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Introduction

L’histoire industrielle s’est constituée dans les années cinquante comme une sous-discipline de l’histoire économique et son objet originel était de retracer le parcours individuel d’entrepreneurs ou de firmes. Elle a acquis son autonomie par la suite en élargissant son champ d’étude et en s’impliquant dans les domaines de la théorie économique (Wilson, 1997; Jones, 1997). Grâce à cette transformation, l’histoire industrielle récente, que l’on appelle aussi « new business history », peut se définir comme l’étude et l’explication du comportement des firmes et de l’évolution des industries sur de longues périodes de temps, en replaçant les conclusions dans un cadre d’analyse plus large prenant en compte les marchés et les institutions dans lesquels ces comportements et ces évolutions se manifestent. Les connexions avec l’économie industrielle se sont dès lors développées et multipliées, donnant même lieu dans les années quatre-vingt-dix à des programmes de recherche communs[1]. Au sein de ces programmes de recherche, les questions relatives aux frontières de la firme et de l’industrie ont fait l’objet d’un intérêt croissant. Les contributions récentes ont en effet cherché à cerner les déterminants de la transformation de relations marchandes en relations internes à la firme, ou en relations de coopération, sur certaines périodes de l’histoire industrielle. Elles ont également tenté d’expliquer la recomposition des structures industrielles qui font que, au cours du temps, certaines firmes deviennent leaders alors que d’autres tendent à disparaître[2] (Chandler, 1977, 1992; Williamson, 1985; Temin, 1991; Lamoreaux et Raff, 1995; Casson et Rose, 1997; Rosenbloom, 1997; Wilson, 1997; Chandler et al., 1997, 1998, 2000; Lamoreaux, Raff et Temin, 1998; Malerba et al., 1999, 2001; Fransman et Krafft, 2002; Krafft, 2002; Lazonick, 2002, 2003; Malerba et Orsenigo, 2002). Dans ces conditions, la question de la détermination des frontières de la firme et de l’industrie est devenue un enjeu central dans les rapprochements entre l’économie industrielle et l’histoire industrielle.

Cet article est destiné à cerner dans quelle mesure ce décloisonnement disciplinaire permet une évolution de l’état des connaissances sur les déterminants des frontières de la firme et de l’industrie, et de leurs transformations au cours du temps. Le premier objectif de ce texte est d’identifier les deux tendances principalement utilisées pour rendre possibles ces connexions entre les deux disciplines. La première tendance consiste à traiter le matériel d’archives collecté par les historiens et à le soumettre à des questions économiques. L’enjeu est de sélectionner et d’utiliser les modèles économiques traitant de la firme et de l’industrie qui peuvent contribuer à une organisation et une interprétation cohérente des faits industriels observés dans le long terme. La seconde tendance consiste à appréhender et à tester des données économiques conventionnelles par le biais de questions mises en évidence dans les travaux d’archives. L’enjeu est de procéder à une analyse plus critique des résultats économiques sur les frontières de la firme et de l’industrie et de dégager, sur la base d’études issues de l’histoire industrielle, des pistes nouvelles de recherche. Le second objectif de ce texte est d’analyser, sur cette base, les principaux infléchissements et les éventuels progrès qui ont pu être obtenus par ces rapprochements entre histoire industrielle et économie industrielle sur la question des frontières de la firme et de l’industrie. Nous verrons que la première tendance, en se calquant sur les principales approches de la théorie néo-institutionnelle (analyses des coûts de transaction, d’agence, de contrats incomplets), ne retient que les problèmes de coordination informationnelle comme éléments explicatifs pertinents de la définition et de l’évolution des frontières de la firme et de l’industrie, alors même que d’autres éléments devraient être pris en compte. Nous montrerons par ailleurs que la seconde tendance se présente comme une voie alternative, insistant sur les problèmes de coordination des activités économiques qui sont fondamentaux pour les firmes et les industries innovatrices et nécessitent l’élaboration et l’utilisation de nouveaux cadres d’analyse néo-institutionnelle dans le domaine de l’économie industrielle, centrés sur les compétences (analyse des compétences dynamiques).

L’article se structure de la manière suivante. Il s’agira de montrer, dans un premier temps, que la première tendance focalisée sur la coordination informationnelle et qui est menée à la suite de l’utilisation des travaux de Chandler par Williamson aboutit à une confirmation par l’histoire industrielle des résultats des courants dominants de l’approche néo-institutionnelle de l’économie industrielle. Nous utiliserons pour cela des cas concrets étudiés par la new business history (section 1). Ensuite, nous verrons que la seconde tendance qui met l’accent sur la coordination productive et qui restaure l’esprit des travaux de Chandler, conduit à une réelle confrontation des résultats de l’économie industrielle avec ceux de l’histoire industrielle. Ce résultat sera également formulé sur la base de matériel d’archives de la new business history, portant sur l’évolution et la viabilité d’entreprises et d’industries innovatrices (section 2).

1. La coordination informationnelle comme point de rencontre entre économie industrielle et histoire industrielle

La recherche de modèles et de cadres analytiques destinés à comprendre les faits historiques est un problème central de la new business history. Cette recherche implique un développement de connexions entre économie industrielle et histoire industrielle qui n’a été, dans un premier temps, ni évident ni immédiat (section 1.1). Par la suite, les analyses néo-institutionnelles ont offert un cadre d’analyse aux historiens de l’industrie. Ainsi, la théorie des coûts de transaction permet de justifier l’existence de grandes firmes verticalement intégrées (section 1.2). La théorie de l’agence éclaire les relations entre actionnaires et managers de la firme, et les conflits d’intérêt entre les différents agents au sein de la firme ou entre firmes (section 1.3). La théorie des contrats incomplets met l’accent sur la notion de propriété et délimite ainsi les frontières de la firme (section 1.4). Cette recherche d’adéquation entre approche néo-institutionnelle et histoire industrielle est un exercice utile, mais elle se heurte à un certain nombre de limites (section 1.5).

1.1 La difficulté de la rencontre entre l’économie industrielle et l’histoire industrielle

Du point de vue de l’histoire industrielle, l’élaboration de connexions avec l’économie industrielle n’a pas été facile, et ne s’est imposée que progressivement comme un engagement permettant de se démarquer de l’histoire économique traditionnelle[3]. Un certain nombre d’hésitations et de réticences de la part des historiens ont freiné ce processus. Ainsi, Supple (1961) soutenait que l’économie théorique ne devait pas être regardée comme une vérité révélée, mais plutôt comme « un assortiment de mécanismes logiques et conceptuels dont certains peuvent être effectivement utilisés pour faire émerger des modes d’approche du matériel historique » (Supple, 1961 : 85). De même, Hyde (1962 : 9) pensait qu’il était dangereux de considérer la théorie comme « un standard de mesure universel qui pourrait être utilisé de manière aveugle par l’historien ». Ce même auteur affirmait que les historiens sont mieux équipés pour traiter des faits bruts que les économistes qui sont liés à une théorie particulière. Des positions plus constructives ne vont apparaître que récemment. Pour Lee (1990 a et b), par exemple, l’histoire industrielle peut non seulement aider à affiner et à modifier la théorie en testant les modèles sur la base de l’expérience concrète du monde réel, mais aussi à analyser les performances des firmes en utilisant les techniques familières aux économistes.

Selon Wilson (1997), cette longue méfiance vis-à-vis des analyses économiques était essentiellement due à une méconnaissance de leur évolution. Pour beaucoup d’historiens industriels, la seule référence est restée pendant longtemps la théorie de la firme néoclassique qui est inadaptée aux problèmes qu’ils ont à traiter. Les principales raisons de cette inadéquation sont les suivantes (Jones, 1997) :

  • cette vision ne permet pas d’expliquer les changements qui interviennent dans la structure ou dans l’organisation de la firme. Les seuls changements susceptibles d’être décrits sont exogènes, comme l’impact de certains impôts ou subventions, ou d’une nouvelle technologie, sur les prix ou la quantité vendue;

  • la fonction de l’entrepreneur est réduite à celle d’un automate qui applique des techniques connues pour réaliser des objectifs bien définis. En conséquence, la dimension collective de la firme est négligée et les problèmes de structure ou d’organisation sont évacués;

  • la conception mécanique de la convergence vers l’équilibre implique que, dans un contexte de rationalité parfaite avec information parfaite, la recherche de l’équilibre se fait sans coût, sans délai et sans risque pour le décideur. Lorsque les technologies réalisables, le prix des inputs et les coûts de production, de même que l’ensemble des états futurs du marché sont connus, la maximisation devient un exercice de routine, immédiatement réalisable puisque aucun coût d’information n’est nécessaire;

  • les catégories de concurrence parfaite et imparfaite, d’oligopole ou de monopole sont définies afin d’expliquer la prééminence de l’équilibre sous différentes structures de marché données. Les spécialistes d’histoire industrielle sont plutôt à la recherche des conditions en matière de structures organisationnelles qui doivent à certaines périodes être développées afin d’assurer à la firme un avantage compétitif durable.

Compte tenu de ces limites, la recherche de modèles susceptibles de traiter les changements endogènes, l’entrepreneur, la complexité des structures internes (hiérarchiques ou plus décentralisées), les innovations organisationnelles, la création de marché, etc. est nécessaire à l’instauration d’un véritable dialogue entre histoire industrielle et économie industrielle. Les historiens n’ignorant plus les développements de l’économie industrielle, les approches néo-institutionnelles se sont révélées être des candidats utiles à la mise en oeuvre de leur projet.

1.2 La théorie des coûts de transaction : opportunisme et spécificité des actifs

C’est avec les connexions Chandler-Williamson que le rapprochement histoire industrielle - économie industrielle a véritablement débuté. L’objet de Chandler, dans son ouvrage Visible Hand, est d’étudier la révolution industrielle qui s’est mise en place à la fin du 19e siècle aux États-Unis et qui a donné naissance au système industriel moderne. Le problème qu’il soulève est pourquoi l’économie américaine a été dominée largement par des entreprises de grande taille au cours du 20e siècle. Sa méthode consiste à réaliser des monographies d’entreprises et à analyser les caractéristiques de larges panels de firmes s’étant maintenues durablement sur le marché. Il met en évidence deux caractéristiques particulières de cette époque. La première caractéristique est que les firmes qui s’engageaient massivement dans des activités fortement utilisatrices de capital ont rencontré un réel problème de coordination : celui d’articuler une production de masse avec une distribution de masse. La seconde est que le problème de coordination des activités fortement utilisatrices de capital ne pouvait être résolu automatiquement, c’est-à-dire par les seules forces du marché. Dans ces industries capital-intensive, l’intégration verticale (en amont ou en aval)[4] a permis aux firmes d’éviter les goulots d’étranglement de l’offre et de disposer de débouchés en coordonnant les différentes unités productives. L’argument de l’auteur est que la coordination managériale s’est imposée par rapport à la coordination par le marché dans les industries caractérisées par des economies of speed, c’est-à-dire lorsqu’une production suffisamment rapide et importante arrive à réduire les coûts unitaires. Les investissements dans la capacité organisationnelle requise pour gérer des entreprises reliées verticalement se sont révélés être la clef du succès compétitif. Les firmes qui n’ont pas entrepris de tels investissements ont disparu alors que celles qui les ont engagés ont constitué des positions de leadership durable sur le marché.

Williamson, dans le chapitre 5 de son ouvrage de 1985, utilise les différents cas d’intégration verticale explorés par Chandler afin de proposer des éléments de vérification empirique de sa théorie des coûts de transaction. Williamson propose que les firmes minimisent les coûts de transaction dans certaines situations : les firmes émergent pour gérer les investissements caractérisés par un degré élevé de spécificité des actifs, parce que leur caractère irrécouvrable expose les décideurs à des menaces de type hold-up impliquant l’expropriation de leurs profits. Ainsi, la présomption générale est que plus forts (respectivement faibles) seront les coûts de transaction par rapport aux autres coûts, plus forte sera la chance de voir se réaliser l’allocation des ressources dans le cadre d’une firme (respectivement d’un marché). Pour Williamson, l’intégration verticale est un exemple privilégié de sa théorie de la firme. Il qualifie même cette structure de gouvernance particulière de « problème paradigmatique par excellence » (Williamson, 1985 : 150). L’auteur reconnaît que les vérifications empiriques auxquelles il se livre en utilisant les monographies de Chandler sont rudimentaires et qu’elles peuvent en conséquence être discutées. Il soutient toutefois que, dans l’ensemble, celles-ci étayent la proposition selon laquelle l’intégration verticale (en amont, en aval et latérale) est plus compatible avec l’économie des coûts de transaction qu’avec d’autres explications. Selon lui, en particulier, une théorie prédictive de l’intégration verticale doit principalement faire appel à la spécificité des actifs et aux problèmes d’opportunisme qui en découlent.

Trois résultats peuvent être dégagés de ce projet de confrontation entre les travaux d’histoire industrielle de Chandler et ceux en termes de coûts de transaction de Williamson. Le premier est que Williamson trouve une explication de la domination de l’économie américaine par des entreprises de grande taille. L’intégration verticale s’est avérée être une structure de gouvernance optimale (minimisatrice des coûts de transaction) car elle a permis de résoudre les problèmes d’opportunisme liés à la spécificité des actifs. Le second est que Williamson montre la supériorité de la théorie des coûts de transaction par rapport aux analyses standard sur un objet d’étude qui est l’intégration. Des formes sophistiquées d’intégration (exotic integration) peuvent être étudiées, alors que les interprétations traditionnelles se résument à mettre en avant les déterminants techniques de cette forme d’organisation (mundane integration). En effet, les analyses traditionnelles raisonnent seulement sur les coûts de production, alors que Williamson propose d’étudier la minimisation de la somme des coûts de production et de transaction. L’auteur montre également que la notion chandlerienne d’economies of speed est définie de manière floue et conduit à des erreurs d’analyse. L’un des arguments de Williamson se fonde sur l’idée que l’intégration vers l’aval dans le domaine des produits périssables, décrite par Chandler, est injustifiée et donc erronée puisque, contrairement aux autres cas d’intégration (technologies en processus continu et machines nécessitant des services particuliers de vente et de distribution), elle ne met pas en jeu des actifs spécifiques. C’est le troisième résultat de Williamson : montrer que la spécificité des actifs de l’analyse transactionnelle est aussi d’une portée explicative plus grande que le concept chandlerien d’economies of speed. Cette notion renvoie en effet à la nécessité de maîtriser les complémentarités techniques. En ce sens, l’interprétation chandlerienne ne se démarque pas, selon Williamson, des analyses standard qui insistent sur les complémentarités techniques induisant une minimisation des coûts de production. Elle est aussi incapable de rendre compte de la diversité des formes d’intégration.

À la suite de Williamson, les travaux se sont multipliés afin de développer un cadre d’analyse empirique correspondant à la théorie des coûts de transaction (cf. Wiggins, 1991; Shelanski et Klein, 1995; Coeurderoy et Quelin, 1997; Ménard, 2000). Le problème de la mesure des coûts de transaction, ou tout au moins de leur caractérisation dans un contexte empirique, a semblé être dans un premier temps une difficulté réelle. Toutefois, la démarche actuellement adoptée consiste à décomposer les coûts de transaction en leurs différents attributs (spécificité des actifs, incertitude, fréquence des transactions) et de mesurer isolément l’impact de chacun sur le mode optimal de gouvernance. Même si cette démarche ne correspond pas au schéma originel williamsonien, dans lequel les trois attributs sont intimement liés et ne peuvent pas être analysés isolément, elle indique toutefois les efforts considérables qui ont été réalisés afin de traduire l’analyse des coûts de transaction en une grille utilisable empiriquement, notamment dans les travaux d’histoire industrielle. Un certain nombre de contributions ont également porté sur la généralisation de la forme multidivisionnelle dans les entreprises américaines, européennes et japonaises (Wilson, 1968; Kocka, 1971; Morikawa, 1975; Reader, 1975; Hannah, 1983; Grieves, 1989). Les travaux de la new business history explorent ici un thème déjà étudié par Chandler, qui a trait à la détermination d’une structure interne destinée à assurer au mieux la diffusion et le traitement de l’information. Leur cadre d’analyse combine les analyses des coûts de transaction aux analyses d’agence.

1.3 La théorie de l’agence : asymétrie d’information et incitations

Les problèmes d’imperfection et, plus spécifiquement, d’asymétrie de l’information sont au coeur des analyses d’agence (Tirole, 1988). Celles-ci traitent de la manière dont les institutions peuvent être structurées et conduites plus efficacement, compte tenu de ces problèmes informationnels. On trouve chez Raff et Temin (1991) une présentation des liens entre cette littérature et l’organisation interne des firmes telle qu’on peut l’observer dans l’histoire. S’il est vrai que les échanges entre histoire industrielle et analyses d’agence se sont focalisés pour l’essentiel sur des problèmes internes à la firme (relation manager – propriétaire de la firme; relation manager – manager; relation manager – salarié), d’autres travaux s’intéressent aux phénomènes qui se produisent aux frontières des firmes et qui sont susceptibles de modifier les structures industrielles.

Dans certaines situations, les managers ont des intérêts divergents des propriétaires de la firme et ceux-ci n’ont qu’une capacité limitée de vérifier ce que font effectivement les premiers. L’analyse principal – agent montre que les détenteurs du capital peuvent avoir intérêt à investir dans différents mécanismes de contrôle (monitoring) ou à mettre en place des structures de compensation pour inciter les managers à agir dans leur intérêt. Les questions importantes sont donc, dans ce premier cas de figure, les combinaisons de contrôle et de systèmes de compensation pouvant fonctionner de manière optimale dans des situations spécifiques, de même que l’évaluation des coûts d’un recours à une coordination managériale. L’histoire industrielle montre que ces questions se sont posées concrètement et se sont solutionnées par la mise en oeuvre de dispositifs proches de ceux recommandés par la théorie de l’agence. Ainsi, De Long (1991) montre comment les procédures de contrôle mises en place par les financiers au sein de la banque J.P. Morgan ont impliqué une augmentation de la performance des entreprises clientes. Lamoreaux (1991) analyse comment les problèmes informationnels ont influencé les politiques de prêt des banques américaines. Enfin, les analyses d’agence sont un cadre d’analyse de base pour comprendre le gouvernement d’entreprise (Jenkinson et Mayer, 1992; Schleifer et Vishny, 1997; Holmstrom et Kaplan, 2001; Tirole, 2001). L’asymétrie d’information affecte les termes contractuels sur lesquels les investisseurs sont prêts à participer, mais aussi la structure et la stratégie (notamment en termes de fusions-acquisitions et d’emploi) des firmes obtenant les fonds. Cette asymétrie d’information a également de fortes conséquences sur la population des firmes d’autant plus que les besoins des firmes en finance externe varient au cours du cycle d’affaires (Calomiris et Hubbard, 1995).

Dans un second cas de figure, la théorie de l’agence peut être étendue à l’analyse des interactions entre managers de différents niveaux. Les problèmes d’asymétrie d’information sont toujours au coeur de l’analyse, de même que les arbitrages entre contrôle et compensation. Carlson (1995) utilise ces arguments pour analyser le cas de Thompson-Houston Electric Company dont le fonctionnement a été perturbé par de tels conflits d’intérêts. Même si les managers de cette entreprise étaient tous parties prenantes au succès de l’entreprise, leurs différentes visions possibles de l’entreprise ont conduit à des politiques conflictuelles empêchant un fonctionnement optimal. De même, Johnson (1991) montre que la mauvaise interprétation ou la mauvaise utilisation par les seniors managers de l’information sur la comptabilité financière a donné lieu à d’importantes inefficiences dans la production.

Les relations manager – salarié font l’objet du troisième cas. Davis (1996) passe en revue les mécanismes incitatifs que les leaders d’entreprises ont mis en exercice aux États-Unis au début du 20e siècle afin de persuader les salariés d’agir dans l’intérêt de l’entreprise. Ces mécanismes incitatifs portent sur l’instauration d’un sentiment de propriété de l’entreprise au niveau des salariés. Korczinski (1999) explique l’émergence des syndicats de travailleurs dans l’industrie de la construction au Royaume-Uni durant la période 1960-1980 comme un moyen de lutter contre des pratiques opportunistes développées par les employeurs et qui se manifestaient par des rétentions d’information par rapport aux clients ou des ralentissements dans la production afin d’obtenir des clients des paiements supplémentaires.

Enfin, et c’est le quatrième cas, les problèmes d’accès à l’information peuvent impliquer des recompositions de certaines industries. Ainsi, les systèmes d’approvisionnement des magasins dans les colonies anglaises étaient, pour les biens de luxe et au cours de la période 1880-1914, gérés par des agences spécifiques (Crown Agents) qui jouaient le rôle d’intermédiaire entre la fabrication réalisée en Angleterre et la distribution au sein des colonies (Sunderland, 1999). Lorsque les colonies anglaises ont réalisé que les agences pouvaient effectuer un certain nombre de manipulation d’information sur la qualité des biens, un système de contrôle a été mis en place permettant aux colonies d’acheter directement aux fabricants sans passer par l’agence intermédiaire. La recomposition industrielle a pris la forme, dans ce cas, de la disparition d’un certain type d’acteur qui apparaissait pourtant fondamental dans la configuration antérieure.

1.4 La théorie des contrats incomplets : incomplétude d’information et allocation des droits de propriété

Selon Grossman et Hart (1986), les principaux auteurs de ce courant d’analyse, la propriété est le pouvoir « d’exercer le contrôle ». Un raisonnement en termes d’incomplétude des contrats s’adapte parfaitement à l’étude des droits de propriété, puisque tous les droits liés à la propriété ne peuvent être rédigés dans un contrat, sauf à coûts prohibitifs. Les droits de propriété sont donc « spécifiques » s’ils figurent dans le contrat et « résiduels » dans le cas contraire. Pour les auteurs, les frontières de la firme ne se déterminent pas en fonction d’une différence de système de paiement que la firme établirait entre ses employés et ses contractuels, comme le suggère la théorie de l’agence. Ces frontières sont également indépendantes d’une capacité plus grande de la firme à mettre en place des mécanismes de prévention de l’opportunisme, comme dans les analyses de coûts de transaction. Ces frontières dépendent en fait de l’entité qui détient les droits résiduels de contrôle, c’est-à-dire le contrôle des variables de décision en dernier ressort.

On trouve une confirmation de ces travaux dans l’histoire industrielle, même si les contributions sont ici moins nombreuses que celles utilisant les analyses de coûts de transaction ou d’agence. Les résultats sont également plus nuancés que dans les travaux précédemment cités. Ainsi, Lamoreaux (1998 et 2001) montre que si l’analyse en termes de droits résiduels de contrôle, issue de Hart (1995), est souvent présentée dans le domaine de l’économie industrielle comme l’une des plus performantes et des plus fines pour distinguer les phénomènes d’intégration pure des autres formes contractuelles, elle se heurte à d’importants problèmes de vérification empirique et historique. Sur la base d’une étude des choix organisationnels réalisés par des entrepreneurs au 19e siècle, l’auteur montre que les arguments développés par Hart ne permettent pas d’expliquer l’arbitrage entre l’intégration et le partenariat de nature contractuelle. Cette conclusion tendrait à conforter la thèse de Cheung (1983) affirmant qu’il est impossible de construire une définition utilisable de la firme, c’est-à-dire qui la distinguerait précisément des autres formes de contrats. Toutefois, Lamoreaux souligne que l’on a besoin d’une telle définition puisque, dans l’analyse historique, on voit que certains entrepreneurs ont opté pour une structure intégrée alors que d’autres se sont plutôt tournés vers une structure contractuelle.

1.5 Les limites des échanges entre économie industrielle et histoire industrielle en termes de coordination informationnelle

Les approches néo-institutionnelles en termes d’agence, de coûts de transaction ou de contrats incomplets jouent un rôle interprétatif particulièrement important dans les travaux d’histoire industrielle, notamment par rapport aux analyses néoclassiques de la firme. Les études menées par les auteurs de la new business history montrent que les formes institutionnelles, de même que les contours de l’industrie, se modifient en réponse à des problèmes de coordination informationnelle (information privée, opportunisme) qui prévalent dans les échanges marchands. L’imperfection ou l’asymétrie d’information sur la rédaction et l’exécution des contrats, sur l’appropriation des gains, sur les comportements des contractants, justifie le passage d’une coordination marchande à une coordination à l’intérieur des frontières de la firme, ou à une coordination par des formes hybrides de coopération. De même, les problèmes informationnels (entre firmes installées, ou entre firmes installées et firmes entrantes) peuvent être au coeur de phénomènes d’entrées-sorties qui modèlent les frontières de l’industrie. Il est toutefois possible de dégager au moins deux limites inhérentes à ces travaux. La première a trait à l’utilisation de la méthode de « l’analyse institutionnelle comparative » qui porte sur la détermination et la comparaison des efficiences respectives des différentes formes d’institutions possibles, mais n’offre pas de renseignement sur les conditions d’émergence et de viabilité des formes institutionnelles ou industrielles. La seconde concerne la réduction de phénomènes complexes de coordination des activités industrielles à des explications liées seulement à l’imperfection ou l’asymétrie d’information des échanges marchands.

  1. L’analyse institutionnelle comparative

    L’analyse institutionnelle comparative est définie par Williamson (1989 : 136). Elle permet d’arbitrer entre les différentes formes institutionnelles afin de déterminer la structure optimale en fonction d’un critère de minimisation des coûts de transaction. Cette méthode n’est pas l’exclusivité des modèles de coûts de transaction, puisqu’elle est également utilisée dans les analyses d’agence et dans l’approche en termes de contrats incomplets. Ainsi, dans ces deux analyses, on cherche à comparer les coûts et les avantages de différentes formes institutionnelles (firme, marché, coopération) de manière à faire émerger la forme optimale, celle qui correspond à une solution efficiente des problèmes d’incitations. Cette méthode ne se démarque pas significativement de la démarche d’optimisation intertemporelle, ni de la logique de convergence mécanique vers un équilibre de la théorie néoclassique, deux caractéristiques pourtant rejetées par les historiens de la new business history. Dans ce cas, les problèmes d’évolution des formes institutionnelles et de prédominance au cours du temps de certains modes sont réduits à un problème de calcul instantané de la solution optimale. La temporalité, dans laquelle les acteurs interagissent concrètement et se coordonnent progressivement, est négligée alors qu’elle est essentielle pour l’analyse historique. De même, le contexte dans lequel ces phénomènes se développent sont occultés d’emblée (Cohendet et Gaffard, 1990; Amendola et Gaffard, 1992; Garrouste, 1997; Ravix, 1997; Loasby, 1999 et 2001).

  2. La réduction des problèmes de coordination d’activités économiques à des problèmes de coordination informationnelle

    La focalisation sur les problèmes informationnels n’est pas un problème en soi. Les modèles d’économie industrielle se sont concentrés sur ces questions depuis les années soixante-dix et ont réalisé des avancées majeures dans ce domaine. La difficulté est réelle, toutefois, dès lors que cette focalisation est susceptible d’occulter d’autres questions, notamment celle de la coordination des activités productives (Richardson, 1960 et 1972; Loasby, 1991). Cette difficulté apparaît dans les travaux d’histoire industrielle. Revenons sur les exemples précédemment traités. Les problèmes de coordination des activités industrielles (articulation production de masse – distribution de masse) sont, pour Chandler, l’élément explicatif principal du phénomène d’intégration verticale. Ces problèmes vont être occultés ou plus exactement transformés par Williamson pour n’apparaître que comme des problèmes de coordination informationnelle. Ainsi, lorsque Williamson interprète Chandler, l’intégration est justifiée par l’existence de comportements opportunistes dans les industries capital-intensive, avec des actifs ayant un fort degré de spécificité. L’apport de Chandler est édulcoré et le statut de la vérification empirique que Williamson effectue relève plus d’une confirmation de son modèle que d’une véritable confrontation entre économie industrielle et histoire industrielle.

Ces deux limites nous permettent d’avancer le raisonnement suivant, que nous développerons de manière argumentée dans la section suivante. Lorsque les questions qui émergent des travaux d’histoire industrielle ont trait aux processus de changement au sein des firmes et des industries, les modèles néo-institutionnels précédemment utilisés montrent leurs faiblesses. En effet, les problèmes de coordination des activités économiques qui se présentent au sein de firmes ou d’industries innovantes prédominent sur les problèmes de coordination informationnelle habituellement traités dans les analyses d’agence, de coûts de transaction et de contrats incomplets. Nous verrons alors que l’histoire industrielle renseigne utilement la réflexion sur la firme et l’industrie en mettant l’accent sur le fait que l’imperfection de l’information ne concerne pas seulement la sphère des échanges, mais que cela peut s’observer également dans la production. De plus, l’histoire industrielle permet de préciser que les institutions et les industries émergent et évoluent non pas pour contraindre des comportements d’agents ou de firmes afin de révéler une information cachée ou de réprimer des phénomènes d’opportunisme, mais plutôt pour favoriser les comportements des agents et des firmes destinés à créer et maintenir des avantages compétitifs (Krafft, 2000; Krafft et Ravix, 2000). Enfin, du point de vue de l’analyse de la firme et de l’industrie, les travaux récents d’histoire industrielle semblent indiquer que l’analyse néo-institutionnelle demeure un cadre théorique utilisable et utile. Il faut toutefois noter que l’approche néo-institutionnelle ne s’arrête pas aux analyses d’agence, de coûts de transaction ou de contrats incomplets. Après avoir réalisé des avancées majeures dans l’étude des conflits d’intérêt et des problèmes informationnels dans les transactions, cette approche a évolué en se concentrant sur le rôle de l’information productive et les problèmes de coordination des activités économiques qui lui sont associés. Les analyses en termes de compétences, notamment, semblent être une voie intéressante de recherche réalisée dans cette perspective. Les travaux récents d’histoire industrielle plaident en tout cas pour une exploration détaillée de ce type d’analyse institutionnelle.

2. La coordination des activités industrielles comme champ de confrontation entre économie industrielle et histoire industrielle

L’analyse que nous proposons ici va révéler que, dans certains cas, ce sont les problèmes de coordination des activités industrielles qui sont au coeur des travaux d’histoire industrielle, et non les problèmes de coordination informationnelle. Pour cela, il est tout d’abord nécessaire de présenter l’apport de Lazonick qui va restaurer la véritable problématique de Chandler sur la firme innovatrice (section 2.1). Chandler conteste d’ailleurs lui-même l’interprétation de ses travaux dans une optique de pure coordination informationnelle. Il insiste sur le fait que les analyses néo-institutionnelles qui ont servi de base à cette interprétation ne sont pas adaptées aux firmes innovatrices qu’il a étudiées, et que les problèmes de coordination des activités industrielles requièrent l’élaboration de cadres analytiques nouveaux dont les approches en termes de compétences dynamiques constituent sans doute l’un des fondements intéressants (section 2.2). Nous proposons une mise en application de ce raisonnement à travers une confrontation des travaux récents d’histoire industrielle avec ces nouvelles analyses, tout d’abord au niveau interne à la firme (section 2.3), puis au niveau des frontières de l’industrie (section 2.4).

2.1 De la coordination informationnelle à la coordination des activités industrielles : l’analyse de la firme innovatrice par Chandler

Dans son ouvrage de 1991, Lazonick relève les faiblesses de la première tentative de rapprochement entre histoire industrielle et économie industrielle effectuée par Williamson. Pour Lazonick, l’interprétation williamsonienne de la plupart des cas recensés par Chandler est abusive et souvent même erronée. La critique porte sur le caractère purement ad hoc de la vérification empirique entreprise par Williamson, de même que la négligence de l’analyse que construit Chandler à partir de son travail de monographie[5]. L’apport de Lazonick consiste à montrer que, d’une part, contrairement à ce que présente Williamson, les economies of speed de Chandler ne sont pas assimilables à des problèmes de coordination technique et, d’autre part, l’intégration verticale n’apparaît pas sous l’influence de comportements opportunistes comme le soutient Williamson. Sur la base de quatre cas (Duke, Kodak, Swift et Singer), Lazonick indique que si une innovation technologique est à chaque fois un élément important dans le développement de l’entreprise, ce n’est pas l’élément déterminant. L’intégration de l’innovation technologique, et donc la résolution d’une coordination technique, a nécessité la mise en oeuvre de nouvelles formes d’organisations au sein des firmes, mais c’est surtout la création d’un marché de masse, correspondant à l’offre de masse, qui a exigé des formes d’organisation verticalement intégrées. Souvent, d’ailleurs, les réseaux de production et de distribution étaient en cours d’élaboration bien avant que l’utilisation de l’innovation technologique ne soit opérationnelle[6]. L’engagement dans un programme utilisateur de capital impliquait de s’assurer à la fois d’un flux d’input constant tel que la capacité productive soit effectivement utilisée et d’un flux d’output suffisant tel que l’ensemble de la production soit écoulée sur un marché qui, au départ, n’existait pas. Si ces deux conditions n’étaient pas vérifiées, l’importance des coûts irrécouvrables engagés risquait de remettre en cause l’existence de la firme innovatrice.

Dans les termes de Lazonick (1991 : 198-199), le problème était de réussir à transformer des coûts fixes élevés en ressources utilisables, c’est-à-dire en coûts unitaires faibles. Chandler (1992) confirme que les economies of speed impliquaient de maîtriser la capacité de la production et l’intensité d’utilisation de cette capacité, de sorte que l’augmentation des coûts fixes et irréversibles soit contrebalancée par des coûts unitaires de production finale faibles. C’est par l’engagement du triple investissement – élaboration de réseaux de distribution, efforts de commercialisation et de marketing en aval, et définition d’une organisation nécessaire à la coordination de l’ensemble – qu’une solution a été trouvée au problème de coordination d’une production de masse avec une distribution de masse, et qu’un avantage concurrentiel durable a pu être acquis. Ce phénomène, par contre, n’était pas observable dans les industries utilisatrices de travail, du fait de l’inexistence, dans ce cas, d’un degré de fixité et surtout d’irréversibilité des investissements. La justification de la domination des formes intégrées n’est donc pas réductible à un problème d’opportunisme lié à la spécificité des actifs en jeu[7].

2.2 Le rôle de l’analyse en termes de compétences dans l’interprétation des situations d’innovation

Dans un article de 1992, Chandler est revenu sur sa propre conception du fonctionnement de l’industrie et du rôle que jouent les firmes dans ce contexte. Pour lui, la firme doit être au centre de l’analyse et sa fonction principale, qui est de produire avant d’échanger, nécessite un intérêt tout particulier. Dans ces conditions, il est amené à rejeter les interprétations néoclassiques, de même que celles en termes d’agence ou de coûts de transaction (Chandler, 1992 : 85-86). Dans l’approche néoclassique, en effet, la firme est une unité technique dont le programme est de maximiser une certaine fonction objectif à partir d’un ensemble d’information donné, ce qui ne correspond pas aux problèmes concrets de production tels qu’on peut les analyser dans l’histoire. Dans les analyses d’agence ou de coûts de transaction, l’unité de base n’est pas la firme mais la transaction et l’étude des relations d’échange sont privilégiées. Seule l’analyse en termes d’évolution des compétences semble saisir la logique des phénomènes empiriques qu’il a collectés et analysés. Ainsi, Chandler souhaite rattacher ses travaux aux analyses en termes de compétences dynamiques de la firme, dont les origines sont à rechercher chez Marshall, Schumpeter, Penrose, et dont les principaux auteurs sont actuellement D. Teece, G. Dosi, W. Lazonick et R. Nelson (ibid., p. 86)[8]. Cette prise de position de Chandler par rapport aux théories dominantes de la firme est tout à fait intéressante. Tout d’abord et bien évidemment, parce qu’il remet en cause certaines utilisations de son travail – notamment celles effectuées par Williamson – qui étaient pourtant devenues la norme pour l’ensemble de la communauté scientifique. D’autre part, parce que la collaboration qui semble s’initier entre Chandler et les auteurs cités précédemment donne aux travaux empiriques une place centrale et non plus seulement un rôle illustratif et, somme toute, assez accessoire[9].

Langlois et Foss (1999) indiquent que la spécificité des analyses en termes de compétences est de permettre une renaissance d’une problématique de la production dans une théorie de l’économie industrielle jusque-là dominée par les problèmes transactionnels. En effet, en s’inspirant de Richardson (1960, 1972) qui jumelle le concept de « compétences » (capabilities) caractérisant le champ limité de la connaissance productive des firmes aux « activités » (activities) composant le processus de production, Langlois et Robertson (1995) ont élaboré une théorie de la dynamique industrielle[10]. Le problème organisationnel est abordé à travers la question suivante : est-ce que les nouvelles compétences sont acquises via le marché, via la firme et l’apprentissage interne, ou via une coopération interfirmes? La réponse dépend d’un premier élément : la structure préexistante des compétences. Lorsque l’opportunité de profit requiert une configuration de compétences différente de ce qui existe déjà au sein du système étudié, un changement organisationnel a lieu. Si la structure préexistante de compétences est décentralisée et disponible via le marché, la création des nouvelles compétences se fait au sein d’une seule organisation (intégration). Si la structure préexistante de compétences repose au sein d’une structure intégrée, alors la création des nouvelles compétences se fait via le marché. La forme organisationnelle dominante dépend également d’un second élément : la nature du changement économique à l’oeuvre[11]. Si le changement est systémique et requiert un changement simultané de plusieurs parties d’un système complexe, l’intégration est mieux adaptée. En revanche, si le changement est autonome et n’apparaît que dans certains sous-systèmes sans bouleverser la manière dont ces sous-systèmes sont connectés les uns aux autres, alors le marché est mieux adapté.

Nous pouvons utiliser cette grille de lecture pour réinterpréter les cas de Chandler (Chandler, 1977; Lazonick, 1991) et, notamment, pour repérer les différences organisationnelles à l’intérieur même des industries fortement utilisatrices de capital. Ainsi, dans certains cas (Swift et Kodak), les firmes ont opté d’emblée pour un degré d’intégration verticale très fort. Dans d’autres situations (Duke et Singer), certaines activités ont d’abord été coordonnées dans le cadre de relations contractuelles, puis on a assisté à une intégration massive des réseaux de distribution indépendants. Les entreprises Swift et Kodak ont été confrontées à un problème d’innovation systémique couplé à l’inexistence d’une structure de compétences prédéfinie. Pour le cas Swift, l’innovation était systémique puisque l’activité de cette entreprise (production et transport de viande congelée) a requis une modification de l’ensemble du processus traditionnel de production et de distribution. Il s’agissait tout d’abord de créer des wagons spécialisés et réfrigérés afin d’acheminer la production dans les principales villes du continent américain. Il s’agissait ensuite de convaincre les consommateurs potentiels de la qualité du produit proposé. La structure préexistante de compétences était inadaptée puisque personne avant Swift ne s’était engagé dans un projet comparable. Les compagnies de chemin de fer, notamment, qui auraient pu mettre au point les wagons frigorifiques, ne se sont pas engagés dans cette activité. Pour le cas Kodak, l’innovation était également systémique puisqu’il s’agit de la mise au point d’un système d’impression des images photographiques « sur bande » (ou sur rouleau), remplaçant le système traditionnel « sur plaque ». Ce système, qui s’adressait initialement aux professionnels de la photographie, n’a pas fonctionné commercialement car les utilisateurs étaient obligés de changer leurs appareils pour pouvoir l’utiliser. Kodak a donc mis au point un nouvel appareil photo avec pellicule intégrée qui a été lancé sur le marché dans l’objectif de conquérir une clientèle d’amateurs. La structure de compétences était également inadaptée, puisque Kodak n’avait pas de concurrent sur cette activité. De plus, le réseau de détaillants n’existait pas pour ce tout nouveau marché. Dans ces deux cas, l’intégration verticale a été choisie d’emblée. Pour les entreprises Duke et Singer, l’innovation était également systémique, mais il existait toutefois des réseaux de détaillants indépendants qui pouvaient fournir dans un premier temps une structure de compétences répondant aux nouvelles exigences dans la distribution. Lorsque Duke a rendu opérationnelle la machine Bonsack autorisant une production de masse, le marché de la cigarette n’existait pas. Les consommateurs préféraient le cigare, la pipe, le tabac à chiquer ou à priser. De fait, un réseau de détaillants était déjà organisé pour ces produits. De même, Singer a utilisé des réseaux indépendants pour distribuer son produit (machines à coudre) durant la période de développement d’un réseau interne, période nécessaire à la formation et à l’apprentissage d’employés qualifiés.

Nous pouvons alors synthétiser ces résultats dans le tableau suivant :

Tableau 1

La structure organisationnelle en fonction de la nature de l’innovation et de la disponibilité des compétences

La structure organisationnelle en fonction de la nature de l’innovation et de la disponibilité des compétences

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Cette grille de lecture, en mettant l’accent sur l’innovation systémique et sur les problèmes d’imperfection de l’information (structure de compétences existante ou non) qui sont liés à la mise en oeuvre de cette innovation, peut également aider à l’interprétation d’autres cas d’histoire industrielle. Une confrontation de cette grille d’analyse avec des travaux d’histoire industrielle est réalisée dans les deux paragraphes suivants en mobilisant une série de travaux effectués sur l’industrie automobile (Bresnahan et Raff, 1991; Langlois et Robertson, 1995; Raff, 1995, 1998). Cette confrontation montrera que, tant dans le cas de la détermination des frontières de la firme que dans celle des frontières de l’industrie, les aspects productifs sont prédominants par rapport aux aspects informationnels.

2.3 Innovation et évolution des frontières de la firme

Les analyses d’agence expliquent les frontières de la firme en fonction de la spécificité des systèmes de rémunération. Ceux-ci peuvent être justifiés par un partage des risques entre un employeur (caractérisé par une neutralité vis-à-vis du risque) et les employés (caractérisés par une aversion vis-à-vis du risque). Ceux-ci peuvent également être justifiés par la capacité de l’employeur à faire révéler une information privée de ses employés. Cette théorie permet-elle d’expliquer les grandes tendances d’évolution des systèmes de rémunération des firmes?

Cette question peut trouver une réponse si on se réfère à l’histoire de l’industrie automobile au cours de la période 1910-1930 aux États-Unis[12]. Cette histoire industrielle est marquée par deux éléments principaux qui remettent en cause les interprétations en termes d’agence. Tout d’abord, les systèmes de rémunération dépendent directement de la manière dont les tâches des différents employés doivent être coordonnées, c’est-à-dire de l’organisation de la production. Ce premier résultat met l’accent sur la prédominance de l’information productive sur l’information transactionnelle pour expliquer l’évolution des frontières de la firme et des systèmes de rémunération des employés. De plus, compte tenu de la diversité des modes de production utilisés par les firmes au cours de cette époque, différentes formes de coordination des tâches se sont imposées et ont engendré une grande diversité des schémas de rémunération. Ce deuxième résultat indique que les firmes innovatrices de l’industrie automobile qui, comme Ford, ont adopté la production de masse et la rémunération/jour dès 1913-1914, ont coexisté pendant une longue période avec d’autres firmes ayant conservé la structure de compétences et les schémas de rémunération antérieurs. Il faut en effet attendre la fin des années vingt pour observer une convergence vers le système de production de masse et le paiement à la journée.

Pour comprendre ces éléments, il est nécessaire de retracer brièvement l’évolution de l’industrie automobile. Lorsque l’industrie automobile naît, le processus de production est très découplé. L’automobile est un produit de luxe et les acteurs sont plus des assembleurs que des producteurs. Au sein de chaque entreprise, un petit groupe de personnes est chargé d’assembler la voiture depuis le début jusqu’à la fin du processus de production, comme cela était fait pour les voitures à chevaux. Le rythme de travail de chaque assembleur n’est pas contraint par le travail d’un autre. On peut dire que, dans ce système, l’exigence principale est de produire le plus possible, et seuls les travailleurs susceptibles de répondre à cette exigence continuent d’être payés. De plus, les propriétaires de l’entreprise ne sont pas propriétaires des outils de travail, ce sont les employés qui sont censés les détenir et les entretenir. Dans ce cas de figure, le mode de production fait que l’on distingue difficilement un employé d’un travailleur indépendant : les frontières de la firme sont difficiles à déterminer. Le mode de paiement dépend directement du mode de production : la quantité étant primordiale, les travailleurs sont payés à la pièce.

Cette industrie naissante va connaître deux bouleversements introduits par l’entreprise Ford. Le premier est la mise en place de la progressive assembly, qui implique que le travail des employés ne s’arrête pas lorsqu’il y a des stocks. Le travail des employés devient plus interdépendant, et il est nécessaire de coordonner le rythme de travail. Le second est l’American-system production of parts, qui implique la production de pièces standardisées. Les investissements dans l’outil de production sont alors réalisés par la firme elle-même et non plus par les employés. Dans cette nouvelle configuration, la chaîne d’assemblage devient un lieu dans lequel les inputs et les activités doivent être étroitement coordonnés. En effet, lorsque des excès de production apparaissent du fait d’une mauvaise coordination, cela peut entraîner des pertes importantes surtout quand le taux de production est élevé. Les frontières de la firme deviennent plus nettes dans ce cas : il s’agit d’un ensemble d’activités étroitement liées techniquement et économiquement, et mises en oeuvre par des ouvriers spécialisés. Dans ce nouveau contexte, le mode de paiement ne peut plus être fixé en fonction du rendement individuel, ni du rendement d’un groupe de travail, mais en fonction du rendement global de l’entreprise. La réalisation du processus de production implique l’ensemble des travailleurs, la rémunération est identique pour chaque ouvrier spécialisé de la firme.

L’analyse de cette période fait apparaître une innovation systémique au sein de l’industrie automobile. C’est l’ensemble des tâches et la manière de les coordonner qui ont dû être redéfinis. Toutefois, cette innovation systémique a été adoptée à des rythmes différents selon les entreprises qui composaient l’industrie. Certaines firmes n’ont pas intégré cette innovation systémique : elles se sont conformées à l’ancienne manière de produire, en utilisant la structure de compétences existante, et ont conservé des frontières floues. D’autres firmes leader (Ford, General Motors, Chrysler) ont choisi de construire une nouvelle structure de compétences nécessaire à la mise en oeuvre de l’innovation systémique et ont adopté une structure beaucoup plus organisée. La diversité de ces firmes, leurs caractéristiques en termes de choix productifs, ont également eu des implications sur les phénomènes d’entrées-sorties, et donc sur la définition des frontières de l’industrie. Nous allons maintenant les étudier.

2.4 Innovation et évolution des frontières de l’industrie

Dès lors que l’on s’intéresse à l’évolution des industries innovatrices, un des modèles de référence est celui du cycle de vie (Gort et Klepper, 1982; Klepper, 1997, 2002a, 2002b). L’hypothèse de base est que l’industrie innovatrice est assimilée à un organisme vivant dont les caractéristiques évoluent et se transforment au cours du temps selon des étapes bien déterminées. Le résultat majeur de cette littérature est que la structure de marché, repérée par le nombre de firmes installées, est directement liée aux étapes de diffusion de l’innovation dans l’industrie. Cette fois encore, un retour sur l’histoire industrielle va montrer que ce résultat est discutable, dans la mesure où il ne retient que les problèmes informationnels entre firmes pour expliquer les phénomènes d’innovation.

L’industrie automobile se présente comme étant le domaine d’application idéal des schémas en termes de cycle de vie (Klepper et Simons, 1997, 2000). C’est en effet dans cette industrie que l’on peut vérifier les grandes relations mises en évidence dans cette approche. En utilisant la base de données fournie par la Federal Trade Commission sur la période 1899-1960, on obtient les résultats suivants. Le taux de croissance de l’output de cette industrie est en forte hausse jusqu’en 1919 (25,8 % par an), puis se tasse jusqu’en 1929 (11,5 % par an). Dans les années 1930-1937, le taux de croissance est en baisse, mais remonte légèrement en fin de période. Conformément au cycle de vie, la croissance de l’output est forte dans les phases initiales, puis se ralentit au cours du temps. Les processus d’entrée-sortie évoluent également conformément au cycle de vie. L’entrée est concentrée dans les premières années de développement de l’industrie, puisque dans la période 1902-1910, elle est en moyenne de 48 nouvelles firmes par an, avec un pic de 84 entrées pour l’année 1907. Après 1910, le taux d’entrée diminue : il est de 16 entrées par an dans la période 1911-1921 et devient négligeable après 1921. En 1909, les sorties dépassent l’entrée et le shakeout[13] s’accélère au cours des années vingt, pour devenir maximal dans les années trente. Les parts de marché des firmes fluctuent largement au cours des premières années et se stabilisent considérablement à partir du moment où les firmes leaders commencent à accaparer des parts croissantes de marché. Ainsi, en 1937, les trois firmes Ford, General Motors et Chrysler détiennent 88 % du marché. Ces firmes vont maintenir leur position de leader jusque dans les années soixante. Les first-movers se maintiennent sur le marché de manière nettement supérieure. Les phénomènes d’entrée se sont produits par vagues successives sur cinq périodes (1895-1904, 1905-1909, 1910-1916, 1917-1922, 1923-1967). Les entrants appartenant à ces différentes vagues ont le même taux de survie jusqu’à la septième année mais, après cette septième année, les entrants de la première vague ont un taux de survie bien plus élevé que les entrants des quatre vagues suivantes. La substitution innovation produit – innovation procédé est observable. L’innovation produit est maximale en 1905 : il s’agit d’innovations majeures destinées à définir la structure de base des automobiles. Cette innovation décroît ensuite et est remplacée par l’innovation procédé qui ne cesse de croître jusqu’au milieu des années trente[14].

L’analyse de ces différentes relations est la suivante. Conformément au raisonnement de Gort et Klepper, l’entrée et la sortie dépendent de la possibilité des firmes de capter l’information nécessaire à la découverte d’opportunités de profit au cours des différentes périodes[15]. Ainsi, dans les premières étapes d’émergence de l’industrie, ce sont les firmes issues de marchés technologiquement reliés, ou fondées par des inventeurs individuels, qui sont les forces motrices du développement de l’industrie. En effet, ce sont elles qui créent de l’information afin de façonner précisément le nouveau produit. Au cours de cette période, l’information est aisément transférable d’une industrie à l’autre, les opportunités de profit sont importantes et ceci exerce un effet positif sur l’entrée. Dans les phases de croissance et de maturité, ce sont cette fois les firmes installées qui sont les acteurs de la dynamique industrielle, grâce aux informations qu’elles ont accumulées par l’expérience. L’information joue le rôle de barrière à l’entrée et les opportunités de profit sont alors plus réduites pour les entrants potentiels, mais aussi pour les firmes installées qui réalisent l’innovation procédé de manière moins efficiente. L’expérimentation induit des différences de coût importantes, elle est à l’origine de la disparition des firmes. L’entrée est freinée de manière significative, les sorties sont importantes et le shakeout est inévitable. Dans cette interprétation, donc, les entrées-sorties sont expliquées par la plus ou moins grande possibilité d’accéder à l’information qui, selon le cas, allège ou pèse sur les courbes de coûts moyens.

L’histoire industrielle offre un éclairage différent sur le phénomène du shake-out constaté lors de la grande dépression. Si les données économiques agrégées au niveau de l’industrie impliquaient de conclure que le shakeout avait bien eu lieu conformément aux prescriptions en termes de cycle de vie, les données de l’historien montrent que cela n’a pas été forcément le cas[16]. En effet, les conclusions du cycle de vie sont que l’industrie évoluait de manière prospère, puis qu’elle a subi une forte contraction. En fait, si l’on mobilise les archives historiques, on constate l’existence d’une structure beaucoup plus complexe[17]. En particulier, entre les deux pics de 1929 et 1933, le nombre total des firmes installées est à peu près égal à la moitié du total initial et l’entrée stagne aux environs de 10 %. Il existe donc clairement un shakeout. Il est toutefois utile pour compléter le raisonnement de s’intéresser aux caractéristiques des firmes, c’est-à-dire celle qui sont restées dans l’industrie de 1929 à 1933, celles qui sont sorties, et celles qui se sont présentées comme nouveaux entrants.

De ce travail de comparaison des caractéristiques, il ressort que les firmes qui ont disparu étaient très différentes des firmes des deux autres catégories. En effet, en 1929, lorsque la grande dépression a frappé, les automobiles étaient fabriquées selon deux modes technologiques radicalement distincts. D’une part, les trois leaders (General Motors, Ford, Chrysler) étaient alors les précurseurs de la production de masse et de méthodes de production modernes; d’autre part, les autres firmes utilisaient une technologie plus artisanale et labour-intensive. Comme nous l’avons vu, le processus de sortie qui s’en est suivi a traditionnellement été analysé en termes d’accès à l’information et de courbes de coût. De fait, ce n’est pas ce qui s’est passé. La dépression n’a pas été une période de transition au cours de laquelle les firmes les moins efficientes ont disparu; elle ne peut être considérée comme un moment de passage d’une période à une autre dans le cycle de vie. La grande dépression correspond à une période de mutation profonde de l’industrie. En effet, les différences de coût qui importent dans le cas présent ne sont pas les coûts de production tels qu’ils peuvent être exprimés dans les courbes de coût. Pour analyser le processus de sortie, il faut prendre en compte les coûts d’ajustement, c’est-à-dire les coûts irrécouvrables que supportent certaines firmes et pas d’autres. De fait, si les coûts fixes des usines de production de masse étaient importants, ils étaient surtout irrécouvrables. Lorsque les trois firmes leaders étaient confrontées à des demandes faibles, elles ne pouvaient dégager des recettes importantes mais, surtout, elles ne pouvaient pas sortir de l’industrie aisément. Au contraire, les autres firmes labour-intensive obéissaient à une logique différente. Ces firmes étaient beaucoup plus flexibles et sont massivement sorties de l’industrie. Une recomposition de l’industrie a eu lieu, dont le déterminant est l’engagement (ou non) dans une innovation systémique impliquant des investissements irréversibles et une réorganisation interne destinée à développer de nouvelles compétences, réduisant l’imperfection de l’information productive.

On pourrait conclure cette analyse en qualifiant le choix des firmes flexibles de purement rationnel, contrairement à celui des firmes qui ont engagé des coûts irrécouvrables et qui ont dû subir des pertes importantes lors de la grande dépression. Toutefois, ce raisonnement resterait, sur ce point encore, très partiel. En effet, ce que l’on peut observer c’est que les trois firmes leaders ont, dès cette époque, mis en place les conditions de leur pérennité. En engageant ces coûts irrécouvrables, ces firmes ont construit les méthodes de production et les équipements qui leur ont permis de faire face à une demande de masse qui, malgré les phases de dépression, demeurait l’exigence de marché dominante. Ces firmes ont donc su développer les activités productives qui correspondaient à la configuration du marché et maîtriser sur le long terme l’articulation entre la sphère productive et la sphère marchande. Les autres firmes, en revanche, ont échoué : elles ont disparu lors de la grande dépression et n’ont pu revenir dans l’industrie par la suite, puisque les barrières à l’entrée étaient alors trop importantes.

Conclusion

Cet article a présenté les deux principales tendances adoptées par la littérature récente pour envisager les connexions entre économie industrielle et histoire industrielle, ceci dans le contexte de l’étude des frontières de la firme et de l’industrie. Il ressort de cette présentation que la première tendance utilise les modèles économiques comme une grille de lecture des faits historiques, alors que la seconde tendance laisse aux travaux d’histoire industrielle la possibilité d’affiner les grilles de lecture de l’économie industrielle.

Trois résultats peuvent également être dégagés de cette présentation. Tout d’abord, la première tendance revient à une lecture des résultats des modèles économiques à la lumière de l’histoire, alors que la seconde met l’accent sur des questions économiques qui ne sont pas résolues dans la littérature dominante. On passe ainsi d’une simple tentative de confirmation des résultats de l’économie industrielle par l’histoire industrielle à une réelle confrontation des deux disciplines. Ensuite, dans la première tendance, la rencontre entre économie industrielle et histoire industrielle implique de ne prendre en compte que les aspects transactionnels pour définir les frontières de la firme et de l’industrie. Dans la seconde tendance, en revanche, la confrontation entre économie industrielle et histoire industrielle conduit à considérer les aspects productifs comme déterminants de ces frontières. Enfin, la première tendance considère les résultats des analyses économiques comme des outils donnés et indiscutables, alors que la seconde souligne de manière explicite leurs limites et incite à la recherche de nouveaux concepts et cadres d’analyse.