermination de l’allocation efficace des ressources. Dans les pays en développement, la pertinence empirique du type d’asymétries d’information reste un point important à bien évaluer dans chaque contexte d’application. Même si le revenu peut parfois rester inobservé, il est cependant difficile de cacher sa consommation. Le phénomène d’aléa moral paraît donc plus pertinent. De plus, le degré de complexité des modèles avec aléa moral et anti-sélection simultanément ne permet pas pour l’instant de dériver facilement des implications empiriquement testables sur le partage des risques.

3. Endogénéité du revenu et exposition endogène au risque

Dans les théories précédentes expliquant la détermination de la distribution transversale et longitudinale des consommations des agents, le revenu est toujours considéré comme exogène. Or, si les marchés sont incomplets (pour quelque raison que ce soit), les ménages ne peuvent s’assurer parfaitement contre les risques et ne doivent pas être indifférents à la distribution des revenus c’est-à-dire au risque lié à chaque source de revenu. Ainsi, certaines études empiriques évaluent dans quelle mesure l’endogénéité des revenus répond au mieux au problème du partage des risques dans un environnement de marchés incomplets. Cela peut être par un comportement de diversification des risques en faisant des choix ex ante permettant de modifier l’exposition au risque ou par des comportements ex post permettant de lisser le revenu (Morduch, 1995).

3.1 Lissage du revenu comme mécanisme d’assurance en marchés incomplets

Tous les choix influençant la distribution des revenus modifient l’exposition au risque de l’agent. Très peu de modèles théoriques formalisent clairement le rôle du lissage du revenu dans le lissage de la consommation. Cependant, plusieurs études empiriques mettent en évidence différents mécanismes de protection du revenu par rapport au risque ou de lissage du revenu ex post.

3.1.1 Diversification des cultures et des activités

Kurosaki et Fafchamps (1999) testent l’efficacité des marchés d’assurance au Punjab (Pakistan) en estimant un modèle structurel montrant que les choix de cultures par les agriculteurs dépendent du risque (de prix et climatique). Il semble que les mécanismes de partage de risque existants ne permettent pas à ces agriculteurs de s’assurer complètement car leur choix de production sont affectés par le risque. Ils ne parviennent pas à s’assurer contre les chocs agrégés au niveau du village. Malgré les mécanismes d’épargne et de transferts, le partage des risques parfait intervillages est rejeté. D’autres comme Rosenzweig et Binswanger (1993), Dercon (1998) ou Rose (2001) invoquent la diversification des activités agricoles comme moyen de se procurer un revenu moins volatile.

3.1.2 Migration et mariage

Si les chocs climatiques sont spatialement corrélés, tous les individus d’une même communauté risquent d’être touchés au même moment. Même si le partage des risques est Pareto efficace à l’intérieur de la communauté, le risque agrégé subi peut rester important. La migration d’un des membres du ménage peut permettre de diversifier les sources de revenu de la famille et être considérée comme un instrument de gestion de portefeuille. Rosenzweig et Stark (1989) régressent la variance de la consommation du ménage sur la variance de son revenu en utilisant des données indiennes. Ils montrent que la migration, avec mariage d’une des filles du chef de famille, permet de réduire significativement la variabilité de la consommation alimentaire.

3.1.3 Contrats agricoles de métayage

Les agents concluent aussi parfois des accords permettant de réduire la variabilité de leurs revenus et de se protéger contre les aléas par exemple en participant à des coopératives agricoles où le risque est mutualisé, ou en travaillant comme métayers. D’un point de vue empirique, Dubois (2000) montre par des tests, sous forme réduite, avec des données pakistanaises (IFPRI) que les contrats formels de métayage permettent aux ménages de mieux lisser intertemporellement leur consommation. Les ménages ayant accès à ce choix contractuel, institution souvent justifiée pour ses propriétés de partage de risque de production, sont mieux assurés en consommation. Ce fait empirique montre que les contrats agricoles jouent un rôle important dans le partage des risques lorsque les marchés sont incomplets mais suggère aussi de nouvelles directions de recherche vers des modèles structurels permettant de mieux expliquer les mécanismes en jeu (Dubois, Jullien, Magnac, 2001).

3.1.4 Offre de travail

L’offre de travail du ménage peut être un moyen de compenser les pertes de revenu et donc de lisser les chocs de revenu subis (résultats empiriques de Kochar, 1999 ou Rose, 2001 sur des données indiennes). Dans ce cas, c’est ex post (par exemple après réalisation du choc climatique) que le ménage adapte son offre de travail extérieur afin de lisser son revenu.

Il existe donc de nombreuses manières pour les ménages de modifier leur flux de revenus quand l’incomplétude des marchés ne leur permet pas de lisser leur consommation. Le revenu devient une variable endogène du modèle et la nature de l’information des agents sur ces revenus est déterminante pour l’efficacité de l’équilibre. Lorsque les actions inobservables des agents affectent les revenus, on fait face à un problème d’aléa moral qui perturbe les équilibres de partage de risque décrits précédemment. Par exemple, si l’assurance complète est promise, les agents n’ont que très peu d’incitation à l’effort. En effet, le partage des ressources entre les agents n’octroyant à chacun qu’une faible partie de l’utilité marginale de son effort, ils ont une forte incitation à réduire celui-ci par rapport au cas où ils égaliseraient le coût marginal de l’effort à son utilité marginale.

Ainsi, Green (1987), Green et Oh (1991), Banerjee et Newman (1991), Atkeson et Lucas (1992), Phelan (1994), Ligon (1998), évoquent l’aléa moral comme limite à l’assurance complète et décrivent l’allocation Pareto optimale contrainte des ressources. Ligon (1998) fournit une caractérisation de l’allocation Pareto optimale contrainte qui a l’avantage d’être directement testable de façon empirique.

3.2 Une équation d’Euler « inverse » avec aléa moral ex ante

En information parfaite, le programme consiste à maximiser une somme pondérée d’utilités en choisissant les niveaux de consommations et loisirs[14] :

où π(ht) est la probabilité de réalisation de l’histoire ht sous les contraintes de ressources : pour tout t, equation: 007247are040n.png avec cit ≥ 0 et 0 ≤ aitTitait est l’offre de travail, Tit le temps total disponible, u(.) l’utilité de la consommation et C(.) le coût de l’action a. La production à la période t de l’agent i dépend du travail fourni ait et d’un aléa, mais la fonction de production n’a pas besoin d’être spécifiée.

Lorsque l’action de l’agent est information privée, on peut trouver de façon équivalente les optima de Pareto contraints en maximisant l’espérance d’utilité d’un agent (appelé éventuellement principal) sous les contraintes de participation et d’incitation des autres agents (Townsend, 1987). Les actions choisies doivent être compatibles avec la contrainte d’incitation de l’agent. En considérant que le principal peut observer les productions[15], il peut spécifier les niveaux de consommation des agents et choisir leurs niveaux d’épargne comme dans Atkeson et Lucas (1992). Au contraire, Atkeson (1991) étudie le cas où le principal ne peut pas contrôler la consommation des agents. Le problème d’existence du contrat optimal est compliqué et seules les conditions de monotonie du rapport de vraisemblance et de convexité de la distribution des résultats[16] permettent d’assurer l’existence d’un contrat optimal non dégénéré dans le cas d’actions choisies dans un ensemble discret (Rogerson, 1985).

Le principal (agent 1) maximise son espérance d’utilité equation: 007247are041n.pngC(a1t)) sous les différentes contraintes de ressources, les contraintes de participation des agents (dépendant de leurs utilités de réservation i) et les contraintes d’incitation

En supposant que le principal est un agent bienveillant qui n’a pas de contrainte d’incitation et contrôle l’épargne de tous les agents, Ligon (1998) montre qu’il peut retirer une utilité wit+1 à une période tout en rendant wit+1/β à la période suivante sans modifier l’objectif de l’agent et sans changer les solutions de (17). En assignant les utilités vit = u(cit) au lieu des consommations cit, les conditions du premier ordre par rapport à wit+1 et c1t du programme du principal donnent u′(c1t) u-1′(vit) = E[u′(c1t+1) u-1′(vit+1)∣ht]. En dérivant la fonction d’utilité inverse u-1, on obtient la condition nécessaire suivante (Ligon, 1998) :

Cette équation est similaire à celle de l’assurance complète si ce n’est qu’elle est en espérance. Dans le cas de l’assurance complète, les rapports d’utilités marginales sont égaux entre les agents alors que dans les cas d’information privée avec aléa moral ex ante, ils ne sont égaux qu’en espérance. En général, le taux marginal de substitution intertemporelle de la consommation sera donc différent entre les agents puisque c’est l’espérance conditionnelle de leur inverse qui est constant. C’est une condition nécessaire qui est aussi vérifiée dans le cas d’assurance complète, mais qui n’implique pas l’égalité des taux marginaux de substitution intertemporelle dans ce cas avec aléa moral.

Les agents subissent des contraintes d’épargne et non de crédit. En effet, si le principal est neutre au risque, l’équation (18) et l’inégalité de Jensen appliquée à la fonction inverse qui est convexe montrent que le taux marginal de substitution intertemporelle d’un agent est supérieur à un. Cela signifie qu’il voudrait pouvoir épargner au taux d’intérêt en vigueur mais ne le peut pas, car le principal contrôle son niveau de consommation (Rogerson, 1985).

D’un point de vue empirique, Ligon (1998) teste entre le modèle d’assurance complète, le modèle de revenu permanent et le modèle avec aléa moral ex ante sur des données de trois villages indiens : Aurepalle, Shirapur et Kanzara[17]. Le modèle d’information privée et le modèle de revenu permanent ont des implications « inverses » pour le taux marginal de substitution intertemporelle de la consommation. En effet, le modèle de revenu permanent prédit que l’espérance conditionnelle à l’information à la date t du taux marginal de substitution intertemporelle de la consommation vaut 1 lorsque le principal est neutre vis-à-vis du risque alors que celui d’information privée prédit que c’est l’espérance conditionnelle de son inverse qui vaut 1. Avec une utilité à aversion relative au risque constante γ de la forme equation: 007247are044n.png chacun des deux régimes correspond à l’équation de moment equation: 007247are045n.jpg qu’on peut estimer par la méthode des moments généralisée. On peut inférer quel régime convient le mieux aux données suivant que b est positif ou négatif car b = γ > 0 correspond au modèle d’information privée et b = – γ < 0 correspond au modèle de cycle de vie pourvu que l’on suppose que les agents ne sont pas riscophiles mais averses au risque (c.-à-d. que γ > 0). En instrumentant par le revenu, la taille du ménage, la terre possédée, les tests empiriques montrent que le modèle à information privée est clairement préféré pour Shirapur et Kanzara alors que les résultats sont plus mitigés pour Aurepalle. Malgré la possibilité qu’une mauvaise spécification des utilités des agents (non-séparabilités, aversion au risque non constante, hétérogénéité) fausse les estimations des paramètres, ce modèle a l’intérêt de permettre de tester entre plusieurs alternatives (l’assurance complète, l’allocation Pareto optimale avec aléa moral et le modèle de revenu permanent) en observant simplement la distribution empirique des niveaux de consommation des agents.

De même, avec les mêmes données ICRISAT, Lim et Townsend (1998) créent des mesures des stocks de monnaie et de grains et utilisent les variations dans les actifs réels ainsi que les revenus et consommations pour tester aussi entre le modèle d’assurance complète (hypothèse de marchés complets), le modèle avec marchés incomplets exogènes (modèle de revenu permanent/épargne tampon) et le modèle d’information privée et aléa moral ex ante. Ils montrent que le partage substantiel des risques observé est réalisé grâce à l’épargne individuelle, aux stocks, aux institutions communautaires fournissant du crédit et de l’assurance mais pas à l’échange d’actifs réels ou de bétail. Bien qu’ils ne présentent pas de véritable test statistique, leurs résultats privilégient le modèle avec aléa moral ex ante.

3.3 Optima de Pareto avec aléa moral

Prescott et Townsend (1984) montrent que les contraintes d’incitations rendent le programme de maximisation non concave (voir aussi Phelan et Townsend, 1991). L’introduction de loteries sur les allocations permet de résoudre le problème de recherche des optima de Pareto.

Supposons que le principal soit neutre au risque et que l’utilité instantanée de l’agent est toujours u(c) – C(a) où c C, aA et la production est xX. Soit v′ ∈ Ω l’utilité promise. On suppose que C, A, X, Ω sont discrets afin d’assurer l’existence d’une solution à chacun des programmes. On note π une fonction de probabilité sur C × A × X × Ω c’est-à-dire un point dans un simplexe S de dimension #C × #A × #X × #Ω – 1 et p(xa.) la probabilité de produire x étant donné l’effort a[18]. Le problème (19) consiste à choisir des probabilités π(c, a, x, v′) pour les allocations (c, a, x, v′) sous les contraintes de participation (20) et d’incitation[19] (21)

La résolution analytique de ce genre de programme d’optimisation n’est pas possible, mais une méthode simple de résolution numérique peut être appliquée (Phelan et Townsend, 1991). On obtient les solutions par itération du calcul de la fonction valeur de l’équation de Bellman à partir d’un point de départ choisi arbitrairement (il suffit de résoudre un programme de maximisation linéaire pour chaque valeur de v′). Ces méthodes numériques sont employées pour simuler les solutions Pareto efficaces contraintes afin d’évaluer le degré de partage de risque obtenu, de comparer ces allocations de second rang avec celle de premier rang en information parfaite et ensuite de les comparer aux faits empiriques observés pour tenter d’évaluer la pertinence du modèle (Lim et Townsend, 1998; Townsend et Mueller, 1998). Par simulation, on peut introduire des contraintes de liquidité (Phelan et Townsend, 1991; Lehnert et al., 1999) ou considérer le cas où le principal contrôle le crédit, avec ou sans risque de défaut de paiement, ou évaluer l’efficacité de différents mécanismes comme les coopératives (Prescott et Townsend, 1996). La simulation permet de déterminer les niveaux de consommation conditionnellement aux productions. Lehnert et al. (1999) proposent une méthode d’estimation des différents régimes pouvant permettre de tester entre les divers modèles. Ainsi, on peut tester entre diverses hypothèses afin d’inférer quel modèle (avec ou sans asymétries d’information, avec ou sans contraintes d’engagement) est le plus proche « statistiquement » des données. Cette voie de recherche récente a encore été assez peu explorée mais elle permet de résoudre des problèmes plus compliqués et plus réalistes.

Conclusion

En conclusion, cette revue de littérature permet de faire le point sur les théories de partage de risque et mécanismes « informels » d’assurance. Ce survol souligne les difficultés de lier les modèles théoriques aux mécanismes de partage de risque réels. Peu d’estimations économétriques structurelles permettent d’évaluer l’importance des mécanismes de partage de risque. Toutefois, les intuitions sur les moyens de s’assurer contre les risques idiosyncratiques sont multiples comme le reflètent les divers tests sous forme réduite du lissage de la consommation mettant en évidence des corrélations entre degré d’assurance et diversification des cultures (Dercon, 1998; Kurosaki et Fafchamps, 1999), réseaux de solidarité (Lund et Fafchamps, 1997), migration (Rosenzweig et Stark, 1989), altruisme (Foster et Rosenzweig, 2001), crédit ou assurance informels (Udry, 1995), contrats agricoles (Dubois, 2000; Dubois, Jullien, Magnac, 2001). L’intérêt de ces recherches est grand car il s’agit de mieux comprendre les mécanismes d’allocation des ressources entres les agents dans un environnement incertain.

D’un point de vue empirique, la constitution de bases de données microéconomiques longitudinales de taille importante, au niveau des ménages et des individus, laisse présager la possibilité d’estimer des modèles structurels de plus en plus précis tenant compte de l’hétérogénéité des agents. Ainsi, nous pourrons séparer correctement les phénomènes endogènes des phénomènes exogènes. Ceci nous permettra de mieux évaluer les effets des politiques économiques visant à améliorer l’efficacité et l’équité de la répartition des ressources. Il est important de déterminer quels sont les mécanismes réels de partage de risque et d’assurance informelle utilisés dans les pays en développement pour pouvoir élaborer de nouveaux mécanismes efficaces de partage de risque (Attanasio et Rios-Rull, 2000b).

La multiplicité des situations, des environnements économiques et des risques subis par les ménages appelle à une poursuite de ces recherches. Les chocs subis par les ménages peuvent être de natures très différentes (climatique, de revenu, de prix, de maladie, ...) mais les modèles structurels ne distinguent pas en général les risques « assurables » des risques « non assurables ». Un problème d’identification crucial entache donc ces résultats. Quels mécanismes emploient les agents pour quels risques? Est-ce que les mêmes mécanismes d’assurance informelle sont utilisés suivant que le choc de ressources provienne par exemple des aléas climatiques, des aléas familiaux ou de santé, de chocs sur les quantités ou sur les prix, du type de ressource affecté par des conditions adverses? Les politiques économiques visant à améliorer le bien-être notamment en favorisant une meilleure assurance contre les risques peuvent être extrêmement différentes suivant la nature des risques peu ou non assurés. Une direction de recherche importante semble être de mieux comprendre ces mécanismes d’assurance informelle en fonction des divers risques existant et des limites de la structure d’information ou des possibilités d’engagement liées à la nature de chaque risque.