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Cet ouvrage rassemble dix études portant sur des phénomènes de transe et de possession en Afrique noire. Si deux contributions s’intéressent aux marges de cette dernière (Madagascar, La Réunion), la grande majorité des lieux d’études se situent en Afrique de l’Ouest. Comme support complémentaire à l’écrit stimulant, un CDrom accompagne le volume. Bien que l’interface soit assez plaisante à manipuler, les informations visuelles (photographies et films) que le CDrom nous propose représentent de façon quelque peu inégale les différentes contributions.

En introduction, après avoir brossé une petite généalogie — que nous aurions aimée un peu plus substantielle — des approches et des concepts employés dans l’analyse occidentale de ce que nous nommerons, à des fins de concision, la transe/possession, M.-C. Dupré précise les positions théoriques et les insistances analytiques traversant l’ensemble des contributions réunies. À défaut de développer une conception de la transe/possession permettant d’en tracer les frontières phénoménales, et par conséquent d’entrer dans un débat de fond, la transe est décrite non pas comme l’irruption du sacré dans le profane, mais bien comme une « conduite socialisée inscrite dans une histoire locale » (p. 13). La possession est pour sa part conçue comme un contact direct avec une force surnaturelle.

La participation de l’hypothèse cognitive à l’analyse de ce double phénomène nous paraît particulièrement féconde. Développée à partir du travail de Gilbert Durant, elle postule que dans le cadre de la transe/possession, la dynamique cognitive, comme activité de production symbolique proprement humaine, donne forme au contact avec une « indétermination fondamentale » se trouvant traduite en une entité surnaturelle spécifique. Les « produits » de ce contact sont par la suite interprétés pour donner sens au monde et à l’expérience. Pour ce double travail, le contexte apparaît comme déterminant.

Cette exigence de sens à laquelle la transe/possession est une réponse, Dupré la relie étroitement au rapport de la transe/possession à l’histoire, un rapport sur lequel insistent les contributeurs et qui nous semble particulièrement important en ce qu’il révèle pleinement le dynamisme de ce que l’on a longtemps considéré comme à l’extérieur de l’histoire. La grande majorité des auteurs ont également bien articulé ce rapport à l’exigence de sens qui, bien souvent, en est le moteur. Inversement, plusieurs contributeurs ont porté une attention marquée au travail de l’histoire sur les rituels dans lesquels s’inscrit le plus souvent la transe/possession, tout comme à la transformation des modalités de cette dernière.

Le rapport de l’histoire à la transe/possession prend plusieurs formes, diversité bien reflétée dans l’ensemble des contributions. L’histoire thérapeutique ou initiatique tout d’abord. On la retrouve chez Laurence Pourchez avec l’analyse du récit de vie d’un couple d’officiants réunionnais, et chez Jean-Claude Muller, retraçant la chronologie de la ritualité entourant le séw, comme maladie et possession, chez les Dìì du Nord-Cameroun. On la retrouve également chez Véronique Duchesne s’intéressant à la pratique du kômian comme processus initiatique dans le Sud-Est ivoirien, tout comme chez Dominique Sewane, insistant sur l’histoire personnelle de ceux qui participent au rituel de deuil des Tammariba du Togo, le tibenti.

L’histoire de la formation et de la redéfinition d’identités collectives, ensuite. Maria Teixeira montre comment le culte anti-sorcellerie de karasa chez les Manjak de Guinée-Bissau et du Sénégal est devenu un outil de solidarité et de cohésion sociales. Albert de Surgy suggère que la transe dans les Églises pentecôtistes et prophétiques du Bénin favorise une légitimité théocratique pour la réalisation de projets collectifs. Quant à eux, Sophie Blanchy et Andriamampianina M. Rahajesy présentent le rapport rituel aux ancêtres renouvelé en Imerina, à Madagascar.

Tout en évaluant les rapports de la transe/possession à la dynamique identitaire, certains auteurs insistent tout particulièrement sur la transformation historique de certains de ses cadres rituels. Nicolas Monteillet soutient que le renouveau de la transe de possession au Bénin correspond à une détérioration des pratiques religieuses traditionnelles. Pour sa part, Marie-Claude Dupré retrace la diffusion et les transformations du rituel lemba au Congo et dans la République Démocratique du Congo. Finalement, Adjévi Hobli Mensali explore les pratiques religieuses communes au Renouveau charismatique et au vodu, dans le Sud-Togo.

Notons qu’il aurait été pertinent de regrouper les études en des sections thématiques appuyant certaines dimensions ou manifestations contemporaines importantes du phénomène de la transe/possession — dont cet ouvrage est d’ailleurs rempli. Cela aurait donné à l’ouvrage une plus grande organisation et au lecteur une lecture mieux dirigée. Évidemment, cela n’enlève rien à la grande qualité de la majorité des études que l’on y retrouve.