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Introduction

En faculté de médecine de Liège, les étudiants de master (M) parcourent différents lieux de formation clinique afin d’intégrer des apprentissages au sein des départements de spécialisations médicales. Depuis ces dernières années, une approche pédagogique inductive (Vierset, Frenay, Bédard, & Giet, 2015) est mise en place sur le parcours des stages cliniques de gynécologie-obstétrique (G-O) afin de faciliter la construction de liens entre les espaces d’apprentissages théoriques et pratiques par l’exercice de la pratique réflexive. Ce dispositif s’organise sur quatre années du master (M1-M2-M3-M4). Dans ce cadre, la fonction pédagogique d’accompagnement des apprentissages des stagiaires est rendue explicite et validée en tant que fonction pédagogique à part entière. Cependant, l’accompagnement des apprentissages des stagiaires est le plus souvent assumé par de jeunes médecins en formation postdoctorale qui ne bénéficient pas pour autant d’une formation ou d’un accompagnement pédagogique facilitant l’exercice de cette fonction encore trop peu (re)connue jusqu’ici. Cet article explique le contexte, la problématique, la méthodologie et les résultats de cette recherche identifiant les postures adoptées par ces accompagnateurs d’apprentissage des stagiaires en G-O.

1. Contexte de la recherche

La recherche présentée dans cet article concerne plus spécifiquement l’accompagnement des apprentissages des stagiaires de M3 sur un terrain hospitalier de G-O de la faculté de médecine de l’Université de Liège : le site du CHRCitadelle[1]. À ce niveau du parcours de stage, le dispositif propose notamment des outils pédagogiques tels qu’un log book[2] (carnet de route dans lequel les stagiaires formulent leur analyse réflexive relative à trois situations cliniques vécues au cours du stage) et une fiche d’auto-évaluation (DQRpA[3], pour accompagner le processus réflexif lors de la rédaction du log book). Ces outils sont utilisés afin de stimuler les échanges réflexifs entre les acteurs de la relation pédagogique, c’est-à-dire entre les stagiaires et, le plus souvent, les jeunes médecins poursuivant un master complémentaire en G-O, c’est-à-dire en formation postdoctorale. Ceux-ci sont nommés assistants (Belgique francophone), internes (France) ou résidents (Québec), suivant les pays. Dans le cadre de cet article, ils seront appelés internes-accompagnateurs.

Ceux-ci, tout en poursuivant leur formation à la spécialisation G-O pendant cinq années, se trouvent être les intermédiaires privilégiés des stagiaires aux différents postes cliniques tout au long d’une année civile (12 mois). Ainsi, d’implicite, cette fonction d’accompagnement des apprentissages devient explicite par sa validation et par son opérationnalisation contextuelle. Les internes-accompagnateurs ont la charge d’accompagner les stagiaires lors de leurs observations, participations et/ou actions à différents postes de travail de G-O (bloc d’accouchement, bloc opératoire, medical intensive care, fécondation in vitro, urgences, consultations ambulatoires, salles d’hospitalisation, échographie). Cet accompagnement vise à soutenir les apprentissages cliniques des stagiaires (raisonnement clinique, communication clinique, pratique réflexive, procédures administratives et techniques cliniques). Ainsi, chaque interne-accompagnateur gère son poste de travail tout en tentant de répondre à la fois aux attentes des médecins G-O qui le supervisent, aux attentes d’apprentissage des stagiaires et, prioritairement, aux demandes de prise en charge des patientes. Cette fonction pédagogique mérite qu’on l’approfondisse pour mieux comprendre comment les internes-accompagnateurs se l’approprient, pour connaître leurs représentations à ce sujet et pour savoir ce qu’elle signifie pour eux.

2. Problématique

De nombreuses recherches se sont attardées sur l’accompagnement des apprentissages des stagiaires en enseignement, avec notamment des approches qualitatives (Boudreault & Pharand, 2008; Gwyn-Paquette, 2008; Savoie-Zajc, 2007) visant à comprendre le vécu et/ou les représentations des accompagnateurs d’apprentissages. Toutefois, jusqu’à présent, peu de recherches (Martineau, Girard, & Boule, 2008) de ce type abordent l’accompagnement des apprentissages sur le terrain de la formation clinique préparant les futurs médecins à leur profession. Récemment, nous avons mené une recherche qui explore le vécu des stagiaires de M3 sur leur parcours de stages cliniques en G-O ainsi que leurs traces réflexives consignées dans leurs log books (Vierset, 2016). Nous abordons dans cet article les représentations de la fonction d’accompagnement qu’ont leurs intermédiaires les plus proches, soit les internes-accompagnateurs de G-O.

L’accompagnement des apprentissages des stagiaires sur le site hospitalier du CHRCitadelle étant le plus souvent assumé par ces internes-accompagnateurs, eux-mêmes en apprentissage, nous voulions savoir comment ceux-ci se représentent cette fonction d’accompagnement qu’on leur demande d’investir explicitement depuis l’implantation du dispositif pédagogique réflexif. La récolte des données a été effectuée individuellement afin de bien saisir la posture personnelle de chaque interne-accompagnateur. L’objectif de cette recherche était de savoir ce que signifie cette fonction d’accompagnement pour eux et ce qu’ils en font, les croyances qu’ils ont à ce sujet, les défis qu’ils ont à relever, les avantages et les inconvénients qu’ils rencontrent au quotidien.

3. Méthodologie

L’utilisation de la méthodologie de la théorisation enracinée (MTE) demande le recours à un échantillonnage théorique (Glaser & Strauss, 1967; Luckerhoff & Guillemette, 2012) où les acteurs concernés par la problématique doivent s’exprimer sur le sujet. Nous avons donc demandé aux internes-accompagnateurs de participer à cette recherche. Quatre internes-accompagnatrices se sont proposées de manière volontaire pour les entretiens parmi les douze que comptait le service G-O CHRCitadelle cette année-là. Elles ont entre 25 et 30 ans. Leurs prénoms ont été changés pour préserver la confidentialité de leurs propos et du contexte dans lequel elles évoluent. Deux d’entre elles sont en troisième année du master complémentaire : Zoé (entretien A) et Charlotte (entretien B). Les deux autres internes-accompagnatrices, Lamia (entretien C) et Lucie (entretien D), sont en cinquième et dernière année du master complémentaire en G-O. Nous nous sommes mise à l’écoute des internes-accompagnatrices afin d’identifier dans leur discours leur représentation, leur manière de penser, de voir, de faire et de dire cette fonction pédagogique adoptée de façon hétérogène.

Concrètement, nous avons interviewé chaque interne-accompagnatrice lors d’entretiens semi-directifs (Mucchielli, 1998). Ces derniers étaient fondés sur des questions très larges telles que : qu’est-ce qu’accompagner les apprentissages des stagiaires signifie pour vous? Comment envisagez-vous ce rôle? Que pensez-vous devoir-pouvoir-savoir faire? En quoi cela consiste-t-il pour vous? Qu’est-ce qui est important pour vous dans cet accompagnement?

Le processus de recherche par MTE a été construit de façon inductive (Charmaz, 1999; Glaser, 1965; Lukerhoff & Guillemette, 2012) selon une circularité des exercices de recueil et d’analyse des données recueillies avec comparaison constante entre elles (Glaser & Strauss, 1967, 2010). Les différentes phases poursuivies étaient les suivantes :

  1. Une première collecte de données a été réalisée lors de deux entretiens semi-directifs (les entretiens A et B) qui ont été transcrits textuellement sur papier.

  2. Un codage ouvert du contenu de ces entretiens a été effectué. Il s’agissait en fait d’une analyse comparative des données afin de voir l’émergence d’une ou de plusieurs catégories conceptuelles à l’aide de propriétés (qui définissent un concept) et de dimensions (qui définissent les variations au sein de ce concept). Ce codage a permis de nommer par étiquetage une idée, une phrase ou un paragraphe émergent du reste des données (Paillé, 1994) pour répondre au questionnement initial : de quoi parlent-elles dans ces entretiens? De quoi s’agit-il?

  3. Une deuxième collecte des données a été réalisée lors de deux autres entretiens semi-directifs (les entretiens C et D), lesquels ont également été transcrits textuellement sur papier.

  4. Un codage axial a eu lieu; il correspondait à une analyse comparative des données recueillies dans les entretiens en proposant des ajustements, des articulations, des affinements et des (ré)organisations des catégories selon les axes principaux présentant des relations entre les concepts émergents, leurs dimensions et leurs propriétés. Une recherche bibliographique relative aux définitions des termes formulés et à leurs possibles connotations a également été proposée pour répondre au questionnement suivant : existe-t-il des liens entre ces concepts? Si oui, comment s’organisent-ils?

  5. Un codage sélectif a permis de sélectionner une catégorie centrale en lien avec la question de recherche tout en intégrant les propriétés et les dimensions qui s’y réfèrent. Ensuite, une confrontation entre la catégorie centrale et des théories scientifiques préexistantes a été organisée. Ces théories présentent des liens avec les catégories conceptuelles et avec les thèmes émergeant des données recueillies pour répondre au questionnement : qu’est-ce qui émerge des représentations des internes-accompagnatrices?

  6. Un modèle visant à schématiser le développement d’une théorie émergente « enracinée », c’est-à-dire d’une théorie émergeant de comparaisons successives entre les données recueillies empiriquement, sans hypothèse formulée a priori, a été créé.

  7. Un retour vers les acteurs a été nécessaire pour approfondir, vérifier et valider la compréhension de leurs vécus par le chercheur.

Les trois phases de codage (ouvert, axial et sélectif) proposées par Strauss et Corbin (1998) peuvent être considérées comme guide d’une recherche en MTE. Toutefois, il est important de souligner que des allers et retours entre les différentes phases du processus de recherche sont privilégiés dans cette méthodologie. Ce n’est pas un processus linéaire, mais un processus cyclique ou hélicoïdal tels deux axes d’une structure d’ADN qui s’entrecroisent en tissant des liens entre chaque section mise en parallèle.

4. Résultats d’analyse

Après plusieurs lectures du matériau, nous avons procédé à l’interprétation des verbatim, nous avons relevé des phrases signifiantes et nous avons alors procédé à un étiquetage (codage ouvert). Des comparaisons entre les deux premiers entretiens (A et B) ont permis d’établir des dimensions et des propriétés, soit communes, soit différentes, qui ont été organisées entre elles en une catégorie émergente que nous avons nommée « Relation pédagogique entre les stagiaires et les accompagnateurs ».

4.1 Étiquetage, codage et catégories émergentes

Deux dimensions représentatives de la catégorie émergente « Relation pédagogique entre les stagiaires et les accompagnateurs » ainsi que leurs propriétés respectives sont proposées à partir des termes « Collaboration » et « Supervision » formulés par les internes-accompagnatrices. Si la collaboration représente une relation par laquelle deux ou plusieurs personnes s’associent pour réaliser un travail suivant des objectifs communs, la supervision, quant à elle, représente une action pour vérifier ou contrôler l’activité d’une ou de plusieurs personnes. Les verbatim des deux internes-accompagnatrices permettant d’identifier ces dimensions sont présentées ci-dessous :

  • La dimension « Collaboration » :

    Zoé (A) dit : « Quand ils [les stagiaires] ont une ébauche de log book, ils viennent nous trouver pour poser 100 000 questions […] En gros, ils s’orientent vers la personne [l’interne] qui a connu la patiente et ils posent ça, ça et ça comme questions [...] s’ils ont des questions précises, je réponds, mais je ne fais certainement pas le travail à leur place, mais je suis tout à fait d’accord de relire ce qu’ils ont écrit. » Zoé insiste sur le fait qu’il y a des moments et des espaces où elle n’a pas à intervenir, comme lorsque les stagiaires souhaitent entrer au bloc d’accouchement : « Il faut pouvoir y rentrer et “montrer patte blanche”[4] [aux sages-femmes]. »

    Charlotte (B) dit : « Ah oui! Ils essaient de bien rentrer dans les symptômes [de la pathologie] et ça se déroule dans un esprit de collaboration et après s’ils ont des questions, on essaie d’y répondre parce que nous aussi on est en apprentissage et on ne connait pas tout non plus […] on leur donne parfois des pistes […] on essaie de discuter […] on progresse comme ça. »

  • La dimension « Supervision » :

    Zoé (A) dit : « Je les laisse faire, mais je regarde bien ce qu’ils font […] je suis toujours présente. Petit à petit, je laisse faire et quand ils savent faire tout seuls… c’est bon. »

    Charlotte (B) dit : « On leur explique pourquoi c’est important de faire ça comme ça […], je pense que notre rôle c’est de leur expliquer ce qui est important dans la tâche et comme ils débarquent vraiment dans la G-O, ils doivent checker et apprendre des automatismes […] c’est parfois leur donner déjà des directives […] Nous-mêmes, on a parfois besoin d’un superviseur. »

La catégorie émergente « Relation pédagogique entre les stagiaires et les accompagnateurs » a orienté nos questions lors des entretiens suivants (C et D). Nous avons centré nos questions à propos de ce concept émergeant afin de l’approfondir. En effet, avec les informations communiquées par Zoé (A) et Charlotte (B), il nous a été possible de nous orienter vers de nouveaux questionnements (Lavoie & Guillemette, 2009) lors des entretiens avec Lamia (C) et Lucie (D). Des questions sont proposées pour monter en théorisation (Glaser & Strauss, 1967; Luckerhoff & Guillemette, 2012) : pouvez-vous définir votre rôle d’accompagnement? Quelle attitude préférez-vous prendre avec eux, une attitude de supervision, de collaboration ou une autre attitude? Qu’est-ce qui vous fait prendre une posture plutôt qu’une autre? Qu’est-ce que cela implique pour vous?

Jusque-là, lors de ce travail d’interprétation, nous avions d’abord proposé les concepts de « Collaboration » et de « Supervision » comme dimensions de la catégorie émergente « Relation pédagogique entre les stagiaires et les accompagnateurs ». Ayant remarqué que de nouveaux concepts ne pouvaient rentrer dans ces deux dimensions, nous avons alors remanié et réorganisé (codage axial) les liens tout en y intégrant trois nouvelles dimensions représentant des postures relationnelles pédagogiques : « Facilitateur-Apprenant réflexif », « Professionnel-Novice » et « Professionnel-Professionnel ». La première dimension fait référence à la posture de facilitation semi-directive adoptée par l’accompagnateur lorsqu’il doit soutenir l’exercice réflexif des apprenants tout en identifiant et en recadrant si nécessaire leurs stratégies cognitives et métacognitives pour que ceux-ci construisent eux-mêmes leur propre solution à un problème auquel ils sont confrontés. La deuxième dimension fait référence à une posture directive adoptée par l’accompagnateur lorsqu’il doit accueillir des apprenants dans l’équipe et doit leur expliquer des procédures ou des techniques à acquérir. Il doit montrer, observer, corriger et diriger les apprenants dans le but d’acquérir des automatismes organisationnels et opérationnels. La troisième dimension fait référence à une posture de partage, de confiance et d’échange de responsabilisation lors d’une prise en charge d’un problème à résoudre en commun. Les verbatim des internes-accompagnatrices permettant d’identifier ces trois dimensions sont présentées ci-dessous :

  • La dimension « Facilitateur-Apprenant réflexif » :

    Lucie (D) dit : « C’est comme la facilitation; c’est bien plus gai quand on cherche ensemble, qu’ils se posent des questions et qu’on leur donne des pistes pour qu’ils cherchent par eux-mêmes. » Il faut préciser que Lucie avait déjà été étudiante-animatrice de groupes d’apprentissage par problèmes (APP) [5] de G-O et avait participé à une formation précédant l’animation de groupes d’APP. Lucie introduit donc le concept de facilitation. La fonction du facilitateur est d’accompagner un stagiaire qui, alors, aurait l’occasion d’adopter une posture d’apprenant réflexif au sein d’une relation pédagogique inductive et réflexive.

    Charlotte (B) se définit aussi dans cette posture de facilitateur guidant un apprenant réflexif tout en ajoutant avec plaisir l’idée d’un apport pour son travail personnel dans le cadre d’une collaboration : « On voit qu’on peut apporter des fois un petit plus […] c’est chouette! Et puis, quand on discute [des cas cliniques avec eux pour leur log book] ça nous fait réfléchir, ça nous permet de toujours aller voir un peu plus loin […] de rentrer dans la matière. C’est comme un stimulus. [Ce rôle] est stimulant, parce que justement ça permet de me remettre en question […] quand ils posent des questions et que je ne sais pas, je vais revoir [la matière]. Des fois, même pour nous, le fait que je me retrouve à expliquer les choses aux autres, ça me permet de revoir et puis j’aime bien [le fait] d’expliquer les choses aux gens […] de donner des pistes, de les aider. »

Ainsi, l’étiquetage et la comparaison des données des entretiens C et D avec les données des entretiens A et B nous ont amenée à un ajustement de la catégorie déjà existante afin d’y introduire le concept de facilitation cité lors de l’entretien D. Dans ce cas, l’interne-accompagnatrice adopte une posture de facilitatrice du développement des apprentissages du stagiaire. Celui-ci a alors l’occasion de devenir un apprenant réflexif[6], c’est-à-dire un apprenant se questionnant et cherchant par lui-même des réponses à ses propres questions tout en partageant, si nécessaire, une mise en conscience de sa carte mentale cognitive, de ses attitudes et de ses croyances avec la facilitatrice.

Une autre posture s’est dégagée de l’analyse : la posture d’un professionnel face à un novice. Cette posture est gardienne des normes en vigueur dans un système global. Ces normes représentent les limites, les valeurs et les droits à respecter par chacun, y compris par les stagiaires. Cette posture peut être nécessaire lors des premiers pas des stagiaires débutant au sein d’un service médical, que ce soit au niveau des techniques biocliniques à s’approprier ou au niveau de l’organisation du service :

  • La dimension « Professionnel-Novice » :

    Lamia (C) s’inscrit dans une relation plus directive de professionnelle à novice. En effet, elle dit : « Les stagiaires doivent être à l’heure. Et qu’ils ne s’échappent pas en plein après-midi sans prévenir s’ils sont de garde; être respectueux, faire ce qu’on leur dit de faire […] si on a besoin d’eux et s’ils sont nécessaires, ils ont leur rôle à jouer! Il faut que l’on puisse avoir confiance en eux […] Je leur dis toujours comment moi je fonctionne et eux, à ce moment-là, ils sont censés s’adapter […],regarder comment je fais et […] faire comme ça la prochaine fois […] ou je le laisse faire et si ça ne va pas, je corrige […] quand on est d’accord, je trouve ça gai de leur apprendre, ça, c’est gai… Voilà! »

Une dernière posture a émergé progressivement au terme du parcours de stages : la posture d’un professionnel face à un autre professionnel :

  • La dimension « Professionnel-Professionnel »

    Zoé (A), qui en adopte majoritairement une posture de professionnelle à professionnel, exprime son accord en ce qui concerne l’accueil de stagiaires dans l’équipe des internes-accompagnateurs G-O dont elle fait partie : « À la fin de la troisième, souvent c’est des filles très motivées […] et en quatrième, je les laisse faire l’examen [l’anamnèse] sans regarder […] si elles ont quelque chose de particulier, je me penche et je regarde, si y’a plus rien à dire, si on peut faire confiance, on peut leur laisser sa place […], mais je reste présente. Parfois, une troisième est de niveau quatrième, mais c’est très rare. » Dans le même type de relation partenaire, Zoé (A) privilégie l’aspect comportemental à celui des connaissances en disant : « Je suis très attentive à leurs comportements. Je préfère travailler et discuter avec quelqu’un de super sympathique, avenant avec les patientes, qui met les gens en confiance et qui les examine gentiment qu’avec un “monsieur/madame je-sais-tout” qui est imbuvable. »

Puis, une autre phrase de Charlotte (B) a retenu notre attention : « L’idée, c’est qu’ils apprennent, qu’ils progressent et qu’ils puissent nous donner un petit coup de main pour certaines choses. C’est une coopération» Lors des relectures comparatives des quatre entretiens (codage sélectif), nous avons choisi de relier et d’approfondir les termes coopération et facilitation en faisant appel aux théories existant sur ces sujets lors de nos recherches bibliographiques.

4.2 Comparaison de la théorie émergente aux théories existantes

Afin de maintenir notre vigilance sur toutes les formes potentielles qui émergeraient (Lejeune, 2014; Luckerhoff & Guillemette, 2012), nous avons préféré, tout au long de la recherche et jusqu’ici, maintenir notre ignorance vis-à-vis du sujet même de cette recherche, soit l’accompagnement. Ce n’est qu’au terme de l’analyse des données recueillies que nous avons cherché des définitions de cette notion. Pour la définir, nous avons eu recours à Paul (2004) : « Accompagner, c’est se joindre à quelqu’un [dimension relationnelle] pour aller où il va [dimension spatiale] en même temps que lui, au même rythme [dimension temporelle] » (p. 126). Tel est le principe de base : l’action se règle à partir de l’autre, de ce qu’il est, de là où il en est à un moment donné de son parcours.

Les entretiens de Zoé et de Charlotte (A et B) évoquent la collaboration. Charlotte précise cette posture en termes de coopération. Pour approfondir ce concept, nous avons fait appel à un apport théorique provenant d’Yves Saint-Arnaud. Ce dernier rappelle : « L’élément clef de la coopération est l’existence d’un but commun » (Saint-Arnaud, 2003, p. 79). Dans le prolongement des liens à tisser entre les concepts évoqués, Saint-Arnaud propose trois termes permettant de définir les relations entre les partenaires : coopération, partenariat et concertation. Gervais (2008) résume la pensée de Saint-Arnaud ainsi :

Il y a coopération, s’il existe un but commun à la relation, le partenariat vise la recherche de ce but commun dans la reconnaissance des champs de compétence respectifs des partenaires, alors que la concertation est l’attention portée à la relation dans le but de la maintenir

p. 96

Saint-Arnaud (2003) définit la règle de base du partenariat ainsi : « L’acteur crée un partenariat en cherchant avec son interlocuteur un objectif vers lequel leurs intérêts convergent de façon à pouvoir travailler ensemble » (p. 97).

Legendre (2005, p. 1002) précise que le partenariat sera dit soit « de service », soit « de réciprocité », tout en soulignant l’existence d’une position intermédiaire, le partenariat « associatif ». Alors, nous avons décidé de recentrer notre recherche autour du terme partenariat et des représentations de ces trois postures.

4.2.1 Pour un accompagnement réflexif : appel aux théories concernant la coopération et le partenariat

Dans ce contexte d’accompagnement d’apprentissage de stagiaires, la coopération est associée plus particulièrement au partenariat. Le partenariat est « de service », par exemple, dans l’entretien C lorsque Lamia dit que les stagiaires doivent faire ce qu’on leur dit de faire. C’est l’action de l’interne qui contribue à l’atteinte de l’objectif, le partenaire pouvant être sollicité (ou non) dans l’action. Dans ce cas, c’est l’interne-accompagnatrice qui détermine les objectifs que doit atteindre le stagiaire sans en discuter avec lui au préalable. Les rôles des partenaires sont alors asymétriques[7] (Watzlawick, Helmick Beavin, & Jackson, 1979). Le partenariat est « associatif » si l’un des partenaires accompagne l’autre dans une posture symétrique (Watzlawick et al., 1979) au niveau de la relation et complémentaire (Watzlawick et al. 1979) au niveau des connaissances. Nous dirons qu’ici, les rôles des partenaires deviennent quasi symétriques. Enfin, le partenariat est « de réciprocité » si les deux acteurs sont partenaires égaux dans la définition des objectifs et dans la recherche d’une solution à proposer en réponse à une situation complexe qui se présente. Cela étant dit, les données montrent que les quatre internes-accompagnatrices oscillent entre les trois types de partenariat. Toutefois, des postures sont préférées à d’autres et, par là même, majoritairement adoptées par l’une ou par l’autre des internes-accompagnatrices.

Ces apports théoriques nous ont aidée à soutenir les liens que nous avons tissés au cours de cette recherche inductive. Ainsi, l’accompagnement réflexif demanderait aux acteurs de la relation pédagogique (accompagnateur et apprenant) d’adopter une posture de partenariat dit « associatif » où l’un des partenaires accompagne l’autre dans une posture symétrique au niveau de la relation et complémentaire au niveau des connaissances tout en réglant l’action à partir de l’autre, de ce qu’il est, de là où il en est à un moment de son parcours d’apprentissage. Ce type d’accompagnement évoluant selon l’« approche incertitude » développée par Saint-Arnaud (2001) ose la (re)mise en question des propositions de chacun, la vulnérabilité, l’ouverture et le partage des cartes mentales cognitives des partenaires pour qu’ils se réfléchissent (comme dans un miroir) l’un à l’autre tout en créant et agissant ensemble pour organiser des solutions adaptées à la situation qui se présente dans l’instant présent. Cet accompagnement réflexif ne peut s’inscrire que dans une approche pédagogique inductive, compréhensive et non sommative.

4.2.2 Pour un accompagnement réflexif : appel aux théories concernant la facilitation

Lucie (D), en utilisant le terme facilitation, fait émerger le lien avec un autre apport théorique : « la tripartition des rôles » proposé en 1958 par le psychosociologue, Guy Palmade (Vierset, Bédard, & Foidart, 2009) : ce dernier souligne que dans chaque groupe de travail[8] peuvent se percevoir trois rôles pris par les participants : la production, la facilitation et la régulation. Ces rôles sont non définitifs, fluides et interchangeables au sein d’un même groupe. Toutefois, les propensions d’un participant à l’un ou l’autre rôle se déclarent au cours du travail.

Le rôle de production correspond à la mise en acte d’une ou de plusieurs solutions pertinentes confirmées par un expert de la discipline ou, à défaut, d’éléments de solution. À ce rôle se rattachent l’exécution et la reconnaissance de la tâche réalisée et des connaissances acquises : proposer son expertise, confirmer ou infirmer des schémas, avaliser des solutions en tant qu’expert du sujet évoqué. Dans ce cadre, lorsque l’interne-accompagnatrice adopte cette posture, les stagiaires ont peu d’espace de pouvoir et de savoir (Lesne, 1977). C’est l’interne-accompagnatrice qui « sait » et qui « peut ».

Le rôle de facilitation englobe tout ce qui doit être mis en oeuvre pour permettre au rôle de production d’être exercé par le stagiaire. Le rôle de facilitation correspond à un soutien lors de l’apprentissage de stratégies efficaces pour résoudre un problème posé : soutenir les orientations choisies, suggérer la construction d’un plan de travail, engager à explorer des voies nouvelles, faire estimer le chemin parcouru par rapport au but final, aider à définir un problème, faire expliquer le sens d’une question ou d’une réponse tout en soulignant les oppositions pour suggérer des conflits sociocognitifs (Vygotsky, 1934/1997) en posant le défi de résolution d’un problème à un groupe de travail. Lorsque l’interne-accompagnatrice adopte cette posture, le stagiaire partage un espace de pouvoir et de savoir avec elle.

En ce qui concerne le rôle de régulation, celui-ci recouvre explicitement toutes les interventions soutenant la facilitation et la production. Ce rôle consiste plus précisément à maintenir un climat serein, à apaiser les tensions potentielles, à veiller à la participation, à stimuler l’entrain et le dynamisme, à identifier l’origine d’un malaise, à accueillir les freins, à témoigner de la compréhension. L’interne-accompagnatrice laisse alors au stagiaire un grand espace de pouvoir et de savoir. À ce niveau s’installe majoritairement un rôle de régulation de la dynamique entre deux membres coopérant au sein d’une même équipe. Dans le même temps, le stagiaire a ainsi l’occasion d’entreprendre une auto-évaluation, puis une co-évaluation avec les pairs et/ou avec les internes-accompagnateurs, puis une auto-régulation[9] (Mottier Lopez, 2012) de ses apprentissages avec toutes les ressources internes et externes qu’il a acquises jusque-là.

4.3 Modélisation de la théorie émergente

L’accompagnement des apprentissages constitue un processus fluctuant entre deux pôles que sont l’autonomisation des stagiaires – partenariat de réciprocité – et leur instrumentalisation – partenariat de service – lors des interventions cliniques des internes-accompagnatrices. La posture centrale – partenariat associatif – représente la perspective pédagogique dans laquelle l’interne-accompagnatrice adopte une posture symétrique au niveau de la relation pédagogique avec le stagiaire et complémentaire au niveau des connaissances.

Le partenariat associatif est vécu lorsque l’interne-accompagnatrice écoute, clarifie, reformule, négocie un travail, propose des pistes, répond aux attentes et aux besoins de l’étudiant. Quant à celui-ci, il s’engage et s’investit dans la tâche négociée. Dans ce cas, le stagiaire évalue l’atteinte de ses objectifs d’apprentissage lors de son auto-évaluation, il prend part à une co-évaluation avec l’interne-accompagnatrice et/ou ses pairs, puis procède à l’auto-régulation de son processus d’apprentissage. Il est ainsi considéré comme acteur de la relation à part entière. Il y a alors nécessairement reconnaissance des compétences de l’autre et acceptation du partage du pouvoir dans la relation. La place est laissée au stagiaire pour qu’il puisse s’exprimer sur la gestion d’un cas clinique d’un interne et, comme Cicourel (1979) le précise : « Le novice peut aussi dresser des listes de questions qui, tout en étant destinées à l’expert, contestent explicitement ou indirectement l’autorité de celui-ci [italique de l’auteur] » (p. 182).

La modélisation présentée à la Figure 1 tisse les liens entre les concepts d’accompagnement, de partenariat, de tripartition des rôles et de relation pédagogique. Comme toute modélisation, elle représente une théorisation à prendre comme une représentation abstraite d’un phénomène. Sa rigueur conceptuelle ne nie pas sa fluidité empirique, bien au contraire. Les internes-accompagnatrices abordent trois rôles d’accompagnement des apprentissages des stagiaires au sein d’une relation de partenariat : un rôle soutenant la production (1), un rôle soutenant la facilitation (2) et un rôle soutenant la régulation (3). Ce développement postural varie en fonction du contexte, de la personnalité des acteurs, des apprentissages à communiquer et des motivations de part et d’autre :

  1. Le rôle de production peut être lié au partenariat de service. Celui-ci s’apparente à un rôle d’intervention clinique qui consiste à faire preuve d’expertise dans la matière, à être garant des contenus d’apprentissage, à aider à faire comprendre les responsabilités et les exigences du stage tout en gérant les cas cliniques de manière efficiente et directive. Si les deux protagonistes ont le même objectif de réussite, on peut parler d’une relation de partenariat de service dans le sens où l’acteur responsable – l’interne-accompagnatrice – demande au partenaire – le stagiaire – de répondre à ses attentes de manière plus ou moins directive.

  2. Le rôle de facilitation peut être lié au partenariat associatif. Celui-ci est adopté lorsque l’interne-accompagnatrice aide à définir les objectifs du stagiaire, lui propose des pistes, discute de la progression de ses apprentissages, le soutient dans son questionnement, l’aide à se positionner par rapport à un choix thérapeutique, lui propose de faire des liens avec la théorie ou de reformuler un problème, discute des limites et des habitudes du contexte de travail ou encore, « lui laisse sa place progressivement, le laisse faire tout en restant vigilant » (cf. entretien A; Zoé). Cette posture pédagogique inductive peut être assimilée à une posture compréhensive et réflexive lorsque l’accompagnatrice se met à l’écoute des besoins et des attentes du stagiaire pour guider ses apprentissages de manière semi-directive tout en maintenant une posture d’ouverture et de questionnement vis-à-vis de ses propres connaissances lors des échanges réflexifs. Si les deux protagonistes ont le même objectif de réussite, on peut parler de coopération au sein d’une relation de partenariat associatif, dans le sens où l’acteur responsable – l’interne-accompagnatrice – guide le partenaire – le stagiaire – sur le chemin réflexif qu’ils empruntent ensemble.

  3. Le rôle de régulation peut être lié au partenariat de réciprocité. Ce type de partenariat consiste à favoriser les interactions entre les acteurs en adoptant un comportement non directif quant à la matière, tout en maintenant des relations propices à la coopération en vue de la résolution d’une tâche commune. Les internes-accompagnatrices optent pour cette posture lorsqu’elles « ont confiance dans le travail du stagiaire » (Zoé, entretien A), c’est-à-dire lorsque ce dernier a atteint un degré d’autonomisation lui donnant accès à la gestion des cas cliniques, dans ce cas, non complexes. Une collaboration partenaire non directive s’installe autour d’une pratique réflexive partagée où les deux acteurs s’influencent mutuellement et où ils sont sollicités pour l’atteinte d’un objectif commun au sein d’une communauté de praticiens. Le stagiaire assume alors pleinement sa fonction émergente de membre de l’équipe. Cette relation de coopération s’identifie à un partenariat de réciprocité.

Figure 1

Modélisation des postures d’accompagnement adoptées par les internes-accompagnatrices

Modélisation des postures d’accompagnement adoptées par les internes-accompagnatrices

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5. Discussion des résultats

Cette recherche informe sur le processus d’accompagnement des apprentissages des stagiaires de M3 par les internes-accompagnatrices de G-O sur un site de stages cliniques de l’Université de Liège. Les résultats de cette recherche révèlent trois postures d’accompagnement partenaire combinées à trois rôles : production, facilitation et régulation. Plus la relation tend vers un rôle de production, plus l’apprentissage consiste en des apprentissages d’automatismes, qu’ils soient d’ordre technique (p.ex. faire une prise de sang), administratif (p.ex. compléter un dossier de patiente), logique (p.ex. comprendre la procédure prescrite de raisonnement clinique) ou attitudinal (p.ex. procéder à l’accueil d’une patiente). Par contre, plus la relation tend vers un rôle de facilitation, plus l’apprentissage se transpose en apprentissages réflexifs (p.ex. le choix de stratégies de raisonnement clinique, le choix d’interventions thérapeutiques interdisciplinaires et/ou multidimensionnelles, le choix de stratégies relationnelles lors de l’annonce d’une mauvaise nouvelle à la patiente, etc.). Le rôle d’accompagnement de chaque interne-accompagnatrice varie donc en fonction du contexte d’intervention et du type d’apprentissage à développer chez le stagiaire.

La posture d’accompagnement réflexif est investie lorsque l’interne-accompagnatrice adopte le rôle de facilitation au sein d’une approche pédagogique inductive inscrite dans une relation de partenariat associatif. L’incarnation progressive de la pratique réflexive s’installe alors chez le stagiaire grâce à une conscientisation approfondie d’un acte clinique, à une mise à distance de la situation, à un questionnement et à un positionnement adopté en pleine conscience pour développer son efficacité par rapport à la disparité des situations cliniques qui se présentent à lui. Il devient alors un apprenant réflexif (Vierset, 2016). D’après Guillemette & Gauthier (2008), les stages ne seraient formateurs que s’ils sont réalisés dans une approche intégrée de pratique réflexive. Et, plus la relation tend vers la confiance entre des acteurs de terrain qui se trouvent sur une même longueur d’onde, plus le stagiaire est libre de gérer l’autonomisation de ses apprentissages tout en étant reconnu pour sa professionnalité émergente (Jorro & De Ketele, 2011) au sein d’une communauté de praticiens cliniques.

Conclusion

À la faculté de médecine de l’Université de Liège, les étudiants de M3 parcourent différents lieux de formation clinique pour intégrer des apprentissages au sein de plusieurs départements des spécialisations médicales. Une approche pédagogique inductive est installé au département de G-O pour accompagner ces apprentissages. Cet accompagnement est le plus souvent assumé par des internes, soit des jeunes médecins en formation postdoctorale.

La question de recherche posée était la suivante : quelles sont les représentations des internes-accompagnateurs relatives à cette fonction d’accompagnement des apprentissages des stagiaires qu’on leur demande d’investir lors de la formation clinique? La méthodologie de la théorisation enracinée (MTE) nous a permis de répondre à cette question. Ont émergé des résultats enracinés dans le vécu des acteurs de terrain. Ceux-ci ont été organisés petit à petit en une théorie présentée sous forme de modélisation des postures d’accompagnement adoptées par les internes-accompagnatrices G-O.

Il est intéressant de noter les fondements communs à la MTE, à la pratique réflexive et à la pédagogie active. Tous trois mobilisent une approche inductive où l’action précède le savoir (Schön, 1983). Ainsi il y a, comme le souligne Guillemette (2006), une « suspension temporaire du recours à des cadres théoriques existants » (p. 34). Les procédures, processus, outils, savoirs, attitudes, affects, etc. déjà acquis par le chercheur (en MTE), par l’enseignant-facilitateur-animateur (en pédagogie active) ou par le superviseur-tuteur-accompagnateur réflexif (en APP et/ou en stages) sont « suspendus ». Ainsi, au début d’une recherche MTE, le travail n’est pas fondé sur des savoirs d’experts définis a priori, mais sur les savoirs naissant a posteriori, au fur et à mesure que des liens d’interdépendance s’établissent étroitement entre les recueils des données et leurs analyses réalisées dans un processus unique et intégrateur. Il en va de même pour l’accompagnement réflexif qui ne peut émerger qu’avec une approche pédagogique inductive.

La modélisation proposée concerne la relation pédagogique entre les stagiaires et les internes-accompagnatrices qui se sont proposées comme volontaires pour cette recherche. Cette modélisation représente le principal apport de cette recherche. Elle permet de comprendre les postures adoptées par celles-ci sur un site hospitalier à propos de leur fonction d’accompagnement des apprentissages des stagiaires.

Dans le même temps, cette recherche fait émerger le défi socioculturel lié à la démarche d’émancipation-autonomisation de l’apprenant ainsi soulevé dans notre institution car, comme le souligne Donnay et Charlier (2008) :

On pourrait qualifier ce changement de rupture épistémologique dans la mesure où le formateur passe d’un paradigme normatif à un paradigme de l’émergence de la singularité du stagiaire d’une part et [à] un retour aux faits le plus dépouillé possible des subjectivités des uns et des autres [d’autre part]

p. 139

Les nouvelles générations d’étudiants évoluant dans une mobilité croissante, devant faire face à un développement exponentiel des connaissances et des techniques et cherchant à construire leur voie professionnelle au sein d’une multitude de valeurs, de croyances et de représentations n’ont plus besoin d’une formation comme on pouvait l’envisager au siècle denier. Ils ont besoin d’une « trans-formation » pédagogique pour les guider dans les labyrinthes complexes des situations à venir et pour les guider à agir efficacement par rapport aux changements des besoins de la société qui sera, pour eux, faite de défis encore inconnus.

La posture d’accompagnement réflexif reflète une attitude inductive prise par l’enseignant, par le superviseur ou par le tuteur. Cette approche pédagogique inductive est alors pour l’apprenant un levier de changement lui indiquant que lui-même peut adopter une posture réflexive. Autrement dit, l’apprenant sait et peut réinitialiser le fondement de ses croyances (cognitives, sociocognitives et affectives-relationnelles) tout en s’interrogeant sur les croyances de l’enseignant, du superviseur ou du tuteur ainsi que sur les normes auxquels ils sont soumis. La standardisation de la pratique réflexive (Tochon, 2001) que l’on voit naître dans les établissements d’enseignement depuis quelques dizaines d’années ne poursuit pas une mise en conformité des apprenants à cette récente notion. Au contraire, elle leur donne la possibilité d’exprimer leur singularité au sein d’un cadre rigoureux et fluide tout à la fois, pour qu’ils puissent s’en émanciper et agir en cohérence avec leur auto-référencement au sein d’une communauté de praticiens.