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Introduction

La croissance économique fulgurante de la Chine depuis les réformes de 1979 ne passe certainement pas inaperçue aux yeux des observateurs internationaux. Le PIB réel de la deuxième plus grande économie mondiale a connu un taux de croissance annuel moyen d’environ 10,3 % entre 1990 et 2007[1]. La transformation de cette « économie socialiste de marché » s’est caractérisée par l’expansion du secteur industriel, devenu hautement compétitif au niveau international, et l’ouverture commerciale.

Ce développement économique implique malheureusement un coût environnemental élevé. En 2005, l’OCDE estimait que cinq des dix villes les plus polluées au monde se situaient en Chine. De son côté, l’Institut Blacksmith (2007) avait inclus six villes chinoises dans son top 30 des endroits les plus pollués au monde. La ville de Linfen, située dans la province de Shanxi, affiche la pire qualité de l’air du pays, accompagné d’un nombre croissant de décès liés aux pathologies respiratoires et aux cancers du poumon, de même que de nombreux cas d’empoisonnement au plomb et à l’arsenic en raison des nappes phréatiques contaminées.

Comment conserver un sain équilibre entre la croissance économique et la protection de l’environnement demeure une question primordiale pour le peuple chinois. La courbe de Kuznets environnementale (CKE), qui fait l’hypothèse d’une relation en forme de U inversé entre l’indicateur de la dégradation environnementale et le revenu par habitant, semble indiquer la possibilité d’un tel équilibre après que l’économie ait dépassé le seuil de revenu correspondant au point de retournement. Cependant, tel que le souligne Panayotou (1997), une analyse CKE basée sur des données en coupe transversale et une équation de forme réduite demeure essentiellement une « boîte noire », qui en cache davantage qu’elle n’en révèle puisque le niveau de revenu est utilisé comme variable passe-partout visant à inclure tous les changements qui surviennent avec le développement économique. Afin de démystifier l’hypothèse de la CKE, plusieurs auteurs ont enrichi la forme réduite simple en y ajoutant d’autres facteurs déterminants de la pollution, tels que la structure industrielle, le progrès technique, le degré d’ouverture, la distribution du revenu, la densité de population, le niveau de développement politique et institutionnel, etc.

Merlevede et al. (2006) est pour le moment la seule étude qui analyse le rôle de la taille des firmes dans la détermination de la forme et des points de retournement de la CKE. Leurs recherches démontrent une différence significative au niveau de la forme de la CKE et des points de retournement pour les économies dont la taille moyenne des firmes est supérieure. Ainsi, ils concluent qu’une proportion supérieure de grandes firmes dans une économie peut accélérer l’apparition du point de retournement.

Poursuivant leurs intuitions, ce papier examine en Chine la relation entre la taille des entreprises et les émissions de SO2 par la construction d’une CKE, basée sur un panel de 29 provinces et villes chinoises entre 1998-2007. Nous postulons que la taille d’entreprise peut avoir un impact sur les émissions de SO2. En admettant que les firmes de grande taille bénéficient d’économies d’échelle importantes dans la réduction des émissions, une proportion supérieure de grandes firmes dans une économie peut favoriser soit la diminution des émissions soit le ralentissement de l’augmentation des émissions. Plus précisément, nous incluons dans un modèle de CKE non seulement une variable mesurant la taille des firmes mais également une variable d’interaction entre la taille des firmes et le revenu. Ces deux variables demeurent les instruments par lesquels nous pourrons comparer l’impact de la présence de grandes firmes sur les émissions de SO2 par habitant. L’analyse s’intéressera également à la manière dont les émissions polluantes sont affectées par l’importance relative des firmes étatiques dans la production brute et par le ratio de capital par travailleur.

À notre connaissance, cette étude est la première à analyser, pour un pays spécifique, l’influence de la présence de grandes firmes (représentant un avantage par rapport au coût marginal de la réduction des émissions polluantes) sur la forme de la CKE. L’estimation d’une CKE permettra également d’examiner la tendance dans la croissance des émissions de SO2 en Chine, polluant atmosphérique dont les concentrations élevées dans certaines régions perturbent les écosystèmes en plus de générer des coûts élevés pour le système de santé chinois.

Le choix des émissions de SO2 comme indicateur environnemental se fonde sur plusieurs raisons. Premièrement, les émissions de SO2 demeurent le problème de pollution aérienne le plus important de Chine. En raison de la concentration industrielle et de densité de population élevée depuis les années quatre-vingt, la pollution liée au SO2 dans les régions urbaines de Chine a augmenté dramatiquement et la plupart des initiatives gouvernementales se sont soldées en échecs. Pour plus du tiers des grandes villes chinoises, les niveaux de concentration ambiante de SO2 sont au moins deux fois plus élevés que les normes sécuritaires fixées par l’Organisation mondiale de la Santé pour les pays en développement (China’s Environment Statistics, 1998). Les recherches commencent à révéler les impacts potentiellement négatifs de ces émissions sur la santé publique, notamment comme cause significative de maladies respiratoires (Xu et al., 1994; World Bank, 1997). Les émissions de SO2 ne font qu’aggraver le problème des pluies acides tant dans le nord que dans le sud de la Chine, problème qui entraîne une détérioration rapide de la productivité des équipements et du capital (World Bank, 1997). Deuxièmement, le SO2 est généralement le polluant affichant la probabilité la plus élevée de présenter une courbe en U inversé par rapport à l’augmentation du revenu et plusieurs études portant sur la Chine ont concentré leur analyse sur ce polluant, notamment Shen (2006), Brajer et al. (2007), Cole et al. (2008), He (2009) et He (2010). L’étude de l’impact de la taille des firmes sur la CKE effectuée par Merlevede et al. (2006) se base également sur le cas des émissions de SO2. Ainsi, en portant notre attention sur les émissions de SO2, nos résultats devraient pouvoir se comparer à ceux des études précédentes. En dernier lieu, les statistiques historiques révèlent une relation étroite entre les émissions de SO2 et les activités de production industrielle en Chine. Plus de 75 % des émissions de SO2 en Chine proviennent directement des secteurs industriels et la quantité d’émissions des autres sources demeure relativement stable (He, 2006).

La structure de ce papier se divise comme suit : la première section revoit la littérature empirique récente sur la courbe de Kuznets environnementale en Chine ainsi que sur le rôle de la taille des entreprises dans la relation « croissance-environnement ». La deuxième section décrit la méthodologie économétrique et les données à la base des estimations, dont les résultats sont présentés dans la troisième section. Finalement, la conclusion synthétise les principaux résultats et propose de nouvelles pistes de recherche.

1. Revue de littérature

La courbe de Kuznets environnementale (CKE), ayant pour origine la courbe de Kuznets (1955), a fait l’objet d’un intérêt renouvelé depuis les années quatre-vingt-dix. On compte plus de 200 articles publiés sur le sujet ainsi qu’une dizaine de revues de littérature (Dasgupta et al., 2002; Harbaugh et al., 2002; Panayotou, 2003; Dinda, 2004; Stern, 2004; He, 2007; Nourry, 2007). Dans l’estimation d’une CKE globale (comprenant plusieurs pays), la forme de la relation pollution-revenu et les points de retournement obtenus restent extrêmement sensibles aux choix de facteurs tels que la base de données, les indicateurs de pollution, les pays contenus dans l’échantillon, l’intervalle temporel et la méthode économétrique. La dénonciation acerbe du concept d’une CKE globale et de son extrapolation fallacieuse au comportement individuel futur des économies émergentes (Vincent, 1997; Egli, 2002) ont incité les chercheurs à se concentrer davantage sur l’estimation de la CKE au niveau national, notamment afin d’émettre des recommandations de politiques applicables et pertinentes au pays concerné.

1.1 Les études de la CKE sur le SO2 en Chine

En raison de l’intérêt croissant de la communauté internationale pour le développement économique rapide en Chine et à cause de sa situation environnementale inquiétante, des dizaines d’études ont tenté de vérifier empiriquement la validité de l’hypothèse d’une CKE chinoise. La Chine constitue un exemple éloquent du fait qu’effectuer les estimations sur un seul et même pays avec des données comparables n’atténue pas la divergence des résultats entre les analyses. Le tableau 1 résume 9 articles publiés au cours des 10 dernières années qui étudient l’existence la courbe de Kuznets environnementale avec le cas du SO2 en Chine. Comme nous pouvons constater, il y a autant d’études qui soutiennent la présence d’une CKE en Chine que d’études qui infirment la même hypothèse pour le SO2. Deacon et Norman (2004) trouvent des évidences supportant la CKE en U inversé pour le SO2 mais admettent que leurs résultats pour le point de retournement se situent nettement en-dessous du consensus de la littérature. Shen et Hashimoto (2004) observent pareillement une CKE en U inversé pour le SO2 à partir d’un panel provincial, mais avec un point de retournement anormalement faible (1,395 yuans). Shen (2006) recourt à un système d’équations simultanées (SES), pour tenir compte de la détermination conjointe du revenu et des émissions, et découvre cette fois-ci une CKE en forme de U non inversé. Pourtant, en utilisant un moindre carré à deux étapes (MCDE) avec un SES, Shaw et al. (2004) concluent à l’existence d’une CKE avec un sommet de 6,471 yuans. De leur côté, De Groot et al. (2004) et Zhao et al. (2005) ne perçoivent aucune CKE dans leurs estimations. Finalement, Yaguchi et al. (2007) affirment que, même si leurs résultats n’exposent pas clairement une CKE, les coefficients pour le SO2 (non significatifs mais de signes attendus) laissent entrevoir la possibilité que la Chine se situe sur la portion plate de la CKE. Plus récemment, He (2009) estime une CKE en forme de U inversé ou de N pour la Chine, dépendamment de l’inclusion du revenu par habitant cubique comme variable explicative.

Tableau 1

Estimations économétriques récentes de la CKE en Chine pourle SO2

Estimations économétriques récentes de la CKE en Chine pourle SO2

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1.2 Le rôle de la taille des firmes sur l’environnement 

Intuitivement, les firmes de taille supérieure disposent de ressources financières, humaines et matérielles relativement plus abondantes, ce qui leur confère un grand éventail de choix stratégiques. En bénéficiant d’économies d’échelle par rapport aux firmes de taille inférieure et en ayant la possibilité de répartir les coûts fixes liés aux mesures de contrôle des émissions sur un volume important d’unités produites, les grandes firmes présentent des coûts de réduction marginaux des émissions inférieurs (Andreoni et Levinson, 1998). Cet avantage comparatif se manifeste clairement en Chine (Wang et Wheeler, 2005). D’autre part, le type d’installations joue également un rôle important : les grandes firmes industrielles possèdent généralement des cheminées plus imposantes que les petites, générant ainsi une moindre concentration de polluant par unité d’émission. En fait, le modèle de dispersion standard de la Banque mondiale indique que chaque unité d’émission de particules d’une petite entreprise accroît la pollution de l’air environ 14 fois plus que celle d’une grande entreprise en raison de la différence dans la taille des cheminées (Dasgupta et al., 1998).

Non seulement les grandes firmes possèdent la capacité de réduire plus efficacement leurs émissions, mais elles se voient souvent dans l’obligation de le faire. Les grandes firmes opèrent généralement dans un cadre plus réglementé que les petites firmes, sous la surveillance des inspecteurs gouvernementaux, des organisations environnementales et du public. Moore (2001) soutient que les grandes firmes dépensent relativement plus que les autres en protection environnementale pour maintenir leur réputation. De plus, les marchés boursiers réagissent fortement aux nouvelles environnementales (Laplante et Lanoie, 1994). Les investisseurs peuvent en effet s’inquiéter face à une firme qui génère un volume trop élevé d’émissions polluantes, symptôme de technologies désuètes ou de mauvaise gestion et risque potentiel de représailles de la part des consommateurs.

Les avantages comparatifs des grandes firmes et leur responsabilité accrue du fait de leur visibilité expliquent en partie pourquoi les grandes entreprises sont moins intensives en pollution que les petites. Dasgupta et al. (1998) estiment qu’au Brésil et au Mexique, les émissions par unité de travail pouvaient décliner de 0,65 % pour chaque augmentation de 1 % de l’emploi. Au Royaume-Uni, l’intensité de pollution est fonction négative de la taille des firmes industrielles, de leurs productivités et de leurs dépenses en recherche et développement (Cole et al., 2004). Elsayed (2006) renchérit en démontrant qu’une taille supérieure améliore considérablement le degré de réponse environnementale (engagement public de la firme en matière de réduction de la pollution) et de performance environnementale (bilan de la firme en termes d’émissions et de rejets). En Chine, les grandes firmes bénéficient de coûts de réduction marginaux des émissions inférieurs et répondent plus rapidement aux réglementations environnementales. La part de la production dans les grandes firmes demeure le facteur le plus important de réduction d’intensité de SO2 (Dasgupta et al., 1997).

L’influence de la taille des firmes sur la forme de la courbe de Kuznets environnementale demeure un thème largement inexploré. À ce jour, seule l’étude de Merlevede et al. (2006) a inclus la taille des firmes comme variable explicative de la CKE. En utilisant les statistiques industrielles de la base de données UNIDO, Merlevede et al. estiment la taille des firmes par le nombre moyen d’employés, pour un échantillon de 24 pays. Ensuite, ils introduisent cette variable explicative dans un modèle avec effets fixes, dont la variable endogène est la concentration annuelle moyenne de SO2 (µg/m3), et déterminent la précision des points de retournement en s’appuyant sur des procédures non paramétriques et une distribution « bootstrap ». Leurs résultats indiquent que les pays qui présentent des firmes de taille supérieure en moyenne subissent initialement des niveaux plus élevés de dommages environnementaux dans les premières étapes de leur développement économique, c’est-à-dire lorsque leur niveau de revenu est plus faible. Toutefois, à mesure que le revenu croît, les pays avec des firmes de taille supérieure en moyenne parviennent plus aisément à appliquer des législations environnementales contraignantes, de sorte que la diminution des dommages environnementaux est plus prononcée que dans les pays avec une taille de firmes inférieure en moyenne (voir le graphique 1). Ainsi, une taille de firmes supérieure ne semble jouer un rôle positif dans la réduction de la pollution atmosphérique que dans la mesure où des politiques environnementales ont été adoptées.

Graphique 1

Différences de CKE entre les pays à grandes et petites firmes (Merlevede et al, 2006)

Différences de CKE entre les pays à grandes et petites firmes (Merlevede et al, 2006)

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Une autre explication plus générale se trouve possiblement dans l’évolution de la conscience environnementale populaire, qui est intimement liée au développement économique. Lorsque le revenu par habitant est relativement faible, la priorité est donnée au développement économique et davantage de sacrifices environnementaux sont tolérés pour accroître le niveau de revenu. Toutefois, une fois un certain niveau de développement atteint, l’augmentation du revenu par habitant présente une utilité marginale décroissante et les préférences sociales peuvent évoluer en faveur de la lutte contre la pollution et d’une meilleure gestion des ressources naturelles. Cette évolution des préférences sociales, qu’elle se transpose ou non en actions législatives, peut exercer une pression favorable sur le comportement des entreprises.

Ainsi, même si les firmes de taille supérieure possèdent la capacité de réduire leurs émissions à moindre coût, elles doivent être confrontées à la nécessité d’utiliser cet avantage. Autrement, en l’absence de surveillance publique, les grandes firmes pourraient être tentées d’adopter un mode de gestion irresponsable, dont l’unique but serait de minimiser les coûts de production, sans tenir compte des externalités environnementales.

2. Méthodologie économétrique et données

2.1 La spécification économétrique

Poursuivant les intuitions de Merlevede et al. (2006), cette étude tente de vérifier si la présence de firmes de taille supérieure améliore la performance environnementale des provinces chinoises. Plus précisément, nous examinerons directement l’impact de l’inclusion de la taille dans la détermination de la courbe de Kuznets environnementale. Nous essayons de répondre à la question suivante : est-ce qu’avec l’accroissement du développement économique, la taille provinciale moyenne des firmes industrielles affecte significativement la trajectoire d’évolution de la qualité environnementale, mesurée ici par les émissions de SO2 par habitant?

En lien avec la littérature sur la CKE et la démarche économétrique de Merlevede et al. (2006), l’équation de forme réduite à la base des estimations est la suivante :

La variable endogène, SO2i,t représente les émissions de SO2 par habitant pour la province i au temps t. Y signifie le revenu par habitant (en yuans de 1990), F la taille moyenne provinciale des firmes et X un vecteur de variables de contrôle, y compris les effets spécifiques provinciaux. L’intérêt des estimations portera principalement sur le coefficient β4 et β5. La variable F, qui représente la taille moyenne des entreprises, n’affecterait que l’ordonnée à l’origine et la hauteur de la CKE. La variable croisée F*Y introduit directement la taille moyenne des firmes dans la détermination de la pente de la CKE en modifiant les coefficients des polynômes du PIB. En recourant principalement aux estimations avec effets fixes et à la méthode des moments généralisés d’Arellano-Bond (1991)[2], plusieurs spécifications fonctionnelles sont retenues afin de vérifier la robustesse des résultats.

2.2 Les données

Les données, extraites du China Statistical Yearbook (CSY), forment un panel balancé de 29 provinces entre 1998 et 2007 (290 observations). Le tableau 2 présente les statistiques descriptives des principales variables retenues dans les estimations.

Tableau 2

Statistiques descriptives des données utilisées dans l’analyse de la CKE

Statistiques descriptives des données utilisées dans l’analyse de la CKE

Note :

  1. Toutes les variables en valeur sont exprimées en yuans de 1990 à prix constants.

  2. Le stock total de capital industriel est calculé par la méthode de l’inventaire permanent en utilisant les valeurs réelles des données d’investissements fixes (aux prix constants de 1990) pour chaque province et chaque année, déflaté par l’indice des prix correspondant aux investissements fixes, avec un taux d’amortissement annuel de 5 %. Pour plus de détails sur cette méthode, consultez Wu (1999).

Source : China Statistic Yearbook (1998-2007)

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Afin de vérifier la robustesse de l’impact de la taille des firmes sur la CKE, trois différents indicateurs de taille sont retenus :

  • Taille 1 : Nombre moyen d’employés (L/N, Variable « Taille_Labor »)

  • Taille 2 : Production brute moyenne (Y/N, Variable « Taille_Output »)

  • Taille 3 : Dotation capitalistique moyenne (K/N, Variable « Taille_Capital »)

Le nombre d’employés représente le nombre de travailleurs, âgés de 16 ans ou plus, embauchés dans le secteur industriel[3]. La production brute comporte trois composantes : la valeur des services industriels finis, le revenu de sous-traitance externe et la valeur du changement des produits semi-finis (à la fin et au début de la période de référence). Finalement, le stock de capital industriel est calculé par la méthode de l’inventaire permanent : la formation brute de capital fixe industriel de chaque province et chaque année est déflatée par l’indice d’investissement fixe, avec un taux d’amortissement annuel de 5 %[4]. Chacune des trois variables précédentes est ensuite divisée par le nombre d’entreprises industrielles afin d’obtenir les différents indicateurs de taille. Il est important de préciser qu’à partir de 1998, le nombre d’entreprises industrielles comptabilisé dans le CSY omet les entreprises privées dont les ventes annuelles sont inférieures à 5 millions de yuans. Par conséquent, seules les entreprises étatiques et les entreprises privées avec des ventes annuelles supérieures à 5 millions de yuans sont incluses dans le nombre d’entreprises. Évidemment, cette sous-représentation des petites entreprises aura pour impact d’augmenter les tailles moyennes estimées dans notre échantillon.

Le nombre moyen d’employés demeure l’indicateur le plus largement utilisé pour mesurer la taille des firmes (Wang et Wheeler, 2005; Elsayed, 2006; Merlevede et al., 2006), la production brute moyenne permet de comparer la taille des firmes par leur chiffre d’affaires et la dotation capitalistique moyenne donne une idée des capacités financières et techniques des firmes. Les firmes avec un chiffre d’affaires supérieur et un grand stock de capital fixe sont généralement avantagées en termes de coûts marginaux de réduction des émissions et de volume d’investissements pour la recherche et le développement de technologies et de processus moins polluants.

Évidemment, les trois indicateurs retenus ne sont que des mesures partielles et imparfaites de la taille des firmes, cette dernière étant en réalité une variable latente que nous tentons d’estimer de façon indirecte. La difficulté provient en fait de l’absence d’une mesure globale de la taille des firmes. Précisons également que les données obtenues étant des moyennes régionales, elles ne captent pas le portrait de la composition industrielle aussi efficacement que des microdonnées, comme l’ont souligné Merlevede et al. (2006). Ainsi, les macrodonnées ne permettent pas de distinguer si une province comprend des entreprises de taille relativement homogène ou bien quelques grandes firmes avec une multitude de petites firmes, une difficulté qui limite la portée « microéconomique » des résultats. Par conséquent, il serait inapproprié de déduire de notre analyse que, pour une province spécifique, les firmes de taille inférieure ou supérieure affichent une meilleure performance environnementale puisque la distribution réelle de la taille des firmes au sein d’une province est absente des macrodonnées. L’inférence ne peut donc porter que sur la performance environnementale générale des provinces, en fonction de leurs tailles moyennes de firmes.

Une autre variable d’intérêt de notre analyse est le ratio de firmes étatiques (RSO), qui représente la production brute des firmes industrielles étatiques[5] dans la production brute totale du secteur industriel. Cette variable capte donc l’importance de la présence étatique dans l’activité industrielle d’une province. La littérature associe généralement les grandes firmes étatiques chinoises à une efficacité moindre (Nakagane, 2000) et des coûts de réduction marginaux des émissions supérieurs. Dasgupta et al. (1997) estiment que le coût marginal d’une réduction des émissions de SO2 de 90 % se chiffre à environ 50 $/tonne pour les grandes firmes non étatiques et à 280 $/tonne pour les grandes firmes étatiques en 1993. Toutefois, le contrôle des émissions semble plus facile à appliquer sur ces firmes (Kojima, 1993) et la Banque mondiale (1999) fait remarquer que les instruments de lutte contre la pollution (contrôles, taxes…) ne sont appliqués avec efficacité que dans le cas des grandes entreprises d’État. L’effet anticipé d’une forte présence étatique sur les émissions semblerait donc indéterminé. Cependant, Yaguchi et al. (2007) trouvent que le ratio d’entreprises étatiques en Chine est significativement associé à une hausse du facteur d’émissions de SO2 pour la période 1991-1995, mais que cette relation devient négative pour la période 1995-1999. Par conséquent, même si les firmes étatiques chinoises présentent une efficacité moindre et des niveaux d’émissions supérieurs, les efforts de réduction des émissions semblent y être appliqués plus vigoureusement. Avec notre intervalle d’analyse (1998-2007), un coefficient négatif serait donc envisageable.

Graphique 2

Évolution des émissions par habitant

Évolution des émissions par habitant

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Le ratio capital-travail (K/L) est une autre variable fréquemment utilisée dans les modèles de CKE. Cependant, l’effet de cette variable sur la qualité environnementale demeure incertain puisque les secteurs plus intensifs en capital pourraient également être plus intensifs en pollution (Antweiler et al., 2001; Cole et al., 2005). He (2009) montre que, même si pour les secteurs industriels chinois intensifs en travail, un ratio K/L signifie une intensité d’émissions supérieure, ce même ratio K/L peut générer une diminution de l’intensité d’émissions lorsqu’il atteint un certain seuil. De leur côté, Panayotou et al. (2000) estiment que l’accumulation de capital non résidentiel entraîne une croissance des émissions alors qu’un pays s’industrialise, mais contribue également à diminuer les émissions dans la période postindustrielle. Finalement, Cole et al. (2006) trouvent que l’intensité de capital physique par travailleur est fortement associée à un meilleur management environnemental.

Merlevede et al. (2006) indiquaient que la taille de firmes ne semblait exercer un impact positif dans la réduction de la pollution atmosphérique que dans la mesure où des politiques environnementales étaient adoptées. Évidemment, puisque Merlevede et al. (2006) utilisaient un panel international, l’hétérogénéité observable au niveau des politiques environnementales permettait de procéder à une telle analyse. L’impact de l’application de politiques environnementales deviendrait certainement un facteur moins déterminant dans une analyse portant sur les provinces d’un même pays. Par conséquent, malgré la pertinence de l’application de politiques environnementales comme facteur d’influence sur le rôle de la taille des firmes, cette variable ne sera pas considérée dans notre analyse.

3. Résultats empiriques

3.1 Le CKE pour les émissions de SO2 en Chine

Tel qu’indiqué dans le tableau 3, les fonctions d’estimation en forme réduite avec le revenu quadratique permettent effectivement d’obtenir une CKE en U inversé. L’inclusion du revenu cubique comme variable explicative augmente considérablement le pouvoir explicatif du modèle et le coefficient demeure statistiquement significatif à un seuil de 5 %. Même si la présence du revenu cubique génère une CKE avec une trajectoire en N (creux faiblement prononcé), les points de retournement estimés pour le sommet demeurent relativement stables, oscillant entre 11 863 et 13 644 yuans (prix constants de 1990)[6]. Nos résultats prévoient également une reprise à la hausse des émissions de SO2 par habitant lorsque le revenu excède environ 17 000 yuans, ce qui ne laisse qu’un bref intervalle de réduction des émissions entre 12 000 et 17 000 yuans. Considérant que les revenus moyen et maximal observés dans l’échantillon ne sont respectivement que de 5 553 et 24 104 yuans, nous éviterons toute interprétation abusive sur la forme de la CKE au-delà de 24 000 yuans.

Tableau 3

Estimations de la CKE (Modèles quadratique et cubique)

Estimations de la CKE (Modèles quadratique et cubique)

Note : Écarts-types robustes à l’hétéroscédasticité entre parenthèses pour les coefficients et valeurs P pour les tests statistiques : *** significatif à 1 %; ** significatif à 5 %; * significatif à 10 %.

Les points de retournement et leurs écarts-types sont estimés par la méthode Delta adaptée. L’absence de points de retournement indique une CKE continûment croissante, avec un point d’inflexion.

Les retards instrumentés sont générés par les MCO SO2i = β1Yi + β2Yi2 + β3Yi3 + β4FiYi + β5Xi + εi, estimés distinctement pour chaque période t et chaque spécification fonctionnelle. Les variables prédites equation: 1861246n.jpg sont ensuite décalées d’une année et incluses dans l’ensemble de régresseurs. Cette méthode AD(1,0) fut développée par Balestra-Nerlove (1966) pour l’effet fixe des modèles en panel linéaire et dynamique.

La statistique AR(1) se base sur le test de Wooldridge (2002) pour l’autocorrélation de 1er ordre. Les valeurs rapportées correspondent au coefficient ρ pour l’estimation equation: 1861247n.jpg, où ε représente les résidus purgés des effets fixes i. Plus la valeur du coefficient se rapproche de -0,50, moins l’autocorrélation de 1er ordre est importante. Pour l’estimation d’Arellano-Bond, la valeur rapportée est issue du test d’autocorrélation d’Arellano-Bond. Puisque, par la structure de l’équation, la statistique AR(1) rapportera toujours la présence d’autocorrélation, il faut regarder à la statistique AR(2). Une valeur P élevée indique que le problème d’autocorrélation est en grande partie résolu.

Breusch-Pagan teste la significativité des effets provinciaux, Hausman rapporte l’importance de la différence des coefficients estimés par les effets aléatoires et les effets fixes, Sargan indique la validité des instruments et Durbin-Watson/Baltagi-Wu constitue d’autres tests d’autocorrélation de 1er ordre.

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Le graphique 3 donne une bonne idée de l’hétérogénéité provinciale des niveaux d’émissions observés : dépendamment des structures industrielles et des autres facteurs spécifiques, certaines provinces présentent des niveaux excessivement élevés d’émissions de SO2 pour des revenus moyens comparables. Les pires performances proviennent de Ningxia, Shanxi et la Mongolie intérieure, les deux dernières provinces étant les principales productrices de charbon de la Chine en 2007. Les villes de Shanghai, Tianjin et Beijing affichent un revenu supérieur mais également une amélioration dans leurs niveaux d’émissions. Alors que le revenu réel moyen a pratiquement triplé dans la région de la capitale nationale entre 1998 et 2007, les émissions de SO2 par habitant ont chuté de 50 %[7]. D’autre part, soulignons que le revenu par habitant moyen en 2007 en Chine s’élevait à 9 202 yuans, ce qui laisse encore un certain écart à combler avant d’atteindre le point de retournement des émissions de SO2. Cette perspective s’assombrit davantage en considérant que le revenu par habitant médian n’est que de 4 429 yuans. Les émissions par habitant pourraient donc poursuivre encore longtemps leur croissance, tandis que l’augmentation des émissions totales contribuerait davantage à exacerber la fragilisation des écosystèmes.

Graphique 3

Les émissions observées et les CKE estimées

Les émissions observées et les CKE estimées

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3.2 Impacts de la taille des entreprises sur la CKE

Le tableau 4 présente les estimations des modèles de CKE, avec inclusion de la taille moyenne des firmes, du ratio des firmes étatiques et du ratio de capital par travailleur. Les estimations sont regroupées par indicateur de taille. Puisque le test de Hausman suggérait de rejeter les effets aléatoires, seules les estimations avec effets fixes sont rapportées. Pour réduire le problème d’autocorrélation de premier ordre, nous utilisons trois méthodes : 1) la méthode AD(1,0) proposée par Balestra et Nerlove (1966) pour les modèle en panel linéaire, dynamique et en effet fixe, 2) le modèle avec effets fixes et erreurs AR(1), proposé par Stata (XTREGAR) et 3) la méthode MMG d’Arellano-Bond (1991). Pour chaque indicateur de taille, la première spécification inclut la taille et la variable croisée Taille*PIB alors que les trois spécifications suivantes excluent la taille simple. Cette démarche vise à éviter de potentiels problèmes de colinéarité, mais également à tenir compte du fait qu’une partie de l’information dans Taille*PIB est déjà contenue dans Taille, ce qui risque de réduire la significativité statistique des deux variables.

Tableau 4

Estimations avec la taille des firmes (Effets fixes)

Estimations avec la taille des firmes (Effets fixes)

Note :

  1. Toutes les variables en valeur sont exprimées en yuans de 1990 à prix constants.

  2. Le stock total de capital industriel est calculé par la méthode de l’inventaire permanent en utilisant les valeurs réelles des données d’investissements fixes (aux prix constants de 1990) pour chaque province et chaque année, déflaté par l’indice des prix correspondant aux investissements fixes, avec un taux d’amortissement annuel de 5 %. Plus de détails sur cette méthode sont dans Wu (1999).

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Une première observation sur les résultats obtenus est la cohérence des coefficients estimés pour les termes de PIB par habitant polynomiaux et des points de retournement (sommet et creux) par rapport aux estimations qui n’incluaient pas la taille, le ratio d’entreprises étatiques et le ratio de capital par travailleur comme variables explicatives (tableau 3). En comparant les trois séries de résultats, le signe et la significativité statistique pour le coefficient de Taille*PIB demeurent relativement stables, bien que la significativité demeure légèrement inférieure pour la mesure Taille_Output et que le signe du coefficient pour la mesure Taille_Capital devienne positif en utilisant la méthode AD(1,0). À quelques exceptions près, la mesure Taille*PIB conserve le signe négatif attendu, ce qui aura pour effet d’abaisser la pente de la CKE. Même si la significativité statistique (au seuil de 10 %) dépend grandement de l’absence de la taille simple, la constance du signe négatif semble s’accorder avec les conclusions de Merlevede et al. (2006). Ainsi, à mesure que le revenu par habitant augmente, l’impact de la taille provinciale moyenne des firmes sur la réduction des émissions se renforce. Intuitivement, pour un accroissement marginal du revenu par habitant, la quantité requise d’émissions de SO2 pour produire ce revenu supplémentaire décroît à mesure que la taille des firmes augmente, possiblement à cause de l’avantage comparatif des grandes firmes à réduire leurs émissions à moindre coût.

Les émissions de SO2 par habitant semblent également être fonction négative du ratio de capital par travailleur lorsque ce dernier est statistiquement significatif[8], ce qui laisse croire qu’un ratio élevé s’associe davantage à une réduction des émissions. Ce résultat rappelle les conclusions de He (2009) et Dinda et al. (2000), qui trouvent que la densité d’émissions industrielles de SO2 demeure négativement et significativement associée au capital par travailleur.

Le ratio de présence étatique dans la production brute provinciale (RSO) demeure associé à une meilleure performance environnementale pour chacune des spécifications et chacun des trois indicateurs de taille. Malgré la faible significativité statistique du RSO, la stabilité du coefficient négatif s’accorde avec les observations de la Banque mondiale (1999) et de Yaguchi et al. (2007), comme quoi des efforts relativement plus importants de réduction des émissions avaient été déployés dans les firmes étatiques vers la fin des années quatre-vingt-dix.

Le graphique 4 illustre les projections des CKE de chacune des spécifications du tableau 4 et les compare à une CKE qui n’inclut pas la taille comme variable explicative[9]. Bien que les formes des CKE projetées diffèrent légèrement selon les indicateurs de taille, l’inclusion de la taille moyenne des entreprises réduit effectivement la pente de la CKE. Les deux seules exceptions sont issues de l’utilisation des modèles AD(1,0) et XTREGAR, avec la production brute moyenne comme indicateur de taille.

Graphique 4

Projections des CKE avec la taille moyenne d’entreprise

Projections des CKE avec la taille moyenne d’entreprise

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Malgré la similarité des coefficients pour les termes de revenu par habitant, les projections des CKE incluant la production brute moyenne comme indicateur de taille diffèrent de celles utilisant les deux autres indicateurs. Au lieu de présenter un intervalle de réduction des émissions de SO2 entre 12 000 et 17 000 yuans, toutes les courbes indiquent une croissance strictement monotone des émissions de SO2, avec des points d’inflexion, ce qui ne s’accorde pas avec l’hypothèse d’une CKE standard, même sur un intervalle de revenu restreint.

Comme notre modèle de CKE fait entrer directement la taille des entreprises dans la détermination de la pente et des points de retournement, le tableau 5 présente les points de retournement de la CKE et leurs écarts-types selon la valeur des indicateurs de taille pour le 15e percentile, le 85e percentile et la taille moyenne de l’échantillon. Les différentes valeurs de taille Fj sont insérées dans l’équation equation: 1860823n.jpg pour ensuite estimer les points de retournement par la méthode Delta, que nous avons adaptée pour tenir compte du terme d’interaction entre le revenu et la taille des firmes[10].

Tableau 5

Points de retournement des CKE estimées (méthode Delta)

Points de retournement des CKE estimées (méthode Delta)

Note :

  • * Points de retournement et écarts- types (entre parenthèses) estimés par la méthode Delta.

  • * L’absence de point de retournement (—) indique une CKE continument croissante avec un point d’inflexion.

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Lorsque la moyenne provinciale de la taille des firmes est fixée au 85e percentile supérieur, le sommet de la CKE se trouve à un niveau de revenu par habitant inférieur à celui de la CKE avec le 15e percentile de taille. Les seules exceptions à cette règle sont les spécifications AD(1,0) avec la dotation capitalistique moyenne, en vertu du signe positif des coefficients de la variable Taille_Capital*PIB. Ces résultats impliqueraient néanmoins que les provinces avec des firmes industrielles de taille supérieure atteignent le sommet de la CKE à un niveau de revenu moindre, possiblement en raison de l’avantage comparatif des grandes firmes à réduire leurs émissions polluantes à un plus faible coût marginal. Les résultats avec la production brute moyenne comme indicateur de taille paraissent particulièrement éloquents : aucune des estimations avec le 15e percentile ou la taille moyenne ne présente de point de retournement, mais plutôt une croissance monotone des émissions de SO2. Par contre, avec le 85e percentile supérieur de la taille des firmes, les points de retournement deviennent identifiables.

Les diverses CKE estimées par la variation des percentiles de taille sont présentées aux graphiques 5[11]. La CKE avec la valeur du 85e percentile de taille se situe toujours en-dessous de celle du 15e percentile. Comme les émissions de SO2 augmentent moins rapidement lorsque la taille moyenne des entreprises est relativement plus grande, cet écart de pollution entre les CKE estimées pour les 15e et 85e percentiles s’amplifie à mesure que le revenu par habitant augmente. Cela signifie également que le sommet de la CKE est atteint plus rapidement lorsque les entreprises sont plus grandes : l’intervalle de revenu pour le sommet de la CKE du 15e percentile du nombre moyen d’employés s’élève à 11 956 – 12 948 yuans (en tenant compte de chacune des spécifications), tandis qu’il n’est plus que de 10 100 – 10 842 yuans pour le 85e percentile de taille.

De façon générale, les projections des CKE pour différents percentiles de taille permettent de dégager un impact relativement faible (en valeur absolue) par rapport aux estimations de Merlevede et al. (2006). Cette situation trouve en grande partie son explication dans la variance supérieure de la taille des firmes du panel international de Merlevede et al. (2006)[12].

Graphique 5

Projections des CKE pour différents percentiles de taille

Projections des CKE pour différents percentiles de taille

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3.3 Sensibilité des résultats à la forme fonctionnelle

En recourant à plusieurs indicateurs de taille et techniques d’estimation économétrique, les résultats demeurent généralement cohérents avec les conclusions de Merlevede et al. (2006), à l’exception de certaines estimations avec la dotation capitalistique moyenne. Les firmes de grande taille semblent constituer un avantage dans la réduction provinciale des émissions de SO2. Cette interprétation repose essentiellement sur la significativité d’un coefficient négatif de la variable Taille*PIB et sur les écarts des points de retournement pour différents percentiles de taille. Toutefois, même si les résultats des trois indicateurs de taille apparaissent stables, ils devraient être considérés avec une extrême prudence puisqu’ils demeurent fortement sensibles au choix de la forme fonctionnelle, plus précisément à l’inclusion du retard instrumenté de la variable endogène et du revenu par habitant cubique comme variables explicatives.

En premier lieu, on constate une sensibilité de la variable Taille*PIB à la présence du retard instrumenté de la variable endogène (SO2pct-1). En fait, le gain en significativité statistique de la variable Taille*PIB est presqu’exclusivement attribuable à l’ajout du terme de dynamique sérielle.

Le revenu par habitant cubique, fortement significatif dans chacune des spécifications et favorable à la formation d’une CKE en N, est également retenu dans chacune des estimations présentées par Merlevede et al. (2006). Or, en excluant cette variable explicative, les résultats deviennent fort différents avec le nombre moyen d’employés : la significativité statistique de la Taille_Labor*PIB disparaît presque totalement et une instabilité se manifeste dans les signes et les valeurs nominales des coefficients. Ainsi, malgré les résultats prometteurs visant à démontrer empiriquement l’avantage des provinces chinoises avec de grandes firmes dans la réduction des émissions de SO2, la forme de la relation pollution-revenu et le coefficient de la Taille*PIB demeurent fortement sensibles au choix des variables explicatives, notamment la variable endogène retardée et le revenu par habitant cubique.

Conclusion

L’intensité de pollution moindre des firmes de grande taille et leurs coûts marginaux de dépollution inférieurs ayant été empiriquement confirmés par la littérature, cette étude a tenté de vérifier si la taille des firmes industrielles devenait un avantage observable dans la réduction des émissions de SO2 des provinces chinoises. L’intérêt de l’analyse a donc principalement porté sur le signe et la significativité statistique du coefficient de la variable Taille*PIB, telle qu’introduite par Merlevede et al. (2006). Afin de valider la robustesse des résultats, plusieurs indicateurs de taille et spécifications économétriques ont été retenus.

En général, les trois indicateurs de taille semblent produire des résultats cohérents avec ceux de Merlevede et al. (2006). Ainsi, à mesure que le revenu par habitant augmente, les provinces avec des firmes de taille supérieure en moyenne seraient associées à des niveaux d’émissions inférieurs de SO2 par habitant. L’analyse par les percentiles révèle également que le seuil de revenu par habitant correspondant au sommet de la CKE se situe à un niveau inférieur pour les percentiles supérieurs de taille. Cependant, la prudence semble appropriée dans l’interprétation de ces résultats puisque la négativité et la significativité du coefficient de Taille*PIB dépendent largement du choix de la spécification fonctionnelle, notamment l’inclusion du revenu par habitant cubique et d’un retard instrumenté de la variable endogène.

Malgré ces mises en garde, la taille demeure une variable pertinente et prometteuse pour démystifier les phénomènes implicitement à l’oeuvre derrière la relation pollution-revenu de Kuznets. Toutefois, les macrodonnées disponibles ne permettent pas de mesurer la distribution provinciale de la taille des firmes ni la taille moyenne de chaque secteur d’activité industrielle. La principale limite réside cependant dans l’absence des très petites firmes industrielles, dont les ventes annuelles sont inférieures à 5 millions de yuans. Par conséquent, il pourrait s’avérer intéressant de reprendre l’exercice avec un panel de microdonnées industrielles pour vérifier, en premier lieu, si les firmes de taille supérieure présentent effectivement une réduction de l’intensité des émissions liée à la progression de leur taille, et ensuite si les points de retournement de la CKE diminuent avec la croissance de la taille ou du chiffre d’affaires des firmes.