Corps de l’article

Ce livre est issu d’un colloque qui visait à relancer le débat sur les conséquences des changements démographiques que connaît le Québec. Il est composé de quatre parties dont la première : « mise en situation » reprend cinq exposés de synthèse alors que les autres transcrivent les débats de 13 ateliers, précédés de brèves introductions par des chercheurs. Patrick Festy (« avenir de la population et transformations de la famille dans les pays industrialisés d’Europe ») s’appuie principalement sur les exemples suédois et français. L’évolution de la nuptialité, comme celle du divorce, suit un dégradé du Nord au Sud, la France se rapprochant plutôt du modèle septentrional. En revanche, en ce qui concerne la légitimation des enfants, la coupure oppose le Nord-Ouest du continent à ses fractions méridionales et centrales.

Les autres exposés se centrent sur les spécificités du Québec dont Évelyne Lapierre-Adamcyck dresse un portrait démographique. La population devrait décroître à partir de 2026-2030, lorsque les effectifs de personnes âgées atteindront leur point culminant. Entre 1971 et 1999, les femmes qui ont terminé leur période de vie reproductive ont eu 1,6 enfants, pourtant elles aspiraient, comme leurs conjoints, à en avoir deux. Pierre Noreau (« liens entre famille, espace public et le droit ») rappelle que la diversité des formes familiales ne date pas d’aujourd’hui : la famille se distingue d’une période à l’autre plus dans ses significations que dans ses formes. Elle est en effet passée d’une définition fondée sur la lignée, puis sur le couple et enfin sur l’enfant. Le droit se dessaisit parfois de ce qu’il a normé alors qu’il intervient de plus en plus dans la vie familiale au nom de l’intérêt de l’enfant. Selon Marianne Kampeneers l’État québécois a développé un modèle original, s’inspirant tant des pays européens que de l’Amérique du Nord. Ce modèle, plus interventionniste que privatiste, soutient de plus en plus la conciliation famille-travail. En effet, alors que dans sa première décennie (1987-1996), il s’inspirait plus du pôle français, il se rapproche depuis 1997 du pôle suédois. Pour Daniel Mercure, « les mutations contemporaines des rapports entre le travail, l’emploi et la famille » se caractérisent par la remise en question du modèle fordiste depuis le milieu des années 1970. La plus grande activité des femmes de 25 à 44 ans comme la flexibilité des emplois et des horaires rendent difficile la vie familiale.

Renée B. Dandurand définit les enjeux actuels des « vies de famille » par le fait que l’engendrement est devenu un acte délibéré et que les familles ont été marquées par un processus d’individuation, conséquence de la démocratisation de la vie familiale, où les professionnels interviennent de plus en plus. Ces évolutions ont permis une plus grande maîtrise de leur vie par les femmes, mais peut-être au détriment des enfants. Les ateliers ont porté sur la formation des couples, des conditions pour avoir des enfants, des changements d’une génération à l’autre, du devenir des familles. Certains intervenants étaient fort inquiets pour la stabilité des couples et souhaitaient une formation à la « compétence conjugale » que refusaient énergiquement d’autres personnes. Quelques chercheurs s’inquiétaient de l’écart de formation entre garçons et filles et de la possibilité qui en découlerait que les femmes gagnent plus que les hommes, comme si les discriminations d’embauche et de salaires envers les femmes avaient disparu. Pourtant, ce sont les mères qui font majoritairement les frais de la difficile conciliation famille-emploi. Ainsi, une recherche citée par Marie-France Benoît indique que les femmes prennent des congés lorsque les enfants sont malades, alors que les hommes y recourent majoritairement quand ils sont eux-mêmes malades, ou pour de la formation ou des activités sociales. Il a été également souligné que l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, y compris des diplômés universitaires s’est notablement dégradée, devenant passablement incohérente, ce qui retentit sur leur vie familiale, bien qu’ils soient privilégiés par rapport aux jeunes sans formation.

Les acteurs sociaux qui interviennent sur la famille sont divers : les employeurs, les communautés locales et régionales, l’État. Celui-ci fait des remises d’impôt aux parents très inférieures à celles des États-Unis (6,5 % contre 17 % pour une famille de quatre enfants ayant un revenu taxable de 60 000 dollars selon Marc Van Audenrode). Cet État, s’il devenait souverain, serait le plus centralisé des pays développés, car les municipalités ne représentent que 10 à 15 % des dépenses publiques contre 30 à 50 % dans les autres pays industrialisés. Enfin, dans l’atelier sur « la population du Québec vieillit : faut-il en avoir peur? », peu de personnes répondaient par l’affirmative.

Au total, cet ouvrage remplit bien son objectif : apporter une information claire et lisible et permettre un dialogue sur cet important sujet.