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Introduction

Une littérature récente suggère de manière marquante qu’une grande proportion de la population a un faible niveau de connaissance financière (par exemple Lusardi et Mitchell, 2007a). Ceci est préoccupant parce qu’on a aussi documenté que ceux ayant un faible niveau de littératie financière ne sont pas préparés à la retraite (Lusardi et Mitchell, 2007b). Ce constat fut établi dans un bon nombre de pays occidentaux et les recherches existantes pour le Canada, en partie réalisées pour le Groupe de travail sur la littératie financière[1], semblent aussi indiquer un faible niveau de littératie financière, similaire à celui des autres pays (Arrowsmith et Pignal, 2010; MacKay, 2011; Mullock et Turcotte, 2012).

Les études récentes s’intéressent aux déterminants de la littératie financière, en particulier les déterminants institutionnels ainsi qu’aux politiques éducatives pouvant être mises en place pour remédier aux lacunes observées (Lusardi et Mitchell, 2011). Parmi les constats faits par Lusardi et Mitchell (2011) à partir des études provenant de plusieurs pays et rassemblées dans une édition spéciale du Journal of Pension Economics and Finance, on note que les femmes et les personnes âgées ont un niveau de littératie financière plus faible. On note aussi dans ces études que le niveau d’éducation est loin d’être un proxy parfait pour la littératie financière. La relation entre littératie financière et la préparation à la retraite est observée dans un grand nombre de pays comme l’Allemagne, les États-Unis, le Japon, les Pays-Bas et la Suède. Quelques études tentent d’expliquer les différences de littératie financière observées entre pays. Jappelli (2010) démontre que les pays où le niveau de compétence en mathématiques au secondaire est élevé ont un niveau élevé de littératie financière. De plus, il démontre que les pays ayant un régime de retraite publique plus généreux ont un niveau de littératie financière plus faible.

Dans cet article, nous posons la question suivante : étant donné les différences de revenu, de couverture et de type de régimes de retraite, de différences potentielles dans l’éducation financière acquise à un plus jeune âge et d’autres caractéristiques sociodémographiques, existe-t-il des différences de préparation à la retraite et de littératie financière entre les provinces du Canada? Nous tenterons de répondre à cette question à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF). Nous tenterons de : a) documenter la présence de différences provinciales en termes de préparation à la retraite et de richesse (épargne); b) documenter la présence de différences en termes de littératie financière sur les mêmes dimensions; c) évaluer s’il existe toujours des différences provinciales et socioéconomiques en termes de préparation à la retraite et d’épargne, une fois les différences de littératie financière et autres différences socioéconomiques prises en compte.

À notre connaissance, une seule étude a regardé les différences interprovinciales en termes de littératie financière (Carpentier et Suret, 2011). Pour ce faire, les auteurs ont fait un sondage auprès de 1 814 gestionnaires autonomes de portefeuilles personnels d’actions. Les auteurs rapportent que les Québécois dans cette sous-population semblent avoir un niveau de littératie financière plus élevé qu’en Ontario. Étant donné la nature de l’échantillon, il importe d’analyser de nouveau cette question à l’aide d’une enquête qui est représentative de la population canadienne. De plus, les questions sur la littératie financière dans l’enquête utilisée par Carpentier et Suret (2011) porte surtout sur la gestion de portefeuille. Il sera intéressant de voir si les mêmes différences existent pour d’autres domaines des connaissances.

Nos résultats semblent indiquer que le Québec, de manière générale, accuse un retard important par rapport au reste du Canada en termes de littératie financière, mais aussi en termes d’éducation financière. Ces différences demeurent même en contrôlant pour une ou pour un bon nombre de différences socioéconomiques. Elles se traduisent par une plus faible proportion de travailleurs affirmant préparer leur retraite et une participation plus faible des ménages sur les marchés financiers (obligations, actifs boursiers, etc.).

Dans la première section, nous passerons en revue les déterminants qui pourraient être pertinents pour expliquer les différences provinciales en termes de préparation à la retraite, d’épargne et de littératie financière. Nous discuterons aussi des différences institutionnelles entre le Québec et le reste du Canada qui pourraient affecter le niveau de littératie financière et le niveau d’épargne pour la retraite. La deuxième section est consacrée à la description de l’enquête utilisée et à la construction des variables pour l’analyse. Dans la troisième section, nous analysons les différences provinciales de préparation à la retraite et de littératie financière. Dans la quatrième section, nous procédons à une analyse économétrique des déterminants de la littératie financière et du lien entre la littératie financière, d’une part, et la préparation à la retraite ainsi que l’accumulation de la richesse, d’autre part. Finalement, nous étalons nos conclusions dans la dernière section.

1. Déterminants des différences interprovinciales

Le besoin d’acquérir des connaissances financières va de pair avec le besoin d’épargner pour la retraite. Ainsi, les mêmes éléments qui déterminent le besoin d’épargner sont susceptibles de déterminer le besoin d’acquérir un bon niveau de littératie financière. Par exemple, si le revenu garanti par un régime de retraite est tel que le besoin d’épargner est faible, on peut convenir qu’il y a peu d’incitations pour les ménages à acquérir des notions financières qui leur permettraient d’obtenir un meilleur rendement ou une meilleure protection contre certains risques. En effet, l’acquisition de ces notions peut être coûteuse en argent et/ou en temps, et peut même être désagréable pour certains.

Ce constat est informatif tant pour les comparaisons individuelles (par exemple par tranche de revenu) que pour les comparaisons entre individus régis par des systèmes de retraite ou systèmes de protection sociale différents. Par exemple, Lusardi, Michaud et Mitchell (2013) mettent de l’avant que la progressivité des régimes de retraite fait aussi en sorte que les gens ayant des revenus plus élevés au cours de leur vie active sont plus susceptibles d’investir en littératie financière puisque la chute de revenu à la retraite sera plus élevée; et donc, ils auront besoin d’épargner davantage. Somme toute, le revenu tant au travail qu’à la retraite peut avoir un impact sur le niveau de littératie financière des ménages.

Bien que le régime de retraite publique soit sensiblement le même à travers les provinces du Canada, il existe des différences importantes entre le Québec et le reste du Canada en termes de régimes de retraite complémentaires. En effet, il y a très peu de régimes à cotisations déterminées au Québec contrairement au reste du Canada. Gougeon (2009) documente que la majorité des provinces canadiennes ont une augmentation marquée de ce type de régimes par rapport aux régimes à prestations déterminées. Or, la planification de la retraite à l’intérieur du régime à cotisations déterminées est davantage active que celle dans un régime à prestations déterminées, par le choix des contributions, l’exposition au taux de rendement et par le choix de disposition des cotisations accumulées qui ne sont pas automatiquement transformées en rente à la retraite. Donc, ce genre de plan est susceptible de requérir une plus grande littératie financière qu’un plan à prestations déterminées.

Un déterminant potentiellement important du niveau de littératie financière à l’âge adulte est l’éducation financière reçue à l’école, mais aussi à la maison. En fait, Lusardi, Mitchell et Curto (2010) démontrent que le niveau de sophistication financière des parents est corrélé avec la littératie financière des jeunes adultes aux États-Unis. Quant à l’éducation formelle, il y a peu d’études qui démontrent un lien important entre l’éducation financière acquise à l’école et la littératie financière à l’âge adulte. On note que l’intensité de l’éducation financière ou de l’éducation en mathématiques peut varier d’une juridiction à l’autre, ce qui peut contribuer aux différences observées entre les pays et les régions à l’intérieur d’un même pays. Par exemple, l’Ontario a intégré en 2011 à son cursus primaire et secondaire l’enseignement de la littératie financière. D’autre part, certaines provinces, comme le Québec, ont développé à travers les années une expertise dans l’enseignement des mathématiques qui pourrait se répercuter sur le niveau de littératie financière à l’âge adulte. Ces connaissances sont habituellement bien corrélées avec le niveau de littératie financière. Les tests PISA «Programme for International Student Assessment» en mathématiques semblent indiquer que le Québec fait beaucoup mieux que le reste du Canada en mathématiques (Statistique Canada, 2009). Les études de Jappelli (2010) et Jappelli et Padula (2011) démontrent un lien fort entre les résultats PISA en mathématiques et la littératie financière au niveau d’un pays.

2. L’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF)

Les données utilisées proviennent de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) réalisée par Statistique Canada au cours de l’année 2009. Cette enquête, la première du genre conduite au Canada, visait à mesurer les capacités financières des ménages canadiens ainsi que leur degré de connaissances en matière de décisions financières. De façon plus particulière, elle devait faire la lumière sur les connaissances, les capacités et les comportements des Canadiens en ce qui a trait à la prise de décisions financières, sur la façon dont ils comprennent leur situation financière, les services financiers qui sont mis à leur disposition et sur leurs plans d’avenir.

L’ECCF est une enquête transversale par échantillon auprès de 15 519 répondants. Le plan d’échantillonnage correspond à un échantillon aléatoire stratifié à deux phases de numéros de téléphone. À la première phase, les ménages sont sélectionnés au moyen de la composition aléatoire. À la deuxième phase, une personne du ménage contacté est sélectionnée. Afin d’assurer la représentation dans l’échantillon des personnes vivant dans toutes les régions du Canada, chacune des 10 provinces a été divisée en strates ou régions géographiques. Les régions métropolitaines de recensement (RMR) sont des régions définies à partir du recensement de la population et correspondent approximativement aux villes comptant 100 000 habitants ou plus. Pour la grande majorité de nos analyses, nous considérons les personnes âgées de 18 à 55 ans. Tous les tableaux et graphiques présentés utilisent les poids de l’enquête afin de garantir que l’échantillon soit représentatif de la population.

2.1 Définition des variables de littératie financière

La littérature utilise deux types de questions pour mesurer la littératie financière. Premièrement, on utilise des questions mesurant le niveau de connaissance sur des concepts financiers. Sous forme de jeu-questionnaire, ces questions ont été popularisées par les travaux de Lusardi et Mitchell (2007a, b). Le questionnaire de l’ECCF contient 14 questions de ce type. Quoique les questions soient différentes de celles que l’on retrouve dans d’autres pays, elles mesurent des concepts similaires. Nous écartons les questions dont les formulations n’étaient pas suffisamment claires pour assurer une compréhension commune de tous les répondants. Nous en avons retenues cinq qui sont suffisamment claires et représentatives de l’ensemble de la rubrique liée à l’évaluation objective de la littératie financière. Ces cinq questions concernent les méfaits de l’inflation, la connaissance des produits financiers et d’un rapport de crédit et la connaissance des caractéristiques du taux d’intérêt sur un compte d’épargne.

Les questions sont les suivantes :

  • Inflation

    L’inflation peut causer divers désagréments. Quel groupe de personnes éprouverait les pires difficultés si l’inflation se maintenait pendant plusieurs années à un taux élevé?

    • 1. Les jeunes couples de travailleurs sans enfants

    • 2. Les jeunes couples de travailleurs qui ont des enfants

    • 3. Les couples de travailleurs plus âgés qui épargnent en vue de leur retraite

    • 4. Les personnes âgées qui vivent avec un revenu de retraite fixe

    • 7. Ne sait pas

    • 8. Refus

    • 10. Non déclaré

  • Produits financiers

    Linda a épargné 12 000 $ pour ses études universitaires en travaillant à temps partiel. Elle prévoit débuter l’université l’année prochaine et elle a besoin de tout l’argent qu’elle a épargné. Lequel des énoncés parmi la liste suivante est le plus sûr pour y investir l’argent destiné à ses études universitaires?

    • 1. Obligations de sociétés

    • 2. Fonds commun de placement

    • 3. Compte d’épargne dans une banque

    • 4. Coffre-fort à la maison

    • 5. Actions

    • 6. Ne sait pas

    • 8. Refus

    • 10. Non déclaré

  • Taxation

    Si vous aviez un compte d’épargne dans une banque, lequel des énoncés suivants concernant l’intérêt versé sur ce compte serait exact?

    • 1. La taxe de vente peut être perçue sur l’intérêt que vous gagnez

    • 2. Vous ne pouvez pas recevoir d’intérêt avant votre 18e anniversaire

    • 3. Les gains faits sur les comptes d’épargne ne sont pas imposables

    • 4. L’intérêt versé peut être imposé si votre revenu est assez élevé

    • 7. Ne sait pas

    • 8. Refus

    • 9. Non déclaré

  • Pouvoir d’achat

    Si le taux d’inflation est de 5 % et que le taux d’intérêt versé sur vos épargnes est de 3 %, est-ce que vos épargnes auront au moins le même pouvoir d’achat dans un an?

    • 1. Oui

    • 2. Non

    • 7. Ne sait pas

    • 8. Refus

    • 9. Non déclaré

  • Solvabilité

    Un rapport de solvabilité est...?

    • 1. Une liste de vos avoirs et dettes

    • 2. Un relevé mensuel de votre carte de crédit

    • 3. Un historique des prêts et des remboursements

    • 4. Une ligne de crédit dans une institution financière

    • 7. Ne sait pas

    • 8. Refus

    • 9. Non déclaré

Plusieurs questions ont été omises, soit parce qu’elles n’étaient pas assez claires ou parce qu’elles avaient peu à voir avec la littératie financière telle que définie dans la littérature. Par exemple, une question demande si quelqu’un assure les investissements boursiers. La « bonne » réponse selon les auteurs du questionnaire est que personne n’assure les investissements boursiers. Or, l’Autorité des marchés financiers assure l’encradrement des activités des marchés boursiers. Cette ambiguité peut expliquer pourquoi un faible pourcentage des répondants ont obtenu la « bonne » réponse. Une autre question concerne l’utilisation des guichets automatiques à l’étranger. Cette question pourrait mesurer davantage l’expérience internationale des répondants que leur niveau de littératie financière. Malgré notre choix de restreindre l’analyse à cinq questions, notre analyse ne dépend pas de ce choix. L’utilisation d’un ensemble de 10 questions donne essentiellement les mêmes conclusions[2].

Les réponses ont été recodées en trois catégories de réponse : correcte, incorrecte et ne sait pas. Par la suite, nous avons rapporté le nombre de bonnes réponses, sur un total maximum de cinq, pour donner une note à chaque répondant. Les répondants ayant eu une note supérieure ou égale à 80 % (plus de 3 bonnes réponses sur 5) ont été classés comme ayant un bon niveau de littératie financière. Les résultats que nous présentons ne sont pas sensibles au seuil que nous utilisons. Il nous apparait que sur des questions aussi simples, plus d’une erreur signale un niveau de littératie financière assez faible.

Une mesure d’autoévaluation est aussi disponible dans l’ECCF. Il s’agit d’une question qui demande aux gens d’autoévaluer leur niveau de littératie financière sur une échelle allant de piètre à très bonne connaissance. Les répondants ayant rapporté une évaluation « bonne » ou « très bonne » ont été classés comme ayant un niveau de littératie subjective élevé. Il convient de noter que la mesure d’autoévaluation est davantage susceptible de mesurer la perception qu’a le répondant de ses connaissances financières que ses connaissances financières réelles. En particulier, on notera chez certains répondants un niveau subjectif élevé de littératie financière alors que le taux de bonnes réponses au questionnaire est faible.

Une seule question a été posée dans l’ECCF sur l’éducation financière. Il s’agit d’une question qui demande si le répondant a suivi une formation d’éducation financière au cours des cinq années précédant l’enquête. Donc, ceci ne permet pas d’évaluer le niveau d’éducation financière reçue plus jeune, contrairement à l’étude de Japelli et Padula (2011). Cependant, il s’agit d’une mesure intéressante du niveau de formation récemment obtenue.

2.2 Définition des variables de préparation à la retraite et de richesse

Nous considérons trois types de variables afin d’analyser les différences de préparation à la retraite et d’épargne. D’abord, nous utilisons les réponses à une question qui demande aux répondants s’ils préparent leur retraite ou non. Cette question est vague, mais elle permet d’avoir une idée globale de l’attention que porte le répondant à la préparation de la retraite.

Le deuxième ensemble de mesures vise à capter les différences de participation à des produits financiers. Nous considérons la participation à un Régime enregistré d’épargne-retraite (REER), à des produits financiers tels que des obligations ou des actions et la propriété immobilière. Cette participation peut être inférée directement à partir de la séquence de questions sur la richesse des ménages.

Finalement, nous considérons le niveau de richesse nette définie comme étant la somme de tous les actifs moins les dettes du ménage. Puisque certaines valeurs sont manquantes pour certains postes, nous utilisons des imputations à partir d’un modèle multivarié avec comme variables de contrôle les variables sociodémographiques (âge, sexe, état civil) et le niveau d’éducation du ménage. Ces imputations sont faites à partir du package « mi impute » dans le logiciel STATA. Nous utilisons principalement les imputations afin d’obtenir des résultats plus précis en augmentant la taille de l’échantillon effectif qui est utilisé. En particulier pour les inférences inconditionnelles, il est aussi possible que les valeurs manquantes proviennent systématiquement d’observations où le niveau de richesse serait élevé (ou faible). Ceci introduirait un biais. Sous l’hypothèse que ces différences sont dues exclusivement à des différences dans les caractéristiques observables des répondants, nous utilisons l’imputation à partir de modèle multivarié pour faire une correction. L’hypothèse « missing at random » suppose donc que la probabilité que la variable de richesse soit manquante est indépendante de la variable d’intérêt conditionnellement sur un ensemble de variables observables (Little et Rubin, 1987). Nous avons aussi produit des analyses qui omettent les observations manquantes avec des résultats similaires. De plus, nous avons produit des analyses qui utilisent des modèles d’imputation différents pour le Québec et le reste du Canada avec encore une fois des résultats qui demeurent robustes[3]. Afin de minimiser la présence de valeurs extrêmes, nous avons censuré les observations ayant une richesse nette de plus d’un million. Les montants sont exprimés en dollars de 2008.

Pour les statistiques descriptives, nous avons aussi voulu mesurer la composition des revenus espérés des ménages à la retraite. Ces questions sont posées aux travailleurs dans notre échantillon qui disent préparer leur retraite (dans le design du questionnaire, on a supposé que ceux ne préparant pas leur retraite ne connaîtraient pas la source de leur revenu de retraite). Nous avons retenu pour nos fins l’anticipation de revenu de retraite publique (supplément de revenu garanti (SRG), Sécurité de la vieillesse (SV) et Régime de rentes du Québec/Régime de pensions du Canada (RRQ/RPC)), les revenus provenant de REER et finalement les revenus provenant de régime de retraite d’employeur. Pour cette dernière source, nous rapportons aussi la fraction de répondants ayant un régime à prestations déterminées contrairement à un régime à contributions déterminées.

2.3 Définition des autres variables socioéconomiques

En plus des variables mentionnées ci-haut, nous avons aussi construit un nombre de variables socioéconomiques pour l’analyse. Parmi celles-ci, on retrouve le sexe (homme = 1, femme = 0), une variable dichotomique pour un répondant du Québec, l’âge en année, le revenu familial, une variable dichotomique pour le statut matrimonial (marié ou union libre = 1, zéro sinon) et finalement le niveau d’éducation (sans diplôme d’études secondaires, diplômé du secondaire et diplômé postsecondaire). Nous avons aussi construit une variable d’occupation (managérial, clérical, manuel) et une variable d’industrie qui indique si le répondant travaille dans un secteur où le public est très présent (santé et éducation). Ces variables forment nos variables de contrôle dans les régressions.

3. Différences provinciales selon l’ECCF

Notre analyse se concentrera sur les différences entre le Québec et le reste du Canada. Donc, nous n’analyserons pas les différences entre les autres provinces du Canada. Une première analyse des données nous a permis de croire que ces différences étaient plus prononcées au Québec et que ce dernier était largement différent sur les dimensions que nous étudions.

Nous débutons notre analyse par un regard sur les différences provinciales en termes d’éducation, de revenu et de régime de retraite. Ces différences peuvent se traduire par des différences dans le niveau de littératie financière des répondants, ce que nous analysons par la suite. Finalement, nous analysons les différences de préparation à la retraite et d’épargne.

3.1 Éducation, revenu et régime de retraite

Au tableau 1, nous rapportons certaines différences socioéconomiques d’intérêt pour notre analyse. Entre autres, nous constatons qu’il y a une plus grande fraction de la population québécoise qui n’a pas terminé le secondaire. C’est souvent au niveau du secondaire que certaines notions de mathématiques pertinentes aux décisions financières sont enseignées. Au Québec, un cours d’éducation économique a existé en 5e secondaire de 1982 à 2009. Ces différences d’éducation peuvent se traduire par un plus faible niveau de littératie financière puisqu’on a démontré que le niveau d’éducation était très corrélé à ces mesures dans plusieurs pays.

Le revenu familial médian au Québec est aussi inférieur à celui du reste du Canada. La différence est importante (de l’ordre de 10 000 $). De plus, ces revenus semblent être plus inégaux au cours du cycle de vie comme le montrent les chiffres rapportés au tableau 1. Pour ce faire, nous avons exprimé le revenu médian par groupe d’âge par rapport au même revenu médian du groupe d’âge 20-25 ans. Cette variation accrue peut être due à plusieurs facteurs reliés au marché du travail, à la composition du ménage, tout comme aux différences en termes de régimes de retraite.

Pour ce qui est des caractéristiques démographiques, les répondants au Québec sont davantage similaires à ceux du reste du Canada si l’on regarde l’état civil, le sexe et l’âge (légèrement plus élevé). Il y a cependant une plus grande fraction d’immigrants au Québec que dans le reste du Canada.

Afin d’analyser les différences en termes de sources anticipées de revenu de retraite, nous avons divisé les répondants en trois groupes selon le revenu familial. Nous avons utilisé les terciles de la distribution du revenu dans chaque région.

Dans le premier tercile, on observe à peu près la même fraction de répondants qui s’attendent à recevoir des revenus de retraite provenant de source publique[4] (80,24 % vs 83,12 %). Par contre, plus de répondants québécois s’attendent à recevoir un revenu de retraite provenant de l’employeur (49,8 % contre 41,1 %). La grande majorité (87,3 %) de ces revenus provient de régime à prestations déterminées alors que cette fraction est plus faible dans le reste du Canada (65,7 %). Ces différences sont similaires dans le 3e tercile de la distribution des revenus où la proportion espérant des revenus provenant de régimes complémentaires ou de REER est en général plus élevée. Donc, ces différences pourraient suggérer que les besoins en termes de littératie financière soient plus élevés dans le reste du Canada qu’au Québec si nous supposons que les régimes à prestations déterminées requièrent une moins grande participation active.

3.2 Littératie financière

Puisque l’éducation est intimement liée à la littératie financière, nous allons stratifier les statistiques présentées par niveau d’éducation (sans secondaire, secondaire et postsecondaire). D’abord, nous présentons dans le graphique 1 la fraction des répondants ayant réussi au moins quatre des cinq questions évaluant le niveau objectif de littératie financière.

Tableau 1

Différences socioéconomiques entre le Québec et le Reste du Canada (RDC)

Différences socioéconomiques entre le Québec et le Reste du Canada (RDC)

** p-value<0,05, * <0,1.

2

Échantillon de travailleurs qui planifient leur retraite.

3

Supplément de revenu garanti (SRG), Sécurité de la vieillesse (SV), Régime de rentes du Québec (RRQ) et Régime de pensions du Canada (RPC).

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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Graphique 1

Niveau objectif de littératie financière (personnes ayant plus de trois bonnes réponses sur cinq) par province et niveau d’éducation

Niveau objectif de littératie financière (personnes ayant plus de trois bonnes réponses sur cinq) par province et niveau d’éducation

Note : RDC : reste du Canada.

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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Les répondants québécois réussissent beaucoup moins bien que les répondants du reste du Canada; et ce, pour tous les niveaux d’éducation. Ces différences sont statistiquement significatives. Parmi ceux ne possédant pas de diplôme secondaire, 6 % des Québécois ont fait moins d’une erreur sur les 5 questions alors que cette fraction dépassait 12 % dans le reste du Canada. Malgré un plus haut taux de réussite chez les plus éduqués, seulement 30 % des Québécois ayant un diplôme postsecondaire ont pu répondre correctement à au moins 4 questions contre 44 % dans le reste du Canada.

Dans le graphique 2, nous présentons les résultats en utilisant la mesure subjective (autoévaluation) de littératie financière. Les différences sont beaucoup moins marquées et ne sont pas statistiquement significatives. Même si les répondants québécois disposant d’un diplôme secondaire semblent indiquer qu’ils possèdent un niveau de littératie financière plus élevé que dans le reste du Canada. Les différences par niveau d’éducation semblent aussi beaucoup plus faibles. Ainsi, la mesure subjective utilisée ne permet pas de mesurer les différences réelles de littératie financière entre niveaux d’éducation et entre provinces. Une explication possible est que l’échelle qualitative est perçue différemment au Québec que dans le reste du Canada. En effet, un « bon » niveau de littératie financière peut vouloir dire différentes choses à différents groupes.

Graphique 2

Niveau subjectif de littératie financière (personnes se déclarant avoir une bonne ou très bonne connaissance financière) par province et niveau d’éducation

Niveau subjectif de littératie financière (personnes se déclarant avoir une bonne ou très bonne connaissance financière) par province et niveau d’éducation

Note : RDC : reste du Canada.

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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Les différences objectives pourraient être expliquées par les différences socioéconomiques soulevées à la section 3.1. Cependant, elles pourraient aussi être dues à des différences en termes d’éducation financière. Dans le graphique 3, nous présentons la fraction de répondants ayant reçu un cours d’éducation financière au cours des cinq années précédant l’enquête. Cette fraction augmente avec le niveau d’éducation mais surtout est beaucoup plus faible au Québec (environ 5 %)[5]. Ceci pourrait en partie expliquer le plus faible niveau de littératie financière des Québécois, ce que nous analyserons à la section 4 avec une analyse économétrique.

Graphique 3

Personnes recevant un cours d’éducation financière au cours des cinq années précédant l’ECCF par province et niveau d’éducation

Personnes recevant un cours d’éducation financière au cours des cinq années précédant l’ECCF par province et niveau d’éducation

Note : RDC : reste du Canada.

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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3.3 Préparation à la retraite et épargne

Dans le graphique 4, nous rapportons la fraction de répondants dans chaque région affirmant préparer leur retraite. Comme on peut le constater, cette fraction est plus faible au Québec que dans le reste du Canada; quoique, cette fois-ci, les différences sont beaucoup moins marquées (environ 5 %) et statistiquement significatives que pour ceux possédant un diplôme (secondaire ou postsecondaire). Les différences entre niveaux d’éducation sont très marquées. Moins de 40 % de ceux ne possédant pas un diplôme d’études secondaires affirment préparer leur retraite contre plus de 75 % chez ceux possédant un diplôme d’études postsecondaires.

Bien sûr, une telle mesure ne capte pas le niveau de préparation, subjectif ou réel. Bien qu’il soit très difficile d’obtenir une mesure objective de préparation à la retraite, certains signes sont certainement informatifs sur le degré de préparation. Parmi ces signes, on peut compter la participation à un REER, à des actifs boursiers ou obligataires ou bien encore au niveau de richesse nette du ménage. Au tableau 2, nous rapportons certaines statistiques sur ces mesures.

Graphique 4

Personnes préparant leur retraite par province et niveau d’éducation

Personnes préparant leur retraite par province et niveau d’éducation

Note : RDC : reste du Canada.

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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En termes de richesse totale, les répondants du reste du Canada en ont accumulé davantage au cours du cycle de vie que les Québécois. Bien sûr, les différences de revenu trouvées au tableau 2 peuvent en partie expliquer ces différences; mais, il demeure que les différences sont beaucoup plus marquées. Par exemple, le Québécois médian non retraité de moins de 55 ans a une richesse nette totale de 145 000 $ comparativement à 220 394,6 $ dans le reste du Canada. Les différences s’accentuent dans le haut de la distribution (par exemple au troisième quantile). Certes, l’immobilier peut jouer un rôle important pour expliquer ces différences, tel que le démontre la plus faible participation au marché immobilier (73 % contre 78 %) et les différences de valeurs mobilières entre les grandes villes canadiennes (par exemple Montréal comparativement à Toronto). Mais ces différences demeurent si l’on exclut l’immobilier. Une plus grande fraction de Québécois disposent de moins de 2 fois leur revenu familial en termes d’épargne (51,28 % contre 43,56 %), ce qui indique une plus grande vulnérabilité aux imprévus. En termes d’actifs boursiers et obligations, les Québécois participent beaucoup moins que dans le reste du Canada (35,4 % contre 44,4 %). Par contre, ils sont presque aussi nombreux à utiliser des REER (71,3 % contre 73 %).

Tableau 2

Différences d’épargne entre le Québec et le reste du Canada (RDC) chez les moins de 55 ans non retraités

Différences d’épargne entre le Québec et le reste du Canada (RDC) chez les moins de 55 ans non retraités

Note : (i) : CPG : Certificats de placement garantis; DAT : dépôts à terme.

** p-value<0,05, * <0,1.

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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4. Analyse économétrique

Une question intéressante est de savoir si les différences de littératie financière et de préparation à la retraite entre le Québec et le reste du Canada disparaissent après avoir contrôlé pour les différences en termes de caractéristiques socioéconomiques. Pour ce faire, nous allons utiliser les variables du tableau 1 en plus des contrôles pour l’occupation et l’industrie du répondant. En laissant une variable dichotomique « Québec » dans la régression, nous pourrons évaluer si les différences observées diminuent ou disparaissent après avoir contrôlé pour ces facteurs.

4.1 Déterminants de la littératie financière

Notre première régression consistera à postuler un modèle logit de la forme

fi = 1 dénote un répondant i ayant fait moins d’une erreur sur les cinq questions posées, xi un vecteur de caractéristiques démographiques (âge, état civil, immigrant) et socioéconomiques (revenu familial, niveau d’éducation, occupation et industrie), ei une variable indicatrice du suivi d’un cours d’éducation financière au cours des cinq années précédant l’enquête et finalement qci une variable indicatrice égale à 1 si le répondant réside au Québec. La fonction de répartition logistique est donnée par Λ(). Nous estimons trois spécifications. La première en n’incluant que la variable « Québec » et les variables démographiques (âge, sexe et statut matrimonial). La deuxième spécification inclut les variables socioéconomiques (éducation, revenu familial, occupation et industrie). Finalement, la troisième inclut la variable d’éducation financière. Les résultats sont rapportés au tableau 3 sous forme d’effets marginaux moyens (voir STATA margins).

La première spécification (colonne 1), rapporte une différence brute de 12,2 % en termes de littératie financière; une différence similaire à celle que nous avions rapportée dans le graphique 1 mais en contrôlant pour les différences en termes d’âge, d’état civil et d’immigration. Le fait d’inclure les variables socioéconomiques ne fait que diminuer la différence résiduelle. Ainsi, le déficit en termes de littératie financière n’est pas dû aux différences socioéconomiques telles que le revenu, le niveau d’éducation ou bien l’occupation/industrie. La troisième spécification inclut la mesure d’éducation financière analysée précédemment. Malgré un effet positif sur le niveau de littératie financière, ceci ne diminue que de très peu la différence Québec-reste du Canada (RDC). Ainsi, cette différence demeure largement inexpliquée par des différences en termes de caractéristiques socioéconomiques, démographiques ou d’éducation financière. Les questions sur les sources de régimes de retraite n’étaient pas posées aux répondants ayant rapporté ne pas préparer leur retraite. Donc, nous n’avons pas cru bon d’inclure ces mesures dans les régressions du tableau 3 dû à la possibilité que la préparation à la retraite soit endogène. En effet, un lien de causalité allant de la littératie financière à la préparation à la retraite est beaucoup plus probable que l’inverse comme le soulignent Lusardi et Mitchell (2007a). Cependant, on peut voir dans le graphique 5 qu’il n’existe pas de différence QC-RDC pour ceux possédant un plan à cotisations déterminées (DC[6]) et planifiant leur retraite alors qu’il existe une différence importante pour ceux possédant un plan à prestations déterminées (DB). Même si ceci peut contribuer aux différences observées, puisqu’il y a plus de travailleurs couverts par des plans DB au Québec, on voit que la même différence est aussi observée chez ceux n’ayant pas de régime complémentaire. Donc, il y a d’autres mécanismes à l’oeuvre.

Tableau 3

Déterminants de la littératie financière

Déterminants de la littératie financière

Note : La variable dépendante est le niveau objectif de littératie financière c’est-à-dire le pourcentage de personnes ayant répondu correctement à plus de trois questions sur cinq. Les effets marginaux moyens (sur la probabilité d’avoir un bon niveau de littératie financière) sont rapportés. Pour chacune des spécifications, les effets marginaux sont rapportés ainsi que les t-statistiques entre parenthèses. La spécification 1 contrôle pour les différences démographiques : l’âge, le sexe et le statut matrimonial. La spécification 2 contrôle pour les différences démographiques et socioéconomiques : le revenu familial, l’éducation et l’occupation. La spécification 3 contrôle pour les différences démographiques, socioéconomiques et pour le pourcentage de personnes ayant suivi un cours d’éducation financière dans les cinq années précédant l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF).

** p-value<0,05, * <0,1

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Graphique 5

Niveau objectif de littératie financière (personnes ayant plus de trois bonnes réponses sur cinq) par province et type de régime de pension (parmi répondant affirmant préparer leur retraite)

Niveau objectif de littératie financière (personnes ayant plus de trois bonnes réponses sur cinq) par province et type de régime de pension (parmi répondant affirmant préparer leur retraite)

Note : RDC : reste du Canada. DB : régime à prestations déterminées (defined-benefit). DC : régime à contributions déterminées (defined-contribution).

Source : Calcul des auteurs à partir de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF) 2009. Poids utilisés

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4.2 Association entre littératie financière et préparation à la retraite

Puisque les différences en termes de littératie financière peuvent expliquer les différences en termes de préparation à la retraite, nous estimons des modèles logit pour la décision de préparer sa retraite ainsi que pour la participation à des actifs financiers (boursiers et obligataires). Nous rajoutons la variable de littératie financière aux variables explicatives. Ainsi, le coefficient sur la variable « Québec » mesure maintenant les différences inexpliquées après avoir contrôlé pour les différences en termes de caractéristiques socioéconomiques, démographiques ainsi qu’en termes de littératie financière. Les six premières colonnes rapportent les résultats pour ces deux variables.

Tout comme Lusardi et Mitchell (2007a), nous obtenons un lien positif entre la littératie financière et la préparation à la retraite (13,1 %), même après avoir contrôlé pour des variables socioéconomiques (6,0 %**, c’est-à-dire significatif au seuil de 5 %). La différence brute entre le Québec et le RDC, de l’ordre de 5 % est réduite à 2,8 % après contrôle pour la littératie financière et les variables socioéconomiques.

Pour ce qui est de la participation à des actifs financiers, la différence Québec-reste du Canada fond de moitié après voir contrôlé pour les différences en termes de littératie financière et de variables socioéconomiques. Plus de la moitié demeure cependant inexpliquée.

Finalement, nous estimons une régression médiane (STATA qreg) afin de regarder les effets sur l’épargne nette. Ces résultats sont présentés aux colonnes 7 à 9 du tableau 4. D’une différence brute d’environ 40 000 $, nous passons à une différence de moins de 14 000 $ en ajustant pour les différences de littératie financière et de caractéristiques socioéconomiques.

Ainsi, nous pouvons conclure que même si la littératie financière peut expliquer en partie les différences de préparation à la retraite et d’épargne observées, il en demeure une partie inexpliquée. Ceci laisse place à des explications institutionnelles que nous n’avons pas pu exploiter pour manque d’information quant à l’éducation financière et mathématique reçue à de plus jeunes âges ainsi que d’information sur les régimes de retraite complémentaires détenus par les répondants de l’enquête, peu importe leur degré de préparation à la retraite.

Conclusion

Dans cet article, nous nous sommes intéressés aux différences provinciales en termes de littératie financière et de préparation à la retraite. Pour ce faire, nous avons utilisé les données de l’Enquête canadienne sur les capacités financières (ECCF). Et, en plus de documenter ces différences, nous avons tenté de voir si celles-ci pouvaient être expliquées par des différences socioéconomiques.

Notre première conclusion est que le Québec semble tirer de l’arrière en termes de niveau de littératie financière par rapport au reste du Canada. Ces différences persistent même si l’on contrôle pour les différences d’éducation financière à l’âge adulte ainsi que pour des caractéristiques socioéconomiques telles que le revenu et l’éducation. Ces résultats sont différents de ceux de Carpentier et Suret (2011) qui rapportent un niveau plus élevé de littératie financière chez les gestionnaires de portefeuille québécois. Comme nous l’avons noté, l’échantillon de notre étude et celui de Carpentier et Suret est très différent. En fait, si nous restreignons notre analyse aux groupes majoritaires de leur étude, nous sommes en mesure d’obtenir un niveau de littératie financière plus élevé au Québec[7]. Par ailleurs, il faut noter que les questions demandées dans les deux études sont très différentes. En effet, les questions posées par Carpentier et Suret portent davantage sur la gestion de portefeuille que sur d’autres aspects de la littératie financière.

Tableau 4

Association entre littératie financière et préparation à la retraite

Association entre littératie financière et préparation à la retraite

Note : Se rapporter au titre de chaque colonne pour la variable dépendante ainsi que la méthode d’estimation. Pour les logits, les effets marginaux sont rapportés. Pour chacune de ces variables, les estimés sont rapportés ainsi que les t-statistiques entre parenthèses. Les spécifications 1 ne contrôlent pour aucune différence démographique et socioéconomique. Les spécifications 2 contrôlent pour les différences démographiques : l’âge, le sexe et le statut matrimonial. Les spécifications 3 contrôlent pour les différences démographiques et socioéconomiques : le revenu familial, l’éducation et l’occupation. L’indicateur de littératie élevée indique si le répondant a obtenu plus de trois bonnes réponses sur cinq aux questions mentionnées dans le texte.

** p-value <0,05, * <0,1.

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Une deuxième conclusion est que la littératie financière est positivement corrélée avec la préparation à la retraite, même après avoir contrôlé pour des variables socioéconomiques. De plus, le fait d’avoir suivi un cours d’éducation financière augmente de 4 % la probabilité d’avoir un bon niveau de littératie financière après contrôle pour les variables socioéconomiques. Et la proportion de répondants indiquant avoir suivi un tel cours demeure plus faible au Québec que dans le reste du Canada quelque soit le niveau d’éducation, des différences statistiquement significatives.

Une troisième conclusion est que les Québécois semblent : a) être moins susceptibles d’indiquer qu’ils préparent leur retraite, b) être moins susceptibles de participer sur les marchés boursiers et obligataires et finalement c) épargner moins si l’on regarde leur richesse nette. Ces différences persistent même après avoir contrôlé pour les différences de littératie financière ainsi que les différences socioéconomiques.

Une interprétation de nos résultats est qu’il existe des différences institutionnelles, non captées par nos régressions, qui expliquent ces différences. Nous avons identifié deux différences institutionnelles susceptibles de jouer un rôle : i) l’éducation en mathématiques et en finance au cours du cursus scolaire et ii) la plus grande prépondérance de régimes à prestations déterminées au Québec. Cependant, nous avons été incapables de démontrer un lien direct entre ces différences institutionnelles et les différences de comportements observées. Une explication alternative est que les Québécois, particulièrement ceux qui sont plus âgés, ont des préférences différentes pour l’épargne, ils ont eu donc des besoins différents en termes d’investissement dans la littératie financière. Afin de séparer ces deux interprétations, il serait intéressant de pouvoir mesurer l’évolution de la littératie financière dans un contexte économique changeant, par exemple, avec l’introduction des régimes volontaires d’épargnes retraite (RVER) entrés en vigueur en janvier 2014. De plus, il sera possible dans le futur de mesurer l’effet de l’élimination du cours d’éducation économique au secondaire au Québec en 2009 sur la littératie financière des jeunes adultes.

Plusieurs facteurs annoncent un futur où les travailleurs seront de plus en plus responsables pour la préparation de leur retraite. Le vieillissement exerce des pressions constantes sur la viabilité des régimes traditionnels de retraite et l’augmentation de l’espérance de vie augmente la nécessité de bien préparer une période de retraite de plus en plus longue. Nos résultats illustrent le retard de plusieurs à maîtriser des concepts élémentaires qui sont nécessaires à la bonne préparation de la retraite et donc de la nécessité, en particulier au Québec, de prendre en compte ces lacunes dans l’évaluation de la désirabilité des réformes à venir afin d’assurer la sécurité financière des retraités.