Corps de l’article

Introduction

La dollarisation est un phénomène économique et social par lequel toute ou partie de la population d’un pays utilise une marque monétaire étrangère. Par conséquent, indépendamment de son support, la monnaie étrangère sert d’unité de compte et, lorsque ce support circule, elle sert de réserve de valeur et de moyen de paiement[1]. La dollarisation de fait se distingue de la dollarisation officielle. La dollarisation de fait ou officieuse est un processus spontané par lequel les résidents d’un pays rejettent en partie la monnaie nationale et détiennent une large part de leurs avoirs sous forme d’actifs libellés en une monnaie étrangère sans que celle-ci ait cours légal sur le territoire national. Elle peut prendre différentes formes : (1) l’utilisation des billets d’un institut d’émission étranger, que cette détention soit légale ou illégale; (2) l’ouverture et la création de dépôts libellés en monnaie étrangère dans des banques nationales, ce qui s’apparente à la gestion et à l’émission d’euromonnaies; (3) l’émission ou la détention de titres libellés en monnaie étrangère. Bien que la première forme de dollarisation de fait susmentionnée soit difficilement mesurable, Porter et Judson (1996) estiment que 55 % des billets émis par la Réserve fédérale circulaient hors des États-Unis en décembre 1995; les estimations d’Anderson et Rasche (2000) sont très similaires, soit 53 %. La deuxième forme de dollarisation de fait est plus facilement mesurable (Baliño et alii, 1999) : en 1995 et dans 18 pays, les dépôts libellés en monnaie étrangère représentent plus de 30 % de la masse monétaire (M3); toujours en 1995, la proportion des dépôts libellés en dollars est de 82 % en Bolivie, 76 % en Uruguay, 64 % au Pérou, 44 % en Argentine (puis 62 % en 1999), et 24 % en Équateur (puis 47 % en 1999).

La dollarisation complète ou officielle est telle que, suite à une crise monétaire d’une grande ampleur ou face à une situation dans laquelle la majorité des transactions commerciales et financières sont réalisées en une monnaie étrangère, le gouvernement donne alors à cette dernière le cours légal. La monnaie étrangère devient la monnaie officielle. Les billets de l’institut d’émission étranger (ou externe) se substituent aux billets – et uniquement aux billets – émis par l’ancienne banque centrale nationale et ils sont les seuls à circuler dans le pays dollarisé. Des pièces peuvent être émises par les autorités locales, mais le montant de leur circulation reste très faible et peu significatif[2]. Néanmoins, rien n’empêche le gouvernement de supprimer ce cours légal et d’instaurer une autre monnaie légale, nationale ou étrangère, à moins qu’un traité avec l’Europe ou les États-Unis ne l’en dissuade. Le cas le plus connu de la dollarisation officielle est celui du Panama qui utilise le US dollar comme monnaie légale depuis 1904, et l’on peut également mentionner le cas de petits pays indépendants tels que Andore (peseta puis euro, 1999), la Chypre du Nord (lire turque, 1974), les Îles Gilbert (dollar australien, 1943), le Liechtenstein (franc suisse, 1921), les Îles Marshall, la Micronésie et Palau (US dollar, 1944), Monaco (franc français puis euro, 1999), Saint-Marin (lire italienne puis euro, 1999), les Îles Ellice (dollar australien, 1892) et le Vatican (lire italienne puis euro, 1999), sans compter les pays indépendants dotés d’un système bimonétaire (Bogetic, 2000). Plus récemment, en janvier 2000, l’Équateur a adopté la dollarisation officielle, et en septembre 2000, le US dollar a complètement remplacé le sucre. Le Salvador a également choisi, en janvier 2001, de substituer le US dollar à la monnaie nationale. Enfin, deux pays dotés d’un currency board, Hong-Kong et l’Argentine, s’étaient penchés sur la faisabilité de la dollarisation officielle. Le gouvernement de Hong-Kong avait fait part de son scepticisme dans son Report on Financial Market Review (Financial Services Bureau, 1998). En Argentine, deux jours après la dévaluation du real brésilien en janvier 1999, les autorités politiques mentionnèrent la perspective d’une dollarisation officielle, afin de casser les attaques sur le change. Mais la crise de 2001 a été d’une telle ampleur, que, les réserves de la banque centrale de la République d’Argentine (BCRA) diminuant de plus de 50 %, le gouvernement fut conduit à sortir du currency board et à dévaluer en janvier 2002 – le gouvernement argentin parlait alors de « pesification ».

Certains économistes (Hanke et Schuler, 1999) qui préconisaient hier le currency board – système monétaire dans lequel la caisse d’émission doit respecter, d’une part, la parité fixe de sa monnaie en une monnaie étrangère et, d’autre part, la règle qui impose une couverture complète de la base monétaire par des réserves en monnaie étrangère – défendent aujourd’hui la dollarisation officielle. Ils estiment que les interventions des caisses d’émission sur le marché monétaire, comme ce fut le cas en Argentine en 1995 ou à Hong-Kong en 1998, seraient à l’origine des tensions sur le change; en d’autres termes, la perte de crédibilité découlerait du fait que les autorités monétaires n’ont pas été capables de respecter les règles du currency board « orthodoxe », c’est-à-dire d’un currency board qui respecte strictement la règle du 100 % de réserves. Or, l’analyse de ces économistes en ce qui concerne la cause des tensions sur le change sous le currency board demeure incomplète. Comme nous tenterons de le montrer, ces tensions s’expliquent par l’existence d’une réserve unique et non seulement par l’injection de liquidité sous un tel système. De plus, l’injection de liquidité par une banque supérieure, dès lors que cette institution n’est pas une réserve unique, est non seulement la cause des tensions sur le change, mais constitue une demande du marché, une véritable innovation du système bancaire. La dollarisation supprime le taux de change du fait de la suppression de la réserve unique, mais elle reste une organisation monétaire dangereuse qui porte une part d’arbitraire et donc d’instabilité institutionnelle et monétaire, notamment du fait de l’inélasticité de l’offre de billets qui lui est inhérente. Pour y faire face, déduirons-nous, un prêteur en dernier ressort peut émerger sous la forme du Trésor ou d’une chambre de compensation; il constitue alors, en partie, un artefact de la dollarisation, et il ne relève pas uniquement d’une innovation répondant à l’instabilité bancaire et financière. En défendant la dollarisation et en pensant ainsi débarrasser le système bancaire du prêt en dernier ressort, Hanke et Schuler proposent alors un système qui porte les germes d’un besoin d’un prêteur en dernier ressort, et ce indépendamment de l’idée d’une instabilité bancaire et financière.

Le champ d’analyse du présent article est le régime de convertibilité défini comme un système de taux de change fixe et irrévocable. Nous décrirons dans un premier temps le principe de la dollarisation (officielle) ainsi que les avantages et les inconvénients communément admis. Nous mettrons en exergue dans un second temps les points faibles de la dollarisation qui conduit à un besoin d’un type particulier de prêt en dernier ressort et qui ne correspond pas à celui qui permet de répondre à l’instabilité financière. Nous exposerons en dernier lieu une organisation alternative à la dollarisation et au currency board, à savoir le banking board. Aussi cette réflexion s’inscrit-elle dans le cadre d’un régime permettant la suppression du risque de change tout en offrant au système bancaire national un prêt en dernier ressort, ainsi que dans une perspective régionale dont l’issue peut être l’intégration à une union monétaire. Toutefois, elle ne prétend pas déterminer les pays qui se prêtent au système du banking board. Tout ce que nous pouvons estimer a priori est que, compte tenu du régime de convertibilité qu’il suppose, ce système s’appliquerait davantage aux petits pays relativement intégrés dans une zone commerciale et financière : nous pourrions éventuellement mentionner les petits pays d’Europe Centrale et Orientale et les Pays Baltes ou encore Hong-Kong que nous prenons d’ailleurs à titre d’illustration afin de chiffrer les avantages du banking board par rapport au currency board et à la dollarisation. Il nous paraît hâtif de mentionner les pays d’une taille économique plus conséquente, tel que le Canada, qui a peut-être intérêt à conserver l’instrument du change comme variable d’ajustement macroéconomique, ou qui peut être en mesure de négocier directement une union monétaire avec les États-Unis.

1. La dollarisation oficielle : principe et implications

1.1 La dollarisation officielle et la régulation monétaire

Un gouvernement a le choix entre deux formes de dollarisation officielle : la dollarisation unilatérale qui ne nécessite pas un traité international et la dollarisation bilatérale qui suppose un traité stipulant le partage du seigneuriage, voire un accès du système bancaire national à la fenêtre d’escompte de la banque centrale étrangère. Quoi qu’il en soit, la dollarisation officielle consisterait à éliminer la base monétaire (billets et réserves des banques) libellée en monnaie nationale et à la remplacer par les billets d’un institut étranger (ou externe) d’émission. Cette transformation concerne la base monétaire, et non la masse monétaire. Les dépôts bancaires sont convertibles en billets de l’institut d’émission étranger et, en principe, uniquement en ces billets[3]. Pour réaliser cette totale substitution, les autorités monétaires doivent mobiliser leurs actifs liquides de la banque centrale ou de la caisse d’émission et les vendre afin d’obtenir des billets de l’institut étranger d’émission. Les réserves doivent donc être supérieures à la base monétaire ou au montant des billets en circulation. Par exemple, le système monétaire de Hong-Kong remplit ces conditions : en janvier 2000, le montant des réserves du Hong Kong Monetary Authority (HKMA) s’élèvent à 248,8 milliards de dollars de Hong-Kong (1 US dollar = 7,8 HK dollar), alors que le montant de la base monétaire est de 223,7 milliards de HK dollars, et celui des billets en circulation de 112,5 milliards de HK dollars.

Quel que soit le régime monétaire étudié, c’est-à-dire quelle que soit la monnaie de base et son mode d’émission (respectivement, le système de banque centrale, le système du currency board ou la dollarisation), la régulation de l’émission de monnaie de banques passe par la loi du reflux et des compensations interbancaires selon laquelle toute émission excessive de monnaie de crédit retourne à la banque surémettrice par le mécanisme des compensations interbancaires et par les demandes de remboursement en monnaie de base (respectivement, la monnaie-banque-centrale, la monnaie de la caisse d’émission ou la monnaie étrangère). Lorsqu’une banque, par exemple, accorde des crédits de découvert par l’intermédiaire des comptes-chèques, les chèques refluent vers la banque centrale, la caisse d’émission ou la chambre de compensation; selon les émissions des autres banques, il en résulte un solde débiteur ou créditeur et les positions sont réglées en monnaie de base. Dans le cas précis de la dollarisation officielle, la base monétaire est uniquement constituée des billets de l’institut étranger d’émission ou d’avoirs libellés en monnaie étrangère, et il n’est pas possible de « contrôler » la monnaie de base. La régulation des émissions des banques (du moins des dépôts à vue, car les banques du pays dollarisé ne peuvent émettre que des dépôts à vue et aucune banque ne peut émettre de billets) passe par la loi des compensations interbancaires comme c’est le cas sur le marché des euromonnaies avec cette différence que, dans un contexte de dollarisation, les billets de l’institut étranger d’émission circulent sur le territoire[4]. Enfin, le niveau des prix du pays dollarisé est fortement corrélé au niveau des prix observés aux États-Unis ou en Europe.

L’absence de réserve unique distingue la dollarisation du système du currency board. Dans le cadre du currency board, les engagements à vue des banques sont convertibles en monnaie de base émise par la caisse d’émission qui assure seule la convertibilité en monnaie étrangère; dans celui de la dollarisation, ce n’est pas un seul organisme qui assure la convertibilité en monnaie étrangère, mais plusieurs banques qui détiennent leurs propres réserves et qui assurent directement et à leur niveau la convertibilité de leurs engagements à vue en monnaie étrangère.

Par ailleurs, la dollarisation est considérée comme une règle qui permettrait d’asseoir définitivement la crédibilité des autorités monétaires. Si cette remarque est pertinente en ce qui concerne le système du currency board orthodoxe face à celui de la banque centrale, elle semble ne pas l’être en ce qui concerne la dollarisation. En effet, la dollarisation n’est pas une règle, mais un simple contrat entre débiteurs et créditeurs, qui choisissent une monnaie étrangère comme moyen de paiement permettant d’éteindre une dette, et la dollarisation officielle ne fait que codifier de telles pratiques et, de fait, les généralise. De plus, la dollarisation n’est pas nécessairement l’absence de discrétion entendue comme l’action d’émettre de la liquidité interbancaire (infra, section 2.2). En effet, sous la dollarisation, une institution, que ce soit le Trésor ou une chambre de compensation, peut intervenir en tant que prêteur en dernier ressort. Par contraste, une telle action par la caisse d’émission est, en principe, impossible sous le currency board orthodoxe.

1.2 Les avantages de la dollarisation officielle

Les systèmes de taux de change fixe et ajustable sont toujours confrontés à la question de la crédibilité et sont sujets à des attaques spéculatives auto-réalisatrices. Si les investisseurs pensent que la banque centrale dévaluera sa monnaie ou s’ils veulent seulement tester l’engagement des autorités monétaires concernant le change, ils vont alors échanger les actifs libellés en monnaie nationale contre des actifs libellés en devises-clés, ce qui réduit les réserves de la banque centrale et la menace à terme de dévaluer. Sous le système du currency board, la crédibilité est plus forte, mais les attaques spéculatives sont toujours envisageables (comme ce fut le cas en Argentine en 1995, 1999 et 2001, ou à Hong-Kong en 1998), car le gouvernement a toujours la possibilité de sortir de la règle.

Les bénéfices de la dollarisation complète découlent de son caractère quasi irréversible qui repose sur trois faits : (1) dans un contexte de dollarisation officielle, les pratiques de paiements sont telles que le gouvernement peut difficilement empêcher les agents de se défaire du dollar, à moins de mettre en place une réglementation draconienne; (2) ainsi, la dollarisation officielle est une réforme monétaire très difficile à renverser, et réintroduire une monnaie nationale puis la dévaluer est plus difficile que dévaluer une monnaie nationale déjà existante (Schuler, 1999); (3) enfin, un traité international avec l’Europe ou les États-Unis peut interdire explicitement la réintroduction d’une monnaie nationale (d’ailleurs, il n’est pas toujours spécifié s’il s’agit simplement de monnaie manuelle convertible ou de monnaie émise par une banque centrale nationale parallèlement à la monnaie étrangère). Si les deux premières remarques s’avèrent être justes, bien que le maintien de l’unité de compte national dans les nombreux régimes bimonétaires doivent les relativiser, il reste qu’un traité restreignant les libertés des institutions monétaires nationales n’est pas utile ni même souhaitable. En effet, s’il s’agit d’interdire une monnaie émise par la banque centrale nationale parallèlement à la monnaie étrangère et si cette monnaie n’est pas stable, alors il y a sanction par les agents du fait des points (1) et (2); s’il s’agit d’interdire l’émission de monnaie manuelle convertible en monnaie étrangère, alors, une telle interdiction peut conduire à une instabilité supplémentaire du système bancaire (infra, section 2.1).

En définitive, les coûts de sortie de la dollarisation sont très élevés de sorte que cette sortie reste improbable. Insistons sur le fait que la crédibilité du système monétaire dollarisé ne repose pas sur une règle, car la dollarisation n’est pas une règle. Cette crédibilité repose sur des contrats qu’il est difficile de supprimer à moins de contraintes draconiennes. C’est en ce sens que l’option de sortie est difficilement envisageable, car ces contrats ne relèvent pas de décisions du gouvernement, en l’occurrence de l’adoption d’une règle qu’il entend respecter par l’intermédiaire de la caisse d’émission, mais de la décision d’une multitude d’agents. Cette liberté contractuelle permet de faire l’économie d’un traité international interdisant l’introduction d’une monnaie nationale ou l’émission de billets de banque.

D’après ce qui précède, la dollarisation conduit à une suppression de la prime de risque de change ou de dévaluation sur les taux d’intérêt, ce qui permet une diminution de ces derniers au niveau, par exemple, des taux en vigueur dans le pays émetteur de la monnaie de référence majorés d’une prime de défaut différente selon les pays. De plus, le risque de solvabilité diminue quelque peu, car le système bancaire et financier n’est plus vulnérable au risque de change. En somme, comme l’union monétaire, la dollarisation conduit à une baisse des taux. De plus, si le risque de change disparaît, les fuites de capitaux soudaines motivées par la crainte d’une dévaluation ne peuvent plus prendre forme; les capitaux étrangers sont alors moins volatiles. Un autre avantage de la dollarisation que l’on retrouve également dans le cas de l’union monétaire, est la réduction des coûts de transactions sur les échanges commerciaux et de capitaux, ainsi que l’ouverture et le développement du système bancaire. Selon Dempere et Quenan (2000) qui s’appuient sur l’étude de Moreno-Villalaz (1999) concernant le Panama, les transformations liées à la dollarisation et, plus généralement, à l’élimination du risque de change vont « dans le sens d’une plus grande internationalisation du secteur bancaire, avec des banques nationales plus ouvertes à la concurrence, plus compétitives et offrant des services à des coûts plus faibles »; il leur devient alors « plus facile d’emprunter ou de prêter sur les marchés financiers internationaux », ce qui leur offre l’opportunité d’une plus grande stabilité.

Selon les auteurs orthodoxes (Hanke et Schuler, 1999), la dollarisation présenterait l’avantage de l’absence de politique discrétionnaire via le prêteur en dernier ressort. Nous répondons plus loin à cette affirmation qui ignore les processus spontanés à l’oeuvre au sein d’un système bancaire. Encore une fois, si la dollarisation n’est pas une règle, elle n’est pas nécessairement l’absence d’une politique discrétionnaire comprise comme une émission de liquidité interbancaire par une banque supérieure lors des périodes de fortes tensions sur la liquidité.

Le point qu’il convient de retenir est que la dollarisation se caractérise par l’absence de réserve unique. Chaque banque détient ses propres réserves, en l’occurrence des billets de l’institut étranger d’émission (vault cash) et des comptes dans une chambre de compensation ou dans une banque étasunienne ou européenne, et chaque banque assure elle-même la convertibilité en monnaie de réserve; par conséquent, le risque de suspension des paiements est dispersé en autant de banques commerciales, ce qui a pour corollaire la disparition du risque de change. Par contraste, sous le currency board, la caisse d’émission qui constitue la réserve unique assure seule la convertibilité de la monnaie nationale en monnaie étrangère; aussi, les crises de change peuvent prendre forme, car le risque d’abandon de la convertibilité repose sur un seul et unique organisme. C’est ce que ne voient pas Hanke et Schuler qui, après avoir défendu le currency board, proposent la dollarisation afin d’éviter l’intervention de la caisse d’émission sur le marché interbancaire ou monétaire – intervention qui serait, selon eux, seule responsable de l’apparition du risque de change. Or le problème n’est pas une telle intervention, le problème est fondamentalement la réserve unique.

1.3 Les inconvénients de la dollarisation officielle

L’inconvénient à la fois le plus pesant et le plus directement visible de la dollarisation est le manque à gagner du fait de la perte du seigneuriage. L’analyse distingue deux types de coût lié à la perte du seigneuriage : d’une part, le coût de stock, qui correspond au coût immédiat d’obtention de billets de l’institut étranger d’émission afin de remplacer les billets de l’ancienne monnaie nationale; d’autre part, le coût en flux, qui correspond à la perte annuelle des intérêts de la contrepartie de la base monétaire (Fisher, 1982). Le coût de stock est d’autant plus faible que la dollarisation de fait est antérieurement importante. C’est généralement du coût en flux dont on fait référence lorsque l’on traite des conséquences de la dollarisation officielle, car celle-ci est généralement précédée d’une dollarisation de fait très significative. Il peut être établi dans la zone dollar en calculant le produit de la circulation moyenne de billets sur la période par le taux d’intérêt moyen des bons du Trésor des États-Unis à 90 jours durant la période. Dans le cas de Hong-Kong, pour l’année 2000, le montant moyen des billets en circulation est de 97,5 milliards de HK dollars et la rémunération des réserves est de 5,66 % (taux d’intérêt moyen des bons du Trésor des États-Unis à 90 jours en 2000); le manque à gagner s’élève alors à 5,5 milliards de HK dollars.

Si la dollarisation officielle est accompagnée d’un traité avec l’Europe ou les États-Unis, un partage du seigneuriage peut être envisagé. Schuler (1999) détaille longuement les formules et les critères du partage du seigneuriage sur lesquelles il n’est pas utile de nous pencher; en effet, sous le système évoqué plus loin, à savoir le banking board, un tel partage paraît secondaire compte tenu de la faible perte de seigneuriage que ce système induit. Une autre suggestion a été d’établir non seulement un partage du seigneuriage, mais de l’utiliser en vue de constituer un fond qui pourrait être utilisé par la Banque centrale européenne (BCE) ou la Réserve fédérale (Fed) lors d’une intervention internationale en dernier ressort.

Une critique de la dollarisation, également valable pour le currency board, met en avant la perte de souveraineté monétaire du pays dollarisé, et ce d’autant plus que la politique de l’institut étranger d’émission, dont il est tributaire, ne convient pas nécessairement à sa situation macroéconomique[5]. Parallèlement, aucune politique de change ne peut permettre des ajustements plus souples suite à un choc exogène externe d’ordre macroéconomique; les ajustements passent davantage par des ajustements réels et par une plus forte volatilité de la production alors qu’il est « plus facile de jouer sur les taux de change et/ou une hausse des prix pour imposer la flexibilité des salaires que de l’obtenir directement, fût-ce par une modification des contrats de travail » (Salama, 2000). Cette hypothèse de la flexibilité du change est levée dès lors que l’on pose, comme nous le faisons dans ce présent article, l’hypothèse du régime de convertibilité et celle de l’union monétaire, lesquelles nécessitent que les économies des pays concernés soient relativement intégrées et convergentes. Le banking board que nous exposons plus loin implique une perte de souveraineté monétaire, du fait de l’absence de politique monétaire autonome et de politique de change, mais il permet de préserver une souveraineté prudentielle via le prêt en dernier ressort.

Enfin, une critique de la dollarisation serait liée à l’absence d’un prêteur en dernier ressort. Là encore, cette affirmation, symétrique à celle des auteurs orthodoxes, ignore les processus spontanés et l’évolution d’un système bancaire. Une banque supérieure peut émerger au sein d’un système bancaire dollarisé et rien ne permet de penser que l’absence d’un prêteur en dernier ressort, sous la dollarisation comme sous d’autres systèmes, soit irréversible. Cette méprise est liée à l’idée commune selon laquelle sans monopole d’émission il ne saurait exister un prêt en dernier ressort. Or, l’analyse démontre que le prêt en dernier ressort peut être dissocié du privilège d’émission de billets.

L’inconvénient de la dollarisation, qui paraît le plus absurde, et qui n’est que trop peu souligné, est que la monnaie manuelle se confond avec la monnaie ultime et externe au système bancaire. En d’autres mots, les billets de l’institut étranger d’émission constitue la seule monnaie manuelle, qui constitue à son tour la seule monnaie ultime. Cette situation est source d’instabilité qu’il convient de décrire en détail. Cette critique de la dollarisation nous permettra de suggérer une alternative, qui non seulement réduit l’instabilité inhérente à la dollarisation, mais réduit considérablement les coûts liés à la perte du seigneuriage.

2. Analyse critique de la dollarisation officielle

2.1 L’inélasticité de l’offre de billets liée à l’identité entre la monnaie manuelle et la monnaie externe au système bancaire

Dans un contexte de dollarisation, les billets de l’institut étranger d’émission constituent la seule monnaie manuelle, ce qui engendre, nous l’avons vu, une perte importante de seigneuriage. Cette identité entre la monnaie manuelle et la monnaie externe engendre également une « inélasticité » de l’offre de monnaie manuelle, ce qui, ajouté au fait que cette monnaie manuelle soit externe au système bancaire, provoque une instabilité dont le système bancaire peut aisément faire l’économie. L’inélasticité de l’offre de monnaie manuelle est l’incapacité d’un système bancaire à répondre spontanément à une augmentation de la demande de billets, de « liquidités » (cash). L’offre de monnaie manuelle est alors lente et rigide par rapport à la demande. Un système bancaire dollarisé peut être confronté à ce problème de l’inélasticité de l’offre de billets, qui (1) crée des pressions à la baisse du niveau général des prix, et (2) provoque des ruées sur la monnaie manuelle (ou ruées sur les billets) déstabilisant ainsi les réserves des banques et finalement l’offre de crédit bancaire. Les symptômes de l’inélasticité de l’offre de billets sont donc à la fois d’ordre macroéconomique et microéconomique et peuvent conduire à un besoin de prêt en dernier ressort.

  1. L’inélasticité de l’offre de billets crée des pressions à la baisse sur le niveau général des prix. Selon Moreno-Villalaz (1999), sous le système monétaire dollarisé, la quantité de monnaie est déterminée de manière endogène par la demande. Il convient d’être plus exhaustif. En effet, la loi des compensations interbancaires, et non une politique quantitativiste, assure la régulation de la monnaie bancaire, mais uniquement en ce qui concerne les dépôts. En ce qui concerne les billets, si l’offre reste endogène, elle suit un mécanisme très lourd et très déstabilisant. En effet, selon Velde et Veracierto (2000), le mécanisme pour se procurer des liquidités en monnaie étrangère serait le suivant : si la demande de monnaie manuelle augmente, alors que l’offre reste constante, le niveau des prix diminuera par rapport à celui, par exemple, de la zone dollar, ce qui provoquera une augmentation des exportations de biens en échange de dollars. Un autre mécanisme consiste en l’entrée de capitaux et de devises via une hausse des taux d’intérêt, laquelle engendre un ralentissement du crédit et provoque une baisse du niveau général des prix et un ralentissement de l’activité. Quoi qu’il en soit, il faut attendre des pressions déflationniste et récessive pour se procurer in fine de la simple monnaie manuelle (en l’occurrence, la monnaie ultime)! La situation est tout aussi absurde que celle où, sous un régime métallique, il eût fallu attendre une baisse des prix pour que le public se procurât de la monnaie manuelle sous forme métallique (en l’occurrence, la monnaie ultime), alors qu’une simple émission de billets convertibles par une ou plusieurs banques eût suffi à répondre à la demande de « liquidités ».

On voit ici le danger de l’inélasticité de l’offre de billets inhérente à la dollarisation : pour répondre à une simple demande de service bancaire, c.-à-d. la fourniture de monnaie sous forme manuelle, on fait subir à l’économie de profondes perturbations macroéconomiques, déflationniste et récessive. Il n’est pas absurde de penser qu’une institution – le Trésor ou une chambre de compensation – serait conduite à enfreindre le principe de la dollarisation en injectant des liquidités, afin d’endiguer les pressions à la baisse sur le niveau général des prix et du revenu. Il s’agirait alors d’un prêt en dernier ressort qui s’expliquerait par l’inélasticité de l’offre de billets.

  1. L’inélasticité de l’offre de billets provoque des ruées sur la monnaie manuelle. L’inélasticité de l’offre de billets peut être liée aux contraintes quantitatives, tel que l’Acte de Peel de 1844, aux contraintes d’émission, tel que le National Banking Act de 1863, ou, comme nous le voyons ici, elle peut être liée aux caractéristiques de la dollarisation officielle. Les ruées sur la monnaie manuelle qui résultent de cette instabilité s’observent surtout dans les économies où les paiements en monnaie manuelle sont importants et/ou dans les économies faiblement bancarisées, de sorte que la demande d’argent liquide ne peut diminuer grâce à l’utilisation des autres instruments de paiements (chèques, cartes bancaires). Ces ruées prennent alors forme dans des économies basées sur l’agriculture et sujettes à d’importants cycles saisonniers de demande de monnaie manuelle ou au sein des économies dans lesquelles se développent le marché noir et le travail non déclaré[6]. Sur le plan analytique, les ruées sur la monnaie manuelle (ou ruées sur les billets) ne sont pas à confondre avec les ruées sur la monnaie ultime (ou ruées de remboursement) : lorsque les agents se ruent sur la monnaie manuelle, ils n’entendent pas par cette action tester la solidité de leur banque, mais ils désirent simplement se procurer la monnaie manuelle demandée durant certaines périodes de l’année; par contre, lorsqu’ils se ruent sur la monnaie ultime, c’est précisément dans le but de tester la solidité de leur banque. Or, dans un contexte de dollarisation, ces deux types de ruée se confondent dans les faits.

Sous un système bancaire dollarisé, aucune institution ne peut émettre des billets. Ces billets sont de la monnaie de réserve externe au système bancaire et les banques doivent détenir des billets comme encaisse. Puisqu’elles ne peuvent pas se les procurer directement à une banque centrale ou les émettre elles-mêmes, les banques sont contraintes de puiser dans leurs réserves pour répondre à une augmentation de la demande de monnaie manuelle, ce qui leur est limité et préjudiciable. Si, par exemple, les agents demandent davantage de billets pour assurer des paiements saisonniers ou informels, une telle demande assèche les réserves des banques, les met directement en difficulté et réduit leur capacité de crédit, alors même qu’elles ne sont l’objet d’aucune méfiance de la part du public. En d’autres mots, lorsque les agents souhaitent détenir de la monnaie sous une forme différente, il en résulte une variation de leurs réserves, ce qui influe directement sur leurs capacités de crédit et provoque in fine une plus forte volatilité des taux d’intérêt. Lorsque les réserves des banques sont insuffisantes, les agents peuvent procéder à des ruées sur la monnaie manuelle très déstabilisantes pour les banques, car elles équivalent pour les banques à des ruées sur la monnaie ultime. Et l’effet est le même que celui des ruées sur la monnaie ultime : les réserves des banques s’amenuisent et l’offre de crédit bancaire s’essouffle. Ce phénomène a lieu sous la dollarisation – et même sous le currency board – simplement parce qu’il y a un déplacement de la demande de monnaie sous une certaine forme et parce qu’il n’existe pas, ou bien une banque d’émission de billets qui permettrait de répondre à un tel déplacement en « stérilisant » ainsi les réserves des banques, ou bien plusieurs banques d’émission qui modifieraient la structure de leur passif au lieu de modifier celle de leur actif. Là encore, il n’est pas absurde de penser qu’une institution – le Trésor ou une chambre de compensation – puisse enfreindre le principe de la dollarisation en injectant des liquidités que l’on appelle dans de telles circonstances « monnaies de substitution ». Il s’agirait, là encore, d’un prêt en dernier ressort qui s’explique par l’inélasticité de l’offre de billets[7].

En proposant la dollarisation, Hanke et Schuler (1999) veulent éviter toute existence de prêt en dernier ressort, mais ce qu’ils ne voient pas est que, d’après les points (1) et (2), la dollarisation porte les germes d’un besoin de prêt en dernier ressort. Si le currency board est critiquable parce que seule une réserve unique (la caisse d’émission) assure la convertibilité en monnaie ultime, la dollarisation est critiquable parce que la monnaie manuelle se confond avec la monnaie ultime. Le fait que les billets de l’institut étranger d’émission soient la seule monnaie manuelle en circulation conduit à une inélasticité de l’offre de monnaie manuelle, et le fait que cette monnaie manuelle constitue la seule monnaie ultime conduit à une déstabilisation de l’offre de crédit bancaire. En conséquence, ce système porte les germes d’un besoin de prêt en dernier ressort que nos auteurs refusent mais auquel leur système conduit! De plus, indépendamment des points (1) et (2), l’émergence du prêteur en dernier ressort s’explique par l’instabilité bancaire et financière et par les ruées sur la monnaie ultime qui prennent leur source dans le risque de contagion et dans l’inquiétude des agents concernant la capacité des banques à faire face immédiatement à leurs engagements à vue. La véritable nature du prêt en dernier ressort consiste précisément à tenter d’endiguer une telle contagion et une telle inquiétude[8].

En somme, il ne faut pas se méprendre sur la nature du prêt en dernier ressort. Le prêt en dernier ressort peut être une conséquence de l’inélasticité de l’offre de billets et il tente alors d’endiguer les ruées sur la monnaie manuelle. C’est le prêt en dernier ressort sous forme de monnaie manuelle. Une injection massive de billets peut se comprendre dès lors qu’il y a des ruées sur les billets dues à l’inélasticité de l’offre, et sous la dollarisation, de telles ruées peuvent précisément prendre forme parce qu’aucune institution ne peut a priori émettre des billets. Mais le prêteur en dernier ressort peut être, indépendamment du problème de l’inélasticité de l’offre de billets, une innovation du système bancaire qui assouplit la contrainte du reflux et des compensations interbancaires lors des crises systémiques, et qui permet d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime. C’est le prêt en dernier ressort sous forme de monnaie supérieure[9]. Dans ce dernier cas, le prêteur en dernier ressort n’intervient pas nécessairement auprès des banques en leur fournissant massivement des billets, et si l’on regarde les événements récents, une telle injection de billets par les banques centrales occidentales durant les crises bancaires et financières est rare; elle passe davantage par une émission de monnaie interbancaire sous forme scripturale.

Hanke et Schuler proposent un système qui conduit au prêt en dernier ressort sous forme de monnaie manuelle, et ils refusent obstinément le prêt en dernier ressort sous forme de monnaie supérieure. Et pour reprendre l’expression populaire, la mauvaise monnaie chasse la bonne monnaie! Cependant, dans un article plus récent, et afin d’éviter une inélasticité de l’offre de billets et les variations des réserves qui en résultent, Hanke (2001) préconise le système de la banque libre dans lequel les banques seraient libres d’émettre des billets convertibles en dollars. Il ne reconnaît toujours pas l’utilité des interventions d’une banque supérieure. Si les émissions de billets des banques commerciales permettent d’endiguer les ruées sur la monnaie manuelle et de supprimer le besoin de prêt en dernier ressort sous forme de monnaie manuelle, rien ne permet d’en conclure qu’elles permettent de supprimer pour autant le besoin du prêt en dernier ressort sous forme de monnaie supérieure. Ce dernier garde toute son utilité et toute sa nécessité. De plus, il y a une confusion vulgaire chez Hanke (2001) qui consiste à confondre le prêt en dernier ressort accordé par la banque centrale et les subventions supportées par les contribuables. Or l’un prévient le manque de liquidité des banques, l’autre leur insolvabilité. Confondre ainsi les concepts ne permet nullement d’y répondre.

2.2 La prétendue absence d’un prêteur en dernier ressort

Nous avons tenté de montrer que la dollarisation peut créer le besoin du prêt en dernier ressort à cause de l’inélasticité de l’offre de billets qui lui est inhérente. Une autre explication peut expliquer l’émergence d’un prêteur en dernier ressort, à savoir le besoin d’une assurance en liquidité pendant les périodes de crises, afin d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime. Puisqu’il ne voit pas que ses propositions en faveur de la dollarisation conduisent à un besoin du premier type de prêt en dernier ressort, Schuler (1998) défend, implicitement, deux instruments alternatifs au second type de prêt en dernier ressort : « Comme le système du currency board, un système dollarisé n’est pas doté d’un prêteur en dernier ressort, il a alors besoin d’arrangements alternatifs pour assurer la liquidité des banques commerciales. (...) Développer la concurrence entre banques étrangères peut être une alternative permettant de consolider le système bancaire. (…) Permettre aux banques d’exercer la clause d’option est une autre alternative permettant d’améliorer la liquidité des banques. » Et White (2003) de rappeler cette première idée qui privilégie la coordination entre banques commerciales – et une ouverture des banques nationales sur l’étranger permet ainsi d’avoir un accès plus large à la liquidité en monnaie étrangère – et rejette la logique de la discrétion propre au prêteur en dernier ressort[10]. Quant à la clause d’option, elle constitue un instrument prudentiel au niveau de la banque individuelle qui lui permet d’économiser de la liquidité pendant les périodes de ruées sur la monnaie ultime[11]. Néanmoins, les deux solutions suggérées par Schuler ne sont pas, en toute logique, incompatibles avec l’existence d’un prêteur en dernier ressort.

Comment une telle institution – le prêteur en dernier ressort – peut-elle émerger dans le cadre de la dollarisation, c’est-à-dire sans monopole d’émission d’une monnaie (manuelle) nationale et sans réserve unique? Comme dans tout système où les banques émettent des engagements exigibles à vue, les banques d’un système dollarisé coopèrent afin de réaliser des compensations bilatérales ou des compensations multilatérales. Cette dernière organisation étant plus efficace et réduisant les coûts de transaction, les banques cherchent alors à créer une chambre de compensation où elles déposent leurs réserves en monnaie étrangère et qui leur crédite (débite) leurs comptes selon leurs excédents (déficits) par rapport aux autres banques. À l’origine, la chambre de compensation détient éventuellement 100 % de ses réserves, c’est-à-dire que le passif de la chambre de compensation correspond aux réserves en monnaie étrangère déposées par les banques. Toutefois, le cas échéant, le montant de ses dépôts devient progressivement supérieur à celui des réserves en monnaie étrangère. Car, rien n’empêche a priori la chambre de compensation d’émettre des billets ou d’offrir aux banques membres des découverts, en leur accordant des crédits interbancaires ou en leur réescomptant certains titres, notamment lorsqu’elles viennent à manquer momentanément de liquidité. L’ensemble de la base monétaire, qui à l’origine peut éventuellement être intégralement couverte par les réserves en monnaie étrangère, est ensuite en partie « créée ex nihilo » au coeur du système bancaire par la chambre de compensation.

Ce phénomène d’émission de liquidité interbancaire ou de monnaie supérieure, sous forme manuelle comme sous forme scripturale, avec comme contrepartie un prêt aux banques, un achat ou une prise en pension de titres, peut être appelé « mécanisme du crédit au niveau de la chambre de compensation ». La structure du système bancaire est alors hiérarchisée. La chambre de compensation devient une banque supérieure et détient entre ses mains l’instrument du prêt en dernier ressort, à savoir l’émission de monnaie supérieure (en l’occurrence convertible en monnaie externe). Remarquons qu’il est souvent avancé que certaines banques étrangères peuvent intervenir, sous un système dollarisé, comme « prêteur en dernier ressort » (Bogetic, 2000; Eichengreen, 2002; Moreno-Villalaz, 1999). Or, il reste à déterminer s’il s’agit là d’une émission de liquidité ou d’un simple transfert de liquidité d’une banque qui en a le moins besoin vers une banque qui en a le plus besoin. Généralement, les relations entre banques commerciales implique un simple transfert de liquidité.

Quoi qu’il en soit, sous un système dollarisé, une institution peut émerger et intervenir de manière discrétionnaire en tant que prêteur en dernier ressort grâce à l’émission de dépôts interbancaires via une opération de découvert ou de réescompte, alors même qu’elle ne détient pas de monopole d’émission de monnaie et indépendamment du problème de l’inélasticité de l’offre de billets[12]. Par contraste, la dollarisation « orthodoxe » (de même qu’il y a un currency board « orthodoxe » souhaité par Hanke et Schuler) serait un système où la création de monnaie supérieure par une institution bancaire n’est pas envisagée (mais les conditions institutionnelles d’une telle structure bancaire ne sont pas données par ces mêmes auteurs)[13].

Sous la dollarisation ou l’euroisation officielles, compte tenu de l’inélasticité de l’offre de billets, il est fort probable que la chambre de compensation – c.-à-d. la banque supérieure que nous venons de décrire – émette des billets afin d’endiguer les ruées sur la monnaie manuelle. Elle pourra également intervenir afin d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime. Sous la dollarisation, l’observateur sera cependant bien en peine de préciser à quel type de ruée la banque supérieure devra faire face, puisque la monnaie manuelle se confond dans les faits avec la monnaie ultime et, puisque, conséquemment, les ruées sur la monnaie manuelle se confondent dans les faits avec les ruées sur la monnaie ultime. Sous le banking board, que nous allons décrire, la banque supérieure intervient uniquement pour endiguer les ruées sur la monnaie ultime, car il n’y a plus de ruées sur la monnaie manuelle du fait de la dissociation entre la monnaie manuelle et la monnaie ultime; avec une ou plusieurs banques émettrices de billets autres que la banque supérieure, les ruées sur la monnaie manuelle se dissipent très nettement, et la banque supérieure intervient, d’abord, en émettant des dépôts interbancaires et, de manière marginale, en émettant des billets. Cette injection de monnaie supérieure permet d’assurer la continuité des paiements interbancaires, de soulager les banques en termes de liquidité, et donc d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime.

3. Le banking board et la banque supérieure

3.1 La monnaie manuelle dissociée de la monnaie ultime

L’organisation monétaire que nous appelons banking board[14] est une alternative à la dollarisation officielle ainsi qu’au currency board. Comme le currency board ou la dollarisation, le banking board est un système de convertibilité en une monnaie externe (en l’occurrence, une monnaie étrangère) et l’unité de compte dépend de celle de l’institut étranger d’émission de sorte que le niveau des prix reste très proche de celui de la zone monétaire extérieure. Il en découle que les autorités monétaires ne peuvent mener une politique monétaire autonome ou une politique de change. Comme sous la dollarisation, les billets de l’institut d’émission étranger (plus généralement, les avoirs en monnaie étrangère) servent de monnaie ultime et les banques peuvent émettre des dépôts convertibles en monnaie étrangère. La comparaison avec la dollarisation s’arrête là. L’objectif du banking board n’est pas de proposer un régime de change alternatif à celui de la dollarisation et du currency board, mais une architecture du système de paiement et du système bancaire plus judicieuse, ainsi qu’une politique prudentielle à la fois plus efficace et souveraine.

Sous le banking board, les billets émis par – et tout autre avoir sur – l’institut étranger d’émission servent uniquement de monnaie ultime. Le système bancaire national émet non seulement de la monnaie scripturale mais également de la monnaie manuelle, toutes deux, convertibles en monnaie ultime. Les billets de l’institut étranger d’émission peuvent circuler et ils circulent d’autant moins que le système bancaire dans son ensemble s’appuie sur la confiance du public. Plusieurs banques commerciales émettent des dépôts à vue libellés et convertibles au pair en monnaie ultime – on peut parler d’« eurodépôts ». Une banque d’émission (si, abstraction faite des émissions de billets de la banque supérieure étudiée plus loin, elle en a le monopole) ou plusieurs banques (comme c’est le cas à Hong-Kong) peuvent émettre des billets convertibles en monnaie ultime – on peut alors parler d’« eurobillets » – et ces billets sont réglementés au même titre que les dépôts à vue. Cette banque ou ces banques émettrices d’eurobillets détiennent leurs propres réserves, et, contrairement au système du currency board, elles n’ont aucune contrainte quantitative quant à leur émission de billets et offrent autant de billets que le public en désire, dès lors qu’elles arrivent à en assurer la convertibilité en monnaie ultime. En d’autres termes, les banques de second rang émettent des dépôts et des billets, et ces émissions manuelles et scripturales sont réglementées de manière similaire, et régulées par la loi des compensations interbancaires; le banking board est un système de convertibilité au pair en monnaie externe (en l’occurrence, celle de l’institut étranger d’émission) et qui s’applique à toute forme de monnaie – manuelle, scripturale et électronique.

Sous ce système, il y a toute la place pour une banque supérieure-prêteur en dernier ressort[15]. La banque supérieure est au système du banking board ce que la caisse d’émission est au système du currency board, avec ces deux différences essentielles : elle n’est pas une réserve unique, et elle émet de la monnaie supérieure. Elle gère les comptes interbancaires et réalise les compensations multilatérales de telle sorte que les réserves des banques y sont centralisées, sans pour autant créer une réserve unique puisque les banques assurent en premier lieu la convertibilité en monnaie externe. Elle émet de la monnaie, sous forme scripturale ou manuelle, hiérarchiquement supérieure aux monnaies de second rang, ce qui, corrélativement, permet une « mise en commun » des réserves. En dernier ressort, elle assure la convertibilité. Elle est une institution publique à la fois indépendante des banques membres et du gouvernement et ce, afin d’assurer un contrôle prudentiel plus efficace. Au préalable, elle peut émerger à partir, par exemple, d’une chambre de compensation comme décrit plus haut, sans les causes propres à la dollarisation. Ou alors, elle peut déjà exister sous une forme ou sous une autre (exemple, le HKMA) et il reste alors à la réformer comme suit : suppression de la règle de 100 % de réserves, suppression de la réserve unique, renforcement du rôle de superviseur, etc. Précisons que la banque supérieure est a priori une institution différente de la (des) banque(s) émettrice(s) de billets de banque, et si la banque supérieure émet de la monnaie manuelle, cette monnaie n’est pas simplement des billets de banque, mais des billets de banque supérieure.

Par ailleurs, abstraction faite de l’idée que la banque supérieure soit une institution publique, soulignons que l’architecture du banking board diffère de celle de la banque libre dans la mesure où la base monétaire n’est pas gelée, à la différence de ce que préconise Selgin (1988), ni ne suit la règle du 100 % de réserves, à la différence de ce qu’induit l’affirmation de White (1999) selon laquelle « dans un système de libre concurrence bancaire, les banques peuvent simplement se passer du prêteur en dernier ressort ». Bref, sous le banking board, le prêt en dernier ressort est pleinement reconnu.

En résumé, la demande de monnaie manuelle est satisfaite par une ou plusieurs banques de second rang. La demande de monnaie scripturale est satisfaite par les banques de second rang. La demande de monnaie supérieure, sous forme manuelle ou scripturale, est satisfaite par la banque supérieure-prêteur en dernier ressort national. La demande de monnaie ultime auprès des banques de second rang est toujours possible, mais elle demeure peu fréquente, essentiellement lors des crises bancaires, et elle le sera d’autant plus que la monnaie manuelle est « élastique » (efficacité du service de paiement) et que le système bancaire inspire confiance (efficacité du contrôle et de la politique prudentiels). Alors que sous la dollarisation les billets de l’institut étranger d’émission sont la seule monnaie manuelle et que cette monnaie manuelle constitue la seule monnaie ultime, sous le banking board, les billets de l’institut étranger d’émission ne constituent pas la seule monnaie manuelle en circulation, mais « seulement » la monnaie ultime; aussi, toute la monnaie manuelle en circulation ne constitue pas la seule monnaie ultime; en d’autres termes, la monnaie manuelle est dissociée de la monnaie ultime. De plus, étant donné qu’une banque supérieure émerge ou alors est créée sous le banking board, la base monétaire ne se limite alors pas au passif correspondant aux réserves en monnaie étrangère (monnaie ultime) mais s’élargit des émissions de la banque supérieure (monnaie supérieure); en d’autres termes, l’actif de la chambre de compensation est constitué des réserves en monnaie étrangère et des avances de la chambre de compensation aux banques membres, ce qui fait d’elle une banque supérieure.

Sous le banking board, les ruées sur la monnaie manuelle ne peuvent donc pas prendre forme puisqu’une ou plusieurs institutions bancaires peuvent immédiatement émettre des billets selon la demande du public, et résolvent ainsi le problème de l’inélasticité de l’offre de billets inhérente à la dollarisation (supra, section 2.1). Ces émissions d’eurobillets, premièrement, font disparaître le mécanisme macroéconomique déstabilisateur, décrit plus haut, conduisant à des pressions déflationniste et récessive; et deuxièmement, sur le plan microéconomique, elles améliorent considérablement la stabilité des réserves des banques ainsi que leur offre de crédit. Sous le banking board, une émission de billets par la banque supérieure est relativement moins probable que sous la dollarisation. En effet, la banque supérieure ne cherche pas à répondre aux ruées sur la monnaie manuelle – tout simplement parce que les ruées sur la monnaie manuelle se dissipent – mais elle tente de répondre aux ruées sur la monnaie ultime et cherche alors à assurer la liquidité des banques lors des crises systémiques.

Si une ou plusieurs banques de second rang et la banque supérieure peuvent émettre des billets de banque, il en découle que la perte de seigneuriage devient très inférieure à celle que l’on observe sous la dollarisation. Nous allons prendre le cas de Hong-Kong, car y circulent essentiellement les billets émis par trois banques émettrices[16], et la circulation des billets de la Fed y est marginale. À Hong-Kong, ces trois banques doivent respecter aujourd’hui la règle du 100 % de réserves à la marge, tandis que l’ensemble des banques commerciales émettrices de dépôts à vue ne sont pas contraintes à un taux de réserves obligatoires et leur taux de réserves sur les dépôts à vue est environ de 1,5 %, en moyenne sur l’année 2000. Si l’on suppose que les trois banques d’émission peuvent émettre leurs billets comme les banques émettrices de dépôts à vue, avec un taux de réserves de 1,5 %[17], alors le montant de monnaie de réserves en dollars nécessaire au banking board est de 3,1 milliards de HK dollars et, toujours en prenant un taux d’intérêt de 5,66 % pour 2000, la perte de seigneuriage est alors de 175 millions de HK dollars. Si l’on suppose une réglementation plus exigeante pour les trois banques émettrices, par exemple un taux de réserves de l’ordre de 10 %, le montant des réserves s’élève alors à 12,8 milliards de HK dollars et la perte du seigneuriage s’élève à 722 millions de HK dollars. Quoi qu’il en soit, le manque à gagner serait bien inférieur aux 5,5 milliards de HK dollars de seigneuriage perdu dans un contexte de dollarisation (supra, section 1.3). Les sommes qui correspondent aux pertes de seigneuriage, bien que relativement faibles, peuvent éventuellement servir de fonds pour une intervention internationale en dernier ressort émanant de l’institut étranger d’émission, outre la création de monnaie ultime dont ce dernier peut faire bénéficier au pays qui adopte le banking board.

3.2 L’existence d’une banque supérieure

Nous avons voulu montrer plus haut comment un prêteur en dernier ressort peut émerger dans un système bancaire dollarisé. D’une part, il peut être la conséquence de l’inélasticité de l’offre de billets conduisant à des pressions à la baisse du niveau général des prix et à des ruées sur la monnaie manuelle et ce besoin de prêt en dernier ressort peut être évité dès lors qu’une ou plusieurs banques peuvent répondre spontanément à une demande de monnaie manuelle. D’autre part, il peut être une innovation du système de paiement permettant d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime et cette réponse aux problèmes de liquidité des banques constitue la véritable nature du prêt en dernier ressort.

Sous le banking board, entendu comme un système d’émission de monnaie de banque sous forme fiduciaire et scripturale convertible en monnaie étrangère sur un territoire donné, seule la seconde forme de prêt en dernier ressort subsiste; le prêteur en dernier ressort n’est pas un artefact de la dollarisation, mais constitue uniquement une innovation du système des paiements et une assurance en liquidité demandée par la sphère bancaire et financière lors des crises systémiques de liquidité.

Sous le banking board, chacune des banques détient ses propres réserves et, encore une fois, la régulation monétaire est assurée par la loi des compensations interbancaires. La banque supérieure ne mène donc pas une politique monétaire visant à assurer la stabilité des prix à l’aide de l’instrument du taux d’intérêt. Pas davantage, la banque supérieure ne mène de politique de change, car ce n’est pas uniquement elle qui assure a priori la convertibilité, mais également l’ensemble des banques commerciales. Conséquemment, comme sous la dollarisation, en raison de la multitude de contrats bancaires qui reposent sur l’engagement d’une pluralité d’agents et non sur celui du seul gouvernement, il n’y a aucune crainte de dévaluation. La banque supérieure assure essentiellement la régulation prudentielle.

Selon Schuler (1998), s’il n’y a plus aucune anticipation de dévaluation dans un contexte de dollarisation, il en serait de même sous le currency board dès lors qu’il resterait orthodoxe, mais, ces craintes persisteraient tant que les spéculateurs pensent que la caisse d’émission peut à l’avenir injecter de la liquidité et, de fait, mener une politique discrétionnaire. Ce que ne voit pas Schuler est que les anticipations de dévaluation ne relèvent pas de la seule création de liquidité par la caisse d’émission sur le marché interbancaire, mais s’expliquent à la fois par l’existence d’une réserve unique sous le currency board et par la création de liquidité par la caisse d’émission – et encore, ces anticipations peuvent prendre forme alors même que le currency board reste orthodoxe. Par contraste, sous le banking board, bien qu’il y ait une émission de liquidité par une banque supérieure, la question du risque de dévaluation ne se pose pas, car chacune des banques assure elle-même, et non une réserve unique, la convertibilité au pair de ses engagements à vue libellés en monnaie étrangère. La baisse des taux d’intérêt par rapport à un système de currency board liée à la suppression du risque de dévaluation vaut toujours sous le banking board (comme sous la dollarisation) alors même qu’il peut avoir une émission de liquidité bancaire par une banque supérieure. Seuls subsistent les risques de liquidité et de crédit.

Sous le currency board, les agents extérieurs au système testent avant tout la capacité de la seule caisse d’émission à assurer la convertibilité au pair et ils sont alors attentifs au respect d’une règle, en l’occurrence celle du 100 % de réserves. Rien de tel sous le banking board : les agents extérieurs testent avant tout la capacité des banques émettrices d’« euromonnaie » à faire face à leurs engagements à vue, c’est-à-dire, la capacité propre à chaque banque de répondre aux demandes de remboursement en monnaie de réserve. À la limite, il faut attendre une crise de liquidité généralisée à l’ensemble des banques (et non localisée à quelques banques, car dans ce cas la banque supérieure peut endiguer les tensions sur la liquidité en injectant de la monnaie supérieure en faveur des banques temporairement illiquides) pour que la banque supérieure soit mise sérieusement en difficulté et ne puisse assurer à son tour la convertibilité. La banque supérieure devient la dernière institution assurant la convertibilité et les tensions sur le change sur sa monnaie apparaissent alors. Par contraste, sous le currency board, des tensions sur le change peuvent apparaître alors même que le système bancaire dans son ensemble ne connaît aucunement une crise de liquidité généralisée.

Si la banque supérieure ne supporte pas a priori un risque de change, il n’en demeure pas moins qu’elle supporte, comme n’importe quelle institution ayant des engagements à vue partiellement couverts par des réserves, un risque de liquidité. C’est dans cette situation que le prêt en dernier ressort international émanant de l’institut étranger d’émission prend toute sa signification. L’éventualité d’une telle intervention, c’est-à-dire l’assurance pour les agents d’avoir de la monnaie ultime, rend le banking board encore plus solide.

En définitive, ce n’est pas la politique discrétionnaire d’une banque supérieure qui crée le risque de change mais le système à réserve unique pratiquant – voire même, ne pratiquant pas – une politique discrétionnaire. La confusion est telle dans les esprits que Schuler (1998) va jusqu’à plaider en faveur de la suppression d’une fonction essentielle du HKMA, de crainte de l’occurrence d’une politique discrétionnaire pouvant émaner de cette institution : en cas de dollarisation, « le HKMA transformera tous les dépôts des banques à son passif et libellés en HK dollar en dépôts dans des banques de New York libellés en US dollars. Le HKMA cessera d’être impliqué directement dans le système de compensation, et les compensations cesseront d’être réglées par des transferts de liquidité via le HKMA. La réalisation des compensations à Hong-Kong exigera des arrangements alternatifs ». Une telle proposition, à savoir la suppression de la chambre de compensation existante, heurte la raison. En effet, les arrangements seront toujours les mêmes : la réalisation des compensations multilatérales; et pour ce faire, on ne peut échapper à la chambre de compensation, le HKMA remplissant précisément cette fonction. Pourquoi alors changer d’institution de manière arbitraire dès lors qu’une institution détient un savoir-faire dans un métier particulier, en l’occurrence, la réalisation des compensations, la collecte d’information et le contrôle des banques. Encore une fois, la proposition de Schuler ne relève que de l’arbitraire. Ceci est d’autant plus regrettable que le système bancaire de Hong-Kong est peut-être celui qui serait le plus facilement adaptable aux principes du banking board et de la banque supérieure. En effet, on y observe une séparation entre les instituts d’émission de billets (les trois banques émettrices) et la chambre de compensation (le HKMA) qui serait l’institution la mieux placée pour assurer le rôle de banque supérieure. En d’autres termes, et de manière générale, nous aurions aisément une distinction très nette entre la monnaie manuelle, la monnaie supérieure et la monnaie ultime.

En dernier lieu, les modalités de prêt en dernier ressort de la banque supérieure sous le banking board sont similaires à celles qui ont été présentées ailleurs (Le Maux, 1999) : ni réserve unique, ni taux d’intérêt unique. Comme vu plus haut, sous le banking board, la régulation monétaire passe par la loi du reflux et des compensations interbancaires de sorte que la politique monétaire et la politique de change visant, respectivement, à assurer le contrôle du niveau général des prix et à garantir un taux de change fixe, sont caduques. Par conséquent, l’instrument de la banque supérieure, le taux d’intérêt, n’a plus lieu d’être unique et il est alors « libre » de toute politique monétaire agissant sur la quantité de monnaie et le niveau des prix via le coût de crédit, ainsi que de toute politique de change agissant sur la rémunération des placements nationaux. Il en découle que, lors de ces interventions en dernier ressort visant à sauver les banques qui manquent de liquidités, la banque supérieure peut fixer un taux différent selon les prises de risque de chaque banque membre. Le contrôle de l’actif des banques est alors essentiel pour déterminer le taux spécifique qui s’applique à chaque banque. Cette modalité permet d’endiguer plus efficacement le risque de système d’une part, et le risque moral lié au prêt en dernier ressort d’autre part.

Conclusion

Après le currency board, la dollarisation ou l’euroisation officielles sont proposées, non seulement pour assurer la stabilité des prix, mais également pour supprimer définitivement tout risque de change. Car si le currency board permet d’atteindre le premier objectif, il subsiste des attaques spéculatives sur le change nourries par le fait que les autorités peuvent sortir du currency board. De plus, la création de liquidité par la caisse d’émission, qui enfreint ainsi la règle du 100 % de réserves, serait également tenue responsable des attaques spéculatives. En fait, les attaques sur le change s’expliquent par l’existence d’une réserve unique (la caisse d’émission). Ainsi, la politique discrétionnaire n’explique pas à elle seule les attaques spéculatives. Sous le banking board, une politique discrétionnaire – entendue au sens d’une politique dont la conduite repose sur le jugement des dirigeants des autorités bancaires pour choisir le moment et la manière d’émettre de manière appropriée de la liquidité supérieure lors des crises bancaire et financière – peut être menée alors même qu’aucun problème de change ne se pose. Seuls subsistent des risques de liquidité au niveau des banques commerciales ou au niveau de la banque supérieure. Ainsi, la politique discrétionnaire peut exister sans qu’il y ait risque de change. En d’autres termes, un système bancaire peut bénéficier et de l’instrument prudentiel que constitue le prêt en dernier ressort et de la suppression du risque de change. Il n’y aucune contradiction et la contradiction apparaît dès lors qu’il y a une réserve unique.

La dollarisation officielle est très imparfaite et elle ne saurait constituer une solution, ni en premier, ni en dernier ressort. L’inélasticité de l’offre des billets qui lui est intrinsèquement liée conduit à des pressions déflationniste et récessive et à une instabilité du système bancaire. Ces deux phénomènes, que l’on retrouve d’ailleurs sous le système du currency board, peuvent être évités. Alors que sous la dollarisation, les billets de l’institut étranger d’émission constituent la monnaie manuelle et la monnaie ultime, sous le banking board, la monnaie ultime est dissociée de la monnaie manuelle, de sorte que l’inélasticité de l’offre de billets et ses conséquences funestes disparaissent.

Dans cette étude, nous avons été amenés à nous interroger sur la nature du prêt en dernier ressort. Dans un contexte de dollarisation, le prêt en dernier ressort peut être une conséquence de l’inélasticité de l’offre de billets et vise par conséquent à endiguer les ruées sur la monnaie manuelle et, indépendamment, il peut être une innovation du système bancaire afin d’endiguer les ruées sur la monnaie ultime. Sous le banking board, seul le second type de prêt en dernier ressort subsiste. Par conséquent, nous pouvons poser, sous le régime de convertibilité, le principe général suivant : dès lors qu’il n’y a ni réserve unique, ni inélasticité de l’offre de billets qui conduit à des ruées sur la monnaie manuelle, le prêt en dernier ressort correspond à une innovation du système de paiement qui n’engendre pas de risque de change et qui constitue précisément une solution à l’instabilité et à la fragilisation du système bancaire et financier.