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Nous pouvons considérer que les périodes électorales favorisent la diffusion des valeurs, l’élaboration des stratégies et qu’elles révèlent les conflits symboliques entre les parties en cause. Les candidatures de femmes aux élections municipales de 1996 dans les villes du Nordeste du Brésil constituent un riche exemple de cette temporalité significative. C’est à cette période qu’apparaît un ensemble de discours, d’emblèmes ou de symboles qui justifient, exaltent ou renient la présence des femmes en politique ; c’est ce que j’ai appelé dans un texte antérieur « la symbologie des canditatures féminines » (Barreira 1998). Il s’agit d’une référence qui permet de comprendre l’évocation des valeurs relatives aux rôles féminins traditionnels, valeurs féminines qui ont trait à la capacité des femmes de symboliser le changement au niveau du pouvoir et qui se basent sur des demandes universelles construites à partir d’une identité collective fondée sur un statut de genre. Nous pouvons observer cela dans les formulations didactiques des manuels adressés aux candidates :

Nous les femmes, nous avons un grand avantage dans cette élection, c’est de pouvoir faire une campagne qui soit aussi au-dessus des partis. D’où les deux stratégies à établir lors d’une campagne : l’une visera votre ascension à l’intérieur du parti et l’autre devra être développée vis-à-vis des autres candidates de votre ville, même si elles appartiennent à d’autres partis.

Manuel pour les femmes candidates à un poste de conseillère municipale 1996 : 9

La construction potentielle d’un collectif, explicitée par l’énoncé « nous les femmes », dénote la recherche d’une façon spécifique de faire de la politique, qui utilise comme référence des espaces d’identification fondés sur la condition de genre. Plus précisément, cette mise en avant de la condition féminine représente la quête d’un ordre interactif qui ritualise des appels fondés sur des différences entre hommes et femmes (Goffman 1989). L’extrait du manuel cité ci-dessus est également révélateur de l’énigme que constitue la sphère de la représentation ; cette énigme consiste en une tentative, réussie ou non, de transformer les intérêts partisans en identifications plus amples, généralement justifiées par des valeurs considérées comme représentatives d’« intérêts généraux ».

Si ces deux aspects se retrouvent dans le discours de tous les postulants à un mandat politique, les candidatures féminines y ajoutent d’autres présupposés d’inclu-sion et d’exclusion qui, soit dit en passant, vont au-delà des principes pédagogiques du manuel, démontrant que l’« égalité » entre les sexes peut aussi conduire à la re-cherche de la différence. Dans la pratique, l’existence de candidatures féminines rivales ou de candidates opposées à des candidats masculins mène à des stratégies différenciées de campagne, importantes pour notre réflexion.

Notre propos initial dans cet article est de réfléchir sur le sens de la « présence féminine » sur la scène électorale, non pas simplement par le nombre des candidatures[1], mais surtout par le rôle que celles-ci jouent dans l’espace symbolique des disputes électorales. De cette façon, les candidatures féminines mettent en lumière un ensemble de symboles et de valeurs ayant cours dans le monde social et qui sont transférées au niveau politique. L’analyse des campagnes électorales des candidates qui s’opposent à d’autres femmes ou à des hommes dévoile des stratégies intéressantes quant aux discours, images physiques et attributs moraux utilisés durant cette période.

Les candidatures féminines comme objet de recherche : aspects méthodologiques

L’observation des campagnes, dont certains rituels tels que les meetings, les manifestations, les interviews des organisateurs et des intellectuels engagés, sans oublier les programmes de télévision et les articles de journaux, tout cela a permis l’obtention de données de recherche de nature essentiellement qualitative. Nous pouvons considérer que les discours de campagne sont dotés de particularités stratégiques et opérantes (Austin 1970), respectant les règles de la compétition électorale et la tentative de chacune des candidates de se montrer supérieure aux autres. Dans cette perspective il s’agit de déterminer comment les candidates se présentent sur la scène électorale, comment elles impriment leur marque singulière et quelles valeurs elles utilisent pour affirmer leur crédibilité dans un champ politique traditionnellement caractérisé par la présence masculine. Dans cette analyse, nous proposons que les candidatures féminines se caractérisent par la recherche de reconnaissance sur la scène politique, ce qui produit une construction d’attributs de différenciation et une affirmation de leur compétence politique. On peut approfondir ces questions en examinant comment les candidates racontent leurs trajectoires et décrivent les emblèmes de leurs campagnes.

L’une des caractéristiques générales des élections de 1996, soulignée par la presse et les spécialistes du sujet, se rapporte à la présence féminine et aux résultats des candidates à la mairie de certaines grandes villes du pays. Dans la revue Isto É du 2 octobre 1996, la couverture titre (« Le phénomène féminin ») énonce le commentaire suivant : « avec 22 femmes disputant les élections dans les capitales[2], le Brésil va faire cette semaine la plus grande récolte de femmes-maires de son histoire ». Cette prévision s’est réalisée, comme l’indique le Centro Feminista de Estudos e Assessoria (CEFEA, Centre Féministe d’Études et de Conseil), qui montre que le nombre de femmes-maires élues au cours de cette dernière élection s’est accru de 76,61% (Miguel 1997).

Au-delà des chiffres, une recherche qui s’intéresse à la signification et aux valeurs culturelles liées à la présence féminine sur la scène politique impose d’emblée quelques réflexions. Il s’agit là d’un thème qui présente des risques, tels que la valorisation excessive de caractéristiques « féminines » qui seraient consi-dérées comme naturellement indispensables à l’exercice de la politique.

L’analyse des candidatures de femmes peut aussi pâtir du syndrome de l’exclusion caractérisé par la tentative de transformer ce qui est numériquement inférieur dans le champ de la politique en qualitativement supérieur. Les allusions au pouvoir féminin en tant qu’incarnation de la démocratie expriment des versions idéalisées d’un comportement tenu comme étant potentiellement positif et capable d’apporter des modifications dans les espaces institutionnalisés de la politique. La version de la « nature féminine » consacrée par le sens commun est ainsi transférée dans un espace de pratiques sociales et politiques rendues de ce fait vertueuses en elles-mêmes. Dans certaines situations, les campagnes de femmes, comme nous le verrons tout au long de ce texte, font souvent appel à des arguments relatifs à des qualités féminines estimées indispensables pour une proposition de renouveau du champ politique.

En partant du principe que la partialité est l’un des problèmes principaux dans l’acte de recherche, il s’avère indispensable de prendre comme objet le jeu et les articulations qui commandent les stratégies des acteurs engagés à l’intérieur du champ en question (voir Lagrave 1990). En replaçant la discussion dans l’espace des élections municipales, on peut penser que la recherche passe par le repérage des stratégies, symboles et jeux de positions qui entourent les candidatures de femmes pendant la campagne électorale.

Il est également important d’expliciter la nécessité de penser les candidatures de femmes dans leur expression plurielle, en évitant de travailler avec le concept de femme pris comme unité sociale, ce qui pourrait mener à des affirmations du type « la femme agit en politique » ou « la femme pense la politique ». En effet, comme on le commentera plus loin, les candidates étudiées ont des expériences variées de constitution d’un capital politique, celui-ci étant construit sur la base de trajectoires distinctes.

Les mises en garde méthodologiques relatives à l’étude de ce thème ne se limitent pas à ces remarques sur la condition de genre : entreprendre une recherche dans des circonstances électorales constitue en effet une tâche complexe. Lors d’une campagne électorale, les protagonistes attendent de tous adhésion et complicité. C’est surtout lorsque la lutte électorale s’intensifie que la situation d’« observateur à distance », qui serait la position classique du chercheur, devient difficile à tenir, voire inconfortable.

L’examen des rituels place également le chercheur dans la position quasi obligatoire de sympathisant, au lieu de celle d’observateur participant[3]. L’accès initial du chercheur à l’un des deux camps en lice fut pratiquement considéré comme un choix politique, ce qui créa des difficultés pour obtenir des informations sur la campagne de la candidate rivale. L’accès au comité organisateur lui-même exigea la médiation d’un participant de confiance qui dut agir comme intermédiaire.

Candidatures féminines : trajectoires personnelles et politiques

Les candidatures féminines font l’objet d’un véritable investissement, assuré par divers spécialistes : la diffusion de valeurs qui illustrent le profil des candidates, la présentation d’une « histoire personnelle et politique », le perfectionnement des gestes et la mise au point de styles.

Socorro França, candidate du PSDB (Partido da Social Democracia Brasileira) à la Mairie de Fortaleza, 52 ans, a fait sa première incursion dans la vie politique en 1990, quand elle essaya de conquérir une place de députée de l’État, ne parvenant finalement qu’à une place de suppléante[4]. Elle représentait une sorte de candidature alternative à l’intérieur du PSDB, selon la propre version du président régional du parti :

Socorro est apparue comme une nouveauté, dans le sens où, bien qu’elle appartienne au PSDB, elle n’était pas perçue comme liée au jeu du pouvoir. Elle avait la vertu de la nouveauté et atteignait divers objectifs. De plus, Fortaleza avait déjà montré une certaine réceptivité à une candidature féminine, avec la maire Maria Luiza.

Marcos Penaforte, représentant du PSDB, entretien réalisé par l’équipe de recherche le 20 septembre 1997

« Fortaleza corps et âme », tel est le titre du dépliant qui présente la « biographie » de la candidate. Il s’agit d’une histoire construite de manière à valo-riser ses attributs professionnels, personnels et politiques. Cette biographie apporte aussi la preuve d’une double réalisation : la première, en tant que femme (« mariée et mère de quatre enfants ») et la seconde, comme professionnelle (« dotée d’une solide formation universitaire ») engagée dans les luttes sociales.

Dès l’âge de 15 ans, quand elle est entrée dans les mouvements militants catholiques comme représentante des élèves, Socorro França a fait de la justice sociale sa vraie raison de vivre. Mariée, mère de quatre enfants et formée en droit et en économie, elle est titulaire d’un diplôme de troisième cycle en droit et développement et elle a déjà été professeur de droit éco-nomique. Une brillante carrière de procureur de la République admise par concours l’a menée au poste de Procureur de Justice, l’un des plus importants de l’État. [...] La liste de ses actions en faveur des droits de l’homme est impressionnante, tant dans les tribunaux qu’à la ville ; elle aida le peuple à s’organiser et contribua à renforcer les institutions communautaires.

Dépliant sur Socorro França, 1er mai 1996

Moralité, justice et droit sont présentés comme des caractéristiques fonda-mentales de sa personnalité, dans la mesure où Socorro França « a combattu avec intransigeance la corruption », selon l’un de ses slogans, « Pour vous défendre ».

L’association entre valeurs morales et politiques représente la substance discursive d’une candidate inconnue de la plupart des électeurs. Dans ce contexte, son comportement en campagne, plus qu’une improbable victoire, cherche à main-tenir envers le public la crédibilité du parti : « le gouverneur a montré beaucoup d’éthique à mon égard. Il m’a dit : ‘‘écoutez, on ne va pas gagner, mais je veux un nom, je veux de la crédibilité, je veux un discours, je veux de la combativité et de la tenacité’’ » (Socorro França, entretien accordé à notre équipe de recherche le 29 septembre 1997).

En tant qu’unique femme candidate, Socorro França cherchait à renforcer les valeurs exaltant le rôle féminin conventionnel, ainsi qu’à établir son rôle de défenseur des institutions juridiques. À Natal, le fait qu’il y ait eu plusieurs candidates rivales a rendu possibles d’autres formes de présentation politique, caractérisées autant par l’évocation de la condition de genre que par la recherche d’une différenciation à partir de critères idéologiques.

Vilma Maia, fille d’un dentiste, est née à Mossoró, dans le Rio Grande do Norte, en 1945. Mariée à 17 ans avec Lavoisier Maia, ex-gouverneur du Rio Grande do Norte, elle a eu rapidement quatre enfants. « J’ai vécu une période où j’étais très mère, très femme au foyer », dit-elle. Vilma Maia commence sa carrière politique en 1982, comme secrétaire d’État au Travail et au Bien-Être Social sous le gouvernement José Agripino Maia. En 1986, elle est élue députée fédérale de la Constituante, c’est alors la première femme députée fédérale de l’État ; elle devient maire en 1988. Aux élections de 1996, la candidate Vilma Maia est soutenue par différents partis, comme le Parti du Front Libéral (PFL) de Agripino Maia, ce qui lui vaut bien des critiques lors de sa campagne. Or, malgré l’appui de ces forces politiques oligarchiques, la candidate du Parti Socialiste (PSB) était porteuse d’un discours d’indépendance qui se basait sur les ruptures réalisées au fil de ses changements de partis ainsi que dans la sphère de sa vie privée. Elle se donnait donc le titre de guerrière, capitalisant des espaces politiques déjà consolidés et de nouvelles possibilités d’adhésion.

La candidate du Parti des Travailleurs (PT), Fátima Beserra, d’origine modeste, est née en 1955. Après avoir étudié la pédagogie à l’Université Fédérale du Rio Grande do Norte, elle est devenue professeure de l’enseignement public de l’État et députée de l’État pour le PT ainsi que présidente du syndicat des professionnels de l’enseignement. Née à Nova Palmeira, dans la région du Seridó de l’État de Paraíba, Fátima a émigré à Natal, chez une de ses tantes, afin de poursuivre ses études.

Fátima Beserra a entamé ses activités politiques par le biais des mouvements étudiants, jusqu’à devenir représentante du Directoire Central des Étudiants (DCE). Elle fut élue députée de l’État en 1994, date à laquelle elle s’engagea activement au sein du Parti des Travailleurs. Lors de cette campagne pour les législatives de l’État, elle se rendit célèbre pour s’être mesurée au Secrétaire à l’Éducation au cours d’un débat, ce qui renforça son slogan « Une leçon de courage ». En tant que candidate du Front Populaire de Natal, formé par les partis d’opposition, Fátima Beserra se présentait comme l’adversaire des oligarchies.

Les élections, à Maceió, présentent diverses spécificités : en plus de compter trois femmes parmi les candidats disputant le premier tour, les résultats ont surpris ; car à l’issue de cette étape initiale, la victoire est revenue à deux femmes aux trajectoires similaires, provenant de la même équipe municipale, celle du maire en place Ronaldo Lessa.

La candidate du PSB, Kátia Born, née en 1954 et devenue orpheline à 11 mois, a été élevée par ses grands-parents. Formée en médecine dentaire, elle a intégré le mouvement des femmes en 1979 et contribué à créer le mouvement féminin au sein du PMDB (Partido do Movimento Democrático Brasileiro). Entrée en politique en 1982 comme conseillère municipale, elle devient la première femme à exercer la présidence du Conseil municipal. Ex-présidente de la CUT (Centrale Unifiée des Travailleurs), elle contribue à fonder le Parti Socialiste Brésilien (PSB) d’Alagoas. Elle assume le poste de secrétaire à la Santé sous la gestion de Ronaldo Lessa, maire de Maceió et principal soutien de sa candidature à la mairie.

La candidate de l’union « Maceió ne peut pas s’arrêter », relate son histoire politique :

Je suis un soldat de mon parti et de l’union de la gauche. En 1979, je suis descendue dans la rue au côté du sénateur Teotônio Vilela et du mouvement des femmes, pour lutter en faveur de l’amnistie politique. En 1983, avec Cristina Tavares, Ruth Escobar et Martha Suplicy, nous avons réussi à former la première commission exécutive de femmes dans le PMDB. Je suis une femme de parti et mes ambitions se restreignent aux ambitions de mon parti de gauche.

Tribuna de Alagoas, 19 septembre 1996

Heloísa Helena, âgée de 34 ans à l’époque de la campagne, est célibataire et mère de deux garçons. Son expérience politique a commencé dans les mouvements étudiants lorsqu’elle suivait des cours d’infirmière et était affiliée au Parti Com-muniste du Brésil (PCdoB). Par la suite, devenue professeur universitaire, elle adhéra au PT et entra dans le mouvement syndical de sa catégorie professionnelle, où elle se fit remarquer par ses qualités de meneuse.

Pourtant, c’est comme vice-maire de Ronaldo Lessa, en 1992, qu’elle s’est fait connaître du grand public. Elle s’est bâti alors un capital politique qui lui a garanti une place à l’Assemblée Législative de l’État. Lors de ces élections, elle fut d’ailleurs la candidate qui reçut le plus de voix. « Pour faire briller Maceió », tel était le slogan de Heloísa Helena et de son co-listier Joaquim Brito, membre du mouvement évangélique. Heloísa se décrivait comme « une femme pauvre, nordestine, de gauche et travailleuse ». Elle répétait : « C’est pour cela que je gêne et c’est pour cela que je trouve des forces pour continuer à lutter ».

Les trajectoires des candidates, rapidement décrites ici, apportent des éléments pour une discussion sur les points convergents ou spécifiques qui permettent d’identifier différents profils de femmes, construits à partir de leurs modes d’insertion dans les espaces politiques.

Les candidates aux Mairies de Natal, Maceió et Fortaleza ont en commun de militer au sein de différentes instances de la société civile, où elles agissent comme des intermédiaires de socialisation politique. Mouvements étudiants, syndicats et partis politiques constituent des espaces qui préparent leurs candidatures officielles à des postes représentatifs. Vilma Maia possède toutefois un capital politique différent des autres, dans la mesure où elle a déjà occupé de nombreux postes dans l’Exécutif et le Législatif, ce qui lui confère le rôle de « candidate expérimentée ». De plus, contrairement aux autres candidates, son mode d’insertion dans la politique se caractérise par l’occupation initiale d’espaces construits sur la base d’un héritage familial.

Bien qu’il existe des différences entre les trajectoires de ces femmes, l’évocation de leur passé de militantes constitue un thème récurrent dans les entre-tiens, déclarations et tracts. Ce rappel du passé représente une sorte d’« historique politique » pour des candidates soucieuses de faire valoir, comme élément de différenciation, l’ancienneté de leur « engagement envers la cause ».

L’entrée de femmes présentant un tel profil dans le champ de la politique reflète avant tout le contexte de redémocratisation de la société brésilienne, qui a permis la formation de cadres en dehors des modèles traditionnels d’héritage politique, par le parti ou la famille. Les observations de Blay (1990), réalisées à partir d’une recherche sur la participation des femmes dans des mairies de la cam-pagne nordestine lors des années 1970, servent de contrepoint à la situation actuelle des candidates dans les capitales d’États. L’auteur remarque qu’il existe trois modèles de femmes-maires, définis par les types suivants : la « maire-épouse », la « maire-colonel » et la « maire-par-elle-même ». Alors que les deux premiers types correspondent à une option politique suscitée par un antécédent familial ou par fidélité à des factions politiques locales, le troisième désigne une socialisation politique basée sur la réalisation professionnelle.

Contrairement aux campagnes électorales des femmes-maires dans les pe-tites villes, celles des candidates des métropoles se présentent comme des rivalités animées par la recherche d’une reconnaissance sur la base de « compétences per-sonnelles ». De tels attributs, renforcés pendant la campagne, permettent la construction de ce que Collovald (1988) appelle des identités stratégiques. Il s’agit d’identités construites et reconstruites tout au long de la campagne, en prenant comme référence l’espace politique parcouru, qui commence alors à être l’objet des « biographies ». Être « guerrière », être une « lutteuse » et « avoir consacré une partie de sa vie à lutter pour la justice » constituent des symboles de crédibilité vantés comme autant de passeports pour la vie politique. On remarque, dans ce contexte, le « travail de présentation » des candidates, marqué par l’utilisation d’attributs ou de symboles ayant pour objectif d’accroître leur efficacité politique[5]. Ce travail de présentation se caractérise par la construction d’une reconnaissance publique et passe par la tentative de formaliser des espaces d’opposition, grâce à une démarche de gestion de la différence qui s’explicite dans les trajectoires personnelles et les valeurs emblématiques qui composent les termes de la dispute.

« Il ne suffit pas d’être femme » : la gestion de la différence

La situation de rivalité électorale entre candidates limite leurs possibilités respectives de faire appel à la complicité et à l’adhésion de la catégorie féminine. Dans ces circonstances, ces femmes cherchent d’abord à construire un espace différencié : c’est la gestion de la singularité. Ainsi, la candidate du PT à Natal, Fátima Beserra, cherchait à se différencier de son opposante en affirmant que « la façon par laquelle Vilma est entrée en politique est encore une forme traditionnelle, car elle a débuté comme première dame ». Elle ajoute cependant que la démar-cation de la différence se situe, à ce moment-là, au niveau des projets politiques des partis.

Une perspective similaire fut adoptée par Heloísa Helena :

Les femmes de Maceió se trouvent à un moment inédit de leur histoire, où elles doivent choisir, entre deux femmes, celle qui assumera la direction du pouvoir municipal. Mais il ne suffit pas d’être femme pour justifier notre engagement en tant que candidate. Il faut aussi représenter une rupture avec les vieilles structures de domination qui engendrent l’inégalité entre hommes et femmes, entre races et entre classes sociales.

Dépliant sur Heloísa Helena, 1er septembre 1996, mes italiques

Les possibilités de gestion de la différence sur la base du statut de genre s’appuient, dans le cas des candidates de Natal et Maceió, sur la recherche de critères de valeurs tels que le courage, l’engagement et l’authenticité. « Il ne suffit pas d’être femme » : cette phrase implique la recherche d’une différenciation, généralement réalisée à partir de l’affirmation d’une trajectoire politique associée à des critères idéologiques. Dans ce cas, l’authenticité apparaît comme la valeur suprême capable de présenter deux rôles sociaux féminins : la femme soumise et la femme indépendante. Cet affrontement entre espaces de reconnaissance s’explicite dans l’affirmation de valeurs telles que l’expérience et la compétence d’un côté, et des valeurs liées à la rupture et au changement, de l’autre.

Se prévalant de son expérience de vice-maire, Vilma se présentait comme une administratrice compétente, une femme-maire expérimentée, batailleuse, courageuse dans le traitement des problèmes et « femme de parole ». « Vilma construit et va construire encore plus » ou « Vilma a déjà été maire de Natal, elle connaît comme personne les problèmes de la ville » sont des slogans constamment répétés dans ses tracts et sur les banderoles de ses meetings électoraux.

D’une certaine manière, la candidate du PSB de Maceió, Kátia Born, faisait également sien le concept de la candidate dotée de capacités administratives : même sans expérience significative à des postes de l’exécutif, elle se présentait comme capable de donner suite aux grands travaux du maire de l’époque, Ronaldo Lessa. « La compétence ne peut pas s’arrêter » ou « La compétence, c’est Kátia », tels sont les slogans répétés durant sa campagne.

Si les valeurs qui se rapportent à l’expérience et à la compétence constituent un capital symbolique utilisé comme propagande électorale, celles qui font ré-férence à la rupture et au changement constituent leur contrepoint. Dans cette perspective, la candidate du PT à Natal, Fátima Beserra, assume le rôle de véritable signataire du démantèlement des formes traditionnelles d’autorité politique.

« Pour changer, il n’y a qu’elle », tel est le slogan de cette candidate, déve-loppé comme suit dans l’un des tracts de sa campagne :

Il est clair que Fátima Beserra, du Front Populaire de Natal, est la candidate qui représente le changement ainsi qu’une gestion en faveur de l’ensemble de la ville, sans privilèges de groupes ou d’individus. Fátima a des propositions pour améliorer l’administration de la commune et elle a toujours été cohérente avec les principes d’éthique qu’elle affirme dans sa campagne.

Tract publicitaire de Fátima Bezerra, 1er septembre 1996

La candidate du PT de Maceió, Heloísa Helena, incarne elle aussi ces idées de rupture. Se présentant comme compétente, honnête, courageuse et indépendante, elle renforce son engagement envers le changement en invoquant son passé de militante, auquel s’ajoutent des attributs personnels liés à sa posture radicale. Lors d’un entretien accordé au Jornal do Comércio (10 novembre 1996), elle affirme de la sorte : « Je suis seule face à une femme, au maire et à une partie de la droite. Si je gagne, les choses vont réellement changer. Si c’est le contraire qui se passe, la droite trouvera toujours un moyen de continuer à distribuer les cartes ».

Alors que les candidates du PT assumaient avec plus de clarté le discours de l’indépendance et de la rupture, les candidates du PSB utilisaient de manière plus expressive le discours de la compétence, étayé par leurs expériences personnelles comme par la perspective de « donner suite » aux propositions des gestions anté-rieures. À Fortaleza, la candidate du PSDB se présentait elle aussi comme la continuatrice des transformations politiques entreprises depuis le premier gouver-nement de Tasso Jereissati (1987-1990).

Qualifier une candidate de « marionnette de politiciens reconnus » constitue l’un des éléments visant à déstabiliser l’adversaire. La candidate du PSB de Natal fut ainsi présentée par sa rivale comme « la candidate des Maia » et des oligarchies traditionnelles du pouvoir. Dans ce cadre, Fátima Beserra se présentait comme une alternative « aux dernières administrations qui ne firent rien ni pour la santé ni pour l’éducation du peuple ».

Dans le contexte des élections de Maceió, Kátia Born fut elle aussi dénigrée par ses opposants comme étant la « candidate de Ronaldo Lessa ». Selon le direc-teur de campagne d’Heloísa Helena, « la différence entre Kátia et Heloísa, c’était que Ronaldo contrôlait totalement Kátia alors que Heloísa avait une certaine indépendance. Et pour être élu gouverneur de l’État, Ronaldo va devoir faire alliance avec des secteurs conservateurs » (entretien accordé à notre équipe de recherche le 10 novembre 1996). La candidate du PT se référait à son opposante en des termes similaires : « Maceió a besoin d’une maire qui soit à la fois compétente pour poursuivre les aspects positifs de la gestion municipale, et courageuse pour changer ce qui ne marche pas, mais pas d’une maire qui n’a pas voix au chapitre et qui vit dans l’ombre de son protecteur politique » (Jornal do Comércio, 10 novembre 1996).

Socorro França, candidate soutenue par Tasso Jereissati, actuel gouverneur du Ceará, a également été critiquée pour son manque d’autonomie politique. Lors d’un débat tenu le 2 août 1996 à l’Université Fédérale du Ceará, elle fut accusée d’avoir utilisé sa position de procureure pour dénoncer la gestion de mairies en conflit avec le PSDB. Répliquant de manière tranchante, la candidate affirma « ne pas être une femme fragilisée par des sollicitations », au vu de son histoire per-sonnelle d’engagement envers la cause publique. « J’ai passé onze ans de ma vie à rendre la justice et je n’ai jamais été achetée par x, y ou z. J’aimerais bien voir quel est le bonhomme qui fait ce que je fais et qui a le courage de prouver le contraire ».

Être considérée comme une candidate sans liberté d’action représente donc une sorte d’anti-valeur, qui a été utilisée dans différentes campagnes afin de discré-diter la capacité d’autonomie et de gestion administrative de la candidate adverse[6].

Selon la perspective de Bayley (1971), ces valeurs agissent comme des tro-phées politiques, fondés sur la légitimation publique d’un comportement qui se définit en fonction de positions concurrentes. Dans un certain sens, les valeurs relatives à la rupture trouvent dans les candidatures féminines une possibilité d’adéquation. Le fait que ces valeurs soient récentes dans le champ de la politique rend possible l’incarnation d’une pratique qui se présente par avance comme innovatrice, à l’instar de la campagne victorieuse de Maria Luiza Fontenele à la Mairie de Fortaleza en 1985. Sa présentation en tant que candidate « du peuple », opposée aux traditionnels « colonels », lui a permis d’incarner facilement son slogan de campagne « gouverner la nouveauté avec le peuple » (Barreira 1993).

L’incorporation de valeurs personnelles et politiques fait partie de la construction des identités stratégiques qui sont élaborées au cours de la campagne. En ce sens, le recours aux mots et aux images perdure jusqu’au scrutin, ce qui carac-térise l’argumentation politique comme « phénomène social total » (Windisch 1995), susceptible d’exprimer des positions, des valeurs et des stratégies qui ne se limitent pas à la politique mais intègrent différents langages de la vie sociale. Nous pouvons observer que la situation des candidatures féminines rivales évoque un contrepoint entre des valeurs associées aux rôles traditionnels de soumission et des valeurs qui se réfèrent au courage et à la rupture avec les mécanismes traditionnels du pouvoir. Une discussion relative aux différentes ritualisations des candidatures féminines fournit des éléments qui permettent de comprendre les valeurs et les pratiques intéressantes durant cette période.

Ritualisations du féminin

Nombreuses sont les situations de campagne dans lesquelles la condition de genre apparaît comme un élément primordial. Le discours de Benedita da Silva députée fédérale lors du meeting de Fátima Beserra illustre bien la recherche d’une stratégie d’identification :

Je voudrais te dire, Fátima, avec la permission de George, que je te donne tout particulièrement mon accolade de femme. Nous savons toutes bien, et moi surtout, comme il est difficile, ce moment. Sachez, vous les femmes ici présentes, que Fátima est à votre image et ressemblance et lorsque quelqu’un dit du mal d’elle, c’est de vous qu’il parle, parce qu’elle représente vos intérêts dans ce Front. Et vous savez que pour changer, il n’y a qu’elle.

Discours dans le quartier de Mãe Luiza, 6 novembre 1996

Le discours de Rosalba Ciarlini durant le meeting de Vilma Maia, tenu en novembre 1996, également dans le quartier de Mãe Luiza, cherchait à coordonner des éléments symboliques provenant de rôles féminins traditionnels avec l’exercice de la politique :

Nous voulons, mes frères et sœurs, que cette ville soit administrée par une femme combative, une femme forte, qui sache travailler et je n’ai aucun doute. Vilma se soucie de vos enfants parce qu’elle est mère et qu’elle veut qu’ils puissent avoir un grand avenir, un avenir que nous toutes, mères, voulons pour nos enfants.

Rosalba Ciarlini, 8 novembre 1996

La compétence politique féminine est également renforcée et exaltée par le député fédéral Fernando Lira, à l’occasion d’un meeting réalisé dans la banlieue de Natal :

Et, maintenant que je suis ici, je me souviens du moment où nous sommes arrivés à la Constituante et où nous y avons trouvé des femmes qui changèrent le profil de la Chambre des Députés. Je me rappelle bien ma chère et inoubliable Cristina Tavares, la courageuse députée du Pernambouc. Et au côté de Cristina, il y avait cette femme dont le comportement exemplaire nous emplissait tous de fierté, cette femme qui allait conduire la destinée de Natal, Vilma Maia.

Fernando Lira, 8 novembre 1996

Les allusions spécifiques à la condition de genre comme capital symbolique apparaissent également dans des situations qui opposent candidats et candidates. À Fortaleza, l’exaltation de valeurs féminines lors de la candidature de Socorro França s’accompagne de l’affirmation, par contraste, de qualités masculines attribuées au candidat Juracy Magalhães. Lors d’une réunion le 2 août 1996, dans le quartier de Quintino Cunha, le présentateur, entre un feu d’artifice et une chanson, annonçait : « Et maintenant, la parole est à l’homme du peuple, au père de famille, au vieux mâle » ; le candidat à la mairie commença alors son discours en se réfèrant à « Fortaleza, la belle enfant ». Sa campagne comportait des proposi-tions spécifiquement adressées aux femmes, en plus de tracts qui leur étaient destinés.

La valorisation de symboles féminins, dans le cas de la campagne de Socorro França, est intimement liée à son comportement dans ses différents rôles : mère, épouse et professionnelle du droit. Dans ce contexte, surgit aussi l’identification entre la femme et la ville. Ainsi, durant les meetings, conventions et autres rassem-blements publics, l’apparition de la candidate est précédée par une chanson du compositeur-accordéoniste Sirano :

Fortaleza est une femme, vous le savez bien

Socorro França vient gouverner cette ville

Socorro França est une femme forte, de justice

Socorro França, viens être notre maire!

Lors des différents meetings de la campagne de Socorro França, on fait souvent référence à la femme comme porteuse d’attributs importants pour l’exercice de la politique. De fait, les discours de la candidate à la Mairie de Fortaleza, généralement précédés d’une présentation du gouverneur Tasso Jereissati et de l’ex-gouverneur Ciro Gomes, étaient annoncés en des termes éloquents et émaillés de métaphores relatives à ses qualités féminines : « Nous sommes allés chercher, parmi toutes les femmes, une femme compétente, un cœur de mère sensible à la douleur du peuple, un joyau qui a une importance décisive pour Fortaleza ».

L’utilisation de valeurs féminines comme forme de capital symbolique ne se produit pas seulement dans l’espace des candidatures. Carvalho (1996), qui analyse l’imaginaire de la République au Brésil, atteste le rôle de l’allégorie féminine, élaboré dès l’apparition de la République française. La figure féminine représentait, dans ce pays européen, l’exact contraire de la monarchie et incarnait le thème de la liberté, comme le montre le tableau de Delacroix LaLiberté guidant le peuple. La « femme du peuple » identifiée à la République et la femme symbolisant la Vierge Marie, associée à la réaction monarchique, synthétisaient deux figures féminines opposées.

L’emploi de la figure féminine comme signifiant de la pratique politique indique différentes possibilités figuratives. Si l’époque de la construction de la République renvoie fondamentalement à des aspects mythologiques et religieux, la présence effective de la femme dans les espaces publics contemporains présente un autre ensemble de significations pouvant être lues à la lumière de deux codes qui ne sont pas forcément exclusifs. La combattante ou guerrière est figurée par la militante, qui fait de sa participation aux luttes populaires la force de son capital symbolique. L’expérience et le bon sens administratif, quant à eux, renvoient autant à des valeurs associées au monde masculin qu’à la capacité effective de gérer les affaires domestiques, dont la ville peut constituer une sorte d’extension. De même, des valeurs relatives à la sensibilité ou à la maternité sont constamment évoquées, dans une tentative de transférer une part du capital symbolique constitué dans le cadre domestique vers l’espace de la politique. L’image de la candidate militante finit par montrer l’existence de valeurs libertaires typiques de la femme moderne, capable de « faire sa carrière politique » toute seule.

Heloísa Helena, à Maceió, est la candidate qui représente avec le plus de fidélité l’image de la militante, image qu’elle cultive tout au long de sa campagne. Avec sa queue de cheval et ses lunettes rondes sur un visage pratiquement exempt de maquillage, Heloísa apparaît comme l’image de la simplicité. Elle porte en permanence des jeans et un tee-shirt, ce qui témoigne de son « absence de coquet-terie », couramment mentionnée dans ses tracts. La jovialité de la candidate et sa manière de faire de son discours sa meilleure arme la rapprochent de la militante engagée qui a acquis un capital politique en participant aux mouvements de la société civile apparus au milieu des années 1980. L’image présentée au public est pourtant le fruit d’une « négociation » entre une position plutôt radicale de com-battante et une autre, plus souple, capable de conquérir le public.

D’après le directeur de campagne d’Heloísa Helena, son image a parfois été travaillée de manière à exprimer une certaine tranquillité, sentiment en fait éloigné de sa personnalité combative.

Nous avons constaté que lorsque Heloísa polémiquait contre Ronaldo, c’est Kátia qui en sortait gagnante, parce que Ronaldo avait 80% de crédibilité et était le meilleur agent électoral de Kátia. Au premier tour, on a fait une vignette montrant Heloísa souriante et ça a adouci son image. [...] L’objectif de la première partie de la campagne était de rendre son discours plus agréable, mais on a eu des difficultés. On a souhaité plusieurs fois qu’elle dénoue ses cheveux, qu’elle se présente de manière plus sensuelle devant la caméra, qu’elle porte un décolleté, des boucles d’oreilles. C’est important pour l’imaginaire de la population. Sur les panneaux publicitaires, Kátia a été transformée en une jolie femme. L’autre directeur de notre campagne a réussi quelque chose de positif, il a libéré Heloísa. Cette histoire de dénouer les cheveux a eu des résultats intéressants.

Entretien accordé à notre équipe de recherche le 10 novembre 1996

L’image de la candidate est aussi affectée par l’intervention d’électeurs. Le journal Gazeta de Alagoas, dans la rubrique de José Elias, relate le fait suivant :

Un groupe de femmes en visite à l’Assemblée Législative de l’État a lancé un appel à la députée Heloísa Helena pour lui demander de changer son appa-rence physique. L’une d’elles, sympathisante avérée, déclara : « je n’irai assister à la cérémonie de votre prise de fonction que si vous dénouez vos cheveux et si vous mettez une mini-jupe à la place de ce pantalon ». Heloísa releva le défi.

Gazeta de Alagoas, 18 octobre 1996

L’apparence physique constitue donc, à côté du discours et d’autres stra-tégies de campagne, une totalité, dans la mesure où « le candidat ne propose pas seulement un programme, mais aussi un climat physique, un ensemble d’options quotidiennes exprimées par une morphologie, une façon de s’habiller, une pose » (Barthes 1989 : 103).

Conclusion : les dimensions symboliques des candidatures féminines

Comme nous avons pu l’observer au cours de cet article, les canditatures féminines mettent en lumière un ensemble de symboles et de valeurs en vigueur dans le monde social et qui sont transférés dans le cadre de la politique, exposant ainsi différentes conceptions du rôle des femmes dans la société et dans la vie politique.

La présence des femmes dans les scrutins électoraux est par conséquent associée à une série de rituels qui apparaissent dans la construction des discours, dans la production d’images et d’autres symboles dotés de caractéristiques spé-cifiques. Aux femmes est attribué un capital symbolique constitué aussi bien de dons personnels dits naturels que de qualités produites par les participations aux mouvements politiques qui sont évoqués sur le moment. Il est possible de déduire aussi que les campagnes politiques ritualisent certains conflits anciens de la société, dont les luttes symboliques entre les sexes. L’examen de la capacité de gestion n’est pas réalisé à partir d’une question adressée personnellement à la candidate, mais au genre dont elle fait partie : les femmes sont-elles capables d’exercer des fonctions dans l’exécutif?

En associant la condition de femme à des valeurs humanitaires, c’est autant le sens de la recherche de représentativité que la tentative de recourir à des modèles universels consolidés et légitimés dans la mémoire culturelle qui est réaffirmé. Il s’agit de réaliser une des règles de base du processus symbolique, qui consiste à tenter simultanément de définir des frontières et de se positionner comme l’ex-pression d’une totalité (Sfez 1988). Le problème se pose donc dans les termes suivants : être femme, c’est affirmer une spécificité au-delà des partis, une spécificité qui s’amplifie par la perspective d’être le porte-parole de sentiments universels. Dans ce sens, les femmes peuvent bénéficier de l’association entre leur condition subordonnée et une représentation possible de l’exclusion sociale sous toutes ses formes.

Les candidatures féminines bâtissent des stratégies en élaborant un sens scénique et une structure discursive qui apparaissent comme quelque chose « de plus ». Un « plus » qui fait allusion à une universalité de valeurs. À ce propos, il est bon de souligner quelques exemples. Lors d’un entretien accordé à la Tribuna de Alagoas, Elma Sales, âgée de 50 ans et maire de Paulo Jacinto, déclare : « Les femmes sont plus attentives, plus créatives. Elles développent, dès leur plus jeune âge, le sens de la responsabilité. De plus, nous avons un sixième sens qui nous permet de voir les choses plus en profondeur » (mes italiques). Une autre femme-maire, élue également dans un village de l’intérieur de l’Alagoas, Silvana Costa Pinto, âgée de 33 ans et membre du PFL, partage la même opinion : « Nous agissons beaucoup avec le cœur, nous parvenons à unir le raisonnement et le sentiment et cela nous permet d’avoir une vision plus générale des choses » (mes italiques)[7].

Le discours féminin en politique signale une position qui doit être construite dans une démarche passant par la valorisation de qualités différenciatrices : soit des qualités typiquement féminines, soit des qualités masculines, présentées parfois comme étant plus développées chez la femme. C’est comme si la qualité devait être montrée non seulement dans les actes, mais aussi dans le corps, le cœur et dans des expressions d’affection, telles que « corps et âme ». Il s’agit là de codes complé-mentaires observés par Regina Pinto (1987) dans le discours de la femme de la pampa du sud du Brésil, à l’époque de la Vieille République. Cet auteur observe que c’est la jonction de codes se rapportant à des qualités féminines avec des codes relatifs à des attributs masculins qui confère à ces femmes une position qu’elles considèrent elles-mêmes comme « extraordinaire ».

Il existe en outre une stratégie discursive qui affirme sous une forme impli-cite un « moins » qu’on peut traduire dans l’affirmation « une femme doit être... ». Cette expression révèle une position qui doit être conquise dans la politique et donc une position qui incite à des mises en valeur, des dissimulations et des interdits. « Une femme doit être forte, elle ne doit pas craindre les puissants, il faut qu’elle affronte les défis sans se taire. Heloísa, le courage et la force dont on a besoin » (chanson de la campagne de la candidate Heloísa Helena).

Dans le même esprit, les termes employés par la candidate de Fortaleza, Socorro França, sont eux aussi significatifs :

Si vous êtes une femme et que vous avez une grande âme, ça vaut la peine d’entrer en politique parce qu’on va leur montrer et ici je ne fais pas, mon Dieu! une comparaison avec les hommes mais nous devons montrer aux hommes que nous avons de la compétence ; nous avons la capacité de changer le cours de l’histoire et d’avoir, par le sentiment même que Dieu nous a donné, par la manière même d’être mère que Dieu nous a donnée, un sixième sens maternel pour aider les pauvres, ceux qui ont besoin de politiques sociales.

Entretien accordé à l’équipe de recherche, 29 septembre 1997

Les valeurs mobilisées pendant les campagnes électorales renvoient au thème des classifications ou des constructions d’identités orientées vers la produc-tion d’effets sociaux (Bourdieu 1989). Les risques de valorisation d’une identité féminine en politique consistent aussi bien à renforcer les principes de différen-ciation entre les rôles sociaux masculins et féminins qu’à cristalliser des représen-tations qui opposent « femmes soumises », « femmes expérimentées » et « femmes de rupture ». En supposant que le caractère opérant des discours apparaisse selon un contexte de forces politiques éprouvées par les acteurs sociaux, il est possible de penser que, à long terme, l’augmentation importante du nombre de femmes sur la scène politique entraînera une dénaturalisation des attributs liés au genre, encore fortement exploités pendant les campagnes électorales. L’efficacité politique des candidates au niveau de la gestion municipale pourrait également leur donner un gage de crédibilité. Il est important de considérer que lors des élections municipales de 2000, les candidates Vilma Maia (à Natal) et Kátia Born (à Maceió) ont été réélues pour un nouveau mandat municipal.

En conclusion, la dimension symbolique des candidatures féminines est l’expression d’un espace politique en construction, traversé par la quête de crédibi-lité et de reconnaissance sociale. En ce sens, la scène électorale montre bien une façon particulière d’expliciter les valeurs à partir de la manière dont les rôles sociaux sont intériorisés et mobilisés dans les situations de concurrence. Com-prendre les processus effectifs ou inconscients d’association entre la place de la femme en politique et celle qu’elle occupe dans la vie sociale devient incontour-nable, au-delà de l’augmentation statistique de la participation féminine aux scrutins électoraux.

Article original en brésilien traduit par Benoît Gaudin et Valérie Ketterer