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Introduction

L’intérêt renouvelé pour les unions monétaires avec l’euro, encore actuel malgré la crise de la dette dans cette même zone euro, n’est pas surprenant au regard des cycles alternatifs de mise en sommeil et de renaissance de la théorie des zones monétaires optimales (ZMO). Des crises récurrentes d’origine géographique multiple et de nature variée contribuent à cette redynamisation. De même, les expériences ont été nombreuses par le passé avec des tentatives d’unification monétaire avortées ou réussies voire défaites conduisant au retour à des taux de change flexibles (Semedo, 1998). Alesina et Barro (2002) se font un écho positif de la multiplication des espaces économiques et monétaires en avançant trois raisons : l’importance croissante du nombre de pays dans le monde, la globalisation, et la renonciation pour nombre de petits pays à des politiques indépendantes de création monétaire[1].

L’intérêt de pays à participer à des unions monétaires est défini dans la théorie par des critères traditionnels et des critères nouveaux. Les avancées décisives de la macroéconomie moderne fournissent des pistes de réflexion pour l’analyse de la praticabilité d’une zone monétaire d’un pays potentiellement membre : la nature des chocs, l’ampleur et la vitesse de réaction du pays face à de telles perturbations réelles, monétaires et financières extérieures. Dans quelle mesure ses réactions sont-elles similaires et corrélées à celles d’autres pays désirant former avec lui une union monétaire? La question sous-jacente renvoie à l’homogénéité des pays en situation d’adhérer ou de participer à une union monétaire. Les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec leur fragilité institutionnelle, n’échappent pas à ce débat concernant la viabilité de cet objectif final[2]. Les arrangements monétaires concertés depuis 2001 voient se profiler trois entités : d’un côté, les pays de la zone franc c’est-à-dire de l’Union économique et monétaires de l’Ouest Africain (UEMOA), d’un autre côté, les pays de la zone monétaire ouest-africaine (ZMOA), essentiellement anglophones; et enfin, le Cap-Vert dans une situation de gestion souveraine de sa monnaie[3]. La littérature sur la viabilité des zones africaines peut être complétée par une illustration parfaite de l’hétérogénéité des pays désirant réaliser politiquement de telles unions. Or, l’intégration est un long processus; elle exige des étapes dans le but d’aboutir à une monnaie unique. Naturellement, ce processus réussit, si l’on est en mesure d’identifier avant tout des pôles de convergence entre les pays aspirant à créer une monnaie commune et à libéraliser leurs échanges jusqu’à l’étape du marché commun et de la monnaie unique. L’expérience européenne jusqu’au traité de Maastricht a en effet montré que le pragmatisme, la volonté politique par l’adoption de règles transparentes de fonctionnement dans les décisions budgétaires et monétaires après la création du marché unique ont constitué des moyens de réduire les fractures structurelles entre pays. Par la suite, l’élargissement et les contraintes en termes de convergence nominale et réelle, ont handicapé l’Europe et ont consacré une Europe à plusieurs vitesses, menaçant la zone euro de disparition, malgré ses acquis non négligeables.

Au regard des points marquants et réussis de l’expérience européenne, nous proposons dans cet article de montrer le bien-fondé du regroupement économique et monétaire prévu par les textes de la CEDEAO à partir des critères anciens et nouveaux de la théorie des zones monétaires optimales hérités des travaux fondateurs, notamment de Mundell (1961). Sur la base de ces critères, nous avons mobilisé une approche en termes de clusters afin de mettre en évidence des proximités économiques entre pays et constituer des groupes homogènes de pays.

Notre travail est alors organisé comme suit : la section 1, à partir de faits stylisés propres à la zone CEDEAO, fournit une grille de lecture théorique des zones d’intégration ayant comme objectifs à terme la création d’une monnaie unique basée sur la littérature propre aux ZMO. Dans la section 2, l’approche en termes de clusters et les résultats de notre étude sont donnés. Enfin dans la section 3, des recommandations de politique économique sont proposées pour rapprocher les différents groupes de pays identifiés de l’objectif de monnaie unique, comme, par exemple, le démantèlement des obstacles institutionnels et économiques existants.

1. Revue de la littérature ancienne et contemporaine à la croisée de l’expérience européenne : une adaptation à la CEDEAO

Nous rappelons tout d’abord les caractéristiques de cette zone abritant à la fois une union monétaire totale, des zones d’échanges préférentiels fonctionnant de manière spécifique, des pays avec une indépendance monétaire… La littérature pionnière des zones monétaires est ensuite restituée puis complétée par des contributions postérieures. Naturellement, les liens entre ces théories fondatrices et l’état de cette zone doivent être établis. C’est en ce sens que nous prolongeons l’analyse par l’adéquation des critères de Maastricht à la situation budgétaire de ces pays, tout en tenant compte des apports nouveaux de la théorie des ZMO.

1.1 Les pays de la CEDEAO, spécificités de la Zone franc CFA et faits stylisés

Les pays de la CEDEAO représentent le quart du territoire africain et une population de 280 millions d’habitants en 2008. Hormis le Nigeria, le poids économique de la CEDEAO dans le monde est relativement faible puisque la production totale de la région est de 330 milliards de dollars US (PPA en 2007). Le niveau de vie est également bas, puisqu’il est essentiellement tributaire de la production agricole soumise à l’aléa climatique.

Sur le plan réel, la région est très hétérogène aussi bien en termes de richesse qu’en termes de poids économique, de développement technologique et humain. Le tableau 1 présente les principales statistiques macroéconomiques et sociales. Les pays de la CEDEAO sont petits en termes de population et de production. Le Nigeria y représente presque la moitié avec 147 millions d’habitants et un PIB de 145 milliards de dollars. Les autres économies importantes sont la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Sénégal. Les niveaux de vie sont très différenciés. En 2007, la richesse par habitant était la plus faible au Liberia et en Guinée-Bissau (moins de 150 $) et la plus forte au Cap-Vert avec 1576 $. Ce pays est par ailleurs le seul à être dans la catégorie des pays à revenu moyen inférieur. Le Cap-Vert possède également les meilleurs indicateurs de développement humain (une espérance de vie de 70 ans) et le meilleur taux d’alphabétisation. Les pays les plus en retard en matière d’alphabétisation sont la Guinée, le Niger et le Sierra Léone. La moyenne des autres pays de la CEDEAO se situe à peine à 40 % de taux d’alphabétisation et une espérance de vie de moins de 50 ans. En matière d’infrastructures (routes goudronnées et lignes téléphoniques), certains pays sont en retard (Bénin, Guinée, Liberia, Sierra Leone) par rapport aux plus avancées que sont le Cap-Vert et le Sénégal. Globalement, le secteur agricole joue un rôle moteur dans les économies de la région, voire principal pour certaines (Guinée-Bissau, Libéria, Mali et Sierra Leone) puisqu’il représente en moyenne 30 % de la valeur ajoutée de l’ensemble de la production. La part importante de l’industrie au Nigeria s’explique par son rang de premier pays exportateur de pétrole en Afrique.

Tableau 1

Indicateurs macroéconomiques des pays de la CEDEAO

a

Population en millions

*

Population totale de la CEDEAO en millions

b

Produit intérieur brut en dollars courants

c

PIB par habitant en dollars constants

d

Routes revêtues, en pourcentage du total des routes

e

Pour 100 habitants

f

Espérance de vie

g

Les données de répartition sectorielles de la VA sont de l’année 2008 sauf pour la Guinée-Bissau (1999), le Liberia (2002) et le Mali (2001)

h

La spécialisation est l’inverse du coefficient de Herfindahl mesuré sur des données agrégées à quatre niveaux (SITC).

-> Voir la liste des tableaux

Au regard des données relatives aux échanges internationaux, à la spécialisation et à l’aide, les pays de la CEDEAO apparaissent peu diversifiés. Les produits agricoles représentent en effet l’essentiel des exportations et la principale source de devises. D’autres produits primaires sont également exportés tel que le diamant, l’or et des minerais stratégiques, notamment par le Ghana, la Guinée et le Sierra Léone. Le Sénégal est le seul pays dont les exportations sont les plus diversifiées. Enfin, des pays demeurent relativement dépendants de l’aide, qui dépasse les 15 % du PIB, comme le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mali et le Sierra Léone (voir également le tableau 1).

Sur le plan monétaire, à partir des indépendances et jusqu’au début des années 80, tous les pays africains, optent pour des taux de change fixe. Mais l’ancrage nominal a été progressivement abandonné de sorte que les pays de la zone franc CFA sont aujourd’hui les seuls à avoir maintenu la fixité de leur taux de change vis-à-vis de l’euro, à l’exception de la dévaluation de 1994. Par l’effet de crédibilité du taux de change (Combes et Veyrune, 2004) les gains sont la stabilité des prix et la crédibilité de leur monnaie. Les pays de l’UEMOA se caractérisent par un effet de discipline de la politique monétaire car ils diffèrent des autres pays de l’Afrique subsaharienne par leur choix de règle d’émission monétaire et d’ancrage nominal du CFA d’abord au franc, puis à l’euro depuis 1999. La zone franc africaine a été sans nul doute un espace de stabilité monétaire (Semedo, 1998), contrairement aux pays ayant fait le choix d’une taxe inflationniste importante et d’un ajustement automatique de leur taux de change réel. De fait, les pays africains membres de la zone ont opté pour le caractère déflationniste de leur politique monétaire en dissociant l’offre de monnaie des chocs internes. Bien entendu, les faits stylisés montrent qu’au sein de cette zone et indépendamment des aires couvertes par la BCEAO et la BEAC[4], des cycles alternés de restriction et d’expansion monétaire existent : une politique restrictive entre 1962-1974; une politique d’expansion monétaire alimentée par des circuits extérieurs de financement entre 1975 et 1982; un retour à la rigueur depuis 1985; la dévaluation du franc CFA en 1994; la création d’un pacte de stabilité et de convergence en 1999. Les choix des pays de la zone franc conduisent à la détermination du taux d’inflation cible par le taux d’inflation moyen des pays partenaires (objectif d’équilibre extérieur). En effet, l’appréciation du taux de change réel en situation de croissance conduit à des déséquilibres extérieurs.

1.2 Critères anciens et nouveaux applicables à l’optimalité des zones monétaires

Mundell (1961) insiste sur la mobilité de la main-d’oeuvre comme critère d’efficience de la ZMO dans un cadre keynésien à prix fixes; la praticabilité d’une ZMO nécessite une mobilité substantielle du facteur travail. Dans son esprit, les pays subissant les mêmes chocs sont les mieux à même de former une union monétaire et de coordonner leur policy-mix pour faire face aux déséquilibres interne et externe. Or, Mundell (1961) envisage uniquement les chocs de demande au risque de négliger les variations de productivité des salaires et de prix de biens intermédiaires.

De manière générale, ce critère dérivé de la théorie des ZMO est difficile à apprécier. En supposant que la mobilité soit plus envisageable lorsque le travail est flexible, Artis et Zang (1997) proposent d’utiliser l’indicateur de rigidité du travail comme projection de la mobilité. Dans le cas européen, il apparaît que cette flexibilité conduit à davantage de mobilité intersectorielle et interrégionale que de mobilité internationale (Gros et Thygesen, 1998; Puhani, 2001). Dans le cas spécifique des marchés américain et britannique, elle se traduit par la diminution du taux de chômage (Gros, 1996). Dans le cas africain, l’appréciation globale de la mobilité du travail reste délicate. Deux raisons expliquent cet état de fait. La première tient à la disponibilité des données en termes de migrations d’un pays à un autre. En effet, bien qu’il existe des estimations sur les migrations extracontinentales et entre les régions d’Afrique (Rapport mondial sur le développement humain, 2009), les mouvements migratoires par pays sont difficilement exploitables compte tenu des informations démographiques des institutions publiques. Ainsi, sur les 56 pays d’Afrique, le tiers n’a pas d’information ou n’a que des informations fragmentaires permettant l’estimation du stock de migrants internationaux (Zlotnik, 2004). La deuxième raison est que la thèse de Mundell se révèle limitée dans le cadre des pays de la CEDEAO. En effet, si l’on peut admettre que les phénomènes de transhumance, l’offre insuffisante d’infrastructures et la répartition inégale des populations sur les territoires ne favorisent pas la mobilité du travail, on ne peut ignorer que cette mobilité est facilitée par le développement technologique dans les communications et les transports. À ces éléments difficilement mesurables, s’ajoute le fait que le marché du travail en Afrique de l’Ouest est peu régulé, de sorte qu’il n’est pas possible d’utiliser des indicateurs trouvés souvent dans les statistiques des pays développés de l’OCDE, comme le taux de syndicalisation ou les indices de flexibilité.

Par conséquent, en l’absence d’indicateurs statistiques, nous n’avons pas retenu le critère de la mobilité du travail dans notre analyse empirique.

Selon Fleming (1971), les pays d’une zone monétaire optimale doivent avoir un différentiel de taux d’inflation minimal pour éviter les solutions isolationnistes et des politiques de dévaluation compétitive. La similitude dans l’évolution des taux d’inflation permettant d’assurer la stabilité des termes de l’échange et l’équilibre des paiements.

Le différentiel des taux d’inflation est un bon indicateur de convergence nominale. Fleming (1971) montre que le rapprochement des taux d’inflation entre deux pays permet de stabiliser les termes de l’échange et réciproquement la balance des transactions courantes, ce qui réduit la nécessité d’ajustement par le taux de change. Lorsque des pays ont des courbes de Phillips différentes ou des objectifs en termes d’inflation et de chômage différents, une union monétaire est nécessairement coûteuse puisqu’elle impose une politique monétaire commune avec une cible d’inflation commune (Canzoneri et Rogers, 1990). Ce coût est plus important lorsque les déséquilibres externes sont le résultat d’une hétérogénéité structurelle. La réduction du différentiel des taux d’inflation traduit l’effet de Balassa-Samuelson qui mène à la convergence des productivités et des niveaux de vie.

Par ailleurs, la volatilité du taux d’inflation est un indicateur de stabilité et de crédibilité. Lucas (1973) montre ainsi que la variabilité des taux d’inflation exprime la réponse des économies aux chocs d’offre et de demande. De fait, la volatilité de la production est positivement liée à celle des taux d’inflation (Blanchard et Simon, 2001). Toute réduction de l’amplitude et de la fréquence de ces chocs à l’économie, liée par exemple à une modification structurelle et/ou conjoncturelle, réduit en même temps la volatilité de la production et celle de l’inflation. La similarité de la variabilité des taux d’inflation est en fin de compte un bon indicateur de la crédibilité de la politique monétaire et de sa transmission à l’économie réelle. Dans ce travail, deux critères sont retenus : la similarité des taux d’inflation INFi et la variabilité des taux d’inflation, notée VINFi[5].

Pour les pays de l’UEMOA, si la convergence nominale est observée et a suivi une trajectoire relativement favorable après la dévaluation du franc CFA, fait probablement plus significatif que la mise en place du pacte de stabilité et de croissance, la convergence réelle est encore insuffisante (Bamba, 2004; Tanimoune, Combes et Plane, 2005). De manière plus large, avec la zone CFA, même si les moyens mis en oeuvre par rapport au policy-mix parachèvent la construction de la zone franc et contribuent à la crédibilité de leur monnaie, il n’en demeure pas moins que des incertitudes pèsent sur les objectifs de la convergence recherchée de manière séparée par l’UEMOA. Ces incertitudes sont dues à l’importance des échanges transfrontaliers informels expliquant la faiblesse des échanges bilatéraux officiels et à l’hétérogénéité des chocs voire des réponses aux chocs qui affectent ces économies. Par ailleurs, la spécialisation des économies de la CEDEAO dans des secteurs différents expose les pays à des chocs spécifiques. Il faut convenir du caractère inachevé de la convergence (Fouda Owoundi, 2009). Toutefois, le passage à la monnaie unique par ses effets endogènes réduirait ces échanges informels.

Les arguments dérivés du commerce international viennent compléter les critères de Mundell et de Fleming. Ils insistent d’une part sur le degré d’ouverture des économies (McKinnon, 1963) et, d’autre part, sur le degré de diversification (Kenen, 1969). Du point de vue de McKinnon, lorsque la part des biens échangeables est importante, alors l’économie a intérêt à rejoindre une union monétaire pour éviter l’instabilité des prix relatifs en changes flexibles. Ce résultat n’est toutefois pas vérifié pour les pays de la zone franc CFA car ils n’ont pas pu, d’une part se prémunir de l’instabilité des marchés mondiaux des produits de base, et d’autre part, se protéger contre l’évolution conjoncturelle défavorable de la demande des pays développés.

Selon Kenen (1969), plus l’économie est diversifiée, plus elle peut amortir l’effet d’une variation relative de la demande externe. À l’inverse, une économie peu diversifiée ne pourra faire face à la variation de la demande étrangère par le seul instrument de la réduction de ses dépenses; il en résulte que le pays devrait adopter des taux de change flottants. Ce point de vue s’oppose directement à la réalité, puisqu’il suppose que les grandes économies devraient adopter des taux de change fixes tandis que les petites économies, des taux flexibles. L’expérience a également montré que le rattachement au franc français et aujourd’hui à l’euro est un enjeu d’accès à l’Europe sur le plan commercial et financier, et reste encore un moyen d’obtenir des remises de dette.

En matière d’échange commercial, l’Union européenne est un grand partenaire commercial des pays de la CEDEAO. L’essentiel des exportations repose sur des produits primaires miniers et agricoles. La part du commerce à l’intérieur de la CEDEAO est réduite aux environs de 11 % du commerce global avec le reste du monde. Cette répartition est liée à la faible industrialisation des pays qui importent majoritairement des biens d’équipements et des produits finis et semi-finis. Le commerce intrazone concerne d’une part les exportations nigérianes d’hydrocarbures et, d’autre part les échanges effectués par les petits pays enclavés tels que le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Benin[6].

Au lieu de considérer le critère d’échange bilatéral entre les pays de la CEDEAO, nous choisissons d’inclure deux critères dérivés des arguments du commerce international : le degré d’ouverture d’une part, la diversification et la volatilité des variations des termes de l’échange, d’autre part. Le premier critère a pour vocation d’identifier les pays dont la part du commerce est très importante. Le second critère (diversification et volatilité des variations des termes de l’échange) permet d’apprécier l’exposition aux chocs exogènes. En effet, la forte spécialisation à l’exportation des pays de la CEDEAO est pénalisante car elle se traduit par une asymétrie des chocs subis par chaque économie (voir tableau 12 en annexe : les principaux produits exportés par chaque pays). L’utilisation des termes de l’échange atténue cette pénalité puisqu’il tient compte des importations, qui sont plus ou moins proches. Les trois variables qui découlent des deux critères précédents sont notées OUVi, DIVi et VTOTi.

Par ailleurs, il convient de tenir compte du degré d’intégration financière dans l’analyse des ZMO. Johnson (1973) restreint cette analyse à la mobilisation des ressources publiques : une forte intégration fiscale entre deux régions garantit une réduction des modifications de taux de change. En pratique, les déficits de paiement sont compensés par un budget fédéral jouant le rôle de stabilisateur. La mobilité du capital, essentielle à l’intégration financière, est un autre ciment important au sens d’Ingram (1969) et Scitovsky (1969). En effet, ils retiennent comme hypothèse une parfaite substituabilité des actifs monétaires et financiers circulant dans un espace donné. Cet aspect de l’intégration pour ces pays est encore faible, mais l’intermédiation financière actuelle catalyse un développement financier en devenir, à condition d’une meilleure qualité des institutions et davantage de régulation bancaire (McDonald et Schumacher, 2007). Cette voie de l’intégration par le développement financier ne sera pas explorée ici du fait du caractère embryonnaire des marchés financiers de cette région. Ce choix se justifie par l’impact du développement financier sur la sphère réelle (Levine, 1997; Sy, 2007; Kablan, 2010).

Tower et Willett (1976) ont insisté sur les gains microéconomiques et les coûts macroéconomiques des zones monétaires pour expliquer que de telles unions relèvent de la théorie du second best. En conséquence, l’optimalité des zones monétaires renvoie à la question du choix de régime de change, et à l’utilisation du taux de change comme outil d’ajustement. Par exemple, en l’absence de la flexibilité des prix et des salaires, lorsqu’un pays fait face à un choc de demande, la baisse des exportations et la détérioration des termes de l’échange se traduisent par des mouvements du taux de change réel (TCR) (Eichengreen, 1990). Ces mouvements sont liés à la volatilité du taux de change nominal et à l’existence de chocs monétaires spécifiques. Von Hagen et Neumann (1994) aboutissent à des observations équivalentes de la volatilité des TCR dans différentes régions européennes. La variabilité des TCR augmente le risque de chocs asymétriques et ne favorise pas la création d’une union monétaire (Vaubel, 1978)[7]. De plus, la persistance des déviations à court terme entre TCR et PPA explique la variabilité des TCR (Rogoff, 1996). Rogoff en conclut que les mouvements des TCR sont également à l’origine de la persistance des différentiels des taux d’inflation. La stabilité du TCR exprime alors la capacité d’un pays à abandonner l’instrument de change comme outil de stabilisation. Nous utilisons la volatilité des TCR comme une variable supplémentaire dans l’analyse de la convergence. Le TCR est obtenu avec le taux de change nominal déflaté de chaque monnaie vis-à-vis du dollar américain. La volatilité est mesurée par l’écart-type du rendement du TCR. Cette variable est notée VTCRi. Enfin, compte tenu de l’importance des échanges commerciaux des pays de la CEDEAO avec l’UE, il nous semble important d’inclure le taux de change effectif réel dans notre analyse. Son utilisation permet de considérer l’ensemble des effets réels transitant par le commerce extérieur (variable notée VTCERi).

À ces critères traditionnels, on trouve dans la littérature récente des éléments qui permettent de préciser l’optimalité d’une zone monétaire. Il s’agit en particulier de raisonner en termes de convergence réelle et nominale pour mettre en évidence l’idée que l’intégration est un processus graduel.

La construction européenne a d’ailleurs montré que le pragmatisme politique est essentiel pour arriver à l’objectif de monnaie unique, encore que la monnaie unique ne doit pas continuer à coexister avec une pluralité de politiques budgétaires et d’institutions propres à chaque pays. La crise récente dans ses conséquences a bien attesté de l’intérêt d’une coordination forte voire d’une centralisation budgétaire et fiscale. Sans fédéralisme budgétaire, la zone euro risque de ne pas survivre; les traitements éparés des crises des pays les plus exposés à des risques de défiance des marchés et de défaut ne sont pas des bonnes mesures, en tant que la déflation et le chômage massif sont aux portes de l’Europe et du monde. Les critères de convergence au sens de Maastricht avaient comme volonté première de réduire les disparités nominales entre les pays; l’objectif était de crédibiliser la future UEM en dépit des coûts sociaux relativement élevés durant les années 90. De tels critères basés sur la convergence des taux d’inflation et des taux d’intérêt, complétés par des normes de déficit et de dette publique par rapport au PIB respectivement de 3 % et 60 %, paraissent stricts mais ont le mérite d’imposer une rigueur et un sacrifice pour le pays candidat à l’adhésion.

Dans le cadre européen, ces critères budgétaires visent également à réduire les tensions inflationnistes engendrées par des politiques budgétaires expansives, pouvant alourdir la dette de l’État. Un pays qui veut plaire à sa population augmente ses dépenses publiques et allège sa fiscalité. Il en résulte impérativement un déficit financé par l’emprunt. L’État déficitaire et endetté aura recours à la création monétaire et l’inflation sera l’unique possibilité pour stopper la progression de la dette et du déficit.

Dans les pays de la CEDEAO, les niveaux de déficits et d’endettement sont élevés. Les déficits sont en moyenne plus importants que les 3 % définis par les critères « à la Maastricht ». Les seules exceptions sont le Nigeria et la Côte d’Ivoire à partir de 1995. Dans un premier temps nous retenons le seul déficit de chaque pays. Ensuite, nous regardons le différentiel du déficit par rapport aux critères établis de convergence, tout en tenant compte des efforts consentis par chaque pays pour la maîtrise des dépenses et la gestion optimale de la dette. Ces deux variables sont notées DEFi et DDEFi respectivement.

Le déficit des pays africains est accentué par les obligations de paiement des services de la dette et de la dette elle-même. Pour tenir compte des effets conjugués des déficits et de l’endettement, nous considérons la dette totale rapportée au PIB ainsi que le différentiel de la dette par rapport aux critères de convergence (variables notées DTi et DDTi[8]).

Il existe actuellement des critères de convergence définis distinctement pour l’UEMOA et pour la ZMOA. Ces critères répartis sur deux niveaux[9] visent à préserver l’homogénéité des économies (dans le cas de l’UEMOA) et à atteindre cette homogénéité (dans le cas des pays de la ZMOA). Parmi ceux-ci, les deux unions accordent de l’importance à la réduction des taux d’inflation et à la limitation du déficit budgétaire. Toutefois, les critères assignés par l’une et l’autre organisation ne sont pas similaires : pour l’UEMOA (resp. ZMOA), le taux d’inflation ne doit pas dépasser les 3 % (resp.5 %). L’UEMOA vise l’excédent budgétaire alors que la ZMOA stipule la maîtrise du déficit à un maximum de 4 %.

Quels sont les critères communs de convergence? Au regard de la conjoncture actuelle de crise mondiale, un critère de déficit limité à 4 % est vraisemblablement plus réaliste pour tous les pays de la CEDEAO. Concernant le taux d’inflation, la moyenne des pays de la ZMOA est très élevée, tout en étant en baisse depuis quelques années. Un objectif de taux d’inflation de 5 % semble réalisable. Enfin, le critère de la dette ne figure pas dans le calendrier de chacune des deux unions. Tanimoune, Combes et Plane (2005) mettent en évidence la non-linéarité entre la politique budgétaire et l’activité économique dans la zone UEMOA incluse dans la CEDEAO. Ils démontrent qu’un endettement atteignant les 83 % par rapport au PIB reste efficace. De manière comptable, le déficit budgétaire est égal à la variation de la dette ΔDt. Le déficit budgétaire est égal à la différence entre les recettes totales Rt et les dépenses totales qui se décomposent en dépenses primaire Gt et en service de la dette ItDt–1.

L’équation d’accumulation de la dette rapportée au PIB s’exprime alors de la manière suivante :

À partir de cette équation d’accumulation de la dette rapportée au PIB, et en posant It = it – yt, l’équation d’accumulation devient :

Lorsque l’accumulation de la dette tend vers zéro equation: 1860928n.jpg, nous obtenons :

Une politique budgétaire est soutenable lorsque le ratio d’endettement est stable. Stabiliser le taux d’endettement exige un solde primaire qui s’ajuste à l’écart entre taux d’intérêt et taux de croissance. L’équation (4) nous propose une relation simple pour définir le seuil de déficit compatible avec le plafond du taux d’endettement et la croissance moyenne. Dans notre cas où la croissance moyenne est de 5 %, un taux d’endettement de 80 % et compatible avec un déficit de 4 % (4 = 5 % × 80 %).

Le critère de similarité des taux d’intérêt dans les années 90 en Europe vise à assurer la symétrie de la transmission de la politique monétaire au sein de la future union européenne. Dans ce cadre européen, le rapprochement des taux d’intérêt longs est un indicateur de convergence pour les acteurs des marchés financiers. Ce critère permet d’apprécier les anticipations des acteurs financiers quant à l’évolution à long terme de l’inflation ainsi que la gestion des finances publiques : une hausse de l’inflation et/ou des dérapages des finances publiques s’accompagnent d’une prime de risque intégrée dans les taux d’intérêt[10]. Dans une Europe où le marché unique permet la libre circulation des capitaux, ce ne sont pas seulement les conditions d’offre et de demande nationale qui règlent les taux d’intérêt mais également les marchés financiers. Ainsi, pour satisfaire ce critère, les autorités nationales doivent bénéficier d’une politique monétaire suffisamment crédible pour neutraliser la prime de risque.

Pour la CEDEAO, la question d’utiliser la similarité des taux d’intérêt pour anticiper une union monétaire future se pose et ceci pour deux raisons : d’une part, la CEDEAO est le regroupement d’une union monétaire déjà fonctionnelle (l’UEMOA) où les pays sont déjà soumis à une politique monétaire commune. D’autre part, la libéralisation effective des marchés financiers et incidemment le mouvement des capitaux ne sont pas encore achevés. Les taux d’intérêt nominaux ne sont donc pas totalement déterminés par les marchés et, les inclure, forcerait le partitionnement entre UEMOA et les autres pays membres de la CEDEAO et en particulier les pays de la ZMOA.

La convergence nominale est synonyme de praticabilité d’une union monétaire. L’exigence de la convergence réelle conditionne sa viabilité. Ainsi, la convergence des taux de croissance et des productivités est importante pour la formation d’une union monétaire. Un pays membre présentant un faible taux de croissance a en effet de fortes chances d’être déficitaire. Si de plus, ce déficit est commercial, l’appartenance à une union monétaire exclut toute utilisation de l’instrument de taux de change pour améliorer ses termes de l’échange. L’unique alternative sera la politique déflationniste qui augmentera le coût macroéconomique de l’union monétaire[11]. L’existence d’un différentiel des structures productives favorise le commerce intrabranche (Balassa et Bauwens, 1987). Selon les théories traditionnelles du commerce international, les hétérogénéités et l’existence des avantages comparatifs expliquent la spécialisation.

La proximité du niveau de vie est également un indicateur de convergence puisqu’il peut traduire des demandes similaires. Pour prendre en compte le rapprochement des niveaux de vie comme critère de convergence, nous avons retenu le PIB par habitant (variable notée NVi). La similarité des structures économiques est appréhendée au travers de la part du secteur primaire dans la production. De ce fait, nous tenons compte de la part de la valeur ajoutée agricole dans l’ensemble de la production (variable notée AGRi).

Au final, un différentiel important de taux de croissance réduit la convergence des cycles de production, favorise les chocs asymétriques et augmente le coût de l’abandon du taux de change. La question que l’on se pose alors est de savoir si les taux de croissance sont suffisamment homogènes pour favoriser la création d’une union monétaire?

À la fin des années 70, tous les pays de la CEDEAO sont en crise et adoptent des programmes « d’ajustement structurel ». Suite à la dévaluation du franc-CFA en 1994, les pays de la CEDEAO renouent avec la croissance économique (hormis le Liberia et le Sierra Leone)[12] avec des expériences très contrastées. Cet élan est malheureusement freiné à partir de la fin 2007 suite à la crise financière et économique des pays industrialisés. L’effet est accentué par la baisse des cours des matières premières et la hausse du prix du pétrole. La croissance dans les pays de l’UEMOA est supérieure à celle des autres pays de la CEDEAO, à l’exception du Nigeria dont la progression coïncide avec la hausse du prix du pétrole à partir de 2004. Les pays de l’UEMOA forment donc une région assez homogène en matière de taux de croissance et de stabilité de la croissance.

La corrélation des composantes cycliques de la production est un critère utilisé pour mesurer le rapprochement des taux de croissance et la synchronisation des cycles économiques (Artis et Zhang, 1997). La composante cyclique est obtenue par le filtre de Hodrick-Prescott appliqué à des données annuelles du PIB réel. La difficulté dans l’utilisation de ce critère est le choix du pays de référence. Pour rendre compte de l’importance des chocs transmis par la zone euro aux pays de la CEDEAO, Bénassy-Quéré et Coupet (2005) utilisent la corrélation vis-à-vis du cycle de production de la zone euro, sur la base des échanges commerciaux entre les pays de la CEDEAO et l’UE. Pour notre part, nous n’avons pas restreint la mesure de corrélation avec l’UE car il apparaît que le commerce bilatéral entre les pays de la CEDEAO et l’UE est en diminution. Ce détournement se fait au profit des États-Unis d’Amérique, des pays asiatiques et une progression du commerce intra-Afrique. Par conséquent, nous avons préféré recourir à la corrélation avec le cycle mondial, mesurée par la corrélation de Spearman (notée CORCiW).

Le critère d’endogénéité de Rose parachève ce débat sur la nécessité de la convergence réelle en vue de réduire les asymétries entre pays potentiellement membres d’une union monétaire. Puisqu’aucun pays ne peut satisfaire l’ensemble des critères nominaux et réels, l’intérêt d’une union monétaire pour Frankel et Rose (1998) est au moins d’intensifier le commerce bilatéral entre pays candidats. Ils en concluent l’existence d’un effet endogène; l’adoption de la monnaie unique accélère l’intégration économique favorisant le rapprochement structurel des économies des pays membres de l’union monétaire. L’endogénéité permet de relaxer les conditions anciennes en affirmant que la formation de l’union monétaire permet d’atteindre l’optimalité a posteriori. Ainsi, pour Frankel et Rose (1998) : « les pays qui rejoignent l’UEM, peu importe leurs motivations, pourraient satisfaire les propriétés d’une ZMO ex post même si ce n’est pas le cas ex ante ». Cette homogénéisation augmente la symétrie des chocs et la synchronisation des cycles de production. Ces relations successives permettent le passage d’une union monétaire vers une ZMO. La pertinence de ce critère d’endogénéité pour la CEDEAO s’apprécie à l’aune de la faiblesse des échanges intrazone; ce critère n’est pas satisfaisant. En effet, les échanges extérieurs des pays de la CEDEAO sont principalement effectués avec l’UE, exception faite du Nigeria, dont le premier partenaire commercial est les États-Unis d’Amérique. Les échanges à l’intérieur de la CEDEAO, mais également au sein de l’UEMOA ou la ZMOA, restent faibles comparativement aux échanges avec l’UE ou le reste du monde (tableau 2).

Tableau 2

Échanges commerciaux des pays de la CEDEAO en 2008

Échanges commerciaux des pays de la CEDEAO en 2008
*

En pourcentage du total des importations par pays.

**

En pourcentage du total des exportations par pays.

Source : COMTRADE (2010) et calculs des auteurs

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Toutefois, le commerce intrazone n’est pas équidistribué, puisque certains pays de la CEDEAO ont des échanges intrazone intenses, tels que la Côte d’Ivoire, le Niger, le Mali et le Burkina Faso. Dans les conditions actuelles d’échanges commerciaux intrazone, le gain d’une monnaie unique par la réduction des coûts de conversion des monnaies ne sera pas substantiel pour tous, à moins que le lancement de l’union monétaire améliore par lui-même les échanges par l’effet « Rose » [13].

Au regard de cette revue de la littérature, nous retiendrons les variables suivantes pour identifier des pôles de convergence[14] dans la zone CEDEAO : le taux d’inflation, la volatilité du taux d’inflation, la volatilité du taux de change réel, la volatilité du taux de change réel effectif, les ratios de dette et de déficit rapportés au PIB, le niveau de vie, la corrélation des cycles économiques au cycle mondial, la valeur ajoutée hors agriculture, la volatilité du taux de croissance, le degré d’ouverture, la niveau de diversification et la volatilité des termes de l’échange.

Ainsi, les critères avancés par les approches anciennes et nouvelles de la théorie des zones monétaires optimales doivent être combinés pour être complètes. La méthodologie multicritères de classification ascendante hiérarchique (CAH) donne cet avantage et permet de regrouper des pays en fonction de leurs similitudes nominales et réelles.

2. Classification ascendante hiérarchique, identification de clusters, critères assouplis de Maastricht : application à la CEDEAO

Dans cette section, nous présentons tout d’abord la méthode de la classification ascendante hiérarchique en précisant ses avantages dans le cadre de notre étude par rapport aux modèles économétriques de type VAR, SVAR, sigma et béta-convergence. Nous détaillons ensuite les résultats de deux séries d’analyses en cluster. La première série a pour objectif de vérifier les effets des décisions politiques de création d’union monétaire et les progrès en matière de convergence et/ou d’intégration. Elle est uniquement basée sur le taux de change réel et les critères de convergence (inflation, déficit public, dette publique) à partir des données agrégées de deux sous-périodes : 1980-2000 et 2001-2007. La seconde série d’analyses s’appuie sur les critères dérivés de la théorie des ZMO et est effectuée sur les données agrégées de la période 1995-2007.

2.1 Principes de la classification ascendante hiérarchique

Les coûts macroéconomiques des zones monétaires ont été empiriquement approchés par des analyses en termes de chocs d’offre et de demande, au moyen de modèles VAR et SVAR traduisant la nature, l’ampleur et l’asymétrie des chocs permanents et transitoires (Bayoumi et Ostry, 1995). La symétrie des chocs justifie le choix d’appartenance à une union monétaire mais s’avère très réductrice. Ainsi, dans le cas européen, seul le noyau constitué par l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la France aurait constitué la zone euro. Par ailleurs, l’analyse en termes de chocs ne capture pas les gains d’une union monétaire notamment pour les pays qui subissent des chocs asymétriques. Les analyses relatives à la convergence de niveau de vie telles que la sigma-convergence et la beta-convergence se réduisent quant à elles au seul critère de rapprochement des niveaux de richesses (Hammouda, Karingi, Njuguna et Jallab, 2009). D’autres critères de participation à une union monétaire comme la stabilité des changes et la corrélation des cycles s’appuient également sur un seul facteur discriminant (Rose, 2000). Au regard de ces méthodes économétriques, la CAH présente l’avantage d’intégrer dans l’analyse l’ensemble des critères définis par la théorie des ZMO sans imposer d’hypothèses particulières sur ces derniers. D’un point de vue général, la CAH est une méthode de partitionnement qui permet d’effectuer des regroupements d’individus décrits par plusieurs variables. Dans notre cas, les individus sont des pays et les variables sont les critères des ZMO, précédemment présentés. La répartition en groupes appelés clusters permet d’identifier les pays les plus proches et donc les plus qualifiés à former une union monétaire. On obtient ainsi une évaluation du degré d’homogénéité des pays à l’intérieur de la CEDEAO. L’intérêt est de saisir le chemin déjà accompli en matière de convergence et les efforts nécessaires pour la poursuivre.

Formellement, considérons N pays pour lesquels il existe p critères distincts de classification. Chaque critère est noté Xij, i allant de 1 à N et j allant de 1 à p. La matrice des distances de dimensions (N,p) est définie comme suit :

forme: 1860940n.jpg

La CAH regroupe les pays en fonction du coefficient de « (dis)-similarité » entre chaque couple de pays (i, j) sur la base d’une mesure de distance D(Xi, Xj). Plus les pays sont dissimilaires, plus la distance les séparant est grande[15]. La mise en oeuvre de la CAH suppose que les trois éléments suivants soient clairement établis : la mesure de la distance, la méthode d’agglomération et le critère de définition du nombre de clusters optimal. Le choix de la distance est dicté par la nature des données.

Nous avons ainsi retenu deux mesures de distance : la distance euclidienne normalisée et la distance de Canberra.

La distance euclidienne (DE) est la mesure ultra-métrique la plus utilisée[16]. Cette dernière est définie comme suit :

forme: 1860949n.jpg et equation: 1860950n.jpg les valeurs normalisées de Xi et Xj [17]. La normalisation est obligatoire car les critères ont des amplitudes différentes et des unités de mesure distinctes. Cette normalisation n’est pas sans conséquences sur la classification puisqu’elle change le rang des distances entre les pays[18].

Par ailleurs, la DE ne fait pas la distinction quant à la position des valeurs. Par exemple, la DE entre deux pays A et B ayant des taux d’inflation de 3 % et 4 % est la même que la DE mesurée entre deux pays C et D ayant des taux d’inflation de 8 % et 9 %. C’est la raison pour laquelle, nous utilisons également la distance métrique de Canberra (DC) qui pallie cet inconvénient car elle intègre l’amplitude de la variable dans sa détermination. Par ailleurs, la normalisation n’est pas nécessaire pour la DC, puisque le dénominateur est un coefficient de normalisation. La mesure de distance prend ainsi ses valeurs dans l’intervalle [0, p]. La distance de Canberra entre deux pays (i) et (j) est définie comme suit :

La méthode d’agglomération consiste à regrouper les pays les plus proches. À chaque itération, la distance du nouveau cluster par rapport aux autres pays est redéfinie. Nous utilisons la méthode de Ward (1963)[19] qui présente deux avantages : d’une part, elle permet de construire des clusters de taille homogène et d’autre part, elle maximise l’éloignement inter-clusters[20]. Cet éloignement est mesuré par la somme des erreurs carrées (SCE) qui est également une mesure de variance totale :

avec g le centre de gravité de l’ensemble des pays.

Après classification en qclusters, la variance totale est la somme[21] de la variance intra-clusters, notée W, et de la variance inter-clusters, notée B :

avec q le nombre de clusters, Nj le nombre de pays du cluster (j) et gj son centre de gravité.

La méthode de Ward permet de minimiser W et maximiser B : les pays regroupés sont homogènes et les clusters formés sont les plus distants possibles. Pour le choix du nombre de clusters optimal, les mesures ou statistiques dites de « partition optimale » sont construites sur la base d’une combinaison de W et B[22]. En suivant les recommandations de Milligan et Cooper (1985), nous mobilisons l’indicateur de Calinski et Harabasz (1974) définit comme suit :

Le partitionnement optimal est obtenu pour la valeur maximale de CHq :

2.2 Classification sur les critères de convergence

Dans une première série de regroupements de pays fondés sur des critères de convergence, nous avons réalisé deux analyses. La première s’appuie sur les trois principaux critères définis dans le cadre du traité de Maastricht auxquels nous avons rajouté la volatilité du taux de change réel. La seconde analyse se distingue par un raisonnement en termes d’écarts par rapport aux critères communs de convergence de l’UEMOA et de la ZMOA.

2.2.1 Classification sur les critères de convergence « à la Maastricht » 

Pour réaliser cette classification, nous avons tout d’abord procédé à une répartition de chaque variable prise individuellement (taux d’inflation, volatilité du taux de change réel, déficit par rapport au PIB et dette par rapport au PIB). Ainsi, dans le cas de l’inflation, la CAH appliquée à l’ensemble des pays de la CEDEAO montre qu’il est possible de regrouper les pays en trois clusters : taux d’inflation faible ou modéré; taux d’inflation moyennement élevé et taux d’inflation très élevé. Le tableau 4 montre la répartition obtenue pour chacun des quatre paramètres de classification à la Maastricht. Les pays membres de l’UEMOA présentent des taux d’inflation faibles tandis que les taux d’inflation sont très différenciés parmi les cinq pays de la ZMOA. Une répartition similaire est obtenue pour la variabilité des taux de change réel. La classification au regard du déficit et de la dette départage l’UEMOA, puisque tous les pays membres souffrent d’un déficit patent (sauf la Côte d’Ivoire). À l’opposé, le Nigeria et le Ghana ont un déficit modéré.

Tableau 4

Indicateurs des critères « à la Maastricht »

Indicateurs des critères « à la Maastricht »
a

Taux d’inflation mesuré par la variation de l’indice des prix à la consommation.

b

Stabilité du taux de change VTCRi.

c

Déficit rapporté au PIB (hors dons).

d

Dette extérieure rapporté au PIB (La Guinée-Bissau et le Libéria ne sont pas inclus dans les moyennes régionales).

*

Valeurs en différence avec les critères de convergence communs.

Source : WEO (2008), IFS (2008) et calculs des auteurs

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Ce premier exercice de partitionnement montre la difficulté à construire des clusters totalement homogènes. L’avantage de l’algorithme de la CAH est de pouvoir combiner l’ensemble des répartitions en une seule configuration, la plus homogène possible. Le graphique 1 illustre le résultat de la la CAH sous forme d’arbre, appelé « dendrogramme », sur les périodes 1980-2000 et 2001-2007. L’axe vertical représente la distance entre les pays/clusters. L’axe horizontal présente la typologie finale de la classification. La ligne horizontale en pointillés indique la classification optimale. Au regard de l’indice CHq, la répartition en trois clusters est optimale pour la période de 1980-2000 et une répartition en 5 clusters est optimale pour la période 2001-2007 (tableau 5).

Graphique 1

Diagramme de classification par l’algorithme CAH

 (suite)

Note : La CAH au regard des critères de Maastricht est effectuée avec la distance de Canberra, une agglomération selon la méthode de Ward et le critère CHq pour déterminer la partition optimale. Calculs des auteurs.

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Tableau 5

Critère de sélection du nombre de clusters optimal

Critère de sélection du nombre de clusters optimal

Note : * CAH des critères communs de convergence.

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Pour la sous-période 1980-2000, les pays de l’UEMOA (sauf la Guinée-Bissau) et le Cap-Vert forment un premier groupe, caractérisé par un taux d’inflation moyen et une volatilité des taux de change moyenne (tableau 6). Le deuxième groupe rassemble la Guinée-Bissau et le Liberia, pays à déficit et dette très élevés. Les pays de la ZMOA constituent le dernier groupe dans lequel les taux d’inflation et la volatilité des taux de change réel sont très élevés. Cette première répartition apparaît cohérente compte tenu de l’appartenance des pays du premier groupe à une union monétaire relativement homogène au regard des taux d’inflation et de la variabilité des TCR. Il reste que certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Mali et le Togo présentent des ratios de dette relativement importants. La Guinée-Bissau se trouve distancée en matière de convergence puisque ce pays n’a rejoint l’UEMOA qu’à partir de 1997 et souffre d’un ratio de dette très élevé. Sur la période plus récente (2001-2007), la répartition en cinq groupes confirme la convergence au sens nominal des pays de l’UEMOA et la proximité économique du Cap-Vert. Les taux d’inflation et la variabilité des TCR se sont réduits comparativement à la première période. La Guinée-Bissau n’est toujours pas classée avec le groupe UEMOA à cause de la persistance du déficit et de la dette.

Tableau 6

Classification « à la Maastricht »

Classification « à la Maastricht »

Note : * La légende Mixte signifie que les pays de ce groupe ne présentent pas des caractéristiques proches au regard du paramètre considéré.

*

La légende Mixte signifie que les pays de ce groupe ne présentent pas des caractéristiques proches au regard du paramètre considéré.

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2.2.2 Classification sur les critères de convergence de l’UEMOA et de la ZMOA

Cette CAH repose sur des données différenciées par rapport aux trois critères communs de convergence de l’UEMOA et de la ZMOA précédemment définis (dette < 80 %, déficit < 4 % et inflation < 3 %) auxquels est associé la volatilité du TCR. Le résultat est donné dans le tableau 7. Cette classification confirme notre premier résultat, à savoir une convergence nominale des pays de l’UEMOA (hormis la Guinée-Bissau). Ce groupe est rejoint par le Cap-Vert, qui est le seul pays proche des critères communs de convergence (graphique 2).

Tableau 7

Classification vis-à-vis des critères communs de convergence

Classification vis-à-vis des critères communs de convergence

Note : Calculs des auteurs.

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Graphique 2

Critères communs de convergence

Critères communs de convergence

Note : La figure illustre la position des pays de la CEDEAO vis-à-vis des critères communs de convergence noté CC (dette < 80 %, déficit < 4 % et inflation < 3 %). Le diamètre du cercle indique le taux d’inflation.

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Les cinq pays de la ZMOA et la Sierra Leone sont à des distances variables des critères. La convergence du Nigeria et de la Guinée est possible si une politique visant à juguler l’inflation est mise en oeuvre. Le Sierra Leone et la Gambie doivent réduire leur ratio de dette pour envisager la convergence. Enfin, le Libéria et la Guinée-Bissau sont dans deux groupes individuels[23] car ils se singularisent par des problèmes budgétaires récurrents.

2.3 Classification au regard de la théorie des ZMO

Cette seconde série d’analyses a pour objectif d’identifier les pôles de convergence et les pays dits « leaders » en utilisant la convergence au sens réel c’est-à-dire telle qu’elle est définie dans la théorie des ZMO. Nous examinons ainsi successivement la stabilité économique et monétaire, la convergence des structures économique et l’exposition aux chocs externes.

Le tableau 8 illustre les valeurs moyennes des différentes variables sur la période 1995-2007.

Tableau 8

Critères traditionnels et modernes de la théorie des ZMO

Critères traditionnels et modernes de la théorie des ZMO
a

Stabilité de l’inflation mesurée par un processus GARCH (1,1) [moyenne sur la période de la volatilité estimée].

b

Volatilité de la production.

c

Part de l’agriculture dans la VA au PIB (en %).

d

(Importations + Exportations)/PIB.

Source : WEO (2008), IFS (2008) et calculs des auteurs

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2.3.1 Stabilité macroéconomique en union monétaire 

La stabilité économique et monétaire traduit la capacité des pays en union monétaire à mener une politique de ciblage d’inflation sans coûts pour l’économie réelle (en termes de chômage, par exemple). Nous avons effectué une classification au regard de deux variables décrivant cette stabilité : la volatilité des cycles de production (VP) et la volatilité des taux d’inflation (VINF).

Le tableau 9 montre l’existence de quatre clusters distincts. Les pays de l’UEMOA, tout d’abord, témoignent d’une grande stabilité, avec une faible variation à la fois du produit et du taux d’inflation[24]. Ce résultat témoigne de la crédibilité en termes monétaire à l’intérieur de l’UEMOA et renforce les précédents résultats d’homogénéité et de convergence. Ce 1er groupe inclut également le Cap-Vert, meilleur candidat à l’élargissement de l’UEMOA actuelle. Le deuxième cluster regroupe trois pays de la ZMOA, pour lesquels il y n’a pas encore de stabilité (Gambie, Nigeria, Sierra Leone). Malgré cela, la possibilité que le caractère endogène d’une union monétaire conduise à étendre la crédibilité monétaire de l’UEMOA à ce groupe de pays, ne doit pas être exclue. Le résultat est moins évident pour la Guinée et le Libéria qui forment deux singletons; le premier à cause de l’instabilité du produit et le second au regard de l’instabilité monétaire (graphique 3-A en annexe).

Tableau 9

Classification vis-à-vis des critères de stabilité économique et monétaire

Classification vis-à-vis des critères de stabilité économique et monétaire

Note : (..) Valeur moyenne par cluster.

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2.3.2 Symétrie des chocs et structures économiques 

La structure économique des pays de la CEDEAO est examinée à travers trois variables dans cette classification : le niveau de vie, la valeur ajoutée au PIB hors agriculture et la corrélation des cycles de production avec le cycle mondial[25]. La répartition des pays de la CEDEAO au regard de la structure économique révèle l’existence de différence significative (tableau 10). Les pays du 2ecluster (Sénégal, Ghana, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Nigeria) sont les plus corrélés au cycle mondial. Il s’agit des plus grandes économies de la région, avec un niveau de vie moyen et une structure économique moins dépendante du secteur agricole. Le 3ecluster (Guinée-Bissau, Sierra Leone, Liberia) regroupe les pays les plus pauvres où le secteur agricole est dominant. Le Cap-Vert constitue un singleton compte tenu de sa singularité : il présente le niveau de vie le plus haut et une économie des services (en particulier les transferts de capitaux) qui représente 20 % du PIB en 2006. Les graphiques 3-B et 3-C (en annexe) illustrent parfaitement la relation négative entre la part de l’agriculture dans l’économie et le niveau de vie.

Tableau 10

Classification selon la structure économique

Classification selon la structure économique

Note : (..) Valeur moyenne par cluster.

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2.3.3 Échanges internationaux et chocs externes

Afin de rendre compte des comportements différenciés des pays aux échanges extérieurs et leurs sensibilités aux chocs externes, nous incluons dans cette dernière analyse, l’ouverture commerciale (OUV), la volatilité des TCER (VTCER), la variabilité des termes de l’échange (VTOT) et la diversification à l’exportation (DIV). La forte spécialisation des échanges extérieurs des pays de la CEDEAO les rend très exposés aux chocs spécifiques (tableau 11). On retrouve dans cette répartition un 1ercluster regroupant les pays les plus ouverts et diversifiés, et dont les termes de l’échange sont par conséquent les moins volatiles. C’est le cas, par exemple, de la Côte d’Ivoire et du Cap-Vert. Le 2ecluster regroupe les pays les moins diversifiés et donc les plus exposés aux chocs spécifiques. En outre, ce cluster réunit également les pays exportateurs de coton (Bénin et Burkina Faso). Le Sénégal se trouve dans un cluster à part car il se caractérise par une grande diversification à l’exportation et une stabilité des termes de l’échange. Enfin, le Niger est aussi isolé car il est très dépendant de l’exportation d’uranium[26]. Cette spécialisation explique la forte instabilité des termes de l’échange. D’une manière générale, les pays les plus diversifiés ont les termes de l’échange les plus stables et la plus faible volatilité des TCER (graphique 3-D en annexe).

Tableau 11

Classification vis-à-vis des critères du commerce international

Classification vis-à-vis des critères du commerce international

Note : (..) Valeur moyenne par cluster.

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2.3.4 La convergence dans son ensemble

La situation actuelle des pays de la CEDEAO est décrite par une union monétaire déjà existante et très homogène (UEMOA) et une coopération monétaire (ZMOA) qui envisage de créer sa monnaie l’Eco à la fin de l’année 2012. Le Cap-Vert et le Libéria ne font partie d’aucune union monétaire dans la région. Au regard des résultats précédents, la question que l’on se pose est de savoir si l’objectif d’étendre l’Eco à l’ensemble des pays de la CEDEAO est réalisable dans l’immédiat et, en corollaire, quelles seraient les recommandations essentielles pour atteindre cet objectif?

D’après l’étude de la convergence réelle, la création d’une union monétaire avec le lancement d’une monnaie unique n’est pas souhaitable dans le court terme pour deux raisons principales. Tout d’abord, parce que des différentiels de taux d’inflation perdurent et en particulier dans les pays de la ZMOA, Ensuite, parce qu’il existe non seulement des structures économiques distinctes mais aussi une exposition asymétrique aux chocs externes à cause de la spécialisation. Ces éléments de divergence sont également mis en avant dans les travaux de Masson et Patillo (2005) et Tsangarides et Qureshi (2001). Il reste à préciser que certains pays de la CEDEAO tels que le Libéria, le Sierra Leone et la Guinée-Bissau souffrent aujourd’hui d’une instabilité institutionnelle se traduisant par une fragilité économique. Toutefois, nos résultats montrent que le Cap-Vert et le Ghana associés aux sept pays de l’UEMOA forment un groupe très homogène, notamment en matière de stabilité monétaire et économique. Ceci est en accord avec les travaux de Sy (2007) sur l’état d’avancement de l’intégration financière dans l’UEMOA et avec les études de Masson et Patillo (2005) et Tsangarides et Qureshi (2001) qui mettent en exergue le haut niveau de similarité des pays de l’UEMOA et l’existence d’une convergence régionale, à l’exception de la Guinée-Bissau. Ces auteurs soulignent toutefois la nécessité d’une plus forte harmonisation fiscale pour une plus grande convergence au sens macroéconomique. En outre, la Côte d’Ivoire et le Sénégal avec une taille économique relativement importante sont dans une dynamique très encourageante à condition de garder leur stabilité politique. La crise ivoirienne, suite à des élections, a montré la fragilité de la démocratie dans ces pays exposés à des risques de contestation de résultats ou de confiscation du pouvoir, voire de violences politiques. En tout cas, ces deux pays que sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont leaders et des effets d’entraînement sont possibles dans la région, spécialement pour le Ghana.

Conclusion

Si l’hétérogénéité des pays africains existe, elle n’exclut pas pour autant que les spécificités de chacun peuvent devenir mutuellement avantageuses en cas d’abandon de leur souveraineté monétaire (Semedo, 1998, Masson et Patillo, 2005). La monnaie unique est un catalyseur d’échanges et a des effets endogènes sur les courants commerciaux, l’approfondissement financier et la mise en réseaux de l’espace économique intégré. Par ailleurs, la théorie des zones monétaires optimales néglige les faits politiques. Or, la volonté commune d’adhérer à une union monétaire a une dimension politique, et l’Union économique et monétaire européenne en est le meilleur exemple. En effet, l’histoire de l’UEM européenne est une source d’inspiration pour les pays de la CEDEAO tant dans sa construction graduelle que dans la mise en place d’institutions supranationales de supervision et de coordination des politiques monétaires et budgétaires.

La CEDEAO prévoit la fusion de l’UEMOA et de la ZMOA à l’horizon 2020. Comment alors traiter le problème du Cap-Vert attaché à sa souveraineté monétaire, dont la situation économique est satisfaisante et convergente vers les pays de l’UEMOA? Il en est de même pour le Ghana, pourtant membre de la ZMOA. C’est pourquoi, de notre point de vue, deux entités doivent apparaître. La première est constituée de l’UEMOA élargie au Cap-Vert et au Ghana. La seconde fédère le Nigeria, le Libéria et les autres pays de la ZMOA. Ces deux entités devraient avoir une monnaie commune avec un ancrage nominal basé sur un panier de monnaies. Cette proposition de deux entités est justifiée par la lenteur de la convergence dans la partie ZMOA.

Les échanges entre les pays doivent être incités par des tarifs préférentiels avant l’union douanière et par la création d’une large zone de libre-échange. Cela est rendu nécessaire par l’existence à la fois de facteurs endogènes qui prédisposent ex ante à la réalisation d’une union monétaire, et de facteurs induits qui catalysent ex post les liens réels et monétaires. Le commerce intrazone est notamment l’un de ses facteurs et des effets endogènes d’accroissement des échanges en union monétaire sont attendus. Tsangarides, Ewenczyck et Hulej (2006) montrent ainsi, que la création d’une union monétaire africaine augmenterait de 70 % le commerce à l’intérieur de l’Afrique et de 65 % le commerce avec des pays non africains[27]. Cette dynamique nécessite d’investir dans les déterminants physiques du commerce tels que les infrastructures de transport. L’accroissement du commerce bilatéral dans un cadre moins informel avec des monnaies communes aura en effet des conséquences non négligeables pour la symétrie des chocs de demande, notamment en rapprochant les prix et en les stabilisant. La convergence des prix rend plus transparent le commerce transfrontalier et permet d’éviter les mouvements de décotes des monnaies (qui jusque-là ont été favorables au Nigeria). De ce fait, des bandes de fluctuations des monnaies doivent être défendues, jusqu’à l’obtention de la monnaie unique. Dans une phase transitoire, la solidarité entre les pays peut faire face aux besoins de réserves avec la création de fond monétaire « à la FECOM »[28].

Il apparaît dans ce travail que le groupe constitué de l’UEMOA, du Ghana et du Cap-Vert est révélateur d’un club de convergence; la crainte inspirée par le Nigeria, sur le plan géopolitique, doit être dissipée par des accords graduels qui sont de deux ordres. Premièrement, l’unification des régimes monétaires et la mise en place d’institutions crédibles pour ce qui concerne la discipline monétaire. En second lieu, la discipline budgétaire et la mise en place de mécanismes de compensations et de fonds structurels sont nécessaires. Il serait possible d’envisager une politique budgétaire commune d’accompagnement pour lever les indéterminations des dépenses improductives et canaliser certaines dépenses visant à l’accumulation de capital humain et physique nécessaires à la croissance. Toutefois, il faut reconnaître que cette coordination en vue de rationaliser les politiques économiques pour amortir les chocs communs ou spécifiques et les politiques publiques propres à faire face aux phénomènes hors marché est bien plus ardue que la délégation du pouvoir monétaire à un banquier central (Semedo, 1998).

À long terme, la Banque Centrale régionale de l’Afrique de l’Ouest devrait être le garant de prix stables et compétitifs afin d’éviter les dépréciations de change propres aux économies actuelles qui doivent composer avec le développement de la contrebande, de l’économie souterraine, des pertes de recettes douanières, des trafics de devises et des mouvements illégaux de capitaux.

Enfin, concernant l’impact de l’instabilité institutionnelle et politique notamment au Libéria, au Sierra Leone, en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire, il revient à la communauté africaine et à la communauté internationale, comme elle l’a exprimé dans la crise ivoirienne, d’être vigilante à toute épreuve belligérante entre pays et ou au sein d’un pays africain, et éventuellement d’apporter l’aide nécessaire en matière d’intermédiation et de soutien pour résorber ces conflits. Il s’agit de donner à ces pays toutes leurs chances de prendre part dans ce projet.